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Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2009) 10, 90—95 FAITES LE POINT Douleur des cancers ORL au stade des séquelles Otolaryngological cancer pain at the after-effects stage Malou Navez CETD, hôpital Bellevue, CHU de Saint-Étienne, 25, boulevard Pasteur, 42055 Saint-Étienne cedex, France Disponible sur Internet le 5 avril 2009 MOTS CLÉS Douleur orofaciale cervicale et épaule ; Post-traitement du cancer ; Neuropathique ; Myofascial Résumé Les standards de traitement des tumeurs pharyngolaryngées se sont modifiés afin d’éviter la mutilation laryngée (chirurgie partielle, endoscopique, radiothérapie séquentielle, chimiothérapie). Les douleurs induites sont fréquentes et varient en fonction des traitements. Ainsi, la chimioradiothérapie induit moins de douleur, souvent plus sévère, puisque 20% ne sont pas contrôlées par des opioïdes forts. La douleur des mucites, bien que non spécifique au can- cer ORL, est plus fréquente et plus sévère et la prévention et le traitement restent encore mal définis. Celles des nécroses post-radiothérapiques (mandibule, cartilage laryngé...) sont moins fréquentes, tardives et extrêmement sévères. Les douleurs cervicales et de l’épaule sont pré- sentes chez plus d’un tiers des patients et de mécanismes multiples (myofasciale articulaire). Elles sont secondaires à la radiothérapie, à la chirurgie (lésion de la XI e paire crânienne lors des curages, reconstruction par lambeau). Enfin, la douleur coexiste avec les perturbations des fonc- tions essentielles (parole, déglutition...) et le handicap générés par les traitements. La prise en charge globale de la douleur, de la souffrance et de l’impact psychosocial est essentielle. © 2009 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. KEYWORDS Orofacial cervical and shoulder pain; Cancer post-treatment; Neuropathic; Myofascial Summary The standards of pharyngolaryngeal tumor treatment have changed over the years in an attempt to prevent laryngeal mutilation (partial surgery, endoscopic surgery, sequential radiotherapy, and chemotherapy). Pain induced by these treatments is frequent and varies from one treatment to another. Chemoradiotherapy induces less pain but often more severe pain, since 20% of these situations are not controlled by strong opioids. Pain from mucositis, although nonspecific to otolaryngic cancer, is more frequent and more severe and prevention and treatment remain poorly defined. Pain from postradiotherapeutic necrosis (mandibula, laryngeal cartilage, etc.) is less frequent, delayed, and extremely severe. Cervical and shoulder Article déjà publié : Navez M.-L. Douleur des cancers ORL au stade des séquelles. Annales d’otolaryngologie et de chirurgie cervico-faciale 2007;124:S39—44. Adresse e-mail : [email protected]. 1624-5687/$ — see front matter © 2009 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.douler.2009.01.008

Douleur des cancers ORL au stade des séquelles

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ouleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2009) 10, 90—95

AITES LE POINT

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tolaryngological cancer pain at the after-effects stage

Malou Navez

CETD, hôpital Bellevue, CHU de Saint-Étienne, 25, boulevard Pasteur,42055 Saint-Étienne cedex, France

Disponible sur Internet le 5 avril 2009

MOTS CLÉSDouleur orofacialecervicale et épaule ;Post-traitement ducancer ;Neuropathique ;Myofascial

Résumé Les standards de traitement des tumeurs pharyngolaryngées se sont modifiés afind’éviter la mutilation laryngée (chirurgie partielle, endoscopique, radiothérapie séquentielle,chimiothérapie). Les douleurs induites sont fréquentes et varient en fonction des traitements.Ainsi, la chimioradiothérapie induit moins de douleur, souvent plus sévère, puisque 20 % ne sontpas contrôlées par des opioïdes forts. La douleur des mucites, bien que non spécifique au can-cer ORL, est plus fréquente et plus sévère et la prévention et le traitement restent encore maldéfinis. Celles des nécroses post-radiothérapiques (mandibule, cartilage laryngé. . .) sont moinsfréquentes, tardives et extrêmement sévères. Les douleurs cervicales et de l’épaule sont pré-sentes chez plus d’un tiers des patients et de mécanismes multiples (myofasciale articulaire).Elles sont secondaires à la radiothérapie, à la chirurgie (lésion de la XIe paire crânienne lors descurages, reconstruction par lambeau). Enfin, la douleur coexiste avec les perturbations des fonc-tions essentielles (parole, déglutition...) et le handicap générés par les traitements. La priseen charge globale de la douleur, de la souffrance et de l’impact psychosocial est essentielle.© 2009 Publie par Elsevier Masson SAS.

KEYWORDS Summary The standards of pharyngolaryngeal tumor treatment have changed over the years

Orofacial cervical and in an attempt to prevent laryngeal mutilation (partial surgery, endoscopic surgery, sequentialradiotherapy, and chemotherapy). Pain induced by these treatments is frequent and varies

shoulder pain;

Cancerpost-treatment;Neuropathic;Myofascial

from one treatment to another. Chemoradiotherapy induces less pain but often more severepain, since 20% of these situations are not controlled by strong opioids. Pain from mucositis,although nonspecific to otolaryngic cancer, is more frequent and more severe and preventionand treatment remain poorly defined. Pain from postradiotherapeutic necrosis (mandibula,laryngeal cartilage, etc.) is less frequent, delayed, and extremely severe. Cervical and shoulder

� Article déjà publié : Navez M.-L. Douleur des cancers ORL au stade des séquelles.nnales d’otolaryngologie et de chirurgie cervico-faciale 2007;124:S39—44.

Adresse e-mail : [email protected].

624-5687/$ — see front matter © 2009 Publie par Elsevier Masson SAS.oi:10.1016/j.douler.2009.01.008

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pain is present in more than one-third of patients and stems from a number of mechanisms(myofascial and articulatory). It is secondary to radiotherapy or surgery (XIth cranial nervelesions during curage or flap reconstruction). Finally, pain coexists with disturbances of basicfunctions (speech, swallowing, etc.) and the disability generated by treatments. Managementof pain, suffering, and the psychosocial impact is essential.© 2009 Published by Elsevier Masson SAS.

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La sphère ORL est le siège de fonctions essentielles pour lasurvie de l’individu (alimentation, respiration), mais aussipour sa vie de relation et de communication (la parole,le regard, la mimique). L’atteinte de cette sphère par lamaladie cancéreuse et l’altération de tout ou partie de cesfonctions justifient qu’elle soit individualisée. La douleurva alors s’inscrire d’emblée dans un tableau beaucoup pluslarge intégrant une atteinte sensorielle, psychique et socialedéfinissant le concept de douleur globale.

La douleur est souvent à l’origine de la découverte ducancer. Elle est décrite comme sévère dans plus de 50 % descas [1]. Ses causes sont multiples et liées, soit à une réci-dive dans 35 % des cas, aux séquelles des traitements dans30 %, d’étiologie mixte dans 25 % et inconnue chez 10 % despatients.

Associés à la douleur, l’atteinte esthétique,la dysphagie et les troubles salivaires sont lesplaintes les plus fréquemment rapportées et

rendent compte de la souffrance psychique etsociale de ces patients [1].

Douleurs séquelles de traitement curatifdu cancer ORL

Pendant longtemps la chirurgie radicale et la radiothérapieont été les standards de traitement des tumeurs pha-ryngolaryngées. Les douleurs secondaires étaient fonctionde l’importance du délabrement postchirurgical. Actuelle-ment, les progrès de la chirurgie partielle, endoscopiqueet ceux de la radiothérapie ont permis d’éviter la mutila-tion laryngée. La chimiothérapie (5FU—cysplatine et plusrécemment les taxanes) occupe une place de choix dansces stratégies de préservation et en cas de récidive localeou à distance. La radiochimiothérapie séquentielle (chimio-thérapie d’induction puis radiochimiothérapie) permet danscertains cas de sauver l’organe avec des résultats équiva-lents à la laryngectomie suivie de radiothérapie. La toxicitéaiguë de ces protocoles, en particulier avec le risque desurvenue de mucites, est élevée mais la toxicité tardive nesemble pas majorer [2].

Les différentes études [1—5] retrouvent une prévalencede la douleur variant entre 82 et 100 %. Dans la série de Chua

et al., 52 % des patients ont une douleur sévère avec une EVAsupérieure à 7 sur 10, 35 % de ces douleurs sont liées à unerécidive et 30 % secondaires aux traitements. Globalement,la prévalence des douleurs séquelles des traitements varieentre 20 [6] et 28 % [5].

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Le type et le mécanisme de ces douleurs sont variables.lles sont le plus souvent mixtes, à la fois nociceptives eteuropathiques, chez trois quarts des patients dans la sériee Vetch et al. [6], 10 à 15 % sont de mécanisme myofascial.a localisation de la douleur est cervicale et scapulaire (30 %es cas) et au niveau oromandibulaire (environ 50 %). Si 82 %es patients se plaignent de dysphagie douloureuse, 60 %’entre eux vont répondre aux analgésiques non opiacés.ssociée à cette douleur somatique, 87,5 % de patients fonttat d’une souffrance psychologique liée à l’altération desonctions de déglutition, du langage, de la ventilation et de’image corporelle.

La prévalence des douleurs séquellaires est fonction duype de traitement curatif proposé (Tableau 1). La chimio-adiothérapie comparée à la laryngectomie—radiothérapienduit 67 % contre 83 % de douleur sévère, mais les douleursostchimiothérapie sont souvent d’apparition plus précocet plus intense, puisque 20 % ne sont pas contrôlées par despioïdes forts contre 3 % seulement dans l’autre cas [7].es douleurs scapulaires sont essentiellement décrites aprèshirurgie oropharyngolaryngée avec curage. Ces séquellesouloureuses varient en fonction des traitements curatifs duancer ORL, mais équivalentes en termes d’altération de laualité de vie, elles sont détaillées dans le Tableau 1 [8,9].

Certains facteurs apparaissent comme déterminants dansa survenue de ces douleurs comme la présence ou non’une trachéostomie ou d’une gastrotomie, la réalisation’un curage ganglionnaire, l’association de différents trai-ements.

ouleurs neuropathiques

es douleurs neuropathiques, séquelles des traitements duancer ORL peuvent être secondaires à la chirurgie, à laadiothérapie ou à la chimiothérapie. Elles seront, soit foca-isées au territoire opéré ou irradié, soit distale et bilatéraleprès chimiothérapie [10].

Les douleurs focales intéressent essentiellement laégion cervicofaciale avec atteintes des branches du nerfrijumeau, le nerf glossopharyngien (IX), la branche du nerfaryngé supérieur ou le plexus cervical, plus rarement bra-hial.

La douleur neuropathique est décrite comme unerûlure, des dysesthésies, quelquefois des déchargeslectriques. L’examen clinique retrouve une zone

’hypoesthésie dans le territoire du nerf concerné,arfois une allodynie déclenchée par le frottemente la zone. Le patient pourra décrire des sensationsantômes, en particulier au niveau maxillaire. Un ques-ionnaire d’évaluation qualitative de la douleur avec
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92 M. Navez

Tableau 1 Principales séquelles douloureuses en fonction du traitement du cancer ORL [8,9].

Type de traitement Type de douleur Radiothérapie chirurgie plusou moins lambeau plus oumoins curage

Chimiothérapie

Oropharyngée Mucites Dysphagie MucitesDysphagie Dysphagie DysphagieDl neuropathique Si supérieure à 60 Gy Lésions nerveuses Atteintes distalesAtteinte musculocutanée Fibrose muscles

TrismusLambeau musculaireAtteinte XI, curage

Douleur dentaire, os cartilage Caries,ostéoradionécrosemandibule, articulationcostoclaviculaireCartilage laryngé

ArticulationtemporomandibulaireColonne cervicale

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Dysfonctions

ix items simples (brûlure, fourmillements, allodynie,ypoesthésie. . .) permet d’individualiser assez facilemente caractère neuropathique de la douleur [11].

Les douleurs peuvent être paroxystiques ou continues.u niveau cervical, l’entrapement du nerf transverse cervi-al (rameau de C3) est responsable de douleurs à type deécharges lors des mouvements du cou mettant en tensione nerf souvent comprimé par les éléments musculotendi-eux séquelles de la chirurgie (buccopharyngectomie avececonstruction, curage ganglionnaire) ou de la radiothérapieervicale.

Les douleurs continues à type de brûlures sont liées àes lésions de démyélinisation postchirurgicale ou post-adiothérapique dès que l’on a dépassé une dose de 60 Gy.lles sont décrites essentiellement au niveau du territoireandibulaire et mentonnier après buccopharyngectomie

t au niveau cervical lors de l’atteinte du plexus cervical12], la topographie est alors volontiers en hémipèlerine.e diagnostic différentiel avec une récidive locale, en par-iculier ganglionnaire, peut être difficile et doit faire appell’examen clinique et aux explorations paracliniques (ima-

erie, endoscopie). Le syndrome de Claude-Bernard-Horner,ié à l’atteinte du sympathique cervical lors de la dissectionhirurgicale, est témoin de l’atteinte plexique. Une foisésé, il est permanent et apparaît très tôt en postopératoire.a survenue tardive peut signifier une reprise évolutive [12].

L’atteinte du plexus brachial peut être secondaire àn envahissement tumoral de contiguïté ou à une évolu-ion ganglionnaire. Les racines hautes sont les premièrestteintes (C5—C6) avec une projection de la douleur auiveau du moignon de l’épaule [12].

Les douleurs neuropathiques distales bilatérales sontécrites après chimiothérapie (sels de platine et plusécemment taxol). Elles intéressent les extrémités avecne topographie dite en chaussette ou en gant. Elles sur-iennent, en général, après plusieurs cures de traitement.

Le traitement des douleurs neuropathiques associe les

ntiépileptiques (gabapentine et prégabaline), les antidé-resseurs tricycliques (amitriptyline) et plus récemmentertains inhibiteurs de la recapture de la sérotonine ete la noradrénaline (venlafaxine ou prochainement lauloxetine). Les douleurs neuropathiques focales et en

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Déglutition, parole, imagecorporelle

articulier celles ou les phénomènes d’allodynie sontrésents répondent aux traitements topiques proposés sousorme de compresse de lidocaïne, de crème Emla®, voiree préparation à la capsaïcine [13].

L’efficacité de ces traitements est évaluéepar la mesure du number need to treat (NNT,

nombre de patients à traiter pour obtenir 50 %d’amélioration) : la gabapentine a un NNT à 3,2,

les antidépresseurs tricycliques ont un NNTinférieur mais la tolérance de ces médicamentsest souvent médiocre et le risque d’arrêt pour

effets indésirables élevés.

ouleurs musculoarticulaires secondairesu traitement du cancer ORL

es douleurs séquellaires localisées à la région cervicale etcapulaire sont présentes chez plus d’un tiers des patients.es mécanismes sont multiples, neuropathique déjà évoqué,yofasciale liée à la fibrose post-radique ou lors des recons-

ructions par lambeaux myocutanés ; enfin, articulaire auiveau cervical, scapulaire ou temporomandibulaire [10].

La paralysie du nerf accessoire (XIe paire crânienne), nerfoteur des muscles trapèze et sternocléidomastoïdien, estécrite après lésion lors des dissections pour curage. La fré-uence et la sévérité de l’atteinte sont fonction du typee curage, plus importante dans les dissections postérolaté-ales (66 %) [9,14].

La douleur scapulohumérale est sévère, mécanique. Laêne fonctionnelle est importante, par déséquilibre de laeinture scapulohumérale. On assiste à une limitation de’abduction inférieure à 90◦, une chute de l’épaule, unécollement de l’omoplate. La douleur est liée à l’étirement

u muscle angulaire et au conflit sous-acromial pouvant réa-iser au maximum un tableau de capsulite rétractile [14].

Le type de dissection lors du curage va conditionnera douleur et la fonction cervicoscapulaire. Si la chirur-ie épargne le XI et est limitée dans le triangle postérieur

Page 4: Douleur des cancers ORL au stade des séquelles

Douleur des cancers ORL au stade des séquelles 93

Tableau 2 Séquelles liées à la radiothérapie dans les cancers tête et cou [21].

Durant radiothérapie (0 à6 semaines)

Après radiothérapie

Perte de goût Dès la dose de 10 GyDès la première semaine

De 6 à 70 semaines environMais hypoagueusie ou dysgeusierésiduelle

Hyposialie Apparition rapideIrréversibles des 25—40 Gy

Pendant plus de 3 moisHyposialie résiduelle++

Mucites+++ Dès 10 Gy De 6 à 10 semaines environDouleur+++ Dès la première semaineCaries dentaires Secondaires à l’hyposialie Fin et plusieurs mois après

radiothérapieDouleurTrismus

DouleurFin et plusieurs mois aprèsradiothérapie

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(stade IV, V), la fonction de l’épaule, la douleur, les sen-sations constrictives au niveau du cou et la qualité de viesont correctes. En revanche, le sacrifice du muscle sterno-cléidomastoïdien et du XI est responsable d’une altérationimportante de l’activité quotidienne corrélée au degré dedysfonction du membre supérieur et de l’abduction [14,15].

L’importance de cette dysfonction peut être évaluée àpartir de test d’abduction de l’épaule, une valeur infé-rieure à 90◦ est corrélée à l’importance de la douleur etde l’altération de l’épaule [16]. En revanche, on note peuou pas de corrélation entre les données électro-, myo- etneurographique et la qualité de vie [14]. Le sacrifice de laveine jugulaire et la radiothérapie complémentaire sont desfacteurs qui aggravent encore le pronostic douloureux etfonctionnel.

Le traitement est essentiellement rééducatif, entrepristrès précocement sous couvert d’antalgiques, associantniveau 1 et 2 le plus souvent, et anti-inflammatoires. Lebut est de maintenir une mobilité passive afin d’éviterune capsulite rétractile et une fibrose musculaire [9]. Lorsdes dysfonctions sévères, des orthèses ont été proposées[17]. Ce traitement peut être complété par des techniquesplus spécifiques comme les infiltrations des points triggermusculaire, du muscle angulaire [12], d’utilisation detoxines botuliques [18], voire de chirurgie de réinnervation.

Les douleurs après chirurgie de reconstruction sontprésentes chez un tiers des patients [19]. Elles sont leplus souvent mixtes, à la fois neuropathiques et mus-culoarticulaires. On décrit des douleurs cervicales liéesau remaniement du muscle sternocléidomastoïdien,comprimant les branches C2—C3, des douleurs à irra-diation postérieure ou scapulohumérale secondaires auxattitudes vicieuses comme les torticolis et aux contracturesdouloureuses des lambeaux myocutanés [12].

Les douleurs de l’articulation temporomandibulaire(ATM) se rencontrent essentiellement au décours des

buccopharyngectomies, des hémimandibulectomies ou desradiothérapies dont le champ recoupe les ATM. Ces douleursarticulaires et myofasciales sont sourdes, quotidiennes,accompagnées d’un trismus douloureux. Leur topographieest homolatérale en cas de radiothérapie, controlatérale

bp

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Plusieurs mois et années aprèsradiothérapie

ans les hémimandibulectomies. Les facteurs aggravantsont le stress, les troubles de déglutition, les excès d’usageandibulaire liés aux contractures et à la dysfonction, leéséquilibre de l’articulé dentaire. La prise en charge estssentiellement orthopédique et rééducative par le biaise prescription de gouttières, de rééquilibration et de soinsrthodontiques, l’usage de myorelaxant, voire d’infiltrationyofasciale ou articulaire d’analgésiques [20].

ouleurs séquelles des traitementsadiothérapiques

es douleurs secondaires à la radiothérapie sont fréquentest de survenue plus ou moins tardives [21] (Tableau 2).ertaines comme celles accompagnant les mucites ne sontas spécifiques du cancer ORL, mais leur prévalence eteur sévérité dans ce cas sont importantes. Dans une méta-nalyse réunissant 6181 patients traités pour cancer ORL,’incidence moyenne des mucites est de l’ordre de 80 %vec une sévérité de grade 3 à 4 chez 56 % de patients trai-és par radiothérapie fractionnée, 34 % par radiothérapieonventionnelle et 43 % par radiochimiothérapie. Chez 16 %es patients une hospitalisation pour mucite grave a étéécessaire et chez 11 % le traitement a dû être suspendu22]. Le traitement des mucites a fait l’objet de plusieurstudes, souvent non contrôlées et avec de petits effectifse patients. Des protocoles variés sont proposés compor-ant pour la plupart des bains de bouche (chlorhexidine,olividone iodée), la lidocaïne, les boissons glacées, desasers basse fréquence. Les agents (benzydamine, sucral-ate, suspension d’aluminium hydroxide suspension) ne seont pas montrés plus efficaces que le placebo. Une revueécente de la littérature, à propos de 24 études contrôléesegroupant 1292 patients [23], fait état de seulement troistudes faiblement positives avec l’allopurinol en bains de

ouche, la vitamine E, les immunoglobulines ou les extraitslacentaires.

Les morphiniques restent le standard du traitement dea douleur des mucites. Dans les formes sévères, elle estdministrée sous mode analgésie autocontrôlée. L’efficacité

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être confirmée, ainsi que la morphine en topique [24].a prévention de la mucite est essentielle en raison de sonmpact sur le risque infectieux, la qualité de vie et la pour-uite du traitement curatif, mais là encore les protocolesroposés n’ont pas fait preuve d’efficacité [25].

L’incidence des nécrosespost-radiothérapiques lors du cancer ORL varie

entre 5 et 15 %, dont 2 % considérées commesévères.

Elles intéressent surtout la mandibule (86 patientsur 3157 irradiés [26], le cartilage laryngé (16 chondritesaryngées sur 3157 patients), l’os hyoïde et l’articulationternoclaviculaire. L’atteinte de la base de crâne est plusare mais extrêmement douloureuse [27]. Les facteurséterminants sont la proximité tumorale de l’os, l’état de laentition, le type et les doses de traitement, la poursuite de’intoxication alcoolotabagique, le statut nutritionnel [28].es douleurs sont au premier plan intense et surviennent lelus souvent tardivement à distance du geste initial faisantraindre la possibilité d’une récidive [26].

Le traitement est difficile et l’efficacité incertaine.l associe les opioïdes forts et les techniques de blocsnalgésiques du nerf mandibulaire. Il est souvent néces-aire de proposer des gestes de propreté sous formee débridements ou d’exérèses chirurgicales. L’oxygèneyperbare est réservé aux radionécroses sévères aprèsémimandibulectomie ou sur des cavités dentaires aprèsxtraction sur terrain irradié [29].

ouffrance secondaire aux perturbationses fonctions essentielles comme laysphagie, la dyspnée, les troubles de laoix, la dysmorphie faciale

lusieurs études se sont intéressées à la qualité de vie etl’impact psychosocial du handicap généré par les traite-ents. Globalement, les laryngectomies induisent plus deifficulté à parler (voix de mauvaise qualité dans deux tierses cas), de dysfonction cervicoscapulaire, tandis que lahimioradiothérapie donne plus de douleur, de difficulté àvaler [3,30].

La dysphagie est fréquente (42 % de laryngectomisés, 50 %e pharyngectomisés) et sa sévérité est corrélée étroite-ent avec le niveau de qualité de vie, d’anxiété et deépression [31]. La dysphagie peut s’accompagner de dou-eur plus ou moins importante et aggraver les troubles deéglutition, voire empêcher toute alimentation [31]. La dif-culté à manger affecte non seulement notre état physique,ais également mental aboutissant à l’isolement social. La

rise en charge est éducative et rééducative (orthopho-ie). La mise en place prolongée des sondes d’alimentationst de mauvais pronostic et les capacités de coping et’autogestion par le patient sont essentielles à mettre enuvre [30].

M. Navez

La dysmorphie cervicofaciale est secondaire à l’exérèseandibulaire, à la trachéostomie, aux gestes de reconstruc-

ion, à l’œdème facial aggravée parfois par l’hypersalivationauséabonde. Elle affecte l’image de soi et conduit au repliocial et à la dépression [32]. La prise en charge globale dea douleur et de la souffrance est essentielle [3,14].

Enfin, les troubles de la voix vont affecter les relationsociales et familiales du patient et les rapports avec sonntourage. Ces troubles sont variables et fonction du typee laryngectomie, partielle ou totale, du statut psychosocialntérieur du patient [33].

La prise en charge de la souffrance psychologique liée auxéquelles du traitement est essentielle et multimodale. Ellessocie une réhabilitation des fonctions de déglutition, dea dysphonie, des difficultés de communication, de la modi-cation du schéma corporel. Elle doit comporter un voletééducatif spécifique (orthophonie) et psychocomportemen-al afin d’éviter au patient l’isolement, le repli sur soi, laerte de l’estime de soi et la dépression [34].

Le cancer ORL impose des traitements curatifs associanthirurgie, radiothérapie, chimiothérapie avec des risquesatrogènes importants. Les douleurs séquelles de ces trai-ements sont fréquentes, sévères et de mécanismes mixtesnociceptif, neuropathique, myoarticulaire). Leur retentis-ement sur la qualité de vie est important. Le diagnostictiologique de la douleur est essentiel afin de ne pas mécon-aître une possible récidive néoplasique. La prise en chargee ces douleurs demande une stratégie de repérage et’évaluation très précoce afin de mettre en place un traite-ent adapté qui va selon le cas associer des antalgiques, desédicaments à visée antineuropathique, mais égalementes thérapeutiques rééducatives, voire psychocomporte-entales.

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Douleur des cancers ORL au stade des séquelles

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