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Du jardin ouvrier aux jardins partagés, mode de vie ou effet de mode

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Mémoire de 5 eme année

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Solange Yates mémoire année 5 - École bleue

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DU JARDIN OUVRIER AUX JARDINS PARTAGÉSMODE DE VIE OU EFFET DE MODE ?

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Sommaire

1 Apparition et développement des jardins ouvriers. Quand un outil paternalisant s’affranchit pour devenir espace de liberté.

- La figure de l’Abbé Lemire, père des jardins ouvriers et fondateur de la Ligue française du coin de terre.

- Les jardins ouvriers, supports d’une idéologie paternaliste.

- L’évolution des jardins ouvriers dans le paysage hexagonal, un historique en dents de scie.

- Le jardin, espace de liberté créative.

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2 Jardin ouvrier, patrimoine menacé : Cas d’école des jardins ouvriers de la commune de Saint Ouen, Seine-Saint-Denis.

- Jardin et patrimoine.

- Historique des jardins dits « de l’Alsthom ».

- Menace sur les jardins, mobilisation et contre propositions, l’état des lieux.

- Jardin d’ailleurs : Les community gardens

- Jardins d’ailleurs : Le People’s Park de Berkeley

3 Les jardins aujourd’hui : entre loisir et action militante. Espace partagé et participatif.

- Les enjeux contemporains au jardin

- Les différents jardins communautaires contem- porains : jardiniers disparates et démarches variées

- Implication politique et jardins. Exemple du « jardin suspendu », rue des Haies, Paris 20 ème.

- Espace participatif partagé, entre espace intime et espace social.

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Tours, les petits jardins de «Docks de France», 1941(Photo François Tueffard)

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Introduction

L’origine de mon sujet de mémoire se trouve à deux pas de chez moi.

J’habite depuis plusieurs années la commune de Saint-Ouen en Seine St Denis. Banlieue de la première couronne, Saint-Ouen est une ville historiquement ouvrière comme en témoignent ses nombreux bâtiments industriels issus de la révolution du même nom. Toutefois depuis une dizaine d’an-nées, les nombreuses opérations immobilières dessinent un nouveau paysage urbain. Ces constructions neuves qui pous-

sent tels des champignons à travers la ville attirent d’anciens parisiens, dont je fais partie, à la recherche d’accession à la propriété à un prix attractif.Autre trace de l’ère industrielle à Saint Ouen : ses jardins ouvriers. Parcelles potagères cultivées par les employés de l’entreprise Alsthom depuis 1928, ce patrimoine est en voie de disparition. Le terrain cédé par la mairie au promoteur Nexity va connaître une seconde vie, et les jardins ouvriers témoins d’une partie de l’histoire de la ville cèderont leur place à de nouveaux ensembles im-mobiliers d’habitation et de bureau. Parallèlement, à l’heure ou une sen-sibilité à l’écologie et au développe-ment durable grandit, de nouveaux jardins d’appellations diverses (fa-miliaux, partagés, solidaires, d’inser-tion…) s’immiscent en centre ville. Peut-on parler de réminiscence des jardins ouvriers ? Qui porte ces pro-jets et dans quels buts ? Quelle vocation ont ces espaces verts partagés ? Effet de mode su-perficiel d’une aspiration à un retour à la terre, ou réel outil au service d’une amélioration de la qualité de vie de certains français ? Les jardins en ville font l’objet de nom-breuses politiques de développement

local tout en se révélant comme ter-rain favorable à une expression ci-toyenne et collective. L’espace ainsi partagé et investi par les habitants permet rencontres, entraide et mo-bilisation. Entre initiative populaire et plan local d’urbanisme, les ambitions et fonc-tionnements des jardins partagés sont multiples.

Dans une première partie, l’histori-que du jardin ouvrier nous permettra d’aborder son origine et les théories paternalistes qui y sont associées ainsi que l’espace de liberté qu’il re-présentait pour les jardiniers. Nous reviendrons ensuite sur la menace qui pèse sur ce patrimoine au travers de l’exemple des jardins de Saint Ouen. Enfin, dans la troi-sième partie j’aborderai les jardins d’aujourd’hui. À la fois lieu de loisir et outil militant, le jardin sous ses di-verses formes revêt communément des qualités d’espace partagé et par-ticipatif attrayantes dans un contexte urbain densément peuplé.

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Déjeuner en famille, un dimanche aux Courdeaux.Années 30.

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Apparition et développement des jardins ouvriers D’un outil paternalisant à un espace de liberté

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La figure de l’Abbé Lemire, père des jardins ouvriers et fondateur de la Ligue française du coin de terre.

La fondation de la Ligue française du coin de terre en 1896, marque le début d’un élan jardinier en région violemment urbanisée. L’abbé Lemire, dé-mocrate-chrétien d’origine paysanne, élu député en 1893 sur la base d’un programme terrianiste est à l’origine du mouvement.

L’Abbé Lemire, Archives LFCTF

L’emblème des jardins ouvriers, archives LFCTF.

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Doctrine nouvelle, « le terrianisme », ennemi de l’industrialis-me, revendique la propriété familiale, alors mise en danger par une mobilité sociale due à la révolution industrielle . Le terrianisme défend à la fois la nécessité de propriété indivi-duelle et le caractère indispensable de la propriété collec-tive qu’il juge être un « correctif social aux inconvénients de la propriété privée » (1894).

Ordonné prêtre en 1878, il est proche des familles ouvriè-res dans le besoin et constate leur peu de loisirs « sains » ainsi que la précarité des logements que leur a concédé leur employeur à proximité de l’usine. À cette époque « l’homme d’église » endosse un rôle politique fort du fait de sa proximité avec les habitants . Rattaché au mouvement de la démocratie chrétienne, son souhait est de réconcilier les ouvriers et leurs patrons. Lors d’allocutions publiques il affirme « Derrière ma sou-tane de prêtre il y a le fils et le frère de travailleurs comme vous ». Fortement impliqué, c’est à son action politique que l’on doit notamment le repos hebdomadaire, les allocations famille nombreuses ou encore la retraite vieillesse. Marguerite Yourcenar (Quoi ? L’Eternité, Ed Gallimard) écrit à son sujet « Ses jardins ouvriers détestés du patronat n’ont pas pour seul but d’offrir au salarié des villes un peu plus d’air pur, une aide alimentaire contre la cherté de la vie, mais une sorte de réhabilitation par le contact avec le sol ». L’on devine ainsi aisément que le jardin au-delà de l’es-pace physique qu’il définit devient un outil politique et social.

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Dans les statuts de la ligue il est inscrit qu’elle a pour but « d’étudier, de susciter et de réaliser toutes initiatives tendant à servir et à consolider la famille en l’établis-sant sur sa base naturelle : la terre et le foyer. Son action consiste essentiellement à pro-mouvoir la création et le développement des jardins ouvriers, parcelles de terre mises, par une initiative désintéressée, à la disposition des chefs de famille (…) afin qu’ils cultivent et qu’ils en jouissent pour les seuls besoins de leur foyer ».

La mise en place d’un tel projet ne se fait naturellement pas sans heurts. Avant le premier coup de pioche, trouver le terrain est le premier effort nécessaire. Les mem-bres de la Ligue prospectent les centre villes pour trouver des terrains cultivables. De nombreux projets vont échouer car les loyers sont trop chers. Les propriétaires sont méfiants et craignent les conséquen-ces d’une œuvre charitable qui distribue des jardins à la « racaille ». À force de persuasion, ce sont des industriels, des collectivités mais aussi des particuliers ou des compagnies de chemin de fer qui concèdent les terrains à des prix raisonna-bles, et les mettent parfois même gra-cieusement à disposition. Le mouvement s’enrichit de la création d’associations de groupes de jardins.

Les parcelles sont concédées a des familles modestes, selon des critères de revenus,qui y viennent le soir, le samedi ou le dimanche, lorsqu’en 1936 la « semaine anglaise » se généralise. Au cours de son développement, la Ligue se rapproche des fondateurs des HBM (Habitations Bon Marché). Ils ont en effet en commun une sensibilité à la théorie hygiéniste, qui place la lutte contre l’insa-lubrité et le développement de maladies qu’elle engendre au cœur de sa vision de l’urbanisme.

Dans l’atelier du sculpteur Desruelles.Stuatue de l’Abbé Lemire.

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Notamment pour résoudre les problémati-ques foncières que rencontre la croissance du mouvement, la ligue cherche le soutien de l’état, veillant toutefois à ne pas compro-mettre son indépendance. Elle parvient à sensibiliser l’état à sa cause en élargissant sa problématique à des thèmes auxquels le gouvernement s’intéresse : hygiénisme et urbanisme… Selon une logique similaire dans le contexte actuel, l’insertion sociale est aujourd’hui un débat majeur qui permet de valoriser les bienfaits des jardins d’insertion.

Il faut bien avoir à l’esprit que la vie associa-tive est encore balbutiante à l’heure de la création de la ligue par l’Abbé Lemire. Les œuvres d’état se limitent alors aux œuvres régaliennes, d’autant que le domaine de l’état est encore restreint. La majorité des terrains sont donnés, légués, loués…Et rare est la participation des pouvoirs publics. Mal-gré ces nombreux obstacles et des forces contraires, on passe de 655 jardins ouvriers en 1899, à 47000 en 1920.

Congrès international des jardins ouvriers, Luxembourg 1927

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Les jardins ouvriers, supports d’uneidéologie paternalisante.

Lieux jugés néfastes du fait de leur urbanisation chaotique, les villes engendrées par la révolution industrielle sont alors synonymes d’insalubrité, de pauvreté sociale et de perdition (Cochart-Coste, Grumets, 2007).

Verso d’une carte postale éditée par la Ligue, années 20.

Le père Volpette visitant «sesé jardiniers.Saint Etienne, début du 20 ème siècle

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Ces habitations insalubres qui sont le lot des tra-vailleurs les plus pauvres, sont stigmatisées comme pouvant engendrer des problèmes sociaux et de nom-breuses maladies. Par extension, l’on estime alors que la classe ouvrière est d’une certaine façon dangereuse et menaçante. Par l’attribution de parcelles aux familles modestes, le jardin doit permettre de faire adopter aux plus dému-nis des activités plus saines que la visite des cabarets. Lieu subversif où l’on s’entasse et l’on boit pour oublier le cauchemar quotidien d’un travail abrutissant et de

conditions de vies précaires, le cabaret est de fait un lieu de rassemblement. Or ce rassemblement d’une même catégorie sociale est craint car perçu par le pa-tronat comme le creuset d’idées socialistes et rebelles à leur encontre. Recherchant des solutions à ces problèmes identifiés et notamment celui du logement ouvrier, le paternalisme intervient au-delà du lieu de travail, jusqu’à l’intimité de la vie de famille au cœur du logement. On parle alors d’« élever le niveau moral de l’existence et de détourner des plaisirs grossiers » (Riviere 1904).

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Carte postale éditée par la Ligue, années 20.

Le chant des jardins ouvriersédité en carte postale.

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Les jardins ouvriers sont vecteur d’un objectif que l’on pourrait définir comme suit : remode-ler la classe ouvrière, consolider la famille dans un processus d’appropriation du territoire, pour se construire une nouvelle identité sociale plus positive, et socialiser l’ouvrier. En ce sens le jardin peut être défini comme instrument de normalisation.Par ailleurs, le jardin est porteur de la notion de loisir utile. La valorisation du loisir-travail qu’est celui de la terre, exerce un caractère moralisateur et normalisant puissant. Le loisir doit alors être utile et jugé sain physiquement et moralement. D’une certaine façon il s’agit de corriger l’esprit par un travail du corps.

La propriété du terrain par l’association est l’objectif, mais la précarité des jardins est réelle car le plus souvent ils sont implantés sur des terrains proches de l’habitat des ouvriers et potentiellement constructibles. Les jardins ouvriers à la française résultent d’un passage de l’utopie au réalisme. L’utopie étant celle de l’accès à la propriéte insaisisable et le compromis en sera des espaces de vie individuels sur une propriété indivise.On peut noter la dualité des jardins ouvriers qui se caractérisent par l’indépendance de chacun combinée au respect d’un règlement signé par tout nouveau jardinier à l’attribution de sa parcelle. Ce règlement aborde entres autres l’entretien des parties communes.Petit a petit, avec l’appropriation des espaces, naissent des aires de jeu pour les enfants et les cabanes de jardin se révèlent comme subs-titut de la maison de campagne.

Société des Mines de Lens : jardin scolaires en 1906Archives LFCTF

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Les cultures varient selon les besoins, mais des conseils sont promulgués afin de rendre l’espace cultivé le plus rentable pour les familles aux revenus modestes en conseillant par exemple la culture de légumes plus nourrissants pour compenser un manque de viande dans l’alimentation. Le jardin en paysage urbain devient le lieu de transmission de savoir du bon jardinage, de conservation de

traditions horticoles et de retour aux sources pour certaines familles issues du milieu rural, venues trouver du travail en ville. Si au départ les jardiniers sont principalement des ouvriers travaillant dans les usines à proximité, la population jardinière se diversifie progressivement. À Paris, des familles d’horizons divers chassées de la capitale par des loyers en hausse

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Texte publié et diffusé par l’association des jardins

ouvriers de Troyes en 1905Archives LFCTF

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L’évolution des jardins ouvriers dans le paysage hexagonal, un historique en dents de scie.

L’histoire des jardins ouvriers est loin d’être linéaire car liée à l’évolution du pays, ses périodes de crise et de croissance.Le terme de jardin familial s’imposera après la seconde guerre mondiale, à l’image de l’évolution sociale du pays. Aujourd’hui, ces jardins autrefois ouvriers portent l’appellation de jardin familiaux, partagés, pédagogiques ou d’insertion.

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Diplôme de la LFCTF

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Après un essor considérable, sous l’impulsion des pouvoirs publics dans les années 1940 en réponse aux restrictions alimentaires, leur nombre diminue significativement au fil des années de la reconstruc-tion, notamment car ces espaces matérialisent le souvenir d’une époque douloureuse. Il ne s’agit tou-tefois pas de l’unique cause de leur disparition qui est aussi la consé-quence d’un quotidien français moins aride, d’une meilleure offre sur le marché en fruits et légumes, mais aussi d’un autre facteur qui a une résonance très contemporaine : la reprise massive des terrains pour la réalisation et l’implantation de grands ensembles d’habitations et d’équipements publiques. On assiste également à une évolution dans la pratique des jardins. Après le potager du besoin des années de guerre apparaît le jardin plaisir né d’une volonté de retour à la nature, d’une satisfaction de faire pousser, de cultiver, et de consom-mer ses propres légumes.La ligue poursuit sa démarche, avec dans les années 40 pour objectif de faire accepter » les jardins familiaux en tant qu’équipements sociaux à part entière, comme partie intégrante de la conception urbaniste.

Diplôme de la LFCTF

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Années 40

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Les années 70 marquent aussi une étape forte dans l’histoire des jardins dits désor-mais familiaux.En 1976 la Loi Royer tente de protéger les jardins familiaux et les terrains qu’ils occu-pent. En 79, Robert Poujade, ministre de l’en-vironnement en fait son cheval de bataille . Malgré ces élans, au cours de ces années de prospérité économique les préoccupations d’urbanisme l’emportent sur les préoccupa-tions sociales, avec pour volonté de profon-dément moderniser les villes. On constate alors que de nombreux espaces verts sont sacrifiés. Les jardins ne deviennent plus qu’un équipement de loisir peu coûteux.

Après des années sans évolution majeure, les jardins font l’objet d’un retour en grâce à partir des années 1990.Dans le contexte actuel d’une urbanisation galopante (la proportion de la population citadine dépassera 60% en 2025) se dé-veloppent des projets de jardin à vocations diverses. Quelle place donner au jardin dans un pays dont les traditions agricoles sont plus que jamais en voie de disparition ? Mé-lange particulier d’individualisme (jardin clos, travail solitaire du jardin dans sa parcelle) et de sociabilité (appartenance à un groupe, importance des échanges) l’institution du jar-din ouvrier trouve tout son sens en régions densément peuplées sur le territoire.Espace vert à part entière participant à la vie de la collectivité, et non pas privatisation de l’espace au profit de peu de gens, le jardin comme prolongation du quartier revient dans les débats et théories urbanistes comme réponse à un climat social de crise.

Jardins de la ville nouvelle de Cergy Pontoise (Val-d’Oise).Photo Pierre Gaudin

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Le jardin, espace de liberté créative.

S’affranchissant de sa vocation première, le jardin ouvrier se dessine progressivement comme un espace de liberté et de créativité populaire.

Carte postale d’un groupe de jardiniers à Vienne, 1904

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Au cours des périodes de désenchantement des jardins ouvriers, la langue critique se délie et l’aspect non normé et pauvre des jardins est stigmatisé. Assimilés à une architecture de bidonville et jugés peu valorisants par les com-munes, les jardins ouvriers dérangent. Mais on oublie alors que si les jardins ont un pauvre as-pect c’est aussi parce que ce sont des jardins de pauvres. De nombreux sites anciens de jardins familiaux reposent sur l’esprit d’initiative de leurs jardi-niers : l’aménagement des parcelles individuel-les, des abris de jardin, des clôtures et des allées s’organise progressivement. Les jardi-niers les conçoivent en fonction des matériaux disponibles, souvent de réemploi, récupérés au rebut et fréquemment détournés de leur usage premier.Ces jardins constituent des territoires dé-tachés de la maison et de ses contraintes domestiques, de ses rituels, de ses conventions d’usage et de mise en scène. Le jardin familial, par sa dimension insulaire of-fre donc un espace de liberté, de robinsonnade, même modeste car le domicile n’est pas loin. Si l’on y reproduit des gestes de la sphère domes-tique, notamment au cabanon de la parcelle (un cadre fixé au mur – mais souvent à l’extérieur - un paillasson, des rideaux...), on s’y autorise en plus quantité d’installations interdites ailleurs. Il semble que d’une façon plus générale, la situation particulière de ces jardins favorise

chez leurs jardiniers l’expression et la création. À la fois lieu d’intimité et de représentation, le jardin familial offre une véritable opportunité de sociabilité et de créativité. L’appropriation de l’espace par ses usagers se révèlera parfois dérangeant aux yeux des pouvoirs publics. Au cours de leur histoire les jardins ouvriers ont souvent fait l’objet de tentative de « lissage », les communes tentant parfois de faire travailler des professionnels de l’aménagement sur leur aspect, d’instaurer des modèles de clôtures, de cabanes…

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«La Terre est le moyen, la famille est le but»Photo LFCTF

Cueillette des fraises par des enfants à Lyon.(Photo Bkanc et Denilly)

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Souvenirs d’enfance de Madame G. au jardin du lieu-dit des Coudreaux, commune de Courtry en Seine-et-Marne.Extrait de «Cent ans d’histoire des jardins ouvriers».

« Les parties de campagne du dimanche, pendant que les parents travaillaient sur leur terrain, nous les enfants on se régalait… C’était la vraie brousse, on était complète-ment séparés du village de Courtry (…) c’était bordé de grands arbres, plein de creux et les gosses allaient se cacher dedans …Ils ont défriché, ils ont creusé un puits et fait un peu de culture et on repartait avec les musettes garnies . Tout ça a duré des années ; Ah alors l’ambiance ! oui c’était une autre am-biance que maintenant, je me souviens le di-manche quand ils venaient ils faisaient un feu de joie, le père de ma marraine, son frère, mon père, mon grand-père, tout le monde, ils faisaient une espèce de sarabande dans les jardins avec des casseroles. On faisait tout ce qu’on pouvait supposer des fêtes, c’était une ambiance formidable, on s’amusait comme des fous. Il n’y avait personne, on pouvait faire n’importe quoi… »

Les élus préfèreraient parfois que les jardiniers n’expri-ment pas aussi librement et visiblement leur attachement à leurs parcelles. Or, afin que cette culture qui en est une soit respectée et que cette forme d’art populaire puisse continuer à s’expri-mer, l’aménagement des nouveaux jardins doit revenir à ses usagers. Un espace offert par la commune mais normé ne permet-trait pas aux jardiniers de se l’approprier. Chaque jardinier aménage et cultive sa parcelle à sa fa-çon, d’une façon qui lui ressemble.«La Terre est le moyen,

la famille est le but»Photo LFCTF

Cueillette des fraises par des enfants à Lyon.(Photo Bkanc et Denilly)

Le travail au jardin le dimanche en famille aux Courdreaux,

années 30.

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Manifestation pour la préservation des jardins ouvriers à Saint-Ouen,.Photo Laurent Vall.

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JARDIN OUVRIER, PATRIMOINE MENACÉ CAS D’ÉCOLE DES JARDINS OUVRIERS DE SAINT- OUEN

SEINE SAINT-DENIS

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Jardin et patrimoine

Si l’historique et le patrimoine que représentent les jardins ouvriers peuvent sembler évidents, nombre de jardins d’hier sont néanmoins menacés alors que de nouveaux espaces à vocations similaires voient le jour.

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Dans un contexte d’urbanisation galopante et de spéculation immobilière, il semble que les espaces jardins ne soient jamais acquis ni pérennisés, sans cesse menacés par la reprise des terrains pour des pro-jets de construction. Si ce facteur, comme nous l’avons vu, a marqué l’histoire des jar-dins depuis leur création, le patrimoine qui a malgré tout su résister est aujourd’hui encore en danger. La spéculation immo-bilière et l’essor des communes semblent incompatibles avec la préservation de ce patrimoine, de ces « espaces-mémoire » de toute une culture. L’on peut se de-mander dès lors s’il existe une échelle de valeur dans la notion de patrimoine. Le patrimoine ouvrier est-il moins essentiel qu’un patrimoine culturel plus traditionnel ? Mérite-t-il d’être préservé ? Ou est-il tout simplement gênant car porteur de sou-venirs de conditions de vie difficiles et de périodes de notre histoire que l’on aime à savoir derrière nous.

Jardins ouvriers de Saint Ouen.Photos Laurent Vall.

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En livrant les terrains des jardins ouvriers à la promotion immobilière, l’on arrache les racines de ce patrimoine particulier. Geste violent. D’autant plus dans une commune comme Saint Ouen qui doit son développe-ment à son activité industrielle et sa popula-tion ouvrière.

La notion de patrimoine est double, à la fois matérielle et historiquement bourgeoise dans l’idée de la préservation et transmission du bien familial, mais à l’échelle d’un pays ou d’une culture elle évoque la transmission de valeurs, d’un héritage commun. Les jardins ouvriers en tant que tels n’ont peut-être pas de valeur patrimoniale, mais ils sont le support de valeurs, de modes de vie qui font partie de notre patrimoine et notre histoire. L’espace lui-même était très simple et mo-deste. Peu caractérisé, c’est ce qu’en ont fait ses occupants et la place qu’il prenait dans leur existence qui est le témoin d’un mode de vie et d’une époque.

Dès lors que ce mode de vie n’existe plus, la préservation de leurs espaces d’expression a-t-elle encore du sens ? Toutefois, sans espa-ces exprimant physiquement ce patrimoine, la mémoire n’est-elle pas menacée ? L’on sait qu’il faut à l’homme des traces, des balises physiques – en d’autres termes des monu-ments- qui le rappellent à son histoire. Une fois les jardins historiques remplacés par des bureaux ou des habitations, qu’espérer de la mémoire collective ?

Cabanons des jardins ouvriers de Saint Ouen.Photos Laurent Vall.

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On peut s’interroger de façon plus générale sur la notion de mémoire et de souvenir. S’il un élément comémo-ratif peut être édifié en lieu et place d’un bâtiment ou d’un espace disparu, cela ne garantit pour autant pas le souvenir. Au delà d’une balise rappelant l’existence du lieu, l’on doit se souvenir de ce que les jardins représen-tent dans notre histoire : conditions de vie ouvrière, appartenance à une commune.

Dans le cas des jardins, il n’est pas rare que la récupération des terrains pour une opération immobilière soit compensée par l’allocation d’un nouvel espace par la commune ce qui n’a que peu de sens. Un espace vierge de tout ce vécu, fraîchement attribué ne pourra jamais être porteur d’un patrimoine datant d’une période révolue. Comme nous avons pu le voir il existait un réel attachement à la parcelle pour les jardiniers. Le déracinement et la parcelle de substitution ne peuvent être que mal vécus et sont surtout significatifs d’une incompréhension et/ou d’une méconnaissance de cette culture…

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L’exemple de la commune de Saint Ouen et de l’évolution de ce patrimoine me paraît inté-ressant car en tant que com-mune de tradition industrielle – et accessoirement de mairie communiste- l’acte lourd de sens de céder ces terrains à de nouvelles constructions équivaut à se tourner entièrement vers un avenir dans lequel le passé n’a plus sa place. Une façon de tourner le dos à une partie de son histoire. C’est une partie de la mémoire de la ville qui va disparaître en même temps que les dernières récoltes des jardins ouvriers de Saint-Ouen.

Jardins ouvriers de Saint Ouen.Photos Laurent Vall.

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Historique des jardins dits «de l’Alsthom»

C’est en 1917 que la Compagnie Française Thomson-Hous-ton achète à la société hippique qui en était alors proprié-taire, le domaine de Saint-Ouen. Le château qui s’y trouve, transformé en hôpital pendant les années de guerre, est laissé à l’abandon. Des ateliers sont construits sur une par-tie du domaine tandis que des terrains de sports et jardins sont aménagés sur le reste du parc qui comptait alors 26 hectares

Jardins ouvriers de Saint Ouen.

Photos Laurent Vall.

Vue Google Earth des jardins.

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Dès 1921, mille ouvriers, techniciens et ingénieurs travaillent dans cette usine qui deviendra bientôt l’une des plus grandes entreprises européennes de fabrication de matériel électrique.Jacques Mars, le Secrétaire Général de la Compagnie Française Thomson-Houston d’alors, évoquant en 1928 les débuts de cette aventure industrielle, rappelle que « dans certaines parties du domaine qui n’ont pas encore été affectées à des besoins industriels et qui représentent plusieurs hec-tares, des parcelles de terrain ont été mises gracieusement à la disposition du personnel de l’usine pour y établir des jardins potagers. En outre, des jeux de plein air, tennis, foot-ball, ont été installés par des groupements sportifs d’employés et d’ouvriers, et pendant les périodes de beau temps et de congé, des équipes nombreuses viennent se délasser en fortifiant leurs muscles et en goûtant les joies d’une saine et cordiale émulation. » (Mémoires d’usine, mémoire d’avenir / Comité d’établissement Alsthom savoisienne, usine de Saint-Ouen - Comité d’établissement Alsthom-Atlantique, 1985)Les propos de Jacques Mars laissent entrevoir combien la Compagnie Française Thomson-Houston s’inscrivait alors dans la tradition de philanthropie patronale héritée du XIXe siècle. Raymond Godard, entré à l’usine en 1940, se souvient : « La grosse préoccupation de

l’époque : manger. Tout manquait. […] Un des terrains de foot était cultivé et évidemment, les jardins ouvriers connaissaient un déve-loppement important pendant la guerre. Des gens récupéraient le maximum de bouts de terrains pour la culture. Obtenir trois pom-mes de terre et deux poireaux relevait de l’exploit. »

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Établis simultanément à la création de l’usine, les jardins ouvriers de l’Alsthom sont restés indissociables des ateliers et, tout au long de l’aventure industrielle qui a traversé le XXe siècle, ont accompagné la vie de l’entreprise.La « Commission des jardins » faisait partie des « œuvres sociales [gérées] au bénéfice des travailleurs et de leur famille » par le Comité d’Entreprise. Les guides des acti-vités sociales, culturelles et sportives les mentionnent, à l’instar de celui de 1969 qui indique : « A proximité de l’Usine, entre le parking et les terrains de sport, 108 jar-dins sont mis à la disposition du personnel de l’Usine. La Commission, chaque début d’année, prend des commandes de graines et d’engrais.Les inscriptions pour obtenir un jardin se font au Bureau du CIE (Comité Inter-Entre-prises) par demande écrite au Président de la Commission.En fin de saison, dès qu’un jardin est libre, l’attribution est faite selon l’ordre d’inscrip-tion.La Commission, en accord avec le CIE, laisse les jardins à la disposition de retrai-tés qui en font la demande. »On apprend dans ce même guide qu’une somme de 3 000 francs fut allouée aux jar-dins en 1967 ; cette somme représentait 0,3 % du budget global du Comité Inter-En-treprises Delle-Alsthom-Savoisienne ; cette proportion restera stable au fil du temps.

Jardins ouvriers de Saint Ouen.Photos Laurent Vall.

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Dans les années 1970, une douzaine de jardins furent supprimés (au niveau de l’entrée actuelle du site, 21 rue des Bateliers), le terrain étant « réquisitionné » pour entreposer de gros transformateurs en partance pour l’étranger via la Seine et, une « voie lourde » construite pour les acheminer jusqu’au fleuve. Restèrent alors 96 parcelles sur les 108 créées à l’origine. Les années 1980 virent quant à elles le déclin des activités industrielles, à l’Alsthom comme ailleurs. Peu à peu, l’usine fut morcelée et, au gré des fusions, acquisitions, concentrations, délocalisations, vidée de ses derniers salariés.D’anciens salariés aidés de nouveaux jardiniers continuèrent cependant à cultiver les parcelles histori-ques. De nombreux habitants venaient y prendre l’air le week-end et échanger avec les jardiniers.

© Fonds IHS-CGT. DR. Reprise du travail aux usines Alsthom-Saint-OuenGrève de 1979

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Menace sur les jardins : mobilisation et contre propositions, l’état des lieux

En 2004, ateliers et terrains étaient vendus au promoteur Nexity. Une lourde menace pesa alors sur les jardins puisque leur disparition pure et simple fut envisagée au profit d’un projet immobilier de locaux d’activités et d’habitations.

Dès 2005, les jardiniers, mobilisés au sein de l’Association des Jardins Ouvriers de Saint-Ouen (Are-va-Alstom) nouvellement créée, rallièrent nombre de sympathisants et remportèrent une partie de leur bataille : 42 parcelles sur les 96 existantes furent sauvegardées tandis que 38 étaient sacrifiées pour la construction d’immeubles de bureaux. Août 2008 : 17 000 m2 de bureaux flambant neufs ont remplacé les 38 jardins. Des fenêtres des bâtiments donnant à l’ouest, la vue est imprenable sur les jardins ouvriers toujours existants…

2009 restera sans aucun doute, pour l’Association des Jardins Ouvriers de Saint-Ouen une année importante. L’actuel propriétaire a cédé une partie des terrains à la Ville de Saint-Ouen selon un protocole passé en 2006 dans le cadre de la révision du PLU (Plan Local d’Urbanisation). Le projet de réaménagement des Docks que porte la municipalité prévoit à cet endroit même -dans le prolon-gement du parc Abel Mézières-, la création d’un parc paysager de 12 hectares qui, si l’on en croit le projet dans son état actuel d’avancement, devrait intégrer des jardins, voire des jardins ouvriers.

Manifestation devant les locaux du promoteur Nexity

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Journée portes ouvertes sur les jardins ouvriers restants, juin 2008.Les bâtiments du promoteur immobilier ont d’ores et déjà remplacé une partie des parcelles, situées sur ce que les jardiniers et audoniens appelaient les «Champs Elysées».Photos Laurent Vall.

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«Ces allées de potagers fleuris sont situées sur la partie la

plus jolie des jardins ouvriers qui l’appelaient « les Champs

Elysées ».Mes filles adoraient courir

dans les allées et jouer à re-connaître les fleurs, les fruits

et les légumes. Nous repar-tions parfois de nos visites

avec des cerises, salades et radis.»

Valérie Bernard, audonienne.

Au centre, Jacqueline Rouillon, aire de Saint-Ouen.Rencontre avec les jardiniers à qui elle est venue remettre des prix. En arrière plan, le chantier Nexity bat son plein.

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Toujours est-il qu’après de nombreuses années au jardin, les jardiniers qui pour la plupart sont des retraités d’Alsthom ont du plier bagage et remiser leurs outils de jardinage. Depuis le 15 septembre 2009 le promoteur Nexity leur a interdit l’accès au site. Le président de l’association aidé de ses collègues jardiniers a décidé de maintenir la résistance contre le promoteur pour pré-server leur « petit coin de Paradis ». Dans l’attente de savoir s’ils auront réellement leur place dans le nouveau parc, la mairie leur a concédé un terrain de substitution afin qu’ils puissent continuer à jardiner.

Dans une commune historiquement et en-core aujourd’hui communiste, le patrimoine des jardins qui disparaît est un symbole fort du pouvoir de la spéculation immobilière sur la mémoire ouvrière de la ville. Les terrains jusqu’alors enclavés dans une zone indus-trielle se retrouvent désormais sur une parcelle constructible.Dans le cadre du projet d’aménagement des cent hectares de la zone dite des Docks de Saint-Ouen, ils sont menacés par les projets de Nexity, à qui Areva a vendu les terrains sur lesquels ils sont situés. Nexity doit construire deux immeubles de bureaux pour Alsthom, et faire passer le nombre de jardins de 96 à 57, déclare sur son site la mairie de Saint-Ouen. Elle précise : « Nexity a proposé que ces jardins soient déplacés et réinstallés sur la réserve pour espaces verts toute proche. »

En conclusion, Jacqueline Rouillon (PCF), maire de Saint-Ouen, résume assez bien la problématique : « Les jardins ouvriers de l’Alsthom ont une histoire et s’inscrivent dans une tradition à laquelle nous sommes naturellement très attachés. En même temps, la vie change, les choses évoluent. Et puis les Audoniens ont aussi besoin de nou-veaux logements, du développement d’activi-tés économiques qui contribuent à l’emploi. Il faut pouvoir tenir compte de tout ça, être à l’écoute des aspirations légitimes des uns et des autres, tout en ne perdant pas de vue l’intérêt général. C’est ce que je m’efforce de faire avec l’équipe municipale. »

Dans les engagements des élus pour Saint Ouen déployés à grand renfort de commu-nication municipale l’on peut lire au chapitre « une ville qui nous rapproche » : « Réaliser dans le mandat un parc de 12 hectares dans le quartier des Docks qui, entre autres, contribuera à l’évolution des jardins ouvriers, la réalisation de jardins partagés et/ou pédagogiques ».En langage politique l’on assiste parfois à des glissements sémantiques lourds de sens, lorsque évolution et disparition deviennent ici synonymes…

Affaire à suivre...

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Jardins d’ailleurs :les «community gardens»

Les community gardens d’ Amérique du Nord particulièrement présents à Montréal ou New York ont inspiré les premiers jardins communautaires français.

À droite, Liz Christy dans le community garden qui

porte son nom à New York, Lower East Side.

Liz Christy en 1975.

Slogan de l’association Green Guerillas.

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Le premier jardin communautaire de New York naît à Manhattan au début des années 1970.

La métropole traverse alors une période difficile de crise tant urbaine que financière. Le paysage de la ville est dégradé par de nombreux bâti-ments laissés à l’abandon, démolis ou incendiés. De nombreux terrains vagues ponctuent alors la ville, et posent de nombreux problèmes liés à l’hygiène et à une criminalité en hausse. L’artiste Liz Christy a alors l’idée de végétaliser ces friches au moyen de poches de graines (« seed bombs ») qu’elle jette sur ces terrains. En 1973, motivée par la pousse des premières fleurs, elle entreprend de nettoyer complètement une friche du Lower East side avec l’aide d’amis et de voisins. Son intervention évolue ainsi de l’action symbolique à une forme d’action militante. Ce premier jardin

communautaire portera son nom et est désormais préservé comme patrimoine de la ville de New York. L’élan donné par cette artiste va s’étendre à de nombreuses friches, emmené par des habitants souhai-tant redonner vie à leur quartier. En 1974, Liz Christy crée l’association Green Guerillas qui permettra à des habitants de plus en plus nombreux de développer leur action sur ces terrains abandonnés laissant place à des lieux d’échange où se ren-contrent les populations variées de quartier. En 1978, la Mairie de New York reconnaît le mouvement et l’accom-pagne en créant le programme « Green Thumbs » (pouces verts). Actuellement la ville recense 600 jardins communautaires. L’histoire des jardins new-yorkais n’est pour autant pas exempte d’aléas et de menaces. L’ancien maire Rudolph Giuliani a failli avoir raison de ces espaces de liberté, mais c’était

sans compter sur la pugnacité des associations qui ont su entre autres s’attirer le soutien de personnalités. Bette Midler a par exemple financé l’achat de terrains mettant à l’abri certains jardins. Si d’autres ont disparu dans le tourbillon d’opéra-tions immobilières, le maire actuel Michael Bloomberg s’est engagé à conserver les jardins qui ont sur-vécu à cette menace. L’association Green Guerillas est encore active aujourd’hui et leur action contribue indéniablement à l’amélioration du cadre de vie des habitants, notam-ment dans le quartier du Lower East side. Les community gardens se sont exportés, notamment à Lon-dres qui connaît différents jardins communautaires et même des fermes au cœur de la ville (Hackney city farm, Mudchute city farm…).

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Jardins d’ailleurs :le «People’s Park» de Berkeley

À la fin des années 60 le jardin de People’s Park à Berkeley, en Californie fut le théâtre d’un élan d’utopie réprimé par une action politique violente.

«People’s Park»,Mai 1969.

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Ce qui était une action pacifique dans le but de permettre aux habitants de s’approprier un espace de vie et d’échange fut fustigé par le gouvernement comme acte de commu-nisme menaçant, lieu de dépravation et mise en danger de l’ordre public. Au mois de mai 1969 la ville de Berkeley est placée sous couvre-feu militaire. Le gouverneur de l’époque, Ronald Reagan veut mettre un terme à l’appropriation sauvage d’un espace public.

De l’affrontement entre militants et forces armées résulte de nombreux blessés et la mort de James Rector, étudiant pacifiste décédé des suites de ses blessures. L’objet du débat n’est autre qu’ un terrain de 2000 mètres carrés utilisé comme parking impro-visé sur lequel les étudiants de l’université de la ville entreprennent de faire un jardin nommé le People’s Park ( le parc du peuple). De nombreux habitants répondent à l’appel lancé pour semer labourer et transformer cet espace insignifiant en zone d’échange et de rencontre. Signes de la politique inter-nationale de l’époque et des mouvements contestataires certaines parcelles sont bap-tisées de façon provocante comme « Gue-vara Fields » ou encore « Pig’s Bay » ! On y organise des distributions de nourriture pour les plus démunis, des concerts et les enfants s’approprient rapidement ce nouveau terrain de jeu. Le mode de vie alternatif et à voca-tion écologique devient une action politique

militante. La défense du People’s park sera également l’un des symboles de l’opposition à la guerre du Vietnam.

Le «People’s Park» aujourd’hui.

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Jardin «Ecobox», Paris 18 ème.

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LES JARDINS AUJOURD’HUIENTRE LOISIR ET ACTION MILITANTEESPACE PARTAGÉ ET PARTICIPATIF

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Les enjeux contemporains au jardin

Entre désir de retour à la terre, attrait pour les ali-ments de culture biologique et croissance des loisirs verts, les jardins familiaux et autres potagers parta-gés connaissent ces dernières années un engoue-ment sans précédent. Signe de cette frénésie verte, les Français ont dépensé l’année dernière quelques 6 milliards d’euros pour fleurir et cultiver leur lopin de terre, balcon ou terrasse, soit 17% de plus qu’il y a cinq ans. Dans les grandes villes, de nouveaux îlots de verdure ont fait leur apparition depuis le début des années 2000. Pied de nez à la fièvre immobi-lière qui s’accapare le moindre espace vacant, les

jardins collectifs se veulent une réponse à l’anony-mat urbain, un outil de revitalisation des quartiers au service de leurs habitants. «Si, à l’origine, les jardins familiaux étaient destinés aux familles les plus dé-munies, ils répondent désormais à d’autres besoins. Les citadins veulent, à présent, avoir des espaces naturels près de chez eux, des lieux de détente, de loisir et de convivialité, sans parler de la nécessité d’avoir accès à des aliments sains», explique Hervé Bonnavaud, président de la FNJF (Fédération Natio-nale des Jardins Familiaux) dans une interview pour lexpress.fr en février 2006.

Comme nous avons pu le voir précédemment les jardins ouvriers ont une résonance contem-poraine indiscutable.

Jardin «Ecobox», Paris 18 ème.

Photo Pierre-Emmanuel Weck.

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Est-ce à dire que les jardins en milieu urbain sont désormais dénués de vocation sociale comme l’étaient les jardins ouvriers ? Faut-il s’en tenir à un simple effet de mode, qui comme toujours ne bénéficie qu’à une partie restreinte de la population ? Peut-on opposer les jardins voués à l’exercice d’un loisir à ceux dédiés à répondre à une nécessité (d’alimentation ou d’insertion) ?Si les jardins partagés souffrent d’une assimilation au mode de vie bour-geois-bohème dit « bobo » qualifié ces dernières années, il ne faut pour autant pas négliger l’action militante qui au-delà du simple loisir fait de ces jardins des outils de réinsertion et d’action sociale.Tout comme pour les jardins ouvriers en période de guerre, les jardins ac-tuels agissent indéniablement comme outil anti-crise à la fois sociale, envi-ronnementale et économique.Plus de la moitié des habitants de la planète résident désormais en ville et une prise de conscience écologique naissante alliée à une crise urbaine et économique visible invite l’homme des villes à assimiler la nature au bien-être et à une qualité de vie certaine.À l’échelle du loisir, sur des petites parcelles individuelles on est certes bien loin du travail de la terre et de l’aridité du monde agricole, mais l’on se rapproche de ce coin de verdure auquel on aspire et qui permet la mise en parenthèse, même brève, de nos rythmes de vie effrénés .

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Le «Jardin nomade», Paris 11 ème.

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Les différents jardins contemporains : jardiniers disparates et démarches variées

Les jardins familiaux, héritage des jardins ouvriers sont recensés et regroupés en une fédération nationale. Comme leurs ancêtres, ils définissent un espace collectif divisé en parcelles individuelles louées aux familles sous forme de cotisation pour leur usage privé et personnel. Ce-pendant, il n’existe plus véritablement de critères de revenus dans l’attribution des parcelles. Le public qui s’y rend n’a de ce fait pas d’équivalence avec le public historique des jardins ouvriers. Les jardins familiaux ne sont pas réservés aux « ouvriers » d’aujourd’hui.La Fédération nationale des jardins familiaux gère ainsi sous forme d’association loi1901 le regrou-pement des nombreux jardins et parcelles de France que l’on estime à 2500 aujourd’hui.Les jardiniers bénéficient des avantages de tous les adhérents à la Fédération à savoir une assurance pour leur parcelle, une revue et évidemment des conseils précieux pour la culture de leurs fruits et légumes. En échange ils s’en-gagent à entretenir et à cultiver la totalité de leur parcelle en toute saison, et à participer aux travaux collectifs. Ils doivent également respecter le règlement intérieur indispensable dans toute vie associative, à appliquer les principes de base des jardins familiaux : convivialité et courtoisie, solidarité et entraide, respect des autres et de l’environnement.

Petite définition et caractéristiques des jardins d’aujourd’hui

Jardin «de la Folie-Titon», Paris 11 ème.

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Les jardins partagés sont empreints d’une notion éminemment collective, il s’agit de créer un espace appar-tenant à la commune et ses habitants avec pour vocation d’animer un quartier et de provoquer, ou du moins favoriser, un mélange des publics. Ils sont parfois composés de parcelles individuelles mais majoritairement cultivés et gérés collectivement. La ville de Paris est sensible à cette démarche pour laquelle elle a développé la cellule « Main verte », commission extra municipale qui favorise l’implantation de jardins partagés dans ses nouveaux espaces verts. La charte du même nom veille à ce qu’il ne s’agisse en aucun cas de la privatisation d’un espace public avec comme obligation par exemple d’ouvrir au grand public deux fois par semaine. Elle cadre l’usage de l’espace et veille à garantir son ouverture aux habitants de la commune. Un réseau national ,« Le Jardin dans tous ses états », bénéficie aussi d’une charte (« La Terre en partage ») par laquelle on dé-fend des valeurs « d’échange, de créativité, de solidarité entre les communautés et de liens retrouvés avec le monde vivant ». Les jardins partagés dessinent une réelle volonté d’accueillir une pluralité de publics pour faciliter la mixité sociale.

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Les jardins d’insertion sont des jardins collectifs créés et utilisés en vue de favoriser l’insertion sociale et/ou professionnelle des person-nes en situation d’exclusion, portés par des associations.Il existe deux types de jardins d’in-sertion : les jardins d’insertion par l’activité économique qui proposent à des personnes en difficulté une situation de travail avec comme support l’activité agricole. Les sa-lariés sont alors en contrats aidés et la production est offerte (Restos du Cœur notamment) ou vendue à un réseau d’adhérents dans un fonctionnement proche de celui des AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne. Les autres jardins d’insertion implantés en cœur de ville travaillent avec les personnes en difficulté sous forme d’atelier de re-mobilisation : les pu-blics concernés sont en voie d’inser-tion non rémunérée et la production du jardin est auto consommée.

«Les Racines de l’espérance»Reportage photo réalisé pour l’association «Les Yeux de la Terre».

Photos Stéphane Lagoutte

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Les différents projets et différentes associations qui en sont porteuses se sont regroupées en collectif à l’échelle de l’Ile de France. Le collectif uni vise ainsi à professionnaliser les acteurs de ces projets en béné-ficiant des expériences diverses de chacun, mais aussi à valoriser leur action et véhiculer une parole com-mune auprès des différents interlocuteurs politiques et institutionnels. Les chiffres démontrent sans équivoque l’importance du travail associatif dans la mise en place des projets. Les associations portent plus de 80% des projets de ce type. Mais il faut noter une progression des villes dans la gestion directe de ces espaces par le biais de structures tels les Centres Communaux d’Action Sociale (CCAS)On dénombre aujourd’hui 13 jardins d’insertion à vocation économique et 25 jardins d’insertion sociale ce qui représente plus de 700 jardiniers en insertion à travers le territoire. Au-delà de la parcelle la démarche des jardins d’insertion joue un rôle à l’échelle de la commune par la création d’emplois, les partenariats éventuels avec des entreprises de proximité et la restructuration de quartiers difficiles. L’action contribue également au maintien du paysage agricole et patrimonial en Ile de France. Certains terrains anciennement cultivés retrouvent une activité par le biais de jardins d’insertion.

Alexis, 29 ans.Chantier d’insertion

«Le Domain de la grange»

Savigny-le-Temple (77)

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Zulmira, 37 ans.Contrat d’Avenir à l’association «Plaine

de Vie» Ezanville (95)

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Ben Younes, 57 ans.CDD depuis 4 ans, «Potagers de

Marcoussis» (91)

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Quid de la mixité des jardiniers aux profils différents? Les jardiniers en insertions cohabitent-ils avec les jardiniers du dimanche qui cultivent leur légumes en famille ?

Le partage au jardin est-il restreint à des catégories similaires de la population ? Les personnes en mal d’insertion entre elles d’un côté, et les jardiniers de loisir pur de l’autre ?

Si jusqu’à présent les jardins se définissaient par un seul type de jardiniers, de plus en plus au sein des communes une volonté de créer des jardins mixtes se dessine. Des parcelles d’insertion intègrent les jardins partagés. Cette mixité ne se fait parfois pas sans mal entre jardiniers « insérés » et jardiniers « en voie d’insertion ». La réussite de ces projets demande une sensibilité certaine et il est probable que certaines populations en voie de réinsertion soient plus favorablement accueillies que d’autres par les habitants du quartier. On constate que le dialogue et la convivialité qui règne dans les jardins permet de créer un trait d’union entre différentes population, la cohabitation et le partage s’instaurant sans encombres.

Photo Stéphane Lagoutte.

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Photo Stéphane Lagoutte.

Photo Magali Roucaut.

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Implication politique et jardins.Exemple du «jardin suspendu», rue des Haies, Paris 20 ème.

Certains signes encourageants laissent à penser que l’outil jardin est de plus en plus intégré dans les politiques des villes, conscientes qu’il s’agit à la fois d’un espace utile et valorisant pour la commune.

S’il est un obstacle auquel les jardins en milieux urbains s’exposent depuis toujours c’est bien celui du foncier. Si des initiatives généreuses privées existent il n’en demeure pas moins que le support des mairies est essentiel et que la valeur sociale ajoutée des jardins reste un argument solide pour convain-cre les élus.

La Charte Main verte (charte réservée aux jardins de la mairie de Paris, établie par une cellule extra municipale) « a été rédigée pour permettre aux asso-ciations de s’investir pleinement dans leur projet en leur évitant d’avoir à réex-pliquer chaque fois la légitimité de leur démarche ». La charte permet d’acter les valeurs liées aux jardins partagés, et précise les engagements respectifs des jardiniers et des mairies d’arron-dissement. Pour ce qui concerne la mairie de la capitale il a notamment été convenu que les terrains seraient mis à disposition gracieusement, ce qui permet aussi de réduire les délais de mis en place des projets.

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La Framboisine

Jardin des 2 Nèthes

Jardinaux Habitants

Potagerdes Oiseaux

1001 Feuilles

Jardin dupassage Hébrard

Jardins du Ruisseau

Serre aux Légumes

Rue du Maroc

Espace Couleurs et Senteurs

Le Bois Dormoy

Jardin 150 bdde la Villette

Un P’tit Bol d’Air

Les Jardins Passagers

Jardin de Léon

Charmante Petite Campagne Urbaine

Jardin Crimée-Thionville

Jardin des Petits PassagesL’îlot Lilas

Église Saint-Serge

Jardin de la Butte Bergeyre

Le Centre de la Terre

Jardin Fessart

Jardin des Soupirs

Jardins du Béton Saint-Blaise

56 Saint-BlaisePapilles et Papillons

Jardin Nomade

Jardin partagéde la Folie Titon

Aligresse

Jardin Bel-Air

Les Jardins Malins

Rue Claude Decaen

Rue Georges et Maï Politzer

Jardin des Motset Merveilles

Jardins familiauxdu bd de l’Hôpital

Jardin de l’Aqueduc

Jardin Jean Genet

Jardin partagé de la rue de Coulmiers

Jardin partagé du square du Chanoine Viollet

Jardin partagé du square Auguste-Renoir

Jardin de FalbalaJardin partagédes Périchaux

Le Lapin Ouvrier

Leroy Sème Rue Henri Duvernois

Le Poireau Agile

Alban Sabragne

Les Haies PartagéesLe Jardin sur le Toit

Jardin Dalpayrat

Jardinde Perlimpinpin

Eco-Box

Implantation des jardins partagés à Paris.

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En dehors de l’attribution de terrains inutilisés, la Mairie de Paris a récemment inauguré rue des Haies dans le 20 ème arrondissement, une architecture sportive incluant dès sa conception un jardin d’insertion en toiture. Il s’agit de la première initiative du genre. Un pas vers une solution au manque d’espace et au caractère éphémère de nombreux jardins ? Car, à l’échelle d’une commune en mal d’espaces, il va devenir de plus en plus complexe d’allouer aux jardiniers des terrains aban-donnés qui se font rares et difficilement pérennissables.

Jardin suspendu, Paris 20 ème.

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Lors des Journées européennes du patrimoine 2009, plus de 100 personnes, surtout des habitants du quartier, sont venues participer à un repas partagé organisé dans ce jardin.À la vue de ce projet, et des intentions défendues par la mairie, on peut espérer que le travail conjoint de la mairie et des associations puisse donner lieu à des espaces-jardins pérennes, support à des réelles avancées sociales.

Ouvert au public depuis août 2009, la création de cet espace de 600 m2 situé sur le gymnase des Vignolles a mobilisé les directions de la Ville, la Mairie du 20e, Paris Habitat, les architectes, les entreprises et l’association La Fayette Accueil. Ce jardin suspendu est à la fois un jardin partagé et un jardin d’insertion. Conçu et aménagé par la Ville de Paris, sa gestion a été confiée à l’associa-tion La Fayette Accueil qui travaille depuis 1978 sur les questions sociales et d’insertion (femmes en difficultés, hébergement et réinsertion sociale, prise en charge de familles monoparentales en dif-ficulté…). La Mairie de l’arrondissement le définit ainsi : « ce jardin permet aux riverains de se retrouver dans un espace animé et chaleureux qui a pour vocation d’être un lieu de partage pour tous. Il est ouvert à tous les habitants et chacun peut contribuer à son évolution. Il est destiné à accueillir des personnes en situation d’isolement ou en détresse mais aussi à cultiver des projets de vie afin de permettre une meilleure insertion sociale et/ou professionnelle mais aussi d’éduquer à l’environnement. Il ac-cueille également de nombreux enfants du quar-tier : des écoles élémentaires et primaires, des centres de loisirs et bientôt des centres sociaux. L’école rue des Pyrénées a ainsi conçu un projet pédagogique autour de ce jardin. Ce projet concer-ne toutes les classes de l’école qui dispose de son propre «carré de jardin» ».

«Jardin suspendu», Paris 20 ème.

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Toutefois, si l’on peut saluer l’expérience pilote du jardin suspendu en terrasse du gymnase des Vignolles, il ne faut cependant pas nier l’histoire du terrain qu’il occupe désormais. Il s’avère qu’il ne fait « que » prendre la place d’un jardin très populaire, réel espace de liberté et d’ex-pression, qu’était le « jardin solidaire ». Sur ce qui n’était qu’une friche de 2500 m2, Olivier Pinalie d’abord fustigé par le voisinage avant d’être appuyé par les riverains, a initié un réel espace de mixité et d’échange. Au terme de mobilisations nombreuses, celui-ci n’a pu résister à la construction d’un gymnase avec en toiture un jardin qui aspire ironiquement à devenir un lieu porteur des valeurs qui définissaient le jardin solidaire aujourd’hui disparu…

«Jardin solidaire», Paris 20 ème.Photo Olivier Aubert.

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Certes, l’association du jardin en signant une convention d’occupation du domaine public s’est engagé à libérer le terrain au démarrage du chantier du gymnase, mais avec lui disparaît ce symbole d’auto gestion qui a rendu pendant ses quelques années de vie le quartier plus agréable. Le jardin a fermé ses grilles en 2005.La mairie de Paris en réponse à de nombreuses pétitions abondamment signées propose la relocalisation du jardin solidaire sur un autre terrain de 1375 m2 rue des Haies, initialement prévu à l’extension du Jardin Casque d’Or.L’association a organisé elle-même une consultation des habitants du quartier pour déterminer si elle de-vait accepter la proposition de «relogement» du Jardin Solidaire sur un autre terrain, très différent. La réponse a été négative à 80%. Certains ont néanmoins consenti à participer au nouveau projet re-localisé et officialisé. Le

bilan s’avère négatif. Ce nouveau terrain est le support municipal pour des opérations d’animation ressenties par les vétérans du jardin solidaire comme empreintes de consensus et d’institutionnalisation, incompatibles avec l’action qui était menée via le jardin solidaire disparu. Les anciens claquent la porte et se désolidarisent du projet. Il en reste une amertume et la sensation de n’avoir été perçu par les élus que comme une potentielle menace et un contre pouvoir dangereux. Est-il seulement possible et envisageable pour la classe politique d’admettre qu’une action spontanée et non cadrée par eux puisse fonction-ner et perdurer ?L’histoire dira si le nouveau jardin suspendu d’initiative municipale se révèlera en lieu et place du jardin solidaire un espace apprivoisé par les habitants du quartier, sup-port à autant de belles et riches initiatives que celles de son prédécesseur.

«Jardin solidaire», Paris 20 ème.Photo Olivier Aubert.

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Fermeture du «Jardin solidaire», Paris 20 ème.Photos Olivier Aubert.

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Destruction du «Jardin solidaire», Paris 20 ème.Photo Olivier Aubert.

Déménagement des plantes après la destruction du «Jardin solidaire»,

Paris 20 ème.Photo Olivier Aubert.

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Dans d’autres communes les projets de jardins et la participation des habitants des quartiers et leur mobilisation parviennent parfois à avoir gain de cause. À Montpellier après 5 années de lutte les jardiniers ont obtenu la pérennité de leur jardin en lieu et place d’un projet de construction d’un immeuble neuf.

Déménagement des plantes après la destruction du «Jardin solidaire»,

Paris 20 ème.Photo Olivier Aubert.

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Espace participatif partagé,entre espace intime et espace social.

La notion d’espace participatif est très forte dans la création et la vie de tous jardins (partagés, familiaux, ou encore solidaires). L’espace cultivé est aux antipodes de l’espace passif ou même subi que sont parfois les infrastructures proposées par les communes. L’implication de chacun dans le soin apporté à la culture de fruits et légumes ou de fleurs amène le citoyen à un véritable rapport à la terre. La popularité des activités de jardinage mais aussi une conscience grandissante des enjeux écologiques vont en ce sens. Il existe une réelle prise de conscience des conséquen-ces de nos actes envers la planète, et quel meilleur symbole à cela que la jardin ? S’investir pour la vie de la commune, c’est peut-être littérale-ment investir un terrain.

Jardin «Casque d’or», Paris 20 ème.Photo Olivier Aubert.

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Espace participatif partagé,entre espace intime et espace social.

Et au-delà du jardin cette prise de conscience se traduit par de nouveaux modes de consommation participative. Le meilleur exemple en est le développement des AMAP, on en recense plus de 700 en 2008, et les longues listes d’attente pour y adhérer.Les AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) ont pour but de lier directement producteur et consommateur avec un système de panier vendu sans point de vente intermédiaire. Sous forme d’abonnement, les adhérents s’engagent en versant par avance un montant à l’agriculteur qui en échange livre, le plus souvent à un rythme hebdomadaire, un panier de fruits et légumes de saison. Si cette démarche ne peut être suivie par tous, ne serait-ce que pour des raisons financières de paiement anticipé, il ne demeure pas moins que les adhérents vivent se rapport à leur consommation comme une forme de militantisme. Ces adhérents « consom’acteurs» qui règlent leurs paniers avec parfois 6 mois d’avance vont permettre le maintien de culture agricole de proximité. Certaines AMAP sont alimentées par des jardins « d’insertion par l’activité économique ».

Distribution des paniers hebdomadaire en A.M.A.P.Photo Pierre Emmanuel Weck.

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À l’échelle du jardin, géré en regrou-pement associatif, l’organisation, les débats et décisions collectives auxquelles il se prête favorisent l’apprentissage citoyen. S’approprier l’espace public sans le privatiser fait du citoyen un acteur de la commune. L’on peut dire que tous ces jardins agissent comme des laboratoires d’espaces participatifs, et une partie de la classe politique reste méfiante face à ces initiatives qui invitent les citoyens à s’approprier l’espace pu-blic et à sortir de leur passivité.Cet élan de participation que fixe les jardins partagés est certainement aussi le fait d’une désillusion face au pouvoir politique et aux discours politiciens. L’amélioration du quoti-dien commence peut-être en bas de chez soi, à l’échelle d’un voisinage solidaire ou d’un quartier uni par les mêmes problématiques.

«Jardin solidaire», Paris 20 ème.Photo Olivier Aubert.

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Jardin «de la Folie-Titon», Paris 11ème.

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Jardin «Écobox», Paris 18 ème.

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CONCLUSION

Les jardins quels qu’ils soient inter-viennent sur un terrain commun au sein duquel peuvent s’exprimer des individualités. La juxtaposition d’es-pace intime et d’espace social est vecteur d’un équilibre nécessaire à une vie en milieu urbain. Apprendre à partager l’espace ra-réfié, profiter d’un lieu public tout en pouvant y exprimer son individualité sont autant de services rendus par ces jardins.Quant au partage en lui même, cha-que jardin décide collectivement des limites de celui-ci. Pour les jardins familiaux il s’agit de partager les

parties communes aux parcelles in-dividuelles, dans le cas des jardins partagés l’on va jusqu’à partager la production de l’ensemble du jardin.

Cette frontière entre espace intime et espace social, la cohabitation de l’individuel et du partagé sont des pro-blématiques qui ont à mon sens plus que jamais leur place dans un tissu urbain de plus en plus dense, mais aussi face à des questionnements de développement durable et d’éco-nomie d’énergie. Le collectif et le per-sonnel peuvent faire bon ménage à l’échelle de l’habitat et répondre po-sitivement à un individualisme gran-dissant. Facilitant l’échange, provo-quant le contact sans le contraindre il existe un équilibre de ces deux no-tions que des « espaces trait-d’union » entre les différents habitants d’une même résidence (jardin partagé par exemple) peuvent favoriser et valori-ser.

Si l’essor que connaît le jardin par-tagé en France depuis les années 90 est indéniable, on peut toute-fois s’interroger sur son avenir. Le concept du jardin comme support de développement local sous l’impulsion des élus souffre d’un phénomène de récupération politique. Espace parti-

cipatif par excellence, ne perd il pas de son essence et de sa valeur dès lors qu’il n’est plus l’œuvre sponta-née des habitants ? Dans un contexte de villes déshu-manisées et individualistes, ce lieu d’échange se révèle constructif d’un mode de vie solidaire ou du moins basé sur l’entraide. Ceci est la ré-sultante directe du partage d’une aire commune. Or, le partage du peu d’espace dont nous disposons en ville s’il est un besoin (pour des raisons fi-nancières) traduit également une en-vie. On assiste à un développement des habitations en colocation qui ne sont plus le monopole des étudiants et s’ouvrent désormais aux jeunes actifs ou encore aux familles mono-parentales.À l’issue de mon travail de mémoire, je souhaite développer pour mon pro-jet d’architecture un ensemble d’ha-bitations articulées autour d’espaces partagés, dont un jardin. Gardant à l’esprit l’importance de l’ouverture sur le quartier, le jardin pourrait agir comme trait d’union entre l’espace intime de l’habitat et l’espace social de la commune.

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Films/Reportages« The Garden », Scott Hamilton Kennedy« Vivre au jardin, c’est vivre tout court » docu de la F.N.A.R.S.

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