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Phytothérapie (2011) 9:158–164 © Springer-Verlag France 2011 DOI 10.1007/s10298-011-0626-5 Article original Pharmacologie Effet bactéricide (in vitro) des extraits aqueux des feuilles du grenadier marocain ( Punica granatum L.) sur des bactéries multirésistantes aux antibiotiques A. Chebaibi 1 , F. Rhazi Filali 1 , A. Amine 1 , M. Zerhouni 2 1 Laboratoire de chimie–biologie appliquées à l’environnement, faculté des sciences, université Moulay-Ismail, Meknès, Maroc 2 Laboratoire d’épidémiologie et d’hygiène de milieu, délégation de la Santé publique, Meknès, Maroc Correspondance : [email protected] Résumé : Cette recherche concerne l’étude des propriétés antibactériennes des différents extraits aqueux des feuilles du grenadier marocain (Punica granatum L.) pour deux saisons différentes (automne et printemps). Quatorze souches bactériennes Gram (+) et (–) multirésistantes aux antibiotiques ont été utilisées dans ces tests : 1) Staphy- lococcus aureus (un SASM et quatre SARM), Staphylococ- cus epidermidis, Streptococcus feacalis ; 2) Escherichia coli, Klebsiella pneumoniae, Proteus mirabilis, Citrobacter freun- dii, Serratia liquefaciens, Pseudomonas aeruginosa, Acineto- bacter baumannii. Des propriétés bactéricides très intéres- santes des extraits aqueux des feuilles du grenadier ont été constatées sur les bactéries Gram (+) et Acinetobacter bau- mannii. Les zones d’inhibition ont un diamètre très impor- tant atteignant 23,7 mm, et les CMI et CMB sont faibles, de l’ordre de 0,78 mg/ml. Ce travail a montré également que les feuilles du grenadier de la saison d’automne sont plus actives que celles du printemps et que le décocté est plus actif que l’infusé et le macéré. Cette activité antibacté- rienne sur des bactéries Gram (+) et Gram (–) multirésist- antes aux antibiotiques peut contribuer à la lutte contre les maladies infectieuses, et éventuellement offrir la possibilité d’utilisation des feuilles du grenadier en industrie pharma- ceutique ou agroalimentaire. Mots clés : Punica granatum L. – Extraits aqueux – Bactéries multirésistantes – Activité antibactérienne In vitro bactericidal effect of aqueous extracts of Moroccan pomegranate leaves (Punica granatum L.) against multidrug-resistant bacteria Abstract: This research concerns the antibacterial properties of different aqueous extracts of Moroccan pomegranate leaves (Punica granatum L.) for two different seasons (autumn and spring). Fourteen strains of Gram (+) and Gram (–) multidrug-resistant bacteria were used in theses tests: 1) Staphylococcus aureus (1 MSSA and 4 MRSA), Staphylo- coccus epidermidis, Streptococcus feacalis; 2) Escherichia coli, Klebsiella pneumoniae, Proteus mirabilis, Citrobacter freun- dii, Serratia liquefaciens, Pseudomonas aeruginosa, Acineto- bacter baumannii. Very interesting bactericidal properties of aqueous extracts of pomegranate leaves have been noted against the Gram (+) bacteria and Acinetobacter bauman- nii. The inhibition zones are very large, diameter reaching 23,7 mm and MICs and MBCs were lower in the order of 0,78 mg/ml. This work also showed that pomegranate leaves of autumn season are more active than those of spring, and decocted extract is more active than the infused and macer- ated. This antibacterial activity on Gram (+) and Gram (–) multidrug-resistant bacteria may contribute to fight against infectious diseases and eventually offer the possibility of using pomegranate leaves in food or pharmaceutical industry. Keywords: Punica granatum L. – Aqueous extracts – Multi- drug-resistant bacteria – Antibacterial activity Introduction La découverte des antibiotiques constituait une véritable révolution dans la lutte contre les maladies infectieuses. Cependant, la consommation inappropriée et l’utilisation abusive d'antibiotiques ont accéléré la sélection de bactéries multirésistantes constituant actuellement un réel problème d’antibiothérapie et de santé publique. Les conséquences collectives et individuelles de ce problème sont sérieuses : la plupart des infections, qu'elles soient bénignes ou graves, sont de plus en plus difficiles à traiter [21]. Le recours aux ressources naturelles en général et aux plantes médicinales en particulier devient alors une des plus importantes et intéressantes pistes à explorer pour la recherche de nouveaux produits antibactériens plus efficaces [29].

Effet bactéricide (in vitro) des extraits aqueux des feuilles du grenadier marocain (Punica granatum L.) sur des bactéries multirésistantes aux antibiotiques

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Phytothérapie (2011) 9:158–164© Springer-Verlag France 2011DOI 10.1007/s10298-011-0626-5

Article original

Pharmacologie

Eff et bactéricide (in vitro) des extraits aqueux des feuilles du grenadier marocain (Punica granatum L.) sur des bactéries multirésistantes aux antibiotiques

A. Chebaibi1, F. Rhazi Filali1, A. Amine1, M. Zerhouni2

1Laboratoire de chimie–biologie appliquées à l’environnement, faculté des sciences, université Moulay-Ismail, Meknès, Maroc2Laboratoire d’épidémiologie et d’hygiène de milieu, délégation de la Santé publique, Meknès, MarocCorrespondance : [email protected]

Résumé : Cette recherche concerne l’étude des propriétés antibactériennes des différents extraits aqueux des feuilles du grenadier marocain (Punica granatum L.) pour deux saisons différentes (automne et printemps). Quatorze souches bactériennes Gram (+) et (–) multirésistantes aux antibiotiques ont été utilisées dans ces tests : 1) Staphy-lococcus aureus (un SASM et quatre SARM), Staphylococ-cus epidermidis, Streptococcus feacalis ; 2) Escherichia coli, Klebsiella pneumoniae, Proteus mirabilis, Citrobacter freun-dii, Serratia liquefaciens, Pseudomonas aeruginosa, Acineto-bacter baumannii. Des propriétés bactéricides très intéres-santes des extraits aqueux des feuilles du grenadier ont été constatées sur les bactéries Gram (+) et Acinetobacter bau-mannii. Les zones d’inhibition ont un diamètre très impor-tant atteignant 23,7 mm, et les CMI et CMB sont faibles, de l’ordre de 0,78 mg/ml. Ce travail a montré également que les feuilles du grenadier de la saison d’automne sont plus actives que celles du printemps et que le décocté est plus actif que l’infusé et le macéré. Cette activité antibacté-rienne sur des bactéries Gram (+) et Gram (–) multirésist-antes aux antibiotiques peut contribuer à la lutte contre les maladies infectieuses, et éventuellement offrir la possibilité d’utilisation des feuilles du grenadier en industrie pharma-ceutique ou agroalimentaire.

Mots clés : Punica granatum L. – Extraits aqueux – Bactéries multirésistantes – Activité antibactérienne

In vitro bactericidal eff ect of aqueous extracts of Moroccan pomegranate leaves (Punica granatum L.) against multidrug-resistant bacteria

Abstract: This research concerns the antibacterial properties of different aqueous extracts of Moroccan pomegranate leaves (Punica granatum L.) for two different seasons (autumn and spring). Fourteen strains of Gram (+) and Gram (–)

multidrug-resistant bacteria were used in theses tests: 1) Staphylococcus aureus (1 MSSA and 4 MRSA), Staphylo-coccus epidermidis, Streptococcus feacalis; 2) Escherichia coli, Klebsiella pneumoniae, Proteus mirabilis, Citrobacter freun-dii, Serratia liquefaciens, Pseudomonas aeruginosa, Acineto-bacter baumannii. Very interesting bactericidal properties of aqueous extracts of pomegranate leaves have been noted against the Gram (+) bacteria and Acinetobacter bauman-nii. The inhibition zones are very large, diameter reaching 23,7 mm and MICs and MBCs were lower in the order of 0,78 mg/ml. This work also showed that pomegranate leaves of autumn season are more active than those of spring, and decocted extract is more active than the infused and macer-ated. This antibacterial activity on Gram (+) and Gram (–) multidrug-resistant bacteria may contribute to fight against infectious diseases and eventually offer the possibility of using pomegranate leaves in food or pharmaceutical industry.

Keywords: Punica granatum L. – Aqueous extracts – Multi-drug-resistant bacteria – Antibacterial activity

IntroductionLa découverte des antibiotiques constituait une véritable révolution dans la lutte contre les maladies infectieuses. Cependant, la consommation inappropriée et l’utilisation abusive d'antibiotiques ont accéléré la sélection de bactéries multirésistantes constituant actuellement un réel problème d’antibiothérapie et de santé publique. Les conséquences collectives et individuelles de ce problème sont sérieuses : la plupart des infections, qu'elles soient bénignes ou graves, sont de plus en plus difficiles à traiter [21].

Le recours aux ressources naturelles en général et aux plantes médicinales en particulier devient alors une des plus importantes et intéressantes pistes à explorer pour la recherche de nouveaux produits antibactériens plus efficaces [29].

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Parmi les plantes médicinales ayant un intérêt thérapeu-tique important figure le grenadier (Punica granatum L.). C’est un arbuste originaire de Perse qui a été très ancien-nement cultivé de par le monde, en particulier en Asie, en Afrique du Nord et sur le pourtour méditerranéen [2,22].

Dans la dernière décennie, le grenadier a été étudié pour une potentielle utilisation dans : l’immunomodulation, l’athérosclérose et l’artériosclérose, les infections bacté-riennes et fongiques, les infections parasitiques ainsi que les infections périodontales [12,17,23,26]. Dans la plupart de ces travaux, la partie utilisée de la plante est le fruit frais, le jus, l’écorce de fruit ou de l’arbre, les fleurs ; mais des études sur les feuilles du grenadier sont pratiquement rares. L’objectif de notre étude consiste à évaluer l’effet antibactérien des feuilles du grenadier marocain pour montrer, d’une part, leur effet thérapeutique antibacté-rien et, d’autre part, valoriser les restes non exploitables du grenadier.

Matériel et méthodes

Présentation de la plante

Le grenadier (Punica granatum L.) est un arbre fruitier de la famille des Punicaceae. C’est un arbuste des régions médi-terranéennes qui peut atteindre 6 m de haut. Son écorce est grisâtre et a tendance à se crevasser et à desquamer avec l’âge. Ses feuilles sont caduques, ovales, luisantes, sans poils ni dents et sont opposées par deux ; elles mesurent 3 à 7 cm de long sur 1 à 2 cm de large. Le fruit est une baie à péricarpe dur, il est rougeâtre, rond avec une couronne de sépales [15].

Au Maroc, le grenadier est cultivé sur une superficie de 3 827 ha qui donne une production estimée à 45 900 tonnes de fruits/an. Les grenades sont consommées fraîches ou en jus ou bien après leur transformation dans l’industrie agro-alimentaire [22]. En plus de ses propriétés nutritionnelles, la grenade est un fruit très prisé en médecine traditionnelle marocaine, elle est utilisée comme astringent et diurétique, son écorce est indiquée dans le traitement des diarrhées, des dysenteries, des ulcères gastriques, des leucorrhées, des gingivites et des saignements buccaux. En plus de ses propriétés thérapeutiques, l’écorce de la grenade est utilisée également en tannerie [2,22].

Préparation des extraits de plante

Les feuilles du grenadier utilisées dans cette étude ont été récoltées dans la région de Matmata, à 60 km à l’Est de la ville de Fès. La récolte a été réalisée pendant deux saisons différentes : l’automne (en octobre) et le printemps (en mai).

Le matériel végétal récolté a été séché à l’air libre et à température ambiante pendant dix jours, puis réduit en poudre. Pour la préparation des extraits, nous avons procédé

par les méthodes traditionnelles d’extraction couramment utilisées. Ainsi, nous avons préparé des extraits aqueux par trois différentes méthodes :

– décocté : une décoction à 10 % dans de l’eau distillée décocté : une décoction à 10 % dans de l’eau distillée décoctéest réalisée en portant la préparation à ébullition pendant 15 minutes. Après refroidissement, l’extrait est filtré sur papier Wattman, ensuite il est évaporé à sec sous vide à l’aide d’un évaporateur rotatif à une température de 45 °C. Le résidu obtenu est ensuite dissous dans un volume d’eau distillée pour obtenir une concentration finale de 200 mg/ml ;

– infusé : il est préparé en mettant le matériel végétal au contact d’eau distillée bouillante (à une concentration de 10 %) pendant 15 minutes. L’extrait est ensuite filtré et concentré au rotavapor à une température de 45 °C. Le résidu est reconstitué dans de l’eau distillée pour avoir une concentration de 200 mg/ml ;

– macéré : une macération à 20 % est préparée en mettant la poudre des feuilles du grenadier dans de l’eau distillée froide pendant 24 heures. Cette solution est ensuite filtrée sur papier Wattman. Le macéré ainsi obtenu est d’une concentration de 200 mg/ml.

Les extraits ainsi préparés sont stockés à +4 °C jusqu’au moment de leur utilisation.

Souches bactériennes

Les micro-organismes utilisés dans cette étude sont des germes pathogènes isolés cliniquement à partir de diffé-rents produits pathologiques. Leur prélèvement et leur isolement se faisaient en respectant les normes d’hygiène et en utilisant les milieux de culture sélectifs adéquats. Leur identification a été effectuée à l’aide d’un automate Phoenix 100 BD. Leur sensibilité aux antibiotiques est déterminée par le test d’antibiogramme selon les recommandations du comité de l’antibiogramme de la Société française de microbiologie [5].

Les germes sélectionnés pour cette étude sont des cocci Gram (+) : Staphylococcus aureus sensible à la méticilline (SASM), quatre souches de Staphylococcus aureus résis-tant à la méticilline (SARM) et à sensibilité diminuée à la vancomycine (SARM1, SARM2, SARM3, SARM4), Staphylococcus epidermidis résistant à la méticilline, Streptococcus feacalis ; ainsi que des bacilles et des cocco-bacilles Gram (–) multirésistants aux antibiotiques de différentes classes : Escherichia coli, Klebsiella pneumo-niae, Proteus mirabilis, Citrobacter freundii, Serratia liquefaciens, Pseudomonas aeruginosa, Acinetobacter baumannii.

Préparation de l’inoculum

L’inoculum est préparé à partir d’une culture bactérienne de 18–24 heures, cultivée sur milieu gélosé et incubée à 37 °C, en mettant quelques colonies bactériennes en suspension dans une solution saline (0,9 % de NaCl) pour avoir un inoculum d’une densité équivalente au standard McFarland 0,5 [4].

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Évaluation de l’activité antibactérienne des extraits de plante

Technique de diff usion en milieu gélosé (aromatogramme)

Nous avons utilisé la méthode de diffusion sur milieu gélosé Mueller-Hinton pour tester la sensibilité des bactéries aux extraits des feuilles de grenadier [28]. Les boîtes de Pétri contenant le milieu de culture sont ensemencées en nappe avec l’inoculum bactérien. Deux disques commercialisés vierges (antibiotic test discs, Fioroni ref. 905) de 6 mm de diamètre sont ensuite déposés à la surface de la boîte, le premier servant de témoin négatif est imprégné d’eau distillée stérile, alors que le second est imprégné de 50 µl de l’extrait de plante à une concentration de 200 mg/ml. La boîte est ensuite incubée à 37 °C pendant 18 à 24 heures.

Après incubation, l’absence de la croissance microbienne se traduit par un halo translucide autour du disque, iden-tique à la gélose stérile, dont le diamètre est mesuré et exprimé soit en centimètre, soit en millimètre.

Détermination de la concentration minimale inhibitrice (CMI)

La CMI est déterminée comme étant la concentration minimale de l’extrait qui inhibe la croissance de 90 % de la population bactérienne après un temps d’incuba-tion de 18 à 24 heures à 37 °C [27]. La détermination des CMI des extraits de plantes, vis-à-vis des souches bacté-riennes, est réalisée selon la technique de microtitration sur microplaques décrite par Eloff (1998) [9]. Le tétrazo-lium (MTT : 3-(4,5-diméthylthiazol-2-yl)-2,5 diphényl-tétrazolium bromide) est utilisé comme indicateur de viabi-lité. Cinquante microlitres de bouillon Mueller-Hinton sont déposés dans chaque puits. Puis 50 µl de la solution mère du produit à tester sont ajoutés dans le premier puits de chaque ligne à partir duquel on réalise une série de dilutions de raison géométrique 2. Chaque puits est ensuite ensemencé par 50 µl de la suspension bactérienne à 5 × 105 ufc/ml. Les microplaques sont ensuite incubées à 37 °C pendant 18 à 24 heures.

À la fin de la période d’incubation, le MTT est préparé extemporanément à 0,4 mg/ml dans l’eau physiologique stérile (0,9 % de NaCl). Vingt microlitres de la solution MTT sont rajoutés dans chaque puits. La plaque est ensuite réincubée pendant 10 à 30 minutes à 37 °C. Les puits où une croissance bactérienne a eu lieu montrent une couleur bleu-violet.

Les témoins négatifs sont préparés dans des puits isolés contenant le milieu de culture et les souches bactériennes testées, mais sans addition d’extrait de plante.

Le nombre de répétitions est de trois fois pour chacun des tests réalisés (diffusion en milieu solide et CMI).

Détermination de la concentration minimale bactéricide (CMB)

La CMB est la concentration minimale de l’extrait de plante qui produit une réduction de 99,9 % de la population bacté-rienne, il reste donc 0,1 % de germes survivants, après 18 à 24 heures d’incubation à 37 °C [27]. Nous avons ensemencé

en stries sur des boîtes de gélose Mueller-Hinton la série de puits commençant à partir de celui qui a déterminé la CMI par microdilution. Parallèlement, nous avons ensemencé en stries une gamme de dilution au 1/10 de germes. La lecture est faite par comparaison des pousses bactériennes des deux séries de boîtes de Pétri après incubation à 37 °C pendant 18 à 24 heures.

Résultats et discussion

Profi l de sensibilité aux antibiotiques des bactéries testées

Les bactéries pathogènes sélectionnées au cours de cette étude pour tester l’efficacité des extraits des feuilles du grenadier sont dans la plupart du temps celles qui posent un problème d’antibiothérapie. Pour ce fait, les staphylo-coques résistant à la méticilline et les entérocoques résis-tant aux glycopeptides, et dont le profil de susceptibilité aux antibiotiques est porté sur le Tableau 1, ont été choisis parmi les bactéries Gram (+).

Pour les Gram (–), le choix a été porté surtout sur des bactéries à résistance multiple aux différentes classes d’anti-biotiques, y compris les céphalosporines de troisième et quatrième générations et l’aztréonam. Parmi ces bactéries, nous avons choisi Acinetobacter baumannii et des entéro-bactéries multirésistantes aux antibiotiques.

Test d’inhibition de la croissance bactérienne

La gravité des souches bactériennes multirésistantes aux antibiotiques, couplée à l’inefficacité des médicaments (même ceux de la dernière génération), nous a conduits à nous intéresser à l’inépuisable source de produits naturels à vertu thérapeutique : les plantes médicinales.

À côté des médicaments synthétiques antibactériens, les études scientifiques récentes se focalisent sur la recherche de produits naturels dotés d’une activité et efficacité anti-bactérienne, sans effets néfastes sur la santé et plus acces-sibles à la majorité de la population [1,3,6,7,10,11].

Dans le présent travail, les extraits des feuilles du grena-dier semblent répondre à ces exigences ; les résultats des tests d’activité inhibitrice de la croissance bactérienne, réalisés sur les souches sélectionnées, sont portés sur les Tableaux 2 et 3.

Technique de diff usion en milieu gélosé

L’étude de la sensibilité des bactéries testées aux différents extraits des feuilles de Punica granatum L. (Tableau 2) nous montre une absence d’activité inhibitrice sur la croissance des entérobactéries (Escherichia coli, Klebsiella pneumoniae, Serratia liquefaciens, Citrobacter freundii, Proteus mira-bilis) ainsi que Pseudomona aeruginosa. Cependant, l’effi-cacité de ces extraits est positive sur les huit autres souches testées (SASM, quatre SARM, Staphylococcus epider-midis, Streptococcus feacalis et Acinetobacter baumannii).

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Tableau 1. Antibiogramme des différentes souches bactériennes utilisées

AntibiotiquesSouches Gram (+)

SASM SARM1 SARM2 SARM3 SARM4 Staphylococcus epidermidis

Streptococcus feacalis

Pénicilline G : 10 UI R R R R R R NTAmpicilline : 10 µg NT NT NT NT NT NT ICéfoxitine : 15 µg S R R R R R NTOxacilline : 1 µg NT NT NT NT NT NT ROxacilline : 5 µg S I R R R R NTGentamicine : 10 UI S I R R R R NTGentamicine : 500 µg NT NT NT NT NT NT RÉrythromicine : 15 UI S I I I R R RLincomycine : 15 µg S S I I I I RCiprofloxacine : 5 µg S S I I I R NTOfloxacine : 5 µg NT NT NT NT NT NT ITriméthoprime/sulfaméthoxazole : 1,25 + 23,75 µg

S S R R R R NT

Vancomycine : 30 µg S R R R R R RTeicoplanine : 30 µg NT NT NT NT NT NT R

AntibiotiquesSouches Gram (–)

Escherichia coli

Klebsiella pneumoniae

Proteus mirabilis

Serratia liquefaciens

Citrobacter freundii

Amoxicilline : 10 µg R R R R RAmoxicilline/clavulanate : 20/10 µg R R R R RCeftazidime : 30 µg R R S R RCeftriaxone : 30 µg R R S R RGentamicine : 10 UI R R I R RTobramycine : 10 µg R R I R RAmikacine : 30 µg R R I R RCiprofloxacine : 5 µg I R S R RAcide nalidixique : 30 µg I I I I R

AntibiotiquesSouches Gram (–)

Pseudomona aeruginosa Acinetobacter baumannii

Ticarcilline : 75 µg S RTicarcilline/clavulanate : 75/10 µg S RPipéracilline : 75 µg S RPipéracilline/Tazobactam : 75/10 µg S RImipénème : 10 µg I RCeftazidime : 30 µg S RTobramycine : 10 µg S RAmikacine : 30 µg S SGentamicine : 10 UI S RAztréonam : 30 µg I RNétilmicine : 30 µg NT R

NT = disque non testé ; S = sensible ; I = intermédiaire ; R = résistant.

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Les diamètres des zones d’inhibition varient entre 9,7 ± 0,33 à 23,7 ± 1,45 mm selon la saison de récolte et la méthode de préparation des extraits.

Pour la saison d’automne, nous avons noté une variation du pouvoir inhibiteur des extraits selon leur méthode de préparation. En effet, le décocté montre une activité anti-bactérienne sur huit des germes testés (SASM, quatre SARM, Staphylococcus epidermidis, Streptococcus feacalis et Acine-tobacter baumannii), avec des diamètres d’inhibition allant jusqu’à 23,7 ± 1,45 mm ; tandis que l’infusé n’est actif que sur cinq des huit souches précédemment citées, avec des zones d’inhibition allant de 9,7 ± 0,33 à 19 ± 1,15 mm de diamètre. Le macéré ne présente une activité inhibitrice de croissance que sur deux bactéries (SASM et SARM1), celles qui sont les moins résistantes aux antibiotiques. De même, cette efficacité est inversement proportionnelle au nombre de résistances aux antibiotiques des germes testés (coefficient de corréla-tion = –0,95, Fig. 1).

Cette activité antibactérienne des extraits aqueux des feuilles du grenadier peut être expliquée par la présence dans les feuilles du grenadier de substances hydrosolubles dotées d’une action inhibitrice de la croissance bactérienne. Plusieurs études ont montré la présence des tanins dans les feuilles de Punica granatum L. [16,20], il s’agit en effet

de composés hydrosolubles possédant une activité anti-microbienne vis-à-vis de différents champignons et bacté-ries [18,24,25] et une activité anti-infectieuse [14].

La diminution de l’activité antibactérienne des extraits, en allant du décocté au macéré, pourra être expliquée par le fait que les tanins sont plus libérés à haute température. Cela a été rapporté par Harbourne et al. (2009), qui ont montré que le pourcentage des tanins et des polyphénols dans l’extrait aqueux de Filipendula ulmaria L. augmente quand la température d’extraction passe de 60 à 100 °C [13]. Ce qui explique le fait que le décocté soit l’extrait le plus actif pour les feuilles de la saison d’automne.

Pour la saison du printemps, nous avons évalué uniquement l’action antibactérienne du décocté, puisque l’infusé et le macéré ont montré une activité plus faible que le décocté dans le cas précédent. Nous avons remarqué que le décocté de la saison printemps inhibe seulement la croissance de six souches bacté-riennes (SASM, quatre SARM et Acinetobacter baumannii), avec des zones d’inhibition allant de 12,7 ± 0,88 à 19,7 ± 0,67 mm de diamètre, qui sont par ailleurs plus petites que celles obtenues avec le décocté de la saison d’automne. Cette variation signifi-cative (pcative (pcative ( < 0,001) laisse supposer que les feuilles du grenadier de la saison d’automne sont plus riches en composés actifs anti-bactériens que celles de la saison du printemps.

Tableau 2. Activité antibactérienne des différents extraits des feuilles de Punica granatum L. (moyenne des diamètres d’inhibition en millimètre)

Extraits (200 mg/ml) Saison d’automne Saison de printempsGermes Décocté Infusé Macéré Décocté

SASM 23,7 ± 1,45 19 ± 1,15 17,7 ± 0,33 19,7 ± 0,67SARM1 18 ± 0,0 16 ± 0,58 13,3 ± 0,33 17 ± 0,0SARM2 16,7 ± 0,33 – – 14 ± 0,58SARM3 14,2 ± 0,17 – – 13 ± 0,0SARM4 13 ± 0,58 – – 12 ± 0,0Staphylococcus epidermidis 13,5 ± 0,29 9,7 ± 0,33 – –Streptococcus feacalis 12,3 ± 0,33 11,7 ± 0,33 – –Acinetobacter baumannii 15 ± 0,0 10 ± 0,0 – 12,7 ± 0,88Escherichia coli – – – –Klebsiella pneumoniae – – – –Serratia liquefaciens – – – –Citrobacter freundii – – – –Proteus mirabilis – – – –Pseudomona aeruginosa – – – –

(–) : aucune zone d’inhibition constatée : germe insensible à l’extrait.

Tableau 3. CMI et CMB du décocté des feuilles du grenadier de la saison d’automne

SASM SARM1 SARM2 SARM3 SARM4 Staphylococcus epidermidis

Streptococcus eacalis

Acinetobacter baumanii

CMI (mg/ml) 0,78 0,78 0,78 1,56 12,5 0,78 12,5 25CMB (mg/ml) 0,78 0,78 0,78 1,56 12,5 0,78 12,5 25

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CMI et CMB

Les CMI et CMB ont été déterminées pour l’extrait qui s’est révélé le plus actif par la technique de diffusion en milieu solide. Il s’agit du décocté des feuilles du grenadier de la saison d’automne. Cet extrait présente quatre niveaux d’activité (Tableau 3) :

– une CMI à 0,78 mg/ml sur les Staphylococcus aureus(SASM, SARM1, SARM2) et les Staphylococcus epidermidis ;

– une CMI à 1,56 mg/ml sur le Staphylococcus aureusSARM3 ;

– une CMI à 12,5 mg/ml sur le Staphylococcus aureusSARM4 et Streptococcus feacalis ;

– une CMI à 25 mg/ml sur Acinetobacter baumannii qui est le germe le plus résistant dans cette étude (Tableau 1).

Nous remarquons que les staphylocoques, même ceux résistant à plusieurs antibiotiques, sont les germes les plus sensibles à notre extrait (CMI de 0,78 mg/ml), comparés aux autres espèces bactériennes testées. Ces résultats concordent avec ceux rapportés par Ghosh et al. (2008) ainsi que Meléndez et Capriles (2006), qui ont également montré que Staphylococcus aureus est plus sensible aux extraits aqueux et méthanolique du grena-dier [11,19].

Concernant les CMB du décocté de la saison d’automne, nous constatons qu’elles sont superposables aux valeurs de la CMI (Tableau 3). Cela montre que le décocté des feuilles de Punica granatum L. possède une activité bactéricide sur les germes étudiés. En effet, selon Éberlin (1994), lorsque la CMB d’un antibiotique est proche de sa CMI (rapport de 1 à 2), ce dernier est qualifié de bactéricide [8].

ConclusionÀ l’issu de ce travail, nous déduisons que les feuilles de Punica granatum L. possèdent une activité bactéricide très importante (des diamètres d’inhibition élevés et des CMI faibles) sur les germes pathogènes extrêmement résistants aux antibiotiques. Cette étude confirme l’efficacité et ratio-nalise l’usage des feuilles du grenadier en médecine tradi-tionnelle, comme elle prépare le chemin pour prévoir l’éla-boration de nouveaux produits antibactériens.

RemerciementsNous tenons à remercier le ministère de la Santé publique qui nous a autorisés à accéder au laboratoire de bacté-riologie et d’épidémiologie de la délégation de la santé publique de la ville de Meknès ainsi que le Dr Youssef Ala (pharmacien biologiste) responsable du laboratoire d’ana-lyses médicales ALA pour sa contribution dans l’identifi-cation de nos souches bactériennes.

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y = -1,569x + 24,331R2 = 0,8951

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20,0

25,0

0 1 2 3 4 5 6 7 8Nombre de Résistance

Diamètresd'inhibition

SASM

SARM 1SARM 2

SARM 3 SARM 4

Fig. 1. Corrélation entre les diamètres d’inhibition et le nombre de résistances pour les souches de Staphylococcus aureus

Page 7: Effet bactéricide (in vitro) des extraits aqueux des feuilles du grenadier marocain (Punica granatum L.) sur des bactéries multirésistantes aux antibiotiques

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