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Analyses commentées Dysphagie persistante après opération de Nissen Bais JE, Wijnhoven BPL, Masclee AAM, Smout AJPM, Gooszen HG. Analysis and surgical treatment of persistent dysphagia after Nissen fundoplication. Br J Surg 2001; 88: 569-76 Après fundoplicature totale, 10 à 20 % des patients ont des contreparties persistantes de l’intervention : dyspha- gie, impossibilité d’éructer ou de vomir, ballonnements et sensation de plénitude épigastrique. La dysphagie semble plus fréquente si l’intervention a été faite en coelioscopie qu’en laparotomie. La hauteur de la fundoplicature et le rétrécissement de l’oesophage sont les mécanismes les plus souvent évoqués pour expliquer ces dysphagies. Une moindre attention a été accordée au rôle du sphincter inférieur de l’oesophage (SIO). Cette étude a porté sur 18 patients qui ont eu une fundoplicature totale (Nissen) compliquée d’une dyspha- gie persistante (plus de trois mois malgré des dilatations) et d’un amaigrissement de plus de 5 kg ayant nécessité une réintervention (Belsey Mark IV par thoracotomie gauche). Une étude manométrique a été faite avant et après la réintervention et comparée avec les résultats observés chez 18 patients qui avaient eu un Nissen non compliqué de dysphagie postopératoire. En plus de la manométrie, les patients ont eu une oesophagoscopie, et une pH-métrie de 24 heures. Parmi les 18 patients dysphagiques, la dysphagie pou- vait s’expliquer trois fois par des raisons anatomiques : disparition du montage (n = 1) ou hernie para- oesophagienne (n = 2). Dans les 15 autres cas, il n’y avait pas une telle explication, ni de sténose décelable. Chez 16 des 18 dysphagiques, la relaxation du SIO était incom- plète et la pression de relaxation résiduelle était supé- rieure à celle observée chez les opérés qui n’avaient pas de dysphagie (p < 0,01). Il n’y avait pas de corrélations entre les pressions intraoesophagiennes et l’amplitude du péristaltisme oesophagien. Après la réintervention trans- formant une fundoplicature complète en fundoplicature de 270 °, la pression basale du SIO a diminué (p < 0,01), et sa relaxation était devenue complète dans tous les cas sauf trois. La pression de relaxation résiduelle du SIO s’était également abaissée (p < 0,01) devenant plus basse que celle observée chez les opérés qui n’avaient pas eu de dysphagie. Néanmoins, dans ces cas, la pression rési- duelle de relaxation était plus élevée qu’avant l’interven- tion (p < 0,01). Contrairement à ce qui avait été imaginé, la hauteur de la fundoplicature ne semble pas jouer un rôle important dans les dysphagies postopératoires. Il semble en être de même de la motilité oesophagienne. Une insuffisance de relaxation du SIO et une augmentation de la pression résiduelle ont été constamment observées chez les patients dysphagiques, mais peuvent aussi se voir chez des patients non dysphagiques. Les auteurs concluaient que, chez les patients qui avaient une dysphagie persis- tante après opération de Nissen, la réintervention en assurant une relaxation complète du SIO et une diminu- tion de la pression de relaxation résiduelle jouait un rôle important dans la disparition de la dysphagie. Commentaires Cette étude, centrée sur des explorations manométriques permet de progresser dans la compréhension de la dys- phagie après les fundoplicatures, surtout si elle est complète et d’en déduire des propositions pour le choix d’une technique de cure du reflux gastro-oesophagien. Elle confirme tout d’abord l’intérêt très limité en dehors d’un protocole de recherche, des explorations manomé- triques préopératoires chez ces malades [1, 2]. Elle confirme aussi les résultats d’autres études montrant que l’opération de Nissen augmente les pressions du SIO, ce qui a pu être considéré comme une preuve d’efficacité de cette intervention. Des essais randomisés ont prouvé que la fundoplicature totale entraînait une augmentation de la pression du SIO, supérieure en moyenne à celle obtenue par les fundoplicatures partielles [3, 4]. Il avait déjà été suggéré que ces augmentations de pression pouvaient expliquer des dysphagies en dehors de raisons anatomi- ques (disparition du montage, hernies paraoesophagien- nes). Les essais randomisés dont on dispose montrent que les fundoplicatures partielles ont une efficacité similaire aux fundoplicatures totales sur le reflux. En revanche, ces dernières, en hyper corrigeant peut-être une atonie du SIO expliqueraient que l’on observe plus de dysphagie après fundoplicature totale que partielle. La constatation, lorsqu’une opération de Nissen a été réalisée en coelios- copie, de plus de dysphagie qu’après laparotomie [5, 6], reste à expliquer. En tout état de cause, quelle que soit la voie d’abord, les fundoplicatures partielles doivent aujourd’hui être préférées aux fundoplicatures totales Ann Chir 2001 ; 126 : 929-34 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés

Dysphagie persistante après opération de Nissen

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Analyses commentées

Dysphagie persistante après opérationde Nissen

Bais JE, Wijnhoven BPL, Masclee AAM, Smout AJPM,Gooszen HG. Analysis and surgical treatment

of persistent dysphagia after Nissen fundoplication.Br J Surg 2001; 88: 569-76

Après fundoplicature totale, 10 à 20 % des patients ontdes contreparties persistantes de l’intervention : dyspha-gie, impossibilité d’éructer ou de vomir, ballonnements etsensation de plénitude épigastrique. La dysphagie sembleplus fréquente si l’intervention a été faite en cœlioscopiequ’en laparotomie. La hauteur de la fundoplicature et lerétrécissement de l’œsophage sont les mécanismes lesplus souvent évoqués pour expliquer ces dysphagies. Unemoindre attention a été accordée au rôle du sphincterinférieur de l’œsophage (SIO).

Cette étude a porté sur 18 patients qui ont eu unefundoplicature totale (Nissen) compliquée d’une dyspha-gie persistante (plus de trois mois malgré des dilatations)et d’un amaigrissement de plus de 5 kg ayant nécessitéune réintervention (Belsey Mark IV par thoracotomiegauche). Une étude manométrique a été faite avant etaprès la réintervention et comparée avec les résultatsobservés chez 18 patients qui avaient eu un Nissen noncompliqué de dysphagie postopératoire. En plus de lamanométrie, les patients ont eu une œsophagoscopie, etune pH-métrie de 24 heures.

Parmi les 18 patients dysphagiques, la dysphagie pou-vait s’expliquer trois fois par des raisons anatomiques :disparition du montage (n = 1) ou hernie para-œsophagienne (n = 2). Dans les 15 autres cas, il n’y avaitpas une telle explication, ni de sténose décelable. Chez 16des 18 dysphagiques, la relaxation du SIO était incom-plète et la pression de relaxation résiduelle était supé-rieure à celle observée chez les opérés qui n’avaient pasde dysphagie (p < 0,01). Il n’y avait pas de corrélationsentre les pressions intraœsophagiennes et l’amplitude dupéristaltisme œsophagien. Après la réintervention trans-formant une fundoplicature complète en fundoplicaturede 270 °, la pression basale du SIO a diminué (p < 0,01),et sa relaxation était devenue complète dans tous les cassauf trois. La pression de relaxation résiduelle du SIOs’était également abaissée (p < 0,01) devenant plus basseque celle observée chez les opérés qui n’avaient pas eu de

dysphagie. Néanmoins, dans ces cas, la pression rési-duelle de relaxation était plus élevée qu’avant l’interven-tion (p < 0,01).

Contrairement à ce qui avait été imaginé, la hauteur dela fundoplicature ne semble pas jouer un rôle importantdans les dysphagies postopératoires. Il semble en être demême de la motilité œsophagienne. Une insuffisance derelaxation du SIO et une augmentation de la pressionrésiduelle ont été constamment observées chez lespatients dysphagiques, mais peuvent aussi se voir chezdes patients non dysphagiques. Les auteurs concluaientque, chez les patients qui avaient une dysphagie persis-tante après opération de Nissen, la réintervention enassurant une relaxation complète du SIO et une diminu-tion de la pression de relaxation résiduelle jouait un rôleimportant dans la disparition de la dysphagie.

Commentaires

Cette étude, centrée sur des explorations manométriquespermet de progresser dans la compréhension de la dys-phagie après les fundoplicatures, surtout si elle estcomplète et d’en déduire des propositions pour le choixd’une technique de cure du reflux gastro-œsophagien.Elle confirme tout d’abord l’intérêt très limité en dehorsd’un protocole de recherche, des explorations manomé-triques préopératoires chez ces malades [1, 2]. Elleconfirme aussi les résultats d’autres études montrant quel’opération de Nissen augmente les pressions du SIO, cequi a pu être considéré comme une preuve d’efficacité decette intervention. Des essais randomisés ont prouvé quela fundoplicature totale entraînait une augmentation de lapression du SIO, supérieure en moyenne à celle obtenuepar les fundoplicatures partielles [3, 4]. Il avait déjà étésuggéré que ces augmentations de pression pouvaientexpliquer des dysphagies en dehors de raisons anatomi-ques (disparition du montage, hernies paraœsophagien-nes). Les essais randomisés dont on dispose montrent queles fundoplicatures partielles ont une efficacité similaireaux fundoplicatures totales sur le reflux. En revanche, cesdernières, en hyper corrigeant peut-être une atonie du SIOexpliqueraient que l’on observe plus de dysphagie aprèsfundoplicature totale que partielle. La constatation,lorsqu’une opération de Nissen a été réalisée en cœlios-copie, de plus de dysphagie qu’après laparotomie [5, 6],reste à expliquer. En tout état de cause, quelle que soit lavoie d’abord, les fundoplicatures partielles doiventaujourd’hui être préférées aux fundoplicatures totales

Ann Chir 2001 ; 126 : 929-34© 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés

comme cela était habituellement admis en France avant laréalisation cœlioscopique de ces interventions.

Références1 Rydberg L, Ruth M, Abrahasson H, Lundell L. Tailoring

antireflux surgery : a randomized clinical trial. World J Surg1999 ; 23 : 612-7.

2 Bessell JR, Finch R, Gotley DC, Smithers BM, Nathanson L,Menzies B. Chronic dysphagia following laparoscopic fundopli-cation. Br J Surg 2000 ; 87 : 1341-5.

3 Heikkinen TJ, Haukipuro K, Koivukangas P, Sorasto A, Autio R,Sodervik H, et al. Comparison of costs between laparoscopicand open Nissen fundoplication : a prospective randomizedstudy with a 3-month follow-up. J Am Coll Surg 1999 ; 188 :368-76.

4 Bais JE, Bartelsman JFWM, Bonjer HJ, Cuesta MA,Go PMNYH, Van Lanschot JJB, et al. Laparoscopic or conven-tional Nissen fundoplication for gastro-oesophageal refluxdisease : randomised clinical trial. Lancet 2000 ; 355 : 170-4.

5 Lundell L, Abrahamsson H, Ruth M, Rydberg L, Lönroth H,Olbe L. Long-term results of a prospective randomized compa-rison of total fundic wrap (Nissen-Rosetti) or semifundoplica-tion (Toupet) for gastro-oesophageal reflux. Br J Surg 1996 ; 83 :830-5.

6 Rydberg L, Ruth M, Lundell L. Mechanism of action ofantireflux procedures. Br J Surg 1999 ; 86 : 405-10.

Michel Huguier, Paris, FranceS0003394401006307/BRV

Mortalité tardive dans les pancréatitesaiguës graves

Gloor B, Müller CA, Worni M, Martignoni ME, Uhl W,Büchler MW. Late mortality in patients with severe

acute pancreatitis. Br J Surg 2001; 88: 975-9.

Les pancréatites aiguës (PA) sont d’abord surtout mar-quées par un syndrome inflammatoire dû à la libérationde différents médiateurs, puis par les conséquences de lanécrose : surinfection et défaillances viscérales multiples.Le but de cette étude était de comparer dans les PA lesmalades qui avaient survécu à ceux qui étaient décédés.

De 1994 à 2000, 263 malades ont été traités pour unePA (157 peu graves, et 106 graves selon la classificationd’Atlanta). Les PA graves étaient d’origine lithiasiquebiliaire dans 45 % des cas, éthylique dans 35 % des cas,et d’origine indéterminée dans 20 % des cas. Dans les PAbiliaires, il a été fait une cholangiographie rétrograde et,en cas de calcul de la voie biliaire principale unesphinctérotomie. Les malades ont eu une antibioprophy-laxie précoce si le diagnostic de nécrose était fait (scanneret C-réactive protéine > 150 mg/L). Les nécroses infec-tées (diagnostic de ponction) ont fait poser l’ indicationopératoire. Le recueil des données a été prospectif.

Dans les PA graves, la mortalité a été de 9 % (n = 10).Sur 72 PA nécrosantes non infectées il y a eu deux décès(3 %), et sur 34 nécroses infectées huit décès (24 %)(p < 0,01). La médiane de survenue des décès a été de 91jours (extrêmes : 15–209 jours). La médiane de survenued’une défaillance viscérale a été de trois jours (extrêmes :1–26 jours). Cette défaillance est apparue dans les cinqpremiers jours d’évolution chez huit des dix maladesdécédés. Les causes des décès ont été la surinfection de lanécrose (n = 7), un arrêt cardiaque (n = 2), et un syn-drome de détresse respiratoire (n = 1). Sur 35 maladesopérés, 32 avaient une nécrose surinfectée (six décès), ettrois avaient une nécrose stérile (un décès), l’ indicationopératoire ayant été posée sur une défaillance viscéralepersistante. Il n’y avait pas de différences entre lesmalades ayant survécu et ceux qui sont décédés en ce quiconcernait leur âge, leur sexe, et l’étiologie de la PA. Pourla mortalité, des courbes ROC ont montré qu’un score deRanson > 5 avait une sensibilité (Se) de 78 % et unespécificité (Sp) de 80 %. Un score APACHE II supérieurà 10 avait une Se de 70 % et une Sp de 62 %. Un indexde masse corporelle > 30 kg/m2 avait une Se de 70 % etune Sp de 83 %. En analyse unifactorielle, six covariablesétaient liées à la mortalité : une étendue de la nécrosesupérieure à 50 %, une comorbidité préexistante, lasurinfection de la nécrose, le score de Ranson, le scoreAPAHCE II, et l’ index de masse corporelle. En analysemultifactorielle, seule l’ infection de la nécrose était liée àla mortalité.

Des séries plus anciennes ont montré que la majoritédes décès dans les PA survenaient dans les 15 premiersjours alors qu’ il n’y a eu aucun décès précoce dans cettesérie. Les auteurs estiment que la réalisation précoce d’unscanner, permettant une détection précoce des nécroses etle passage des patients dans une unité de soins intensifspourrait être une des explications à l’absence de mortalitéprécoce dans cette série. Ils notent que les scores deRanson ou APACHE II ont une Se et une Sp qui n’excèdepas 80 %. Le fait que l’étiologie de la PA n’ait pasd’ influence sur le pronostic suggère que celui-ci est lié àla gravité de la PA en elle-même mais non à un facteurétiologique. Cependant, d’autres études ont montré queles PA éthyliques seraient plus graves que les autres. Lagravité pronostique de l’étendue de la nécrose en analyseunifactorielle qui disparaît en analyse multifactoriellesemble due au fait que, plus la nécrose est tendue, pluselle risque de se surinfecter. Néanmoins, une autre étudea montré que, dans les nécroses stériles, l’étendue de lanécrose était liée à une plus grande fréquence dedéfaillances viscérales. Les surcharges pondérales commefacteur de gravité ont été observées dans d’autres études.Enfin, il n’est pas surprenant compte tenu de la date desurvenue des décès (trois mois), que la comorbidité

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