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Éditorial Don du sang et droits humains Giving blood and human rights Le sang : symbole de vie, mais aussi, produit, médicament. Donner son sang : un geste citoyen, lexpression même de la générosité et du don éthique, mais aussi un enjeu médical, éco- nomique et politique. Laffaire du sang contaminé est close sur le plan légal ; le scandale est passé, mais il a laissé des traces. La transfusion porte les stigmates dune affaire exemplaire des nouveaux ris- ques pour la santé. Après les contaminations, les réorganisa- tions : refonte complète du système, centralisation, création dune nouvelle agence. Rien ne sera plus comme avant. Cepen- dant, les questions demeurent, à la fois récurrentes et différen- tes. On se propose de les aborder dans ce dossier, en évoquant les rapports entre don du sang et droits humains sous deux angles complémentaires. Il faut dabord évoquer un autre scandale du sang qui per- siste, peu vu : celui de linégalité entre le Nord et le Sud du point de vue de la transfusion. Les faits sont têtus : les 80 % du sang transfusé concernent les 20 % des pays les plus riches. Un sang hypertesté, hypersûrLe reste est pour les pays du Sud : un sang souvent non testé et dont on sait quil reste contaminé dans un tiers des casPour illustrer cette question, le dossier propose une vue densemble des inégalités relatives au don du sang et des efforts faits pour les contrecarrer par les organisa- tions internationales, dans un article signé par Neelam Dhingra, responsable du dossier à lOrganisation mondiale de la santé et Valentine Hafner. Il évoque aussi, avec un article de Cristina Martinez, responsable dun centre de transfusion au Chili, et un autre dAlain Beauplet, différents exemples de coopération bilatérale qui permettent daméliorer la qualité du sang dans les pays à faibles ressources. Vient ensuite une deuxième question, celle du prix à payer, dans nos pays, pour avoir ce sang de qualité inégalée. On tou- che ici à lapplication du principe de précaution et à ses consé- quences. Labsolu que représente lintérêt de la personne qui reçoit le sang, enfant, malade, accidenté de la route relayé par les centres de transfusion, mais plus encore par les médias et les politiques a conduit à revoir entièrement la position des donneurs dans le système transfusionnel. Mais na-t-il pas conduit à les maltraiter ? Des sommes sans limites sont dépen- sées pour mettre en œuvre des tests qui naccroissent que de manière dérisoire la sécurité du sang, aujourdhui bien établie. Quant au donneur de sang, naguère vu comme un héros, réuni en associations prosélytes, recevant diplômes et médailles, il est aujourdhui scruté et par principe suspecté. On attend beau- coup de lui : quil vienne et se soumette aux interrogatoires les plus indiscrets, et même quil renonce éventuellement à donner sans se plaindre ni revendiquer. La transfusion reçoit les dons, mais elle est aussi devenue une machine à exclure un don- neur sur six ou sept. Heureusement, le donneur veut donner tellement même, que ces traitements cavaliers ne lont pas conduit à déserter les centres de prélèvement. Mais pour com- bien de temps ? Le donneur de sang nest-il pas celui qui paye aujourdhui pour les erreurs passées de la transfusion ? Celui aussi qui porte ses incertitudes résiduelles, le retour éventuel de ces risques quon dit « émergents », prions et autres fauteurs de désastres encore inconnus. Ces questions troublantes seront évoquées à travers le compte rendu dun débat réunissant des responsables et des médecins des services de prélèvements ainsi que des représentants des donneurs de sangs. Elles sont également au cœur de la réflexion que mène depuis longtemps Didier Sicard, à propos de la mise en œuvre du principe de précaution. Le don du sang se trouve aujourdhui dans une configura- tion nouvelle, encore peu explorée. Ce sont ces questions sur les inégalités face au sang et sur les nouveaux avatars de la question du don qui se trouvent au cœur du présent dossier. Le dossier quon va lire est le produit dun colloque « Don du sang et droits humains » qui sest tenu à Genève, au musée international de la Croix-Rouge, au mois de mai 2003. Ce colloque a été organisé dans le cadre du Forum de luniversité de Genève. Le Forum résulte dune initiative de la Société académique de Genève. Grâce à cette société, les http://france.elsevier.com/direct/TRACLI/ Transfusion Clinique et Biologique 13 (2006) 179180 1246-7820/$ - see front matter © 2006 Publié par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.tracli.2006.07.010

Don du sang et droits humains

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http://france.elsevier.com/direct/TRACLI/

Transfusion Clinique et Biologique 13 (2006) 179–180

Éditorial

Don du sang et droits humains

Giving blood and human rights

Le sang : symbole de vie, mais aussi, produit, médicament.Donner son sang : un geste citoyen, l’expression même de lagénérosité et du don éthique, mais aussi un enjeu médical, éco-nomique et politique.

L’affaire du sang contaminé est close sur le plan légal ; lescandale est passé, mais il a laissé des traces. La transfusionporte les stigmates d’une affaire exemplaire des nouveaux ris-ques pour la santé. Après les contaminations, les réorganisa-tions : refonte complète du système, centralisation, créationd’une nouvelle agence. Rien ne sera plus comme avant. Cepen-dant, les questions demeurent, à la fois récurrentes et différen-tes. On se propose de les aborder dans ce dossier, en évoquantles rapports entre don du sang et droits humains sous deuxangles complémentaires.

Il faut d’abord évoquer un autre scandale du sang qui per-siste, peu vu : celui de l’inégalité entre le Nord et le Sud dupoint de vue de la transfusion. Les faits sont têtus : les 80 % dusang transfusé concernent les 20 % des pays les plus riches. Unsang hypertesté, hypersûr… Le reste est pour les pays du Sud :un sang souvent non testé et dont on sait qu’il reste contaminédans un tiers des cas… Pour illustrer cette question, le dossierpropose une vue d’ensemble des inégalités relatives au don dusang et des efforts faits pour les contrecarrer par les organisa-tions internationales, dans un article signé par Neelam Dhingra,responsable du dossier à l’Organisation mondiale de la santé etValentine Hafner. Il évoque aussi, avec un article de CristinaMartinez, responsable d’un centre de transfusion au Chili, et unautre d’Alain Beauplet, différents exemples de coopérationbilatérale qui permettent d’améliorer la qualité du sang dansles pays à faibles ressources.

Vient ensuite une deuxième question, celle du prix à payer,dans nos pays, pour avoir ce sang de qualité inégalée. On tou-che ici à l’application du principe de précaution et à ses consé-quences. L’absolu que représente l’intérêt de la personne quireçoit le sang, enfant, malade, accidenté de la route — relayépar les centres de transfusion, mais plus encore par les médias

1246-7820/$ - see front matter © 2006 Publié par Elsevier Masson SAS.doi:10.1016/j.tracli.2006.07.010

et les politiques — a conduit à revoir entièrement la positiondes donneurs dans le système transfusionnel. Mais n’a-t-il pasconduit à les maltraiter ? Des sommes sans limites sont dépen-sées pour mettre en œuvre des tests qui n’accroissent que demanière dérisoire la sécurité du sang, aujourd’hui bien établie.Quant au donneur de sang, naguère vu comme un héros, réunien associations prosélytes, recevant diplômes et médailles, ilest aujourd’hui scruté et par principe suspecté. On attend beau-coup de lui : qu’il vienne et se soumette aux interrogatoires lesplus indiscrets, et même qu’il renonce éventuellement à donnersans se plaindre ni revendiquer. La transfusion reçoit les dons,mais elle est aussi devenue une machine à exclure — un don-neur sur six ou sept. Heureusement, le donneur veut donner— tellement même, que ces traitements cavaliers ne l’ont pasconduit à déserter les centres de prélèvement. Mais pour com-bien de temps ? Le donneur de sang n’est-il pas celui qui payeaujourd’hui pour les erreurs passées de la transfusion ? Celuiaussi qui porte ses incertitudes résiduelles, le retour éventuel deces risques qu’on dit « émergents », prions et autres fauteurs dedésastres encore inconnus. Ces questions troublantes serontévoquées à travers le compte rendu d’un débat réunissant desresponsables et des médecins des services de prélèvementsainsi que des représentants des donneurs de sangs. Elles sontégalement au cœur de la réflexion que mène depuis longtempsDidier Sicard, à propos de la mise en œuvre du principe deprécaution.

Le don du sang se trouve aujourd’hui dans une configura-tion nouvelle, encore peu explorée. Ce sont ces questions surles inégalités face au sang et sur les nouveaux avatars de laquestion du don qui se trouvent au cœur du présent dossier.

Le dossier qu’on va lire est le produit d’un colloque « Dondu sang et droits humains » qui s’est tenu à Genève, au muséeinternational de la Croix-Rouge, au mois de mai 2003.

Ce colloque a été organisé dans le cadre du Forum del’université de Genève. Le Forum résulte d’une initiative dela Société académique de Genève. Grâce à cette société, les

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facultés reçoivent tour à tour, pour une période de trois ans, lesmoyens d’organiser des activités de dialogue avec la cité etavec les citoyens. Ces activités incluent aussi un encourage-ment à l’enseignement et à la recherche interfacultaire. Pourla période de 2002 à 2005, c’est la faculté de médecine qui aété invitée à promouvoir ces activités. Le choix a été de mettrel’accent sur la thématique des droits humains en santé et dedévelopper à cette occasion les contacts entre l’université etles organisations internationales.

Or le thème abordé correspond à cette double perspective,car la question du don du sang concerne de toute évidence celledes droits humains. Dans son adresse d’ouverture du colloque,le Pr Alex Mauron soulignait d’ailleurs la particularité du sangà cet égard : « Le sang n’est pas une matière banale. Il inter-roge les représentations les plus intimes de la nature humaine.Il est au cœur de nos représentations de l’humain. Le don dusang interroge de façon très concrète le statut du corps, de sesproduits et de leurs échanges. Il met en scène aussi la notionmême du don et de l’altruisme. C’est un geste discret, pratiquéquotidiennement par d’innombrables personnes à travers lemonde et qui témoigne de la possibilité d’une générosité ano-nyme et sans calcul dans un monde de plus en plus livré à lalogique comptable. En effet, comme vous le savez, il n’y a pasque le don du sang, il y a aussi, hélas, sa vente et son com-merce. Et comment pourrait-on ignorer que si le sang est àjuste titre une ressource, voire un produit industriel, son com-merce s’inscrit souvent dans des relations de pouvoir etd’argent qui sont parfois d’une extrême brutalité. »

Par ailleurs, ce colloque a été l’occasion d’une présentationdes affiches conservées au musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, à Genève, dont on trouveraquelques-unes ici, commentées par Philippe Matthez et SophieChapuis. Les très riches collections d’affiches du musée reflè-tent en effet l’activité transfusionnelle, avec ses enjeux médi-

caux, sociaux et éthiques. Selon Roger Mayou, directeur dumusée : « Le sang définit l’homme et la société dans laquelleil vit. C’est peut-être pour cela que toutes les cultures renvoienten permanence au pouvoir métaphorique du sang. Que lescommunautés se définissent autour d’un sacrifice leur garantis-sant la protection divine, ou de caractères héréditaires transmispar le sang, dans tous les cas, c’est la référence au sang quifonde le lien social. À l’inverse, c’est en versant le sang quela société punit ou marginalise. L’imaginaire du sang innervetous les domaines de la vie humaine, des expressions familièresjusqu’à la société du spectacle. » Les affiches du musée, on leverra, font appel à une très grande diversité des usages et despratiques sociales qui concernent le sang afin d’attirer l’atten-tion des donneurs, de les convaincre de donner leur sang ou,plus récemment, de les appeler à la responsabilité.

Enfin, ce dossier s’ouvre sur la présentation d’un travail depsychologie sociale, visant à rappeler les paramètres qui inter-viennent dans le don du sang et son utilisation thérapeutique.

B. Bastard*

CSO–CNRS, 19, rue Amélie, 75007 Paris, FranceAdresse e-mail : [email protected] (B. Bastard).

P. ChastonayIMSP, CMU, université de Genève, 1, rue Michel-Servet,

1211 Genève 4, SuisseAdresse e-mail : [email protected]

(P. Chastonay).

Disponible sur internet le 18 septembre 2006

*Auteur correspondant.