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IBN ARABÎ ÉPÎTRE SUR LES F ACETTES DU COEUR Traduction et notes de MICHEL VÂLSAN  PubliĂ©s dans le n° 418 des Études Traditionnelles  , 1970  NOTICE BIBLIOGRAPHI QUE  Le petit traitĂ© du Cheikh al-Akbar traduit ci-aprĂšs, qui n'a  jamais Ă©tĂ© imprimĂ©, est attestĂ© par 8 manuscrits des collections de Turquie (Cf. O. Yahya,  Histoire et classification de l'Ɠuvre d'Ibn  Arabß , R.G. n° 62). Pour notre traduction nous nous sommes servi de trois d'entre ceux-ci : Carullah 2080i, fol. 1b - 2a, Ă©tabli d'apr Ăšs l'original en 791 H. Ă  Konya ; Aya Sofya 4875, pp. 202 - 204 ;  Nafiz 685, pp. 699 - 703, datĂ© de 1098 H. Cette derniĂšre copie porte comme titre « ÉpĂźtre du Cheikh Muhyu-d-Din Ibn Arabi adressĂ©e au Cheikh Fakhru-d-Din ar-RĂązi, qu'Allah sanctifie le secret de chacun des deux » (  RisĂąlah li-ch- Chaykhi Muhyu-d-DĂźn al-ArabĂź ilĂą-ch-Chaykhi Fakhri-d-DĂźn ar-  RĂązi qaddasa-LlĂąhu sirra-humĂą), ce qui est vraisemblablement dĂ» Ă  une confusion du copiste avec l'Ă©pĂźtre bien connue portant ce titre,  publiĂ©e dans les  RasĂąilu-bni-l-Arabß (Hayderabad-Dekkan, 1947) n° 15 et dĂ©jĂ  traduite par nous dans  Études Traditionnelles N° 366- 367, juillet Ă  octobre 1961.  M. VĂąlsan Sache 1 que le cƓur — compte tenu d'une diversitĂ© d'avis existante chez les Gens des rĂ©alitĂ©s fondamentales et des dĂ©v oil ements initia tiq ues (  Ahlu-l-haqĂąiq wa-l- mukĂąchafĂąt ) — est comme un miroir rond, Ă  six facettes (awjĂ»h, sing wajh) selon certains 2 , Ă  huit selon d'autres de 1- Dans le ms. Aya Sofya 4875 manque le mot initial  A’lam = « sache ». 2- Ceux-ci sont dĂ©signĂ©s plus loin par le qualificatif des « Gens de la rĂšgle prophĂ©tique » (  Ahlu-s-Sunnah), c'est-Ă -dire ceux qui sont attachĂ©s aux pra tiq ues surĂ©rogatoires du Pro phĂšte (su r lui le Salut !) ; dans le cas d'espĂšce ils sont en cause en tant qu'ils s'en tiennent aux notions et Ă  la terminologie prophĂ©tique. — A propos de ce mĂȘme nombre des facettes du cƓur on trouve ceci dans les  FutĂ»hĂąt (chap. 382) de notre auteur : « ...L'ĂȘtre a vers son extĂ©rieur six cĂŽtĂ©s (correspondant aux six directions de l'espace dont il occupe le centre), et le nombre six possĂšde la perfecti on, car il est le premier nombre parfait (de la sĂ©rie des nombres entiers) parce que son sixiĂšme, son tiers et sa moitiĂ© font six (autrement dit, ce nombre est Ă©gal Ă  la somme de ses diviseurs 1+2+3 = 6). Or le cƓur a six facettes ; Ă  chaque cĂŽtĂ© spatial correspond une facette du cƓur qui est le cĂŽtĂ© spatial lui-mĂȘme. Par cet Ɠil il saisit Dieu (al-Haqq) quand il se manifeste Ă  lui dans Son nom « l'Apparent » ( azh-  ZhĂąhir ). Si la thĂ©ophanie s'Ă©tend Ă  tous les cĂŽtĂ©s — en tant que « Lui est de toute chose Enveloppant » (Cor. 41, 54) — le cƓur ces gens. Or Allah a placĂ© devant chacune des facettes du cƓur une prĂ©sence ( hadrah) d'entre les PrĂ©sences divines fondamentales : et quand 3 une de ces facettes se dĂ©couvre la « prĂ©sence » qui lui correspond se mon tre. Lo rs qu'All ah — qu'Il soit gl or if iĂ© et exal tĂ© — ve ut gratifier 4  Son adorateur de quelque chose du domaine de ces sciences (intuitives dont nous nous occupons), Il Se charge — qu'il soit glorifiĂ© — de la purification 5  du miroir de son cƓur, y regarde de l’ƒil de la Bienveillance et de la GrĂące propice (  A ynul-Lutfi wa-t -TawfĂźq) et lui fait  puiser une aide dans la Mer de la Confirmation (  Bahru-t- Ta'Ăźd ). L'ĂȘtre favorisĂ© par une telle grĂące se trouve alors gui dĂ© ver s la pra tiq ue des exe rcices spi rit uel s et des efforts physiques ; il trouve ainsi dans son cƓur le dĂ©sir (ĂźrĂądah) et l'a mour (mahabbah). Aussi les me mb res corporels se pressent-ils Ă  obĂ©ir au cƓur qui est leur ma Ăźtr e et che f. L'a dor ate ur emplo ie alo rs les pen sĂ©es (afkĂąr ) et l'Ă©lĂ©vatio n de l'a spir at ion (himmah), et se caractĂ©rise par les « caractĂšr es divins » (akhlĂąqu-llĂąh) 6  : il lave son cƓur avec l'eau de la vigilance (murĂąqabah)  jusqu'Ă  ce que s'en dĂ©tache la « rouille des altĂ©ritĂ©s » (çadĂąu-l-aghyĂąr ) et que s'y rĂ©flĂ© chiss ent les « en ceintes des mystĂšres » (hazhĂąiru-l-asrĂąr ). La 1Ăšre face tt e re ga rd e ve rs la Pr Ă©sen ce de l'Institution ferme (  Hadratu-l-IhkĂąm) 7  ; son polissage se fait par les efforts physiques disciplinĂ©s ( mujĂąhadĂąt ). La 2e facette regarde vers la PrĂ©sence du Choix  prĂ©fĂ©rentiel et du libre Gouvernem ent (  Hadratu-l-lkhtiyĂąr wa-t-TadbĂźr ) ; son polissage se fait par la rĂ©mission de son commandement Ă  Dieu et la rĂ©signation devant Lui ( at- tafwĂźd wa-t-taslĂźm). La 3° facette regarde vers la PrĂ©sence de l'Invention (  Hadratu-l-lbdĂą'a ) ; son polissage se fait par la rĂ©flexion (  fikr ) et la considĂ©ration (i’tibĂąr ) 8 . rĂ©unit avec ses facettes tout ce qui lui apparaĂźt de la part de Dieu de chaque cĂŽtĂ© et il est alors tout entier « lumiĂšre » ( nĂ»r ) ». - A cette idĂ©e de « perfection » est rattachĂ© le symbolisme hexagonal des alvĂ©oles mellifĂšres, dont il est question au chap. 332 du mĂȘme ouvrage. 3- Dans Nafiz 685 au lieu de  fa-mĂąta = « et quand », on a fautivement  fa-man = « et qui », leçon qui introduit un dĂ©saccord dans la phrase. 4- Dans Carullah 2080, au lieu de an yamnaha = « qu'il le gratifie », on a an fataha = « qu'Il lui a ouvert », ce qui n'assure pas l'accord. 5- Les trois mss. ont ici nettement bi-tawfĂźqi-Hi = « par Sa grĂące opportune », ce qui apparaĂźt cependant en double emploi dans les mots qui suivent. Mais le ms. Carullah 2080 (qui est, rappelons-le, copiĂ© sur l'original) Ă  propos de cette expression peu commode,  prĂ©sente en marge par scrupule du copiste, le « dessin » sans points diacritiques du mot de l'original (l'Ă©criture habituelle d'Ibn ArabĂź Ă©tant sans points diacritiques), oĂč il nous a semblĂ© pouvoir lire taçfiyat = « de la clarificat ion ». La phrase que nous recons tituon s et traduisons dans le texte est donc : « 
tawallĂą – subhĂąna-Hu - taçfiyata mir'Ăąti qalbi-hi ». 6- Cf. le hadith : TakhallaqĂ» bi-akhlaqi-llĂąh = « CaractĂ©risez-vous  par les caractĂšres d'Allah ! ». 7- Dans la terminologie technique des thĂ©ologiens l' ihkĂąm dĂ©signe « l'art de faire parfaitement les choses », ce qui est considĂ©rĂ©, en outre, comme une preuve logique de la Science divine. 8- La notion de al-lbdñ’a se rattache au nom divin  BadĂź'u-s- SamĂąwĂąti wa-l-Ard (Cor. 2, 117 et 6, 101) = « l'Inventeur des Cieux et de la Terre », c'e st- Ă -d ire le CrĂ©ateur ori gin al qui ne pre nd modĂšle sur rien et dont toute crĂ©ation est unique en son espĂšce. La relation avec le  fikr et l'i’tibĂąr rĂ©side dans le fait que l'aspect d' « originalitĂ© » apparaĂźt Ă  la suite des actes de rĂ©flexion et de considĂ©ration. Le Coran invite souvent Ă  rĂ©flĂ©chir sur la crĂ©ation

Epitre Sur Les Facettes Du Coeur (Ibn Arabi)

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IBN ARABÎ

ÉPÎTRE SUR LES

FACETTES DU COEUR 

Traduction et notes de

MICHEL VÂLSAN

 PubliĂ©s dans le n° 418 desÉtudes Traditionnelles , 1970

 NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE Le petit traitĂ© du Cheikh al-Akbar traduit ci-aprĂšs, qui n'a

 jamais Ă©tĂ© imprimĂ©, est attestĂ© par 8 manuscrits des collections deTurquie (Cf. O. Yahya,  Histoire et classification de l'Ɠuvre d'Ibn ArabĂź , R.G. n° 62). Pour notre traduction nous nous sommes servide trois d'entre ceux-ci : Carullah 2080i, fol. 1b - 2a, Ă©tabli d'aprĂšsl'original en 791 H. Ă  Konya ; Aya Sofya 4875, pp. 202 - 204 ; Nafiz 685, pp. 699 - 703, datĂ© de 1098 H.

Cette derniĂšre copie porte comme titre « ÉpĂźtre du CheikhMuhyu-d-Din Ibn Arabi adressĂ©e au Cheikh Fakhru-d-Din ar-RĂązi,qu'Allah sanctifie le secret de chacun des deux » ( RisĂąlah li-ch-Chaykhi Muhyu-d-DĂźn al-ArabĂź ilĂą-ch-Chaykhi Fakhri-d-DĂźn ar- RĂązi qaddasa-LlĂąhu sirra-humĂą), ce qui est vraisemblablement dĂ» Ă une confusion du copiste avec l'Ă©pĂźtre bien connue portant ce titre, publiĂ©e dans les  RasĂąilu-bni-l-ArabĂź  (Hayderabad-Dekkan, 1947)n° 15 et dĂ©jĂ  traduite par nous dans Ă‰tudes Traditionnelles N° 366-367, juillet Ă  octobre 1961.

 M. VĂąlsan

Sache1 que le cƓur — compte tenu d'une diversitĂ©d'avis existante chez les Gens des rĂ©alitĂ©s fondamentaleset des dĂ©voilements initiatiques ( Ahlu-l-haqĂąiq wa-l-mukĂąchafĂąt ) — est comme un miroir rond, Ă  six facettes(awjĂ»h, sing wajh) selon certains2, Ă  huit selon d'autres de

1- Dans le ms. Aya Sofya 4875 manque le mot initial  A’lam =« sache ».2- Ceux-ci sont dĂ©signĂ©s plus loin par le qualificatif des « Gens dela rĂšgle prophĂ©tique » ( Ahlu-s-Sunnah), c'est-Ă -dire ceux qui sontattachĂ©s aux pratiques surĂ©rogatoires du ProphĂšte (sur lui leSalut !) ; dans le cas d'espĂšce ils sont en cause en tant qu'ils s'entiennent aux notions et Ă  la terminologie prophĂ©tique. — A proposde ce mĂȘme nombre des facettes du cƓur on trouve ceci dans les FutĂ»hĂąt (chap. 382) de notre auteur : « ...L'ĂȘtre a vers son extĂ©rieur six cĂŽtĂ©s (correspondant aux six directions de l'espace dont iloccupe le centre), et le nombre six possĂšde la perfection, car il estle premier nombre parfait (de la sĂ©rie des nombres entiers) parceque son sixiĂšme, son tiers et sa moitiĂ© font six (autrement dit, cenombre est Ă©gal Ă  la somme de ses diviseurs 1+2+3 = 6). Or le cƓur a six facettes ; Ă  chaque cĂŽtĂ© spatial correspond une facette du cƓur qui est le cĂŽtĂ© spatial lui-mĂȘme. Par cet Ɠil il saisit Dieu (al-Haqq)quand il se manifeste Ă  lui dans Son nom « l'Apparent » (azh- ZhĂąhir ). Si la thĂ©ophanie s'Ă©tend Ă  tous les cĂŽtĂ©s — en tant que« Lui est de toute chose Enveloppant » (Cor. 41, 54) — le cƓur 

ces gens. Or Allah a placĂ© devant chacune des facettes ducƓur une prĂ©sence (hadrah) d'entre les PrĂ©sences divinesfondamentales : et quand3 une de ces facettes se dĂ©couvrela « prĂ©sence » qui lui correspond se montre.Lorsqu'Allah — qu'Il soit glorifiĂ© et exaltĂ© — veutgratifier 4 Son adorateur de quelque chose du domaine deces sciences (intuitives dont nous nous occupons), Il Secharge — qu'il soit glorifiĂ© — de la purification5  dumiroir de son cƓur, y regarde de l’ƒil de la Bienveillanceet de la GrĂące propice ( Aynul-Lutfi wa-t -TawfĂźq) et lui fait puiser une aide dans la Mer de la Confirmation ( Bahru-t-Ta'Ăźd ). L'ĂȘtre favorisĂ© par une telle grĂące se trouve alorsguidĂ© vers la pratique des exercices spirituels et desefforts physiques ; il trouve ainsi dans son cƓur le dĂ©sir (ĂźrĂądah) et l'amour (mahabbah). Aussi les membrescorporels se pressent-ils Ă  obĂ©ir au cƓur qui est leur maĂźtre et chef. L'adorateur emploie alors les pensĂ©es(afkĂąr ) et l'Ă©lĂ©vation de l'aspiration (himmah), et secaractĂ©rise par les « caractĂšres divins » (akhlĂąqu-llĂąh)6 : illave son cƓur avec l'eau de la vigilance (murĂąqabah) jusqu'Ă  ce que s'en dĂ©tache la « rouille des altĂ©ritĂ©s »(çadĂąu-l-aghyĂąr ) et que s'y rĂ©flĂ©chissent les « enceintesdes mystĂšres » (hazhĂąiru-l-asrĂąr ).

La 1Ăšre facette regarde vers la PrĂ©sence del'Institution ferme ( Hadratu-l-IhkĂąm)7  ; son polissage sefait par les efforts physiques disciplinĂ©s (mujĂąhadĂąt ).

La 2e facette regarde vers la PrĂ©sence du Choix prĂ©fĂ©rentiel et du libre Gouvernement ( Hadratu-l-lkhtiyĂąr wa-t-TadbĂźr ) ; son polissage se fait par la rĂ©mission de soncommandement Ă  Dieu et la rĂ©signation devant Lui (at-tafwĂźd wa-t-taslĂźm).

La 3° facette regarde vers la PrĂ©sence de l'Invention( Hadratu-l-lbdĂą'a) ; son polissage se fait par la rĂ©flexion( fikr ) et la considĂ©ration (i’tibĂąr )8.

rĂ©unit avec ses facettes tout ce qui lui apparaĂźt de la part de Dieu dechaque cĂŽtĂ© et il est alors tout entier « lumiĂšre » (nĂ»r ) ». - A cetteidĂ©e de « perfection » est rattachĂ© le symbolisme hexagonal desalvĂ©oles mellifĂšres, dont il est question au chap. 332 du mĂȘmeouvrage.3- Dans Nafiz 685 au lieu de  fa-mĂąta = « et quand », on afautivement  fa-man = « et qui », leçon qui introduit un dĂ©saccorddans la phrase.4- Dans Carullah 2080, au lieu de an yamnaha = « qu'il le gratifie »,on a an fataha = « qu'Il lui a ouvert », ce qui n'assure pas l'accord.5- Les trois mss. ont ici nettement bi-tawfĂźqi-Hi = « par Sa grĂąceopportune », ce qui apparaĂźt cependant en double emploi dans lesmots qui suivent. Mais le ms. Carullah 2080 (qui est, rappelons-le,copiĂ© sur l'original) Ă  propos de cette expression peu commode, prĂ©sente en marge par scrupule du copiste, le « dessin » sans pointsdiacritiques du mot de l'original (l'Ă©criture habituelle d'Ibn Arabßétant sans points diacritiques), oĂč il nous a semblĂ© pouvoir liretaçfiyat = « de la clarification ». La phrase que nous reconstituonset traduisons dans le texte est donc : « 
tawallĂą – subhĂąna-Hu -taçfiyata mir'Ăąti qalbi-hi ».6- Cf. le hadith : TakhallaqĂ» bi-akhlaqi-llĂąh = « CaractĂ©risez-vous par les caractĂšres d'Allah ! ».7- Dans la terminologie technique des thĂ©ologiens l'ihkĂąm dĂ©signe« l'art de faire parfaitement les choses », ce qui est considĂ©rĂ©, enoutre, comme une preuve logique de la Science divine.8- La notion de al-lbdñ’a se rattache au nom divin  BadĂź'u-s-SamĂąwĂąti wa-l-Ard (Cor. 2, 117 et 6, 101) = « l'Inventeur des Cieuxet de la Terre », c'est-Ă -dire le CrĂ©ateur original qui ne prendmodĂšle sur rien et dont toute crĂ©ation est unique en son espĂšce. Larelation avec le  fikr  et l'i’tibĂąr  rĂ©side dans le fait que l'aspectd' « originalitĂ© » apparaĂźt Ă  la suite des actes de rĂ©flexion et deconsidĂ©ration. Le Coran invite souvent Ă  rĂ©flĂ©chir sur la crĂ©ation

 

La 4° facette regarde vers la PrĂ©sence du ProposadressĂ© ( Hadratu-l-KhitĂąb) ; son polissage se fait par larupture d'avec les choses et les ĂȘtres du monde (khal’u-l-akwĂąn wa-l-aghyĂąr )9.

La 5° facette regarde vers la PrĂ©sence de la Vie( Hadratu-l-HayĂ t ) ; son polissage se fait par le rejet desoi-mĂȘme et l'extinction (at-tabarri wa-l-fanĂą).

La 6° facette — qui est la 8° chez ceux qui affirmentqu'il y en a 8 — regarde vers la PrĂ©sence de Ce-qu'on-ne-dit-pas ( Hadratu MĂą lĂą yuqĂąl ) ; le polissage de cettefacette se fait par : « O ! Gens de Yathrib, pas d'arrĂȘt »(Cor. 33, 13)10.

Quant aux deux autres facettes qui constituent le point de la divergence mentionnĂ©e au dĂ©but (Ă  savoir la 6°et la 7° chez ceux qui parlent de 8), les Gens attachĂ©s Ă  larĂšgle prophĂ©tique (ahlu-s-Sunnah) les ramĂšnent Ă  laPrĂ©sence de l'Institution ferme ( Hadratu-l-lhkĂąm), alorsque les autres disent que l'une de ces facettes regarde laPrĂ©sence de la Contemplation ( Hadratu-l-muchĂąhadah),dont le polissage se fait par la vente de l'Ăąme (bayu-n-nafs), et l'autre vers la PrĂ©sence de l'Audition ( Hadratu-s-Samñ’ ) dont le polissage se fait par le silence et la politesse (aç-çamt wa-l-adab). Il n'y a pas de 9e facette, etAllah — qu'il soit glorifiĂ© — n'a pas Ă  dĂ©voiler une autre« prĂ©sence » en plus de ces 8 susmentionnĂ©es qu'Il ainstituĂ©es ; le cƓur n'a pas de facette dans laquelle serĂ©vĂšle la Sagesse divine (al-Hikmatu-l-ilĂąhiyyah) prĂ©vue par le Vouloir Ă©ternel (al-IrĂądatu-l-qadĂźmah) c'est lĂ  le point de contestation entre les Acharites (thĂ©ologiensĂ©sotĂ©ristes) et les Soufis, et cela est une chose trĂšs subtileque ne peut comprendre qu'un ĂȘtre jouissant del'expĂ©rience directe (çùhibu dhawq).

Ensuite sache que ces « PrĂ©sences » ont des« portes » qui font face Ă  ce qu'il y a comme « rouille »sur la surface du miroir, et qui s'appellent les « portes dela VolontĂ© divine » (abwĂąbu-l-MachĂźah). Dans la mesureoĂč il y a polissage il y a la thĂ©ophanie (at-tajallĂź ), et dansla mesure oĂč l'on ouvre des « portes » il y a la vue Ă dĂ©couvert (al-kachf ). Mais tout miroir poli n'a pasnĂ©cessairement le dĂ©voilement : il est seulement prĂ©parĂ© Ă recevoir des formes. De mĂȘme tout ĂȘtre qui chemine sur cette Voie (at-TarĂźq) n'obtient pas nĂ©cessairement la vue Ă dĂ©couvert ; il se peut que cela lui soit retardĂ© jusqu'auJour de la RĂ©surrection, je veux dire le jour de « sarĂ©surrection personnelle » (qiyĂąmatu-hu)11, de la mĂȘme

des Cieux et de la Terre, et Ă  considĂ©rer les exemptes proposĂ©s.9- Cf. ms. Carullah 2080 et Aya Sofya 4875. — Le ms. Nefiz 685 porte ici  sab’u-l-akwĂąn = « le rejet des ĂȘtres du monde »,expression peu courante qui doit remonter Ă  une leçon fautive duterme authentique khal’u, et qui est d'ailleurs suivie dans ce seulms. d'une explication qui n'est certainement pas de l'auteur ay bi-dhahĂąbi hay'ati-l-akwĂąn wa husnihĂą = « c'est-Ă -dire par l'Ă©loignement des formes des ĂȘtres et de leurs charmes ». Le sensreste ainsi Ă  peu prĂšs le mĂȘme dans les deux leçons.10- A signaler que dans le  Livre de la ProximitĂ© ( KitĂąbu-l-Qurbah)le Cheikh al-Akbar qualifie par ce mĂȘme fragment de verset, lemaqĂąm des AfrĂąd qui observent le secret le plus parfait de l'IdentitĂ©SuprĂȘme.11- I1 s'agit de ce qu'on appelle aussi la petite RĂ©surrection qui alieu au moment de la mort ordinaire, cf. au hadith : « Pour celui quimeurt la RĂ©surrection s'est dĂ©jĂ  dressĂ©e » ; celle-ci on la diffĂ©renciecependant d'avec la Grande RĂ©surrection finale qui est celle oĂč sontrĂ©unis tous les morts. Mais la vĂ©ritĂ© est que la condition temporelleordinaire Ă©tant rompue, les deux « RĂ©surrections » arrivent Ă  ĂȘtre

façon qu'on peut tarder Ă  se mettre devant le miroir  jusqu'Ă  un certain jour ; sinon, d'ailleurs, pour quelleraison l'aurait-on poli et pour quelle utilitĂ© aurait-il Ă©tĂ©existenciĂ© ? Toutefois (en attendant), des fulgurations ducĂŽtĂ© du RecherchĂ© (al-Mat’lĂ»b) lui brillent, mĂȘme si cesfulgurations ne proviennent pas d'une « forme » (çûrah)car les « formes » que nous avons en vue en cette matiĂšresont des formes spĂ©ciales rĂ©servĂ©es au miroir des ĂȘtres quiconnaissent les rĂ©alitĂ©s fondamentales (ahlu-l-haqĂąiq)12.

Quand tu montes vers ces demeures (manĂązil ) et quetu contemples ces stations (maqĂąmĂąt ), les mystĂšres( ghuyĂ»b) te deviennent visibles ; il s'agit ainsi des« mystĂšres » que recĂšle la forme extĂ©rieure des sciencesde la Religion, non pas de ceux qui concernent les personnes — par exemple le crime commis par un tel oul'adultĂšre par un autre13 — car les mystĂšres de cettederniĂšre catĂ©gorie font l'objet des dĂ©voilements ordinairesdes gens de la voie (mukĂąchafĂątu-s-sĂąlikĂźn).

Si ton mental n'est pas disposĂ© (Ă  accepter ce que jedis) et si tu n'as pas eu le don de la foi en ce maqĂąm (de laScience spirituelle), Allah te permet toutefois de trouver dans le monde extĂ©rieur un exemple au moyen duquel tu pourras monter jusqu'Ă  ce que nous avons mentionnĂ© : Ă savoir que dans le miroir sensible ordinaire les formessensibles ne se rĂ©flĂ©chissent que dans la mesure de son polissage. Le chef des hommes — qu'Allah lui accordegrĂąces unitives et grĂąces salvifiques — a averti Ă  ce sujetlorsqu'il a dit : « Les cƓurs se rouillent comme se rouillele fer ». On lui demanda: « Qu'est-ce qui peut les fourbir alors ? » Il rĂ©pondit « Le dhikr d'Allah et la rĂ©citation duCoran »14. Or de tout temps les exemples ont Ă©tĂ© instituĂ©scomme indices au sujet des sciences seigneuriales : celuiqui s'arrĂȘte avec (la forme extĂ©rieure de) l'exemple estĂ©garĂ© ; celui qui monte au-delĂ  de cette forme jusqu'Ă  larĂ©alitĂ© supĂ©rieure (haqĂźqah) est bien dirigĂ©.

Sache, d'autre part, qu'Ă  ces « PrĂ©sences »correspondent des secrets opĂ©ratifs extĂ©rieurs (asrĂąr  zhĂąhirah) et des secrets opĂ©ratifs intĂ©rieurs (asrĂąr bĂątinah). Les secrets opĂ©ratifs extĂ©rieurs sont pour lesĂȘtres vouĂ©s Ă  la tentation diabolique (ahlu-l-istidrĂąj)15 ; lessecrets intĂ©rieurs sont pour les ĂȘtres attachĂ©s aux rĂ©alitĂ©s profondes (ahlu-l-haqĂąiq).

Tout sage n’est pas sage vĂ©ritable. Le vĂ©ritable sage(hakĂźm) est celui que bride fermement la martingale de lasagesse16 qui l’oblige Ă  s’arrĂȘter lĂ  oĂč tombe « la Parole

simultanĂ©es et coĂŻncident.12- Il s'agit de formes thĂ©ophaniques.13- Le passage inclus entre tirets manque dans Naflz 685 qui porteici, aprĂšs quelque correction visible, seulement lĂą fĂź haqqi fulĂąn =« non au sujet d'un tel ».14- Il s'agit de l'invocation technique d'Allah et de la rĂ©citationrĂ©guliĂšre du Coran.15- Textuellement istidrĂąj signifie « empressement Ă  monter lesdegrĂ©s », ce qui provient d'une inspiration diabolique ; une montĂ©een ces conditions est suivie d'une chute irrĂ©mĂ©diable.16- Textuellement  Al-HakĂźmu man hakamat-hu-l-Hikmatu. — Leterme  Hikmah « sagesse », est de la mĂȘme racine que hakamah,« martingale » (qui entoure le menton du cheval), et Ă©voque ainsiles idĂ©es de « maĂźtrise » et de « gouvernement ». — Dans  FutĂ»hĂąt ,chap. 558 ( Hadratu-l-Hikmah), l’auteur explique encore ceci : « Lesage est bridĂ© fermement par la martingale de la Sagesse, en sorteque c’est la Sagesse qui rĂ©git celui-ci et non lui qui rĂ©git la Sagesse.Car Celui qui rĂ©git la Sagesse possĂšde la VolontĂ© (al-Machü’ah) Ă l’égard de la Sagesse, alors que celui qui est bridĂ© par la Sagesse est

 

tranchante » (entre vrai et faux, entre utile et vain, entreles droits des uns et des autres)17, et l’empĂȘche deregarder Ă  autre chose que son propre Ă©tat ; c’est celui quireste attachĂ© Ă  la vigilance (murĂąqabah) en tous sesinstants. N’est pas sage l’ĂȘtre qui parle de la Sagesse etsur lequel n’apparaissent pas les effets de celle-ci.L’EnvoyĂ© d'Allah — sur lui la Paix — a dit : « Il se peutqu’un porteur de science sacrĂ©e ( fiqh) ne soit pas un sagesagace ( faqĂźh)18 ; la science qu’il porte n’est qu’un dĂ©pĂŽtde confiance qu’il doit remettre Ă  un autre que lui, tell’ñne portant les livres sacrĂ©s (cf. Cor. 62, 5) ».Lorsqu’une sentence de sagesse sort de toi, considĂšre-laen ton propre cas ; si tu en es revĂȘtu, tu en es le titulaire,mais si tu en es dĂ©parĂ©, tu n’en es que porteur responsable.

Tu peux vĂ©rifier cela en considĂ©rant ta droiture ourectitude (istiqĂąmah), selon la voie la plus claire, le parcours le plus direct et la balance la plus exacte, quant Ă ta parole, quant Ă  ton acte et quant Ă  ton cƓur. Car leshommes en matiĂšre de rectitude se rĂ©partissent en 7classes : 2 de ces classes dĂ©tiennent la suprĂ©matie, les 5autres occupent des degrĂ©s infĂ©rieurs.

Il y a tout d’abord celui qui est « droit » (mustaqĂźm)Ă  la fois dans sa parole, dans son acte et dans son cƓur, etensuite celui qui est « droit » dans son acte et dans soncƓur, sans qu’il le soit aussi dans la parole : ces deux casont la supĂ©rioritĂ©, et le premier mentionnĂ© en estĂ©videmment le plus Ă©levĂ©.

Viennent ensuite : Celui qui est « droit » dans sonacte et sa parole mais qui ne l’est pas dans son cƓur ; pour un tel on espĂšre qu’il tire profit d’un autre que soi.Celui qui est « droit » dans sa parole et son cƓur, sansqu’il le soit dans son acte. Celui qui est « droit » dans soncƓur, sans qu’il le soit aussi dans son acte ni dans sa parole. Celui qui est « droit » dans son acte, mais qui nel’est pas dans sa parole ni dans son cƓur. Celui qui est «droit » dans sa parole, et qui ne l’est ni dans son acte, nidans son cƓur.

Dans ces autres cas, la situation est « Ă  la charge »des ĂȘtres respectifs, non pas « en leur faveur » ; toutefois parmi ceux-ci l’un peut ĂȘtre supĂ©rieur Ă  l’autre.

Par la notion de droiture quant Ă  la parole (al istiqĂąmah fĂź-l-qawl ), je ne vise pas l’abstention demĂ©disances, de calomnies et des autres pĂ©chĂ©s pareils, car la notion de rectitude en matiĂšre d’ « acte » inclut toutcela. Mais je vise ainsi le fait de diriger un autre par sa parole vers la Voie Droite, car il est possible que celui quiest ainsi « droit dans sa parole » soit dĂ©parĂ© lui-mĂȘme du but vers lequel il dirige cependant l’autre. Tel est le sensque je donne Ă  la « droiture quant Ă  la parole ».

Tout cela peut ĂȘtre reprĂ©sentĂ© par un exempleunique. Voici un homme qui a Ă©tudiĂ© les rĂšgles sacrĂ©esconcernant la priĂšre d’institution lĂ©gale (çalĂąt ), de sortequ’il en possĂšde bien le sujet, et qui ensuite en instruit unautre : c’est le cas de celui qui est « droit dans sa parole ».Or, voici que le temps d’accomplir la priĂšre arrive, et

rĂ©gi par celle-ci
 ».17-  Façlu-l-KhitĂąb. Cf. Cor. 38, 20 au sujet de David : « Et Nousrenforçùmes son royaume et nous lui donnĂąmes la Sagesse et laParole tranchante ».18- Les termes  fiqh et  faqĂźh sont traduits ici avec le sens qu’ilsavaient du temps du ProphĂšte ; dans le langage d’aujourd’hui, ilsreprĂ©sentent la « science juridique » et le « juriste ».

l’homme s’en acquitte lui-mĂȘme telle qu’il avait enseignĂ©Ă  l’autre, et, ce faisant, il en observe les rĂšglesextĂ©rieures : c’est le cas de celui qui est « droit dans sonacte ». Mais en outre, l’homme sachant que ce qu’Allahveut de lui dans cette priĂšre c’est la « prĂ©sence du cƓur »(hudĂ»ru-l-qalb) pour l’entretien avec Lui, il rend soncƓur prĂ©sent dans sa priĂšre : c’est le cas de celui qui est« droit dans son cƓur ».

Tu peux reporter sur ce schĂ©ma exemplaire le restedes cas de droiture, et tu le trouveras trĂšs Ă©clairant, s’il plaĂźt Ă  Dieu, le TrĂšs-Haut.

D’autre part, il faut que tu saches que les causes quite dĂ©tournent de la Voie de Droiture parfaite ne peuventĂȘtre dĂ©terminĂ©es limitativement. La chose est bien prĂ©cisĂ©e dans le Livre d’Allah le Sublime et dans leshadiths de l’EnvoyĂ© d’Allah — sur lui les grĂąces unitiveset les grĂąces salvifiques —. Comment pourrais-tu ĂȘtrerassurĂ© Ă  l’encontre de la Ruse d’Allah ? D’oĂč pourrais-tutirer une telle sĂ©curitĂ© alors que l’EnvoyĂ© d’Allah — sur lui les grĂąces unitives et les grĂąces salvifiques — disaitlui-mĂȘme : « Ô mon Dieu, je Te demande pardon pour ceque je sais et pour ce que je ne sais pas ! ». Et lorsqu’onlui demanda « Mais est-ce que tu as peur, ĂŽ EnvoyĂ©d’Allah ! », il rĂ©pondit : « Et qui pourrait me garantir,alors que le cƓur est entre deux des doigts du Tout-MisĂ©ricordieux qui le tourne comme Il veut ? ». En outreAllah dit : « Et il leur apparaĂźtra alors de la part d’Allah,ce avec quoi ils ne comptaient pas ! » (Cor. 39, 47).L’homme est sujet au changement et il est affectĂ© par toute qualitĂ© qui le frĂŽle. C’est pourquoi un desConnaissants dĂ©clarait : « Si on m’offrait de choisir entrela mort en martyre de la foi Ă  la porte de la maison et lamort ordinaire, toujours avec profession de l’UnitĂ© Ă  la porte de la chambre, je choisirais la mort en martyre (icidevant la porte de la maison), car je ne sais ce qui peutarriver Ă  mon cƓur comme changement sous le rapport dela profession de l’UnitĂ© avant que je n’arrive Ă  la porte dela chambre ».

Sois en garde tant que ton composĂ© (humain)subsiste. Allah — qu’Il soit exaltĂ© — a dit Ă  MoĂŻse dansla Thora : « Ô Fils d’Adam, ne sois pas rassurĂ© Ă  l’égardde Ma ruse, tant que tu n’as pas franchi le ÇirĂąt (le Pontau-dessus de l’Enfer) ». Les malheurs — qu’Allah t’aieen Sa misĂ©ricorde — sont nombreux, les affaires sontdangereuses, et la Voie est Ă©troite sur laquelle ne setiennent fermement que les ĂȘtres favorisĂ©s par laProvidence.

Or, du fait d’un regard (inconsidĂ©rĂ©) et d’unedĂ©marche (fiĂšre) les pieds glissent. Ne vois-tu pas qu’AbĂ»Sulayman ad-DĂąrĂąni19  dit : « J’ai entendu un desgouvernants dire une chose (critiquable) et je voulus lerĂ©prouver, mais j’ai eu peur qu’il me tue ; or, je n’ai paseu peur de la mort, j’ai craint seulement qu’il ne se prĂ©sente Ă  mon cƓur la tentation d’apparaĂźtre vertueuxdevant les crĂ©atures lors de la sortie de mon Ăąme ; alors jeme suis abstenu ! » Regarde quelle circonspectionobservent de tels ĂȘtres Ă  l’égard d’une possible glissadesachant ce qu’il y a alors comme perte. Si tu veux avoir leurs lumiĂšres et leurs secrets marche sur leurs traces !

19- Un des maßtres du Soufisme, né en 140 à Wùsit, mort en 215 àDùrùya, prÚs de Damas.