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REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - MARS 2010 - N°420 // 21 En Europe et aux États-Unis, on assiste depuis une dizaine d’années à une recru- descence des diarrhées à Clostridium difficile (CD), avec un impact majeur en termes de mortalité et morbidité. Cette explosion épidémique est probablement liée à une utilisation plus large des anti- biotiques, favorisant l’émergence de la bactérie au niveau digestif. Une épi- démie liée à la souche hypervirulente BI/NAP1/027 a par ailleurs été récemment rapportée. Le traitement de ces infections utilise soit le métronidazole, soit la vanco- mycine, mais ces traitements se heurtent à une fréquence encore trop importante d’échecs et surtout de récidives. L’association à ces deux agents antibac- tériens de deux anticorps monoclonaux (ACM) d’origine humaine, dirigés contre les toxines A et B de C. difficile, a été évaluée dans un essai de phase 2, ran- domisé en double aveugle contre pla- cebo. Les anticorps ont été simultané- ment administrés à la dose de 10 mg/kg en injection unique, au début du traite- ment par métronidazole ou vancomy- cine d’une infection symptomatique à CD chez 101 patients, dont l’évolution a été comparée aux 99 sujets contrôles de l’étude, traités par l’antibiotique plus un placebo. Le taux de rechutes après traitement (cri- tère de jugement principal) est plus fai- ble chez les sujets ayant reçu les ACM, comparé à celui observé dans le groupe placebo (7 % vs 25 %, p < 0,001). Ce résul- tat est également observé dans le sous- groupe des infections liées à la souche BI/NAP1/027 (8 % vs 32 %, p = 0,06) ou chez les sujets ayant présenté des anté- cédents d’infections à CD (7 % vs 38 %, p = 0,006). La gravité de la symptomatologie et la durée moyenne de l’hospitalisation (9,5 et 9,4 jours respectivement) sont en revan- che similaires dans les deux groupes. Les ACM ne paraissent pas moins bien tolérés que le placebo puisque un effet secondaire sérieux est rapporté par 18 patients du groupe ACM contre 28 patients du groupe placebo (p = 0,09). Cette efficacité vis-à-vis de la rechute, conférée par les anticorps monoclonaux dirigés contre les toxines du CD, doit main- tenant être confirmée par des essais de phase 3 de plus grande envergure. Lowy L, Molrine DC, Leav BA, et al. N Engl J Med 2010;362:197-205. ACM contre C. difficile Au mois d’août 2006, un homme de 75 ans non diabétique, non alcoolique, avec hyper- tension et fibrillation auriculaire, est admis à l’hôpital pour fièvre, otalgie, otorrhée, hyperphagie et enrouement. Douze ans auparavant, il a dû subir une perforation bilatérale de la membrane tympanique pour une otalgie intermittente et une otorrhée. Au mois de mai 2006, son ORL a prescrit de l’ofloxacine en gouttes auriculaires et de la ciprofloxacine pour une otalgie et une otorrhée. Au mois de juin 2006, il est admis à l’hôpital pour une paralysie du nerf facial droit périphérique, et une asthénie. Il était fébrile avec une CRP sérique à 72 mg/L. Le reste du bilan sanguin est normal. Le scanner et l’IRM cérébrale montrent une opacification de la mastoïde droite sans pathologie intracrânienne ou méningée. La radiographie thoracique est normale. Le diagnostic de mastoïdite est donc posé et un traitement antibiotique par ceftazidime et flucloxacilline est institué. L’exploration chirurgicale montre une granulation tissu- laire dans le canal auditif externe. A l’exa- men microscopique, il existe une nécrose inflammatoire chronique active. Les cultures sont négatives et l’évolution du patient est favorable en deux semaines. Au mois d’août, une dysfonction du nerf crânien est diagnostiquée ainsi qu’une anomalie des nerfs vagaux et glossopha- rygiens droits. La CRP est à 57 mg/L avec un compte de globules blancs normal. Les cultures bactériologiques au niveau de l’oreille retrouvent Pseudomonas aeru- ginosa et l’amoxicilline est donc remplacée par le meropénème. Deux semaines plus tard, le patient développe une céphalée, une douleur de la nuque et une paralysie du nerf abducteur. L’analyse du liquide céphalora- chidien montre une pléiocytose avec des leucocytes à 17,10 6 /L. Le tableau clinique suggère une méningite chronique mais les cultures restent négatives. Le patient décèdera trois semaines plus tard d’une pneumonie. L’autopsie montre un exsudat leptoméningé purulent. Il existe une inflammation nécrosante active chronique des nerfs crâniens. La culture de l’exsudat est positive à Pseudallescheria boydii. Cette bactérie est retrouvée habituellement dans l’eau polluée et le sol. Les infections du sys- tème nerveux central restent très rares. Stalpers X, Bol MS. Lancet 2009;373:1658. Une infection auriculaire fatale Les agents stimulant l’érythropoïèse (EPO) augmentent les concentrations en hémo- globine, réduisent la nécessité de réaliser des transfusions sanguines et contribuent à la qualité de vie des patients atteints de cancer en réduisant la fatigue générale liée à l’anémie. Cependant, les EPO ten- dent à augmenter le risque d’accidents thrombo-emboliques, peuvent stimuler la croissance tumorale et augmenter ainsi la mortalité. Une méta-analyse de plusieurs études randomisées a visé à comparer l’intérêt de tels agents par rapport à une transfusion sanguine pour le traitement d’une ané- mie chez des patients atteints de cancer, traités ou non par chimiothérapie. Les données des patients traités par époetine alpha, l’époetine beta ou darbépoetine alpha ont été analysées par un modèle statistique de méta-analyse. Plusieurs points ont été notés comme la mortalité et la survie chez ces patients au cours d’un tel traitement. Au total, près de 14 000 patients atteints de cancer ont été enrôlés dans 53 études. Les résultats ont montré que les EPO augmentent de manière significative la mortalité pendant la période étudiée. Près de 11 000 patients ayant une chimiothé- rapie ont été enrôlés dans 38 études. Là encore, la mortalité est accrue chez les patients bénéficiant d’une EPO recom- binante. Ce type de molécule semble donc contrebalancer les effets positifs des chimiothérapies. D’autres données sont nécessaires pour évaluer l’effet de ces agents sur la progres- sion tumorale. Des recherches devront être réalisées afin de clarifier les mécanismes moléculaires et cellulaires des effets des agents stimulant l’érythropoïèse sur la thrombogenèse et les effets potentiels sur la croissance tumorale. Bohlius J, Schmidlin K. Lancet 2009;373:1532-42. EPO recombinante et cancer

EPO recombinante et cancer

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REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - MARS 2010 - N°420 // 21

En Europe et aux États-Unis, on assiste depuis une dizaine d’années à une recru-descence des diarrhées à Clostridium difficile (CD), avec un impact majeur en termes de mortalité et morbidité. Cette explosion épidémique est probablement liée à une utilisation plus large des anti-biotiques, favorisant l’émergence de la bactérie au niveau digestif. Une épi-démie liée à la souche hypervirulente BI/NAP1/027 a par ailleurs été récemment rapportée. Le traitement de ces infections utilise soit le métronidazole, soit la vanco-mycine, mais ces traitements se heurtent à une fréquence encore trop importante d’échecs et surtout de récidives.L’association à ces deux agents antibac-tériens de deux anticorps monoclonaux (ACM) d’origine humaine, dirigés contre les toxines A et B de C. difficile, a été évaluée dans un essai de phase 2, ran-domisé en double aveugle contre pla-cebo. Les anticorps ont été simultané-ment administrés à la dose de 10 mg/kg en injection unique, au début du traite-ment par métronidazole ou vancomy-cine d’une infection symptomatique à CD chez 101 patients, dont l’évolution a été comparée aux 99 sujets contrôles

de l’étude, traités par l’antibiotique plus un placebo.Le taux de rechutes après traitement (cri-tère de jugement principal) est plus fai-ble chez les sujets ayant reçu les ACM, comparé à celui observé dans le groupe placebo (7 % vs 25 %, p < 0,001). Ce résul-tat est également observé dans le sous-groupe des infections liées à la souche BI/NAP1/027 (8 % vs 32 %, p = 0,06) ou chez les sujets ayant présenté des anté-cédents d’infections à CD (7 % vs 38 %, p = 0,006). La gravité de la symptomatologie et la durée moyenne de l’hospitalisation (9,5 et 9,4 jours respectivement) sont en revan-che similaires dans les deux groupes. Les ACM ne paraissent pas moins bien tolérés que le placebo puisque un effet secondaire sérieux est rapporté par 18 patients du groupe ACM contre 28 patients du groupe placebo (p = 0,09). Cette efficacité vis-à-vis de la rechute, conférée par les anticorps monoclonaux dirigés contre les toxines du CD, doit main-tenant être confirmée par des essais de phase 3 de plus grande envergure.

Lowy L, Molrine DC, Leav BA, et al. N Engl J Med 2010;362:197-205.

ACM contre C. difficile

Au mois d’août 2006, un homme de 75 ans non diabétique, non alcoolique, avec hyper-tension et fibrillation auriculaire, est admis à l’hôpital pour fièvre, otalgie, otorrhée, hyperphagie et enrouement. Douze ans auparavant, il a dû subir une perforation bilatérale de la membrane tympanique pour une otalgie intermittente et une otorrhée. Au mois de mai 2006, son ORL a prescrit de l’ofloxacine en gouttes auriculaires et de la ciprofloxacine pour une otalgie et une otorrhée. Au mois de juin 2006, il est admis à l’hôpital pour une paralysie du nerf facial droit périphérique, et une asthénie. Il était fébrile avec une CRP sérique à 72 mg/L. Le reste du bilan sanguin est normal.Le scanner et l’IRM cérébrale montrent une opacification de la mastoïde droite sans pathologie intracrânienne ou méningée. La radiographie thoracique est normale. Le diagnostic de mastoïdite est donc posé et un traitement antibiotique par ceftazidime et flucloxacilline est institué. L’exploration chirurgicale montre une granulation tissu-laire dans le canal auditif externe. A l’exa-men microscopique, il existe une nécrose inflammatoire chronique active. Les cultures sont négatives et l’évolution du patient est favorable en deux semaines.Au mois d’août, une dysfonction du nerf crânien est diagnostiquée ainsi qu’une anomalie des nerfs vagaux et glossopha-rygiens droits. La CRP est à 57 mg/L avec un compte de globules blancs normal. Les cultures bactériologiques au niveau de l’oreille retrouvent Pseudomonas aeru-ginosa et l’amoxicilline est donc remplacée par le meropénème. Deux semaines plus tard, le patient développe une céphalée, une douleur de la nuque et une paralysie du nerf abducteur. L’analyse du liquide céphalora-chidien montre une pléiocytose avec des leucocytes à 17,106/L. Le tableau clinique suggère une méningite chronique mais les cultures restent négatives.Le patient décèdera trois semaines plus tard d’une pneumonie. L’autopsie montre un exsudat leptoméningé purulent. Il existe une inflammation nécrosante active chronique des nerfs crâniens. La culture de l’exsudat est positive à Pseudallescheria boydii. Cette bactérie est retrouvée habituellement dans l’eau polluée et le sol. Les infections du sys-tème nerveux central restent très rares.

Stalpers X, Bol MS. Lancet 2009;373:1658.

Une infection auriculaire fataleLes agents stimulant l’érythropoïèse (EPO)

augmentent les concentrations en hémo-globine, réduisent la nécessité de réaliser des transfusions sanguines et contribuent à la qualité de vie des patients atteints de cancer en réduisant la fatigue générale liée à l’anémie. Cependant, les EPO ten-dent à augmenter le risque d’accidents thrombo-emboliques, peuvent stimuler la croissance tumorale et augmenter ainsi la mortalité. Une méta-analyse de plusieurs études randomisées a visé à comparer l’intérêt de tels agents par rapport à une transfusion sanguine pour le traitement d’une ané-mie chez des patients atteints de cancer, traités ou non par chimiothérapie. Les données des patients traités par époetine alpha, l’époetine beta ou darbépoetine alpha ont été analysées par un modèle statistique de méta-analyse. Plusieurs points ont été notés comme la mortalité et la survie chez ces patients au cours d’un tel traitement.

Au total, près de 14 000 patients atteints de cancer ont été enrôlés dans 53 études. Les résultats ont montré que les EPO augmentent de manière significative la mortalité pendant la période étudiée. Près de 11 000 patients ayant une chimiothé-rapie ont été enrôlés dans 38 études. Là encore, la mortalité est accrue chez les patients bénéficiant d’une EPO recom-binante. Ce type de molécule semble donc contrebalancer les effets positifs des chimiothérapies. D’autres données sont nécessaires pour évaluer l’effet de ces agents sur la progres-sion tumorale. Des recherches devront être réalisées afin de clarifier les mécanismes moléculaires et cellulaires des effets des agents stimulant l’érythropoïèse sur la thrombogenèse et les effets potentiels sur la croissance tumorale.

Bohlius J, Schmidlin K. Lancet 2009;373:1532-42.

EPO recombinante et cancer