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Du cinéma plein les yeux affiches de façade peintes par André Azaïs La Cinémathèque de Toulouse Loubatières

Du cinéma plein les yeux

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Octobre 1977 : le cinéma Le Royal, situé au 49 rue d’Alsace-Lorraine, en plein centre de Toulouse, ferme définitivement ses portes. Son directeur invite la Cinémathèque de Toulouse à recueillir ce qu’elle souhaite pour enrichir sa collection. Un ensemble constitué de 184 affiches de façade peintes par André Azaïs rejoint alors les réserves de la Cinémathèque de Toulouse, devenue depuis, avec la Cinémathèque française et les Archives françaises du film du CNC, l’un des trois lieux majeurs de la mémoire du cinéma en France. Cette collection n’a pas d’équivalent en France ni, semble-t-il, en Europe. Réalisées par le même artiste durant une période relativement brève, du milieu des années 1960 au milieu des années 1970, ces affiches sont d’une dimension hors normes, en moyenne 5 m x 2 m. Elles étaient fabriquées sur mesure, conçues et peintes à la main en un seul exemplaire, puis accrochées sur la façade du Royal. Chacune est donc une œuvre unique.

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Du cinéma plein les yeuxaffiches de façade peintes par André Azaïs

La Cinémathèque de Toulouse Loubatières

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sommes en 1964, quatre ans plus tard, dansÉchappement libre de Jean Becker. Une affiche àla lecture évidente peut garder ses mystères.

Un cas à part : Gimme Shelter où les RollingStones sont traités – tout comme dans l’afficheoriginale – par un jeu d’ombres et de lumièrespropre au spectacle live. Comme un négatif, lacompréhension de l’affiche se joue de cette op-position. Ici, le noir remplit pratiquement toutel’affiche, le fond comme les personnages. Seulsles liserés de lumière déterminent les formes. Dé-calés sur le côté gauche, le titre du film et le nomdu groupe apportent alors la retranscription né-cessaire à la lisibilité de l’image.

Azaïs nous rappelle, par son traitement pri-vilégiant le personnage de cinéma, que celui-cise superpose à celui de l’acteur. Catherine De-neuve peut être demoiselle de Rochefort, Bellede jour ou Peau d’âne, Clint Eastwood peut êtreSpace Cowboy, l’évadé d’Alcatraz ou l’inspecteurHarry. Mais Peau d’âne aura toujours dans l’ima-ginaire collectif le visage de Deneuve, commel’inspecteur Harry celui d’Eastwood.

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Peau d’âne

Jacques Demy, France, 1970

Peinture sur papier, collages ; 484 x 229 cm; 1970

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vec des formats hors normes, prèsde six fois le format classique du 120 x160 cm, le peintre sait que l’affiche de fa-

çade a une force visuelle particulière. Pour mettreen avant un film et créer cette envie d’aller ensalle, André Azaïs a souvent repris dans ses com-positions le rôle clé du héros pour valoriser l’en-semble de l’affiche. Que cela soit à travers lareprésentation du comédien principal ou à traversle titre même du film quand celui-ci reprend lenom d’un personnage célèbre.

On reconnaît donc dans ce chapitre des figuresfamilières que le septième art a pu décliner ensérie, remake ou variante : Zorro, Robin des Bois,Fu Manchu, Coplan, Batman, San-Antonio, Dra-cula. Ces personnages portent en eux tout un uni-vers d’aventures aux codes bien définis que lespectateur aime retrouver. Des noms aussi illustresque John Wayne, Clint Eastwood, GeraldineChaplin ou Sean Connery s’inscrivent en groscaractères, aux côtés de ceux de Robert Hirsch,Eddie Constantine, Ken Clark et autres. Les iden-tifier immédiatement par l’affiche permet d’allerà l’essentiel.

On se plaît à distinguer les traits de Christo-pher Lee sous Le Masque de Fu-Manchu. L’Ombre

de Zorro, elle, fait partie de la vingtaine de filmstournés dans les années 1960 ayant comme per-sonnage principal le célèbre vengeur masqué. Etquand il s’agit de représenter une variante pouradultes des contes de Grimm, Blanche-Neige etles sept nains n’ont pas besoin d’être retranscritsen lettres pour être identifiés. Les agents secretssont présents en force dans leurs rôles d’espionsusant le plastron de leur smoking dans des pay-sages orientaux : Coplan, « l’agent 077 » ou Jerkse retrouvent tous sur les hauteurs d’Istanbul cin-quante ans avant le déjà culte prégénérique deSkyfall dans Coplan sauve sa peau, Jerk à Istanbul,Coplan FX-18 casse tout ou Fureur sur le Bosphore.

Le western est sans doute le genre le plus im-médiatement identifiable : un colt, un chapeau,ou un Indien suffisent à en marquer l’apparte-nance. Azaïs joue de cet aspect immédiat par untravail simple mais efficace. Un fond généralementmonochrome sur lequel se détache sur un côté leportrait de l’acteur en gros plan, identifiable autantpar sa célèbre physionomie que par son nom ins-crit en grands caractères. Ainsi John Wayne dansChisum, Gregory Peck dans Les Grands Espaces,Audy Murphy dans La Parole est au colt, GaryCooper dans Le Train sifflera trois fois.

La place de l’acteur est donc privilégiée. Elletrouve tout son éclat dans le traitement sans com-mune mesure réalisé pour Jean-Paul Belmondo.Ici, il bénéficie d’un portrait géant, de son nomécrit dans les caractères les plus gros et d’une sériegrandiloquente de slogans signifiant bien qu’ilest hors normes. Tout est ramené à lui et le titredu film n’apparaît même pas sur l’affiche. Futilité?Non, car la présence mentionnée de Jean Sebergpourrait faire penser qu’il s’agit du célèbre À boutde souffle de Jean-Luc Godard alors que nous

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Vincent Spillmann

Héros et têtes d’affiche

Tony Rome est dangereux

Tony Rome, Gordon Douglas, États-Unis, 1967

Peinture sur papier ; 475 x 232 cm; 1968

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Ça peut toujours servir

Bomben auf Monte Carlo, George Jacoby,

RFA/France, 1959

Peinture sur papier, collages ;

506 x 235 cm; 1966

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ls revenaient. Toujours. Inlassablement.À pied, à cheval ou juchés sur une diligence,les infatigables héros de l’Ouest que rien

ne semblait pouvoir ébranler. Des héros de westernsaméricains qui véhiculaient avec eux des valeurs dedroiture, de justice, d’ordre et de courage. Certainsdébarquaient en ville, au hasard de sorties tardives;d’autres revenaient chaque année comme une bonnevieille et rassurante habitude. Pour certains, unevaleur, capable de fédérer un large public et de gé-nérer assez d’entrées pour rentabiliser une bonnereprise d’été. Celui qui revenait le plus souvent senommait John Wayne. Dégingandé, sobre et cha-rismatique, Wayne était un héros marginal, solitaire,timide et affable. Il fallait juste ne pas trop l’embêtersous peine de lourdes représailles. Dans ses films,on était quasiment sûr de trouver des chevauchées,des bagarres, des paysages immenses, quelques si-nistres canailles ou bien une angoissante menacereprésentée par des voleurs de bétail, des Indiensou encore la guerre de Sécession. On y trouvaitégalement des entraîneuses de saloon au grandcœur, prêtes au sacrifice qui restait synonyme derachat pour les spectateurs, mais aussi des villes debois, embryon d’une civilisation à peine naissante.

Le western fonctionne sur des archétypes biendéfinis, ce qui n’exclut pas la complexité des enjeux

dramatiques, et Wayne évoluait majestueusementen leur compagnie. Sur les affiches d’André Azaïs,le cow-boy Wayne était tout aussi imposant. Poseinimitable, genoux fléchis et Winchester en mainssur celle de Rio Bravo (1959), posture guerrièrefleurant le dernier baroud d’honneur sur celled’Alamo (1960). À ses côtés, Audie Murphy se dé-mène envers et contre tout pour contrer les plansd’une bande de chercheurs d’or peu scrupuleux etprêts à massacrer un village indien pour une histoirede filon. La Rivière sanglante (1954) s’inscrivaitdans une longue série de westerns pro-indiens queHollywood se plaisait de plus en plus à produiredès le milieu des années 1950. Pour s’acheter unebonne conscience ou pour marquer une certaineforme de progressisme? Quoi qu’il en soit, les per-sonnages historiques de l’Ouest sauvage conti-nuaient d’alimenter les intrigues les plus folles. LesFusils du Far West (1966) ne réunissait pas moinsque Wild Bill Hickok, Buffalo Bill et CalamityJane, tous trois au centre d’un conflit opposantl’armée américaine et la nation cheyenne. Maisl’instrument publicitaire français ne retint finale-ment que le nom de Buffalo Bill qui fut placé, parAndré Azaïs, dans un coin de l’affiche. À la fin desannées 1960, le western américain périclite et en-fante quelques authentiques mutants comme LaKermesse de l’Ouest (1969), un western chanté (!),ou encore cette Chevauchée érotique (1969), qui sepasse de tout commentaire.

En fait, l’Italie a, depuis quelque temps, reprisle flambeau 1. Le western survit, laissant derrièrelui les anciens, et se fait, grâce à une nouvelle gé-nération de metteurs en scène, l’expression d’unelucidité politique et sociale au sein d’une Europeen pleine mutation. Mais pour cela, il faut en passerpar une remise en cause du mythe instauré par lescinéastes américains. Sergio Leone met le feu aux

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Frédéric Thibaut

Western,duel dans la poussière

Rio Bravo

Howard Hawks, États-Unis, 1958

Peinture sur papier, collages ; 489 x 229 cm; 1970

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Les Nuits de Dracula

El conde Drácula, Jesús Franco, Espagne/RFA/Italie/Liechtenstein/Grande-Bretagne, 1969

Peinture sur papier ; 504 x 231 cm; non daté

Le Masque de Fu Manchu

The Face of Fu Manchu, Don Sharp, Grande-Bretagne/RFA, 1965

Peinture sur papier ; 505 x 235 cm; 1966

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rance années 1960. Clo-Clo twistecomme un diable blond et l’idole desjeunes se déhanche sur quelques riffs deguitares bien envoyés. À Paris, le 9 mars

1960, le peintre Yves Klein organise un étrangecérémonial érotique où trois modèles s’enduisentde peinture bleue et apposent l’empreinte de leurscorps sur de grands papiers blancs. À Bordeaux,dans une intimité provoquée, le peintre photo-graphe Pierre Molinier poursuit sa série d’auto-portraits travestis. France années soixante. Latempérature monte d’un cran. Un peu plus, chaque

jour, à mesure que les cheveux s’allongent et queles jupes raccourcissent. La libéralisation des mœurspointait timidement le bout de son nez, agaçanttrès logiquement Dame Censure. En 1968, le des-sinateur Jean-Claude Forest retouche, à la demandedes censeurs, les planches de Barbarella et offre àson héroïne un Itsy Bitsy petit bikini. Mais malgréces excès de contrôle, rien ne semble pouvoir en-rayer le réchauffement climatique.

Le cinéma, lui, comme à son habitude, cristal-lise ces bouleversements sociaux et participe ac-tivement à la fiévreuse mouvance 1. Le polar sefait de plus en plus sexy, le psychodrame se teinted’évidents relents sexuels et la comédie flirte avecle sensuel. Crime organisé, psychiatrie et malaisede la jeunesse se conjuguent désormais à l’égrillardet au lascif. Titres explicites, affiches explicites etslogans explicites pour des films qui trouvent re-fuge dans les salles de cinéma de quartiers. À Paris,ce sera le Scarlett, le Cameo ou le Midi Minuit.À Bordeaux, l’Ariel. À Rouen, le Ciné Bijou. ÀMarseille, le Noailles. À Toulouse, le Royal ou en-core le Zig-Zag. Les frontons de ces salles s’en-luminent d’imposantes œuvres dans le seul butd’interpeller le chaland, d’attirer l’amateur et deconvaincre le client potentiel. Pour le Royal, AndréAzaïs s’exprime pleinement. Cinq mètres de co-quinerie sur deux mètres trente de polissonneriequi promettent « un incroyable tourbillon d’éro-tisme », comme le clame haut et fort l’accrochedu film Le Sexe et l ’Amour (1966). Il n’en fallaitpas moins pour attirer six mille spectateurs endeux semaines sur la foi d’un slogan et d’une af-fiche joliment bleutée où brillent, par leur absence,les noms du metteur en scène et de la distribution.Ce film américain de Lee Frost, daté de 1973,s’inscrivait dans la grande vague des mondo moviessuite au succès de Mondo Cane (1962). Le genre

Frédéric Thibaut

Érotiques,le cri de la chair

Jeux de nuit

Nattlek, Mai Zetterling, Suède, 1966

Peinture sur papier ; 499 x 234 cm; 1966

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Présentation des auteurs

Jean Paul Gorce : ancien dirigeant de la Cinémathèque de Toulouse, actuellement conseiller auprèsde la direction

Natacha Laurent : déléguée générale de la Cinémathèque de Toulouse et maître de conférences en histoire du cinéma à l’Université de Toulouse II-Le Mirail

François Marty : documentaliste (bibliothèque de la Cinémathèque de Toulouse)

Claudia Pellegrini : documentaliste (collections iconographiques de la Cinémathèque de Toulouse)

Vincent Spillmann: documentaliste (collections iconographiques de la Cinémathèque de Toulouse)

Frédéric Thibaut : documentaliste (collections film de la Cinémathèque de Toulouse)

Remerciements

M. et Mme Georges Azaïs et Mme Claude AzémaMM. Maurice Blanc, Roger Depledge et Claude Guilhem

Aéroport Toulouse BlagnacAforge Degroof

Archives municipales de ToulouseBanque Courtois

La Dépêche du MidiEDF

Galeries Lafayette ToulouseHôtel Crowne Plaza Toulouse

Saint-Agne Groupe Immobilier

ainsi que Kees Bakker, Francesca Bozzano, Pauline Cosgrove, Franck Loiret et Clarisse Rapp de la Cinémathèque de Toulouse

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Table des matières

Préface .............................................................................................................................................. 5

La collection d’affiches d’André Azaïs, trésor de la Cinémathèque de Toulouse .............................. 6

Le Royal, grandeur et décadence d’un petit palace de cinéma ........................................................ 10

André Azaïs (1918-1989), portrait d’artiste .................................................................................... 16

Composition et lettrage, quand la technique devient un art ........................................................... 20

Couper-coller .................................................................................................................................. 50

Héros et têtes d’affiche ................................................................................................................... 80

De l’action et du suspense ............................................................................................................. 106

Western, duel dans la poussière ..................................................................................................... 126

Érotiques, le cri de la chair ............................................................................................................ 144

Hand-painting the stars ................................................................................................................ 170

Présentation de la Cinémathèque de Toulouse ............................................................................. 172

Index ............................................................................................................................................. 175

Indications bibliographiques ......................................................................................................... 182

Crédits photographiques ............................................................................................................... 183

Présentation des auteurs et remerciements ................................................................................... 184

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ctobre 1977 : le cinéma Le Royal, situé au 49 rue d’Alsace-

Lorraine, en plein centre de Toulouse, ferme définitivement ses portes.

Son directeur invite la Cinémathèque de Toulouse à recueillir ce

qu’elle souhaite pour enrichir sa collection.

Un ensemble constitué de 184 affiches de façade peintes par André Azaïs

rejoint alors les réserves de la Cinémathèque de Toulouse, devenue depuis,

avec la Cinémathèque française et les Archives françaises du film du CNC,

l’un des trois lieux majeurs de la mémoire du cinéma en France.

Cette collection n’a pas d’équivalent en France ni, semble-t-il, en Europe.

Réalisées par le même artiste durant une période relativement brève, du milieu

des années 1960 au milieu des années 1970, ces affiches sont d’une dimension

hors normes, en moyenne 5 m x 2 m. Elles étaient fabriquées sur mesure,

conçues et peintes à la main en un seul exemplaire, puis accrochées sur la

façade du Royal. Chacune est donc une œuvre unique.

Souvent très colorées, spectaculaires par nécessité, ces affiches témoignent

d’une pratique populaire du cinéma et dessinent un pan de l’histoire du

septième art.

Publié à l’occasion des cinquante ans de la Cinémathèque de Toulouse, ce

livre illustre le travail qu’elle mène depuis sa fondation : conserver la mémoire

du cinéma pour la valoriser par le biais de programmations, d’expositions,

d’éditions.

En présentant un fonds précieux et rare, en mettant à l’honneur une

pratique quelque peu oubliée – les affiches peintes de grand format – et un

artiste inconnu, cet ouvrage est une invitation à regarder le cinéma autrement.

ISBN 978-2-86266-700-3

9 782862 66700340 €

Affiche de couverture :Le Rideau déchiré (détail)Torn Curtain, Alfred Hitchcock, États-Unis, 1966Peinture sur papier ; 485 x 232 cm; 1966