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Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: http://france.elsevier.com/direct/PEDPUE/ Journal de pédiatrie et de puériculture 20 (2007) 295–302 doi:10.1016/j.jpp.2007.10.004 Introduction Dans les pays industrialisés, si les décès sont peu fréquents, les diarrhées infectieuses restent la deuxième cause d’admis- sion en milieu hospitalier et la cause la plus fréquente de consultation en pédiatrie. En France, elles représentent une morbidité importante à l’origine de 2,9 à 3 millions de con- sultations annuelles chez le généraliste [1]. Étiologies des diarrhées infectieuses La place relative des différents agents bactériens et viraux varie selon l’âge des patients, le contexte épidémique, la région du globe. Cependant, les gastroentérites virales sont de loin la première cause, à l’origine de près de la moitié des diarrhées infectieuses aux États-Unis comme en Europe. Dès 1993, une étude française réalisée au CHU de Limoges, por- tant sur une période de six ans (1988–1993) et 14 644 selles, montre une prévalence des rotavirus et les adénovirus de 6 et 2 % pour l’ensemble des selles de patients hospitalisés, diarrhéiques ou non. Au contraire, Campylobacter, Salmo- nella et Shigella ne représentaient que 5 % des cas [2]. La répartition diffère selon les tranches d’âge, avec un pic de prévalence des adénovirus entre un et deux ans, des rotavi- rus entre un et dix ans, des campylobacter à quatre ans et des salmonelles entre un et quatre ans, puis entre 20 et 30 ans. Ces quatre agents représentent 37,9 % des étiologies retrouvées chez l’enfant de moins de 2,5 ans. L’étude de Moulin et al., [3], rapportant la surveillance systématique des gastroentérites aiguës communautaires sévères en pédia- trie de 1997 à 2000, montre la place majeure des rotavirus (50,89 %) et la faible participation des bactéries (Salmonella 8,6 %, Campylobacter et Shigella < 1 %) dans les causes de diarrhées nécessitant une hospitalisation. Dans cette étude, le pic d’infection à rotavirus est situé avant six mois, alors que les infections à Salmonella concernent les enfants de plus de 1,5 an. Les études plus récentes, effectuées par l’OMS, retrouvent des résultats proches (Fig. 1A et B). Il faut noter la place des Escherichia coli entérotoxinogènes (ETEC) dans les pays industrialisés, qui sont la principale cause des diarrhées du voyageur (30 à 80 %). Signalons toutefois que selon les études et les méthodes diagnostiques utilisées, 20 à 75 % des diarrhées restent sans étiologie. Les gastroentérites virales et les agents impliqués Les gastroentérites virales communautaires sont endémi- ques avec une prédominance hivernale (de janvier à mars) dans les pays tempérés, à la différence des gastroentérites bactériennes dont le pic survient pendant les mois d’été (juin–septembre) [2–4] (Fig. 2). Les épidémies localisées, notamment dans les collectivités, sont observées tout au long de l’année. La transmission est interhumaine, se fai- sant soit sur le mode fécal–oral soit par aérosols provenant de produits pathologiques ou à partir d’une source com- mune, eau, aliments contaminés tels que les coquillages qui concentrent le matériel contenu dans les eaux souillées ou par le personnel de cuisine porteur de l’agent infectieux. FLASH INFO Épidémiologie des diarrhées aiguës infectieuses en France et en Europe 1 S. Alain*, F. Denis Service de bactériologie–virologie–hygiène, CHU Dupuytren, 2, avenue Martin-Luther-King, 87042 Limoges, France * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (S. Alain) 1 Extraits de l’article original paru dans les Archives de Pédiatrie 2007;14(Suppl.):S132–44.

Épidémiologie des diarrhées aiguës infectieuses en France et en Europe

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Disponib le en l igne sur www.sc iencedirect .com

journal homepage: ht tp : / / f rance.e lsevier .com/direct /PEDPUE/

Journal de pédiatrie et de puériculture 20 (2007) 295–302

doi:10.1016/j.jpp.2007.10.004

Introduction

Dans les pays industrialisés, si les décès sont peu fréquents,les diarrhées infectieuses restent la deuxième cause d’admis-sion en milieu hospitalier et la cause la plus fréquente deconsultation en pédiatrie. En France, elles représentent unemorbidité importante à l’origine de 2,9 à 3 millions de con-sultations annuelles chez le généraliste [1].

Étiologies des diarrhées infectieuses

La place relative des différents agents bactériens et virauxvarie selon l’âge des patients, le contexte épidémique, larégion du globe. Cependant, les gastroentérites virales sontde loin la première cause, à l’origine de près de la moitié desdiarrhées infectieuses aux États-Unis comme en Europe. Dès1993, une étude française réalisée au CHU de Limoges, por-tant sur une période de six ans (1988–1993) et 14 644 selles,montre une prévalence des rotavirus et les adénovirus de 6et 2 % pour l’ensemble des selles de patients hospitalisés,diarrhéiques ou non. Au contraire, Campylobacter, Salmo-nella et Shigella ne représentaient que 5 % des cas [2]. Larépartition diffère selon les tranches d’âge, avec un pic deprévalence des adénovirus entre un et deux ans, des rotavi-rus entre un et dix ans, des campylobacter à quatre ans etdes salmonelles entre un et quatre ans, puis entre 20 et30 ans. Ces quatre agents représentent 37,9 % des étiologiesretrouvées chez l’enfant de moins de 2,5 ans. L’étude de

Moulin et al., [3], rapportant la surveillance systématiquedes gastroentérites aiguës communautaires sévères en pédia-trie de 1997 à 2000, montre la place majeure des rotavirus(50,89 %) et la faible participation des bactéries (Salmonella8,6 %, Campylobacter et Shigella < 1 %) dans les causes dediarrhées nécessitant une hospitalisation. Dans cette étude,le pic d’infection à rotavirus est situé avant six mois, alorsque les infections à Salmonella concernent les enfants deplus de 1,5 an. Les études plus récentes, effectuées parl’OMS, retrouvent des résultats proches (Fig. 1A et B). Il fautnoter la place des Escherichia coli entérotoxinogènes (ETEC)dans les pays industrialisés, qui sont la principale cause desdiarrhées du voyageur (30 à 80 %). Signalons toutefois queselon les études et les méthodes diagnostiques utilisées, 20 à75 % des diarrhées restent sans étiologie.

Les gastroentérites virales et les agents impliqués

Les gastroentérites virales communautaires sont endémi-ques avec une prédominance hivernale (de janvier à mars)dans les pays tempérés, à la différence des gastroentéritesbactériennes dont le pic survient pendant les mois d’été(juin–septembre) [2–4] (Fig. 2). Les épidémies localisées,notamment dans les collectivités, sont observées tout aulong de l’année. La transmission est interhumaine, se fai-sant soit sur le mode fécal–oral soit par aérosols provenantde produits pathologiques ou à partir d’une source com-mune, eau, aliments contaminés tels que les coquillagesqui concentrent le matériel contenu dans les eauxsouillées ou par le personnel de cuisine porteur de l’agentinfectieux.

FLASH INFO

Épidémiologie des diarrhées aiguës infectieuses en France et en Europe1

S. Alain*, F. Denis

Service de bactériologie–virologie–hygiène, CHU Dupuytren, 2, avenue Martin-Luther-King, 87042 Limoges, France

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (S. Alain)

1 Extraits de l’article original paru dans les Archives de Pédiatrie2007;14(Suppl.):S132–44.

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La majorité des virus entériques sont difficiles à cultiver,et ce n’est que dans les années 1970 que la microscopieélectronique a permis d’identifier de nouveaux virus, àl’origine de gastroentérites. Ainsi, la nomenclature reflèteleur morphologie (rotavirus « en rayon de roue », astrovirus« en étoile », calicivirus « en forme de calice floral »)(Fig. 3). Les méthodes diagnostiques actuelles, basées surla mise en évidence d’antigènes viraux dans les selles partechnique Elisa ou par immunochromatographie, permet-tent de détecter certains de ces virus (rotavirus, adénovi-

rus, astrovirus), mais ce sont les progrès du diagnostic molé-culaire qui, en permettant d’identifier un nombre croissantde virus entériques, ont montré que plus de deux tiers desépidémies de gastroentérite sont d’origine virale. Ces tech-niques ont également permis de préciser les données épidé-miologiques, d’identifier les souches virales sur la base dugénotype et d’en suivre la circulation dans les différentspays au fil du temps.

Les virus impliqués sont nombreux et variés (Tableau 1).Les caractéristiques communes de ces virus sont : un taux

Fig. 1. Répartition des agents étiologiques des diarrhées infectieuses. A : rôle des agents étiologiques dans les affections diarrhéi-ques sévères nécessitant l’hospitalisation des nourrissons et des jeunes enfants. Les rotavirus apparaissent comme une cause ma-jeure d’hospitalisation, devant les bactéries (ETEC essentiellement) [d’après Kapikian AZ. 1996; CDC, Proceedings of the SixthInternational Rotavirus Symposium. Rotavirus and Rotavirus Vaccines. Mexico. 2004; Parashar et al., 2003 ; Olive JP, 2006].B : Données françaises à partir de 14 644 selles de patients hospitalisés recueillies entre 1988 et 1993 à Limoges, répartition partranche d’âge et proportions des agents les plus fréquemment retrouvés par culture bactérienne et recherche d’antigènes virauxen Elisa : les rotavirus sont les agents pathogènes les plus fréquemment retrouvés, en particulier dans la tranche d’âge de zéro àdix ans (d’après Durepaire et al., 1997).

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d’attaque élevé, une dose infectieuse faible et une granderésistance aux variations de température et de pH leur per-mettant de persister sous forme infectieuse dans le milieuextérieur. Les plus fréquemment impliqués sont les rotavi-rus, les calicivirus, les astrovirus et les adénovirus entéri-ques 40 et 41. D’autres virus comme les coronavirus, lesaïchivirus ou certains entérovirus peuvent être responsablesd’épidémies, sans pour autant circuler à un taux significatifchaque année. L’ensemble des travaux menés en France eten Europe [4–9] démontrent clairement le rôle majeur desrotavirus dans les gastroentérites communautaires nécessi-tant une hospitalisation (Fig. 4A et B), alors que les calici-virus sont les agents les plus fréquemment retrouvés dansles gastroentérites communautaires peu sévères. L’étudede Pang et al., [10], à l’aide de méthodes de RT–PCR per-mettant d’identifier des virus dans 60 % des épisodes diar-rhéiques et jusqu’à 85 % des diarrhées sévères ou demoyenne gravité, confirme cette répartition chez l’enfant.Les co-infections virales sont fréquentes (5–15 % selon lesétudes et les méthodes utilisées) et peuvent résulter soitd’une véritable coïnfection, soit du portage prolongé d’undes deux virus en cause.

Outre les gastroentérites communautaires, chacun deces virus peut être impliqué dans des épidémies de diar-rhées nosocomiales, hospitalières ou en crèche. La placerelative des différents virus reflète l’épidémiologie de lapopulation concernée.

Nous aborderons successivement l’épidémiologie desprincipaux virus et leur variabilité génétique.

Rotavirus

Épidémiologie

Le rotavirus est l’agent pathogène le plus fréquemment res-ponsable de diarrhées sévères chez l’enfant de moins decinq ans. L’infection est acquise très tôt dans l’enfance etla séroprévalence atteint 100 % à trois ans. Si le nombre dedécès annuels liés au rotavirus dans le monde a diminué demoitié entre 1995 et 2003 (de 873 000 à 440 000), parallè-lement à la diminution de mortalité liée aux diarrhéesquelle qu’en soit la cause [11], la part du rotavirus dans leshospitalisations pour diarrhées a proportionnellementaugmenté : de 22 % en 1999 [12], elle se situe actuellemententre 45 et 56 % selon les pays [13,14]. La situation diffèreentre les pays industrialisés et les pays en voie de dévelop-pement. Dans les pays industrialisés, la mortalité est moinsimportante, mais la morbidité et le coût des infections àrotavirus n’en sont pas moins notables. Le rotavirus est res-ponsable de 20 à 40 décès par an aux États-Unis, et de 7 à87 décès par an, selon les pays, en Europe [15], mais resteà l’origine de 50 à 60 % des hospitalisations pour diarrhée[12]. En France, les infections à rotavirus sont la premièrecause d’hospitalisation pour diarrhée et la seconde cause deconsultation pour gastroentérite en médecine générale,avec les calicivirus. En 2005, Melliez et al. [16], dans le BEH,estimaient que le rotavirus était responsable en France de

Fig. 2. Distribution saisonnière des virus entériques en Grande-Bretagne entre 1985 et 1987 d’après Monroe 1991. SVRS : an-cienne dénomination des calicivirus appartenant au genreNorwalk-like virus.

Fig. 3. Schéma des virus les plus fréquemment impliqués dansles gastroentérites.

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300 000 épisodes de diarrhée aiguë, 160 000 diarrhées sévè-res, neuf décès annuels, 139 000 consultations, dont 112 000chez le généraliste et 26 000 chez un pédiatre, et 18 000 hos-pitalisations, soit un coût global de 28 millions d’euros.

Dans les pays à climat tempéré, l’infection évolue sur unmode épidémique sous forme d’épidémies hivernales, typi-quement de novembre à mars avec un pic à la saison froide[17,18]. Fait intéressant, ces épidémies se superposent enFrance avec les épidémies de virus respiratoire syncytial(VRS), agent de la bronchiolite du nourrisson, qui touche lesmêmes classes d’âge. L’étude récente d’Armengaud, et al.[17], menée en région parisienne, illustre bien le caractèresaisonnier de ces deux virus et leur évolution parallèle : surune période de 12 ans entre 1993 et 2004, ont été recenséesles infections à VRS et à rotavirus. Une superposition despics d’incidence d’infection à VRS et à rotavirus a étéretrouvée de façon remarquablement reproductible surtoute la période d’étude (Fig. 5).

La transmission du virus se fait sur le mode fécal–oral,directe par les mains ou indirecte par les surfaces ou lesobjets souillés. Si la transmission par les sécrétions pharyn-gées n’a pas été démontrée, la transmission par aérosols àpartir des matières fécales, de vomissements ou de lingescontaminés est possible. Elle est favorisée par l’abondancedes particules virales dans les selles à la phase aiguë de lamaladie (environ 1010 particules virales par gramme), un

taux d’attaque élevé puisqu’il suffit de dix particules viralespour transmettre la maladie, un taux de portage prolongédans les selles (jusqu’à 15 jours après l’épisode diarrhéique)et une grande résistance du virus, qui garde notamment sonpouvoir infectieux sur les surfaces sèches et les mains. Ainsi,plus de 15 % d’une charge virale déposée sur les doigts peu-vent encore être transmise après 20 minutes [19].

Les enfants infectés sont également à l’origine d’infec-tions nosocomiales, à l’hôpital ou en crèche. Les épidémiesnosocomiales survenant en crèche sont habituellement peusymptomatiques. En milieu hospitalier, les rotavirus repré-sentent la première cause de diarrhées nosocomiales chezle petit enfant. En France, le taux d’incidence par journéed’hospitalisation a été estimé à 9/1000 [20]. Dans cetteétude prospective sur deux années consécutives portant sur5783 enfants âgés d'un mois à quatre ans, 62 % des enfantshospitalisés pour diarrhée étaient porteurs de rotavirus et3,2 % ont développé une infection à rotavirus en coursd’hospitalisation. Un taux voisin de 3,3 % est retrouvé dansles hôpitaux du sud-est de la France [21]. Les infectionsnosocomiales suivent la distribution saisonnière des infec-tions communautaires, mais peuvent être rencontrées toutel’année. Les facteurs favorisants sont la durée d’hospitali-sation, la durée du portage dans les selles, souvent prolon-gée plusieurs semaines ou mois en cas d’immunodépression.L’importance des rotavirus en termes d’infections noso-

Tableau 1. Virus impliqués dans les gastro-entérites

Principaux virus Génome Diversité génétique AutresRotavirus du groupe A ARN segmenté Génotypes G1-14

P 1-20Rotavirus du groupe B(adultes en Chine)

Calicivirus humains ARN simple brin NLV : génogroupes I-V26 génotypesSLV : génogroupes I-V8 génotypes

Rotavirus du groupe C(enfants et adultes)

Astrovirus ARN simple brin Génotypes 1–8 CoronavirusAdénovirus entériques ADN double brin Génotypes 40 et 41 Torovirus

PicobirnavirusAïchi virus (Picornaviridae)Entérovirus

Caractéristiques : taux d’attaque élevé ; dose infectieuse faible ; résistance dans le milieu extérieur.

Fig. 4. Place relative des principaux virus dans les étiologies des gastroentérites communautaires en France. A : vues en consultationexterne [8]. B : justifiant une hospitalisation [7].

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comiales est vraisemblablement sous-estimée : d’une part,la durée courte de l’incubation, d'un à trois jours, conduit àune sous-estimation des infections acquises dès les pre-miers jours d’hospitalisation ; d’autre part, les diarrhéessurvenant après la sortie de l’hôpital peuvent être mécon-nues.

Épidémiologie moléculaire

Les rotavirus sont de petits virus non enveloppés à ARN seg-menté, découverts par Bishop, et al., en 1973 [22]. Obser-vables en microscopie électronique dans les selles desenfants infectés, ils sont reconnaissables à leur aspect enrayon de roue, d’où leur nom. Cet aspect est dû à leur struc-ture constituée d’une capside de forme icosaédrique héris-sée de spicules antigéniques (Fig. 3). Le génome viral estconstitué de 11 segments d’ARN double brin. Chaque frag-ment comporte un gène, qui code pour une protéine duvirus (à l’exception du fragment 11 qui en code 2), et porteà ses extrémités des séquences consensus (communes) noncodantes. Cette caractéristique, associée à une barrièregénétique d’espèce faible, puisque de nombreux rotavirushumains sont capables d’infecter d’autres mammifères etcertains oiseaux, est à l’origine d’un phénomène de réas-sortiment génétique (échange de fragments codant lamême protéine), au cours de coïnfection d’un même hôtepar deux rotavirus différents.

Parmi les protéines structurales du virion, trois sont parti-culièrement importantes sur le plan antigénique : VP7, VP6 etVP4. Les protéines structurales sont organisées en troiscouches : une couche interne constituée des protéines VP1,VP2 et VP3, qui interviennent dans la transcription et la répli-cation virale, une couche intermédiaire formée par la pro-téine VP6 qui porte les antigènes de groupe. Cette protéineest également celle détectée par la plupart des tests diagnos-tiques. La couche externe est formée des protéines VP4 etVP7 qui portent les antigènes de type, permettant de définirles sérotypes P et G. Actuellement, le typage des souches faitappel le plus souvent à des techniques de biologie molécu-laire. L’analyse moléculaire des segments de génome 4(codant VP4) et 9 (codant VP7) permet de classer les souchesen génotypes plutôt qu’en sérotypes. On distingue ainsi20 génotypes P et 14 génotypes G. La combinaison des géno-

types G et P peut théoriquement donner naissance à plus de100 génotypes par réassortiment génétique entre les seg-ments 4 et 9 du génome. En pratique, dix sérotypes G (super-posables aux génotypes) et neuf sérotypes P peuvent infecterl’homme. Étant donné que le nombre des génotypes P est plusélevé que le nombre des sérotypes P, on utilise habituel-lement le génotype P dans la nomenclature (exemple : G1P[8] souche de sérotype–génotype G1 et de génotype P8). Lestechniques d’amplification de l’ARN ou RT–PCR sont large-ment utilisées pour le typage. Elles permettent la détectiondes rotavirus lorsque la quantité de virus présent est faible(comme dans l’environnement) et le génotypage G et P dessouches. Les informations obtenues par les techniques molé-culaires ont fortement contribué à la connaissance de l’épi-démiologie des rotavirus. Le profil de migration de l’ARN viralou électrophorétype est une méthode simple, réalisable àpartir de 0,2 g de selles, du fait de l’abondance du virus dansles prélèvements. Il peut être utilisé pour contrôler la diver-sité des souches circulantes au cours d’une épidémie. Eneffet, la diversité des électrophorétypes, supérieure à celledes génotypes G et P, permet de différencier les souches vira-les au sein d’un même génotype (Fig. 6) et d’identifier des co-infections par deux rotavirus différents. Cette méthode a éga-lement été à l’origine de la découverte des groupes B et C.

La majorité des souches humaines appartient au groupe A.En dehors du groupe A, seuls les groupes B et C ont été trou-vés associés à des gastroentérites chez l’homme. Les rotavi-rus du groupe B circulent en Chine et en Inde, le groupe C estubiquitaire mais minoritaire. Cependant, la non-détection deces groupes par les tests diagnostiques de détection d’anti-gènes peut faire sous-estimer leur prévalence.

Parmi les rotavirus du groupe A, les génotypes G1–G4 etG9 sont à l’origine de 90 % des gastroentérites. Les combi-naisons G–P usuelles sont G1 P[8], G2 P[4], G3 P[8], et G4P[8]. Les souches G9, fréquentes en Asie (G9 P[6]), ontrécemment émergé sur d’autres continents où leur fré-quence est significative (3 à 7 % aux États-Unis, 11 % en Aus-tralie, 16 % au Brésil). D’autres génotypes, G10, G11…, pré-valant dans les pays en voie de développement, peuventcirculer de manière transitoire [23]. Les infections mixtespar des souches de type G ou P différents sont possibles, etpeuvent conduire à des combinaisons inhabituelles de G etde P, par réassortiments entre souches usuelles (exemple :

Fig. 5. Distribution mensuelle cumulée des cas d’infection à VRS et rotavirus observée entre 1993 et 2004 à l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul, Paris [17].

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G2 P[8]), entre souches usuelles et souches d’importation(exemple : G9 P[8]) ou par réassortiment avec des rotavirusanimaux, et à l’émergence localisée de nouveaux types.L’étude REVEAL, menée dans sept pays d’Europe : Belgique,France, Allemagne, Italie, Espagne, Suède et Royaume-Uni,qui répertorie les types circulant en 2004 et 2005 [24] chez2846 enfants de moins de cinq ans consultant ou hospitaliséspour gastroentérite, a confirmé l’importance des rotavirusen Europe et précisé leur épidémiologie moléculaire(Fig. 7). Quarante pour cent des enfants (1102) étaient por-teurs de rotavirus identifié par détection d’antigène degroupe A en Elisa ; 98 % des rotavirus circulants apparte-naient aux génotypes G1–G4 et G9, avec une distributionvariable selon les pays, soulignant l’émergence et la stabi-lisation du type G9 dans les pays d’Europe. Ainsi, G1 prédo-mine au Royaume-Uni (85,4 %), en Espagne (81 %), en Suède(57,1 %) et en Belgique (28,4 %), alors que G9 prédomine enItalie (83,9 %) et en France (54,8 %) et que G4 prédomine enAllemagne (56,1 %). Seuls les génotypes G4 et G9 étaientprésents dans tous les pays. Des types plus rares, G10 (enEspagne) et G12 (en Italie et en Suède) sont égalementretrouvés. Une seconde étude, menée sur deux saisons(2004–2006) dans les pays de l’Est de l’Europe (Républiquetchèque, Slovénie, Croatie, Albanie et Bulgarie) chez 1500 en-fants porteurs de gastroentérite sévère à rotavirus,retrouve la prédominance des combinaisons G–P usuelles(G1 P[8], G2 P[4], G3 P[8] et G4 P[8] : 50 à 85 % selon lespays) et l’émergence du type G9 (2 à 35 %). On observe uneémergence significative de réassortants entre souchesusuelles (G1 ou G4 P[4], G2 P[8] : 3 à 20 %) de types inhabi-tuels pouvant provenir de réassortiments avec des rotavirusanimaux (G8 P[8] ou G10 P[6] et la présence de doublesinfections chez 1,7 à 14 % des cas selon le pays [25]. Si, glo-balement, les types majoritaires sont stables en Europe,des fluctuations portant sur les génotypes minoritaires peu-vent s’observer d’une année à l’autre, avec émergence et

disparition d’un type inhabituel, sans que le mécanisme soitconnu [26]. Ainsi, l’émergence progressive du type G9 estobservée en France depuis 2000. Une étude menée enFrance, à Paris, Dijon et Limoges, portant sur deux saisonsconsécutives 2004–2006 [27], retrouve l’émergence du typeG9 en 2004–2005 dans les trois régions, alors que le géno-type G1 redevient majoritaire en 2005–2006, et l’émer-gence de génotypes inusuels G8 et G12. L’influence dugénotype sur la date de survenue de l’épidémie, avec un picd’incidence précoce (janvier–mars) pour le type G1 et tardif(février–mai) pour G4 et G9 observé dans l’étude Reveal,souligne également les différences d’épidémiologie entreles différents types circulants. L’ensemble de ces travauxindique que circulent désormais en Europe cinq génotypesmajoritaires G1–G4 et G9, dont la répartition peut varierselon les années, et que peuvent émerger ponctuellementdes souches minoritaires ou des réassortants qui doiventfaire l’objet d’une surveillance épidémiologique régulière.En contrepartie, l’impact clinique du génotype semble fai-ble. Ainsi, dans l’étude Reveal, aucun lien entre génotypeet gravité de la diarrhée (hospitalisation) ou entre génotypeet âge de survenue (< 24 mois ou > 24 mois) n’est observé.

Calicivirus

Longtemps considérés comme des agents mineurs responsa-bles de petites épidémies ou de cas sporadiques, le rôleimportant de ces virus dans l’étiologie des gastroentéritesn’est connu que depuis peu de temps, du fait de l’amélio-ration des méthodes de diagnostic moléculaire. Les calici-virus humains (HuCV) sont de petits virus à ARN simple brin,non enveloppés, qui doivent leur nom aux dépressions régu-lières en forme de calice, visibles en microscopie électroni-que à la surface de la capside. Ils ne sont pas cultivables.Cette famille de virus est extrêmement diversifiée et res-ponsable de pathologies très variées chez l’animal.

Fig. 6. Structure des rotavirus – génotypes et sérotypes.

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Épidémiologie des diarrhées aiguës infectieuses en France et en Europe 301

Astrovirus

Les astrovirus sont de petits virus à ARN simple brin, nonenveloppés, cultivables, identifiés en 1975 par microscopieélectronique [29,30]. Leur organisation génomique particu-lière les classe dans une famille à part, le genre astrovirus,dont ils demeurent les seuls représentants à ce jour. Leurnom reflète leur morphologie en étoile à cinq ou six bran-ches en microscopie électronique. Huit types antigéniquesont été identifiés. Ubiquitaires à l’échelle du globe, ils sontresponsables de cas de gastroentérite sporadiques, avec unpic hivernal dans les régions tempérées, mais peuvent êtreà l’origine d’épidémies dans des collectivités (écoles, crè-ches, institutions médicalisées, hôpitaux). L’infection sur-vient le plus souvent dans les deux premières années de vieet la séroprévalence est de 60 à 90 % à cinq ans.

Adénovirus entériques

Chez l’homme, ils sont responsables de gastroentéritesd’incubation plus longue que les gastroentérites à rotavirusou à calicivirus (dix jours), avec un discret pic saisonnierestival [2,4,10]. Parmi les nombreux sérotypes d’adénovirushumains retrouvés dans les selles de patients ou d’individussains, seuls les types 40 et 41, et beaucoup plus rarementles sérotypes 2, 3 et 31, sont indiscutablement des agentsde gastroentérites. Un cas particulier est celui de l’infec-tion à adénovirus entérique chez les personnes immuno-déprimées ou greffées. Dans ce contexte, l’infection peut êtreinvasive, justifiant la recherche systématique des adénovi-rus 40, 41 par détection d’antigène en Elisa dans les selles,en particulier après greffe de moelle.

Fig. 7. Répartition des génotypes de rotavirus en Europe [28]. Répartition des génotypes en fonction de l’âge. A : moins de 24 mois ;B : plus de 24 mois.

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302 Épidémiologie des diarrhées aiguës infectieuses en France et en Europe

Conclusion

Le terme de diarrhée infectieuse recouvre des pathologiesdues à des agents pathogènes d’une grande diversité. Les virusentériques, à l’origine de la majorité des cas, représententune population variée, avec des caractéristiques épidémiolo-giques très différentes selon les genres. L’introduction d’unevaccination efficace contre les rotavirus, responsables de lamajorité des diarrhées infectieuses sévères dans le monde eten Europe, amène à s’interroger sur le risque d’émergence denouveaux virus ou de nouveaux types viraux. Les études desurveillance épidémiologique mises en place après les pre-miers essais de vaccination contre les rotavirus n’ont pas mon-tré d’augmentation des infections à calicivirus ou à adénovirus[9,31]. Cependant, à l’ère vaccinale, l’évolution des popula-tions bactériennes et virales dans les gastroentérites commu-nautaires ainsi que la dynamique des génotypes de rotaviruscirculant en Europe, devraient faire l’objet d’une surveillanceépidémiologique continue.

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