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74 | Diasporiques | nº 19 | septembre 2012 REGARDER, ÉCOUTER Philippe Clé- ment est secré- taire de la Ligue de l’enseigne- ment de Basse- Normandie, en charge du réseau de ciné- mas associatifs Génériques. Éducation populaire et cinéma Philippe Clément L’ÉDUCATION POPULAIRE L’éducation populaire est née du projet républicain de construction d’une société libre, égale et frater- nelle, d’une communauté politique constituée de citoyens libres, éclai- rés, en mesure d’exercer un jugement autonome sur le monde dans lequel ils agissent. Cette origine l’a d’emblée inscrite dans une mission complé- mentaire de celle de l’École publique. Le rapport de Condorcet intitulé L’Organisation générale de l’instruc- tion publique, présenté en avril 1792 devant l’Assemblée Législative, fonde cette vision « enseignante » de l’édu- cation populaire : « Tant qu’il y aura des hommes qui n’obéiront pas à leur raison seule, qui recevront leurs opinions d’une opinion étrangère, en vain toutes les chaînes auraient été brisées, en vain ces opinions de commandes seraient d’utiles vérités ; le genre humain n’en resterait pas moins partagé entre deux classes : celle des hommes qui raisonnent, et celle des hommes qui croient. Celle des maîtres et celle des esclaves ». LE CINÉMA, OUTIL D’ÉDUCATION POPULAIRE L’exigence d’éducation populaire a confronté le cinéma à trois enjeux : sa propre reconnaissance comme « septième art » et l’éducation du spectateur pour y accéder ; le cinéma comme mode de représentation des enjeux et du débat politiques et l’édu- cation politique du citoyen ; le cinéma éducateur, comme outil d’enseigne- ment et l’éducation du jeune citoyen dans et autour de l’école. S’agissant du premier de ces enjeux, des artistes et des critiques prennent des initiatives : En 1920, Louis Delluc publie un manifeste dans un journal intitulé Le journal du Ciné-club : « Le journal [améliorera] les rapports du public avec des cinématographistes, favo- risera les enthousiasmes, les efforts des jeunes et organisera des manifes- tations de tous ordres pour le déve- loppement de la cinématographie française ». La première séance de ciné-club (Le cabinet du docteur Caligari) a lieu le 14 novembre 1921 et la créa- tion du Ciné-club de France par Louis Delluc, Germaine Dulac, Léon Moussinac et Jacques Feyder se pro- duit en 1924. Lors de ces premières années, ces clubs sont des lieux de discussion, de réunion de spécialistes du cinéma-art et de publics fervents. Les animateurs de ciné-clubs créent des revues : revue Cinéclub suivie

Éducation populaire et cinéma

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    Philippe Cl-ment est secr-tairedelaLiguede lenseigne-ment de Basse-N o r m a n d i e ,en charge durseau de cin-mas associatifsGnriques.

    ducationpopulaireetcinmaPhilippe Clment

    lducation populaire Lducation populaire est ne du

    projet rpublicain de construction dune socit libre, gale et frater-nelle, dune communaut politique constitue de citoyens libres, clai-rs, en mesure dexercer un jugement autonome sur le monde dans lequel ils agissent. Cette origine la demble inscrite dans une mission compl-mentaire de celle de lcole publique. Le rapport de Condorcet intitul LOrganisation gnrale de linstruc-tion publique, prsent en avril 1792 devant lAssemble Lgislative, fonde cette vision enseignante de ldu-cation populaire : Tant quil y aura des hommes qui nobiront pas leur raison seule, qui recevront leurs opinions dune opinion trangre, en vain toutes les chanes auraient t brises, en vain ces opinions de commandes seraient dutiles vrits ; le genre humain nen resterait pas moins partag entre deux classes : celle des hommes qui raisonnent, et celle des hommes qui croient. Celle des matres et celle des esclaves .

    le cinma, outil dducation populaire

    Lexigence dducation populaire a confront le cinma trois enjeux :

    sa propre reconnaissance comme septime art et lducation du spectateur pour y accder ; le cinma comme mode de reprsentation des enjeux et du dbat politiques et ldu-cation politique du citoyen ; le cinma ducateur, comme outil denseigne-ment et lducation du jeune citoyen dans et autour de lcole.

    Sagissant du premier de ces enjeux, des artistes et des critiques prennent des initiatives :

    En 1920, Louis Delluc publie un manifeste dans un journal intitul Le journal du Cin-club : Le journal [amliorera] les rapports du public avec des cinmatographistes, favo-risera les enthousiasmes, les efforts des jeunes et organisera des manifes-tations de tous ordres pour le dve-loppement de la cinmatographie franaise . La premire sance de cin-club (Le cabinet du docteur Caligari) a lieu le 14 novembre 1921 et la cra-tion du Cin-club de France par Louis Delluc, Germaine Dulac, Lon Moussinac et Jacques Feyder se pro-duit en 1924. Lors de ces premires annes, ces clubs sont des lieux de discussion, de runion de spcialistes du cinma-art et de publics fervents. Les animateurs de cin-clubs crent des revues : revue Cinclub suivie

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    par Cina et, en 1928, par La revue du Cinma. Autres objectifs : rha-biliter les uvres mprises par le public ou la critique, ddaignes par les exploitants .

    Le deuxime enjeu se concrtise par :

    Le contournement de la censure du cordon sanitaire antisovitique. La prsentation du Cuirass Potemkine en novembre 1926 symbolise cet int-rt conjoint des intellectuels franais pour la rvolution russe de 1917 et pour un cinma artistique. La stimulation des dbats poli-tiques, non pas avec les spcialistes ou les intellectuels mais avec les larges masses (cin-club Les amis de Spartacus fond par Paul Vaillant-Couturier, Lon Moussinac et Jean Lods). Le cinma est un moyen de combat et de libration sociale. On prsente, dans une salle associative, La Bellevilloise, dans lEst parisien, des films de Dziga Vertov, de Vsevo-lod Poudovkine (La mre, La fin de St- Petersbourg).

    Quant au troisime enjeu, il a trait deux visions du cinma :

    Le cinma scolaire : des films pda-gogiques sont produits par le Muse pdagogique, le Ministre de lAgri-culture, la Direction de lenseigne-ment technique (par exemple des films de Jean-Benot Lvy : Comment on devient maon, La posie du tra-vail manuel, Des mtiers pour les jeunes gens), le Ministre de lHy-gine (Le circuit de lalcool, La tuber-culose se prend sur le zinc, La future maman, Le baiser qui tue).

    Le cinma dit rcratif : cest lobjet de ce quon a appel les Of-fices du cinma ducateur laque , crs par la Ligue de lenseignement, qui se battront pour imposer, ct du cinma scolaire, dans le temps scolaire et en soire pour les parents, la diffusion de films muets de fiction franais, amricains, allemands, anglais, russes ou scandinaves. Cette diffusion massive continuera, lini-tiative dinstituteurs, de militants associatifs locaux, jusqu la fin de la Seconde Guerre mondiale, alors que lexploitation cimmatographique prive basculera totalement dans la diffusion du cinma sonore et par-lant. On estime quelque 40 millions de spectateurs la frquentation des cin-clubs lis aux Offices du cinma ducateur laque entre 1930 et 1940.

    Ces trois problmatiques ne se rejoignent pas toujours et parfois mme sopposent. Les manifes-tations tonitruantes des militants communistes lors des projections du Cuirass Potemkine provoquent

    Le Cuirass Potem-kine,URSS,S.MEisenstein,1925

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    ici et l des dmissions de prsi-dents de cin-clubs, des dchirages de cartes de membres. Les autorits de lInstruction publique exercent un contrle ttillon sur les courts mtrages pdagogiques dans une optique dinstruction, dducation morale, plus ou moins hyginiste du peuple. Mais ces trois sources ddu-cation populaire autour du cinma saccordent sur une croyance en la vertu mancipatrice en soi du cinma par la dcouverte dunivers et de ralits inconnus, de sensibilits nouvelles.

    le cinma, art populaire de notre temps

    Cent soixante ans ans aprs le

    discours de Condorcet, cette vision enseignante inspire encore for-tement la pense dAndr Bazin, critique, essayiste et thoricien du cinma, infatigable animateur de cin-clubs. Dans un ouvrage collectif,

    emblmatique des rapports entre ducation populaire et cinma, publi par lassociation Peuple et culture au sortir de la Seconde Guerre mon-diale (1953), portant le titre intempo-rel de Regards neufs sur le cinma, Andr Bazin rsume sa philosophie ducative dans un texte intitul Le Langage de notre temps. Il y mani-feste sa conviction que le cinma est lart populaire de notre temps , la seule technique dexpression vritablement concurrente du lan-gage parl , un art de masse [] lchelle des rapports conomiques et sociaux modernes , un langage pla-ntaire quil faut apprendre parce que sa diffusion ne connat pas les frontires du langage parl et crit . Les grands lgislateurs de lcole publique du xixe sicle ont cru quen faisant disparatre lanalphabtisme par la multiplication des coles pri-maires et la scolarit obligatoire ils allaient ouvrir au peuple les trsors des bibliothques. En ralit, le pro-grs formidable que reprsente la matrise gnralise du langage crit na que bien peu servi la diffusion du livre ayant une valeur intellectuelle et artistique incontestable... Cest que, vers la mme poque o se dvelop-pait lcole primaire, apparaissaient des techniques nouvelles de diffusion de la pense. Les arts mcaniques : le phonographe (et plus tard, la radio, son prolongement) et le cinma al-laient relayer limprimerie avec une efficacit crasante .

    Une revendication affleure dans ces lignes et tout au long de ce texte, celle dune reconnaissance du ci-nma comme un art majeur bien sr ( il semble quil ne soit un art qu la manire de la littrature, dont la matire premire, le langage crit

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    et parl, est une ralit antrieure et autonome ), mais galement comme objet denseignement. Lire, crire, compter, cinmatographier, en somme. Comme tout langage, le cinma doit sapprendre , mme sil semble bien plus facile de regarder un film que dapprendre lire , crit Andr Bazin avant de formuler deux propositions enseignantes :

    Se garder de lillusion que le ci-nma est ipso facto un langage uni-versellement intelligible, quels que soient la forme et le degr de culture. Comme tout langage, il exige, pour tre exactement entendu, la mme familiarit, la mme pratique la fois rflchie et inconsciente laquelle vous devez dapprcier les chefs duvre de la littrature par exemple. Il comporte lui aussi sa grammaire : smantique, syntaxe et stylistique . Dvelopper la culture cinmato-graphique , non seulement parce quelle est ncessaire un meilleur discernement, une plus riche jouis-sance des uvres de qualit mais aussi parce quelle est ncessaire la prise de conscience des ides que le film vise introduire dans notre conscience sous lalibi fallacieux de la ralit .

    Animateur de lassociation ddu-cation populaire Travail et Culture, collaborateur de la revue Esprit, animateur de cin-clubs au sein de comits dentreprises, de maisons du peuple ou de foyers paroissiaux, An-dr Bazin concrtise cette vision par lcriture de fiches quil prpare afin danimer les dbats avec le public. Cest le cas de la clbre fiche consa-cre au film Le jour se lve de Mar-cel Carn, formidable et rigoureuse

    analyse du film en mme temps quexemple magistral de dmarche didactique, tant le texte est parsem de questions poser au public dans une stratgie danimation, Bazin allant mme jusqu envisager les rponses vraisemblables du public ainsi que leur pourcentage !

    la promotion dun cinma de qualit

    La vision didactique et mili-tante telle que dveloppe par Ba-zin sera la matrice danimation des milliers de cin-clubs qui se consti-tueront sur le territoire, principale-ment partir de laprs-guerre. Re-connus par la rglementation comme associations habilites diffuser la culture par le film en janvier 1964,

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    ils sorganisent en fdrations natio-nales appuyes sur les mouvements dducation populaire laques (Ligue de lenseignement, Peuple et Culture, Fdration des Maisons des Jeunes et de la Culture) ou confessionnels (Film et Vie pour les protestants, Fdration Loisirs Expression Cultu-relle pour les catholiques) ainsi que sur des mouvements daction cinmatographique initis par des cinastes (Fdration franaise des cin-clubs, Fdration Jean Vigo, Inter-film). Ainsi, par le biais des cin-clubs, de leurs animateurs, de leurs fdrations et de leurs revues de cinma, lducation populaire contri-buera lmergence dun cinma exigeant quon qualifiera ensuite dart et dessai, crant une situation dattente, une aspiration que viendra combler la nouvelle vague dans les annes 1958-60. Elle contribuera du mme coup la formation dun public attach la qualit des uvres en faisant dcouvrir les plus grands films amricains, russes ou japonais, les grandes uvres du cinma muet, de lexpressionnisme allemand ou les films en direction du jeune public produits par les cinastes canadiens, polonais, tchques ou hongrois. En 1959, il y aura presque sept millions dentres dans les cin-clubs en France.

    du voir ensemble au faire ensemble

    La double conviction ensei-gnante et culturelle dune alliance et dune interaction objec-tives de lcole et du cinma pour manciper les individus, cette confiance presque aveugle va devoir affronter les contradictions

    de plusieurs ralits tout au long des annes 60 80 :

    Lmergence dun mouvement social et dune socit civile de plus en plus actifs, qui conduiront la rvolte de mai 68 : mouvement anticolonialiste et antiimprialiste, mouvement de la jeunesse elle-mme, saffirmant de manire auto-nome dans les universits puis les lyces. Ces mouvements, sappuyant sur la recherche ethnologique et so-ciologique, mettent en vidence la part dalination reproche lcole, dsigne par certains comme un appareil idologique dtat au service de la ralit coloniale ou de lembrigadement des jeunes. Lmergence dun cinma mili-tant, accompagnant la politisation de la socit franaise, en lien direct avec les mouvements sociaux des annes 60 et 70, lesquels mani-festent autant la capacit dauto-organisation des ouvriers, des em-ploys, des paysans et des habitants (mouvement coopratif agricole, courants autogestionnaires, exp- riences de contrle ouvrier) que la dnonciation de lalination capita-liste. Cette mergence dun cinma militant est rendue possible par lallgement considrable des qui-pements de tournage (prise de vue et prise de son) ainsi que par la diffu-sion des camras primitivement des-tines aux loisirs familiaux (8 mm, Super 8, 16 mm puis, ds le milieu des annes 70, vido). De Classe de lutte, ralis par Chris Marker et le groupe Medvedkine avec des ou-vriers franc-comtois de lhorlogerie, entre 1967 et 1969, Cochon qui sen ddit, ralis en 1979 par Jean-Louis Le Tacon et le groupe Iskra avec

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    un paysan surendett pour produire du porc hors-sol, en passant par La lutte du Larzac, 1971-1981, une d-cennie de cinma militant fait mer-ger, vaille que vaille, la prise de pa-role cinmatographique dhommes et de femmes qui ne se contentent plus dtre des spectateurs cinphiles . Lannexion progressive de lindus-trie du cinma par les industries du flux tlvisuel, provoquant une formi-dable rgression de la frquentation des salles de cinma entre 1957 et 1992 (de 372 millions dentres en 1959 115 millions en 1992) et dans le mme temps la sparation pro-gressive de lindustrie du cinma en deux ples, celui de lentertainment et celui de lauteur, voire de lauteur / producteur. Le rve de mixit sociale et culturelle des publics de ldu-cation populaire par le partage du voir , par le voir ensemble pour mieux vivre ensemble et pour mieux transformer ensemble est ici battu en brche par la ralit conomique.

    Qu cela ne tienne ! Alors que les cin-clubs associatifs disparaissent et que le mythe enseignant se dsa-grge, alors quun schma de spara-tion des publics entre cinma de plus en plus commercial et cinma dart et dessai se met en place, limitant le voir ensemble , les mouvements et les militants de lducation popu-laire dcident de passer au faire en-semble au dbut des annes 80 et tout au long des annes 90, dans une conception plus interactive et plus participative de lappropriation des savoirs par le tissu social. Ils contri-buent largement la recherche par la socit civile de concepts et de moda-lits de rsistance collective, ici la

    dsertification du milieu rural, l la dshrence urbaine ou priurbaine, l-bas la monte des apartheids et des discriminations. Remplaant les cin-clubs et succdant aux exploi-tants des petites salles de cinma pri-ves qui ferment leurs portes, des cir-cuits itinrants et des salles de cinma se constituent ou redmarrent sous la houlette de groupes dhabitants, avec laide de fdrations dduca-tion populaire (Ligue de lenseigne-ment, Foyers Ruraux, Fdration franaise des MJC, Association des cinmas itinrants). Des savoir-faire se dveloppent et se diffusent ainsi (programmer, animer, grer, inves-tir, recruter, communiquer), aussi in-dispensables lexercice de lautono-mie du jugement et de la citoyennet que les voir et savoir nces-saires au dveloppement des gots cinphiliques .

    dun cinma ducateur un cinma des passeurs

    Avec la naissance du dispositif Ville / Vie / Vacances en 1982, la politique dite de la Ville , soucieuse de lien social dans les quartiers frapps par le chmage de masse et la perte de la mixit sociale lie au dpart des classes moyennes

    GroupeMedve-dkine,Classe de lutte,1968,grvedelusineRhodia-ceta,Besanon

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    vers les zones pavillonnaires , va susciter lmergence de nouvelles formes dducation populaire en lieu et place des cin-clubs ducateurs et du cinma militant voqus plus haut. Des groupes dhabitants, accompagns par des animateurs, des travailleurs sociaux, des artistes, des associations et des institutions culturelles, se constituent pour filmer leurs territoires, sen approprier lhis-toire, aussi bien celle de ses habitants que celle du bti ou de la vie sociale et associative. Le documentaire nest dailleurs pas la seule des formes dexpression adoptes : le cinma danimation et plus rarement la fic-tion sont galement utiliss ainsi que le clip vido. La politique de la Ville croise ici la reconnaissance de lducation limage aussi bien dans lcole (apparition des dispositifs Collge au Cinma, cole et cinma et Lycens au cinma entre 1987 et 1995) que dans les loisirs ducatifs hors du temps scolaire.

    Lducation populaire, au mme moment, dans les annes 80, par-ticipe la dfinition du concept de mdiation artistique qui tire les

    conclusions dun constat tabli aprs les vingt premires annes de la d-centralisation culturelle. Le contact avec luvre, son visionnement, sa dcouverte ou sa frquentation ne suffisent pas pour dmocratiser laccs lart et la culture : encore faut-il amnager le temps et lespace de la rencontre, permettre notam-ment lindividu de se familiariser avec lacte de cration, de le vivre au contact des artistes. Sagissant du cinma, il faudra migrer dun cinma ducateur un cinma des passeurs , au double contact de mdiateurs culturels et de cinastes vivement intresss par la question de la transmission de la pratique cinmatographique au sein mme de leurs projets ou de leur univers artistique. Cest le sens par exemple du dispositif Passeurs dimages, dsign ainsi en 2007, aprs stre appel Un t au cinma ou Cin / Cinville partir du dbut des annes 90. Ce dispositif interministriel, plac aujourdhui sous la tutelle de lAsc1, concernait en 2007 plusieurs centaines de villes et touchait environ 300 000 personnes, dans un triple souci dallier le voir , le faire et le montrer , trois dimensions considres comme indissociables de lducation au cinma et limage en gnral. Ainsi, des hommes et des femmes voient, dcouvrent, critiquent, font, programment et montrent des films, amateurs clairs au contact de cinastes et en mme temps de leurs oeuvres.

    lducation populaire au dfi de la numrisation des images

    La miniaturisation progres-sive des outils de cration dimages

    AteliervidoPas-seursdimages,MJCdeChenve

    MJc De cheNVe

    1 Agence nationale pour la cohsion sociale et lgalit des chances.

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    lments de bibliographie Regards neufs sur le cinma,ouvragecollectifcoordonnparJacquesChevallier,collectionPeupleetCulture,ditionsduSeuil,1953. Quest ce que le cinma ?AndrBazin,d.duCerf,1958. Introduction au cin-club. Histoire, thorie, pratique du cin-club en France, VincentPinel,Paris,d.Ouvrires,1964. Les Offices du cinma ducateur et la survivance du muet,RaymondBordeetCharlesPerrin,PressesUniversitairesdeLyon,1992. lments sur lhistoire des cin-clubs en France, Michel Hoare, sur le site www.avenirvivable.ouvaton.org/journal

    (prises de vue, de son, montage, mixage) sest acclre avec la nu-mrisation des signaux. Des films peuvent se faire aujourdhui avec des tlphones portables, des tablettes numriques ou des appareils photo. Les logiciels de montage, de retouche dimages, de musique assiste par ordinateur permettent aux amateurs de finaliser un film chez eux. Ce film peut ensuite tre publi sur internet, sur un blog ou un wiki. Ces images peuvent aussi tre changes dans le cadre dun rseau social. Au-del des limites technologiques, ce sont des limites conomiques et juridiques la cration et la diffusion de films que la numrisation supprime.

    Dans une socit de citoyens clairs, faisant bon usage de leur autonomie de jugement, la numrisa-tion serait en soi une excellente nou-velle. Elle risque nanmoins, dans le prolongement de la tlvision domes-tique, de contribuer latomisation du corps social : consommation et cration dimages dans la culture de la chambre des adolescents ; repli sur soi affinitaire, identitaire ou com-munautaire des adultes. Et lindus-trie des multimdias a bien compris le parti quelle pouvait tirer dune technologie rellement interactive !

    Alors que la salle obscure nest plus le temple du cinma , qu la faveur de la transition numrique dans les cabines de projection elle sapprte diffuser toutes sortes dvnements ou de jeux en direct, lducation popu-laire doit continuer socialiser lexp-rience spectatorielle, en inventant de nouveaux modes de cration, en ajou-tant dautres lieux daction collective autour du cinma, en profitant des po-tentialits dinternet et du web 2.0 pour dvelopper des changes inter-nationaux et interculturels de cra-tions libres. De ce point de vue, la ba-taille des logiciels et des applications informatiques libres labors par des communauts indpendantes est trs importante. Encore et toujours, il y va du voir et du faire ensemble pour transformer ensemble .

    Programmedeformationdesanimateurs,ClubsJeunesduVaucluse