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UNIVERSITE PARIS-DAUPHINE Licence de Management des organisations Droit des sociétés © A.-S. DALLEMAGNE – 2013/2014 DROIT DES SOCIETES - INTRODUCTION Tout projet d’entreprise nécessite de choisir un statut juridique qui a vocation à l’encadrer. L’entreprise est une notion économique. Elle est définie comme une unité économique qui implique la mise en œuvre de moyens humains et matériels de production ou de distribution des richesses et qui repose sur une organisation préétablie. De plus, l’entreprise exerce une activité économique lucrative, c’est à dire qu’elle a pour but de réaliser des bénéfices. On parle donc d’entreprise commerciales, agricoles, artisanales, ou encadrant des professions libérales. Mais, cette notion d’entreprise n’a pas de reconnaissance directe en droit français même si dans le langage courant, elle est souvent synonyme de sociétés. Derrière la notion économique d’entreprise se cache, en droit, soit une personne morale, (par exemple, une société), soit une personne physique, (un entrepreneur individuel). La question est alors celle de savoir si l’initiateur du projet souhaite opter pour le statut de commerçant ou créer une nouvelle personnalité juridique. La question en droit français est celle de savoir si pour exploiter l’entreprise, une nouvelle personne juridique est spécialement créée ou si cette entreprise sera exploitée par la personne physique. * On parle d’entreprise individuelle lorsqu’elle est exploitée par une personne physique (un artisan, un commerçant, un professionnel libéral). Le patrimoine de l’entrepreneur et celui de l’entreprise sont alors confondus. Ces entreprises représentent 53 % du parc des entreprises. Ex : un médecin, un agriculteur, un artisan (plombier) * On parle d’entreprise sociétaire ou de société si l’entreprise est exploitée par une personne morale (une société) : La personne qui exploite la société et ladite société ont donc deux personnalités juridiques distinctes et donc deux patrimoines distincts. Ex : Total / Rhône-Poulenc. Conclusion, l’entreprise n’existe pas en tant que telle en droit. L’entreprise n’est pas un sujet de droit. Elle n’a pas la personnalité juridique. Seule la personne physique ou la société, personne morale nouvelle ont une existence en droit français. Il se pose donc une question de choix. Ce choix, c’est celui du statut juridique le plus adapté pour exploiter une entreprise. Or, ce choix est important car à chacun de ces choix correspond des règles juridiques spécifiques. On dit qu’à chacune des qualifications correspondent un régime juridique particulier.

Droit Des Sociétés - 2013-2014 - Introduction 1

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Introduction au droit des sociétés

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UNIVERSITE PARIS-DAUPHINE Licence de Management des organisations Droit des sociétés

© A.-S. DALLEMAGNE – 2013/2014

DROIT DES SOCIETES - INTRODUCTION

Tout projet d’entreprise nécessite de choisir un statut juridique qui a vocation à l’encadrer.

L’entreprise est une notion économique. Elle est définie comme une unité économique qui implique la mise en œuvre de moyens humains et matériels de production ou de distribution des richesses et qui repose sur une organisation préétablie. De plus, l’entreprise exerce une activité économique lucrative, c’est à dire qu’elle a pour but de réaliser des bénéfices. On parle donc d’entreprise commerciales, agricoles, artisanales, ou encadrant des professions libérales.

Mais, cette notion d’entreprise n’a pas de reconnaissance directe en droit français même si dans le langage courant, elle est souvent synonyme de sociétés. Derrière la notion économique d’entreprise se cache, en droit, soit une personne morale, (par exemple, une société), soit une personne physique, (un entrepreneur individuel).

La question est alors celle de savoir si l’initiateur du projet souhaite opter pour le statut de commerçant ou créer une nouvelle personnalité juridique. La question en droit français est celle de savoir si pour exploiter l’entreprise, une nouvelle personne juridique est spécialement créée ou si cette entreprise sera exploitée par la personne physique.

* On parle d’entreprise individuelle lorsqu’elle est exploitée par une personne

physique (un artisan, un commerçant, un professionnel libéral). Le patrimoine de l’entrepreneur et celui de l’entreprise sont alors confondus. Ces entreprises représentent 53 % du parc des entreprises. Ex : un médecin, un agriculteur, un artisan (plombier)

* On parle d’entreprise sociétaire ou de société si l’entreprise est exploitée par une personne morale (une société) : La personne qui exploite la société et ladite société ont donc deux personnalités juridiques distinctes et donc deux patrimoines distincts. Ex : Total / Rhône-Poulenc. Conclusion, l’entreprise n’existe pas en tant que telle en droit. L’entreprise n’est pas un sujet de droit. Elle n’a pas la personnalité juridique. Seule la personne physique ou la société, personne morale nouvelle ont une existence en droit français.

Il se pose donc une question de choix. Ce choix, c’est celui du statut juridique le plus adapté pour exploiter une entreprise. Or, ce choix est important car à chacun de ces choix correspond des règles juridiques spécifiques. On dit qu’à chacune des qualifications correspondent un régime juridique particulier.

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Le choix est d’ordre juridique, financier et fiscal. - des arguments financiers : si le projet d’entreprise est ambitieux, la fortune

d’une personne physique peut ne pas suffire. La société permet alors d’obtenir des crédits bancaires ou, s’il s’agit d’une société anonyme, de faire appel public à l’épargne. Le choix du statut est donc important puisque cet appel public à l’épargne n’est pas possible pour une structure autre qu’une société anonyme, par exemple. - des arguments fiscaux : le régime fiscal est différent selon le statut choisi : impôt sur le revenu ou impôt sur les sociétés. Une liberté de choix du régime fiscal applicable existe pour certains statuts ; pour d’autres, la loi impose un régime fiscal donné. Ces règles relèvent du droit fiscal.

- des arguments juridiques : la question est celle de savoir s’il faut ou non créer une personne morale distincte titulaire d’un patrimoine et des droits et des obligations qui lui sont attachés. Cet argument juridique doit se comprendre au regard des règles qui gouvernent le patrimoine.

Le patrimoine répond au principe d’indivisibilité et d’unicité ce qui signifie

qu'on ne peut séparer certains éléments du patrimoine de l'ensemble auquel ils appartiennent, pour qu’ils constituent une nouvelle universalité juridique séparée. Toute personne n’a qu’un seul patrimoine. Autrement dit, une personne ne peut scinder son patrimoine pour en créer plusieurs : le patrimoine est indivisible et unique. De plus, dans la théorie classique, le patrimoine en ce qu’il est indissociable de la personne est nécessairement rattaché à une personne : il n’est pas non plus possible de scinder le patrimoine pour créer une masse de biens qui serait détachée de toute personne, qui serait affectée à un but. Cette règle présente des inconvénients importants : puisque l’ensemble des biens répond de l’ensemble des dettes au sein du patrimoine, son titulaire ne peut en mettre à l'abri aucun; le commerçant individuel, le membre d'une profession libérale exerçant individuellement ou l'agriculteur ne pourra pas isoler son patrimoine personnel de ses dettes professionnelles.

Le seul moyen d'échapper à cette règle sévère consiste à créer une nouvelle personne juridique (une personne morale) qui sera elle-même titulaire d'un patrimoine, qu'il s'agisse d'une société civile ou commerciale régulièrement immatriculée au registre du commerce et des sociétés, d'une association régulièrement déclarée, d'un groupement d’intérêt économique également immatriculé.

Par exception à cette règle, le droit français par une loi du 15 juin 2010, sur le modèle du trust anglais, a introduit la faculté pour une personne physique de séparer son patrimoine en deux masses distinctes, sans que ne soit créée une nouvelle personne juridique. La loi permet la reconnaissance d’un véritable « patrimoine professionnel », à travers le régime juridique de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL). Ainsi par une simple déclaration d’affectation, l’entrepreneur doit faire mention de l’objet de l’activité professionnelle à laquelle le patrimoine est affecté. Il est composé des biens nécessaires à l’activité professionnelle (en cas de litige, le juge est saisi et apprécie souverainement le caractère nécessaire ou non des biens à l’activité professionnelle). S’ajoute aux biens nécessaires, les biens que l’entrepreneur a décidé d’affecter à son activité professionnelle (manifestation de volonté de l’entrepreneur).

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Avant une présentation rapide les différentes formes sociales qui forment la matière du droit des sociétés (chapitre 2), il est donc important de comprendre en quoi consiste le statut de commerçant (chapitre 1).

Chapitre 1 : La personne physique commerçante

Aux termes de l’article L. 121-1 C. Commerce : « sont commerçants ceux qui exercent des actes de commerce et en font leur profession habituelle ». La qualité de commerçant requiert le cumul de trois conditions :

� Le commerçant est celui qui fait des actes de commerce. Il existe trois types d’actes de commerce : - Les actes de commerce par nature : (article L. 110-1 C. commerce) * La loi répute acte de commerce : tout achat de bien meuble ou immeuble pour les revendre ; tout entreprise de location de meubles ; toutes opération de banque publique… La liste n’est pas exhaustive. * Plusieurs conditions doivent être réunies : - La spéculation : la recherche d’un bénéfice. Ce qui permet de distinguer l’acte de commerce de l’acte à titre gratuit ou de l’activité civile. - La répétition : Il n’y a pas d’acte de commerce isolé. Ces actes doivent être répétés, renouvelés. - L’activité du commerçant doit être exercée à titre principal et de façon indépendante (le commerçant agit en son nom personnel / le commerçant n’est ni VRP, ni salarié). L’artisan n’est pas commerçant. - Les actes de commerce par accessoire : Les actes faits par un commerçant pour les besoins et à l’occasion de son commerce deviennent commerciaux par accessoire. Il s’agit d’une présomption simple dont la preuve contraire peut être rapportée par tous moyens. - Les actes de commerce par la forme : Seul exemple : la lettre de change.

� Le commerçant doit remplir certaines conditions :

* Le commerçant doit être capable. Les incapables ne peuvent être commerçants en raison du risque encouru. Ainsi, les mineurs mêmes émancipés ne peuvent être commerçants.

* Le commerçant étranger : s’il est ressortissant de l’UE, il est traité comme les ressortissants nationaux. A défaut, il faut voir s’il existe une convention

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internationale et sous réserve de réciprocité. L’étranger doit alors demander une carte de commerçant étranger.

* Certaines activités commerciales sont interdites car contraire à l’ordre public (commerce de stupéfiants et d’absinthe, produits dangereux, corps humain) ou réglementées (pharmacie, débit de boissons, banque)

* Le commerçant ne peut pas cumuler certaines activités : il ne peut être un fonctionnaire, un officier ministériel, ou profession libérale. * Le commerçant ne doit pas avoir fait l’objet de certaines condamnations pénales ou fiscales (garantie de bonne moralité des affaires). * Le commerçant marié : les époux peuvent chacun exercer une activité commerciale distincte. Mais, le conjoint du commerçant peut aussi travailler avec le commerçant et dans ce cas, il peut avoir différents statuts. - conjoint collaborateur : il participe effectivement à l’activité commerciale de l’époux sans être rémunéré et sans exercer une autre activité. Il n’a pas la qualité de commerçant mais il est présumé avoir mandat pour agir au nom du conjoint commerçant pour accomplir des actes d’administration. - conjoint salarié : il est salarié du conjoint commerçant (il perçoit un salaire égal au SMIC / la législation du travail lui est applicable). - conjoint associé : associé au sein d’une société. Il dispose des droits de contrôle, d’administration, et de participation aux bénéfices.

� La qualité de commerçant entraîne l’application d’un régime juridique spécifique.

* Les obligations qui pèsent sur le commerçant : - Le commerçant doit s’inscrire au registre du commerce et des sociétés. Cette inscription crée une présomption de la qualité de commerçant et entraîne l’application de l’ensemble des droits et obligations liés au statut de commerçant. - Le commerçant doit tenir une comptabilité : elle permet de connaître la situation économique et financière de l’entreprise. Elle constitue un instrument de preuve pour les salariés, les clients ou les fournisseurs. - Le commerçant est obligé fiscalement : l’obligation fiscale varie selon qu’il s’agit d’une personne physique ou morale. L’entreprise est assujettie à la TVA et à la taxe professionnelle.

* L’application des règles de droit commercial - Règles applicables au règlement des litiges : - Spécificité des règles de compétence pour résoudre un litige : compétence des tribunaux de commerce pour les litiges entre commerçants. Possibilité de recourir à l’arbitrage pour régler les différends. Cette faculté peut être prévue dans le contrat (clause compromissoire).

- Preuve libre.

- Application de la procédure de redressement judiciaire :

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- Soit règlement amiable, soit la procédure de redressement judiciaire (procédure de sauvegarde des entreprise (maintien de l’activité et apurement du passif) / liquidation). - Application de certaines règles particulières : - La solidarité est présumée : les codébiteurs d’une obligation sont tenus de payer l’ensemble de l’obligation si le débiteur en demande le paiement. - La prescription extinctive est de dix ans : elle libère le débiteur du fait de l’inaction du créancier.

Les règles applicables aux commerçants sont très contraignantes. Par une réforme récente, le législateur, dans le but de relancer l’activité économique a assouplit et facilité la création d’entreprise individuelle par la création d’un nouveau régime : l’auto-entrepreneur.

Ce régime a été institué par la loi de modernisation de l’économie (LME) du 4 août 2008 et est entré en vigueur le 1er janvier 2009. Il permet de créer sa propre activité en parallèle ou non de son activité principale et permet ainsi à toute personne physique le cumul d’activités et le cumul de revenus. Il s’adresse donc à toute personne physique qui souhaite développer une activité professionnelle indépendante à titre complémentaire ou principal dans le but d’augmenter ses revenus.

Chapitre 2 : Présentation des différentes formes sociales

Les formes sociales sont très nombreuses. La personne qui souhaite organiser son

activité sous forme de société a donc un choix très étendu. Pour choisir la forme adaptée et pour bien comprendre les différentes règles du

droit des sociétés, il convient de comprendre 3 classifications : 1) La distinction entre les sociétés à risque illimité et les sociétés à risque limité. Dans les sociétés à risque illimité : les associés sont responsables des pertes de la

société sur leur propre patrimoine. Dans les sociétés à risque limité, la responsabilité des associés est limitée à leurs

apports. 2) La distinction entre les sociétés de personnes et les sociétés de capitaux: Les sociétés de personnes sont des sociétés où les associés s'unissent en

considération de leur personnalité, parce qu'ils se font mutuellement confiance. L'intuitus personae est donc prédominant. Dès lors, les parts d'un associé ne peuvent être cédées qu'avec le consentement unanime des autres et les événements affectant la personne de l'un d'eux, tel un décès, une incapacité ou la faillite, mettent fin en principe à la société même.

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Les sociétés de capitaux sont celles où la personnalité des associés est indifférente. Les associés ne se connaissent généralement pas et par conséquent peuvent céder librement leurs parts. Par ailleurs, les événements graves les affectant demeurent sans incidence sur le sort de la société.

3) La distinction entre les sociétés faisant appel public à l'épargne ou ne faisant pas appel public à l'épargne.

Lorsqu'une société fait appel public à l’épargne, elle tente de se financer en essayant d'attirer des associés très nombreux.

Par exemple, les sociétés cotées en bourse sont des sociétés qui ont fait appel public à l’épargne. En plus du droit des sociétés, ces sociétés sont soumises au droit boursier.

Les sociétés de personnes Les sociétés de capitaux

- La société civile - La société en nom collectif (S.N.C) - La société en nom commandite simple.

� Les associés s’unissent en considération de la personne ; « l’intuitu personae » est déterminant.

� Il ne peut y avoir cession des parts sauf consentement de tous les associés.

� Les associés de la S.N.C ont la qualité de commerçants.

� Leur responsabilité est solidaire et indéfinie.

- La société anonyme (S.A), la société par actions simplifiée (S.A.S)…

� La personne de l’associé est indifférente (les associés ne se connaissent généralement pas).

� Les droits des associés sont représentés par des titres librement négociables.

� Les associés d’une S.A n’ont pas la qualité de commerçant.

� Leur responsabilité est limitée au montant de leur apport.

Un type mixte : la société à responsabilité limitée (S.A.R.L). � Les associés de S.A.R.L. ne supportent les pertes que jusqu’à concurrence de

leur apport. � Les parts sociales ne sont pas négociables mais cessibles. Depuis 1985, il existe l’E.U.R.L. (entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée)