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Jean Gaulmier Dossier Gobineau In: Romantisme, 1982, n°37. pp. 81-100. Citer ce document / Cite this document : Gaulmier Jean. Dossier Gobineau. In: Romantisme, 1982, n°37. pp. 81-100. doi : 10.3406/roman.1982.4557 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1982_num_12_37_4557

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Jean Gaulmier

Dossier GobineauIn: Romantisme, 1982, n°37. pp. 81-100.

Citer ce document / Cite this document :

Gaulmier Jean. Dossier Gobineau. In: Romantisme, 1982, n°37. pp. 81-100.

doi : 10.3406/roman.1982.4557

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1982_num_12_37_4557

Jean GAULMIER

Dossier Gobineau

L'histoire de la littérature ne manque pas d'auteurs, un Sade, un Stendhal, un Nerval, qui n'ont trouvé audience que longtemps après leur mort : le cas de Gobineau, en étrangeté, dépasse tous les exemples de gloire posthume. Sa production littéraire n'a éveillé que de dérisoires échos au long d'une carrière qui s'étend de 1 836 à 1 879. L'Essai sur l'inégalité des Races humaines, malgré le soin que son auteur a apporté à son lancement, à suscité peu d'attention en dehors du cercle de ses amis personnels, qui d'ailleurs le plus souvent se montrèrent réticents, à l'égal de Tocqueville, et les érudits allemands dont il escomptait l'approbation, Pott comme Ewald, ne lui ménagèrent pas les critiques. Ses reportages sur l'Iran, Trois ans en Asie, Religions et philosophies dans l'Asie Centrale, ne recueillirent pas plus de suffrages que sa curieuse Histoire des Perses, leur complément romanesque. Ses œuvres de fiction n'obtinrent guère plus de faveur : la presse, silencieuse devant ses premiers romans, le demeura devant les Souvenirs de Voyage en 1872, comme, en 1876, devant les admirables Nouvelles asiatiques. Le roman des Pléiades, malgré quelques articles bienveillants, celui d'Albert Sorel, (le Moniteur universel, 26 avril 1874), celui de Barbey d'Aurevilly (Je Constitutionnel, 18 mai 1874), ne trouva en quinze ans que 508 lecteurs. Nul ne perçut, en 1878, la grandeur désolée de certaines pages de la Renaissance. Quant au dernier livre de Gobineau, Y Histoire d'Ottar Jarl, pirate norvégien et de sa descendance, qui donc aurait pu s'intéresser à un ouvrage dont la compréhension exigeait une connaissance profonde du psychisme de son auteur ?

Comment expliquer la longue indifférence à laquelle s'est heurté Gobineau ? D'abord par une erreur de stratégie littéraire : écrivain débutant, il donne à la Quotidienne une série d'études Sur quelques critiques contemporains. Il y prend à partie, en traits mordants, Ville- main et Gustave Planche, Jules Janin et Sainte-Beuve, Magnin et Saint- Marc Girardin. Cette affirmation d'indépendance lancée aux régents de l'opinion ne pouvait que les inciter au silence : « Arthur a par là beaucoup d'ennemis littéraires, » note une lettre de sa femme d'octobre 1847.

D'ailleurs, le décousu apparent de son œuvre devait embarrasser les critiques : où classer ce jeune ambitieux qui, tour à tour, s'essaye dans les genres les plus divers, rime les Adieux de Don Juan, donne à la presse légitimiste des articles de politique étrangère, publie dans des revues sérieuses quelques études bien informées sur les affaires

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d'Allemagne ? En même temps, on le voit, rival de Frédéric Soulié, pratiquer la « littérature industrielle » : le Prisonnier chanceux, Nicolas Belavoir, Ternové qui ne manquent certes pas de qualité, relèvent d'une esthétique de second ordre, à laquelle il voudrait échapper par une tragédie en cinq actes et en vers, Alexandre le Macédonien, en décembre 1 847.

Et puis voilà qu'en 1853-1855 les quatre volumes de YEssai sur l'inégalité des Races révèlent soudain chez lui une curiosité d'ethnologue et de moraliste. Taries l'inspiration du poète et la verve du conteur : un nouvel Isaïe promet au genre humain une décadence sans remède. Nouvelle mutation, les ouvrages suivants de Gobineau le présentent comme un spécialiste de l'Iran, puis comme un exégète aventureux des textes cunéiformes !

Ajoutons que sa carrière de diplomate, entre 1849 et 1877, retient Gobineau hors de France et lui fait perdre contact avec les modes parisiens de penser et de sentir. Il prolonge ainsi, à travers l'époque positiviste, le byronisme de sa jeunesse. Admirateur d'Ivanhoé et de Wilhelm Meister, il trouvera intolérable le réalisme de YEducation sentimentale, roman « ignoble et inepte », déclare-t-il dans une lettre à sa femme (1er février 1870). L'auteur des Pléiades, pour qui « il n'y a réellement au monde que les romans de chevalerie » (à sa fille, juil. 1863), écrit au temps de Zola, la Renaissance sort en librairie la même année que Y Assommoir ! Ainsi, un anachronisme permanent établit, entre les meilleures œuvres de Gobineau et le public qu'elles visaient, une infranchissable distance. L'échec était inévitable et on s'explique que Gobineau ait finalement sombré dans un pessimisme de Titan indigné dont sa correspondance présente tant de témoignages, comme celui-ci, assez poignant, du 5 février 1874, à sa sœur qui l'appelle à revenir à la foi de son enfance :

« Toute la théologie du monde, déclare-t-il, n'empêchera pas que j'ai aimé des gens qui me l'ont mal rendu ; que j'ai dix fois plus de talent et de valeur que la plus grande partie des hommes considérables de ma génération et que, malgré efforts, courage, patience, travail, je ne serai arrivé à rien. »

Echec absolu, dont nous possédons, irréfutable, la preuve. En juillet 1896, Mme de La Tour, légataire de Gobineau, voulant servir sa mémoire par une réédition de ses ouvrages, chargea un homme de loi d'enquêter auprès des maisons Didot, Hachette, Pion, Didier qui les avaient publiés de 1853 à 1879 : inventaire navrant. Quatorze ans après la mort de l'auteur et si mince qu'ait été leur tirage initial, de nombreux invendus restaient en librairie et l'avoué Geyer conclut :

« Quel serait le résultat des réimpressions ? L'hésitation et le refus des éditeurs le font bien prévoir [...] Une réimpression ne peut être qu'un pieux hommage rendu à la mémoire de M. le comte de Gobineau, et non une affaire lucrative. [...] »

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A la date de ce rapport, 1896, la revanche de Gobineau commençait pourtant à poindre, grâce aux efforts d'un Allemand enthousiaste, Ludwig Schemann.

/. Etapes d'une résurrection

« Je ne serai donc apprécié que cent ans après ma mort... » (à Mme de La Tour, 26 août 1873).

La résurrection de Gobineau mérite qu'on s'y arrête, car le rôle capital qu'y jouèrent les Allemands, s'il rendait à la France un écrivain qu'elle avait eu le tort d'ignorer, a contribué à la réputation dont sa mémoire a longtemps pâti.

A la fin de novembre 1876, Gobineau passe quelques jours à Rome. Il apprend que Richard Wagner est lui aussi de passage à Rome, et il saisit l'occasion de le rencontrer. Simple contact dont nous ne savons rien.

En octobre 1880, nouvelle rencontre des deux hommes à Venise : Wagner, subjugué par le brillant causeur que sait être Gobineau, l'invite à Bayreuth et en attendant, passe l'hiver à le Lire, se passionne pour l'épopée ariane de YEssai sur les Races, retrouve dans Amadis, dont les maladresses prosodiques ne le gênent pas, la grandeur qu'il attribue lui-même à l'univers chevaleresque du Moyen Age. Et Cosima rend compte à Gobineau de cet enthousiasme :

« ' Faut-il que j'aie rencontré si tard le seul écrivain original que je connaisse. Je ne dévore pas les nouvelles asiatiques parce que je les savoure. [...] Foin des mille et une nuits ! '

Tels sont, cher Comte, les propos que j'entends tenir à mon mari depuis le nouvel an, ceux-là et bien d'autres encore ! »

Flatté d'éloges, dont l'accent pour lui est nouveau, Gobineau se rend à Bayreuth en mai 1881 ; l'atmosphère de Wahnfried lui a paru si douce que, malgré sa fatigue croissante, il retourne chez les Wagner l'année suivante, y reçoit de nouveau un touchant accueil. Gobineau, qui va s'éteindre cinq mois plus tard, se trouve dans un état de délabrement physique et de tristesse morale qui effraye ses hôtes. C'est alors que, pris de pitié devant ce vaincu, Wagner recommande à son jeune disciple, Schemann de s'attacher à l'œuvre de Gobineau.

Schemann, dans sa préface à sa version allemande de YEssai sur l'inégalité des Races humaines (1901), a raconté comment est née la passion qu'il va désormais apporter à sauver du néant qui la menace la pensée gobinienne :

« Richard Wagner fut le premier qui m'ait parlé de Gobineau et sur le ton d'un débordant enthousiasme [...] Quand je me reporte aujourd'hui à ces heures sacrées, je ne puis les interpréter autrement que voici. Il semble que Wagner m'ait conduit vers ce solitaire abattu loin de tout flot humain

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avec son drapeau de vérité, et m'ait dit : « Sauve-le ![...] Ma seule et unique préoccupation était que ce grand banni trouvât enfin un foyer durable où il continuerait à vivre vraiment, à côté et au milieu de nos plus grands esprits. »

Ludwig Schemann commence par une ingrate besogne de traducteur, donne d'abord une version allemande des Nouvelles Asiatiques (1891) ; puis, aux Bayreuther Blatter, de 1891 à 1894, une version de la Renaissance et enfin de YEssai sur l'inégalité des Races (Stuttgart, 1898- 1901). A l'automne de 1893, Cosima Wagner le met en relation avec Mme de La Tour, héritière de la bibliothèque et des papiers que Gobineau a laissés, à sa mort, dans son logis romain et qui seront déposés à la Bibliothèque de Strasbourg en 1903 et 1906. Pour s'assurer les moyens de diffuser les œuvres de Gobineau, il fonde le 12 février 1894 la Gobineau-Vereinigung qui se recrute d'abord parmi les disciples de Wagner, compte 77 adhérents au début et dépasse 300 membres en 1910. Cette association a été souvent mal jugée en France, où l'on y voyait une officine de pangermanisme : en réalité, Schemann lui souhaitait un rayonnement international, et il ne dépendit pas de lui que les adhérents français, au petit nombre desquels s'inscrivaient Paul Bourget, Albert Sorel, l'abbé Bremond, fussent moins rares.

Appuyé sur le Gobineau-Verein, Schemann entreprit tantôt en Allemagne, tantôt en France, la réédition de plusieurs ouvrages de Gobineau, Religions et Philosophies en Asie Centrale, Deux études sur la Grèce moderne, publia les lettres de Gobineau à Mérimée, à Tocqueville, à von Keller, consacra à son héros une biographie monumentale. Quel exemple de dévouement d'un historien à la cause d'un auteur étranger, aussi désintéressé, aussi consciencieux, aussi continu, pourrait être comparé à celui de Schemann pour Gobineau? Schemann voit en lui « un trait d'union » entre la France et l'Allemagne (préface à son édition de la Correspondance Tocqueville-Gobineau) et ces lignes d'une de ses lettres inédites à Basterot (30 décembre 1898) attestent la sincérité de ses intentions :

« On pourrait bien me dire : laissez donc les Français, bornez-vous à vos Allemands, ne forcez pas ceux qui ne veulent pas de votre prophète. Il est vrai que je pourrais à mon tour penser et agir d'après cette maxime, qui, en tout cas, serait la plus commode [:..]

Mais comme le peuple français reste pour moi toujours et malgré tout le peuple de Gobineau, comme je n'ai entrepris la grande tâche qui, quelquefois, semble vouloir m'écraser, que dans l'espérance que Gobineau serait comme un trait d'union entre mon peuple et le sien, je ne voudrais pas logiquement renoncer définitivement au concours de ce dernier sans avoir fait cette dernière tentative. »

Si le zèle de Schemann a offert à Gobineau l'occasion inespérée de revivre, certaines de ses conséquences ont été malheureuses. Dans l'atmosphère de méfiance où vivait alors l'opinion française à l'égard de l'Allemagne, comment un écrivain français, d'être ainsi tympanisé par un érudit prussien, n'eût-il pas immédiatement paru suspect ?

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Tancrède de Visan qui, à la suite de Schemann, s'est pris d'admiration pour l'œuvre de Gobineau, l'écrit nettement, le 24 mars 1911, au savant de Fribourg :

« [...] La publication des papiers de Gobineau par l'Allemagne fait ici une fâcheuse impression. Il serait à souhaiter que quelques-uns des inédits de Gobineau et que ses lettres parussent en France et soient publiés par un Français.

C'est la vraie raison pour laquelle on ne s'intéresse pas à Gobineau, et je vous la donne fidèlement telle que je l'ai découverte. On trouve que l'Allemagne tire trop à elle la couverture [...] »

Schemann, tout en possédant une culture française étendue et profonde, professait un nationalisme ingénu ; fier de son origine de Prussien rhénan, adhérent de YAlledeutscher Verband, il était lié d'amitié avec Woltmann, avec Otto Ammon et, sans les suivre dans toutes leurs exagérations racistes, penchait vers un antisémitisme qui plongeait ses racines dans la pensée de Richard Wagner.

C'est ainsi que, doublement compromettants, le parrainage de Schemann et l'excès maladroit de ses éloges ont suscité la légende qui a longtemps défiguré Gobineau, le confondant à tort avec de notoires illuminés, tels que Vacher de Lapouge ou H. S. Chamberlain.

Gobineau en fait n'est pas ce fanatique de l'Allemagne qu'après Schemann on a trop souvent voulu voir en lui. S'il partage, bien sûr, avec la plupart de ses contemporains, avec Victor Hugo et Michelet, avec Renan, avec Taine, une vive admiration pour l'Allemagne des savants et des penseurs, s'il lui est arrivé fréquemment, emporté par des rancunes personnelles, de lancer sarcasmes et imprécations contre la France et les Français, s'il oppose volontiers aux Romains de la décadence les vertus solides des peuples du Nord, il dénie à l'Allemagne du XDCème siècle le droit de réclamer l'héritage des anciens Arians. Comme les autres pays, l'Allemagne « où la diversité ethnique est sans bornes », où là langue est métisse (Essai I, ch. 15 ; VI, ch. 6), rassemble des peuples de toutes provenances, constitue un mélange de Celtes et de Slaves (Essai VI, ch. 2). Et Gobineau de conclure que « les Allemands ne sont pas d'essence germanique » (Essai VI, ch. 3).

Diplomate, Gobineau a sans cesse combattu les visées prussiennes à l'hégémonie : dans la rivalité de Bismarck et de Prokesch-Osten à la Diète de Francfort, il soutient, par conformité avec une tradition de la diplomatie française et par conviction personnelle, le point de vue autrichien. Enfin sa correspondance abonde en remarques acides sur l'arrogance des Prussiens ; après 1871, il déplore que l'Allemagne ait cessé d'être intellectuelle « pour devenir spécialement militaire ». Un Allemand, moins naïf que Schemann, Fritz Friedrich, a vu clair, dans ses Studien uber Gobineau : « Alors que Gobineau prise très haut les Anglo-Saxons, il oppose à cette appréciation un jugement fort défavorable sur les Allemands qu'il range pour la pureté de la race encore au-dessous des Français, il n'admet pas l'équation Allemand = Germain, si évidente pour nous. » En effet, s'il subsiste au

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monde quelques vestiges de l'Arian primitif, pense Gobineau, c'est en Angleterre, c'est en Scandinavie qu'on a chance de les rencontrer, vestiges d'ailleurs à peine perceptibles, car le mélange des sangs est devenu le sort de l'univers entier ; le destin de toutes les nations est scellé ; leur décadence se profile à l'horizon ; rien ne leur permettra de remonter à la pureté primitive. D'où les pages finales de YEssai, où il célèbre le Requiem de l'Humanité et, du même coup, de la ger- manité. L'inégalité des races n'est pas chez Gobineau une doctrine génératrice d'action politique, mais une rêverie en marge de l'histoire universelle. Cette vision romantique, de toute évidence, ne présente aucun point commun avec le racisme dont notre temps a mesuré les ravages, avec le nationalisme allemand fondé sur la croyance à la race des seigneurs : le Volk, ce mot intraduisible du vocabulaire nazi, qui désigne un peuple considéré dans son unité mystique avec la nature, correspond à une notion absolument étrangère à la pensée gobinienne. Gobineau, de plus, n'est nullement antisémite (voir mon article dans les Nouveaux Cahiers, Paris, printemps 1972). Il n'est guère possible de trouver sous sa plume, comme il arrive jusque chez Renan, des saillies dénigrantes à l'égard des Juifs. Une page de YEssai I, ch. VI) rend pleine justice aux peuples d'Israël.

La légende d'un Gobineau germanolâtre et raciste a longtemps alimenté la polémique, suivant les vicissitudes des relations entre la France et l'Allemagne.

C'est précisément un spécialiste des choses d'Allemagne, Ernest Se i Ш ère, qu'inquiétait la progression du pangermanisme, qui, le premier en Fance, étudia l'œuvre gobinienne en 1903 : Le Comte de Gobineau et VAryanisme historique, intelligent et bien documenté, avait le défaut d'insister presque exclusivement sur les théories de Gobineau en histoire et de négliger ses nouvelles et ses romans, tout en soulignant avec raison que YEssai sur l'inégalité des Races humaines, plus que de l'anthropologie, relève du « poème allégorique ».

Grâce à Robert Dreyfus, l'opinion française put prendre une initiation plus complète à la pensée de Gobineau : de novembre 1904 à janvier 1905, il donna une série de conférences à l'Ecole des Hautes Etudes Sociales, les réunit sous le titre de La Vie et les prophéties du comte de Gobineau que Péguy publia aux Cahiers de la Quinzaine (mai 1905). Non seulement Robert Dreyfus y analysait avec une chaleureuse sympathie la personnalité de Gobineau, mais encore, le délivrant de son annexion par les nationalistes d'Outre-Rhin, il mettait en valeur l'artiste littéraire et créait autour de lui un mouvement de curiosité. Gobineau devint alors le sujet de maints articles, assez nombreux pour que Faguet criât au snobisme passager : « II y a eu une période de gobinisme en France, notait-il dans la Revue latine (25 octobre 1906). Elle a duré de mai à octobre 1905. Cela a duré six mois et maintenant l'on n'y songe plus ».

On y songe encore pourtant, et on finit par où il eût été sage de commencer, par mettre le public en mesure de lire Gobineau. Ici mérite d'être rappelée l'action efficace de Tancrède de Visan qui réédite les Nouvelles Asiatiques en 1913 et Ternové en 1920, avec des préfaces où il montre que Gobineau loin d'être un ethnologue

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pédant, est un maître conteur. La Nouvelle Revue Française publie Adélaïde (déc. 1913) et Mademoiselle Irnois (août 1914).

La guerre, naturellement, raviva en France le préjugé d'un Gobineau germanophile. Il fallut attendre la fin des hostilités pour que le petit-fils de Gobineau, Clément Serpeille, se mît à servir la mémoire de son aïeul. On vit reparaître les Pléiades et les Souvenirs de Voyage (1921 , L'Abbaye de Typhaines et Trois ans en Asie (1922), Religions et Philosophies dans l'Asie Centrale et la Fleur d'or (1923), Le Prisonnier chanceux (1924). En même temps que Proust, Valéry, Gide, Claudel trouvaient enfin leur public, le méconnu d'hier prenait rang parmi les valeurs nouvelles. Le Nouveau Mercure (oct. 1923) proposait à ses lecteurs une enquête : « Que penser du mouvement gobiniste ? Est-il justifié au point de vue littéraire ? Est-il pernicieux au point de vue national ? » Europe, au même moment, consacrait à Gobineau un cahier d'hommage, avec de substantielles études, celles d'Elie Faure sur Gobineau et le problème des races, de Romain Rolland sur la correspondance Gobineau-Tocqueville, de Jacques de Lacretelle sur la technique du roman dans les Pléiades. Pour le cinquantenaire de la mort de Gobineau en 1932, Clément Serpeille organisa des manifestations qui eurent un certain retentissement, une exposition de « Souvenirs » à Strasbourg (10 nov.), une séance en Sorbonně (1 7 fév. 1 933) où parlèrent Guy de Pourtalès, René Lalou, Emile Ludwig et, pour clore ces cérémonies, la Nouvelle Revue Française publia le 1er février 1934 un numéro spécial auquel collaborèrent Robert Dreyfus, Jean Cocteau, Alain, Thibaudet, Jean Prévost, Keyserling.

Cependant ces années 1932-1934, marquées par la montée de l'hitlérisme en Allemagne, allaient rendre vie au mythe de Gobineau fondateur du racisme. Son nom fut utilisé sans vergogne par la propagande du Illème Reich, à laquelle firent écho de 1940 à 1944 les collaborateurs parisiens du nazisme. D'odieuses ou stupides publications livrèrent Gobineau à « la tribu bariolée des imbéciles », pour reprendre la célèbre classification des Pléiades.

L'heure allait enfin sonner pour Gobineau de la connaissance objective. Le premier artisan en fut Jean Mistier qui, en 1947, donna des Pléiades et de la Renaissance une édition établie pour la première fois avec rigueur scientifique. Ces textes étaient choisis avec bonheur pour exonérer Gobineau de l'hypothèque raciste et le réintégrer parmi les artistes. En 1950, l'ouverture aux chercheurs du fonds jadis constitué par Schemann à Strasbourg, permit de retrouver le vrai visage de Gobineau sous les masques dont l'avait affublé une funeste légende. D'importantes correspondances ont successivement été mises au jour, tandis que des travaux sérieux, comme ceux de Janine Buenzod, de Jean Boissel, de Michel Lémonon, de P.-L. Rey ont commencé à combler les lacunes de l'histoire de Gobineau et à explorer les richesses de son œuvre.

//. L'œuvre et ses rouages

L'œuvre de Gobineau est considérable par son étendue et sa variété et, naturellement — il écrit trop vite, souvent à la diable —,

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de valeur très inégale. Mais de ses ouvrages les plus manifestement manques, aucun n'est indifférent. Il faut se garder avant tout, comme les critiques que gêne la réputation néfaste qu'on lui a faite, d'inventeur du racisme, de dissocier le Gobineau conteur et le Gobineau philosophe, d'opposer à l'auteur d'une théorie indéfendable le romancier des Pléiades. On méconnaîtrait ainsi l'unité d'une œuvre dont les diverses parties sont étroitement liées les unes aux autres. En fait, la pensée de Gobineau s'est formée de bonne heure et il n'a cessé de la creuser sans jamais en modifier l'essence. Ainsi de VEssai sur les Races écrit de 1848 à 1853-1855 : dans l'avant-propos de la réédition qui paraîtra, posthume, trente ans plus tard, il se vante de ne changer « absolument rien » à son livre. Et il ajoute : « Ce livre est la base de tout ce que j'ai pu faire par la suite. Je l'ai, en quelque sorte, commencé dès mon enfance. C'est l'expression des instincts apportés par moi en naissant . »

La clé de son œuvre, c'est la trilogie que forment VEssai sur les Races, Í 'Histoire des Perses et OttarJarl, trois ouvrages dont il a souvent souligné lui-même la liaison nécessaire, quoique de longs intervalles les séparent dans le temps.

Il n'est ni historien, ni technologue. Sa trilogie s'inscrit parmi les ambitieuses épopées où ses contemporains, si nombreux, ont prétendu retracer dans ses vicissitudes le destin de l'Humanité. Elle est une vision de poète, au même titre que La Chute d'un Ange, que Ahasvérus, que la Bible de l'Humanité, que la Légende des Siècles. Mais tandis que Lamartine, Quinet, Michelet, Victor Hugo, promettent au genre humain l'ascension finale dans la liberté, Gobineau, prophète du désespoir, ne lui annonce qu'une irrémédiable décrépitude. Le dernier descendant d'Ottar Jarl aperçoit loin derrière lui, à jamais inaccessible, l'âge d'or où les races jouissaient de leur pureté originelle. Il ne voit devant lui que le déclin fatal de tous les peuples par le mélange des sangs qui ravale les meilleurs au niveau des pires. Convient-il d'ailleurs de parler de « philosophie » ? Admettons sur ce point son propre témoignage :

« Mes pensées jaillissent de mon tempérament, de ma constitution physique et morale, de l'état de ma santé, de mon bonheur ou de mon malheur, phénomènes sur lesquels je n'exerce guère d'action et qui me sont imposés, je ne suis pas très responsable » (à sa sœur, 15 avril 1874).

La méditation de Gobineau obéit aux pulsions d'un cœur angoissé ; elle est née de l'horreur qu'adolescent, il a éprouvée pour sa famille ; elle a grandi à travers les déboires que le règne des dynasties bourgeoises a infligés à ses jeunes ambitions. La trilogie de Gobineau traduit le « roman d'un jeune homme pauvre », qui par compensation se forge un univers de rêve. Obsédé par l'idée de décadence dont sa famille lui met sous les yeux l'irrécusable exemple, il prend « l'humanité en haine » (à son père, 23 juin 1838).

A la lumière de la trilogie qui exprime l'utopie personnelle de Gobineau, son œuvre révèle une forte cohésion. Comme sa Renaissance réalise en 1 874 le rêve du jeune homme qui, trente-cinq ans plus tôt,

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se promettait de consacrer un livre aux grands capitaines italiens, les feuilletons de ses débuts, antérieurs à YEssai sur les Races, esquissent les idées qu'il reprendra sans cesse par la suite : Le Prisonnier chanceux donne en 1846 une peinture colorée du XVIème siècle où, avant de s'anéantir dans l'adoration du Roi de Versailles, la noblesse française a pour la dernière fois rempli ses devoirs de bravoure. Ternové, en 1847, où il utilise les souvenirs de son père, décrit la débâcle d'une antique famille que la Révolution condamne à finir dans une pitoyable mésalliance. L'Abbaye de Typhaines célèbre, avec une évidente nostalgie, la grandeur du Moyen Age féodal.

Ainsi de ses poèmes : s'ils sont d'une incroyable maladresse, à les considérer dans leur susbtance et non dans leur expression, ils ne manquent pas d'importance. Gobineau Га expliqué un jour de 1868 à Robert Lytton : « C'est pour exprimer la quintessence d'idées qui s'attache à l'idée de supériorité de sang que j'ai écrit mes poésies et cette notion est au fond de toutes, sans même que je le veuille, quelle que soit la diversité des sujets. »

La plus curieuse des tentatives poétiques de Gobineau, Amadis, contient comme Га bien vu R. Thenen, le « testament spirituel de Gobineau ». Ce fatras de 20 000 vers qui, selon lui, « traite de toutes les choses de ce temps-ci, le darwinisme comme la politique et la mort de la société moderne » (à Dom Pedro, 12 février 1880), épopée délirante mais aussi énorme pamphlet où il déverse sa haine des bourgeois, ce poème est l'application de YEssai sur les Races (à sa sœur, 30 oct. 1879).

Quant à la meilleure partie de l'œuvre gobinienne, ses récits de voyage, ses recueils de nouvelles, Les Pléiades, la Renaissance, elle est inséparable, elle aussi, de l'idéologie exposée dans YEssai sur les Races. La révélation de l'Iran moderne qu'il reçoit de ses deux missions diplomatiques en Perse, lui permet de mesurer la décadence d'un peuple noble entre tous : les descendants des Arians sont des drôles comme Gambêr-Aly ou des lâches comme Ghoulam-Hussein, et la cour de Téhéran où régnent concussion et désordre ne rappelle guère la monarchie de Cyras. A peine si de rares individus, comme la danseuse de Shamakha, restent par leur exceptionnelle vertu dignes de leurs aïeux. De même en Grèce : au milieu de la décadence d'une population bâtarde qui n'a rien de commun avec les anciens Hellènes dont elle réclame à tort l'héritage, la noble simplicité d'Akrivie Phran- gopoulo brille d'un rare éclat. Et que dire de l'Europe où, parmi les brutes, les coquins et les imbéciles, sont égarés de peu nombreux « fils de roi » ? L'Europe, elle est suggérée dans les Pléiades qu'il rapproche lui-même ďAmadis (à Mme de La Tour, 2 août 1880) : le roman d'amour qu'il y raconte s'entremêle d'accents satiriques où son humeur noire se donne libre cours.

Paul Souday, qui fut l'un des premiers à parler avec justesse de Gobineau, a eu raison de prononcer à son propos le nom de Stendhal. On sait que, dès le 14 janvier 1845, Gobineau écrivait dans le Commerce un article très élogieux sur Stendhal, que plus tard il vantera à l'Empereur du Brésil les mérites de la Chartreuse de Parme et cherchera à se consoler de ses propres échecs en invoquant l'exemple

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de ce roman « considéré pendant vingt ans comme un livre sans valeur » par « les gens les plus spirituels » de son temps, Rémusat, Sainte-Beuve.

Si tous les gobinistes reconnaissent des analogies entre les Pléiades et la Chartreuse de Parme, on ignore en général que des œuvres moins connues de Gobineau attestent sa familiarité avec Stendhal : est-ce simple hasard, si dans Ternové, un personnage assez réussi de jeune ambitieux hypocrite s'appelle Julien et gagne la confiance du marquis de Bartannier comme Sorel celle du marquis de la Môle ?

L'égotisme de Gobineau vaut celui de Stendhal. Le Qui suis-je ? d'Henri Brûlard, Gobineau se l'est posé pendant toute sa vie et le héros selon Stendhal, qui a horreur des bourgeois, annonce les Fils de Roi : leur qualité de « Pléiade » ne dépend ni des honneurs, ni de la fortune, suppose intelligence et lucidité, se mesure à l'autonomie parfaite qu*ils apportent à construire leur existence morale. Gobineau, qui éprouve le même goût que Stendhal pour Don Quichotte, pour l'Arioste et pour les belles guerrières du Tasse, partage avec lui le culte de l'énergie et de l'amour. La vie n'a de valeur que tendue par la passion vraie. Sa phrase célèbre : « Dans la vie, il y a l'amour — et puis le travail — et puis rien » le résume tout entier (1). Aussi, de Mademoiselle Irnois à Adélaïde, à la danseuse de Shamakha, aux Amants de Kandahar, que d'amoureuses il a créées, selon l'espagnolisme beyliste, supérieures aux « poupées parisiennes » que Stendhal méprisait si parfaitement. Le diplomate qui représente la France à Téhéran, à Athènes où à Rio est aussi peu conformiste que le consul à Civita- Vecchia, et ils se consolent, l'un comme l'autre, des déboires de leur carrière en maniant l'arme souveraine de l'ironie. Jusque dans ses pages les plus pathétiques, Gobineau s'amuse de ses propre créations, n'est jamais dupe de ses personnages, pratique l'anti-rhétorique avec la même vigueur de trait que Stendhal.

Gobineau est aussi peu chrétien que Stendhal. Tel on le voit en 1843 et en 1856, tel nous le montre son Amadis de 1880 : au chant VIII, Le crépuscule des Dieux, sans nommer Jésus, il stigmatise le maître dangereux qui « célébra les manchots, embrassa les lépreux », alors que « Tous ces pauvres, ces fils du hasard, tous ces gens, tout cela n'a pas d'âme ! » Tel l'évoque enfin cette note du Journal inédit de son ami Basterot du 1 7 janvier 1 882 :

« II dit que le côté faible de l'Inégalité des races est qu'il a ménagé la Bible et la France ; qu'il est au fond païen Scandinave, mais qu'il veut mourir dans la religion qui est celle de ses ancêtres depuis plusieurs siècles. »

Ainsi de la morale : celle « des personnes que la destinée appelle à dominer sur les autres » ne se ramène nullement aux « règles ordinaires de la vie ». Gobineau situe ses héros « par delà le Bien et le Mal » :

(1) Cette phrase se trouve dans une lettre du 5 avril 1877, à son ami Eulenburg, que celui-ci a publiée en allemand : « Die Liebe gent allem vor - dann kommt die Arbeit — und weiter bibt es nichts ». L'autographe français a probablement été détruit lors de la guerre 1939-1945.

Dossier Gobineau 91

« [...] la grande loi du monde, ce n'est pas de faire ceci ou cela, d'éviter ce point ou de courir à tel autre : c'est de vivre, de grandir et de développer ce qu'on a en soi de plus énergique et de plus grand, [...] Ne l'oubliez pas. Marchez droit devant vous. Ne faites que ce qui vous plaît [...] » (La Renaissance, Garnier-Flammarion, p. 161).

« Je vivrai dans mon cœur, c'est là que je suis roi » dit-il à vingt ans, dans Dilfiza ; cette altière revendication de la solitude fait parfois songer au stoïcisme d'Alfred de Vigny : son œuvre est, elle aussi, le « poème de la désillusion » en dehors de toute mystique chrétienne.

« Jamais homme n'a mis autant de lui dans ses œuvres » disait de Gobineau Mme de La Tour, témoin de ses dernières années. En effet, chacun de ses ouvrages, même les plus manques ou les plus absurdes, même les illisibles Amadis, réfracte quelque aspect de sa personne. On ne cesse de s'intéresser à ce curieux individu, spontané, prompt à l'enthousiasme, spirituel et sensible. Ce que l'on cherche dans ses récits, ce n'est pas la solidité formelle de la composition ni la sûreté d'un art trop souvent défaillant, mais la désinvolture qu'il apporte à la création de personnages inattendus ; dans ses souvenirs de voyage, non un bariolage pittoresque mais une fantaisie qui s'amuse de tout et d'abord de lui-même. Et l'on souscrit aisément au portrait que, de lui, Tocqueville traçait au début de leur amitié :

« Vous êtes précisément ce qu'il faut pour intéresser. Vous avez des connaissances variées, de l'esprit beaucoup, les manières de la meilleure compagnie... Ajoutez à toutes ces causes cette autre qui vous flattera moins, c'est qu'on ne sait pas bien, en vous voyant, ce que deviendront toutes ces qualités et si les maladies épidémiques du siècle dont vous êtes aussi atteint que vos contemporains ne les rendront pas inutiles. De sorte que vous intéressez par ce que vous pouvez être et par ce qu'on craint que vous ne soyez pas. » (Tocqueville à Gobineau, 8 août 1943)

II ne s'agit donc pas de dissimuler les défauts souvent irritants du personnage. Par exemple sa prétention de grand seigneur à tout savoir, sans avoir rien appris : ainsi quand il se lance,, véritable d'Arta- gnan de l'assyriologie, dans la lecture des cunéiformes. Ainsi quand il se découvre sur le tard une vocation de sculpteur, qui lui fait entasser pendant dix ans bustes et médaillons presque toujours aussi consternants que ses poèmes. Outre cette fatuité, une démesure naturelle qui le porte à généraliser à partir d'une information souvent mal contrôlée, acquise au hasard de conversation ou de lectures sans critique. Et puis le ton tranchant, les jugements abrupts qu'il assène en toute circonstance et qui lui ont valu maint déboire au long de sa carrière diplomatique. Et enfin la vanité qui ne se traduit pas seulement par une autosatisfaction candide des mérites divers qu'il s'attribue, mais aussi par de puériles ambitions nobiliaires : il faut l'entendre

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s'arroger sans vergogne le titre de comte à partir de 1853, et dès l'instant où il a acheté le château de Trye, voiler sa roture sous le blason de la seigneurie de Trye Dammartin.

Ces petitesses, il n'y faut voir pourtant que la rançon de très singulières qualités. D'abord une indomptable énergie que la difficulté de ses débuts à Paris met pleinement en évidence. Arriviste adroit mais sans compromission. Comme Vigny encore, fier d'ajouter à la gloire militaire de ses ancêtres, celle du poète, Gobineau se lance dans la vie littéraire :

« Mon épée, brisée par l'époque, aura été remplacée par ma plume ; et libre comme l'air, sachant manger du pain et boire de l'eau joyeusement quand il le faut, mais sachant aussi défendre à tout prix mon indépendance, j'aurai fait mentir tout le monde et j'aurai réussi [...] Je porte un regard très calme sur ma position : je suis sur pilotis ; demain mon échafaudage peut crouler et je puis retomber dans l'eau. Que m'importe, je recommencerait. » (A son père, 12 janvier 1838).

Ses poèmes Manfredine, Beowulf, Amadis surtout, traduiront cette tension volontariste qui marquera sans cesse son existence et on la retrouve jusque dans ses feuilletons : Jean de La Tour Miracle, c'est lui, partant de Gascogne à la recherche d'un protecteur ; Ternové, c'est lui encore quittant, pour courir les aventures, Monthermé où il a jadis fait un court séjour et guignant l'héritage de l'oncle Thibaut comme son héros celui du vieux Marvejols. A la lumière de ce volontarisme, Г 'Essai sur les Races prend une valeur nouvelle : en dépit du pessimisme cosmique de la conclusion, la rêverie de Gobineau sur les origines mythiques de l'humanité suscite d'abord l'idée que, puisque tout est vain, rien n'a plus d'importance en matière de métaphysique ou de politique. Il ne reste au Sage qu'à tâcher de se plaire à soi-même, de mériter sa propre estime.

L'homme digne de ce nom, selon Gobineau qui ne variera jamais, est celui qui persiste dans l'effort, quoi qu'il arrive. Une lettre de sa sœur (19 avril 1880) lui rappelle un souvenir de leur enfance très significatif

« le jour où toi et moi, revenant de Redon sur nos montures, nous eûmes l'heureuse idée d'aller à travers champs sans suivre la route tracée [...] Je parie que tu ne l'a pas oublié, pas plus que le serment téméraire que nous avions fait, un autre jour, d'aller toujours devant nous, sans être arrêtés par rien (le tout à l'exemple des chevaliers errants) et la rivière vint contrarier notre plan... »

II y a toujours une rivière dans l'existence de Gobineau pour interrompre son élan : mais qu'importe ? Il le recommence inlassablement, comme le dit la règle que lui a inspirée une modeste colline des environs de Monthermé, au nom symbolique de Malgré tout :

« J'aurai certainement encore bien des déboires à avaler, [...] mais ils ne seront pas plus amers que le passé et je justifierai la devise que j'ai prise

Dossier Gobineau 93

et que je compte ajouter à mes armes pour en faire la loi de ma famille : Malgré tout » (à sa sœur, 17 avril 1841).

A quoi répond son autoportrait, tout ďénergie, dans le Candeuil des Pléiades (Livre III, ch. 1er). Energie morale que double, il faut le dire, un courage physique incontestable. Gobineau a une santé fragile que privations et surmenage ont ébranlée de bonne heure. Il reviendra de son ambassade au Brésil dans un état de délabrement qui s'aggravera jusqu'à l'épuisement pénible des dernières années, mais il n'arrêtera jamais de travailler, de s'enivrer de projets faute de réussites.

Cette force d'âme s'appuie sur une puissance, toujours renouvelée, de sympathie. L'homme de la révolte est aussi un tendre. Aussi n'a-t-il cessé de rencontrer sur sa route des amitiés que la mort seule rompra. Le petit groupe de ses intimes d'abord, Hercule de Serre, le peintre allemand Guermann Bonn, Adolphe d'Avril. Puis les protecteurs vite séduits par son intelligence, Alexis de Tocqueville, Charles de Rémusat, Circourt. Enfin chacune de ses missions lui permet de rencontrer quelque « fils de roi » : à Francfort, Prokesch-Osten ; à Athènes, Robert Lytton ; à Rio, l'empereur Pedro II ; à Stockholm, le polonais Zaluski, ambassadeur d'Autriche ; à Rome au soir de sa vie, Basterot et San Vitale.

Parce que l'œuvre de Gobineau se situe dans la grande lignée du romantisme, parce que sa pensée est commandée par une vision tragique de l'histoire, on est tenté de le peindre en héros de roman noir. J'ai moi-même jadis cédé à cette erreur. La réalité me semble aujourd'hui à nuancer. Le sombre utopiste de Y Essai sur les Races présente aussi un côté de bonne humeur que ses familiers ont souvent souligné. Sa sœur Caroline insiste sur « son entrain », « sa verve inépuisable », « sa gaieté perpétuelle ». Ses lettres à ses filles, aux Dragoumis, à Monnerot sont pleines d'enjouement, parfois illustrées de croquis spirituels.

Une étude nous manque encore, et qui serait d'un vif intérêt, sur le comique chez Gobineau : invention de personnages et de situations cocasses, observation impitoyable de milieux rendus avec la sûreté de trait du meilleur peintre de mœurs, les exemples se pressent en foule à l'esprit, les fantoches de la famille Irnois et de Ternové, Gambèr-Aly à la cour de Téhéran, le couple libéral bourgeois des Gennevilliers dans les Pléiades. Gobineau s'amuse et nous amuse. Et même dans YEssai sur les Races qu'il ne faudrait peut-être pas prendre au sérieux dans ses moindres pages comme Га fait Schemann, l'humour est souvent présent sous la forme de paradoxes, de rapprochements inattendus, de traits de satire endiablée — une façon gouailleuse de traiter Clio qui devait irriter Tocqueville ou Guizot, mais permet de le lire moins pour s'instruire que pour se divertir.

C'est que le trait essentiel de la conduite gobinienne est l'indépendance absolue. Il a, une fois pour toutes, décidé que sa vérité ne doit ni ne peut se confondre avec celle du commun. libre aux êtres vulgaires d'adopter la morale du troupeau : le fils de roi n'obéira qu'à son propre code de valeurs. Sa vertu première sera l'autonomie. Dès 1838, le modèle qu'il élit est le « condottiere ». Il y puise la règle

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de son attitude politique : de 1849 à 1877, il a servi trois régimes successifs. Il s'est expliqué franchement dans une lettre à sa sœur du 1 5 avril 1 843 : « Je ne m'endors pas, étant d'une nature peu confiante en fait d'affaires et, tout en préférant la droite, je ne méprise pas la gauche. [...] Vrai et pur condottiere, et ne voulant être que cela, je choisirai (s'il faut choisir) celui qui me donnera le plus d'avantages, et je le servirai fidèlement le temps de mon enrôlement ».

Gobineau ainsi nous apparaît comme l'un des esprits les plus rigoureusement libres du XIXème siècle. Cet homme que la légende classe à droite n'est pas conservateur : qu'y a-t-il à conserver dans une France qui de toutes parts s'écroule ? Il n'est pas nationaliste : il sait que ce ne sont pas les nations mais les civilisations qui marquent les étapes de l'histoire. Il ne croit plus au rôle de la noblesse : elle est avilie depuis Louis XIV. Ni aux vertus de la famille : il a vu se dissoudre celle de son père avant la ruine du foyer qu'il a fondé. Ni à l'argent : il en a eu, l'a gaspillé et né pauvre, il mourra dans la misère. Aussi jette-t-il sur les êtres et sur les choses un regard d'absent, d'une hautaine lucidité : le seul bonheur est dans l'imaginaire.

Esquisse bibliographique

On consultera les fonds d'archives suivants :

1) Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg, ms. 3477 à 3569. Cette collection, réunie par Ludwig Schemann et Mathilde de La Tour, contient notamment les manuscrits ^Adélaïde, des Pléiades et de La Renaissance et ne cesse de s'enrichir depuis le 5 août 1903 (1), date de la vente faite par L. Schemann.

2) La Bibliothèque Nationale de Paris conserve (Nouv. acq. fr., ms. 13787 - 13789) l'importante correspondance de Gobineau avec les sœurs Dragoumis et (Nouv. acq. fr., ms. 14393 - 14406) une documentation capitale pour la bibliographie de Gobineau, déposée par Mme André Chancerel, née Serpeille de Gobineau.

3) Les Archives du Quai d'Orsay contiennent les dépêches diplomatiques de Gobineau, dont un inventaire exhaustif a été établi par Henri de Miramon- Fitzjames avec la collaboration d'Amédée Outrey.

4) La Bibliothèque de Bordeaux conserve (ms. 1779) 205 lettres inédites (1850- 1881) de Gobineau à Jules Delpit, archiviste à Bordeaux.

5) A la Bibliothèque Universitaire de Fribourg-en-Brisgau, est conservé le Nachlass de Ludwig Schemann qui présente un grand intérêt pour l'histoire du gobi- nisme. On y trouve aussi des autographes de Gobineau qui n'ont pas été déposés à Strasbourg et des souvenirs de Diane de Gobineau sur son père.

6) Enfin le Musée de l'Oise à Beauvais conserve une collection de souvenirs nant Gobineau, don de Mme André Chancerel.

( 1 ) Voir L. Greiner, « Chronique du fonds Gobineau de la Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg » dans les Etudes gobiniennes 1973, p. 143-150. Sur la cession par Ludwig Schemann de ce fonds, voir L. Greiner, « L'entrée du Fonds Gobineau à la Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg », Etudes gobiniennes 1970, p. 197-210.

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Editions

II n'existe pas d'éditions des œuvres complètes de Gobineau. Certaines n'ont jamais été reproduites depuis les originales.

A. Oeuvres de jeunesse

a) II faudrait recenser, en vue d'une étude sur « Gobineau journaliste » les articles politiques assez nombreux qu'il a donnés à la presse de 1837 à 1849, notamment ceux de la Revue Provinciale (1843-1849) et ses études sur la politique européenne.

b) Ses articles de critique littéraire procurés par R. Béziau sont sur le point de paraître dans la Bibliothèque du XIXème siècle dirigée par A. Michel etC.Pichois (Klincksieck), complétant le choix trop restreint d'Etudes critiques (Kra, 1927).

c) II est possible qu'on découvre dans les journaux de la Monarchie de Juillet des nouvelles de Gobineau, comme l'ont fait A.B. Duff (Les Conseils de Rabelais, 1847, reproduit dans le Mercure de France, 1962), René Guize (Le Mariage d'un prince, 1840, reproduit dans la N.R.F., 1966) et nous-même (L 'A venture de Jeu- nesse, 1847-1848, reproduit dans Etudes gobiniennes 1974-1975).

d) Les poèmes de jeunesse, inédits, ont été publiés par Paola Berselli Ambri, Poemi inediti di Gobineau, Florence, Olschki, 1965.

B. Dépêches diplomatiques de Gobineau

Melle A. Hytier a publié celles de Perse, Paris, Droz, 1959 ; J.-F. de Raymond, prépare celles de Grèce (1864-1868) à paraître aux Belles-Lettres ; celles de Suisse, du Brésil et de Suéde devraient, elles aussi, être publiées, car outre leur importance documentaire, elles apporteraient une contribution essentielle à l'étude, que nous souhaitons, de « Gobineau diplomate ».

G Gobineau polémiste

Jean Boissel, Gobineau polémiste (J.J.Pauvert, 1967) a donné des extraits de Ce qui est arrivé à la France en 1870 et de La Troisième République et ce qu'elle vaut, ouvrages réédités intégralement par Z.B. Duff et nous-mime (Klincksieck, 1970 et 1976-78).

D. Les œuvres majeures

Les excellentes éditions des Pléiades et de la Renaissance procurées par Jean Mistier (Monaco, Ed. du Rocher, 1947) sont malheureusement épuisées, comme le sont Les Pléiades, les Nouvelles Asiatiques et les Souvenirs de Voyage (Paris, Pauvert, 1967, 1963 et 1962).

Les éditions du Livre de Poche, peu sûres, manquent de l'annotation nécessaire. Il en est de même de Religions et Philosophies dans l'Asie Centrale (Coll. « Les Introuvables », éd. d'Aujourd'hui) et de Trois ans en Asie (Coll. « De mémoire d'homme », éd. Métaillé, 1981).

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Moins médiocres sont, dans les Classiques Garnier, les Nouvelles Asiatiques (1965) et Le Mouchoir muge et autres nouvelles (1968), ainsi que chez Garnier- Flammarion, La Renaissance (1980).

Si YEssai sur l'inégalité des races (Belfond, 1967) n'est qu'une réimpression de la 2ème édition Didot sans notes critiques, il comporte une excellente préface d'Hubert Juin.

Enfin le poème ďAmadis, important pour saisir la pensée de Gobineau, publié par Mme de La Tour (Pion, 1887) et présenté par elle comme inachevé, a en réalité été terminé par Gobineau en 1881. Les parties supprimées en 1887 ont été étudiées et publiées intégralement par Mme Rachel Thenen (thèse Montpellier, 1960).

E. La Bibliothèque de la Pléiade prépare actuellement une édition d'oeuvres de Gobineau présentées avec l'esprit critique qui caractérise la collection. Trois volumes sont prévus, dont les 1. 1 et II paraîtront au début de 1983 :

t. I — Mademoiselle Irnois et YEssai sur l'inégalité des races, textes établis et annotés par Jean Boissel.

t. II — Trois ans en Asie, Religions et Philosophies dans l'Asie Centrale, textes établis par Jean Gaulmier et annotés par Jean Gaulmier et Vincent Monteil ; Souvenirs de Voyage et Adélaïde, textes établis et annotés par Pierre Lésétieux.

t. III — Les Pléiades, texte établi, notes et variantes par Jean Gaulmier ; La Renaissance, texte établi, notes et variantes par Marie-Louise Concasty ; Nouvelles Asiatiques, texte établi et annoté par Jean Boissel.

La Correspondance.

Gobineau a laissé une abondante correspondance dont Albert Sorel avait de bonne heure senti l'importance, écrivant le 22 novembre 1902 à Diane de Guldencrone : - [...] Nous avons beaucoup parlé [avec Schemann] de sa correspondance. Je suis persuadé que quand il sera possible d'en publier des extraits un peu suivis, c'est par là qu'il montrera à nos compatriotes ce qu'il a été [...] » (Lettre publiée par Vincenette et Claude Pichois dans La Quinzaine littéraire, 18-31 janvier 1981, p. 16).

Les principales correspondances de Gobineau déjà publiées sont les suivantes :

a) avec sa famille :

— Lettres de Gobineau à sa femme (1869-1870), p.p. M.-L. Concasty, Lettres brésiliennes, « Les Bibliophiles de l'Originale », Ed. du Delta, 1969.

— Un choix de lettres de Gobineau à sa fille Diane, p.p. J. Mistier, dans la Revue de Paris, juil. 1960, p. 10-21. A.B. Duff en prépare une édition complète à paraître aux Editions du Seuil.

— Un choix de lettres de Gobineau à sa fille Christine, p.p. M.-L. Concasty, dans les Etudes gobiniennes 1966, p. 1 1-58.

— Les lettres de Gobineau à son père et à sa sœur (B.N. de Strasbourg, ms. 3618-3520) sont en majeure partie inédites. Un certain nombre en a été publié de façon impeccable par A3. Duff :

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- Lettres persanes (1855-1857), brochure éditée au Mercure de France, 1958. - Ecrit de Perse (1862-1863), dans le Mercure de France de novembre 1957, p. 385415. - Sept lettres du Brésil (1869-1870) dans la Revue de Littérature comparée, d'octobre-décembre 1949. - « D'une mission diplomatique à l'autre » (1870-1872) dans les Etudes gobiniennes 1972, p. 73-1 19. - Comte de Gobineau — Mère Bénédicte de Gobineau, Correspondance (1872-1882), avec la collaboration de René Rancœur, 2 vol., Paris, Mercure de France 1958. - Un choix de lettres (1847-1879) à son beau-frère Jules Monnerot a été

publié par Jean Gaulmier dans les Etudes gobiniennes 1974-1975, p. 73-142.

b ) avec ses amis :

- Correspondance d'Alexis de Tocqueville et d'Arthur de Gobineau, texte établi et annoté par M. Degros. Introduction de J.-J. Chevalier, Gallimard, 1959 (tome IX des Oeuvres complètes d'Alexis de Tocqueville).

- Les lettres de Prosper Mérimée à Gobineau (1854-1870) ont été d'abord publiées (avec des coupures) par Ludwig Schemann dans la Revue des Deux Mondes du 15 octobre et du 15 novembre 1902. Elles ont été reprises, à leurs dates respectives, d'après le ms. 3526 de la B.N. de Strasbourg, dans la Correspondance générale procurée par M. Parturier. On ajoutera les deux lettres de Gobineau à Mérimée publiées dans Revue d'Histoire littéraire de la France (oct.-déc. 1966).

- Correspondance entre le Comte de Gobineau et le Comte de Prokesch- Osten (1854-1876), Clément Serpeille de Gobineau, Paris, Pion, 1933. [Cette édition, défigurée par d'innombrables fautes de lecture et de datation, doit être utilisée avec précaution et rectifiée au moyen des autographes conservés à la B.N. de Strasbourg, ms. 3524 et 3525].

- Georges Raeders, Dom Pedro II e о Conde de Gobineau. Correspondancias ineditas, Sao Paulo-Rio de Janeiro, Companhia editora nacionál, 1938.

- Ludwig Schemann, Briefwechsel Gobineaus mit Adelbert von Keller. Nebst einem Anhang enthaltend das Briefwechsel Gobineaus mit W.L. Holland, Strasbourg, Trubner, 1911.

- Lettres de Gobineau à Adolphe de Circourt (31 lettres de 1853 à 1868) p.p., J. Gaulmier, dans Etudes gobiniennes 1966 et Etudes gobiniennes 1967.

- « Charles de Rémusat et Arthur de Gobineau » (16 lettres de Gobineau, 1843-1873) publiées par J. Gaulmier dans Travaux de linguistique et de littérature, tome II, Strasbourg, 1964.

- Lettres de Gobineau à W.S. Blunt p.p. J. Gaulmier, « Deux correspondances inédites d'Arthur de Gobineau », dans Etudes gobiniennes 1972, p. 31-71.

- Lettres de Gobineau à Jules Mohl et à Mme Mohl, p.p. J. Boissel dans la Revue de Littérature comparée, juil.-sept. 1966, p. 357-361.

- Lettres inédites de Gobineau à Dorn. p.p. J. Boissel, dans la Revue d'Histoire littéraire de la France, oct.-déc. 1966, p. 691-700.

- Lettres de Gobineau au philosophe I.H. Fichte, p.p. J. Boissel dans la Revue de Littérature comparée, oct.-déc. 1969.

- Lettres inédites du Comte de Gobineau à M. Adolphe Franck et à sa famille, p.p. René Worms, dans la Revue Internationale de sociologie, août-sept. 1916.

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— Lettres de Gobineau à Albert Sorel, p. p. Vincenette et Claude Pichois, en collaboration avec Jean Albert-Sorel, dans la Revue d'Histoire diphmatique, juillet-décembre 1977.

c) Les amitiés féminines de Gobineau

— Lettres à la comtesse Anastasie de Circourt, p.p. J. Gaulmier, « Deux correspondances inédites d'Arthur de Gobineau », Etudes gobiniennes 1972, p. 9-30.

— Lettres de Gobineau aux sœurs Dragoumis. Une partie de ces lettres a été publiée :

Comte de Gobineau, Lettres à deux Athéniennes (1868-1881), par Mme N. Mela, Athènes, Kaufmann, 1936. Jean Mistier, « Nouvelles lettres athéniennes », Revue des Deux Mondes, 1er oct. 1954, p. 418437. A. B. Duff, « Lettres inédites de Gobineau à la bien-aimée athénienne »,' Hommes et Mondes, oct. 1954, p. 334346. [M.-L. Concasty a laissé à la B.N. de Paris une annotation complète de cette

correspondance en vue de sa publication intégrale, le texte devant être établi par A.B. Duff.]

— L'importante correspondance de Gobineau avec Mathilde de La Tour qui comprend 379 lettres ou billets (B.N. de Strasbourg, ms. 3517) est en majeure partie inédite. J. Mistier en a publié un choix dans La Table ronde d'avril et de mai 1950, et Mlle Janine Buenzod a publié sous le titre : Arthur de Gobineau, Lettres d'un voyage en Russie, en Asie Mineure et en Grèce, les lettres de Gobineau à son amie pendant la mission qu'il a accomplie avec l'Empereur du Brésil en 1 876.

— Les lettres de Cornélie Renan à Gobineau ont été publiées par Roger Béziau, dans Archives des lettres modernes, n° 75, Minard, 1967 [les lettres de Gobineau à Mme Renan ont été détruites].

— Les lettres de Cosima Wagner (B.N. de Strasbourg, ms. 3526) ont été publiées par Clément Serpeille de Gobineau dans La Revue hebdomadaire des 16 et 23 juillet 1938, p. 263-289 et 400-425 [il existe 44 lettres de Gobineau à Cosima et Richard Wagner, dans les archives de Wagner à Bayreuth que M. Zivqj- novic est sur le point de publier].

Travaux concernant la biographie de Gobineau

La plus récente et la plus complète biographie de Gobineau est celle de J. Boissel, Gobineau (1816-1882) : Un Don Quichotte tragique, Paris, Hachette, 1981.

On peut encore utiliser les ouvrages suivants que nous rangeons par ordre chronologique :

— Kretzer Eugen, Joseph-Arthur Graf von Gobineau, Sein Leben und sein Werk, Leipzig, Hermann Seemann, 1902.

— Dreyfus Robert, La Vie et les prophéties du comte de Gobineau, Paris, Cahiers de la Quinzaine, 1905 [le premier ouvrage d'initiation paru en France sur Gobineau, remarquable par sa lucidité et sa justesse de ton].

— Schemann Ludwig, Gobineau. Eine Biographie, 2 vol., Strasbourg, Triibner, tome I, 1913 ; tome II, 1916 [travail peut-être trop systématiquement favorable à Gobineau, mais d'une richesse d'information inégalée à sa date].

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— Schemann Ludwig, Quellen und Untersuchungen zum Leben Gobineaus, 2 vol., tome I, Strasbourg, Triibner, 1914 ; tome II, Leipzig, Walter de Crayter, 1919. [Recueils de documents souvent importants].

— Lange Maurice, Le Comte Arthur de Gobineau. Etude biographique et critique, Strasbourg, Istra, 1924 (Publ. de la Faculté des Lettres de l'Univ. de Strasbourg, tome ХХП). [Biographie consciencieuse, un peu déformée par le parti pris de combattre les idées de Schemann].

— Deffoux Léon, Trois aspects de Gobineau, Documents nouveaux et textes inédits, Paris, Crès, 1929.

— Faure-Biguet J.N., Gobineau, « Le roman des grandes existences », n° 33, Pion, 1930. [Biographie romancée et peu sûre mais dont l'auteur a utilisé les traditions de la famille de Gobineau].

Un document essentiel pour la bibliographie de Gobineau est constitué par les souvenirs de Mathilde de La Tour, Les dernières années du comte de Gobineau. Une édition critique parfaite en a été établie par M. Z. Zivojnovic (thèse soutenue à Strasbourgen 1979 et malheureusement inédite).

Travaux sur la pensée de Gobineau

— Sudre Alfred, « D'une nouvelle philosophie de l'Histoire », Revue Européenne, t. IV, 15 août, 1er et 15 sept. 1859. [Etude capitale sur le début de la philosophie des races en Europe et en Amérique].

— Seillière Ernest, Le Comte de Gobineau et VAryanisme historique, Pion, 1903.

— Schemann Ludwig, Gobineau Rassenwerk, Stuttgart, Fromann, 1910. — Friedrich Fritz, Studien uber Gobineau, Leipzig, Avenarius, 1906. — Steinhûhler Manfred, Gobineau au jugement de ses contemporains d'Outre-

Rhin, thèse dactylographiée, Université de Paris, 1961. — Gaulmier Jean, Spectre de Gobineau, Pauvert, 1965. — Buenzod Janine, La Formation de к pensée de Gobineau et l'Essai sur

l'inégalité des races humaines, Nizet, 1967. — Biddiss Michael, Father of racist Ideology. The social and political Thought

of Count Gobineau, London, Weidenfeld and Nicolson, 1970. [Ouvrage intéresant quoique basé sur la persistance du mythe absurde qui défigure Gobineau].

— Lémonon Michel, Gobineau et l'Allemagne, [Thèse fondamentale, soutenue à Strasbroug en 1972 et malheureusement inédite].

— Boissel Jean, Gobineau, l'Orient et l'Iran, tome 1, 1816-1860, Klincksieck, 1973.

Travaux sur Gobineau écrivain

— Thérive André, « Gobineau poète », Revue Universelle, 1er mai 1922, p. 389402.

— Charlier Gustave, « Gobineau et le romantisme », Revue de l'Université de Bruxelles, févr. 1924, p. 315-336.

— Riffaterre Michael, Le Style des < Pléiades >, Droz et Lettres modernes, 1957.

— Gaulmier Jean, Gobineau et sa fortune littéraire, Coll. « Tels qu'en eux- mêmes », Saint-Médard en Jalles près Bordeaux, éd. Guy Ducros, 1971.

1 00 Jean Gaulmier

— Rey Pierre-Louis, L'Univers romanesque de Gobineau, Paris, Gallimard, 1981.

— Béziau Roger, Les Débuts littéraires de Gobineau à Paris, thèse soutenue à Paris-Sorbonne en 1978 (à paraître).

— Enfin les Etudes gobiniennes, dirigées par AJ5.Duff et J. Gaulmier, ont publié neuf cahiers (1966, 1967, 1968-1969, 1970, 1971, 1972, 1973, 1974- 1975, 1976-1978) contenant des textes inédits ou peu connus, des études et documents sur Gobineau, ainsi qu'une bibliographie annuelle établie par René Rancœur (Paris, Editions Klincksieck).