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Du corps au sein : enjeu social et narcissique From the body to the breast: social and narcissistic stake F. Enjolras a , K. Chekaroua c, *, E. Delay b a Médecin psychiatre, CHU de Lille, France b Centre Léon-Bérard, 28, rue Laennec, 69008 Lyon, France c 21, rue du Président-Kruger, 69008 Lyon, France MOTS CLÉS Corps ; Sein ; Soins esthétiques ; Chirurgie esthétique ; Narcissisme ; Usage social du corps ; Représentations sociales KEYWORDS Body; Breast; Aesthetic; Aesthetic surgery; Narcissistic; Body representation Résumé L’homme, au sens général, tient en sa possession un corps qu’il investit au fil de son existence. Certaines parties de ce corps ont un prestige particulier dans leur forme, leur fonction et surtout leur représentation. Le sein, en particulier, allie ces caractéris- tiques qui le placent au centre d’intérêts et d’investissements. L’histoire des pratiques d’embellissement de celui-ci, au fil des siècles et des cultures, en témoigne. Au-delà de ces techniques, c’est surtout sur les enjeux autour du corps et du sein sur lesquels nous reviendrons. Enjeux, comme nous le verrons, autant sociaux qu’individuels, qui se retrouvent dans la dynamique sociale de notre monde contemporain, et dans l’expression et la prise en compte des souffrances psychiques. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract The man, in a general meaning, possess a body, which he invests in the course of his existence. Some parts of this body have an unusual prestige in his form, his function and especially in his representation. The breast, in particular, combines these characte- ristics to be in the center of interests and investments. The history of the techniques to embellish this one, in the course of the century and in the cultures, shows this. Beyond of theses techniques, we will present especially the stakes around the body and the breast. Stakes, as we will see, social as much as individual, which we find in the social dynamic of our contemporary world and in the expression, the take care of the psychic sufferings. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Introduction Le corps concentre depuis toujours les intérêts et les exigences de l’homme. De ses apparences à sa constitution, chaque parcelle du corps est dominée par de multiples considérations, pour beaucoup esthétiques. Mais cette esthétique, fortement rela- tive, dissimule des enjeux et des prérogatives au- delà de ce qu’elles laissent entrevoir. Toute so- ciété, tout groupe d’appartenance fixent des ambitions très variables autour de ce corps que le temps, pour une part, modèle à sa guise. Le sein fixe cette évolution dans les attentions et les consi- dérations. Il est d’autant plus pris en compte, en fonction des périodes de vie, que ce bout de chair, aux formes infiniment variables, s’ouvre en pre- mier à l’enfant comme source de vie et source de chaleur. Le sein gouverne idéalement nos premiè- res relations au monde, à l’autre, nous donnant à * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (K. Chekaroua). Annales de chirurgie plastique esthétique 50 (2005) 357–364 http://france.elsevier.com/direct/ANNPLA/ 0294-1260/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/j.anplas.2005.08.013

Du corps au sein : enjeu social et narcissique

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Du corps au sein : enjeu social et narcissique

From the body to the breast:social and narcissistic stake

F. Enjolras a, K. Chekaroua c,*, E. Delay b

a Médecin psychiatre, CHU de Lille, Franceb Centre Léon-Bérard, 28, rue Laennec, 69008 Lyon, Francec 21, rue du Président-Kruger, 69008 Lyon, France

MOTS CLÉSCorps ;Sein ;Soins esthétiques ;Chirurgie esthétique ;Narcissisme ;Usage social du corps ;Représentationssociales

KEYWORDSBody;Breast;Aesthetic;Aesthetic surgery;Narcissistic;Body representation

Résumé L’homme, au sens général, tient en sa possession un corps qu’il investit au fil deson existence. Certaines parties de ce corps ont un prestige particulier dans leur forme,leur fonction et surtout leur représentation. Le sein, en particulier, allie ces caractéris-tiques qui le placent au centre d’intérêts et d’investissements. L’histoire des pratiquesd’embellissement de celui-ci, au fil des siècles et des cultures, en témoigne. Au-delà deces techniques, c’est surtout sur les enjeux autour du corps et du sein sur lesquels nousreviendrons. Enjeux, comme nous le verrons, autant sociaux qu’individuels, qui seretrouvent dans la dynamique sociale de notre monde contemporain, et dans l’expressionet la prise en compte des souffrances psychiques.© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract The man, in a general meaning, possess a body, which he invests in the course ofhis existence. Some parts of this body have an unusual prestige in his form, his functionand especially in his representation. The breast, in particular, combines these characte-ristics to be in the center of interests and investments. The history of the techniques toembellish this one, in the course of the century and in the cultures, shows this. Beyond oftheses techniques, we will present especially the stakes around the body and the breast.Stakes, as we will see, social as much as individual, which we find in the social dynamic ofour contemporary world and in the expression, the take care of the psychic sufferings.© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Introduction

Le corps concentre depuis toujours les intérêts etles exigences de l’homme. De ses apparences à saconstitution, chaque parcelle du corps est dominéepar de multiples considérations, pour beaucoupesthétiques. Mais cette esthétique, fortement rela-tive, dissimule des enjeux et des prérogatives au-

delà de ce qu’elles laissent entrevoir. Toute so-ciété, tout groupe d’appartenance fixent desambitions très variables autour de ce corps que letemps, pour une part, modèle à sa guise. Le seinfixe cette évolution dans les attentions et les consi-dérations. Il est d’autant plus pris en compte, enfonction des périodes de vie, que ce bout de chair,aux formes infiniment variables, s’ouvre en pre-mier à l’enfant comme source de vie et source dechaleur. Le sein gouverne idéalement nos premiè-res relations au monde, à l’autre, nous donnant à

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (K. Chekaroua).

Annales de chirurgie plastique esthétique 50 (2005) 357–364

http://france.elsevier.com/direct/ANNPLA/

0294-1260/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi: 10.1016/j.anplas.2005.08.013

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découvrir, en particulier, le sentiment de satiété etde bien-être, et cela de manière universelle. As-pect naturel du sein, il ne se limite bien sûr pas àcette fonction et à ce titre de naturel. Autour de cesein, une multitude de regards, dirions-nous, etd’intérêts se focalisent de nos jours comme autre-fois. De nombreux aspects de la culture, dans tou-tes sociétés, s’approprient cet investissementautour du sein comme du corps, de sa mise envaleur à sa dissimulation. Ils portent en exergue lesintérêts et les rapports de la société au corps maisaussi à soi à travers l’image et le façonnementqu’on lui donne. Aussi, le sein, quand il est choyé,est là pour séduire, pour attirer l’attention del’autre, pour marquer au mieux la féminité et pouraussi, dans ce que son image fait vivre intérieure-ment, se définir soi-même.Nous aurons le souci dans cette présentation de

reprendre quelques considérations généralesautour du sein dans ses techniques d’embellisse-ment ou de dissimulation. Ce sera l’occasion pourrebondir ensuite sur les réflexions de nature socialeque suscite le rapport au corps et disons au sein,depuis quelques siècles et surtout de nos jours, à lalumière de quelques concepts empruntés au mondede la philosophie et des sciences sociales. Puis decette vision plus globale, nous reviendrons sur lesenjeux individuels du rapport entre le sein en par-ticulier, le corps en général, et la constitution del’identité. Cette prise en compte des enjeux iden-titaires autour du corps que l’on veut sans cessereprendre, retoucher, cacher, exalter, nousconduira aux réflexions sur les défaillances narcis-siques, à ne pas négliger, qui demandent parfois àêtre prises en charge par le corps, avec plus oumoins de réussite, schéma de représentations idéa-les où les soins du corps pallieraient aux soins del’esprit. Cette détresse individuelle se superposesur l’écheveau des prérogatives de société qu’ilconvient de connaître ou plutôt de reconnaître.

Sein et techniques d’embellissement àtravers les siècles et quelques sociétés

Le sein, comme nous l’évoquions initialement, cor-respond aux premières formes de la vie que lenourrisson côtoie dans ses premiers jours. Premièreinterface tactile, premières sensations agréables,le nourrisson posé sur la poitrine de sa mère s’en-gage dans la reconnaissance de l’univers qui l’en-toure, sur et au contact de ce sein nourricier, objetde bien des investissements [1]. Il n’est donc pasanodin que le sein tienne à certaines époques etdans certaines cultures une place de choix et d’en-vergure dans les représentations figurées de la

femme. Symbole suprême, on le retrouve exaltédans une grande partie de la statuaire africaine où,proéminents, ces seins désignent avec vigueur lafécondité de ces femmes. Leur aspect dispropor-tionné vis-à-vis du reste du corps fixe les ambitionsattendues. Évidemment, le spectre du volume n’apas toujours été considéré comme l’apanage desfemmes fécondes. D’autres types de mises en va-leur pouvaient tout autant soutenir ce dessein. Eneffet, durant l’Antiquité, alors que les crétoises etles égyptiennes arboraient leurs seins nus, suscitantattention et intérêt, les grecs, plus réservés, refu-saient ce dévoilement. Leur préférence allait à ladissimulation, sous des tissus légers, répondant àun autre canon de beauté, loin du type qu’ellesdésignaient comme « barbare ». Le sein constitueaussi la marque essentielle de la féminité dansl’imaginaire collectif. Le Moyen Age sera par exem-ple l’époque des seins menus, « petits et hautsperchés », les femmes finissant par ressembler à defines colonnes, laissant peu de place à une poitrinebientôt source de polémique au sein de l’églisechrétienne [2]. C’est à la charnière de cette périodeet de la renaissance que le sein, dans l’histoireoccidentale, s’érotise, devient alors sensuel, prenden somme une connotation morale, se substituantau pied et aux mollets auxquels, auparavant, l’onconférait un pouvoir d’attraction beaucoup plusgrand. Le sein, dans sa représentation, n’est doncplus l’unique objet de valeur nourricière. Il s’afficheainsi, selon un processus autant culturel que psychi-que comme la concrétisation de l’érotisation, phé-nomène qui deviendra source de débats, de ten-sions, de récriminations et ainsi de jugement moralet religieux. Les seins seront par exemple rendusresponsables à la fin de la renaissance pour certainsprédicateurs comme le patriarche de Constantino-ple de l’adultère et de la luxure [2].Au cours du XVIIIe et du XIXe siècle, la mise en

valeur des seins par des corsets qui les repoussentvers le haut et par l’approfondissement des décol-letés coïncide avec les changements de statut de lafemme dans la société moderne. Vers la fin du XIXe

siècle, les premières commercialisations à grandeéchelle de mixture et de prothèse externe comble-ront ce désir de mise en valeur des seins. Qu’on lesdénomme mamelles, tétons, mamelette, mamelu,les seins, alors cachés ou exaltés, engagent lafemme dans la maîtrise de techniques d’embellis-sement ou de camouflage. Des produits divers ontété utilisés pour la beauté des seins, depuis lesbains de fraises et framboises écrasées jusqu’auxextraits de placenta [2]. L’usage de plantes commel’iris, la rose, le myrte, la pimprenelle, la prêle, lasauge, l’olive, l’amande figurent dans la longueliste des constituants végétaux, animaux ou chimi-

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ques pour rendre ou maintenir la beauté des seins.La moelle de pied-de-mouton ou la fressure delièvre entraient au XIVe siècle dans la compositiond’emplâtres, prévus pour réduire le volume desseins et leur donner plus de fermeté. Au XIXe siècle,les religieuses, souhaitant réprimer le volume deleur poitrine, comprimaient leurs glandes mammai-res avec des rondelles d’amadou. Cette volontédonne toute l’ampleur du jugement moral et desreprésentations réservées aux seins, à cette épo-que. C’était sans compter sur tous les artificesallant des poches rembourrées sous le Directoire,aux postiches en peau de chamois ou en satinmatelassé au XIXe siècle ou aux seins artificiels àventouse, pour donner plus de formes à ces dames.Ces techniques et l’ensemble de ces soins témoi-gnent donc de cet engouement pour la plastiquedes seins dans le monde occidental. Objet souventde séduction et de valorisation, il se donne à voirdans une échelle autant individuelle que collective.Interface dans les relations, sa forme obéit auxcanons du moment et à une série de codes surlesquels nous aurons l’occasion de revenir. Dansd’autres sociétés comme certaines en Afrique, lespréoccupations autour du sein sont de la mêmefaçon concentrées autour de valeurs, souvent dé-monstratives dans leur aspect individuel mais quiprivilégient prioritairement l’inscription et l’inser-tion dans le champ collectif.« L’offre du sein comme l’ensemble des soins

maternels posent d’emblée la question du rapportde la mère au groupe familial. Ce sein qu’elledonne à l’enfant ne lui appartient pas complète-ment. » insiste Jacqueline Rabain en évoquant lefonctionnement de la société wolof. « Pour lamère, l’offre du sein ne dépend pas de son bonplaisir ; pour l’enfant, la référence au désir dugroupe, à la loi de la coutume à laquelle renvoiecette offre laisse la place à l’au-delà du besoin »[3]. À travers ce rapport au sein et à la mère, il estrappelé que l’enfant et la mère tiennent une posi-tion sociale respective, médiatisée entre autres parce sein mais qui dépasse sa fonction première, enl’occurrence nourricière. Le sein occupe des fonc-tions comme le reste du corps, parfois central dansla gestion de l’écosystème social mettant encoreplus en exergue toutes ces techniques destinées àl’embellir ou à le mettre en valeur. Nous allonsrevoir plus en détail cette dimension.

Place du sein dans la constructionsociale du corps

Le corps dans l’histoire sociale et culturelle

Le sein, comme de nombreux autres attributs cor-porels, fait ainsi l’objet d’intense attention de la

part de l’individu et surtout de la collectivité. Seinou autre, c’est le corps qui est au centre desprérogatives. Manifestement, ce corps dans l’his-toire des sociétés, et de la nôtre en particulier, n’apas toujours occupé cette place centrale qui,comme nous le verrons, ne l’est que de manièreparadoxale.Depuis plusieurs siècles, la pensée philosophique

occidentale ainsi que le développement de la mé-decine et des sciences vont s’efforcer de démon-trer que le corps n’est qu’une donnée biologique,dérivant d’une image de la nature profonde. À cetégard, on utilise le concept, comme le souligneDetrez [4], d’incarnation, modèle de pensée propreà inscrire le corps en porteur de l’esprit, marquantce dualisme cher à Descartes entre le corps etl’esprit. Cette opposition constitue le point d’orguedes valeurs attribuées à chacune des parties. Àl’esprit, les idées, ce qui définit l’homme commeun être de culture, avec une personnalité et aucorps un pur fonctionnement mécanique, une pos-session en soi, ce dernier relevant beaucoup plus del’avoir que de l’être [5].Déjà, durant l’Antiquité, le corps pour certains

penseurs comme Platon a été objectivé et ramené àsa substance matérielle. Toute une tradition philo-sophique le méprise au profit de l’esprit, plus noblecar considéré comme transcendé. Le corps, rap-porte par la suite Descartes, est susceptible de nousinduire en erreur. Les sensations sont trompeuses.Il devient donc, dans le cheminement des ré-flexions, un objet investi, particulièrement au XIXe

siècle, comme une machine avec ses rouages et sesdysfonctionnements en rapport avec les modèles dela société en vigueur. Cette approche du corps, trèsmécanique, en a imprégné les visions et les concep-tions jusqu’à nos jours. Le développement de lamédecine, au fil des derniers siècles, témoigne enpartie de cet engouement pour le corps désincarnébien que d’autres conceptions aient vaguementtenté d’infléchir ce mode d’appréhension. Citons,ne serait-ce que la pensée physiognomoniste quisuppose une concordance entre le moral et le phy-sique. Les mœurs façonnent en quelque sorte pources théoriciens le type physique. La littérature duXIXe siècle regorge de références propres à cettelogique ainsi que quelques courants de penséestelles que la sociobiologie.Ainsi, ce dualisme a traversé les siècles, insti-

tuant avec force et conviction le corps commeobjet, régi par des lois biologiques, par les lois ensomme de la nature. Concourant à cette position,la médecine, en transgressant avec Vésale l’inter-dit de toucher au cadavre, renforça cette logiquedualiste (in la Fabrica). Déjà Hippocrate, en sedétachant d’une causalité divine, marquait la place

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du corps comme support des dysfonctionnements.Les anatomistes, quelques siècles plus tard, l’ob-jectiveront par leurs travaux en connaissance bio-logique, transgressant des interdits qui se voulaientprotecteurs de la nature dans ses aspects essen-tiels. La rupture ne fut certes pas brutale, commele démontre Le Breton. Cette mutation ontologiques’inscrit ainsi dans la désacralisation de la nature.On se permet de toucher au corps, fruit de l’es-sence divine ; désacralisé, le corps se trouve figédans une position d’objet, « coupé des autres etcoupé du cosmos. (Dorénavant le corps ne plaideplus pour lui-même, déraciné du reste de l’univers,il trouve sa fin en lui-même, il n’est plus l’échod’un cosmos humanisé) » [5]. Les techniques ac-tuelles ne font que renforcer cette position enmorcelant le corps par des examens de plus en plusminutieux et en le parcellisant selon l’axe desorganes répertoriés. Le corps se détache de l’indi-vidu. Il est posé comme étranger, extérieur. Notonspar exemple que la tendance contemporaine enmédecine est bien plus de traiter la maladie que lemalade [4].Parallèlement à cette conception du corps isolé,

corps accessoire, s’accentue la montée de l’indivi-dualisme propre à nos sociétés. Coupé de tout, lecorps devient, dans l’idéal de ces conceptions, lesiège de l’individu. Le maîtriser jusqu’à le maltrai-ter assure, semble-t-il comme nous le verrons plusloin, à l’individu le sentiment d’être. Il peut de lamême façon devenir intolérable et l’on cherche,« tel un fantasme implicite, informulable » [6], àl’effacer, à dissimuler ses artéfacts, ses disgrâces.La vieillesse et la mort, rejetées, non assumées,concentrent ces exigences de lutte contre lui.Si l’on repère le corps comme un objet dans la

société occidentale, il peut dans d’autres concep-tions conserver un statut de continuité avec lanature, le cosmos et être ainsi l’enjeu d’autresrelations à lui. C’est le cas chez les mélanésiens parexemple, où le corps est consubstantiel à la nature[5]. En échange permanent avec elle, il peut êtreaussi le siège de relations et se manifester commeune réalité collective, donnant force et engage-ment dans les rapports. Ces enjeux collectifsautour du corps se retrouvent bien sûr tout autanten occident, de façon certes moins évidente. Cettesurenchère de l’individualisme ne doit pas pourautant cacher tous les usages sociaux du corps dansses rapports et la symbolique qu’il porte en lui.Porteur de messages, d’indices culturels, de va-leurs retraduites dans des attitudes, ne serait-ceque dans l’habillement, dans le maquillage, il pré-side ainsi dans les enjeux relationnels mais aussidans le fonctionnement social comme nous l’avonsvu pour le sein dans certaines circonstances enAfrique.

Le corps, comme être au monde, se trouve eninterface avec l’environnement qui le façonne.D’une culture à l’autre, le corps acquiert des pos-tures dont l’influence et le sens sont incorporés,incarnés. Les expressions, les attitudes, la mise enforme de ce corps, censé exprimer des sentiments,des émotions, dépendent ainsi étroitement d’unsystème de valeurs et de codes propres à uneculture.Dès lors, par exemple, en envisageant l’érotisa-

tion des seins comme une donnée strictement rela-tive, dépendante d’un registre de valeurs qui ontévolué au fil de l’histoire, ne viendrait-on pas àinterroger à travers le sein l’interface culture,corps et psyché ? Savoir si la culture est subordon-née au psychique ou inversement1, le débat estancien, qui plus est, quand le corps est le supportde pulsions comme le désir. Le sein concentre icitout ce questionnement puisque susceptible d’ins-pirer le désir dans une culture comme celle dumonde occidental. On peut imaginer que ce rôlepuisse échoir à d’autres parties du corps, dansd’autres cultures et à d’autres périodes du monde.Rappelons que le mollet, il y a quelques siècles,était source d’attirance.

Le corps social : le sein, témoind’une libération ou de nouvellescontraintes ?

De la même façon, le corps est le lieu du ressenti,des expressions, mais surtout de l’interaction avecautrui. Individualisé ou pas, le corps se présentecomme le support des échanges et de la communi-cation. Forgé tout autant, comme nous l’avons vu,par la culture et la nature, il donne « chair àl’existence », précisément dans la relation auxautres. Ce n’est donc pas anodin qu’il se trouve aucentre des intérêts comme en témoignent les consi-dérations paradoxales qu’on lui voue. Ainsi, l’inves-tissement au niveau de certaines parties du corps,comme le sein, traduit tout autant ce souci d’êtreen tant que personne que de favoriser les relationsavec autrui. Ce corps maltraité, tranché, disséqué,n’en est pas moins indispensable à la survie del’individu dans ses relations à l’autre. Le transfor-mer comme le dissimuler sert autant à se plaire,enjeu narcissique, que de plaire, enjeu social.Trouver les caractéristiques idéales à son corps senégocie autour de multiples impératifs personnelsmais aussi sociaux. Goffman insiste, selon De-

1 Le rapport culture et psychisme est un long débat dansl’histoire des sciences sociales et de la psychiatrie. Cf. : Fonde-ments anthropologiques de l’ethnopsychiatrie (Rechtman, Ra-veau, 1993).

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trez, « sur l’importance de l’apparence, cette fa-çade personnelle », ensemble de signes incluantl’âge, le sexe, le vêtement, la taille, les compor-tements gestuels, etc. (....) Cette façade est d’ex-trême importance dans les interactions : elledonne la première impression et est décodéecomme carte d’identité de l’individu, par l’appli-cation de stéréotypes ou la généralisation d’élé-ments déjà connus » [4].Enfin, ce que pointe une partie des recherches

actuelles autour du corps, c’est cette exigence,peut-être paradoxale, sans cesse intensifiée, de sedétacher de ce corps pour mieux le maîtriser, detrouver en quelque sorte les moyens de s’en libé-rer. Les tabous, toutes contraintes autour du corpsseraient abolis. L’art contemporain en particulier,est fasciné par ce corps objet. Le corps auraitacquis pour certains penseurs « une souplesse, cor-rélative à celle des mentalités et des esprits » [4].Du mépris des tabous aux provocations artistiquesactuelles qui font du cadavre un objet de contem-plation dans les musées2, il demeure tellementinvesti, focalisant autant les esprits que les re-gards, qu’on se demande si cette visée de libéra-tion n’en est pas moins une autre forme d’exalta-tion ou, comme le dit Detrez, « l’aspect en creuxprofondément sacré et fascinant du corps ». Ilsuffit de reprendre l’actualité autour des donsd’organes et constater toute l’ampleur des passionset des querelles qui se déchaînent autour de lasymbolique du corps. Les refus de dons sont autantde façon de démontrer que le corps fait partie d’unespace autrement que matériel, mêlant croyanceset caractère sacré attribué aux différentes partiesde ce corps, entre la vie et la mort. Ce corps,soi-disant libéré, dont on prétend s’être défait descontraintes, autrefois tenues par la religion dansnotre société, en assume en fait bien d’autres maissous des formes peut-être moins visibles et moinsexplicites. Parce que les comportements répondenten permanence à des codes, les « pratiques les pluslibérées apparemment des contraintes sont en réa-lité extrêmement codifiées : la pratique des seinsnus sur la plage répond à des exigences de compor-tement à l’opposé de l’idéal du corps nature (mo-dèle construit contre le corps corseté par exem-ple), du corps en fusion avec les éléments – vents,soleil, mer – affiché par ses adeptes. Les contrain-tes ne sont plus extérieures, mais d’autant plusexpresses qu’elles sont implicites » [4]. Cescontraintes, prenant des formes variées et inatten-

dues, dominent notre rapport au corps et à sespotentielles modifications comme celle, bien en-tendu, de changer l’esthétique des seins. Il existeaussi une autocontrainte diffuse où surtout l’indi-vidu est sous l’emprise du regard d’autrui. La libé-ration des corps ne serait donc que la prise encompte d’autres normes, d’autres standards et lesinterdits se cachent là où on ne les attend pasnécessairement.Les débats actuels autour du sein et de la chirur-

gie esthétique rappellent toute la dimension so-ciale du corps, ce qu’il peut engager, dans samaîtrise comme dans son aversion, de conflits et detensions sociales. En effet, en souhaitant transfor-mer ses seins, la femme n’affiche-t-elle pas dansune sorte de mise en scène, au-delà d’une quelcon-que érotisation, sa maîtrise des rapports entrehomme et femme, empreints d’une domination,vieille comme le monde ? [7]. La transformation deson corps, et particulièrement de ses seins, vientpour la première fois dans l’histoire lui donner unepossibilité sinon de renverser du moins de minimi-ser cette position de dominée. Avec le sein, alibid’une lutte contre certaines contraintes, le corpsvient ici traduire le jeu des tensions et des rapportssociaux, dans une libération, bien sûr que partielle,comme nous l’évoquions plus haut, mais qui sereplace selon un autre champ de valeurs.À d’autres égards, dans sa forme, disons intime,

propre à chacun, le corps devient aussi un refuge,pendant qu’il est aussi un échange. Replié sur soi,le corps donne toute l’étendue de nos propreslimites, de notre univers personnel. Les limites ducorps ne marquent-elles pas celles aussi de l’indi-vidu ?

Sein, corps et identité

En fortifiant certaines valeurs sur le corps, notresociété impose à l’individu de s’y conformer pour sesatisfaire d’un fonctionnement idéal, toujours àatteindre. Cette interaction entre les normes de lasociété et les référents personnels contribuent à laconstruction de l’identité, enjeu en retour bien sûrdes contacts avec autrui au niveau social et culturel[5]. Le souci du corps, de ses différentes partiescomme le sein, constitue un souci de soi. « C’est lamobilité et la motilité du corps qui permettentl’enrichissement des perceptions indispensables àla structuration du moi » [5]. Même si ce narcis-sisme cache derrière cette position d’indépen-dance une volonté de partage, il se construit dansles limites d’un corps qu’on façonne, qu’on dissi-mule ou qu’on affiche. Le recours au corps, sou-vent, fixe cette volonté de se construire ou de se

2 Artiste anglais : le professeur Van Hagen a exposé à plusieursreprises des cadavres dans différents musées du monde entieravec des mises en scène, sujettes à de nombreux débats etcontroverses.

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reconstruire, se définissant dans les limites de sonidentité. Le corps est aussi la condition del’homme, de son être au monde, siège des émotionset des perceptions. L’entrelacement des émotions,des perceptions, du ressenti passe par ce corps quidonne « forme » à l’image et à la conscience de soi.Le corps se situe à la jonction du monde extérieuret du développement de l’identité, et la com-plexité de l’évolution psycho-affective combinecette interaction sur les modes du toucher, del’intégration, de l’attachement et de la différenti-ation, par exemple, de l’enfant et du monde exté-rieur [8].Siège et enjeu des identifications, le corps prend

forme dans l’imaginaire et dans l’image que l’indi-vidu s’en fait. Cette construction participe à lapermanence du soi, sans cesse remis en questionaux périodes charnières de l’existence ou au mo-ment de crises. L’élaboration de l’individu passepar ces mouvements d’intégration des partiescomme de l’ensemble, ces processus d’identifica-tion, de différenciation. Le sujet fait référence àlui-même à travers le « je » mais aussi à traversl’autre comme sa mère, dans cette révélation dustade du miroir3. L’image du corps, centrale dans laformation de l’individu, le ramène sans cesse à cesvaleurs dont nous parlions, plus haut ; ces valeursqui se forgent dans des modèles idéaux, par lesmédias, la publicité, les modèles de beauté. « Cha-que sujet est confronté à un corps esthétique deréférence, fantasmé, idéalisé, inaccessible... »[9].Que l’on souligne les impératifs plus ou moins

fantasmés de correspondre à des modèles de so-ciété, ou que l’on reprécise l’investissement pri-mordial du corps pour la constitution du soi, ouenfin que l’on constate la désacralisation, du moinslimitée, du corps et de son agencement, il estévident qu’une série de paradoxes et d’ambiguïtéentoure d’une nébuleuse le corps humain. D’uncôté, son utilité absolue dans la constitution del’identité, de l’autre sa négation pour mieux sesatisfaire, se méprendre pour mieux se retrouver.Cette ambiguïté semble l’apanage des fonctionne-ments humains dont la cohérence est toujours àquestionner. La difficulté tient aux limites à définirde part et d’autre entre les codes de la société quivarient au gré des modes et des mœurs et l’éprou-vante satisfaction personnelle à bousculer ou àsimplement intégrer ses codes pour son bien-êtreselon des exigences toujours plus grandes. Modelerson corps, redonner forme à ses seins à l’image desstars de la publicité, véhicule ces exigences, inscri-

tes dans des codes sociaux qui sont à prendre enguise de repères pour l’intégrité de la personne etla cohérence sociétale.Toucher au corps a aussi pour ambition de modi-

fier un rapport à soi, au corps vécu intérieurement,parfois altéré, pour secondairement mieux vivre etchanger ses interactions avec les autres. Autant lesein fut l’objet de considération dans ses formesopulentes pour démontrer le degré de fécondité etde fertilité, charge et fonction intensément collec-tive, autant il se place dans des impératifs appa-remment plus individualistes actuellement cheznous. Cette dimension individuelle n’est peut-êtrequ’apparente, comme nous le soulignions plushaut, et le rapport à son corps, se modifiant sanscesse, tient lieu de souci centré autant sur soi quesur l’environnement social et collectif, dans desrapports toujours plus codifiés. Les modalités dechangements d’apparence et de cette interfaceque représente le sein concourrent à cette néces-sité de s’affirmer mais aussi de s’estimer dans unesociété où même si le corps peut s’avérer mal-traité, disséqué, surentraîné, il demeure le siègede codes précis, de codes sociaux dépassant l’uni-que individualité. Il est surprenant de voir combienles enjeux de performance, de compétition, deparaître résonnent dans les formes de détressepsychique contemporaine [10] et c’est aussi à cetteblessure que se doivent de répondre, idéalement, àla fois la psychiatrie et la chirurgie plastique, tra-versées par ces mouvements de société. Il n’est pasanodin que soient représentées majoritairementces deux spécialités dans les magazines et les émis-sions télévisuelles de vulgarisation. Chacune de cesdisciplines tente désormais de définir son champd’intervention dans une éthique que l’on voudraitsans cesse mettre en déroute mais au sein desquel-les existent là aussi des codes de fonctionnement etdes règles de pratiques. Ces personnes qui se pré-sentent blessées dans leur corps méritent qu’ons’attarde sur le niveau d’intervention requis.

Chirurgie et psychiatrie à l’intersectiondu sein et du soi

Il est désormais communément acquis et reconnuque le rétablissement de certains dégâts corporelspeut satisfaire l’image qu’a l’individu de lui-mêmeen accord en particulier avec des références em-pruntées au monde social et culturel extérieur. Laréfection d’un sein, après une chirurgie ablative,voire après une pose de prothèse pour donner plusde forme et de volume à un sein, colmate audemeurant certaines brèches dans l’estime desoi et dans ses propres considérations vis-à-vis3 Cf. écrits de J. Lacan.

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d’autrui. Serait-ce pour certains la prérogative decombler un manque de corps lié à un manque àêtre ? Cependant, cette chirurgie idéale, médecineparfaite qui panse les plaies de l’esprit à coup debistouri, déployant ses techniques sur et autour ducorps pour la réparation psychique, est parfoisautant de leurres que la psychopathologie nousrévèle.Rappelons qu’autant l’idéal individuel coïncide

avec des valeurs et des normes sociétales, autant lapsychopathologie dissimule des exigences collecti-ves. Aussi les pathologies narcissiques, de plus enplus fréquentes dans le registre des troubles,témoignent-elles de ce constat ; leur prévalencegrandissante nous impose une réflexion sur les mo-dalités d’expression des troubles en fonction dumodèle de fonctionnement social.À ces troubles du narcissisme correspondent, en

adéquation, les problématiques identitaires au seindesquels resurgissent les exigences esthétiques etainsi les ruminations autour des défauts, réels oufantasmés, concernant les seins. La définition del’identité esthétique conduit parfois, quand ellen’est pas assumée, à des dérèglements psychiquesde l’ordre des dysmorphoesthésies où le sein peutse trouver inclus au centre de préoccupations deve-nant morbides. Les dysmorphoesthésies correspon-dent aux troubles de l’apparence, représentés parune perturbation du sentiment esthétique del’image de soi [9]. Il s’agit d’une préoccupationmorbide, représentée par la crainte d’être laide,ou l’idée obsédante de disgrâce corporelle, doulou-reuse, entraînant une appréciation fausse et péjo-rative de l’esthétique ou de l’ensemble ou d’unepartie du corps [9]. Elles se déclinent, selon Ferreriet al., selon plusieurs axes psychopathologiques,suivant une intensité croissante dans l’expressiondes troubles et de leur degré d’adhésion, allant detroubles névrotiques à des convictions délirantessévères. Se rapprochant pour les troubles névroti-ques des troubles obsessionnels avec des élémentsde méticulosité, de difficultés relationnelles, detendance à l’évitement des contacts sociaux, il leurarrive de se présenter sous la forme d’une dé-faillance narcissique et donc d’une perte d’estimede soi, très ancrée, dont le vide à combler peutdevenir, dans certaines éventualités, incommensu-rable. Ces patients, qui parfois pouvaient paraîtreinitialement très adaptés, focalisent leur intérêtsur leur image sociale. Dès lors qu’ils se trouverontperturbés dans leur identification et leur identité,ils auront volontiers recours à la chirurgie esthéti-que pour modifier leur apparence esthétique, ju-gée de longue date insuffisante mais supportée [9].Le sein en particulier, dans les demandes de réfec-tion, peut cacher ces intérêts. Le sein s’affiche

peut-être comme le miroir de soi et aussi,rappelons-le, du monde en mouvement, dans lecorps socialisé qu’il représente.Le recours urgent à la chirurgie esthétique rap-

pelle cet investissement du corps dans ses para-doxes, à la fois comme colmatage d’un soi dé-faillant et à la fois aussi dans un désir, plus ou moinsconscient, de s’imposer quelques maltraitancesphysiques pour recouvrer le sentiment d’une iden-tité physique [11]. Le geste chirurgical devient dansces situations le court-circuit psychosomatique quipermet au sujet de décharger une tension psychi-que générée par un conflit ou une absence [9]. Cestroubles de l’apparence, bâtis sur un narcissismefragilisé, poussent certains individus à recourir àdes gestes itératifs de réfection et de reconstruc-tion. Trouver ses limites dans le geste, soi-disantdans le geste réparateur et sous-entendu salvateur,demande à être vigilant. Les demandes peuventdevenir pressantes, alimentant revendications etquérulence dans certains cas de figure. Cette dis-torsion de l’identité esthétique correspond, selonFerreri, pour la majorité des patients à des caren-ces dans l’enfance, des identifications aux imagesparentales, des conduites d’inhibition et d’évite-ment social. Pour d’autres, ils réinvestissent lacompétitivité et la réussite comme modèles d’in-sertion sociale. Quels que soient les mobiles ini-tiaux, l’objectif est sensiblement toujours lemême : l’image de soi, reprendre prise sur soncorps pour s’inscrire dans les champs des relationssociales. Au chirurgien d’envisager l’impact social,les répercussions relationnelles et sociales, rap-pelle Ferreri, mais la tâche peut s’avérer ingrate encas de défaillance sévère. Le sein se retrouve denouveau, ici dans ses réfections, sa mise en valeurou son embellissement, dans cette position d’inter-face à la jonction entre le monde extérieur et lesexigences personnelles. Cette frontière entre lesmondes intérieur et extérieur, qu’elle soit parée devaleur esthétique, sociale comme la fécondité, dé-termine tout un champ d’application où se concen-trent des intérêts à ne pas négliger.Nous soulignerons, encore une fois, toute cette

centralité du corps pour exister. En soulignant lecaractère agressif que peut prendre la réfectiondans la dynamique du patient, on se rapproche deces actes d’automutilations, de scarifications, telsdes rituels conjuratoires [11,12], pour retrouver unsentiment d’identité physique. La chirurgie peutcorrespondre à une de ces voies liminaires, queconstitue le rituel, pour en sortir grandi et diffé-rent, pour se dégager de contraintes et d’une enve-loppe corporelle insatisfaisante. Ne soyons pas du-pes pour autant, ce passage n’est salvateur quepour une tranche de cette population, car toucher

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au corps de certains d’entre eux peut, dans unedébauche d’énergie stérile, leur faire prendre lerisque de la perdition sans retour.La chirurgie du sein prend place dans des inters-

tices, espaces tangentiels où les enjeux et les mo-dalités individuelles se parent de codes et de règlesaussi incertains que le fonctionnement de nos so-ciétés. Les nécessités de soins ne peuvent dérogeraux multiples interrogations de la société que nousretrouvons, en reflet, dans les demandes des pa-tients. Notre intervention dans le champ social nes’accorde que du bon sens, même si les valeurs etles normes se modifient au gré des révolutions etdes changements. Qu’autrefois on refusât de tou-cher au corps, qu’aujourd’hui le corps vibre aurythme des scalpels, une dimension persiste, lecorps est malléable jusqu’aux limites de l’esprit.

Références

[1] Winnicott DW. De la pédiatrie à la psychanalyse. Paris:Payot; 1992.

[2] Chekaroua K. Augmentation mammaire par implants tex-turés en position rétropectorale : analyse d’une série de803 prothèses, thèse de médecine. 2004 (Lyon).

[3] Rabain J. L’enfant du lignage : du sevrage à la classe d’âge.Paris: Payot; 1994.

[4] Detrez C. Construction sociale du corps. Paris: Seuil; 2002.

[5] Breton DL. Anthropologie du corps et modernité. Paris:PUF; 1990.

[6] Breton DL. Homo silicium ou haine du corps. In: Thérapiepsychomotrice et recherches. 2004. p. 22–30.

[7] Heritier F. Masculin, féminin : la pensée de la différence.Paris: Odile Jacob; 1996.

[8] Anzieu D. Le moi peau. Paris: Bordas; 1985.

[9] Ferreri MG, Slama F, Nuss P. Identité esthétique et dysmor-phoesthésie. In: Confrontations psychiatriques. 1998.p. 301–26.

[10] Ehrenberg A. La fatigue d’être soi : dépression et société.Paris: Odile Jacob; 1998.

[11] Levy JJ. Entretiens avec Davis Le Breton : déclinaisons ducorps. Montréal: Liber de vive voix; 2004.

[12] Bourgeois D. Comprendre et soigner les états limites.Paris: Dunod; 2005.

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