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Droits intellectuels et concurrence ... - droit-eco-ulb.be · droit d’auteur et des matières apparentées à celui-ci (songeons à la problématique ... une licence d’exploitation

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Annuaire des Pratiques du commerce & Concurrence 2007,

Kluwer, 2008, pp. 489-501

Droits intellectuels et concurrence déloyale –

Copie de rosaces ou de kayaks : Halte à la dérive ! par Andrée Puttemans

professeure ULB et KUB, avocate

Note sous Liège, 11 mai 2007

1. Contexte. Si le dernier quart du XXe siècle a vu triompher le droit de la propriété intellectuelle (consécration de droits nouveaux1 ; création de nouveaux titres unitaires de propriété intellectuelle2; efforts d’harmonisation européenne3 et

1 Les droits voisins des artistes, des producteurs de disques et de films ou encore des organismes de radiodiffusion ; le droit sui generis des producteurs de bases de données, le droit sur les topographies de produits semi-conducteurs, etc. 2 Marques et modèles communautaires. Le brevet communautaire, quant à lui, reste toujours en chantier et l’avancement des travaux achoppe sur deux points : la question des traductions et celle du partage des annuités entre les différents offices nationaux. 3 Par la voie de très nombreuses directives dans tous les domaines de la propriété intellectuelle (voyez : http://ec.europa.eu/internal_market/copyright/index_fr.htm et http://ec.europa.eu/internal_market/indprop/index_fr.htm).

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mondiale4, etc.), les interrogations se multiplient, en ce début du XXIe siècle, quant à la compatibilité de cette extension du champ de l’exclusivité avec l’intérêt général. La question se pose à des degrés d’intensité variables dans le domaine des brevets (en particulier, à propos de l’accès aux médicaments et autres techniques essentielles en matière de santé et de bien-être), dans celui du droit d’auteur et des matières apparentées à celui-ci (songeons à la problématique de la copie privée et de la libre circulation des connaissances5 mais aussi à celle des 'facilités essentielles', théorie d’origine américaine qui a pour effet, dans certains cas, de forcer une entreprise en position dominante à octroyer à un tiers une licence d’exploitation ou d’usage de ses droits exclusifs6 – rien n’exclut du reste que cette théorie trouve à s’appliquer dans les autres sphères de la propriété intellectuelle) mais aussi en matière de marque (incidence de l’intérêt général sous la forme d’un 'impératif de disponibilité'7). Il s’entend bien qu’une fois délimité le champ de la protection exclusive compatible avec l’intérêt général, il convient d’accorder au titulaire du droit – voire aux tiers8 – une action prompte et efficace pour lutter contre les atteintes à ce droit. Tel est l’objectif de la directive 2004/48 sur le respect des droits de propriété intellectuelle9 et des lois belges de 2007 relatives à la répression, civile et pénale, de la contrefaçon10. Il paraît tout aussi légitime de considérer que ce

4 Accord ADPIC (Accord relatif aux aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, y compris le commerce des marchandises de contrefaçon – en anglais : 'TRIPs Agreement' –, formant l'Annexe 1 C de l'Accord instituant l'Organisation mondiale du commerce, conclu à Marrakech le 15 avril 1994). 5 Voyez à ce propos le Livre Vert sur 'Le droit d’auteur dans l'économie de la connaissance', présenté le 16 juillet 2008 par la Commission européenne, COM(2008) 466/3. 6 Voyez les arrêts Magill (CJCE, 6 avril 1995, RTE et ITP, C-241/91 et C-242/91, Rec. p. I-743), IMS Health (CJCE, 29 avril 2004, C-418/01, Rec. p. I-5039) et Microsoft (TPI, 17 septembre 2007, T-201/04, Rec. p. II-1491). 7 CJCE, 4 mai 1999, Windsurfing Chiemsee, Rec. I-2779 ; Ing.-Cons., p. 330 ; 8 avril 2003, Linde e.a., C-53/01 à C-55/01, Rec. p. I-3161 ; 6 mai 2003, Libertel, C -104/01, Rec. p. I-3793 ; 10 avril 2008, Adidas c. Marca Mode (II), C-102/07, non encore publié

au Recueil. 8 Le tiers qui respecte les droits intellectuels d’autrui subit en effet une concurrence déloyale de la part de son concurrent qui les méconnaît. 9 Directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO L 157 du 30.4.2004 ; rectifiée aux JO L 195 du 2.6.2004 et L 204 du 4.8.2007, p. 27). 10 Lois du 9 mai 2007 'relative aux aspects civils de la protection des droits de propriété intellectuelle' (MB, 10 mai 2007, p. 25704 ; Erratum, 15 mai 2007, p. 26677), en vigueur depuis le 10 mai 2007 ; du 10 mai 2007 'relative aux aspects de droit judiciaire de la protection des droits de propriété intellectuelle' (MB, 10 mai 2007, p. 25694 ; Erratum, 14 mai 2007, p. 26121), en vigueur depuis le 1er novembre 2007, et du 15 mai 2007 'relative à la répression de la contrefaçon et de la piraterie de droits de propriété intellectuelle' (MB, 18 juillet 2007, p. 38734), entrée en vigueur le 1er octobre 2007. Voyez à leur sujet, pour un aperçu synthétique : A. PUTTEMANS, 'Chronique de législation. Droit privé belge', Centre de droit privé de l’ULB, JT, 2007, pp. 850 et s, n° 10 et JT, 2008, p. 206, n° 4 ; et pour un examen approfondi : C. DE MEYER, F. DE VISSCHER, M.-Ch. JANSSENS, P.

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champ de protection ne peut trouver à s’étendre, par l’application de dispositions générales, au-delà du champ d’exclusivité réservé au titulaire par le législateur. C’est dans ce contexte que s’inscrit le débat relatif au droit de copier des produits et prestations non protégés par un droit intellectuel, qui est au cœur de l’arrêt annoté ainsi que d’un arrêt prononcé deux semaines plus tard par la même chambre de la cour, à propos du surmoulage d’une forme de kayak11. 2. Les faits. La présente affaire mettait en présence la société Menchior & Fils, appelante et demanderesse originaire, laquelle crée, fabrique et commercialise des éléments décoratifs et notamment des moulures et rosaces, et une entreprise concurrente, la société Jans Gebroeders. La première reprochait à la seconde de vendre des moulures et rosaces ressemblant aux siennes, à un prix inférieur aux siens, et demandait le retrait de la vente de ces articles, aux termes d’une action en cessation fondée sur la LPCC, laquelle avait été rejetée par le premier juge. De l’exposé des faits, quelque peu décousu, relaté par la cour, il ressort que trois catégories d’éléments décoratifs invoqués à l’appui de la demande originaire peuvent être distingués dans cette affaire : tout d’abord, les rosaces n° 157 et 167 du catalogue de l’appelante, qui ont été copiées à l’identique par l’intimée (vraisemblablement par un surmoulage réalisé par un fournisseur italien à la demande de l’intimée) et commercialisées par celle-ci sous les numéros 909 et 910 de son catalogue ; ensuite, la moulure n° 30 de l’appelante, dont on retrouve les éléments qualifiés de spécifiques par l’expert entendu par la cour (formant un décor floral consistant en une feuille sous une autre feuille) dans la moulure numérotée 713 au catalogue de l’intimée ; enfin, toutes les autres moulures et rosaces dont l’appelante prétendait que l’intimée commercialisait des copies non identiques (ce qui paraît exclure un recours au surmoulage) et dont la cour relèvera, pour la plupart, qu’elles s’apparentent aux styles Louis XVI et Régence liégeoise, 'sans être de ces styles' et, pour l’une d’entre elles (la moulure n° 168 de l’appelante), qu’elle correspond à une rosace courante aux XVIIIe et XIXe siècles. 3. L’arrêt. Par l’arrêt annoté, la cour d’appel de Liège ordonne à l’intimée de retirer de la vente ses rosaces numérotées 909 et 910 (correspondant à la première catégorie décrite ci-dessus) et sa moulure n° 713 (deuxième catégorie ci-dessus) et déboute

MAEYAERT, B. MICHAUX, A. PUTTEMANS et Ch. RONSE in F. BRISON (ed.), Sanctions et

procédures en droits intellectuels – Sancties en procedures in intellectuele rechten, Larcier, 2008 ; B. MICHAUX et E. DE GRYSE, 'De handhaving van intellectuele rechten gereorganiseerd', RDC, 2007, pp. 623-648. 11 Liège, 25 mai 2007, ICIP-Ing.Cons., p. 635, infirmant Comm. Dinant (cess.), 18 mai 2004, DAOR, 2005, p. 66.

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l’appelante du surplus de sa demande (concernant la troisième catégorie d’éléments incriminés). S’agissant de la première catégorie, la cour observe que les rosaces incriminées sont 'un plagiat, dépouillées de tout apport personnel, de toute originalité. N’auraient-elles été qu’analogues à celles de l’appelante que leurs copies, même serviles, auraient peut-être été rendues acceptables en vertu du principe de la liberté de copie' ; elle retient aussi à leur propos le risque de confusion sans prendre en considération les différences présentées par les emballages des produits en présence car ce qui compte à ses yeux, dans ce domaine, c’est l’impact sur le public, lequel voit l’objet lui-même (en catalogue, salle d’exposition, vitrine ou photographie) et non son emballage. Des éléments de fait du dossier, la cour déduit une présomption grave de surmoulage à l’instigation de l’intimée, qu’elle qualifie pour cette raison de 'vendeur de mauvaise foi'. Selon la cour, l’intimée a commis ainsi un acte de concurrence parasitaire entraînant la diminution de la capacité de concurrence de l’appelante, et donc une faute à la norme générale de saine et loyale concurrence. La moulure n° 30, seule représentante de la deuxième catégorie, n’a pas été copiée à l’identique par l’intimée. La cour constate, en effet, que la moulure n° 713 de cette dernière présente un profilé global différent de la moulure n° 30 de l’appelante. Mais, se fondant sur les déclarations de l’expert, elle considère que les éléments qui ont été repris par l’intimée sont le fruit d’une création de l’appelante et ne s’apparentent à aucun élément décoratif antérieur. La cour en déduit que l’intimée s’est rendue coupable à la fois d’une contrefaçon (atteinte à un droit intellectuel) et d’un acte de concurrence déloyale, par appropriation des efforts de recherches et du travail de l’appelante. Les autres moulures et rosaces incriminées, regroupées dans la troisième catégorie, présentent des ressemblances avec certains articles de l’appelante sans être identiques à ceux-ci ; or la cour relève que l’expert a souligné la proximité de ces éléments décoratifs avec des styles anciens bien déterminés, ce qui la détermine à faire ici prévaloir le principe de la liberté de la copie. 4. Les fondements juridiques de l’arrêt. La cour ne constate expressément aucune infraction à la LPCC12 mais ses références à la 'norme de saine concurrence loyale' ne permettent pas le doute : c’est une violation de la norme générale de conformité aux usages honnêtes, prohibant la concurrence déloyale (longtemps portée par l’article 93, devenu récemment l’article 94/3 de la LPCC13), qui est retenue par la cour à la charge de l’intimée.

12 Alors que l’article 95 de la cette loi dispose que : 'Le président du tribunal de commerce constate l'existence et ordonne la cessation d'un acte, même pénalement réprimé, constituant une infraction aux dispositions de la présente loi'. 13 'Est interdit tout acte contraire aux usages honnêtes en matière commerciale par lequel un vendeur porte atteinte ou peut porter atteinte aux intérêts professionnels d'un ou de

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Par ailleurs, les allusions au droit de la propriété intellectuelle sont légion dans ce même arrêt. Dès la première phrase de celui-ci, la cour affirme que 'l’originalité est une des conditions pour jouir de la protection par le droit de la concurrence déloyale'. Plus loin, la Cour estime que des éléments décoratifs dépourvus de caractère artistique peuvent constituer des 'modèles' lorsqu’ils forment un 'pastiche' qui combine des éléments 'de façon à composer un ensemble nouveau, fruit du travail et du goût de son auteur'14. Ailleurs, à propos des moulures 30 de l’appelante et 713 de l’intimée, la cour juge que l’intimée s’est rendue coupable à la fois '[d’] une contrefaçon - atteinte à un droit intellectuel - et [d’] un acte de concurrence déloyale', considérant qu’il y a eu 'clairement appropriation fautive des éléments de recherches, d’études, d’efforts de travail manuel et intellectuel mis en œuvre par l’appelante'. Dans l’affaire des kayaks, deux semaines plus tard, la cour affirmera que le kayak Concerto de l’appelante 'présente un caractère novateur et une certaine originalité'15, tout en précisant que 'l’originalité – et la nouveauté – peut résulter de la combinaison d’éléments connus, non protégeables pris isolément, ainsi que de l’assemblage d’éléments en eux-mêmes dépourvus d’originalité exprimant la personnalité du créateur, l’ensemble ainsi obtenu se distinguant nettement d’autres modèles et ayant un cachet propre'. Elle appuiera ses dires d’une référence à deux arrêts fondés sur la violation du droit d’auteur portant sur des modèles non enregistrés16. Elle y précisera sa pensée aussi : 'Le fait qu’il n’y ait pas de droit intellectuel sur ce produit n’implique pas que tout soit permis. Ce serait oublier que le domaine des pratiques du commerce est précisément présent pour sanctionner des actes déloyaux, tels le parasitisme ou les copies illicites. La liberté économique, principe essentiel régissant le droit de la concurrence et des pratiques du commerce, est restreinte notamment par l’article 93 de la loi du 14 juillet 1991. L’action en concurrence déloyale peut être accueillie lorsque le copieur emprunte les idées, la conception et la présentation du modèle du demandeur en cessation. Le concurrent ne peut profiter du travail et du pouvoir créatif d’autrui. Ainsi, même si le surmoulage en tant que procédé de copie n’est pas interdit comme tel, il n’est plus seulement un simple procédé de copie lorsqu’en outre et en même temps, il devient un moyen commode de s’approprier sans vergogne les éléments d’imagination, de recherches, de sélections, d’études, d’efforts de travail manuel et intellectuel mis en œuvre, en vue de confectionner

plusieurs autres vendeurs'. Avant l’entrée en vigueur, le 1er décembre 2007, de la loi du 5 juin 2007 'modifiant la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l’information et la protection du consommateur' (MB, 21 juin 2007, p. 34272), cette norme était inscrite à l’article 93 de la LPCC. On la trouve, depuis cette date, à l’article 94/3 de la même loi (voyez à propos des modifications introduites dans la LPCC par la loi du 5 juin 2007 : A. PUTTEMANS, 'Chronique de législation. Droit privé belge', Centre de droit privé de l’ULB, JT, 2007, pp. 847-848, n° 2). 14 On retrouve exactement les mêmes expressions, sur ce point encore, dans l’arrêt des kayaks, précité. 15 Liège, 25 mai 2007, ICIP-Ing.-Cons., p. 635. 16 Bruxelles, 11 septembre 2001, Ing.-Cons., p. 404 et Gand, 12 juin 2003, Ing.-Cons., p. 385, obs. B. DOCQUIR.

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des moules et de préparer et réaliser la fabrication de copies serviles du modèle original. L’emploi de ce procédé, en permettant au contrefacteur d’économiser la recherche et la mise au point nécessaires en profitant sans bourse délier des efforts créatifs et commerciaux déployés par autrui et de s’assurer ainsi un prix de revient plus bas, constitue une concurrence fautive, distincte de la contrefaçon. Un tel comportement parasitaire entraîne la diminution de la capacité de concurrence du créateur du modèle original'. 5. Commentaire. Dans la livraison précédente de ce même Annuaire, P. De Vroede se demandait si la copie d’un produit ou d’une prestation non protégé(e) par un droit intellectuel ne devrait pas, dans certains cas, être considérée comme contraire aux usages honnêtes même en l’absence de toutes circonstances accompagnantes ('begeleide omstandigheden')17. Je ne le crois pas ; l’arrêt annoté me paraît illustrer les dangers d’une telle conception et les errements auxquels celle-ci pourrait conduire. Le principe de la liberté de copier et d’imiter les créations, innovations ou prestations d’autrui est unanimement admis ; il découle des principes de liberté du commerce (Décret d’Allarde) et de la concurrence (Traité CE, article 4, § 1er). Il se justifie en raison par le fait que toute activité humaine se fonde sur et reprend, au moins pour partie, les prestations antérieures. Le droit de la propriété intellectuelle fait exception à ce principe (les droits intellectuels sont ainsi décrits comme des îlots d’exclusivité dans un océan de libre concurrence18) mais non le droit de la concurrence déloyale. Celui-ci permet seulement de sanctionner les abus qui seraient faits de la liberté de copier. Ainsi que l’a joliment exprimé I. Verougstraete : 'La modestie et la réserve systématique dont doit faire preuve le juge éviteront que le juge ne se transforme excessivement en législateur de substitution'19. Or, le juge de l’action en concurrence déloyale qui interdit un acte de copie en tant que telle, en l’absence de toute atteinte à un droit intellectuel et de toutes circonstances déloyales accompagnantes, accorde ce faisant au copié une exclusivité qui n’a pas été voulue par le législateur, dont les conditions d’octroi sont tout à fait vagues – et même arbitraires – et qui n’est pas limitée dans le temps20. En quoi l’intérêt général serait-il servi par une telle jurisprudence ? Il paraît donc plus conforme à la raison et aux principes d’ordre public qui gouvernent notre système juridique et économique de considérer que, hors le cas

17 'Over het recht tot nabootsen', Ann. Prat. Comm. 2006, p. 448. 18 F. GOTZEN, 'De norm van de eerlijke gebruiken en de intellectuele rechten', in J. STUYCK et P. WYTINCK (ed), De nieuwe wet handelspraktijken, 1992, p. 263. 19 'La loi sur les pratiques du commerce : loi pour une société en mutation ?', in Liber

amicorum Aimé De Caluwé, 1995, p. 373, n° 10. 20 F. GOTZEN, op. cit., p. 264 ; J. STUYCK, 'Verwarring over aanhaking : bescherming van reclame-investeringen ? Enkele beschouwingen bij een drietal beslissingen over de (bijna) slaafse kopie van reclamefolders', RDC, 1992, p. 451.

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d’une atteinte à un droit intellectuel valable et toujours en vigueur, l’action en concurrence déloyale ne peut permettre de faire interdire une copie en tant que telle, fût-elle servile. Seules des circonstances accompagnant la copie peuvent être interdites si celles-ci sont contraires aux usages honnêtes en matière commerciale. Telle est, du reste, la position très généralement adoptée en doctrine et en jurisprudence21, en ce compris – en théorie du moins – dans l’arrêt annoté. En théorie seulement car, à l’examen, il apparaît que les circonstances prétendument accompagnantes (risque de confusion et concurrence parasitaire) découlaient de manière inévitable du seul fait de la copie, en sorte que leur interdiction équivaut à une interdiction de l’acte de copie en tant que telle22. En l’espèce, pareille interdiction se justifiait très vraisemblablement, mais sur un autre fondement : la violation des droits d’auteur du copié. Au moment où elle s’est prononcée, la cour d’appel de Liège ne pouvait toutefois pas, en tant que juge de la cessation saisi par application de la LPCC, prononcer une interdiction pour acte de contrefaçon car l’article 96 de cette loi, dans sa version en vigueur à ce moment, l’en empêchait23.

21 V. WELLENS, Doorwerking van de intellectuele rechten in de Wet Handelspraktijken, Larcier, 2007 ; A. PUTTEMANS, Droits intellectuels et concurrence déloyale, Bruylant, 2000. Voyez aussi en ce sens la résolution de la Ligue internationale du droit de la concurrence, adoptée au Congrès de Gand en septembre 2005, article I : 'L’action en concurrence déloyale, conformément à l’article 10bis de la Convention d’Union de Paris pour la protection de la propriété industrielle, peut offrir une protection additionnelle en dehors de la sphère de protection assurée par les lois spéciales de propriété intellectuelle et permettre la condamnation d’actes déloyaux, qu’ils accompagnent un acte de contrefaçon ou un usage licite' et article III : 'Le droit de la concurrence déloyale ne peut offrir une protection de substitution à la personne qui a négligé d’accomplir les formalités imposées pour faire naître en son chef un droit de propriété intellectuelle ou dont la création ou le signe ne remplit pas ou plus les conditions de fond permettant la protection d’un tel droit. L’application du droit de la concurrence déloyale ne peut aboutir à créer des droits de propriété intellectuelle'. 22 Voyez V. WELLENS, 'Doorwerking van het auteursrecht in de Wet Handelspraktijken', RDC, 2007, p. 594, n° 22, qui en appelle à une circonspection toute particulière lorsque la copie incriminée se situe dans la sphère du droit d’auteur (voyez aussi p. 592, n° 13 : 'Zo zal het ontbreken van één van de auteursrechtelijke beschermingsvoorwaarden, “originaliteit” en “concrete vormgeving”, zeer vaak tot gevolg hebben dat noch van verwarringstichting, noch van aanhaking sprake kan zijn'). 23 On se rappellera toutefois que cette disposition avait été fortement mise à mal par la Cour constitutionnelle (alors Cour d’arbitrage) par son arrêt du 9 janvier 2002 et d’autres arrêts subséquents (à ce propos : A. PUTTEMANS, 'Action en cessation, Cour d’arbitrage et droits intellectuels : d’où venons-nous, où en sommes-nous, où allons-nous ? ', RDC, 2002, pp. 812-818' ; 'Les nouvelles compétences en matière d’action civile pour atteinte aux droits intellectuels', in P. JADOUL et A. STROWEL (dir.), Nouveautés en matière

d'expertise et de propriété intellectuelle, Larcier, 2007, pp. 132 et s. , texte repris aussi dans : 'Les questions de compétence, de connexité et de cumul des actions en matière de propriété intellectuelle', in F. BRISON (ed.), Sanctions et procédures en droits intellectuels

– Sancties en procedures in intellectuele rechten, Larcier, 2008, pp. 124 et s.)

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Le risque de confusion. La cour d’appel de Liège a jugé établi le risque de confusion dans l’esprit du public entre les rosaces n° 909 et 910 de l’intimée et les rosaces n° 157 et 167 de l’appelante, dont elles sont la copie servile. Pourtant, on le comprend à la lecture de l’arrêt, les emballages respectifs des rosaces des deux parties n’étaient pas ressemblants et aucun autre élément extérieur aux rosaces elles-mêmes n’a été retenu pour établir le risque de confusion. La cour motive (très succinctement) son arrêt sur ce point en affirmant qu’il ne faut pas avoir égard, pour apprécier le risque de confusion, au produit emballé mais à l’objet lui-même, tel que présenté en catalogue, en salle d’exposition, vitrine, présentoir ou photographies. Aucun élément extrinsèque à la copie, distinct de celle-ci, n’est retenu ni même évoqué, qui permettrait d’établir le risque de confusion. Parmi ces éléments extrinsèques, on peut songer non seulement à un emballage prêtant à confusion mais aussi, par exemple, à une dénomination ou à un descriptif ou publicité du produit présentant ce caractère. En appréciant ainsi le risque de confusion entre les deux produits en présence, abstraction faite de tout leur environnement de vente (formé de leur emballage mais aussi de tous les autres éléments constitutifs du catalogue, de la salle d’exposition, de la vitrine ou du site Internet, où sont présentés les produits en question), la cour a déduit ce risque de la seule comparaison entre les produits eux-mêmes, en méconnaissance du principe de libre copie. 6. La concurrence parasitaire – Flux, reflux et flou. J’ai, ailleurs, évoqué les flux et les reflux de la théorie de la concurrence parasitaire dans la jurisprudence belge de même que le très grand flou qui entoure les conditions d’application de celle-ci24. De manière générale, cette théorie tend à englober dans la notion d’actes contraires aux usages honnêtes, car parasitaires, les actes par lesquels une entreprise tire indûment et directement profit d'importants efforts ou investissements d'autrui sans déployer de son côté pareils efforts ou investissements. Ce faisant, elle aboutit 'à la création d'un système de protection directe proche d'un droit de propriété intellectuelle, alors que le droit de la concurrence déloyale a en principe pour seule mission la protection de la concurrence elle-même et pour règle la liberté de copie'25. La doctrine belge se montre majoritairement très circonspecte à son égard26,

24 A. PUTTEMANS, Droits intellectuels et concurrence déloyale, op. cit., p. 237, n° 145 ; voyez dans le même sens : J. Stuyck, 'Vrijheid van mededinging en intellectuele rechten : praktische problemen in de grijze zone tussen verboden nabootsing en toegelaten kopie', op. cit., pp. 26 et s. ; G. LONDERS, 'Onrechtmatig imiteren, kopiëren en aanhaken', in Handelspraktijken anno 1996, J. STUYCK, (ED), 1996, pp. 187-210 ; M. Buydens, op. cit., spéc. pp. 710 et s.; R. VAN DEN BERGH, 'Parasitaire mededinging en art. 54 Wet Handelspraktijken', RW, 1978-1979, c. 1717-1720. 25 M. BUYDENS, op. cit., p. 753 ; Bruxelles, 8 décembre 2006, Ing.-Cons., 2007, p. 195 26 Voyez les références citées à la note 24 ; J. STUYCK, Handelspraktijken, in Beginselen

van Belgisch Privaatrecht, XIII Handels- en Economisch recht, 2. Mededingingsrecht, A,

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soulignant que le droit de la concurrence déloyale n'a pas pour but de protéger des efforts ou des investissements mais bien d'assurer le fonctionnement loyal du marché et qu'à ce titre, il ne peut servir à créer des monopoles d'exploitation en dehors des législations spécifiques sur la propriété intellectuelle27. Une copie – même servile – ne suffit pas en soi ; il faut un 'pillage systématique et caractérisé' de l’élément copié, rendant possible d’éviter de manière permanente tout effort créatif, effort de recherche ou investissement. Admettre que la simple copie servile constituerait un acte de concurrence déloyale reviendrait à accorder une protection similaire à celle que confèrent les droits intellectuels. Le fait qu'une copie servile soit faite sans nécessité n'est pas une circonstance déloyale extérieure à la copie, pas plus que le simple fait que le copieur tire un avantage de la copie (par exemple, en pratiquant le surmoulage et en s’épargnant ainsi les frais de la mise au point d’un prototype). La solution contraire aboutirait à réintroduire une interdiction de toutes les formes non protégées qui ne seraient pas banales ou standardisées28. L’arrêt annoté cite à cet égard un ancien arrêt de la cour d’appel de Bruxelles29 qui avait fondé un ordre de cessation pour acte contraire aux usages honnêtes, tout à la fois sur des faits de surmoulage de la majeure partie d’une gamme d’articles de vaisselle en étain et sur d’autres faits (comme la reproduction des poinçons du demandeur originaire) qui rendaient l’ensemble de la pratique trompeuse aux yeux des consommateurs. Le pourvoi formé contre cet arrêt fut rejeté par la Cour de cassation au motif que : 'par une appréciation souveraine des faits, […] l’arrêt attaqué a pu considérer ces agissements, envisagés dans leur ensemble, comme contraires aux usages honnêtes en matière commerciale […]'30. Ce même arrêt de la Cour de cassation, s’inscrivant sur ce point dans la droite ligne du célèbre arrêt Ça-va-seul 31 de la même Cour, énonça que 'l’usage d’un procédé, fût-il licite en soi, de reproduction d’objets sur lesquels n’existe aucun droit privatif découlant des droits de propriété industrielle, peut, d’après les circonstances qui l’entourent, constituer un acte contraire aux usages honnêtes en matière commerciale et devenir, partant, illicite'. Si cet arrêt de la Cour de cassation ne rejette pas expressément l’idée que le surmoulage serait, en soi, une pratique déloyale, il

Story-Scientia, 2e édition, 2004, pp. 173-175, n° 214. Contra : D. DESSARD, A. DE

CALUWÉ, Les usages honnêtes, Larcier, 2007, pp. 45 et s. 27 M. GOTZEN, Vrijheid van beroep en bedrijf en onrechtmatige mededinging, Larcier, 1963, II, pp. 270 et s., n° 915 et s. ; W. VAN GERVEN, Beginselen van Belgisch

privaatrecht, XII, Handels -en Economisch Recht, I, Ondernemingsrecht, p. 266, n° 3 ; M. BUYDENS, La protection de la quasi-création, Larcier, 1993, p. 720 ; Bruxelles, 8 décembre 2006, Ing.-Cons., 2007, p. 195 ; Gand, 19 avril 2004, Ann. Prat. Comm. Conc.

2004, p. 417, note V. WELLENS ; Liège, 18 mars 2003, RDC, 2004, p. 991 ; Bruxelles, 25 novembre 1995, RDC, p. 288 ; Bruxelles, 24 août 1995, Ann. Prat. Comm. 1995, p. 320. 28 Bruxelles (réf.), 24 août 1995, Ing.-Cons., 1996, p. 323, p. 335. 29 Bruxelles, 30 avril 1953, Ing.-Cons., 1953, p. 138. 30 Cass., 4 novembre 1954, Pas., 1955, I, 187 ; Ing.-Cons., 1954, p. 249; JT, 1955, p. 330, note Th. SMOLDERS. 31 Cass., 16 mars 1939, Pas., I, p.150 ; Ing.-Cons., p. 55, concl. av. gén. L. Cornil. Voyez à son sujet : A. PUTTEMANS, Droits intellectuels et concurrence déloyale, Bruylant, 2000, pp. 179 et s., n° 115.

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transparaît clairement de celui-ci que seules des circonstances accompagnant une telle pratique peuvent être de nature à rendre celle-ci déloyale32. Afin de déterminer si les circonstances accompagnant la copie sont déloyales, dans l'hypothèse où elles n'engendrent aucun risque de confusion, de nombreux auteurs insistent sur la nécessité de prendre en considération le critère de l'intérêt général33, sous-jacent à la règle de conformité aux usages honnêtes en matière commerciale, et de s’en référer à la théorie générale de l'abus de droit34. Ainsi, selon I. Verougstraete, les agissements parasitaires ne tombent-ils sous le coup de la norme générale de conformité aux usages honnêtes que dans les cas où ils ne peuvent 'en rien servir l'intérêt général ou lorsque l'intérêt à protéger dépasse nettement en valeur l'intérêt de l'auteur de la pratique incriminée'35. Ceci rejoint la position défendue par J. Stuyck36. Selon ce dernier, l'acte de concurrence parasitaire ou 'accrochage concurrentiel' (en néerlandais : aanhaking) n'est rien d'autre que l'abus de la liberté de copier37. Et l'on ne peut conclure à pareil abus que dans des circonstances exceptionnelles, lorsque l'exercice de cette liberté de copier mène à une perturbation manifeste des conditions normales de la concurrence, ce qui suppose que la position concurrentielle de l'entreprise à laquelle on s'accroche soit atteinte en tant que telle. Concrètement, poursuit J. Stuyck, la copie sera abusive et donc déloyale si le vendeur tente de pénétrer ou de se maintenir sur le marché uniquement en s'appuyant sur les prestations d'autrui pour vivre à ses crochets. En aucun cas, le recours à cette notion ne peut permettre au juge de l'action en concurrence déloyale de pallier les carences du législateur en créant des droits exclusifs nouveaux ou additionnels se situant en dehors de la sphère de protection réservée par la loi aux droits intellectuels. Elle ne lui permet pas plus d'accorder à l'agent économique qui n'a pas accompli les formalités de protection

32 Th. SMOLDERS, obs. sous Cass., 4 novembre 1954, JT, 1955, p. 331; M. GOTZEN, op. cit., n° 914. Voyez aussi G. SCHRICKER, B. FRANCQ et D. WUNDERLICH, La répression de

la concurrence déloyale dans les Etats membres de la Communauté Economique

Européenne, t. II/1 - Belgique, Luxembourg, Dalloz, Paris, 1974, p. 407, n° 347. 33 Voyez : F. GOTZEN, 'De norm van de eerlijke gebruiken en de intellectuele rechten', op. cit., p. 263 ; N. DIAMANT, 'Sans détour : la copie (quasi)-servile de publicité est contraire aux usages honnêtes', RDC, 1992, p. 452. 34 V. WELLENS, Doorwerking van de intellectuele rechten in de Wet Handelspraktijken, Larcier, 2007, pp. 82 et s., n° 134 et s. 35 'La loi sur les pratiques du commerce : loi pour une société en mutation ?', in Liber

amicorum Aimé De Caluwé, 1995, p. 379, n° 17. Dans le même sens : G. LONDERS, 'Onrechtmatig imiteren, kopiëren en aanhaken', in Handelspraktijken anno 1996, J. STUYCK, (ed.), 1996, p. 205. 36 'Verkoopweigering en eerlijke handelsgebruiken', RDC, 1995, pp. 788-804. 37 'Vrijheid van mededinging en intellectuele rechten : praktische problemen in de grijze zone tussen verboden nabootsing en toegelaten kopie', op. cit., p. 34. Voyez aussi, du même auteur : Handelspraktijken, in Beginselen van Belgisch Privaatrecht, XIII Handels-

en Economisch recht, 2. Mededingingsrecht, A, Story-Scientia, 2e édition, 2004, pp. 173-175, n° 214.

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multiples, complexes et coûteuses, un résultat semblable à celui octroyé à l'agent qui s'est donné la peine de respecter ces formalités. L'effet réflexe des lois de propriété intellectuelle jouant pleinement son rôle de règle de fond38, la théorie de la concurrence parasitaire ne peut donc prendre place qu'en dehors de la sphère de protection des droits intellectuels, éventuellement à titre complémentaire. Comprise ainsi, une pratique parasitaire ne constitue un acte contraire aux usages honnêtes en matière commerciale que dans certains cas exceptionnels, lorsque le copieur se comporte comme une véritable sangsue, se nourrissant exclusivement ou principalement des forces vives (création, investissements, réputation,...) d'un concurrent ou d'un autre opérateur du marché39. L'aspect systématique et épuisant (pour le copié) de ces agissements forme en soi un acte contraire aux usages honnêtes, détachable du fait juridique du fait isolé d'une copie servile licite. Le retour à une plus grande rigueur en ce domaine devrait être favorisé par l’abrogation de l’ancien article 96 de la LPCC qui, en excluant le cumul des actions en contrefaçon et en concurrence déloyale, avait incité plaideurs et magistrats à méconnaître l’effet réflexe des lois de propriété intellectuelle pour ouvrir l’action en cessation en matière de contrefaçon, sous le couvert d’une action en concurrence parasitaire. 7. Les conséquences de l’abrogation de l’ancien article 96 de la LPCC. Jusqu’en octobre 2007, si le produit copié était protégé par un droit d’auteur, il ne pouvait faire l’objet d’une action en cessation fondée sur la loi sur les pratiques du commerce puisque l’article 96 de la LPCC excluait le cumul des actions en contrefaçon et en concurrence déloyale devant le juge des cessations commerciales40. Cependant, plusieurs techniques avaient été élaborées au fil du temps pour contourner cette interdiction, dont celle appelée 'théorie du filigrane', développée dans la sphère du droit d’auteur. Selon les tenants de cette théorie41, qui fut implicitement consacrée par un arrêt de la Cour de cassation à l’occasion d’une affaire Brantano

42, l'action en contrefaçon ne tend qu'à la protection de

38 Sur cette notion, voyez A. PUTTEMANS, Droits intellectuels et concurrence déloyale, Bruylant, 2000, pp. 13 et s. 39 A. PUTTEMANS, 'La loi sur les pratiques du commerce et les droits de propriété intellectuelle', in Merken en mededinging - Marques et concurrence, p. 257, n° 20. 40 Voyez à ce sujet A. PUTTEMANS, 'Les nouvelles compétences en matière d’action civile pour atteinte aux droits intellectuels', in P. JADOUL et A. STROWEL (dir.), Nouveautés en

matière d'expertise et de propriété intellectuelle, Larcier, 2007, pp. 132 et s. ; texte repris aussi dans : 'Les questions de compétence, de connexité et de cumul des actions en matière de propriété intellectuelle', F. BRISON (ed.), Sanctions et procédures en droits

intellectuels – Sancties en procedures in intellectuele rechten, Larcier, 2008, pp. 101-145. 41 Dont Ivan VEROUGSTRAETE fut l’un des artisans majeurs ; voyez en particulier: 'Droit d'auteur et pratiques du commerce', in Les journées du droit d'auteur, Bruylant, 1989, pp. 219-238. 42 Cass., 19 mars 1998, A&M, p. 229, note B. DAUWE.

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l'auteur tandis que l'action en concurrence déloyale a pour objet la protection de l'entreprise du vendeur contre des empiétements illicites qui seraient le fait d'autres vendeurs. Que ces empiétements prennent la forme d'une contrefaçon de droit d'auteur importe peu dans cette théorie car la contrefaçon n'apparaît qu’en arrière-plan, en filigrane, de l’action43. On a pu dire, au vu du texte de l’arrêt de la Cour44, qu’il suffisait de ne pas citer les mots 'contrefaçon' ni 'droit d’auteur' dans l’acte introductif d’instance pour échapper à l’interdiction du cumul des protections45. Il n’est pas impossible que l’arrêt annoté ait entendu faire une application implicite, et pour tout dire très obscure, de cette théorie pour condamner la moulure de la deuxième catégorie d’éléments incriminés (puisque la cour énonce à son propos que l’intimée s’est rendue coupable à la fois d’une contrefaçon - atteinte à un droit intellectuel - et d’un acte de concurrence déloyale, par appropriation des efforts de recherches et du travail de l’appelante). Depuis le 1er novembre 2007, date d’entrée en vigueur de la loi du 10 mai 2007 relative aux aspects judiciaires de la protection des droits de propriété intellectuelle, l’interdiction du cumul des actions est abrogée, de même que la règle qui réservait au tribunal de première instance, et à son président, une compétence exclusive en matière de droit d’auteur. Il est désormais possible d’agir simultanément, devant le même juge des cessations46, en contrefaçon et en concurrence déloyale47. Les contorsions auxquelles doctrine et jurisprudence s’étaient livrées pour permettre au juge de la cessation commerciale d’interdire certains actes de

43 A. PUTTEMANS, Droits intellectuels et concurrence déloyale, op. cit., pp. 336 et s., n° 219, et p. 348, n° 225. 44 'Attendu que l’arrêt constate que la défenderesse ne sollicite pas une protection contre un acte de contrefaçon qui constituerait une atteinte à un droit d’auteur mais sollicite uniquement la cessation des agissements consistant à tirer profit d’une forme de publicité déterminée'. 45 A. PUTTEMANS, Droits intellectuels et concurrence déloyale, op. cit., p. 348, n° 225. 46 A savoir : le président du tribunal de commerce si l’action est fondée sur la violation d’un droit de propriété industrielle (brevet, marque, dessins ou modèles, etc.) ou, selon la qualité des parties, le président du tribunal de première instance ou le président du tribunal de commerce si l’action tend à la cessation d’une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin. Sur toutes ces questions, voyez : A. PUTTEMANS, 'Les nouvelles compétences en matière d’action civile pour atteinte aux droits intellectuels', in P. JADOUL et A. STROWEL (dir.), Nouveautés en matière d'expertise et de propriété intellectuelle, Larcier, 2007, pp. 115 et s. et le tableau synoptique des nouvelles compétences matérielles et territoriales, pp. 151 et s. 47 Une action en cessation distincte de l’action fondée sur l’article 95 de la LPCC est organisée par l’article 96 nouveau de la même loi, ouverte aux titulaires d’une action en contrefaçon d’un droit de propriété industrielle. L’action en cessation d’une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin reste régie par l’article 87 de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d’auteur et aux droits voisins mais relève désormais de la compétence concurrente des présidents des tribunaux de commerce et de première instance (cf. la note de bas de page qui précède).

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contrefaçon de droits intellectuels n’ont donc, heureusement, plus aucune raison d’être aujourd’hui. En l’espèce, tout indique que les moulures et rosaces que j’ai rangées dans la première et la deuxième catégories présentaient le caractère d’originalité requis comme condition de protection par le droit d’auteur48 ; on soulignera en ce sens, notamment, le passage de l’arrêt annoté (que l’on retrouve à l’identique dans l’arrêt des kayaks) où la cour observe que l’appelante a combiné des éléments 'de façon à composer un ensemble nouveau, fruit du travail et du goût de son auteur', tandis que les éléments de la troisième catégorie étaient totalement banals et donc insusceptibles d’une protection par le droit d’auteur. Encore empêchée par l’ancien article 96 de la LPCC de prononcer l’interdiction de la reproduction de ces éléments originaux sur le fondement d’une atteinte au droit d’auteur, la cour d’appel de Liège s’est perdue dans un entrelacs de considérations peu cohérentes et moins encore convaincantes, mêlant à la notion d’usages honnêtes en matière commerciale des concepts (et de la jurisprudence) propres à la propriété intellectuelle et recourant de manière désordonnée à la théorie de la concurrence parasitaire, laquelle ne devrait être appliquée que dans des cas exceptionnels d’abus avérés et systématiques. Très critiquable dans l’énoncé des principes, l’arrêt annoté (et son 'clone' relatif à la copie du modèle de kayak) aboutit en fin de compte à un résultat concret (l’interdiction de l’exploitation de certaines copies) qui eût vraisemblablement été celui obtenu par l’application des règles entrées en vigueur à la fin de l’année 2007, mais au terme d’un raisonnement juridique bien différent : des éléments originaux, coulés dans une certaine forme, donc protégés par un droit d’auteur, ont été repris sans autorisation dans les copies incriminées ; celles-ci constituent donc des contrefaçons qu’il convient d’interdire. L’abrogation de l’interdiction du cumul des actions en cessation en matière de contrefaçon et de concurrence déloyale rend ainsi le recours à la théorie de la concurrence parasitaire totalement inutile dans la très grande majorité des cas. C’est une bonne chose pour la clarté et la rigueur des principes.

48 Sur cette condition d’originalité en droit d’auteur, voyez : A. BERENBOOM, Le nouveau

droit d’auteur et les droits voisins, Bruxelles, Larcier, 2005, 3e éd., pp. 66 et s., n° 33 ; F. DE VISSCHER et B. MICHAUX, Précis du droit d’auteur et des droits voisins, Bruxelles, Bruylant, 2000, pp. 13 et s.