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IBN ARABĂ
ĂPĂTRE SUR LES
FACETTES DU COEUR
Traduction et notes de
MICHEL VĂLSAN
PubliĂ©s dans le n° 418 desĂtudes Traditionnelles , 1970
NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE Le petit traité du Cheikh al-Akbar traduit ci-aprÚs, qui n'a
jamais Ă©tĂ© imprimĂ©, est attestĂ© par 8 manuscrits des collections deTurquie (Cf. O. Yahya, Histoire et classification de l'Ćuvre d'Ibn ArabĂź , R.G. n° 62). Pour notre traduction nous nous sommes servide trois d'entre ceux-ci : Carullah 2080i, fol. 1b - 2a, Ă©tabli d'aprĂšsl'original en 791 H. Ă Konya ; Aya Sofya 4875, pp. 202 - 204 ; Nafiz 685, pp. 699 - 703, datĂ© de 1098 H.
Cette derniĂšre copie porte comme titre « ĂpĂźtre du CheikhMuhyu-d-Din Ibn Arabi adressĂ©e au Cheikh Fakhru-d-Din ar-RĂązi,qu'Allah sanctifie le secret de chacun des deux » ( RisĂąlah li-ch-Chaykhi Muhyu-d-DĂźn al-ArabĂź ilĂą-ch-Chaykhi Fakhri-d-DĂźn ar- RĂązi qaddasa-LlĂąhu sirra-humĂą), ce qui est vraisemblablement dĂ» Ă une confusion du copiste avec l'Ă©pĂźtre bien connue portant ce titre, publiĂ©e dans les RasĂąilu-bni-l-ArabĂź (Hayderabad-Dekkan, 1947)n° 15 et dĂ©jĂ traduite par nous dans Ătudes Traditionnelles N° 366-367, juillet Ă octobre 1961.
M. VĂąlsan
Sache1 que le cĆur â compte tenu d'une diversitĂ©d'avis existante chez les Gens des rĂ©alitĂ©s fondamentaleset des dĂ©voilements initiatiques ( Ahlu-l-haqĂąiq wa-l-mukĂąchafĂąt ) â est comme un miroir rond, Ă six facettes(awjĂ»h, sing wajh) selon certains2, Ă huit selon d'autres de
1- Dans le ms. Aya Sofya 4875 manque le mot initial Aâlam =« sache ».2- Ceux-ci sont dĂ©signĂ©s plus loin par le qualificatif des « Gens dela rĂšgle prophĂ©tique » ( Ahlu-s-Sunnah), c'est-Ă -dire ceux qui sontattachĂ©s aux pratiques surĂ©rogatoires du ProphĂšte (sur lui leSalut !) ; dans le cas d'espĂšce ils sont en cause en tant qu'ils s'entiennent aux notions et Ă la terminologie prophĂ©tique. â A proposde ce mĂȘme nombre des facettes du cĆur on trouve ceci dans les FutĂ»hĂąt (chap. 382) de notre auteur : « ...L'ĂȘtre a vers son extĂ©rieur six cĂŽtĂ©s (correspondant aux six directions de l'espace dont iloccupe le centre), et le nombre six possĂšde la perfection, car il estle premier nombre parfait (de la sĂ©rie des nombres entiers) parceque son sixiĂšme, son tiers et sa moitiĂ© font six (autrement dit, cenombre est Ă©gal Ă la somme de ses diviseurs 1+2+3 = 6). Or le cĆur a six facettes ; Ă chaque cĂŽtĂ© spatial correspond une facette du cĆur qui est le cĂŽtĂ© spatial lui-mĂȘme. Par cet Ćil il saisit Dieu (al-Haqq)quand il se manifeste Ă lui dans Son nom « l'Apparent » (azh- ZhĂąhir ). Si la thĂ©ophanie s'Ă©tend Ă tous les cĂŽtĂ©s â en tant que« Lui est de toute chose Enveloppant » (Cor. 41, 54) â le cĆur
ces gens. Or Allah a placĂ© devant chacune des facettes ducĆur une prĂ©sence (hadrah) d'entre les PrĂ©sences divinesfondamentales : et quand3 une de ces facettes se dĂ©couvrela « prĂ©sence » qui lui correspond se montre.Lorsqu'Allah â qu'Il soit glorifiĂ© et exaltĂ© â veutgratifier 4 Son adorateur de quelque chose du domaine deces sciences (intuitives dont nous nous occupons), Il Secharge â qu'il soit glorifiĂ© â de la purification5 dumiroir de son cĆur, y regarde de lâĆil de la Bienveillanceet de la GrĂące propice ( Aynul-Lutfi wa-t -TawfĂźq) et lui fait puiser une aide dans la Mer de la Confirmation ( Bahru-t-Ta'Ăźd ). L'ĂȘtre favorisĂ© par une telle grĂące se trouve alorsguidĂ© vers la pratique des exercices spirituels et desefforts physiques ; il trouve ainsi dans son cĆur le dĂ©sir (ĂźrĂądah) et l'amour (mahabbah). Aussi les membrescorporels se pressent-ils Ă obĂ©ir au cĆur qui est leur maĂźtre et chef. L'adorateur emploie alors les pensĂ©es(afkĂąr ) et l'Ă©lĂ©vation de l'aspiration (himmah), et secaractĂ©rise par les « caractĂšres divins » (akhlĂąqu-llĂąh)6 : illave son cĆur avec l'eau de la vigilance (murĂąqabah) jusqu'Ă ce que s'en dĂ©tache la « rouille des altĂ©ritĂ©s »(çadĂąu-l-aghyĂąr ) et que s'y rĂ©flĂ©chissent les « enceintesdes mystĂšres » (hazhĂąiru-l-asrĂąr ).
La 1Úre facette regarde vers la Présence del'Institution ferme ( Hadratu-l-Ihkùm)7 ; son polissage sefait par les efforts physiques disciplinés (mujùhadùt ).
La 2e facette regarde vers la Présence du Choix préférentiel et du libre Gouvernement ( Hadratu-l-lkhtiyùr wa-t-Tadbßr ) ; son polissage se fait par la rémission de soncommandement à Dieu et la résignation devant Lui (at-tafwßd wa-t-taslßm).
La 3° facette regarde vers la PrĂ©sence de l'Invention( Hadratu-l-lbdĂą'a) ; son polissage se fait par la rĂ©flexion( fikr ) et la considĂ©ration (iâtibĂąr )8.
rĂ©unit avec ses facettes tout ce qui lui apparaĂźt de la part de Dieu dechaque cĂŽtĂ© et il est alors tout entier « lumiĂšre » (nĂ»r ) ». - A cetteidĂ©e de « perfection » est rattachĂ© le symbolisme hexagonal desalvĂ©oles mellifĂšres, dont il est question au chap. 332 du mĂȘmeouvrage.3- Dans Nafiz 685 au lieu de fa-mĂąta = « et quand », on afautivement fa-man = « et qui », leçon qui introduit un dĂ©saccorddans la phrase.4- Dans Carullah 2080, au lieu de an yamnaha = « qu'il le gratifie »,on a an fataha = « qu'Il lui a ouvert », ce qui n'assure pas l'accord.5- Les trois mss. ont ici nettement bi-tawfĂźqi-Hi = « par Sa grĂąceopportune », ce qui apparaĂźt cependant en double emploi dans lesmots qui suivent. Mais le ms. Carullah 2080 (qui est, rappelons-le,copiĂ© sur l'original) Ă propos de cette expression peu commode, prĂ©sente en marge par scrupule du copiste, le « dessin » sans pointsdiacritiques du mot de l'original (l'Ă©criture habituelle d'Ibn Arabßétant sans points diacritiques), oĂč il nous a semblĂ© pouvoir liretaçfiyat = « de la clarification ». La phrase que nous reconstituonset traduisons dans le texte est donc : « âŠtawallĂą â subhĂąna-Hu -taçfiyata mir'Ăąti qalbi-hi ».6- Cf. le hadith : TakhallaqĂ» bi-akhlaqi-llĂąh = « CaractĂ©risez-vous par les caractĂšres d'Allah ! ».7- Dans la terminologie technique des thĂ©ologiens l'ihkĂąm dĂ©signe« l'art de faire parfaitement les choses », ce qui est considĂ©rĂ©, enoutre, comme une preuve logique de la Science divine.8- La notion de al-lbdĂąâa se rattache au nom divin BadĂź'u-s-SamĂąwĂąti wa-l-Ard (Cor. 2, 117 et 6, 101) = « l'Inventeur des Cieuxet de la Terre », c'est-Ă -dire le CrĂ©ateur original qui ne prendmodĂšle sur rien et dont toute crĂ©ation est unique en son espĂšce. Larelation avec le fikr et l'iâtibĂąr rĂ©side dans le fait que l'aspectd' « originalitĂ© » apparaĂźt Ă la suite des actes de rĂ©flexion et deconsidĂ©ration. Le Coran invite souvent Ă rĂ©flĂ©chir sur la crĂ©ation
La 4° facette regarde vers la PrĂ©sence du ProposadressĂ© ( Hadratu-l-KhitĂąb) ; son polissage se fait par larupture d'avec les choses et les ĂȘtres du monde (khalâu-l-akwĂąn wa-l-aghyĂąr )9.
La 5° facette regarde vers la PrĂ©sence de la Vie( Hadratu-l-HayĂ t ) ; son polissage se fait par le rejet desoi-mĂȘme et l'extinction (at-tabarri wa-l-fanĂą).
La 6° facette â qui est la 8° chez ceux qui affirmentqu'il y en a 8 â regarde vers la PrĂ©sence de Ce-qu'on-ne-dit-pas ( Hadratu MĂą lĂą yuqĂąl ) ; le polissage de cettefacette se fait par : « O ! Gens de Yathrib, pas d'arrĂȘt »(Cor. 33, 13)10.
Quant aux deux autres facettes qui constituent le point de la divergence mentionnĂ©e au dĂ©but (Ă savoir la 6°et la 7° chez ceux qui parlent de 8), les Gens attachĂ©s Ă larĂšgle prophĂ©tique (ahlu-s-Sunnah) les ramĂšnent Ă laPrĂ©sence de l'Institution ferme ( Hadratu-l-lhkĂąm), alorsque les autres disent que l'une de ces facettes regarde laPrĂ©sence de la Contemplation ( Hadratu-l-muchĂąhadah),dont le polissage se fait par la vente de l'Ăąme (bayu-n-nafs), et l'autre vers la PrĂ©sence de l'Audition ( Hadratu-s-SamĂąâ ) dont le polissage se fait par le silence et la politesse (aç-çamt wa-l-adab). Il n'y a pas de 9e facette, etAllah â qu'il soit glorifiĂ© â n'a pas Ă dĂ©voiler une autre« prĂ©sence » en plus de ces 8 susmentionnĂ©es qu'Il ainstituĂ©es ; le cĆur n'a pas de facette dans laquelle serĂ©vĂšle la Sagesse divine (al-Hikmatu-l-ilĂąhiyyah) prĂ©vue par le Vouloir Ă©ternel (al-IrĂądatu-l-qadĂźmah) c'est lĂ le point de contestation entre les Acharites (thĂ©ologiensĂ©sotĂ©ristes) et les Soufis, et cela est une chose trĂšs subtileque ne peut comprendre qu'un ĂȘtre jouissant del'expĂ©rience directe (çùhibu dhawq).
Ensuite sache que ces « PrĂ©sences » ont des« portes » qui font face Ă ce qu'il y a comme « rouille »sur la surface du miroir, et qui s'appellent les « portes dela VolontĂ© divine » (abwĂąbu-l-MachĂźah). Dans la mesureoĂč il y a polissage il y a la thĂ©ophanie (at-tajallĂź ), et dansla mesure oĂč l'on ouvre des « portes » il y a la vue Ă dĂ©couvert (al-kachf ). Mais tout miroir poli n'a pasnĂ©cessairement le dĂ©voilement : il est seulement prĂ©parĂ© Ă recevoir des formes. De mĂȘme tout ĂȘtre qui chemine sur cette Voie (at-TarĂźq) n'obtient pas nĂ©cessairement la vue Ă dĂ©couvert ; il se peut que cela lui soit retardĂ© jusqu'auJour de la RĂ©surrection, je veux dire le jour de « sarĂ©surrection personnelle » (qiyĂąmatu-hu)11, de la mĂȘme
des Cieux et de la Terre, et Ă considĂ©rer les exemptes proposĂ©s.9- Cf. ms. Carullah 2080 et Aya Sofya 4875. â Le ms. Nefiz 685 porte ici sabâu-l-akwĂąn = « le rejet des ĂȘtres du monde »,expression peu courante qui doit remonter Ă une leçon fautive duterme authentique khalâu, et qui est d'ailleurs suivie dans ce seulms. d'une explication qui n'est certainement pas de l'auteur ay bi-dhahĂąbi hay'ati-l-akwĂąn wa husnihĂą = « c'est-Ă -dire par l'Ă©loignement des formes des ĂȘtres et de leurs charmes ». Le sensreste ainsi Ă peu prĂšs le mĂȘme dans les deux leçons.10- A signaler que dans le Livre de la ProximitĂ© ( KitĂąbu-l-Qurbah)le Cheikh al-Akbar qualifie par ce mĂȘme fragment de verset, lemaqĂąm des AfrĂąd qui observent le secret le plus parfait de l'IdentitĂ©SuprĂȘme.11- I1 s'agit de ce qu'on appelle aussi la petite RĂ©surrection qui alieu au moment de la mort ordinaire, cf. au hadith : « Pour celui quimeurt la RĂ©surrection s'est dĂ©jĂ dressĂ©e » ; celle-ci on la diffĂ©renciecependant d'avec la Grande RĂ©surrection finale qui est celle oĂč sontrĂ©unis tous les morts. Mais la vĂ©ritĂ© est que la condition temporelleordinaire Ă©tant rompue, les deux « RĂ©surrections » arrivent Ă ĂȘtre
façon qu'on peut tarder Ă se mettre devant le miroir jusqu'Ă un certain jour ; sinon, d'ailleurs, pour quelleraison l'aurait-on poli et pour quelle utilitĂ© aurait-il Ă©tĂ©existenciĂ© ? Toutefois (en attendant), des fulgurations ducĂŽtĂ© du RecherchĂ© (al-MatâlĂ»b) lui brillent, mĂȘme si cesfulgurations ne proviennent pas d'une « forme » (çûrah)car les « formes » que nous avons en vue en cette matiĂšresont des formes spĂ©ciales rĂ©servĂ©es au miroir des ĂȘtres quiconnaissent les rĂ©alitĂ©s fondamentales (ahlu-l-haqĂąiq)12.
Quand tu montes vers ces demeures (manĂązil ) et quetu contemples ces stations (maqĂąmĂąt ), les mystĂšres( ghuyĂ»b) te deviennent visibles ; il s'agit ainsi des« mystĂšres » que recĂšle la forme extĂ©rieure des sciencesde la Religion, non pas de ceux qui concernent les personnes â par exemple le crime commis par un tel oul'adultĂšre par un autre13 â car les mystĂšres de cettederniĂšre catĂ©gorie font l'objet des dĂ©voilements ordinairesdes gens de la voie (mukĂąchafĂątu-s-sĂąlikĂźn).
Si ton mental n'est pas disposĂ© (Ă accepter ce que jedis) et si tu n'as pas eu le don de la foi en ce maqĂąm (de laScience spirituelle), Allah te permet toutefois de trouver dans le monde extĂ©rieur un exemple au moyen duquel tu pourras monter jusqu'Ă ce que nous avons mentionnĂ© : Ă savoir que dans le miroir sensible ordinaire les formessensibles ne se rĂ©flĂ©chissent que dans la mesure de son polissage. Le chef des hommes â qu'Allah lui accordegrĂąces unitives et grĂąces salvifiques â a averti Ă ce sujetlorsqu'il a dit : « Les cĆurs se rouillent comme se rouillele fer ». On lui demanda: « Qu'est-ce qui peut les fourbir alors ? » Il rĂ©pondit « Le dhikr d'Allah et la rĂ©citation duCoran »14. Or de tout temps les exemples ont Ă©tĂ© instituĂ©scomme indices au sujet des sciences seigneuriales : celuiqui s'arrĂȘte avec (la forme extĂ©rieure de) l'exemple estĂ©garĂ© ; celui qui monte au-delĂ de cette forme jusqu'Ă larĂ©alitĂ© supĂ©rieure (haqĂźqah) est bien dirigĂ©.
Sache, d'autre part, qu'Ă ces « PrĂ©sences »correspondent des secrets opĂ©ratifs extĂ©rieurs (asrĂąr zhĂąhirah) et des secrets opĂ©ratifs intĂ©rieurs (asrĂąr bĂątinah). Les secrets opĂ©ratifs extĂ©rieurs sont pour lesĂȘtres vouĂ©s Ă la tentation diabolique (ahlu-l-istidrĂąj)15 ; lessecrets intĂ©rieurs sont pour les ĂȘtres attachĂ©s aux rĂ©alitĂ©s profondes (ahlu-l-haqĂąiq).
Tout sage nâest pas sage vĂ©ritable. Le vĂ©ritable sage(hakĂźm) est celui que bride fermement la martingale de lasagesse16 qui lâoblige Ă sâarrĂȘter lĂ oĂč tombe « la Parole
simultanĂ©es et coĂŻncident.12- Il s'agit de formes thĂ©ophaniques.13- Le passage inclus entre tirets manque dans Naflz 685 qui porteici, aprĂšs quelque correction visible, seulement lĂą fĂź haqqi fulĂąn =« non au sujet d'un tel ».14- Il s'agit de l'invocation technique d'Allah et de la rĂ©citationrĂ©guliĂšre du Coran.15- Textuellement istidrĂąj signifie « empressement Ă monter lesdegrĂ©s », ce qui provient d'une inspiration diabolique ; une montĂ©een ces conditions est suivie d'une chute irrĂ©mĂ©diable.16- Textuellement Al-HakĂźmu man hakamat-hu-l-Hikmatu. â Leterme Hikmah « sagesse », est de la mĂȘme racine que hakamah,« martingale » (qui entoure le menton du cheval), et Ă©voque ainsiles idĂ©es de « maĂźtrise » et de « gouvernement ». â Dans FutĂ»hĂąt ,chap. 558 ( Hadratu-l-Hikmah), lâauteur explique encore ceci : « Lesage est bridĂ© fermement par la martingale de la Sagesse, en sorteque câest la Sagesse qui rĂ©git celui-ci et non lui qui rĂ©git la Sagesse.Car Celui qui rĂ©git la Sagesse possĂšde la VolontĂ© (al-MachĂźâah) Ă lâĂ©gard de la Sagesse, alors que celui qui est bridĂ© par la Sagesse est
tranchante » (entre vrai et faux, entre utile et vain, entreles droits des uns et des autres)17, et lâempĂȘche deregarder Ă autre chose que son propre Ă©tat ; câest celui quireste attachĂ© Ă la vigilance (murĂąqabah) en tous sesinstants. Nâest pas sage lâĂȘtre qui parle de la Sagesse etsur lequel nâapparaissent pas les effets de celle-ci.LâEnvoyĂ© d'Allah â sur lui la Paix â a dit : « Il se peutquâun porteur de science sacrĂ©e ( fiqh) ne soit pas un sagesagace ( faqĂźh)18 ; la science quâil porte nâest quâun dĂ©pĂŽtde confiance quâil doit remettre Ă un autre que lui, tellâĂąne portant les livres sacrĂ©s (cf. Cor. 62, 5) ».Lorsquâune sentence de sagesse sort de toi, considĂšre-laen ton propre cas ; si tu en es revĂȘtu, tu en es le titulaire,mais si tu en es dĂ©parĂ©, tu nâen es que porteur responsable.
Tu peux vĂ©rifier cela en considĂ©rant ta droiture ourectitude (istiqĂąmah), selon la voie la plus claire, le parcours le plus direct et la balance la plus exacte, quant Ă ta parole, quant Ă ton acte et quant Ă ton cĆur. Car leshommes en matiĂšre de rectitude se rĂ©partissent en 7classes : 2 de ces classes dĂ©tiennent la suprĂ©matie, les 5autres occupent des degrĂ©s infĂ©rieurs.
Il y a tout dâabord celui qui est « droit » (mustaqĂźm)Ă la fois dans sa parole, dans son acte et dans son cĆur, etensuite celui qui est « droit » dans son acte et dans soncĆur, sans quâil le soit aussi dans la parole : ces deux casont la supĂ©rioritĂ©, et le premier mentionnĂ© en estĂ©videmment le plus Ă©levĂ©.
Viennent ensuite : Celui qui est « droit » dans sonacte et sa parole mais qui ne lâest pas dans son cĆur ; pour un tel on espĂšre quâil tire profit dâun autre que soi.Celui qui est « droit » dans sa parole et son cĆur, sansquâil le soit dans son acte. Celui qui est « droit » dans soncĆur, sans quâil le soit aussi dans son acte ni dans sa parole. Celui qui est « droit » dans son acte, mais qui nelâest pas dans sa parole ni dans son cĆur. Celui qui est «droit » dans sa parole, et qui ne lâest ni dans son acte, nidans son cĆur.
Dans ces autres cas, la situation est « Ă la charge »des ĂȘtres respectifs, non pas « en leur faveur » ; toutefois parmi ceux-ci lâun peut ĂȘtre supĂ©rieur Ă lâautre.
Par la notion de droiture quant Ă la parole (al istiqĂąmah fĂź-l-qawl ), je ne vise pas lâabstention demĂ©disances, de calomnies et des autres pĂ©chĂ©s pareils, car la notion de rectitude en matiĂšre dâ « acte » inclut toutcela. Mais je vise ainsi le fait de diriger un autre par sa parole vers la Voie Droite, car il est possible que celui quiest ainsi « droit dans sa parole » soit dĂ©parĂ© lui-mĂȘme du but vers lequel il dirige cependant lâautre. Tel est le sensque je donne Ă la « droiture quant Ă la parole ».
Tout cela peut ĂȘtre reprĂ©sentĂ© par un exempleunique. Voici un homme qui a Ă©tudiĂ© les rĂšgles sacrĂ©esconcernant la priĂšre dâinstitution lĂ©gale (çalĂąt ), de sortequâil en possĂšde bien le sujet, et qui ensuite en instruit unautre : câest le cas de celui qui est « droit dans sa parole ».Or, voici que le temps dâaccomplir la priĂšre arrive, et
rĂ©gi par celle-ci⊠».17- Façlu-l-KhitĂąb. Cf. Cor. 38, 20 au sujet de David : « Et Nousrenforçùmes son royaume et nous lui donnĂąmes la Sagesse et laParole tranchante ».18- Les termes fiqh et faqĂźh sont traduits ici avec le sens quâilsavaient du temps du ProphĂšte ; dans le langage dâaujourdâhui, ilsreprĂ©sentent la « science juridique » et le « juriste ».
lâhomme sâen acquitte lui-mĂȘme telle quâil avait enseignĂ©Ă lâautre, et, ce faisant, il en observe les rĂšglesextĂ©rieures : câest le cas de celui qui est « droit dans sonacte ». Mais en outre, lâhomme sachant que ce quâAllahveut de lui dans cette priĂšre câest la « prĂ©sence du cĆur »(hudĂ»ru-l-qalb) pour lâentretien avec Lui, il rend soncĆur prĂ©sent dans sa priĂšre : câest le cas de celui qui est« droit dans son cĆur ».
Tu peux reporter sur ce schĂ©ma exemplaire le restedes cas de droiture, et tu le trouveras trĂšs Ă©clairant, sâil plaĂźt Ă Dieu, le TrĂšs-Haut.
Dâautre part, il faut que tu saches que les causes quite dĂ©tournent de la Voie de Droiture parfaite ne peuventĂȘtre dĂ©terminĂ©es limitativement. La chose est bien prĂ©cisĂ©e dans le Livre dâAllah le Sublime et dans leshadiths de lâEnvoyĂ© dâAllah â sur lui les grĂąces unitiveset les grĂąces salvifiques â. Comment pourrais-tu ĂȘtrerassurĂ© Ă lâencontre de la Ruse dâAllah ? DâoĂč pourrais-tutirer une telle sĂ©curitĂ© alors que lâEnvoyĂ© dâAllah â sur lui les grĂąces unitives et les grĂąces salvifiques â disaitlui-mĂȘme : « Ă mon Dieu, je Te demande pardon pour ceque je sais et pour ce que je ne sais pas ! ». Et lorsquâonlui demanda « Mais est-ce que tu as peur, ĂŽ EnvoyĂ©dâAllah ! », il rĂ©pondit : « Et qui pourrait me garantir,alors que le cĆur est entre deux des doigts du Tout-MisĂ©ricordieux qui le tourne comme Il veut ? ». En outreAllah dit : « Et il leur apparaĂźtra alors de la part dâAllah,ce avec quoi ils ne comptaient pas ! » (Cor. 39, 47).Lâhomme est sujet au changement et il est affectĂ© par toute qualitĂ© qui le frĂŽle. Câest pourquoi un desConnaissants dĂ©clarait : « Si on mâoffrait de choisir entrela mort en martyre de la foi Ă la porte de la maison et lamort ordinaire, toujours avec profession de lâUnitĂ© Ă la porte de la chambre, je choisirais la mort en martyre (icidevant la porte de la maison), car je ne sais ce qui peutarriver Ă mon cĆur comme changement sous le rapport dela profession de lâUnitĂ© avant que je nâarrive Ă la porte dela chambre ».
Sois en garde tant que ton composĂ© (humain)subsiste. Allah â quâIl soit exaltĂ© â a dit Ă MoĂŻse dansla Thora : « Ă Fils dâAdam, ne sois pas rassurĂ© Ă lâĂ©gardde Ma ruse, tant que tu nâas pas franchi le ĂirĂąt (le Pontau-dessus de lâEnfer) ». Les malheurs â quâAllah tâaieen Sa misĂ©ricorde â sont nombreux, les affaires sontdangereuses, et la Voie est Ă©troite sur laquelle ne setiennent fermement que les ĂȘtres favorisĂ©s par laProvidence.
Or, du fait dâun regard (inconsidĂ©rĂ©) et dâunedĂ©marche (fiĂšre) les pieds glissent. Ne vois-tu pas quâAbĂ»Sulayman ad-DĂąrĂąni19 dit : « Jâai entendu un desgouvernants dire une chose (critiquable) et je voulus lerĂ©prouver, mais jâai eu peur quâil me tue ; or, je nâai paseu peur de la mort, jâai craint seulement quâil ne se prĂ©sente Ă mon cĆur la tentation dâapparaĂźtre vertueuxdevant les crĂ©atures lors de la sortie de mon Ăąme ; alors jeme suis abstenu ! » Regarde quelle circonspectionobservent de tels ĂȘtres Ă lâĂ©gard dâune possible glissadesachant ce quâil y a alors comme perte. Si tu veux avoir leurs lumiĂšres et leurs secrets marche sur leurs traces !
19- Un des maßtres du Soufisme, né en 140 à Wùsit, mort en 215 à Dùrùya, prÚs de Damas.