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Entre le Tribunal de Nuremberg (1945) et la Cour Pénale Internationale (2002) : Le Tribunal Russell (1967), le pouvoir des citoyens Autour du Discours Inaugural du Tribunal Russell de Jean-Paul Sartre choisi comme œuvre suivie pour l’oral par Lila Echard, professeur de philosophie à Jonzac J’ai choisi en 2012 de travailler le Discours Inaugural du Tribunal Russell écrit par Jean-Paul Sartre avec mes élèves de Terminales S et ES. Ce Discours se trouve dans le recueil Situations VIII – Autour de mai 68 publié chez Gallimard en 1972 (p. 70 à 77), on le trouve aussi dans la restitution des sessions du Tribunal Russell publiée par Gallimard. Il m’a permis de traiter après les vacances de Pâques le chapitre sur la politique et de préparer l’œuvre suivie à présenter à l’oral. Je présenterai dans un premier temps le contexte de ce discours écrit par Jean-Paul Sartre, à savoir : le Tribunal Russell, puis ce que le travail mené en classe sur ce texte et autour de ce texte, enfin, ce qu’on pourrait faire comme travail interdisplinaire à partir de ce texte. I – Présentation du Discours inaugural du Tribunal Russell écrit par Jean-Paul Sartre Qu’est-ce que le Discours Inaugural du Tribunal Russell ? Pourquoi Jean- Paul Sartre l’a-t-il écrit ? En 1966, Bertrand Russell, philosophe logicien et mathématicien anglais, propose à des personnalités du monde entier d’organiser un tribunal de citoyens, un tribunal des consciences qui aurait pour tâche de déterminer si oui ou non les USA étaient responsables de crimes de guerre dans leur implication dans la guerre du Vietnam. Il a proposé à Jean-Paul Sartre d’être le président de ce Tribunal et de prononcer à ce titre le discours inaugural des sessions de ce tribunal de citoyens. Il souhaitait que ce Tribunal se tienne à Paris, mais le Général de Gaulle a refusé. Les sessions de ce tribunal se sont finalement tenues à Stockholm, en Suède, et ont été inaugurées le 2 mai 1967 par Jean-Paul Sartre. Que vise le Tribunal Russell et pourquoi se constitue-t-il ? (Pour quoi et pourquoi ?) Le tribunal Russell cherche à éclairer l’opinion publique du monde entier. Il se justifie par l’absence d’instance internationale pouvant juger les Etats pour leur implication dans une guerre. C’est ce manque que dénonce le tribunal et qu’il appelle : il faut sensibiliser l’opinion (publique universelle) sur la nécessité de constituer un Tribunal Pénal International. Le tribunal de Nuremberg a montré que cela était nécessaire, mais il a disparu. En 1967, les USA sont impliqués dans la guerre au Vietnam, leur implication est contestée. Ils sont accusés de ne pas respecter le droit de la guerre : d’une part, ils n’auraient aucune raison conforme au droit de la guerre pour intervenir dans ce conflit qui oppose le Vietnam du Nord et le Vietnam du Sud, d’autre part, ils utiliseraient des armes interdites par le droit de la guerre (les bombes à fragmentation et les armes chimiques

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Entre le Tribunal de Nuremberg (1945) et la Cour Pénale Internationale (2002) :Le Tribunal Russell (1967), le pouvoir des citoyens

Autour du Discours Inaugural du Tribunal Russellde Jean-Paul Sartre

choisi comme œuvre suivie pour l’oral

par Lila Echard, professeur de philosophie à Jonzac

J’ai choisi en 2012 de travailler le Discours Inaugural du Tribunal Russell écrit par Jean-Paul Sartre avec mes élèves de Terminales S et ES. Ce Discours se trouve dans le recueil Situations VIII – Autour de mai 68 publié chez Gallimard en 1972 (p. 70 à 77), on le trouve aussi dans la restitution des sessions du Tribunal Russell publiée par Gallimard. Il m’a permis de traiter après les vacances de Pâques le chapitre sur la politique et de préparer l’œuvre suivie à présenter à l’oral. Je présenterai dans un premier temps le contexte de ce discours écrit par Jean-Paul Sartre, à savoir : le Tribunal Russell, puis ce que le travail mené en classe sur ce texte et autour de ce texte, enfin, ce qu’on pourrait faire comme travail interdisplinaire à partir de ce texte.

I – Présentation du Discours inaugural du Tribunal Russell écrit par Jean-Paul Sartre

Qu’est-ce que le Discours Inaugural du Tribunal Russell ? Pourquoi Jean-Paul Sartre l’a-t-il écrit ? En 1966, Bertrand Russell, philosophe logicien et mathématicien anglais, propose à des personnalités du monde entier d’organiser un tribunal de citoyens, un tribunal des consciences qui aurait pour tâche de déterminer si oui ou non les USA étaient responsables de crimes de guerre dans leur implication dans la guerre du Vietnam. Il a proposé à Jean-Paul Sartre d’être le président de ce Tribunal et de prononcer à ce titre le discours inaugural des sessions de ce tribunal de citoyens. Il souhaitait que ce Tribunal se tienne à Paris, mais le Général de Gaulle a refusé. Les sessions de ce tribunal se sont finalement tenues à Stockholm, en Suède, et ont été inaugurées le 2 mai 1967 par Jean-Paul Sartre.

Que vise le Tribunal Russell et pourquoi se constitue-t-il ? (Pour quoi et pourquoi ?)Le tribunal Russell cherche à éclairer l’opinion publique du monde entier. Il se justifie par l’absence d’instance internationale pouvant juger les Etats pour leur implication dans une guerre. C’est ce manque que dénonce le tribunal et qu’il appelle : il faut sensibiliser l’opinion (publique universelle) sur la nécessité de constituer un Tribunal Pénal International. Le tribunal de Nuremberg a montré que cela était nécessaire, mais il a disparu. En 1967, les USA sont impliqués dans la guerre au Vietnam, leur implication est contestée. Ils sont accusés de ne pas respecter le droit de la guerre : d’une part, ils n’auraient aucune raison conforme au droit de la guerre pour intervenir dans ce conflit qui oppose le Vietnam du Nord et le Vietnam du Sud, d’autre part, ils utiliseraient des armes interdites par le droit de la guerre (les bombes à fragmentation et les armes chimiques

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comme le Napalm). Les sessions du Tribunal Russell visent à établir si oui ou non ces accusations sont vraies et si oui ou non les USA sont coupables de crimes de guerre. Au-delà de ce conflit, il veut montrer qu’il faut instituer un Tribunal Pénal International permanent.

Quel est l’enjeu ? Quelle problématisation proposée à partir de ce texte pour le cours de philosophie ?L’institution d’un Tribunal Pénal International permanent, ou la mise en place des conditions de possibilité d’une justice (pénale) internationale, ou encore les conditions de possibilité d’une justice universelle. : tel est l’enjeu d’une telle entreprise. D’où la problématisation suivante : au-delà du contexte historique, au-delà de ce qui est déterminé dans le temps et dans l’espace, les questions suivantes : « Pourquoi le Tribunal de Nuremberg ? », « Pourquoi le Tribunal Russell ? », « Pourquoi la Cour Pénale Internationale ? » nous amènent à penser la possibilité d’une justice universelle, la constitution d’un droit au-delà du droit positif posé par chaque Etat. Les Etats ne les veulent pas, car ils n’y ont pas intérêt, les peuples ne le peuvent pas parce qu’ils sont séparés par des frontières. Comment mettre en place ce à quoi tous les peuples aspirent sans pouvoir le faire ?

Le tribunal Russell est bien la solution concrète à ce problème, proposée par Russell et qui a réuni une dizaine de personnalités internationales philosophes, scientifiques, juristes spécialisés dans le droit international et citoyens engagés. Le problème est donc maintenant de faire comprendre aux élèves comment des citoyens peuvent décider de faire entendre leur voix par l’intermédiaire d’un « simulacre » de tribunal : un « faux » tribunal comme disent les élèves. (Et Russell se retourne dans sa tombe à chaque mauvais usage du terme « vrai » ou « faux »…) En effet, les élèves ne comprennent pas le statut de ce tribunal, le fait qu’il soit « sans juge » et donc « sans pouvoir » ; pour eux, s’il est sans pouvoir, il ne sert à rien et ce n’est qu’une perte de temps. L’enjeu pédagogique est donc de montrer ce que peut signifier « agir pour un idéal », en somme « être engagé », le sens de l’engagement.

II – Présentation du travail fait en classe en vue du bac

- Le programme / L’étude du Discours inaugural du Tribunal Russell m’a permis de traiter le chapitre La politique (la justice et le droit, l’Etat et la société). Cela permet d’intégrer à ce chapitre les notions suivantes : L’histoire, La culture, La morale. Il permet aussi d’aborder les repères conceptuels suivants : universel/général/particulier/singulier, nécessaire/contingent, légitime/légal, obligation/contrainte, en fait/en droit.

- La méthodologie / Lire un texte de philosophie dans son intégralité permet de comprendre l’unité d’un texte et donc sa logique interne. Ainsi l’étude de l’œuvre suivie pour l’oral de rattrapage permet de consolider la méthode d’explication de texte en travaillant sur la logique interne d’un texte long du point de vue de sa stratégie argumentative.

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- Le travail demandé en amont / Le Discours a fait l’objet d’un travail en classe à la rentrée des vacances de Pâques. Pour le préparer, le travail à faire à la maison pendant les vacances de Pâques était de lire le texte et de répondre aux questions suivantes : « Qu’est-ce que le Tribunal de Nuremberg ? Qu’est-ce que la Guerre du Vietnam ? Qu’avez-vous compris du Tribunal Russell ? QU’est-ce que vous n’avez pas compris ? Dégagez un problème posé par Sartre. »

- Un TP permettant aux élèves de dégager le plan du texte / En une séance, les élèves par groupe de 4 devaient remettre dans l’ordre le texte intégral du Discours inaugural. Chaque élève avait un quart du texte découpé paragraphe par paragraphe, dans le désordre et devait donner des titres à chaque paragraphe. Puis les élèves cherchaient par groupe à remettre dans l’ordre le texte. Ils collaient, sur une feuille A3 les paragraphes, indiquaient les titres de paragraphe qu’ils avaient trouvés, le titre du texte, d’où il était extrait, la date. Une seconde séance devait permettre aux élèves de hiérarchiser les titres et de dégager à partir de là le plan argumentatif du texte (une affiche était faite par groupe avec le plan détaillé trouvé par le groupe). Ce travail de TP (de 3 à 4 heures, 2H+1H pour les TS et 2H+2H pour les TES) permet une réelle appropriation du texte.

- Le travail fait en classe autour du Discours / A la suite de cette séance de TP, l’étude suivie du Discours inaugural à partir du plan détaillé du texte a été menée. Et l’étude de 3 textes ont permis de compléter l’approche du politique : un texte d’Aristote sur la magistrature populaire, un texte de Rousseau sur le droit du plus fort, un texte de Hegel sur l’Etat garant des libertés individuelles, sur le rôle bénéfique pour les citoyens de l’institutionnalisation. Conclusion générale sur le pouvoir de l’Etat, le pouvoir du citoyen, la question du cosmopolitisme universel et la justice universelle. (cf les textes en annexe)

- Un travail écrit a été fait sous la forme d’un travail en temps limité de 2H. Le texte donné était un texte de Kant sur les conditions de possibilité de la paix universelle. Il s’agissait de rédiger une introduction à l’explication de ce texte et une conclusion discutant la thèse de ce texte à partir du discours inaugural du Tribunal Russell.

- Les résultats obtenus à l’oral / Un élève a obtenu 10, 4 élèves ont obtenu 15/20.

III – Un travail possible en interdisciplinarité autour du Tribunal Russell

- En Histoire-Géo, les nouveaux programmes permettent de faire le lien en Terminale Littéraire avec les chapitres suivants : « Les mémoires de la guerre d’Algérie ou de la 2ère guerre mondiale », « Histoire des grandes puissances internationales » qui peut être un cours sur la politique

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internationale des USA depuis les 14 points de Wilson (avec le droit des peuples à disposer d’eux même). Le discours inaugural permet ainsi en fin d’année de mobiliser les connaissances acquises en 1ère sur la seconde guerre mondiale (Tribunal de Nuremberg compris), sur la guerre du Vietnam (mentionnée comme conflit dans le contexte de la guerre froide) et sur la décolonisation (Sartre y fait référence) et acquises en terminale L sur la question mémorielle soit pour une guerre de décolonisation, soit pour la deuxième guerre mondiale avec le rôle du tribunal de Nuremberg, et enfin sur la politique internationale des USA qui jouent un rôle important dans la non constitution d’un tribunal pénal international. En effet, le projet d’un TPI existe dès la fin de la seconde guerre mondiale à l’ONU mais les USA utilisent leur droit de véto pour bloquer ce projet. Si la CPI est créée en 2002, c’est suite à la fin de la guerre froide. Clarifier certains points d’histoire permet de montrer la différence entre le travail de l’historien et le travail du philosophe.

- En langues, les nouveaux programmes proposent une entrée « Formes et figures du pouvoir ». On peut envisager avec le collègue d’anglais de travailler sur la guerre du Vietnam. Cette année, je travaille avec la collègue d’Anglais (l’option LVA pour les terminales L). Elle travaillera sur la désobéissance civile l’exemple de soldats américains ayant fui au Canada pour ne pas partir au Vietnam parce qu’ils s’opposaient à cette guerre. Sa problématique est : « Civile disobedience : a crime or a duty ? ». L’idée de départ était de proposer aux élèves d’aborder « Lieux et formes du pouvoir » sous l’angle du pouvoir du citoyen, d’où la réflexion sur la désobéissance civile.

- La nouvelle option en Terminale L « Droit et grands enjeux du monde contemporain » permettrait aussi d’établir des relations avec ce travail dans la mesure où la justice internationale est au programme. Mais il faut veiller à comprendre la « relativité » de notre objet d’étude qui n’est que « la justice pénale internationale » et non toute la justice internationale (notamment économique).

Annexes – Textes donnés en lecture parallèle :

« Il ne doit y avoir aucune guerre ; ni celle entre toi et moi dans l’état de nature, ni celle entre nous en tant qu’Etats, qui bien qu’ils se trouvent intérieurement dans un état légal, sont cependant extérieurement (dans leur rapport réciproque) dans un état dépourvu de lois – car ce n’est pas ainsi que chacun doit chercher son droit. Aussi la question m’est plus de savoir si la paix perpétuelle est quelque chose de réel ou si ce n’est qu’une chimère et si nous ne nous trompons pas dans notre jugement théorique, quand nous admettons le premier cas, mais nous devons agir comme si la chose qui peut-être ne sera pas devait être, et en vue de sa fondation établir la constitution qui nous semble la plus capable d’y mener et de mettre fin à la conduite de la guerre dépourvue de salut, vers laquelle tous les Etats sans exception ont jusqu’à maintenant dirigé leurs préparatifs intérieurs, comme leur fin suprême. Et si notre fin, en ce qui

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concerne sa réalisation, demeure toujours un voeu pieux, nous ne nous trompons certainement pas en admettant la maxime d’y travailler sans relâche, puisqu’elle est un devoir. »

KANT, Métaphysique des mœurs

« Un citoyen au sens plein ne peut pas être mieux défini que par la participation à une fonction judiciaire et à une magistrature. Or, parmi les magistratures, certaines sont limitées dans le temps, en sorte que pour les unes il est absolument interdit au même individu de les exercer deux fois, alors que pour d'autres il faut laisser passer un intervalle de temps déterminé. D'autres sont à durée illimitée, par exemple celles de juge et de membre de l'assemblée. (...) Ce qu'est le citoyen est donc manifeste à partir de ces considérations: de celui qui a la faculté de participer au pouvoir délibératif ou judiciaire, nous disons qu'il est citoyen de la cité concernée, et nous appelons cité l'ensemble de gens de cette sorte quand il est suffisant pour vivre en autarcie. »

ARISTOTE, La Politique

« Le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours le maître, s'il ne transforme sa force en droit et l'obéissance en devoir. De là le droit du plus fort; droit pris ironiquement en apparence, et réellement établi en principe: Mais ne nous expliquera-t-on jamais ce mot? La force est une puissance physique; je ne vois point quelle moralité peut résulter de ses effets. Céder à la force est un acte de nécessité, non de volonté; c'est tout au plus un acte de prudence. En quel sens pourra-ce être un devoir?Supposons un moment ce prétendu droit. Je dis qu'il n'en résulte qu'un galimatias inexplicable. Car sitôt que c'est la force qui fait le droit, l'effet change avec la cause; toute force qui surmonte la première succède à son droit. Sitôt qu'on peut désobéir impunément on le peut légitimement, et puisque le plus fort a toujours raison, il ne s'agit que de faire en sorte qu'on soit le plus fort. Or qu'est-ce qu'un droit qui périt quand la force cesse? S'il faut obéir par force on n'a pas besoin d'obéir par devoir, et si l'on n'est plus forcé d'obéir on n'y est plus obligé. On voit donc que ce mot de droit n'ajoute rien à la force; il ne signifie ici rien du tout.Obéissez aux puissances. Si cela veut dire, cédez à la force, le précepte est bon, mais superflu, je réponds qu'il ne sera jamais violé. Toute puissance vient de Dieu, je l'avoue; mais toute maladie en vient aussi. Est-ce à dire qu'il soit défendu d'appeler le médecin? Qu'un brigand me surprenne au coin d'un bois: non seulement il faut par force donner la bourse, mais quand je pourrais la soustraire suis-je en conscience obligé de la donner? car enfin le pistolet qu'il tient est aussi une puissance.Convenons donc que force ne fait pas droit, et qu'on n'est obligé d'obéir qu'aux puissances légitimes. Ainsi ma question primitive revient toujours. »

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ROUSSEAU, Du Contrat social

« A l'opposé de notre conception suivant laquelle l'Etat est la réalisation de la liberté, nous trouvons l'opinion que l'homme est libre naturellement, mais que, dans la société et dans l'Etat dont il fait partie nécessairement, il doit restreindre cette liberté naturelle. [...] On entend par là la façon d'être de l'homme dans son existence naturelle, immédiate. En ce sens, on suppose un état de nature et l'on s'imagine que l'homme y vit en possession de ses droits naturels, dans l'exercice illimité et la jouissance de sa liberté. Cette conception ne se présente pas comme historiquement fondée ; en effet si l'on voulait la prendre au sérieux, il serait difficile de prouver qu'un tel état ait jamais existé dans le passé ou le présent. Il existe, certes, un état de sauvagerie qu'on peut aisément constater, mais on le voit lié aux passions de la brutalité et aux actes de violence. En outre, on y discerne, encore que peu développées, ces mêmes institutions sociales dont on nous dit qu'elles limitent la liberté. Cette idée de l'état de nature est une des formes nébuleuses comme en produit la théorie, une fiction qu'elle a nécessairement sécrétée et à laquelle elle a conféré l'existence, sans la moindre preuve historique. »

HEGEL, La Raison dans l'Histoire

Filmographie :

La liste de Carla : sur le travail mené par la procureur du TPIY (Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie) Carla Del Ponte. On peut choisir des séquences où elle explique le travail mené par le TPI, ses objectifs, ses difficultés, le grand écart entre les vies singulières brisées et la revendication du peuple, d’une part, et les intérêts politiques transnationaux des gouvernements en place dans les Balkans et dans le monde, d’autre part. On la voit à la fin du film faire un discours au conseil de sécurité de l’ONU. Ce discours montre toute la marge de manœuvre du procureur : il peut parler franchement quand il en a le courage et la possibilité, mais en ayant l’impression que cet acte de parole est vain ou terriblement dangereux. Bref, on voit un procureur du TPI marcher sur des œufs pendant tout le film : les œufs, ce sont les hommes, les Etats, le compromis pour une justice pénale internationale., le désir d’une justice universelle.

Sur le site de l’INA, on peut trouver un petit reportage qui retrace la constitution de la Cour pénale internationale. Ce reportage de deux minutes a été présenté à l’occasion de l’annonce de la création de la CPI. Les TPI, tribunaux pénaux internationaux, créés dans les années 90 (après le confllit en ex Yougoslavie et le génocide au Rwanda), n’avaient en effet pas vocation à durer. La CPI (Cour pénale internationale) est la première institution permanente créée, c’est elle qui correspond à ce que demande

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Entre le Tribunal de Nuremberg (1945) et la Cour Pénale Internationale (2002) :Le Tribunal Russell (1967), le pouvoir des citoyens

Sartre dans le Discours Inaugural du Tribunal Russell : la création d’un tribunal pénal permanent. Le premier tribunal pénal international permanent date donc de 2002 et il a rendu son premier jugement en 2012 !