8
Chimie de l’état solide et cristallochimie / Solid state chemistry and crystal chemistry Élaboration de ciments apatitiques composites pour la rétention du césium et de l’iode Joëlle Carpéna a *, Benoît Donazzon a , Éric Céraulo b , Stéphanie Prené c a Commissariat à l’énergie atomique, centre de Cadarache, DESD/SEP, bât. 307, 13108 Saint-Paul-lez-Durance cedex, France b École nationale supérieure de chimie de Toulouse, Institut national polytechnique de Toulouse, 38, rue des Trente-Six-Ponts, 31000 Toulouse, France c Électricité de France, centre de recherche des Renardières, BP1, Écuelles, 77250 Moret-sur-Loing, France Reçu le 26 mai 2000 ; accepté le 8 janvier 2001 Abstract – Composite apatitic cement as material to retain cesium and iodine. A composite apatitic cement made of hydroxyapatite loaded with -tricalcic phosphate, zirconium phosphate and activated carbon has been elaborated and its ability to block cesium and iodine tested. It could be used as a buffer material in order to prevent the rapid release of soluble fission products (cesium and iodine) in aqueous solutions leaching the spent fuel, in the case of direct disposal of spent fuel. © 2001 Académie des sciences / Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS apatite / cement / phosphate / cesium / iodine Résumé – L’aptitude d’un ciment apatitique, constitué d’hydroxyapatite et des charges ajoutées, phosphate tri-calcique , phosphate de zirconium et charbon actif, a été élaboré et testé en tant que matériau de blocage de l’iode et du césium. Ce matériau pourrait être utilisé en tant que matériau de blocage des assemblages de combustibles nucléaires usés dans l’option de leur stockage direct, afin de freiner la dissémination des produits de fission labile (césium et iode) lors d’un contact du combustible avec de l’eau. © 2001 Académie des sciences / Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS apatite / ciment / phosphate / césium / iode 1. Introduction Dans le combustible nucléaire usé déchargé des réacteurs, une partie des produits de fission comme l’iode et le césium seraient rapidement solubilisés au contact de l’eau, et dans le concept du stockage géologique direct, il est envisagé d’incorporer dans le colis mis en dépôt un matériau capable de blo- quer ces deux éléments. En effet, ces deux produits de fission ont des isotopes radioactifs 135 Cs et 129 I de période longue. Ce matériau doit présenter une bonne stabilité thermique, chimique et sous rayon- nements. Les hydroxyapatites phospho-calciques, de formule générale Ca 10 (PO 4 ) 6 (OH) 2 , possèdent ces qualités. Elles se transforment au-dessus de 1 000°C [1] ; elles ont une très faible solubilité, rétrograde, en milieu neutre ou basique [2] et ont une structure cristalline dans laquelle les dégâts d’irradiation sont instables dès les plus basses tem- pératures [3–5]. Un matériau de blocage à base d’hydroxyapatite phosphocalcique est donc particulièrement intéres- sant. Toutefois, il convient, pour piéger l’iode et le césium, de leur ajouter des composants spécifiques, ce qui est facile, compte tenu de leur mode de préparation. On examine dans cet article la prépa- ration et les propriétés de ce matériau composite. * Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail : [email protected] (J. Carpéna). MÉMOIRE COURT / SHORT PAPER 301 C. R. Acad. Sci. Paris, Chimie / Chemistry 4 (2001) 301–308 © 2001 Académie des sciences / Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S1387160901012294/SCO

Élaboration de ciments apatitiques composites pour la rétention du césium et de l’iode

Embed Size (px)

Citation preview

Chimie de l’état solide et cristallochimie / Solid state chemistry and crystal chemistry

Élaboration de ciments apatitiques compositespour la rétention du césium et de l’iodeJoëlle Carpénaa*, Benoît Donazzona, Éric Céraulob, Stéphanie Prenéc

a Commissariat à l’énergie atomique, centre de Cadarache, DESD/SEP, bât. 307, 13108 Saint-Paul-lez-Durance cedex, Franceb École nationale supérieure de chimie de Toulouse, Institut national polytechnique de Toulouse, 38, rue desTrente-Six-Ponts, 31000 Toulouse, Francec Électricité de France, centre de recherche des Renardières, BP1, Écuelles, 77250 Moret-sur-Loing, France

Reçu le 26 mai 2000 ; accepté le 8 janvier 2001

Abstract – Composite apatitic cement as material to retain cesium and iodine. A composite apatitic cement made ofhydroxyapatite loaded with �-tricalcic phosphate, zirconium phosphate and activated carbon has been elaborated and itsability to block cesium and iodine tested. It could be used as a buffer material in order to prevent the rapid release ofsoluble fission products (cesium and iodine) in aqueous solutions leaching the spent fuel, in the case of direct disposal ofspent fuel. © 2001 Académie des sciences / Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

apatite / cement / phosphate / cesium / iodine

Résumé – L’aptitude d’un ciment apatitique, constitué d’hydroxyapatite et des charges ajoutées, phosphate tri-calcique �,phosphate de zirconium et charbon actif, a été élaboré et testé en tant que matériau de blocage de l’iode et du césium.Ce matériau pourrait être utilisé en tant que matériau de blocage des assemblages de combustibles nucléaires usés dansl’option de leur stockage direct, afin de freiner la dissémination des produits de fission labile (césium et iode) lors d’uncontact du combustible avec de l’eau. © 2001 Académie des sciences / Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

apatite / ciment / phosphate / césium / iode

1. Introduction

Dans le combustible nucléaire usé déchargé desréacteurs, une partie des produits de fission commel’iode et le césium seraient rapidement solubilisésau contact de l’eau, et dans le concept du stockagegéologique direct, il est envisagé d’incorporer dansle colis mis en dépôt un matériau capable de blo-quer ces deux éléments. En effet, ces deux produitsde fission ont des isotopes radioactifs 135Cs et 129Ide période longue. Ce matériau doit présenter unebonne stabilité thermique, chimique et sous rayon-nements. Les hydroxyapatites phospho-calciques,

de formule générale Ca10(PO4)6(OH)2, possèdentces qualités. Elles se transforment au-dessus de1 000°C [1] ; elles ont une très faible solubilité,rétrograde, en milieu neutre ou basique [2] et ontune structure cristalline dans laquelle les dégâtsd’irradiation sont instables dès les plus basses tem-pératures [3–5].

Un matériau de blocage à base d’hydroxyapatitephosphocalcique est donc particulièrement intéres-sant. Toutefois, il convient, pour piéger l’iode et lecésium, de leur ajouter des composants spécifiques,ce qui est facile, compte tenu de leur mode depréparation. On examine dans cet article la prépa-ration et les propriétés de ce matériau composite.

* Correspondance et tirés à part.Adresse e-mail : [email protected] (J. Carpéna).

MO

IRE

CO

UR

T/

SH

OR

TP

AP

ER

301

C. R. Acad. Sci. Paris, Chimie / Chemistry 4 (2001) 301–308© 2001 Académie des sciences / Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservésS1387160901012294/SCO

2. Synthèse de ciment composite

2.1. Le ciment apatitique : le système Ca(OH)2/α-Ca3(PO4)2/Ca4(PO4)2O/H3PO4

La synthèse d’hydroxyapatites phospho-calciquespar la voie des ciments [6, 7] se déroule à tempéra-ture ambiante. L’élaboration d’un ciment apatitiquedans ce système se déroule en deux phases : laprise du ciment et son durcissement. La prise estdue à la formation dans le milieu réactionnel, aprèsgâchage, d’hydrogénophosphate de calcium dihy-draté, la brushite, selon les réactions simultanéessuivantes :

Ca4� PO4 �2O + 2 H3PO4 + 7 H2O → 4 CaHPO4⋅2 H2O

et

Ca3� PO4 �2 + H3PO4 + 6 H2O → 3 CaHPO4⋅2 H2O

Lors du gâchage, le ciment pâteux devient deplus en plus dur. La prise du ciment provient del’enchevêtrement des plaquettes de brushite cristal-lisée. Le temps de prise, qui varie entre 10 et30 min, est assez long pour permettre la mise enforme du ciment et suffisamment court pour obtenirrapidement une bonne tenue mécanique. L’évolu-tion de la brushite se poursuit en utilisant l’eaurestant dans le système, puis évolue ensuite lente-ment vers l’hydroxyapatite, selon :

2 Ca4� PO4 �2O + 2 CaHPO4⋅2 H2O

→ Ca10� PO4 �6� OH �2

et

Ca4� PO4 �2O + 2 Ca3� PO4 �2 + H2O

→ Ca10� PO4 �6� OH �2

2.2. Les charges

Après plusieurs essais, visant à conserver les pro-priétés mécaniques satisfaisantes de l’hydroxyapa-tite, le taux de charges total du ciment a été limitéà 40 % en masse. Le rapport phase liquide surphase solide a été ajusté à 0,63. Ce rapport estdéterminant, car il régit la vitesse de prise et l’évo-lution du ciment. Les essais ont été effectués surdes cylindres de 7 g de ciment, dont les composi-tions sont reportées dans le tableau.

2.3. Le phosphate de zirconium

Le phosphate de zirconium (Zr(HPO4)2·1,5 H2O)[8–10] est un échangeur du césium bien connu, detype zéolithique, particulièrement stable. L’analysedu diagramme de diffraction X du phosphate de

zirconium utilisé montre qu’il s’agit d’un composétrès mal cristallisé, voire quasi amorphe (figure 1).

La sorption du césium par ce phosphate en fonc-tion du pH a été étudiée. Les résultats montrentque plus le pH est élevé, plus la sorption ducésium par Zr(HPO4)2·1,5 H2O est importante. Cesrésultats vont dans le bon sens car, le pH des solu-tions à l’intérieur des ciments s’établissant autourde 9 à 10, la sorption du césium sera favorisée.

L’influence du taux de Zr(HPO4)2·1,5 H2O surl’évolution des ciments apatitiques a été étudiée.Des ciments avec des taux différents deZr(HPO4)2·1,5 H2O de 10, 20 et 40 % ont été réali-sés. Plus le taux de Zr(HPO4)2·1,5 H2O est impor-tant, plus le gâchage des ciments devient difficile.Plus le taux de Zr(HPO4)2·1,5 H2O augmente, plusles raies de la brushite sont intenses et celles del’hydroxyapatite sont faibles : l’augmentation de laquantité de Zr(HPO4)2·1,5 H2O provoque une aug-mentation de la quantité de brushite produite etune diminution de la quantité d’hydroxyapatite. Laprésence massive de ZrH2(PO4)2·1,5 H2O dans lesystème provoque un blocage de celui-ci ; il n’évo-lue plus vers l’hydroxyapatite, sauf en présenced’eau. Ce blocage au stade de la brushite est dû àdeux phénomènes liés : d’une part, la consomma-tion d’ions Ca2+ par le phosphate de zirconium paréchange avec les protons et, d’autre part, l’acidifica-tion locale du milieu due à ce relargage d’ions H+

issus du Zr(HPO4)2·1,5 H2O. La composition deZr(HPO4)2·1,5 H2O est modifiée selon l’équation :

ZrH2� PO4 �2⋅1,5 H2O + x Ca2 +

→ ZrH2−2x Cax� PO4 �2⋅1,5 H2O + 2 x H+

À ce stade, il est difficile d’identifier le processusprépondérant qui bloque la formation de l’apatite.L’évolution en présence d’eau des échantillons étu-diés a été caractérisée par diffraction des rayons X.Les diagrammes correspondant à un ciment chargéà 20 % en ZrH2(PO4)2·1,5 H2O, juste après sa syn-

Figure 1. Diagramme de diffraction X du phosphate de zirco-nium utilisé : le composé est très mal cristallisé.

302

J. Carpéna et al. / C. R. Acad. Sci. Paris, Chimie / Chemistry 4 (2001) 301–308

thèse et après trois jours de contact avec de l’eau,mettent en évidence une nette évolution du sys-tème vers l’hydroxyapatite, démontrant l’évolutionspontanée du système vers l’hydroxyapatite en casde contact. Si le taux de ZrH2(PO4)2·1,5 H2O dansle ciment composite dépasse 10 %, il sera doncnécessaire d’augmenter le rapport liquide/solide enrajoutant de l’eau.

2.4. Le charbon actif

Les roches riches en matière organique [11–13] etle charbon actif [14] fixent l’iode. On a donc choisile charbon actif comme charge spécifique pour pié-ger l’iode dans les ciments composites étudiés. Ilprésente une très bonne stabilité aux hautes tempé-ratures et sous irradiation.

Pour une composition et une quantité de cimentdéfinies, la concentration en iode pouvant être rete-nue a été déterminée. Les résultats montrent quedes échantillons de 7 g de ciment, contenant 20 %massiques de charbon actif, bloquent au moins5 000 ppm d’iode.

Le charbon actif utilisé pour les essais se pré-sente sous la forme de grains de tailles comprisesentre 0,5 et 1 mm de diamètre. La dureté des grainsest significative et le broyage présente une certainedifficulté. L’analyse du diagramme de diffraction Xde ce composé montre que celui-ci est égalementtrès mal cristallisé, il présente deux halos de diffu-sion.

L’influence de l’ajout de charbon actif a été étu-diée pour s’assurer que ce composé n’entravait pasl’évolution du ciment vers la phase apatitique. Plu-sieurs ciments ont été synthétisés avec des taux decharge en charbon actif variant de 10 à 30 %.L’ajout de charbon actif n’influe, ni sur l’évolutiondu ciment vers la phase apatitique, ni sur legâchage, ni sur la dureté des ciments obtenus. Deplus, le pH d’une solution aqueuse en équilibreavec le charbon actif est de l’ordre de 10, ce quiest comparable au pH des solutions issues desciments apatitiques, qui sont compris entre 9 et 10.Des essais réalisés avec différentes granulométriesde charbon actif montrent que les ciments réalisésavec du charbon actif finement broyé sont plusdurs.

Pour étudier l’évolution du ciment après sa miseen contact avec l’eau extérieure, des diagrammesde diffraction X et des spectres infrarouges ont étéréalisés sur des ciments contenant 10 % en charbonactif avant et après leur mise en contact avec del’eau : ils révèlent l’évolution du système vers laphase apatitique.

Des ciments contenant les deux charges à hau-teur de 10 % chacune, en vue du blocage simultané

des deux éléments césium et iode, ont été réalisés.L’évolution vers la phase apatitique est comparableà celle des ciments ne contenant que duZrH2(PO4)2·1,5 H2O. Les matériaux composites réa-lisés à base de ciment phospho-calcique et de char-ges réagissent très favorablement, en évoluant versla phase apatitique en cas de contact avec de l’eauextérieure.

2.5. Le phosphate tri-calcique �

Une charge supplémentaire de phosphate tricalci-que � a été utilisée : celui-ci va évoluer vers unehydroxyapatite [15] si une entrée d’eau se produit,plus tard, après la prise du ciment. À ce moment-là,ce phosphate va donner au matériau la possibilitéde piéger des éléments dans la structure cristallinede l’hydroxyapatite qu’il va former. De plus, l’utili-sation de cette charge diminuera le coût du maté-riau.

Un ciment contenant une charge de 40 % (enmasse) de phosphate tricalcique � a été synthétisé.Les diagrammes de diffraction X montrent queparallèlement à la diminution des raies imputablesau phosphate tricalcique �, une augmentation signi-ficative des raies de la phase apatitique est obser-vée.

3. Étude des propriétés de rétentiondu ciment composite

3.1. Protocole et montage expérimentaux

Pour tester la capacité des matériaux élaborés àfixer l’iode et le césium, on a procédé comme suit.La phase solide (phosphates de départ et charges)et la phase liquide contenant les éléments sontmélangées et gâchées pendant environ 10 min,jusqu’à l’obtention d’une pâte malléable durcis-sante. Une fois obtenue, cette pâte est placée dansun tube en plexiglas de 1,6 cm de diamètre et tas-sée, afin de minimiser les chemins préférentiels. Letout est ensuite mis dans l’eau et placé à l’étuve à90 °C pendant 8 j. Cette opération permet de faireévoluer totalement la pâte vers un ciment apatiti-que dur. Le tube contenant le ciment est ensuitemis à l’étuve à 90 °C à sec pendant 24 h. Une foiscette première phase terminée, les tubes sont reliésà un flacon de garde raccordé à une pompe à vide.Ce montage permet de réaliser deux passages suc-cessifs de l’eau dans des temps relativement brefs,mais significatifs. Un premier passage de l’eau àtravers le matériau de blocage (interaction d’uneeau sans éléments avec le ciment) est réalisé, suivid’un deuxième passage de l’eau, chargée avec les

303

J. Carpéna et al. / C. R. Acad. Sci. Paris, Chimie / Chemistry 4 (2001) 301–308

éléments. La quantité d’eau passée au travers duciment est recueillie et analysée ; de même, laphase solide est caractérisée. Les expériences ontété faites avec du nitrate de césium, dosé parICP–MS, la concentration en césium ayant été choi-sie délibérément très élevée pour pouvoir effectueraussi les analyses du solide. L’iodure de césium n’ajamais été utilisé dans les expérience sur le blocagedu césium, de façon à ne pas polluer l’ICP–MS eniode. L’iode a été introduit dans les solutions sousforme d’iodure de césium et en quantités importan-tes, afin de pouvoir également analyser la phasesolide. L’analyse de l’iode dans les solutions a étéeffectuée par chromatographie ionique. Les quanti-tés de césium et d’iode bloquées ont été détermi-nées par différence des concentrations de chaqueélément dans la phase liquide, avant et après lepassage au travers des ciments. Pour des problèmesde techniques d’analyse, le dosage de chaque élé-ment a été effectué séparément et donc l’influencesur la sorption qu’exerce chacun sur l’autre n’a paspu être mesurée. Tous les essais ont été réalisésavec des cylindres de ciment de 7 g, élaborés àpartir de 4,2 g de réactifs (2,62 g de Ca4(PO4)2O,1,58 g Ca3(PO4)2 forme α) et 2,8 g de charges serépartissant entre le phosphate tricalcique �,ZrH2(PO4)2·1,5 H2O et le charbon actif.

La répartition des différentes charges dans lesciments a pu être visualisée en microscopie optiqueet électronique à balayage. La microscopie électro-nique à balayage couplée à l’analyse X a permis delocaliser l’iode et le césium dans les échantillons.

3.2. Tenue thermique du matériau de blocage

Des analyses thermo-différentielles et thermo-gravimétriques ont été effectuées pour étudier lastabilité en température des ciments composites.Leur comportement vis-à-vis de changements ther-miques brutaux et pour des températures élevées,proches de 500 °C, a aussi été étudié. Pour simulerce brusque changement de conditions thermiques,lors des analyses ATD et ATG, des montées en tem-pérature très rapides, de l’ordre de 10 °C·min–1, ontété réalisées. Ensuite, l’échantillon a été laissé pen-dant plusieurs heures à 500 °C. L’analyse ATD etATG d’un ciment contenant 10 % deZrH2(PO4)2·1,5 H2O et 20 % de charbon actif mon-tre une bonne tenue thermique du matériau. Eneffet, seul le pic endothermique de l’évaporation del’eau, contenue dans les porosités du ciment, a étéenregistré. Aucun changement de phase d’un desconstituants ni une perte de masse occasionnée parle départ d’un produit n’ont été observés.

3.3. Conductivité hydraulique du matériau de blocage

Une diminution de la conductivité hydrauliquedes ciments apatitiques chargés en charbon actif aété mise en évidence. Cette propriété inattendue,mais intéressante, a donc été étudiée. Lorsque lepourcentage massique de charbon actif dans lesciments augmente de 0 à 30 %, la vitesse de pas-sage de l’eau au travers des échantillons chute d’unfacteur d’environ 200 (de 6,7·10–6 à 2,9·10–8 m·s–1)(figure 2). À partir d’un pourcentage de 30 % enmasse de charbon actif, un palier est atteint. Larétention d’eau autour des grains de charbon actifentraîne leur gonflement, ce qui diminue la poro-sité. L’augmentation du volume des grains de char-bon actif se traduit par une augmentation de 1 %environ du volume global de l’échantillon. Aucuneinfluence notable due au phosphate de zirconiumn’a été observée, puisque la variation du pourcen-tage de ZrH2(PO4)2·1,5 H2O n’entraîne aucunemodification de la conductivité hydraulique dumatériau.

3.4. Optimisation de la composition du cimentpour le blocage de l’iode et du césium

L’optimisation de la composition des ciments aété faite en élaborant différentes compositions. Lesdifférentes compositions testées ainsi que les pour-centages massiques d’iode et de césium introduitset bloqués par les ciments sont reportés dans letableau. Les différentes compositions sont reportéesdans le diagramme ternaire de la figure 3. Sur cediagramme, les différents pourcentages respectifsde ZrH2(PO4)2·1,5 H2O, charbon actif et phosphatetricalcique � (le total étant 100 %) des charges

Figure 2. Conductivité hydraulique des ciments en fonction dutaux de charge en charbon actif.

304

J. Carpéna et al. / C. R. Acad. Sci. Paris, Chimie / Chemistry 4 (2001) 301–308

rajoutées au ciment (40 % en masse du cimentcomposite) sont reportés. Chaque composition estreportée (par exemple le point 20–10 représente unciment contenant 20 % ZrH2(PO4)2·1,5 H2O, 10 %charbon actif, ce qui fait, en pourcentages respec-tifs des charges : 50 % de ZrH2(PO4)2·1,5 H2O, 25 %de charbon actif et 25 % de phosphate tricalcique �(composition reportée aussi dans le tableau). Pourchaque point, les pourcentages de césium et d’iodebloqués sont reportés dans la légende.

Seul le charbon actif montre une capacité à blo-quer l’iode. Avec une solution contenant 2 130 ppm(soit 10,65 mg) d’iode, quasiment tout l’iode présenta été bloqué par le matériau. Tous les pourcentagesde blocage sont compris entre 95 et 99 %.L’influence des paramètres mis en jeu n’a pu êtreappréciée, car déjà avec le taux le plus faible de

charbon actif (5 % ; point 10–5 du diagramme ter-naire, figure 3) près de 99 % d’iode est bloqué ; ortous les autres échantillons contiennent au moins10 % de charbon actif. En revanche, à la fois leZrH2(PO4)2·1,5 H2O et le charbon actif montrentune capacité à bloquer le césium. En effet, pourune même quantité de ZrH2(PO4)2·1,5 H2O et unemême concentration en césium de la solution (soit5 000 ppm, ou 50 mg de césium introduit), le pour-centage de césium bloqué augmente quand laquantité de charbon actif augmente. Par exemple,sur le diagramme de la figure 3, le pourcentage decésium bloqué passe de 32 à 44 % lorsque la quan-tité de charbon actif augmente de 0 à 10 % (dupoint 10–0 au point 10–10), et de 50 à 55 % lorsquela quantité de charbon actif augmente de 0 à 10 %(du point 20–0 au point 20–10). Les effets des deuxcharges ne sont pas additifs, mais compétitifs. Ilsemble que le césium ait une affinité plus impor-tante pour le charbon actif que pour leZrH2(PO4)2·1,5 H2O : la comparaison des points10–0 (10 % de ZrH2(PO4)2·1,5 H2O, 0 % de charbonactif) et 0–10 (0 % de ZrH2(PO4)2·1,5 H2O, 10 % decharbon actif) montre que le blocage du césium estmeilleur sur le charbon actif (41 %) que sur leZrH2(PO4)2·1,5 H2O (32 %).

L’influence de la concentration en césium a étéétudiée en utilisant une seule composition deciment (ciment 10–10 dans le tableau) et en faisantvarier la quantité de césium introduit. D’après lesrésultats obtenus, pour une quantité constante deZrH2(PO4)2·1,5 H2O, lorsque la masse de césiumdouble dans la solution, la masse de césium blo-quée double également, mais le pourcentage desorption reste identique dans les deux cas s’établis-

Tableau. Compositions des différents ciments composites étudiés, quantités d’iode et de césium introduites et fixées par ces ciments.TTCP : phosphate tétracalcique ; α-TCP : phosphate tricalcique α ; �-TCP : phosphate tricalcique � ; pho.zir : phosphate de zirconium.Erreur sur le dosage de quantités d’iode et de césium fixées : 0,4 % (somme de l’erreur analytique de l’appareil utilisé et des erreurs faitessur les dilutions).

TTCP α-TCP Pho. zir Charbon actif �-TCP Liquide/solide Cs introduit Cs bloqué Iode introduit Iode bloqué(g) (g) (g) (g) (g) (mg) (mg) (mg) (mg)

0–10 2,62 1,58 0 0,7 2,1 0,63 50 20,8 (41 %)10–0 2,62 1,58 0,7 0 2,1 0,63 46,72 16,6 (35 %)10–0 2,62 1,58 0,7 0 2,1 0,63 50 15,9 (32 %)10–0 2,62 1,58 0,7 0 2,1 0,63 46,98 13,0 (28 %)10–0 2,62 1,58 0,7 0 2,1 0,63 96,14 32,4 (40 %)10–0 2,62 1,58 0,7 0 2,1 0,63 96,88 24,5 (25 %)10–5 2,62 1,58 0,7 0,35 1,75 0,63 10,65 10,6 (99 %)10–10 2,62 1,58 0,7 0,7 1,4 0,63 50 21,7 (44 %) 10,65 10,6 (99 %)10–10 2,62 1,58 0,7 0,7 1,4 0,63 50 21,7 (44 %) 10,65 10,5 (98 %)10–20 2,62 1,58 0,7 1,4 0,7 0,6310–30 2,62 1,58 0,7 2,1 0 0,63 10,65 10,4 (97 %)20–0 2,62 1,58 1,4 0 1,4 0,63 50 25,0 (50 %)20–10 2,62 1,58 1,4 0,7 0,7 0,63 50 27,7 (55 %) 10,65 10,5 (98 %)30–10 2,62 1,58 2,1 0,7 0 0,63 10,65 10,6 (99 %)

Figure 3. Différentes compositions de ciments composites obte-nues en faisant varier le taux respectif des trois charges utilisées.Les compositions totales des différents points reportés sont indi-quées dans le tableau.

305

J. Carpéna et al. / C. R. Acad. Sci. Paris, Chimie / Chemistry 4 (2001) 301–308

sant autour de 30 %. Ceci traduit le fait que leZrH2(PO4)2·1,5 H2O n’est pas saturé en césium. Ilexisterait donc un équilibre de concentration quis’établirait entre les ions Cs+ et les ions H+ deZrH2(PO4)2·1,5 H2O. Au cours de l’échange, la com-position de ZrH2(PO4)2·1,5 H2O se modifie suivantla réaction :

ZrH2� PO4 �2⋅1,5 H2O + x Cs+

→ ZrH2−x Csx� PO4 �2⋅1,5 H2O + x H+

L’influence de la durée de contact entre l’iode et lecharbon actif est un paramètre important pourdéterminer, pour une composition donnée et pourune concentration imposée en iode, la quantité deciment nécessaire pour bloquer tout l’iode. Desquantités de ciment différentes, allant de 7 à 21 g,de composition 10 % de ZrH2(PO4)2·1,5 H2O et10 % de charbon actif (composition 10–10 dans letableau) ont été testées, mais l’influence de ceparamètre n’a pu être évaluée, car tous les échan-tillons bloquent 98–99 % d’iode.

L’étude du diagramme de la figure 3 permet fina-lement de montrer que la composition capable defixer les plus forts pourcentages d’iode (98 %) et decésium (55 %) est celle d’un ciment contenant enmasse 20 % de ZrH2(PO4)2·1,5 H2O, 10 % de char-bon actif et 10 % de phosphate tricalcique � (point20–10 dans la figure 3). Une quantité de 5 % seule-ment en masse de charbon actif suffirait pourbloquer des concentrations élevées d’iode, maisaugmenter le taux de charbon actif accroît l’imper-méabilité du matériau, ce qui lui confère une pro-priété intéressante. Dans notre étude, les quantitésbloquées de chaque élément n’ont pu être obte-nues simultanément ; or, d’après la littérature [12], ilexiste un effet synergique dans l’adsorption de cesdeux éléments. Le blocage de l’un de ces élémentssur le charbon actif favorise le blocage de l’autre ; ilserait intéressant de pouvoir quantifier cet effet.

Les pourcentages de chaque type de charge ausein des ciments apatitiques peuvent être ajustés.

3.5. Localisation de l’iode et du césium dans les cimentscomposites

On a observé par microscopie optique et micro-scopie électronique à balayage (MEB) la répartitiondes différentes charges dans des coupes transversa-les effectuées dans les ciments composites. Onobserve une granulométrie hétérogène pour lecharbon actif, alors que les inclusions deZrH2(PO4)2·1,5 H2O et de phosphate tricalcique �sont réparties de façon homogène sur toute la sur-face de l’échantillon.

L’analyse EDX de la composition du cimentconfirme que l’apatite formée a pour formule

Ca10(PO4)6(OH)2. Pour étudier la répartition del’iode et du césium dans le solide, des profils deconcentration ont été réalisés par analyse X sur unezone située au milieu de l’échantillon, zone où lesgrains de charbon actif et de ZrH2(PO4)2·1,5 H2Osont présents en grande quantité. Un échantilloncontenant 10 % de ZrH2(PO4)2·1,5 H2O et 20 % decharbon actif a été étudié après le passage d’unesolution de CsI à 5 000 ppm. L’analyse d’un grainde ZrH2(PO4)2·1,5 H2O parcouru dans sa longueur(figure 4, coupe A) montre l’absence totale d’iode,que ce soit à l’intérieur ou autour du grain deZrH2(PO4)2·1,5 H2O. Cette observation confirmebien que le ZrH2(PO4)2·1,5 H2O n’a aucuneinfluence sur le blocage de l’iode. Le profil de com-position (figure 4, coupe A) montre que le césiumest bloqué à l’intérieur des grains deZrH2(PO4)2·1,5 H2O, c’est-à-dire qu’un phénomèned’échange cationique a eu lieu. Un grain de char-bon actif a également été étudié dans sa longueur.Le profil de composition (figure 4, coupe B) mon-tre très bien que l’iode y est bloqué de façonimportante et qu’une quantité non négligeable decésium est bloquée, non pas à l’intérieur du grainde charbon, mais à sa périphérie. Cette constatationa été confirmée à l’aide d’une cartographie ducésium, qui montre bien la répartition de celui-ci,non seulement dans les grains deZrH2(PO4)2·1,5 H2O, mais également à la périphériedes grains de charbon actif.

Le charbon actif, qui au contact de l’eau déve-loppe des propriétés amphotères [16], présente uneaffinité plus élevée pour l’iode que pour le césium,ce qui se manifeste par une diffusion de l’iode àl’intérieur des grains de charbon actif, alors que lecésium reste à la périphérie des grains. Ce phéno-mène peut s’expliquer par la nécessité d’une neu-tralité électrique [17] du grain de charbon actif qui,pour compenser la charge négative des ions iode,va sorber des charges positives à sa surface, lesions césium. Il a en effet été vérifié que la présencede césium autour des grains de charbon actif necorrespondait pas à la formation de précipités oude composés cristallisés à la surface de ces grains.

4. Conclusion

Cette étude a permis de mettre au point un maté-riau composite constitué d’un ciment apatitique,auquel trois types de charge ont été rajoutés : lephosphate de zirconium et le charbon actif, pour leblocage de l’iode et du césium, et le phosphatetricalcique �, qui évolue vers l’apatite en présenced’eau à pH élevé. Ce matériau présente uneconductivité hydraulique faible ainsi qu’une bonne

306

J. Carpéna et al. / C. R. Acad. Sci. Paris, Chimie / Chemistry 4 (2001) 301–308

tenue thermique. Il est montré que ce matériau estcapable de piéger la totalité de l’iode et la moitiédu césium en solution pour une composition à20 % de ZrH2(PO4)2·1,5 H2O, 10 % de charbon actifet 10 % de phosphate tricalcique �. Une applicationimportante de ce matériau pourrait être son utilisa-tion comme matériau de blocage de l’iode et ducésium dans les colis contenant les combustibles

nucléaires usés dans le concept du stockage géolo-gique direct. En effet, en plus de ses grandes capa-cités à fixer l’iode et le césium, ce matériau, consti-tué majoritairement d’apatite, stable en milieuirradiant, est aussi capable de fixer des quantitésnotables d’autres éléments, comme les actinides, lestrontium, le zirconium, aussi présents dans lescombustibles usés.

Références

[1] Elliot J.C., Elsevier, Amsterdam, 1994.

[2] Valyashko V.M., Korgardo L.N., Khodakpovskyi I.L., Geokhi-niya 1 (1968) 26–36.

[3] Carpéna J., Lacout J.L., brevet français (HD626), 1993.

[4] Carpéna J., Lacout J.L., L’Actualité Chimique–Recherche 2(1997) 3–9.

[5] Carpéna J., Donazzon B., Lacout J.L., Dechambre G., brevetfrançais, n° 97 16356, 1997.

Figure 4. Étude en micros-copie électronique àbalayage et en analyse Xd’un échantillon contenant10 % de ZrH2(PO4)2·1,5 H2Oet 20 % de charbon actifaprès le passage d’unesolution de CsI à5 000 ppm. Coupe A. L’ana-lyse d’un grain deZrH2(PO4)2·1,5 H2O par-couru dans sa longueur,montre l’absence totaled’iode, que ce soit à l’inté-rieur ou autour du grain deZrH2(PO4)2·1,5 H2O. Le pro-fil de composition montreque le césium est bloqué àl’intérieur des grains deZrH2(PO4)2·1,5 H2O. CoupeB. Profil de compositiond’un grain de charbon actif :l’iode est bloqué de façonimportante à l’intérieur dugrain et une quantité nonnégligeable de césium estbloquée, non pas à l’inté-rieur, mais à sa périphérie.

307

J. Carpéna et al. / C. R. Acad. Sci. Paris, Chimie / Chemistry 4 (2001) 301–308

[6] Lacout J.L., Medjoubi E., Hamad M., J. Mater. Sci.: Mater. inMed. 7 (1996) 371–374.

[7] Hatim Z., Frèche M., Lacout J.L., Bioceramics 10 (1997)375–378.

[8] Clearfield A., Blessing R.H., Stynes J.A., J. Inorg. Nucl. Chem.30 (1968) 2249–2258.

[9] Alberti G., Costantino U., J. Chromatogr. 102 (1974) 5–29.

[10] Ollivier J.Y., Kikindai T., C. R. Acad. Sci. Paris, série C 262(1966) 175–177.

[11] Price N.B., Calvert S.E., Geochim.Cosmochim. Acta 41 (1977)1769–1775.

[12] Kantelo M.V., Tiffany B., Anderson T.J., Environmental migra-tion of long-lived radionuclides, IAEA, Vienne, 1982.

[13] Whitehead D.C., Environ. Internat. 10 (1984) 321–339.

[14] Song K.C., Lee H.K., Moon H., Lee K.J., Sep. Purif. Technol. 12(1997) 215–227.

[15] Rey C., thèse d’État, INP Toulouse, 1984.

[16] Song K.C., Kim H.D., Lee H.K., Park H.S., Lee K.J., J. Radioa-nal. Nucl. Chem. 223 (1–2) (1997) 199–205.

[17] Teirlink P.A.M., Petersen F.W., Sep. Sci. Technol. 30 (1995)3129–3142.

308

J. Carpéna et al. / C. R. Acad. Sci. Paris, Chimie / Chemistry 4 (2001) 301–308