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dlm demain le monde n° 2 – juillet/août 2010 dossier La Belgique présidente d’une Europe en crise actu Gaza, un blocus sous haute tension reportage Le lithium par et pour les Boliviens introspectus Les bons… et les truands

dlm // demain le monde #2

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Revue du CNCD-11.11.11 et supplément du magazine Imagine.

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dlmdemain le monde

n° 2 – juillet/août 2010

dossier

La Belgique présidente d’une

Europe en crise

actuGaza,

un blocus sous haute tension

reportageLe lithium

par et pour les Boliviens

introspectusLes bons…

et les truands

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02sommaire 03

éditoCrise en Europe: les leçons du tiers-mondepar ARNAUD ZACHARIE

04actuColombie: fin de mandat sur fond de scandales pour UribePar FRÉDÉRIC LÉVÊQUE

06reportageLe lithium: par et pour les Bolivienspar DAVID BACHÉ

09actuGaza: un blocus sous haute tensionpar RABAB KHAIRY

10dossierLa Belgique, présidente d’une Europe en crise

Présidence belge: que va-t-on présider?par NICOLAS VAN NUFFELL’Europe, un nain géopolitique?par ARNAUD ZACHARIELa PAC, de moins en moins politique, de moins en moins commune…par STÉPHANE DESGAINLe dessert de la Présidence belge: un mille-feuille de complexité au coulis climatiquepar VÉRONIQUE RIGOT

18projet 11.11.11Palestine: se construire une vie décente malgré l’occupationpar FRÉDÉRIC LÉVÊQUE

20introspectusLes bons… et les truandspar CHAFIK ALLAL

23pas au sud, complètement à l’ouest«Nous sommes tous partenaires»par GÉRARD MANRÉSON

24éducation au développementLe monde en classe

dlmdemain le monde

n°2 – juillet/août 2010

Directeur de rédactionArnaud Zacharie

Rédacteur en chefFrédéric Lévêque

Secrétaire de rédactionMarie-Suzanne Beauvois

Autres membres de la rédactionRabab Khairy, Nicolas Van Nuffel,Alexandre Seron

Ont aussi participé à ce numéroVéronique Rigot, Stiki, Gérard Manraison, Nicole Seeck,Hernando Calvo Ospina, David Baché,Stéphane Desgain, Arnaud Ghys,Chafik Allal, Titom.

GraphismeDominique Hambye, Élise Debouny

ImpressionKliemo – EupenImprimé à 7 000 exemplaires sur papier recyclé

Photo de couvertureSculptures dans le quartier européende Bruxelles Frédéric Lévêque 2009

dlm est le supplément «développement» du magazineImagine demain le monde.Pour le recevoir, abonnez-vous!www.imagine-magazine.comwww.cncd.be/dlm

[email protected] – 02 250 12 51

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03édito

La Belgique hérite de la présidence tournante de l’Unioneuropéenne (UE) au second semestre 2010, alors quel’Europe connaît une des crises les plus profondes de sonhistoire contemporaine. Une nouvelle vague de la crise finan-cière internationale a frappé de plein fouet l’UE suite à ladégradation des comptes grecs et, plus généralement, del’augmentation brutale de l’endettement public des États,contraints en 2008-2009 d’opérer de coûteux plans de sau-vetage des banques et de relance de l’économie. Lesattaques spéculatives qui en ont découlé ont révélé lescontradictions de la zone euro et poussé les pays européensà concocter le 10 mai 2009 un nouveau plan de sauvetage de750 milliards d’euros. En contrepartie, ils ont annoncé, lesuns après les autres, de douloureux plans d’austérité.Comme les pays en développement avant eux, les pays euro-péens se retrouvent condamnés à des programmes deconsolidation budgétaire pour éponger leurs dettes. Or deuxleçons majeures doivent être tirées de l’expérience des paysen développement.

La première leçon est qu’il ne suffit pas de couper dans lesdépenses pour résorber son endettement. En effet, ceux quipensent qu’une réduction des dépenses publiques de 1% duPIB implique automatiquement une réduction du déficitpublic de 1% du PIB sont dangereusement optimistes. Laréduction du déficit public dépend également des recettes etdonc de l’activité économique, alors que cette dernière nepeut survenir dans un contexte d’austérité généralisée. Lesplans d’ajustement structurel appliqués suite à la crise de ladette du tiers-monde du début des années 1980 ont ainsidébouché sur une «décennie perdue» en Amérique latine, larécession débouchant sur une diminution des recettes et uneaugmentation de la dette.

La deuxième leçon est qu’un État surendetté ne peut sortir dela crise sans une restructuration de sa dette, c’est-à-dire unrééchelonnement et une annulation partielle. En Europe, laGrèce semble dans une situation similaire à celle qu’a connuel’Argentine dans les années 1990, avec une monnaie suréva-luée (le peso étant arrimé au dollar) débouchant sur un endet-tement croissant et sur un défaut de paiement. Certes, laGrèce a bénéficié du plan de sauvetage de l’UE et du Fonds

monétaire international (FMI), contrai-rement à l’Argentine qui s’était vu refu-ser tout financement en décembre2001, ce qui l’avait poussé à fairedéfaut sur sa dette. Mais on n’a seule-ment gagné du temps : lorsque la Grèceaura utilisé tous les fonds du plan desauvetage et qu’elle devra de nouveauemprunter sur les marchés financiers,le problème ressurgira.

La récession promise par le plan d’aus-térité grec ne permettra sans doute pasde réduire le déficit public dans les pro-portions espérées. Or si l’Argentine a pusortir de la crise et relancer l’activitééconomique de manière vigoureuse,c’est parce qu’elle a dévalué sa monnaieet négocié la restructuration de sa dette,qui est passée de 150% à 75% du PIBentre 2001 et 2005. La Grèce ne pouvantpas dévaluer (bien que la baisse del’euro au printemps 2010 soit de bonaugure pour elle), elle aura d’autant be-soin d’une restructuration de sa dette.D’autres pays européens peuvent se re-trouver dans la même situation. C’estainsi que la création d’un mécanismede restructuration de la dette, évoquée ily a dix ans suite aux crises financièresdans les pays en développement, se ré-vèle désormais urgente en Europe.

Crise en Europe : les leçons

du tiers-monde

ARNAUD ZACHARIEsecrétaire général du CNCD-11.11.11

«UN ÉTAT SURENDETTÉ NE PEUT SORTIR DE LA CRISE

SANS UNE RESTRUCTURATIONDE SA DETTE»

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Le DAS, le service de renseignement colombien, est au cœurd’un scandale, en Colombie et à l’étranger. Les révélations se succèdent faisant état de ses opérations pour persécutercritiques et opposants. Pour nous éclairer, nous avonsrencontré le journaliste Hernando Calvo Ospina.

Fin mai, le magazine MO révélait que leservice de renseignement colombien, le Département administratif de sécurité(DAS), avait mené des opérations d’es-pionnage d’institutions européennes etd’ONG en Belgique, en prévision no-tamment de la signature d’un accord delibre-échange entre l’UE et la Colombie.Ces révélations émanent de la Justicecolombienne à la suite d’une perquisi-tion dans les bureaux du DAS et la découverte de dossiers faisant état deses opérations secrètes. Ces dernières,menées depuis 2005, font partie d’unestratégie plus globale de persécutionde toutes les voix critiques du pouvoircolombien. Le scandale a atteint unetelle dimension qu’il a poussé l’influentdirecteur de l’information de RCN-Radio, Juan Gossain, à se faire accusa-teur : «Nous, Colombiens, avons le droitde savoir qui a essayé de transformer lepays en un État de policiers et de terro-ristes d’État. (…) Qui a conçu le planmacabre consistant à persécuter les

opposants, réels ou imaginaires, comme s’ils étaient des délinquants? (…) Il n’y aque les bandits pour agir ainsi : persécuter les autres, poser des bombes pour fairecroire que c’est l’œuvre de l’opposition… (…)».

Pour nous expliquer la situation, nous avons rencontré Hernando Calvo Ospina,journaliste colombien résidant à Paris et collaborateur du Monde diplomatique. Ilnous livre son analyse sur ce scandale et dresse un rapide bilan des deux législa-tures (2002 à 2010) du président Alvaro Uribe.

Qu’est-ce que le DAS?Hernando Calvo Ospina: Le DAS est la principale agence de renseignementcolombienne. Elle dépend directement de la présidence de la République. C’est lapolice politique pour la sécurité intérieure et extérieure. On estime aujourd’huiqu’elle compte environ 7 000 hommes.

En quoi consiste le scandale qui touche cette institution?Plusieurs médias colombiens influents ébruitent depuis des années des informationscomme quoi le DAS avait l’ordre de mener des opérations de «guerre sale»: espion-nage, faux attentats attribués à la guérilla, campagne de discrédit, menaces, etc.contre des opposants politiques, des journalistes critiques, des mouvements sociaux.On a ainsi reçu la confirmation de ce que les défenseurs des droits humains dénon-çaient depuis longtemps: que de hauts responsables du DAS allaient jusqu’à chargerdes chefs paramilitaires – les milices d’extrême droite chargées d’exécuter la salebesogne de l’armée – d’assassiner des opposants. Pire, nombre d’opérations ont étéfinancées par l’argent de la drogue.

Uribe a pourtant officiellement organisé la démobilisation de cesmilices paramilitaires, principales responsables des violations desdroits humains…Il n’y a pas eu de démobilisation en tant que telle. On a assisté à une réorganisa-tion et au déplacement des structures paramilitaires vers différentes parties dupays, en particulier à la frontière avec le Venezuela. Les paramilitaires n’exécutentpas seulement la sale besogne de l’armée mais sont aussi chargés de repeuplerles zones qu’ils ont «nettoyées» des opposants. C’est un modèle amélioré de cequi a déjà été réalisé par les États-Unis au Vietnam ou au Guatemala.

Les défenseurs des droits humains, des ONG, des journalistes critiquesont été plusieurs fois accusés par le pouvoir colombien d’être les alliésobjectifs du «terrorisme», c’est-à-dire des guérillas. Quand le gouver-nement les prend ainsi pour cible, quelles en sont les conséquences?En Colombie, quand un citoyen est désigné comme un allié ou membre des guéril-las par un représentant de l’État, on utilise la terrible et célèbre phrase: «Me colga-ron la lápida», «On m’a pendu une pierre tombale autour du cou». Il est alors «nor-mal» qu’il soit assassiné ou «disparu» par des inconnus quelques jours plus tard.

ColombieFin de mandat sur fond

de scandalespour Uribe

04actu

FRÉDÉRIC LÉVÊQUECNCD-11.11.11

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Le président sortant semble être très populaire. Comment peut-on expli-quer cette popularité qui ne semble pas être affectée par ses liens avecles paramilitaires ou l’arrestation de dizaines de députés de son camp?On ne peut nier que le président a eu une forte popularité au sein des classesmoyennes urbaines, une popularité qui a été renforcée par tout une stratégie com-municationnelle et médiatique. Il faut toutefois rappeler que des enquêtes indé-pendantes et officielles ont démontré que le président sortant a eu recours à la cor-ruption et s’est appuyé sur les paramilitaires qui ont obligé des populations sousleur contrôle à voter pour lui.

Les ONG ne sont donc pas trop critiques ou en décalage avec la popu-lation colombienne qui va probablement réélire son successeur dési-gné, Juan Manuel Santos?Non, les ONG ont raison de dénoncer ce gouvernement. Aucun autre n’a autantensanglanté le pays en essayant d’affaiblir la base sociale de la guérilla mais aussien explulsant les populations de régions où des entreprises multinationales ontdes intérêts. Comme avec les gouvernements antérieurs, ce sont les guérillerosqui ont été les moins affectés par le terrorisme d’État ces dernières années.

Le thème du conflit interne avec les guérillas n’a pas semblé être unenjeu dans la récente campagne électorale. Il y a comme une atmo-sphère de post-conflit. S’il n’est pas venu à bout des insurgés, Uribeles a au moins affaiblis?Il a certainement porté des coups durs à laguérilla1, mais pas au niveau stratégique.Ses succès sont dus à l’énorme appui mili-taire et technologique des États-Unis etd’Israël. Il y a quelques semaines, dans sonrapport annuel, la Croix-Rouge internationale a affirmé que la guérilla continuait àêtre présente sur le terrain et à avoir du pouvoir, et qu’elle avait adapté sa straté-gie militaire. Les insurgés continuent à être actifs et à bénéficier d’un appui popu-laire. Que cela nous plaise ou non, et du fait de la violence contre l’oppositionlégale, ils sont la seule force à même de pousser le gouvernement à une table denégociations où l’on puisse discuter des changements dont a besoin le pays poursortir de la pauvreté et de la violence politique. Il est urgent d’appuyer une solutionnégociée à ce long conflit, celui-là même qui a déjà débordé les frontières.

1/ Pour rappel, l’armée a bombardé un campement des FARC situé à la frontière entre la Colombie et Équateur en 2008, tuant entre autres le n°2 de la guérilla. Le pouvoir colombien a également réussi quelques mois plus tard à libérer la très médiatisée Ingrid Betancourt, détenue par les FARC depuis 6 ans.

Luis Gomez 2009

«CE SONT LES GUÉRILLEROSQUI ONT ÉTÉ LES MOINS

AFFECTÉS PAR LE TERRORISMED’ÉTAT CES DERNIÈRES ANNÉES»

05actu

Développer le commerce à quel prix?Au cours du dernier sommet entre l’UE et les pays d’Amériquelatine et des Caraïbes, en mai dernier à Madrid, la Colombie est repartie avec un accord commercial en poche, et ce malgré les critiques de nombre de parlementaires et d’organisations sociales.

La Colombie est en effet un des pays d’Amérique latine où l’onrecense le plus de violations des droits humains. Pour ne citerqu’un exemple, 60% des assassinats de syndicalistes dans lemonde sont perpétrés sur son territoire (2 742 assassinatsdepuis 1986 et un taux d’impunité de plus de 95%) ! Or, laColombie a obtenu dans les négociations de l’accord une diminution des contraintes sociales et environnementales parrapport aux traités précédents, ce qui signifie que le ratifier – on en est au stade du paraphe – reviendrait à diminuer les exigences de l’UE vis-à-vis de ce pays.

De passage à Bruxelles en mars 2010, le président de l’Organi -sation indigène de Colombie (ONIC), Luis Arias, nous confiait sansambages: « On peut se demander pourquoi l’UE, qui se targued’être un grand défenseur des droits de l’Homme dans le monde,n’a pas profité de ces accords commerciaux pour poser ses conditions en cette matière. En effet, même les États-Unis ontrécemment gelé des accords de libre-échange avec la Colombie,exigeant une amélioration préalable de la situation en termes de droits humains. Malheureusement, il semblerait que d’autresintérêts se soient imposés, accélérant les négociations en cours.»

La Colombie n’est qu’un exemple parmi d’autres, mais il estsymbolique. D’autant que la Belgique a récemment refusé deratifier, à travers la décision de deux de ses régions, un accordsur les investissements avec celle-ci. Pour la raison qu’il necontenait pas les garanties suffisantes en matière de respectdes normes sociales et environnementales.

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06reportage

Le lithium : par et pour

les BoliviensLa Bolivie possède le plus important gisement de lithium du monde. Utilisé pour la fabrication de batteries, ce métal est convoité par des multinationales du monde entier. Pour le gouvernement bolivien, l’exploitation de cette ressource stratégique doit resterintégralement publique.

DAVID BACHÉJournaliste indépendant

«Toutes nos richesses n’ont jamais servi qu’à nous rendre plus pauvres. Il ne s’estjamais agi que de pillage, et nous ne voulons pas que l’histoire se répète. Lesentreprises, les monopoles… moi je préfère qu’on fasse ça nous-mêmes. »Marcelo Castro est le directeur de l’usine pilote de Rio Grande, en Bolivie. Cetteusine, dont la construction doit être achevée en mai prochain, sera la première àproduire du carbonate de lithium bolivien. Et c’est la Comibol, la coopérativeminière bolivienne, une entreprise 100% publique, qui la gère.

Uyuni. Le plus grand désert de sel du monde, 12 000 km², perché à plus de 3 600mètres, dans les Andes boliviennes. Sous cet ancien lac se trouvent les plusgrandes réserves de lithium jamais découvertes. Selon les autorités boliviennes, legisement dépasserait les cent millions de tonnes, représentant plus de 70% desréserves mondiales. Sous le désert de sel, la richesse : malgré une légère baisseces derniers mois, le cours du lithium a presque été multiplié par dix au cours descinq dernières années. C’est que ce métal mou et léger est le conducteur d’éner-gie de demain. Déjà utilisé pour la fabrication de batteries de téléphones portablesou d’ordinateurs, il est aujourd’hui convoité par les constructeurs automobiles,pour alimenter leurs futures «voitures propres».

Dans les mains de l’État«Plusieurs entreprises, plusieurs pays,ont fait des propositions pour lecontrôle et l’exploitation du désert desel, explique Guillaume Roelants, à latête du comité scientifique du ministère bolivien des Mines. Elles ont toutes étérefusées. Tout ce qui concerne l’exploitation du lithium se fera entièrement par l’Étatbolivien, qui contrôle la commercialisation de ses ressources.» La Bolivie entendproduire seule le carbonate de lithium, issu du retraitement des saumures pré-sentes dans le désert de sel d’Uyuni. C’est à cela que servira son usine de RioGrande. « Il est important que le maximum de bénéfices aille directement dans lesmains de l’État et de la région d’Uyuni», assène Guillaume Roelants, qui assure quela Bolivie dispose des fonds et des capacités techniques nécessaires pour mener àbien cette exploitation.

«LE COURS DU LITHIUM A PRESQUE ÉTÉ MULTIPLIÉ PAR DIX AU COURS DES CINQ DERNIÈRES ANNÉES»

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07reportage

Mais le pays ne compte pas se passer totalement du soutien des multinationales.Elles seront sollicitées dans un second temps, pour la phase d’industrialisation.Construire des batteries, construire des voitures qui roulent au lithium, et lesconstruire sur le sol bolivien. Tel est l’objectif. Pour cela, le gouvernement estimeà 800 millions de dollars le montant des investissements nécessaires. Et là, la

Bolivie ne peut pas suivre. Aussi recherche-t-elle des «partenaires». Plusieursgroupes se sont déjà montré intéressés : les japonais Mitsubishi et Sumitomo, lesud-coréen LG, le brésilien Vale ou encore le français Bolloré. Tous voulaient unsimple accès à la matière première, tous ont dû se plier à l’impératif édicté par leprésident bolivien Evo Morales : industrialiser le pays. « Initialement, on ne pré-voyait pas de construire des batteries sur place, avoue Thierry Marraud, directeurcentral du groupe Bolloré. C’est une exigence d’Evo Morales, on a accepté del’étudier. Pour nous, l’important, c’était de trouver une filière d’approvisionnement. On a étudié les possibilités, ça fait partie des négociations.»1 La Bolivie n’a encorerépondu à aucun des prétendants.

Du côté d’Uyuni, cette perspective fait encore grincer quelques dents. EloiCalisaria est un représentant de la Fructas, la fédération régionale des travailleurspaysans de l’Altiplano sud. Cette organisation surveille de près l’exploitation dudésert de sel. Au début des années 90, elle est même parvenue à faire expulser uneentreprise américaine à laquelle le gouvernement s’apprêtait à accorder un contratexclusif pour un niveau de royalties dérisoire. Aujourd’hui, la Fructas soutient leprojet… mais voudrait se passer totalement des multinationales. «Elles n’ontjamais laissé aucun bénéfice dans le pays, et encore moins contribué à son déve-loppement, s’agace Eloi Calisaria. Le gouvernement veut prendre des partenaires,mais là-dessus, nous allons exprimer très clairement notre désaccord.»

Le traumatisme du saccageUne position de principe qu’explique l’histoire du pays. «La Bolivie vit avec le trau-matisme des ressources naturelles saccagées par des pays étrangers, analyseHervé do Alto, politologue à La Paz. Ça a été le cas des mines de divers minérauxcomme l’étain et des hydrocarbures. La Bolivie vit avec l’idée que si le pays n’avaitpas été privé d’exploiter lui-même ses ressources, il ne serait pas le même.» Carelle possède les deuxièmes réserves de gaz naturel du continent, exporte desminéraux et du pétrole… mais demeure le pays le plus pauvre d’Amérique du Sud.

Pourtant, les choses changent. Arrivé au pouvoir en 2006, le président Morales entameun processus de réappropriation des ressources. Il nationalise les hydrocarbures,

«TOUS VOULAIENT UN SIMPLE ACCÈS À LA MATIÈREPREMIÈRE, TOUS ONT DÛ SE PLIER À L’IMPÉRATIF ÉDICTÉPAR LE PRÉSIDENT BOLIVIEN»

Le grand désert de sel d’UyuniHubert Guyon 2009

1/ Depuis, le groupe a présenté une nouvelle offre à 515 millions de dollars, qui prévoit notammentla construction d’une usine de batteries ainsi qu’un volet de formation pour les techniciens boliviens.

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et la nouvelle constitution approuvéepar référendum en janvier 2009 pro-clame les ressources naturelles «pro-priété du peuple bolivien», entièrementadministrée par l’État «en fonction del’intérêt commun». Les ressources na-turelles sont perçues comme le fonde-ment de l’État providence. Ainsi, c’est lanationalisation des hydrocarbures quia permis de financer l’essentiel des me-sures sociales mises en place par leprésident depuis son accession au pou-voir. Dans les douze mois qui ont suivila renégociation des contrats pétrolierset gaziers, les ressources fiscales dupays sont passées de 680 à 1600 mil-lions de dollars. Une manne qui a per-mis la mise en place d’un plan d’alpha-bétisation, la construction de centresde santé gratuits, le versement d’aidesdirectes pour lutter contre la désertionscolaire et pour aider les femmes en-ceintes ou encore la création d’une re-traite universelle. Dans son étude surles Perspectives économiques desAmériques 2009, publiée en octobre der-nier, le Fonds monétaire international lui-même, avec lequel la Bolivie n’est pour-tant pas en très bons termes, salue lesprogrammes sociaux mis en œuvre par legouvernement bolivien et reconnaît que«la Bolivie a mené une politique écono-mique adéquate».

Aussi le lithium d’Uyuni soulève-t-il denombreux espoirs. À condition, rappelleMarcelo Castro, le directeur de l’usine-pilote, de ne pas se laisser faire: «Avant,le pays offrait ses ressources naturelleset cela paraissait normal, il ne s’indus-trialisait pas et cela paraissait normal.Avec l’industrialisation du lithium, nousallons changer cette mentalité».

Cet article a été publié dans Altermondes(www.altermondes.org/), hors-série n°9, mars 2010.

Trois questions à…Hervé do Alto, politologue à La PazLe président Morales parle de l’exploitation du lithium comme d’unprojet stratégique pour l’État bolivien. Êtes-vous d’accord?Hervé do Alto: L’enjeu pour Evo Morales, c’est de montrer qu’on peut exploi-ter les ressources naturelles d’une manière totalement différente de cequ’avaient fait les néolibéraux [entre 1985 et 2005, ndlr]. C’est-à-dire le fairesous l’égide de l’État, avec l’accord des populations locales et au bénéfice del’ensemble de la population. Le lithium apparaissant, après le gaz et le pétrole,comme une nouvelle manne pour booster le développement de la Bolivie, c’estun enjeu pour Morales de communiquer sur le sujet pour montrer que cela vapermettre un développement endogène du pays. Avec des partenaires privés,certes, mais qui seront soumis aux règles fixées par l’État bolivien.

L’État a-t-il les capacités de ses ambitions?La Bolivie est un État post-libéral réduit à peau de chagrin, notamment parcequ’il manque de techniciens. Lorsque Morales a voulu reconstruire YPFB, l’en-treprise nationale des hydrocarbures, sa première difficulté a été le manque despécialistes qui puissent donner à YPFB la capacité de regarder ses interlocu-teurs internationaux les yeux dans les yeux. C’est un peu la même difficulté quiva se poser avec le lithium : structurellement, la Bolivie n’a pas la capacité d’im-poser les termes de la négociation. La position de force de Morales, c’est d’êtresouverain et de choisir le plus offrant.

Les nationalisations améliorent-elles vraiment la vie des Boliviens?Le concept de nationalisation a pris une dimension mystique, magique : nationa-liser règle tous les problèmes. Mais sur le cas de la nationalisation d’Aguas delIlimani, à El Alto, par exemple, le succès est relatif. Globalement, la situations’est un peu améliorée mais fondamentalement, on ne change pas des méthodesde management du passé, on n’assiste pas à des baisses très significatives duprix de l’eau et la plupart des usagers n’ont pas la perception d’avoir affaire à uneentreprise différente.

PROPOS RECUEILLIS PAR D.B.

«LE CONCEPT DE NATIONALISATION A PRIS UNE DIMENSION MYSTIQUE»

08reportage

Le président bolivien Evo MoralesThe City Project 2010

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09actu

Le blocus de la bande de Gaza, mis en place par Israël defaçon drastique depuis juin 20071 a connu un nouvel épisodetragique ce 31 mai dans la nuit. Personne n’imaginait en effetque la «Flottille de la liberté», convoi humanitaire à destina-tion de la population de Gaza, puisse être attaquée de façonaussi violente par l’armée israélienne. Bilan : neuf morts etune cinquantaine de blessés.

Rappelons tout d’abord que le blocus de Gaza est illégal auregard du droit international, car il constitue une punition col-lective à l’égard de la population palestinienne. Bien d’autresmesures pourraient être adoptées par Israël pour assurer sasécurité tout en préservant le bien-être de la population civilede Gaza. Le 8 janvier 2009, une résolution du Conseil desécurité des Nations Unies a demandé la levée du blocus en«soulignant la nécessité de faire en sorte que les biens et lespersonnes puissent emprunter régulièrement et durablementles points de passage de Gaza»2 et «que l’aide humanitaire,y compris les vivres, le carburant et les traitements médi-caux, puisse être distribuée sans entrave dans tout Gaza».

Depuis sa mise en place, de nombreux rapports d’organisa-tions internationales et d’ONG dénoncent les conséquenceshumanitaires du blocus de Gaza sur la population palesti-nienne. Pour briser ce siège, des associations et individus,anglo-saxons pour la plupart, rassemblés au sein du FreeGaza Movement3 dépêchent depuis 2008 des convois debiens de première nécessité à destination de Gaza. Il s’agis-sait de leur neuvième traversée. Sur les 8 convois précé-dents, 5 avaient pu accoster à Gaza. Mais, après l’offensiveisraélienne de décembre 2008, les suivants furent arraison-nés par Israël. Trois autres convois, par voie terrestre cettefois, furent aussi organisés par l’association britannique VivaPalestina, qui dispose de multiples relais internationaux.

Le 31 mai, la « Flottille de la liberté », un convoi humanitaire àdestination de la population de Gaza, était attaquée mortellementpar l’armée israélienne. Rabab Khairy revient sur cette tragédie.

RABAB KHAIRYChargée du dossier Moyen-Orient & Afrique du Nord, CNCD-11.11.11

GazaUn blocussous haute tension

Ils ont réussi à acheminer leur chargement à Gaza en passantpar Rafah, à la frontière avec l’Égypte. La «Flottille de laLiberté», quant à elle, rassemblait le Free Gaza Movement etd’autres associations basées essentiellement en Suède,France, Grèce et Turquie. Elle transportait plus de 10 000tonnes de matériel humanitaire réparti dans une dizaine debateaux avec plus de 700 participants.

Tout comme pour les actions «Un bateau pour Gaza» en 1988et «Un avion pour Gaza» en 2001, menées par des organisa-tions belges, dont Oxfam Solidarité, l’Association belgo-pales-tinienne et le CNCD-11.11.11, un double objectif est poursuivipar ces opérations: humanitaire et politique. Il s’agit d’appor-ter une aide aux Palestiniens tout en attirant l’attention sur leblocus et la crise humanitaire qui en est la conséquence.

Comme le blocus lui-même, l’attaque de la flottille estcontraire au droit international, puisqu’elle s’est dérouléedans les eaux internationales, en violation du principe deliberté de navigation en haute mer. Surtout, cette attaqueinterroge sur la fuite en avant sécuritaire pratiquée par Israël.

Devant l’inaction des États et des organisations internatio-nales, ces actions de solidarité apparaissent être le seulrecours. Mais tant qu’aucune forme de pressions ou de sanc-tions n’est adoptée à l’égard d’Israël pour l’amener à seconformer au droit international, il poursuivra la doctrine dela force qu’il a fait sienne. Doctrine qui accroît l’insécuritédans la région et éloigne toute perspective de résolution duconflit israélo-palestinien.

1/ Suite à la prise de contrôle de la bande de Gaza par le Hamas le 14 juin2007 2/ Résolution 1860 du Conseil de sécurité adoptée par 14 voix pouret une abstention (États-Unis). 3/ Le mouvement s’est rapidement interna-tionalisé et comprend désormais des associations et des individus d’unpeu partout dans le monde, mais surtout en Europe, Palestine et Israël.

Jonathan McIntosh 2009

Jan Slangen 2010

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10dossier

La Belgique,présidente d’une Europe

en crise

Amio Cajander 2007

Frédéric Lévêque 2009

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Présidence belgeQue va-t-on présider ?Bien souvent, on dit l’Europe trop éloignée de ses citoyens. Les raisons sont multiples. La complexité de ses institutions y est pour quelque chose. Petit rappel pour commencer.

Mais ce qu’il faut principalement enretenir, c’est que la Belgique présideradurant six mois les Conseils des minis-tres européens et aura donc l’occasionde jouer un rôle plus important dans ladéfinition de l’agenda, en y plaçant lesdossiers qui lui tiennent à cœur. Et, s’ilest vrai que la création du poste deHaut Représentant pour les affairesétrangères change quelque peu ladonne, la Belgique jouera malgré toutun rôle important dans ce domaine, enune période de transition où les nou-velles institutions cherchent encoreleur place.

De plus, les Affaires étrangères et la Coopération ne sont pas les seuls do-maines qui ont une influence sur lespays en développement. Ainsi, les déci-sions des ministres de l’Environnement,des Finances ou encore de l’Agricultureont un impact énorme, non seulementdans nos propres pays, mais aussi sur lereste du monde. Or, ces conseils-là se-ront bien présidés par des ministresbelges. L’occasion pour eux d’encoura-ger leurs collègues à prendre des me-sures fortes pour réduire les émissionsde gaz à effet de serre, lutter contre laspéculation financière ou encore pré-parer une future politique agricole quigarantisse des prix justes pour le pro-ducteur et le consommateur…

1/ Les trois autres sont la Cour de justice, la Banque centrale et la Cour des comptes.

Pour bien comprendre le rôle que la Belgique va jouer pen-dant ces quelques mois, il faut d’abord relever la complexitédes institutions européennes. Les traités reconnaissent eneffet l’existence de pas moins de sept institutions !

Parmi celles-ci, quatre1 sont à pointer, qui jouent ensemble lerôle dévolu au parlement et au gouvernement dans les États-membres : élaborer les lois et les faire appliquer.

Le processus législatif européen implique globalement troisinstitutions :≥ la Commission, qui dispose du principal pouvoir d’initia-tive en la matière ;≥ le Parlement, où siègent les députés que nous avons élusen 2009 ;≥ et le Conseil de l’Union européenne (UE), où siègentles ministres des États-membres. C’est cette dernière insti-tution que la Belgique dirigera pendant les six derniers moisde l’année 2010. Les ministres se réunissent en fonction dessujets et de leurs compétences : il existe ainsi un Conseil«Ecofin», qui réunit comme son nom l’indique les ministresde l’Économie et des Finances, ou un Conseil Santé-environ-nement, regroupant les titulaires de ces portefeuilles dansles États-membres. Chaque conseil est présidé par le minis-tre compétent du pays occupant la présidence… avec désor-mais une exception : depuis l’adoption du Traité de Lisbonne,c’est la Haute Représentante de l’Union européenne pour lesAffaires étrangères et le politique de sécurité, en l’occur-rence l’anglaise Catherine Ashton, qui préside le Conseil desAffaires étrangères, compétent pour les relations internatio-nales et notamment pour la coopération au développement.

≥ Pour ne pas simplifier les choses, il faut préciser qu’ilexiste encore un Conseil européen, à ne pas confondreavec le précédent, qui réunit les chefs d’État et de gouverne-ment et a pour mission principale de donner les grandesimpulsions politiques et stratégiques à l’UE. C’est ce dernierque coordonne désormais le Président de l’Union euro-péenne, un certain Herman Van Rompuy.

Pas évident de s’y retrouver dans cette multiplicité d’acteurs!

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NICOLAS VAN NUFFELDirecteur département plaidoyer, CNCD-11.11.11

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Pendant des siècles, l’Europe a dominé le monde. L’exploitation coloniale et la révolution industrielle lui ont permis d’asseoir une suprématie queseuls les États-Unis et le Japon sont venus altérer au cours du 20e siècle.Mais alors que débute le 21e siècle, la montée en puissance des paysémergents du Sud, sur fond de crise européenne, semble faire de plus enplus d’ombre à l’Occident en général et à l’Europe en particulier. Cettedernière doit dès lors s’adapter à la nouvelle configuration des relationsinternationales. S’en donnera-t-elle les moyens ?

L’essentiel de l’ordre international a été construit à la fin dela Deuxième Guerre mondiale. Une bonne part des organisa-tions internationales actuelles, telles que l’Organisation desNations Unies (ONU), le Fonds monétaire international (FMI)ou la Banque mondiale ont été créées à cette époque. Lespays du Sud, toujours colonisés, n’avaient pas grand-choseà dire, voire pas du tout pour la plupart d’entre eux. C’estdonc sur base de ces rapports de forces, largement favora-bles aux pays occidentaux, que les modes de décision de cesorganisations ont été définis.

La fin de la Guerre froide n’a fait que renforcer cet état de fait.L’Organisation mondiale du commerce (OMC) a ainsi prisnaissance en 1995 selon des règles reflétant largement lesintérêts commerciaux occidentaux. Le Consensus deWashington1, prôné dans les pays en développement par leFMI et la Banque mondiale, reflétait la suprématie idéolo-

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gique occidentale en matière d’économie politique interna-tionale. En 1999, le passage à la monnaie unique en Europeconsacrait une étape cruciale dans le processus d’intégra-tion économique de l’Union européenne (UE), première puis-sance commerciale dans le monde.

La fin de l’ordre ancienPourtant, les déboires internationaux de l’Europe ne se sontguère faits attendre. La guerre en Irak a ainsi créé de pro-fondes lézardes au sein de l’UE. La «Lettre des Huit »2 a mar-qué une profonde division entre ce que Donald Rumsfeld, lesecrétaire d’Etat à la Défense des États-Unis de l’époque, aironiquement appelé la «vieille» et la «nouvelle Europe».

Quelques mois plus tard, en septembre 2003, le sommet del’OMC à Cancún (Mexique) débouchait sur un cuisant échec.À la base de ce revers : une coalition de pays du Sud décidés

L’Europe,un nain géopolitique ?

ARNAUD ZACHARIE.Secrétaire général du CNCD-11.11.11

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à refuser toute négociation commerciale à l’OMC tant queles États-Unis et l’UE n’acceptent pas un accord favorable àl’agriculture dans les pays en développement. Mais, alorsque Pascal Lamy, commissaire européen au commerce del’époque, tablait sur un éclatement de cette coalition du Sud,elle est au contraire restée soudée, provoquant l’échec du sommet.

Depuis lors, les négociations n’ont jamais véritablementrepris, sinon pour tenter en vain de les relancer. Cet échec aincité l’UE à lancer une série de négociations commercialesrégionales avec les pays ACP, les pays de l’Asean ou encorele Mercosur3. Mais la plupart de ces négociations, plusieursannées après leur lancement, n’ont toujours pas abouti.

Pendant ce temps, les pays émergents ont redoublé d’effortspour revendiquer une démocratisation des organisationsinternationales. C’est dans le cadre des institutions finan-cières internationales que cet appel a été le plus entendu. Eneffet, la Banque mondiale et le FMI, surpris par la crise finan-cière de 2008-2009, ont vite compris qu’ils étaient enmanque de fonds pour faire face aux besoins. Or ces deuxinstitutions fonctionnent sur une base censitaire : plus unÉtat membre cotise, plus il a de droits de vote.

Cela a immanquablement donné des idées aux pays émer-gents, à commencer par la Chine, qui ont accumulé des cen-

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1/ La teneur du Consensus de Washington a été résumée en dixcommandements par John Williamson en 1990 : austérité budgétaire,réforme fiscale, politique monétaire orthodoxe, taux de changecompétitifs, libéralisation, compétitivité, privatisation, réduction des subventions, déréglementation, droits de propriété renforcés.2/ Les huit signataires étaient Vaclav Havel, République tchèque ; Jose Maria Aznar, Espagne; José-Manuel Duro Barroso, Portugal ; Silvio Berlusconi, Italie ; Tony Blair, Grande-Bretagne ; Peter Medgyessy,Hongrie; Leszek Miller, Pologne ; Anders Fogh Rasmussen, Danemark.3/ ACP = groupe de 79 États d’Afrique des Caraïbes et du Pacifique.Asean = Association des nations du Sud-Est asiatique. Mercosur = Marché commun du Cône sud (Amérique du Sud).4/ Politique économique imposée par le FMI en contrepartie de l’octroi de nouveaux prêts ou de l’échelonnement d’anciens prêts. Ce typed’ajustement a pour finalité d’assurer que le pays pourra reprendre le service de sa dette extérieure (paiement des intérêts et remboursementdes prêts). L’ajustement structurel repose habituellement sur les recettesdu Consensus de Washington.

taines de milliards de dollars de réserves de change depuisle milieu des années 2000 et disposent donc des moyenspour augmenter le capital de la Banque et du Fonds. C’estainsi que la Chine et quelques autres pays émergents (Coréedu Sud, Mexique, Turquie…) ont bénéficié, en avril 2010, à laBanque mondiale, d’un transfert d’un peu plus de 3% desdroits de vote détenus jusque-là par des pays européens(Belgique, France, Allemagne, Grande-Bretagne…). Si cetteévolution n’a qu’un impact mineur, elle reflète néanmoins lesnouveaux rapports de force géopolitiques.

Le nouvel ordre multipolaireLe monde a changé et ce n’est sans doute qu’un début. Lamontée en puissance de l’Asie semble inexorable, même sielle ne sera pas exempte de crises à terme. A contrario, l’UEprend la forme d’un «arroseur arrosé», incapable de sortir dela crise grecque sans faire appel au FMI, comme les pays dutiers-monde après la crise de la dette du début des années1980. C’est en effet un véritable plan d’ajustement structurel4

qui a été négocié en contrepartie du plan de soutien à laGrèce, ainsi que dans les autres pays visés par les attaquesspéculatives (Espagne, Portugal, etc.). Le corollaire de cette

réalité est que l’harmonisation socialeeuropéenne semble enfin sur les fondsbaptismaux : elle se fera par le bas à coupsde plans d’austérité et de dumping social !

Mais ce n’est là qu’une nouvelle illustra-tion des désillusions européennes. Ainsi,

en décembre 2009, à Copenhague, lors du sommet sur le cli-mat, l’Europe a semblé être tenue à l’écart des décisionsfinales négociées par les États-Unis, la Chine et l’Inde. L’UEsoutenait pourtant une proposition ambitieuse, offrant 30%de réduction d’émissions de CO2 en 2020 si les autres paysriches défendaient le même objectif. Mais cette position apurement et simplement été snobée par les autres pays, à unpoint tel que l’Europe s’interroge depuis lors sur la perti-nence de l’objectif qu’elle s’était fixé.

Quelques jours auparavant, une autre réunion, beaucoupplus discrète celle-là, s’était tenue à Genève sur le fonction-nement de l’OMC. Pour la première fois, les négociateurs

«L’UE PREND LA FORME D’UN “ARROSEURARROSÉ”, INCAPABLE DE SORTIR DE LA CRISEGRECQUE SANS FAIRE APPEL AU FMI, COMME

LES PAYS DU TIERS MONDE»

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européens et américains y ont paru surla défensive face aux pays émergents.Pourquoi? Tout simplement parce quedésormais, les pays émergents sontdevenus les plus compétitifs dans plu-sieurs secteurs et ont donc intérêt à lelibéraliser. C’est notamment le cas dela Chine qui se profile en «atelier dumonde», l’Inde en «bureau du monde»et le Brésil en « ferme du monde».

Ces nouvelles rivalités sont également visibles en Afrique, oùanciens et nouveaux pays industrialisés se concurrencentpour avoir accès aux ressources naturelles locales. C’en estainsi fini du monopole occidental en Afrique. Les Européensont beau dénoncer le peu de respect des droits humains parles Chinois ou les risques d’endettement des pays africains,la critique sonne creux et est facile à esquiver : c’est l’hôpital(européen) qui se moque de l’infirmerie (chinoise).

S’adapter au nouvel ordreEn perte de vitesse à l’échelle internationale, l’UE a tenté deréagir en adoptant le Traité de Lisbonne, pour sortir de l’im-passe de l’échec du projet de Constitution européenne. Selonses concepteurs, s’il y avait bien une mesure positive dans ce«mini-traité», c’était la création d’un «Haut Représentantpour les Affaires étrangères», afin de clarifier le visage del’Europe dans le monde. Mais on en ressort avec un monstreà trois têtes : le président de la Commission européenne(Barroso), celui du Conseil européen (Van Rompuy) et leHaut Représentant. Finalement, qui représente le véritablevisage de l’Europe dans le monde?

Un monde multipolaire ne signifie en rien la victoire du mul-tilatéralisme, qui est au contraire ébranlé par les nouvellesrivalités. Pourtant, c’est bien d’accords multilatéraux dont lemonde a besoin pour sortir de la crise financière et clima-tique. Définir une nouvelle architecture mondiale implique uncompromis Nord-Sud inédit. Mais cela implique initialementde savoir qui on est, ce que l’on veut et ce qu’on est prêt ànégocier. C’est pourquoi les déboires externes de l’Europene seront résolus que si elle règle d’abord ses contradictionsinternes. C’est d’un véritable «aggiornamento» dont elle abesoin. Ainsi, la mise en œuvre d’une véritable Europe poli-tique, économique et sociale n’est pas seulement une néces-sité pour la cohésion interne de l’Europe ; cette évolution estaussi nécessaire pour sa survie en tant qu’acteur majeurdans un monde qui devient multipolaire.

Enfin des moyensnouveaux pour les pays du Sud ?La Belgique va occuper la présidence de l’UE à un momentcharnière au niveau de la régulation financière. En effet, avec la multiplication des crises, des « subprimes » à la dettegrecque, l’Europe cherche à remettre de l’ordre dans son système financier. L’objectif premier est bien sûr de protégerles marchés européens, mais, pour une fois, il n’est pasimpossible que les décisions prises puissent avoir un impacttrès positif pour les pays du Sud.

En effet, si, par exemple, les décideurs européens parve-naient à se mettre d’accord pour s’attaquer réellement auxparadis fiscaux et judiciaires, où se réfugient la plus grandepartie des fonds spéculatifs qui attaquent nos marchés, l’impact sur le Sud serait énorme. On estime ainsi que cespays perdent chaque année plus de 600 milliards de dollarsrien qu’en évasion fiscale, l’immense majorité de ceux-cipassant par les paradis fiscaux.

De même, imposer une taxe sur les transactions financièresinternationales pourrait permettre de faire d’une pierre deuxcoups : décourager la spéculation en limitant l’intérêt demultiplier les opérations dans un délai très court, mais aussidégager des moyens substantiels pour répondre aux besoinsde développement.

En pleine crise, beaucoup d’États européens peinent à mettre en œuvre leurs engagements en termes d’aide audéveloppement. Ils ont pourtant promis d’augmenter cetteaide à hauteur de 0,7% de leur revenu national brut d’ici2015. La Belgique pourrait donc se servir de son siège de présidente pour suggérer à ses partenaires européensd’innover quelque peu dans la recherche de ressources pour le développement…

«DÉFINIR UNE NOUVELLE ARCHITECTURE MONDIALEIMPLIQUE UN COMPROMIS NORD-SUD INÉDIT. MAISCELA IMPLIQUE INITIALEMENT DE SAVOIR QUI ON EST,CE QUE L’ON VEUT ET CE QU’ON EST PRÊT À NÉGOCIER»

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STÉPHANE DESGAINCoordinateur Plate-forme Souveraineté alimentaire (PFSA)

La PAC, de moins en moins

politique, de moins en moins commune…

La Politique agricole commune (PAC) est une des premièreset principales politiques de l’Union européenne. Elle fait sou-vent l’objet de nombreuses critiques, pour de bonnes et mau-vaises raisons.

Au rayon des mauvaises, on trouve celles portées par ceux quin’aiment pas l’idée d’un projet européen et encore moins de luidonner un budget collectif. Pour affirmer que la PAC coûte tropcher, deux stratagèmes sont habituellement utilisés. Primo, nepas rappeler que le budget européen est ridicule (1% de notrerichesse) ; et 35% de ce budget rikiki destiné à l’agriculture, cen’est pas trop pour celle qui nous nourrit. Secundo, ne pasrappeler que l’essentiel des aides européennes servent àcompenser, partiellement, des prix agricoles inférieurs auxcoûts de production. En fait, les défenseurs d’une diminutiondu budget sont les mêmes qui l’ont fait exploser par leurs poli-tiques de libéralisation. Un jour, on emploie les aides pourfaire avaler aux agriculteurs la pilule amère des chutes de prixet, le jour suivant, on affirme que tout cela coûte trop cher.Quand on veut noyer son chien, on affirme qu’il a la rage.

Au rayon des critiques légitimes, on retrouve l’abandon d’unvrai projet agricole européen et la priorité donnée au marchéeuropéen, la mauvaise répartition des aides et le fait que laPAC soutient trop souvent l’agriculture industrielle, celle quidétruit diversité, emploi et environnement.

60 ans de réformesLa longue évolution de la PAC rend les critiques difficiles. Dequelle période parle-t-on? Instituée en 1951, son objectif estalors de sortir de la dépendance. Comment? En augmentantla productivité. Le secteur est alors poussé sur la voie de la«modernisation» (mécanisation, chimie, etc.). Les germes del’industrialisation sont déjà là. Mais il y a aussi des prix agri-coles garantis et une protection douanière aux frontières del’Europe. Dès les années 1970, l’objectif d’auto-approvision-nement est atteint. Dans les années 1980, l’Europe doit faireface à des excédents quasi permanents. La PAC est alorsréformée pour mieux gérer l’offre. On instaure des quotas deproduction, on promeut la mise en jachère. Ces politiquesfonctionnent et pouvaient encore être améliorées. Mais, àpartir de 1992, la PAC abandonne la régulation pour le « tout-au-marché». L’idée qu’il faut libéraliser et miser sur la com-pétition domine. Les effets sur les agricultures du Sud vontalors s’empirer et, au Nord, seuls les plus « compétitifs »résistent. Nos campagnes se vident et les problèmes sani-taires et environnementaux explosent.

Agriculture contre servicesLe réel enjeu des dernières réformes est d’utiliser l’agricul-ture comme monnaie d’échange dans les négociations àl’Organisation mondiale du commerce (OMC). Le calcul estpurement économique. Pour arracher un accord de libérali-sation sur le commerce des services, l’Europe prétend répon-dre aux demandes des principaux pays exportateurs (Brésil,Australie, etc.) en diminuant sa protection et donc ses prixagricoles. Les dernières réformes de 2008, comme celle dusecteur laitier, vont dans le même sens. Face aux effets néga-tifs, il semble aujourd’hui que le dogme du «tout-au-marché»a perdu de son lustre. En 2009, 22 pays ont demandé à laCommission européenne de conserver un « cadre régula-toire»1 et de ne pas tout baser sur les marchés.

Une vision communeC’est dans ce contexte que la Plate-forme souveraineté ali-mentaire (PFSA) affirme que la priorité n’est pas de courirderrière la conquête de nouveaux marchés, toutes lesrégions du monde souhaitant produire l’essentiel de leurnourriture. Il faut au contraire orienter la PAC vers une agri-culture familiale et paysanne qui assume son droit de se pro-téger et promouvoir des systèmes de production plus auto-nomes, relocalisés, diversifiés, régulés, liés au sol et quilimitent la dépendance au pétrole.

Il ne s’agit pas de demander aux agriculteurs de s’occuperd’environnement en les maintenant dans la précarité, mais deles soutenir dans une transition vers la souveraineté alimen-taire. Cela prendra du temps et de l’argent, mais on ne changepas le cap d’un bateau en jetant ses matelots à la mer mêmes’ils ont ramé dans la mauvaise direction, en suivant le courant.

En savoir plus : www.pfsa.be

1/ Appel de Paris pour une politique agricole et alimentaire commune,décembre 2009.

La Politique agricole commune de l’UE : stopou encore ? Trions les critiques portées à sonencontre car elles ne se valent pas toutes.

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On garde le meilleur pour la fin ! La Présidence belge n’échappe pas à l’adage :c’est en effet à la fin de cette année 2010 que le Mexique accueillera le 16e sommet des Nations Unies sur le climat. La Belgique, au poste de Chef de la délégationeuropéenne, au sommet nous surprendra-t-elle positivement ?

Le dessert de la Présidence belge :

un mille-feuille de complexité

au coulis climatique

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Fin 2009, le soufflé de Copenhague estlâchement retombé: un accord de prin-cipe sur une limitation du réchauffementà 2°C, mou et au goût amer, et une dé-cision sur le financement de l’adapta-tion aux changements climatiques àcourt terme (2010-2012), c’est tout cequ’il en reste. Ce qui a été présentécomme «Accord de Copenhague» estun texte sans statut légal, rédigé en de-hors du cadre des Nations Unies, et dontles États ont «pris acte» sans même ac-corder la même importance à son rôlepour la suite des négociations. Par ail-leurs, les États qui se sont engagés au fi-nancement à court terme vont utiliserl’aide au développement promise au lieude dégager des moyens additionnels! Ilreste donc comme un goût amer pour cesoufflé auquel les États avaient travaillédepuis la conférence de Bali en 2007.

VÉRONIQUE RIGOTChargée de recherche, CNCD-11.11.11

Frédéric Lévêque 2009

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On remet donc le couvert cette année. À la suite d’une première rencontre aumois d’avril, deux sessions de négocia-tions ont été ajoutées au programme,pour juillet et octobre. D’ici là, les invi-tés se sont réunis pour reprendre les né-gociations à Bonn, avec le souci de res-taurer la confiance entre les parties, enparticulier vis-à-vis des pays du Sud.

Dans ce contexte international où lesraisons de l’échec de Copenhague n’ontpour ainsi dire pas changé (notammentla réticence de la Chine et des États-Unis à des engagements contraignants),la cuisine interne européenne est pi-mentée par le flou de l’entrée en vigueurdu Traité de Lisbonne, la crise écono-mique qui ronge son socle de confianceen elle, et les difficultés communau-taires du pays qui s’apprête à prendre laPrésidence: la Belgique. Nos ministres,en affaires courantes, ont beau nousdire que la crise politique n’aura pasd’impact direct sur la Présidence belge,nous restons sceptiques sur la recette.D’autant plus que la Commissaire eu-ropéenne Connie Hedegaard annonçait,d’entrée de jeu, qu’il ne faut pas espé-rer de traité pour cette année à Cancún,mais plutôt l’année prochaine en Afriquedu Sud…

La reprise des négociations est trèslente, voire très timide, et la table desnégociations prend petit à petit des al-lures de buffet : le bon vieux protocolede Kyoto1, valeur sûre qui ne décevrapas les plus anciens pays industriali-sés, une couche de l’Accord deCopenhague, le tout saupoudré de nou-velles dispositions pour le reste dumonde,… Mais qu’à cela ne tienne, ilsemble que la volonté des Nations

Unies soit de composer avec les goûtsde chacun des invités, les couches decomplexité institutionnelle s’addition-nant comme un mille-feuille. Reste à es-pérer qu’il prenne, ce mille-feuille… carle coulis de changements climatiquesest, lui, malheureusement déjà prêt :hausse du niveau des mers qui menaceles îles et les régions côtières, amplifi-cation des phénomènes climatiques extrêmes, fonte des glaciers, érosiondes terres… Le coulis climatique estsynonyme de frein au développementdans de nombreuses régions, et doncde frein à l’atteinte des Objectifs duMillénaire pour le développement2.L’enjeu est d’importance, le mille-feuilledoit être prêt avant que le coulis ne segâte définitivement.

«LES MOUVEMENTS NORD-SUD ATTENDENTDE L’EUROPE UN ENGAGEMENT À RÉDUIRESES ÉMISSIONS DE 40% D’ICI 2020 (PAR RAPPORT À 1990) ET UN FINANCEMENTDE 35 MILLIARDS D’EUROS À PARTIR DE 2013»

La Belgique et l’Europe ont l’opportunitéde mettre la main à la pâte d’un bonmillefeuille, équitable, ambitieux etcontraignant pour clôturer en beauté laPrésidence. Les ONG attendent del’Europe un engagement à réduire sesémissions de 40% d’ici 2020 (par rap-port à 1990) et un financement annuelde 35 milliards d’euros à partir de 2013pour aider les pays du Sud à s’adapteraux changements climatiques.

1/ Accord multilatéral lancé en 1997 pour réduire les émissions de CO2.2/ Les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) sont huit objectifs que les États membres de l’ONU ont convenu d’atteindre d’ici à 2015. La déclaration fut signée en septembre 2000. Les objectifs sont : 1. réduire l’extrême pauvreté et la faim ; 2. assurer l’éducation primaire pour tous ; 3. promouvoir l’égalité et l’autonomisation des femmes; 4. réduire la mortalité infantile ; 5. améliorer la santé maternelle ; 6. combattre le VIH/SIDA, le paludisme et d’autres maladies ; 7. assurer un environnement durable ; 8. mettre en place un partenariat mondial pourle développement.

Présidence belge : la société civile se mobiliseÀ partir du 1er juillet 2010, la Belgique présidera le Conseil de l’Union européenne.Pour la société civile, cette Présidence est une occasion politique et médiatique de mettre en lumière ses revendications.

La Plate-forme belge de CONCORD – qui regroupe les deux coupoles et les deuxfédérations d’organisations belges de solidarité Nord Sud – a fixé ses priorités surquatre thèmes : le travail décent, la souveraineté alimentaire, le climat et le finance-ment du développement (un mémorandum complet est téléchargeable sur le site du CNCD-11.11.11).

Au rayon activités, de nombreux événements sont programmés : une conférencetransversale (le 14 octobre), quatre séminaires thématiques (sur chacun des thèmesévoqués plus haut), la campagne de sensibilisation durant les festivals d’été maisaussi une rencontre des sociétés civiles Union Européenne – Asie (le « People’sForum », parallèlement au sommet des chefs d’État, dit ASEM www.asem8.be ) et une soirée à l’occasion du sommet UE-Afrique.

À suivre sur www.cncd.be

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La Palestine, territoire occupé et morcelé. La Palestine, une économie sous le contrôled’Israël. La Palestine, une population qui tente de survivre vaille que vaille et de s’organiser pouraller de l’avant. Zoom sur un projet de soutien à des centres communautaires en Cisjordanie.

18projet 11.11.11

Se construire une vie décente

malgré l’occupation

FRÉDÉRIC LÉVÊQUECNCD-11.11.11

© Solidarité socialiste / Bisan Center

Où?Cisjordanie, région de Ramallah.

ContexteLe contrôle exercé par l’État d’Israël sur les territoirespalestiniens occupés est un freinau développement économique des territoires en question et au développement social et humainde leur population. Conséquences :repli sur soi, déclin du niveaud’éducation et montée des extrémismes.

Qui?Bisan Center for Research and Developmentwww. bisan.orgSolidarité socialistewww.solsoc.be

Quoi?« Droit à un travail décent et à une vie digne » : projet impliquant23 partenaires – en Palestine maisaussi au Brésil, Maroc, Colombie,etc. –structurés en réseaux nationaux et internationaux et 300 organisations communautairesde jeunes, de femmes, de quartieret/ou socioprofessionnelles, structurés en réseaux locaux etnationaux localisés dans les quartiers populaires de grandesvilles et les villages.

Soutenir 11.11.11Compte : 000-0000011-11www.cncd.be/don

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Les jeunes en ligne de mireLe Bisan Center travaille avec 18 cen-tres communautaires. Chacun regroupeenviron 200 membres actifs. «Ces cen-tres, c’est le seul endroit du village où lejeune peut avoir une vie sociale», nousdit Riad. Ils ne sont affiliés à aucune or-ganisation politique et sont ouverts àtous, mais l’accent est mis sur la jeu-nesse. Plus de 65% de la population pa-lestinienne a d’ailleurs moins de 24 anset ils sont la principale cible des incur-sions israéliennes. Leurs déplacementssont encore plus restreints car ils sontconsidérés comme potentiellement plusviolents. Leurs opportunités d’études ontdiminué. En cause : la situation écono-mique des familles et les bouclages ré-currents des Territoires palestiniens, quiempêchent souvent les déplacementsvers les écoles et universités. L’histoire

de Radisha n’est qu’un exemple parmid’autres. Diplômée en éducation phy-sique à l’université de Tulkarem, elle aété forcée de quitter son travail. «J’aitravaillé à Ramallah pendant un an. Maisje n’ai pas continué. Je devais resterparfois un mois ou un mois et demi sanspouvoir revenir dans mon village àcause des incursions et des check-points ». Depuis la seconde Intifada(2000), la plupart des jeunes se trouventconfinés dans leur village sans possibi-lité de penser et d’envisager l’avenir.Entre 35 et 40% d’entre eux sont sansemploi. Les centres communautaires lesincitent à prendre part à la vie commu-nautaire, à penser en tant que groupe età améliorer ainsi leur estime de soi.

Ouvrir des opportunitésÀ travers des activités concrètes commela rénovation et la dynamisation declubs de jeunes, l’organisation d’activi-tés sportives, la mise en place d’activi-tés culturelles (danse, chant, etc.) ouencore des formations en gestion, leBisan Center tente de donner de l’espoiret du dynamisme dans une société en

manque d’opportunités à moyen et longterme. Exemple très concret et cou-ronné de succès : la production de sa-von sans colorants ni produits chi-miques à partir d’huile d’olive queKhorlovo Rayan a lancé à Naplouse.«Nous l’avons accompagnée pour louerun emplacement, acheter de l’huile et laformer en gestion et en marketing »,nous dit fièrement Riad.

Le projet met aussi l’accent sur la popu-lation féminine. Car « l’occupation a re-tardé l’égalité entre hommes etfemmes», nous confie Riad. « Il est diffi-cile de travailler dans les villages éloi-gnés car il faut attendre plusieurs heuresà chaque check-point. C’est encore plusdifficile pour les femmes d’être dehorstoute la nuit, car elles sont mères. Lestraditions et les mesures israéliennesrendent plus difficile leur accès à l’em-ploi. Elles ne sont que 16% à travailler.»

Résistance pacifiqueComme en témoigne l’actualité, la tra-gédie de l’occupation débouche réguliè-rement sur des épisodes de grande vio-lence. Le Bisan Center tente d’offrir unealternative à cette violence. Exemple :dans la ville de Beit Ur, les soldats israé-liens ont détruit de nombreux arbres pourconstruire le Mur : «On a alors déve-loppé le projet de planter 10 oliviers pourchaque arbre abattu. De nombreuxjeunes ont participé. Un grand succès!»,nous raconte Riad. «Nous pensons avoirde bons résultats. Certains directscomme l’usine de savon, d’autres plus in-directs, car nous donnons aux jeunes unautre choix, celui d’être actifs et paci-fiques, plutôt que de traîner à la maisonou dans la rue.» En effet, «certains imi-tent les soldats et les martyrs», expliqueIman, du centre populaire de El Bireh,«notre approche est différente. Nous nedisons pas aux jeunes ce qu’ils doiventpenser, nous leur offrons d’autres mo-dèles que celui du martyr. Celui de l’ar-tiste, par exemple».

1/ En Palestine, Solidarité socialiste travailleégalement avec les organisations MA’AN et Popular Art Center.

Depuis la «guerre des Six jours» (1967)avec les pays arabes, l’État d’Israël a en-tamé un processus de colonisation de laCisjordanie et de la bande de Gaza et acherché systématiquement à exercer uncontrôle sur la Palestine et ses habitants.Comment? En occupant sporadiquementses territoires, en limitant la circulationdes personnes et des marchandises eten imposant des restrictions aux entre-prises et travailleurs palestiniens.Aujourd’hui, l’«archipel» palestinien estmorcelé par les routes de contournementréservées au colons, les check-points etle tristement célèbre «mur de sépara-tion», en construction depuis 2002. Érigésous un prétexte sécuritaire, ce dernierenferme la Cisjordanie, en y pénétranttoutefois profondément pour intégrer lescolonies juives, annexer des nappesphréatiques et priver les agriculteursd’accès à leurs champs.

Dans ce contexte, celui d’une économied’occupation dépendante d’Israël pour90% de ses échanges, il est difficile pourla population de trouver un emploi et dese construire une vie décente. Pourtant,les Palestiniens sont un peuple éduqué,plus de 95% des jeunes en âge d’aller àl’école étant scolarisés. Mais, affirmeRiad Dissi sur un ton accusateur, « lesmesures israéliennes nous empêchentd’aller de l’avant.».

Riad Dissi est palestinien. Il vit àJérusalem-Est, la partie «arabe» et oc-cupée de la ville sainte, là où l’Autoritépalestinienne aimerait installer la capi-tale de son futur État. Riad travaille àRamallah, 15 km plus au nord. Son or-ganisation, le Bisan Center for Researchand Development, est partenaire, ici enBelgique, de l’ONG Solidarité socialiste1

et, avec le soutien de l’Opération11.11.11, mène un projet de renforce-ment des capacités des centres com-munautaires dans des villes et villagesde la région; ceux qui, justement, souf-frent de l’isolement dû à la politiqued’occupation de l’État d’Israël.

19projet 11.11.11

«L’OCCUPATION A RETARDÉ L’ÉGALITÉ ENTRE HOMMES ET FEMMES»

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CHAFIK ALLALChargé d’éducation à Iteco

C’est toujours surprenant – pour moi –d’entendre répéter des discours domi-nants déjà largement connus. Et si cesdiscours sont tenus par des proches,appelons-les des «amis», la surprise estencore plus grande. Je n’y peux rien.Sur le moment, j’ai juste envie de poserdes questions pour comprendre com-ment de tels amis peuvent se surprendreeux-mêmes à tenir des discours si écu-lés. À leur place, j’aurais honte ; moinspar culpabilité de penser comme les do-minants – ce qui n’exige pas un effortsurhumain – que par le courage de pro-poser ces discours comme uniquesgrilles d’analyse et de compréhension dumonde. Tiens, la dernière fois que çam’est arrivé, c’était au cours d’un bar-becue. L’ambiance était sympathique-ment non convenue jusqu’à ce que nousparlions de la situation en Thaïlande :une des personnes présentes en reve-nait, et se pensait faussement légitimecomme certains journalistes usant du« j’y étais». De descriptions en discus-sions, cette amie en est venue à nousexpliquer que les groupes de personnesqui se révoltent actuellement là-bas lefont pour soutenir un dictateur cor-rompu (l’ex-Premier ministre ThaksinShinawatra). Et au moins à cause decette corruption, il est clair, selon elle,que nous devrions soutenir le pouvoiractuel. Les discussions étaient closespar une construction d’alternatives in-fernales : ou tu soutiens le régime enplace ou tu soutiens un corrompu; entout cas, pas ou peu moyen de penserune révolte s’inscrivant dans un pro-cessus historique plus long, éventuelle-

Introspectus, la rubrique où lemouvement Nord-Sud se regarde dans le miroir et analysepratiques et discours.Ce mois-ci, carteblanche à Chafik Allal,éducateur au Centre de formation pour le développement et la solidaritéinternationale, Iteco.

Les bons… etles truands

Daniel Lobo 2007

Evert Haasdijk 2009

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21introspectus

ment en lien avec la crise financièrepassée en Asie. Ou d’avoir d’autrespistes de lecture du contexte1.

Ce n’est pas la première fois qu’unegrille de lecture liée à la corruption at-territ, s’impose ou est imposée pourcomprendre un problème. Et je ne saispas si tu as remarqué, elle est évidem-ment liée à un ailleurs plus ou moinsprécis. En Belgique francophone, on uti-lise la corruption pour expliquer de nom-breuses situations : par exemple, un peuen Thaïlande, un peu en Amérique la-tine, et beaucoup en Afrique. Ailleurs,en Flandre, au hasard, de nombreusespersonnes peuvent même élargir l’utili-sation pour justifier des impossibilitésde coopération avec la Wallonie ; en Israël, on parle régulièrement de cor-ruption pour expliquer le non dévelop-pement des Palestiniens, ou bien mêmepour justifier l’impossibilité de faire lapaix avec eux2, etc. Tu le constates partoi-même, comme je le constate : pour lemoment, l’utilisation de cette notion per-met surtout de donner un caractère dedescription, d’analyse, et d’explication –potentiellement totalitaires – de l’étatd’un groupe humain, d’un pays ou d’unesociété, et si nécessaire, de justifier« nos » actes vis-à-vis d’eux. Car encreusant bien, je me rends compte quela notion de corruption est polysémique,qu’elle a des significations sociales dif-férentes, qu’elle englobe des pratiquesdifférentes, et qu’elle peut avoir lieudans des contextes différents. Si tucherches un peu, tu peux t’en rendrecompte également3.

Et maintenant que tu t’en es renducompte, et que tu es convaincu, commemoi, que c’est complexe, tu te poses laquestion : pourquoi parle-t-on de celade manière aussi simplifiée? Une pisteserait à chercher du côté de la confis-cation des valeurs universelles par l’Occident, pas par calcul machiavé-lique, ou par théorie du grand complot.Plutôt par désir collectif (souvent in-conscient?) de maintenir certains types

de rapports de domination. Outre lesrapports de domination classiquementcités (économiques par exemple), il y ades rapports de domination tellement intériorisés qu’ils en deviennent «natu-rels». Pour ne pas te fatiguer, je vaisprendre trois exemples de tels types dedomination: pour commencer, l’Occident(et moi avec) s’arroge, sans consulterquiconque, le pouvoir de description detout ce qui se passe dans le monde. Sije devais exagérer (et sache que j’exa-gère parfois), je dirais que la véritéd’une description se doit d’être occi-dentale ou assimilée : tu peux ne pasme croire ; fais-toi ta propre idée sur laquestion, en lisant par exemple l’excel-lent livre commis par Sophie Bessis4.Pour illustrer cela, je t’informe que, ré-cemment, même un film fictionnel pré-sentant une vision différente de celledes dominants a été largement décrié etjugé comme comportant des informa-tions inexactes et fausses5.

Une fois les évènements décrits, lesdominants se permettent de donner lesseules problématisations valides : lepouvoir de problématisation des évène-ments du monde est rarement partagé,

«L’OCCIDENT S’ARROGE LE POUVOIR DE DESCRIPTION DE TOUT CE QUI SE PASSEDANS LE MONDE»

et quand il est contesté, on nous ren-voie vers des alternatives infernalesparalysantes6. Finalement, le pouvoir demédiatisation: la description et la pro-blématisation ne deviennent élémentsde construction d’idéologies adoptéesque s’ils sont médiatisés et publicisés.Et puis, en te martelant la tête, tu finispar croire que ce qu’on te dit est valide.Bien sûr, je sais que toi aussi tu teméfies comme moi, mais même en nousméfiant, les idées finissent par nous tra-verser les pores de la peau.

Tu me connais maintenant, on peut setutoyer encore plus facilement : jen’imagine pas un seul instant que cespouvoirs se construisent ni dans desateliers clandestins, ni dans une quel-conque officine au service des domi-nants ; le pire c’est que ça se fait toutseul. Comme ça. Oui j’exagère parceque je dois avancer dans mon article etque je n’ai pas le temps d’aller dansl’analyse, mais retiens bien que j’insistesur le fait que ce n’est pas un complot.

Pourquoi je te parle de ces pouvoirs? Si tu suivais un peu, tu devrais te rap-peler que je devais répondre à la ques-tion de la section précédente. Pourquoiparle-t-on de la corruption (qui est,comme je te l’ai suggéré, une notionbien complexe) de façon aussi simplifiéeou simpliste? Tu fais le lien toi aussi?C’est bien ça, en gros, les pouvoirs dedescription, de problématisation et demédiatisation trouvent en la corruptionun allié de poids pour être renforcé. Si jeconfisque les idées et les mots qui dé-crivent ce qu’est un truand, qui disentles problèmes que j’ai avec les truands,je peux médiatiquement décrire lestruands et, si nécessaire, les décrirecomme des truands. Tu en concluraspar toi-même que je suis bon. Reste àsavoir que désigne le « les» dans « les

1/ Je t’avoue néanmoins mon manque de connaissance du contexte thaïlandais. 2/ Le fameuxexemple d’Ariel Sharon traitant feu le Président Yasser Arafat de corrompu et justifiant ainsil’impossibilité de négocier avec un corrompu des accords de paix. 3/ «Lexique de la corruption pourles novices», Ch. Chatelle et Ch. Allal in Antipodes num 187 «corruption et transparence», déc.2009, www.iteco.be 4/ «L’Occident et les autres», Sophie Bessis, La Découverte Poche, 2003 ;dont la quatrième de couverture commence par « l’Occident gouverne le monde depuis si longtempsque sa suprématie lui paraît naturelle». Ça promet pour toi, comme lecture sur la plage en été, je t’envie. 5/ Informe-toi sur la polémique née du film «Hors-la-loi» parlant de la guerred’Algérie, polémique née même avant qu’il ne soit projeté à Cannes en 2010, et doncessentiellement pas encore vus par les protagonistes de la polémique. 6/ Rappelle-toi le pouvoirparalysant de la belle expression « la rue arabe gronde» dont tu peux trouver une excellente analysedans un livre édité par le CETRI «La “rue arabe” au-delà de l’imaginaire occidental», Asef Bayat,Etat des résistances dans le Sud 2010 – Monde arabe Vol. XVI-2009/4, www.cetri.be

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décrire comme des truands»? Tu mefais plaisir là, car tu poses des questions(im)pertinentes. Ce « les» remplace lesadversaires idéologiques, politiques,etc. du moment. Ainsi en est-il desexemples que je t’ai cités plus haut. Iln’est évidemment pas question de fairede la corruption un fléau à combattredans l’absolu, ça pourrait fragiliser pleind’amis car parmi les dominants, il y ena évidemment qui sont largement cor-rompus7. Bon je peux avancer un peumaintenant? Je te rappelle mon hypo-thèse : la non corruption fait partie desvaleurs confisquées par des dominantsde l’Occident (au départ) et de plus enplus par des dominants des pays du Suden vue de renforcer certains rapportsde domination. Mais, comme tu sais,ces gens-là sont des gens bien et civili-sés : ils ont décidé d’éviter de plus enplus de parler de corruption, il paraîtque c’est stigmatisant (d’autant plus queles populations d’ici commencent à

prendre cette valeur au sérieux et com-mencent à parler de personnes poli-tiques corrompues, ici même; affreuxboomerang). Alors quoi? Alors oui. Ilfallait positiver. Comme le dit l’air del’époque. On a transformé cela. On neparle plus tellement de corruption8. Ilparaît que ça ne fait pas distingué. On atransformé la lutte contre la corruptionen une version plus positive : lutte pourla bonne gouvernance. Ça fait classenon? Oui je sais, la bonne gouvernancen’est pas que cela. C’est cela aussi. Çan’a pas été inventé dans des officines,mais cette fois, on sait comment ça aété inventé : dans les bureaux des insti-tutions internationales. Ils ont juste étéun peu maladroits : quand on parle debonne gouvernance, ça sous-entendque la gouvernance n’était pas bonneavant, voire mauvaise. Voire. Meilleuregouvernance aurait été plus appropriépeut-être. Ou peut-être pas9. La formechange, l’idée reste quasi la même.D’ailleurs, comme tu as de la chance, jesuis tombé ce matin sur une information

qui va dans le sens d’exemples renfor-çant ce que je te dis et que je vais devoirpartager avec toi : au Gabon, un com-muniqué officiel a annoncé l’achat parl’État gabonais, pour cent millionsd’Euros, d’un immeuble à Paris pour leprésident Ali Bongo10 au nom de la«bonne gouvernance» et de la « trans-parence»11. Annonçant cela comme une

pratique de bonne gouvernance, ce do-minant12 ne peut pas être accusé de cor-ruption pour cela et dans le contexte ac-tuel, n’y pense même pas. Et d’autresexemples existent un peu partout, où aunom de la bonne gouvernance, parfoisde lutte contre la corruption, on va unpas plus loin : on emprisonne, on arrête,on juge des adversaires politiques sousle regard des politiques occidentaux,parfois d’ONG, attendris par la rapideappropriation – par des amis ou des «quivont devenir des amis» – de la lutte pourles valeurs «universelles».

Alors, tu me diras : et que faire avec toutça quand on travaille dans une ONG

ici? Beaucoup et peu. Déconstruire, dé-construire et déconstruire. Je te le distrois fois pour les trois pouvoirs que jet’ai cités tout à l’heure. Je ne tiens passpécialement à ce que tu le lises, maissi ça peut t’aider, il y a, par exemple,l’ONG ITECO qui a fait une premièretentative pour déconstruire les discourssur la corruption13. Où j’ai appris parexemple, que la corruption n’est pas unequestion de culture ou bien qu’il n’estpas prouvé que le système démocratiqueest le plus efficace pour lutter contre lacorruption. J’ai aussi compris commentl’ONG Transparency International aconstruit sa légitimité et son pouvoir àpartir d’un indice largement décrié scien-tifiquement. Et pour construire cette lé-gitimité et asseoir ce pouvoir, cetteONG le fait précisément par les des-criptions, problématisations et médiati-sations dont je t’ai parlés14. Peut-êtreque les ONG devraient également conti-nuer à résister au kit « TransparencyInternational» et aux grilles de lecturesimplistes du contexte, qui commencentà être largement à portée de mains.Nous sommes certes poussés par levent pour épouser l’air du temps, souspeine de disparaître. Mais comme di-rait l’autre, si nous pouvions nous éviterles destins de girouettes, ça serait aumoins ça de gagné sur l’époque.

7/ Ne me pose pas la question du «qui» s’il te plaît, tu peux poser cette question à plein de personnes autour de toi qui ont foison d’exemples à te donner 8/ En tous cas, les dominants des dominants n’en parlent plus, exception faite d’un certain ex-ministre belge au sujet de la RDC.9/ Se rendant compte de la boulette, dans les institutions internationales, on « lutte» maintenantpour enlever l’adjectif «bonne» pour parler uniquement de gouvernance à améliorer. 10/ Tu sais Ali – le fils de son père– Bongo 11/ In Le Canard enchaîné, mercredi 26 mai 2010, page 3. 12/ Certes pas occidental mais ami et protégé de la France. 13/ Et plein de vraies découvertes pour moi au sujet des idées reçues sur la corruption et autres in Antipodes num. 187 «Corruption et transparence» déc. 2009, www.iteco.be 14/ Tu permets ou pas, je triche un peu avec toi : je fais une publicité pour un article que j’ai commis moi-même. Mes circonstances atténuantes, c’est quecet article était une expérience où j’ai beaucoup appris sur le sujet.

«QUAND ON PARLE DE BONNEGOUVERNANCE, ÇA SOUS-ENTEND QUE LA GOUVERNANCE N’ÉTAIT PAS BONNEAVANT, VOIRE MAUVAISE»

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23pas au sud,

complètement à l’ouest !

Cette Europe, elle a la main sur le cœur ! Si, si, je vous jure, on est les plusgénéreux : plus de 50% de l’aide aux pays pauvres, c’est nous! Notre dra-peau mérite bien ses 12 étoiles et Herman devrait d’ailleurs troquer sondeux-pièces austère pour un costume rouge à bord blanc et le bonnet demême couleur qui va avec.

On a la main sur le cœur, donc, et on rappelle sans arrêt que les Américains,eux, ils l’ont sur le portefeuille – ah, les fourbes! – et les Chinois,… haaa cessalauds de Chinois… Ils sont vraiment pires que des colons,… de vrais pil-leurs. Et je peux vous dire, qu’on s’est bien passé le mot : des Affaires étran-gères au Commerce en passant par la Commission, … et tous les autres…

Qu’on vienne nous parler d’annuler la dette, de cesser d’exporter nosdéchets, de contrôler nos transnationales… tadaaaam: on sort Super Joker:«Faites pas ch… déjà qu’on aide plus que les autres». Ça c’est de la com’.

Certes il reste des ingrats. Tout ce pognon en com’ et en bureaux d’étudespour que des « fouille-merde» viennent mesquinement relever les pratiquesde nos banquiers, les contrats iniques, les ventes d’armes… Ils gâchent le métier.

Je vais vous dire, moi, la «vérité vrééé» : ces «empêcheurs de libéraliser enrond», ils travaillent contre les pauvres du Sud. En cassant l’image imma-culée de l’Europe, ils diminuent notre capacité de gagner de nouvelles partsde marché, donc moins de croissance, donc moins d’argent donc moins desolidarité. Et toc. Pour donner quelques poissons aux pauvres du Sud, on doit venirpêcher quelques millions de tonnes chez eux, bref faire du «gagnant-gagnant», du«win-win» comme on dit au Berlaymont.

Oups! M… Je viens de dire une connerie… c’était sujet motus,… On vient de sou-tenir Yann Arthus, pour un long reportage sur la diminution du poisson en Afriqueà cause – je vous le donne en mille – des Chinois. Pas un mot sur les bateaux euro-péens. On ne doit pas les voir du ciel… Clâââsse, non?

Vraiment, ces Chinois, des sauvages. Nous, Européens, au moins, on parle d’égalà égal, nous sommes tous partenaires, on fait des accords de partenariat, d’asso-ciation, de coopération. C’est cool : comme on discute subitement d’égal à égal,les accords sont super équitables, j’ouvre mon marché, tu ouvres le tien. Un bonplan «win-win», hein !

Toi comprendre? Beaucoup vendre cacao chez nous, et nous acheter banques,téléphone, distribution de l’eau, chemin de fer, mine d’uranium, électricité, vos cer-veaux… très bon prix pour cacao…

Mais, noooon, on cause pas comme ça. D’ailleurs, les dirigeants du Sud ont trèsbien compris tout l’intérêt de ces partenariats…

Ah, attendez, on me dit qu’un nombre important de dirigeants refusent de signer noscontrats… Bon, eh bien, puisqu’on est les plus généreux, on va faire comme avec lesIrlandais qui n’avaient pas compris notre projet de Constitution: on va leur donnerune seconde chance, sinon ce sera un contrat «perdant-perdant» avec les Chinois.

Merci qui?

Chronique subjective et complètement à l’ouest,… GÉRARD MANRÉSON,professeur à HECCHaute école du Café du Commerce

Des accords de partenariattrès économiques…Signé en l’an 2000, l’accord de Cotonousuccède à la convention de Lomé et régitla coopération entre l’Union européenneet 79 pays en développement, réunis ausein de l’appellation « Afrique CaraïbesPacifique » (ACP). Comme les autresaccords d’association signés parl’Europe, l’accord de Cotonou est sup-posé reposer sur un équilibre entre dif-férentes dimensions: la coopération audéveloppement, la mise en place d’ac-cords de partenariat économique et ledialogue politique. L’Europe met sanscesse en évidence sa volonté deconstruire un partenariat d’égal à égalavec les pays ACP. Mais quand ses inté-rêts commerciaux sont en jeu, cetteégalité n’est que de façade : laCommission européenne mène unepression énorme sur ses partenairesafin d’obtenir de leur part une libéralisa-tion maximale du commerce, impliquantnotamment un abaissement précipitédes droits de douane et mettant ainsi endanger les marchés locaux, notammentdans le domaine alimentaire.

« Nous sommestous partenaires »

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Le monde en classe

Chaque mois, découvrez la vie du Sud...Vous êtes instituteur/trice?Partez à la découverte du monde avec vos élèves!

Éveillez vos élèves à la solidarité internationale dès la première année primaireet jusqu’en sixième, grâce à une formule inédite en Belgique francophone!

Depuis plus de 30 ans, le calendrier 11.11.11, vendu au profit de projets de déve-loppement dans le Sud, ouvre une porte sur le monde dans bien des lieux, dontde nombreux établissements scolaires.

Nous vous proposons cette année un pas de plus à la découverte du monde…

Le monde aujourd’hui est d’une complexité sans pareille qui parfois désarçonneles adultes que nous sommes. Que dire alors de la compréhension que lesenfants en ont? Souvent aussi les enjeux mondiaux paraissent tellement éloi-gnés de notre quotidien. Et pourtant, rien n’en est. Regardons les rapports inter-culturels par exemple, les circuits de l’alimentation, la confection des vêtementsou encore la crise climatique. Les enjeux du monde sont à notre porte. Mais com-ment les rendre à notre portée? Et mieux, comment les introduire en classe pourtravailler et préparer le regard que nos enfants porteront demain sur le monde?

C’est là tout le défi de l’initiative originale du «monde en classe»Le principe est simple: chaque mois, les «abonnés» reçoivent un dossierdidactique de 20 pages en lien avec la photo du calendrier 11.11.11.Lorsque les élèves découvrent la nouvelle image du calendrier 11.11.11, endébut de mois, ils pourront grâce aux dossiers «Le monde en classe» parcourirun nouveau pays au travers d’un récit original, réaliser des exercices spécifique-ment conçus pour chaque cycle, approfondir une nouvelle thématique et, ainsi,être progressivement sensibilisés aux relations Nord-Sud.

Nous espérons que vous réserverez un bon accueil à notre initiative et que vousen parlerez autour de vous : à des enseignants, à l’échevin de l’enseignement etaux directions des écoles de votre commune… afin de nous aider dans la pro-motion de ce nouvel outil pédagogique!

Nous vous en remercions d’avance!

L’équipe du CNCD-11.11.11www.cncd.be/lemondeenclasse

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