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 Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Universit é du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.  Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : [email protected]  Article  Marcos Ancelovici Sociologie et sociétés , vol. 41, n° 2, 2009, p. 39-61.  Pour citer la version numérique de cet article, utiliser l'adresse suivante : http://id.erudit.org/iderudit/039258ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.e rudit.org/documen tation/eruditPolitiqu eUtilisation.pdf Document téléchargé le 7 mars 2010 « Esquisse d’une théorie de la contestation : Bourdieu et le modèle du processus politique »

Esquisse Dune Theorie de La Contestation Published

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Papier de Bourdieu et le modèle du processus politique

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  • rudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de l'Universit de Montral, l'Universit Laval et l'Universit du Qubec

    Montral. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. rudit offre des services d'dition numrique de documents

    scientifiques depuis 1998.

    Pour communiquer avec les responsables d'rudit : [email protected]

    Article

    Marcos AnceloviciSociologie et socits, vol. 41, n 2, 2009, p. 39-61.

    Pour citer la version numrique de cet article, utiliser l'adresse suivante :http://id.erudit.org/iderudit/039258arNote : les rgles d'criture des rfrences bibliographiques peuvent varier selon les diffrents domaines du savoir.

    Ce document est protg par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'rudit (y compris la reproduction) est assujettie sa politique

    d'utilisation que vous pouvez consulter l'URI http://www.erudit.org/documentation/eruditPolitiqueUtilisation.pdf

    Document tlcharg le 7 mars 2010

    Esquisse dune thorie de la contestation: Bourdieu et le modle du processus politique

  • Comment expliquer lmergence et le dclin de mobilisations contestataires ?Comme le remarque lintroduction de ce numro, la faon la plus rpandue derpondre une telle question est de sinspirer du modle dit du processus politique

    pour retracer laccumulation des ressources des acteurs, leurs cadres daction collec-

    tive et, surtout, leur interaction avec la structure des opportunits politiques. De nom-

    breux auteurs ont insist sur les cueils et les lacunes dune telle approche, notamment

    son hypothse centrale voulant que la dynamique des mouvements sociaux et des vagues

    contestataires en gnral soit conditionne par le rapport ltat.

    Dans cet article, plutt de rejeter en bloc le modle du processus politique, nous

    voudrions laborer, partir de luvre de Pierre Bourdieu et, tout particulirement,

    de sa thorie des champs, lesquisse dune alternative qui reprenne les lments cen-

    traux de la logique explicative de ce modle tout en llargissant aux sphres non ta-

    tiques ou, du moins, aux arnes institutionnelles qui ne sont pas principalement

    marcos anceloviciDpartement de sociologiePavillon LeacockUniversit McGill855, rue Sherbrooke OuestMontral (Qubec) H3A 2T7Courriel : [email protected]

    39

    Esquisse dune thorie de la contestation :

    Bourdieu et le modle du processus politique*

    * Le titre est bien videmment inspir de louvrage fondateur de Bourdieu, Esquisse dune thoriede la pratique, publi en 1972. Certains aspects de cet article ont t discuts dans le cadre du sminaire duGroupe de recherche sur les institutions et les mouvements sociaux (GRIMS) en janvier 2009. Je tiens remercier les participants du sminaire ainsi que Pierre Hamel et les valuateurs anonymes de la revueSociologie et Socits pour leurs commentaires et leurs suggestions.

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  • structures autour de ltat. Aussi notre dmarche sinspire-t-elle de lappel

    dArmstrong et Bernstein (2008) en faveur dune perspective multi-institutionnelle

    tout en sen dmarquant par son souci de renouveler lambition explicative du modle

    du processus politique. Cette ambition a le mrite de chercher mettre de lavant non

    pas des lois gnrales invariantes, comme certains le lui ont reproch (voir, par exemple,

    Goodwin et Jasper, 2004), mais des processus rcurrents que lon retrouverait dans dif-

    frents contextes (voir McAdam, Tarrow et Tilly, 2001 ; Tilly et Tarrow, 2007).

    Dans cette optique, nous prsenterons dabord rapidement le modle du proces-

    sus politique ainsi que les bases de sa logique explicative. Ensuite, aprs avoir repris

    quelques critiques centrales de ce modle, nous exposerons la thorie des champs de

    Bourdieu et montrerons comment elle peut contribuer au renouvellement du modle

    du processus politique. Enfin, nous expliquerons en quoi cette reformulation du modle

    du processus politique permet de rpondre certaines critiques tout en reprsentant

    un vritable gain pistmique. Bien que la thorie prsente dans cet article sinspire de

    travaux empiriques, nous tenons prciser quil sagit avant tout dune srie de pro-

    positions ou dhypothses, voire dun programme de recherche, plutt que la cons-

    quence analytique dune recherche empirique dj ralise. Notre esquisse dune thorie

    de la contestation reste donc tre valide empiriquement avant que nous puissions

    srieusement affirmer quelle reprsente une alternative convaincante au modle du

    processus politique.

    le modle du processus politique

    Le modle du processus politique est apparu aux tats-Unis la fin des annes 1970

    dans un souci de se distinguer tant des approches classiques, qui insistaient sur les

    facteurs psychologiques et prsentaient les mouvements sociaux comme des phno-

    mnes irrationnels rsultant dun processus datomisation, que de lapproche de la

    mobilisation des ressources, qui se contentait dtudier la faon dont des entrepreneurs

    agissant rationnellement et stratgiquement parvenaient mobiliser des ressources

    des fins contestataires (McAdam, 1999 : 5-59 ; Tarrow, 1998). Alors que les approches

    classiques accordaient une place centrale aux griefs des acteurs, le modle du proces-

    sus politique va dans le mme sens que lapproche de la mobilisation des ressources et

    suppose que les griefs dune population donne sont relativement stables tandis que sa

    capacit dagir varie dans le temps et lespace. Mais contrairement lapproche de la

    mobilisation des ressources, le modle du processus politique va au-del des facteurs

    organisationnels pour prendre en compte, comme son nom lindique, les facteurs poli-

    tiques et la dynamique processuelle. Les mouvements sociaux seraient ainsi en constante

    transformation en fonction de leurs interactions avec la politique institutionnelle. Cette

    dimension interactionnelle suppose quil est impossible de prdire la trajectoire dun

    mouvement social. Tout au plus peut-on identifier des conditions susceptibles de favo-

    riser son mergence ou son dclin ainsi quidentifier les principaux mcanismes et pro-

    cessus qui structureront les mobilisations et, sil y a lieu, le cycle de protestation.

    40 sociologie et socits vol. xli.2

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  • Le modle du processus politique se concentre gnralement sur laccumulation

    des ressources par des organisations indignes , cest--dire locales ou issues des

    groupes exclus, sur le cadrage des opportunits et des revendications (ou, encore, sur

    ce que McAdam a appel la libration cognitive des insurgs [1999 : 48-51]) et, sur-

    tout, sur les effets de la structure des opportunits politiques. Bien que cette dernire

    ne soit pas le seul facteur que le modle du processus politique prend en compte, elle

    est rapidement devenue sa marque de commerce et est souvent perue comme sa prin-

    cipale contribution lanalyse des mouvements sociaux (cf. Meyer, 2004; Giugni, 2009).

    En effet, limportance de laccumulation et de la mobilisation des ressources tait dj

    au cur des travaux de McCarthy et Zald (1977), avant lavnement du modle du

    processus politique, tandis que les facteurs culturels ont commenc tre vraiment

    pris au srieux uniquement vers la fin des annes 1980, dans la ligne des travaux de

    David Snow et de ses collgues sur le cadrage des problmes sociaux et des revendica-

    tions (Snow et al., 1986) et, dans une moindre mesure, dAlberto Melucci (1985) et

    dAlain Touraine (1985) sur lidentit collective (voir aussi Cohen, 1985)1. Aussi, notre

    discussion du modle du processus politique se concentrera sur la notion de structure

    des opportunits politiques sans pour autant prtendre que celui-l se rduit celle-ci2.

    La structure des opportunits politiques (SOP) peut tre apprhende en tant que

    variable, comme cest le cas dans le modle traditionnel du processus politique, ou en

    tant que processus constitu de plusieurs mcanismes, comme cest le cas dans le

    modle rvis ou actualis du processus politique3. Dans un texte souvent cit, Tarrow

    (1998 : 76-77) la dfinit comme lensemble des dimensions rcurrentes mais pas

    ncessairement formelles ou permanentes de lenvironnement politique qui sont une

    source dincitation laction collective en affectant les attentes de succs ou dchec

    des gens 4. De faon gnrale, il sagit didentifier les facteurs qui peuvent faire

    41Esquisse dune thorie de la contestation

    1. Bien que Tilly ait pris en compte certains traits culturels en introduisant ds la fin des annes1970 le concept de rpertoire daction (cf. Tilly, 1978), ce dernier ne commena connatre un certain suc-cs et tre repris par dautres chercheurs qu partir du milieu des annes 1990 (voir Traugott, 1995). De plus,Tilly ne retourna ce concept de faon systmatique que dans son dernier livre, trente ans plus tard (cf. Tilly,2008). De mme, bien que McAdam (1999 [1982]) parle de libration cognitive dans un des livres qui ale plus contribu tablir et faire connatre le modle du processus politique au dbut des annes 1980, celle-ci ne joue quun rle darrire-plan dans lexplication de McAdam de lmergence du mouvement des droitsciviques aux tats-Unis. Depuis, McAdam a grandement largi sa conception du rle des facteurs culturelsdans les mobilisations (voir, par exemple, McAdam, 1994).

    2. Dans sa rponse aux critiques de Goodwin et Jasper (2004), Tarrow (2004 : 42-43) svertuedailleurs expliquer que le modle du processus politique ne se rduit pas la structure des opportunitspolitiques et prend galement en compte les rpertoires daction, les identits collectives, les cadres dactioncollective, les structures de mobilisation, les rseaux et lancrage historique des mobilisations.

    3. Tandis que le modle traditionnel est reprsent par les premiers travaux respectifs de Tilly (1978),McAdam (1999 [1982]) et Tarrow (1989), le modle rvis le modle de la politique contestataire (conten-tious politics ) est le produit de leur coopration systmatique depuis la moiti des annes 1990 (voirMcAdam, Tarrow et Tilly 2001). Bien quil mette davantage laccent sur les mcanismes qui gnrent leseffets observs, le modle rvis partage les mmes prmisses que le modle traditionnel.

    4. moins que cela ne soit explicitement not, toutes les citations provenant de sources en anglaissont notre traduction.

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  • augmenter ou baisser le cot tangible ou non de laction collective et, ainsi, la

    favoriser ou la rendre moins probable. Tarrow (1996, 1998) distingue une dimension

    statique de la SOP dune dimension dynamique. La premire renvoie la puissance de

    ltat (fort/faible) et aux principales stratgies auxquelles celui-ci fait appel pour faire

    face aux insurrections civiles (inclusion/exclusion). ces deux indicateurs sajoute le

    degr de pacification du conflit de classe au sein dune socit, largument tant quun

    clivage de classe saillant implique que les nouveaux enjeux et les nouveaux acteurs

    seront absorbs par ce clivage et ne russiront pas mobiliser des appuis importants et

    affecter de manire significative les termes du dbat public (voir Kriesi et al., 1995).

    Dans la mesure o ces trois facteurs changent lentement, ils expliquent davantage la

    nature et la vitalit dun mouvement donn ainsi que les tactiques et moyens quil est

    susceptible de mettre en uvre plutt que son mergence ou son dclin comme tels.

    Pour rendre compte de lmergence ou du dclin dun mouvement, le modle du

    processus politique se penche principalement sur la dimension dynamique de la SOP.

    Tarrow (1996) mentionne notamment les changements permettant un plus grand accs

    au systme politique (comme, par exemple, une facilitation de lexercice du droit de

    vote), un ralignement politique (souvent lectoral) changeant lquilibre des forces

    en prsence, une plus grande cohsion ou division des lites contribuant la construc-

    tion dalliances avec des figures publiques influentes et, enfin, la raction de ltat

    (rpressive ou non)5. Selon cette logique, des changements au sein du systme poli-

    tique ont un effet sur la propension des acteurs agir collectivement et sur leur capa-

    cit de mobilisation et, ainsi, sur la probabilit quun mouvement social ou une vague

    contestataire se dveloppe ou, au contraire, rgresse. Lorsque la SOP slargit, les mobi-

    lisations sont susceptibles daugmenter, tant en nombre quen cadence. Par contre,

    lorsquelle se contracte, les mobilisations diminueront dintensit6.

    Le modle du processus politique place donc le rapport ltat au cur de la

    dynamique des mouvements sociaux et rserve mme lappellation de mouvement

    social un type particulier de contestation politique. Daprs Tilly (2008) et le modle

    du processus politique, la majorit des cas daction collective, des quipes de baseball

    aux associations de quartier, ne sont pas des formes de contestation politique et ne

    participent donc pas un mouvement social. Un cas de contestation devient politique

    et, ainsi, potentiellement un mouvement social, partir du moment o il affecte le

    gouvernement : Nous entrons dans le domaine de la politique lorsque nous inter-

    agissons avec des agents du gouvernement, que ce soit en traitant avec eux directement

    ou en sinvestissant dans des activits affectant les droits, les rgulations et les intrts

    du gouvernement (Tilly, 2008 : 6).

    42 sociologie et socits vol. xli.2

    5. La version rvise ou actualise du modle du processus politique souligne les mmes facteurs (voirTilly et Tarrow, 2007 : 57).

    6. Ceci dit, lorsque la SOP slargit, il est galement possible que les mobilisations se multiplient aupoint de mener lmergence de ce que Tarrow (1989, 1998) a appel un cycle de protestation. Dans untel contexte, comme la soulign McAdam (1995), les mobilisations qui suivent (les spin-off movements) senourrissent de llan des premires (les initiator movements) et non plus des fluctuations de la SOP commetelle.

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  • Certains auteurs ont remarqu avec raison quune telle approche suppose une

    conception troite du politique et nglige le fait que les frontires du politique sont

    elles-mmes un enjeu de disputes et de luttes (voir Cefa, 2007 : 281). Dun autre ct,

    cependant, dans son dernier livre, Tilly prend soin de prciser quil nest pas ncessaire

    quune revendication prenne le gouvernement pour cible pour tre politique :

    Laissez-moi carter un malentendu possible une fois pour toutes. Restreindre la politiquecontestataire des interventions qui impliquent des gouvernements ne veut en aucun casdire que les gouvernements doivent tre lorigine ou les destinataires de ces interventions.Au contraire, tout au long de ce livre, nous rencontrerons un grand ventail de cas danslesquels des acteurs non gouvernementaux saffrontent et formulent des revendicationsvisant des pouvoirs religieux, conomiques, ethniques ou dautres formes de pouvoir nongouvernemental. [...] Limplication minimale du gouvernement consiste surveiller et rguler la contestation publique et se prparer intervenir si les choses devenaient tropindisciplines. (Tilly, 2008 : 7)

    Ltat joue un rle central pour trois raisons : (1) il reprsente une telle concen-

    tration de ressources que le simple fait dy avoir accs donne un avantage immdiat

    certains acteurs ; (2) il formule les rgles formelles du jeu qui gouvernent la contesta-

    tion collective ; et, enfin, (3) son monopole de la violence physique lgitime travers

    la police, larme et le systme lgal fait de lui un arbitre dans des conflits entre

    acteurs sociaux et le place ainsi, directement ou indirectement, au centre de toute inter-

    action contestataire (Tilly, 2008 : 6-7)7.

    la lumire de ces prcisions, il semble que le modle du processus politique

    repose, paradoxalement, sur une conception la fois troite et envahissante du poli-

    tique. troite parce que limite la sphre gouvernementale ou tatique, et envahissante

    parce quil devient presque impossible denvisager un mouvement social qui ne serait

    pas de prs ou de loin model par son rapport ltat. Dun ct, en tant que mta-

    institution, ltat est ncessairement amen jouer un rle que les mobilisations le

    prennent pour cible ou non. Dun autre ct, cependant, son rle est appel varier en

    fonction des cibles des mobilisations. Comme lont soulign Jasper et Poulsen (cits

    dans Goodwin et Jasper, 2004 : 10), les mouvements issus de la classe moyenne, qui

    souvent ne sont pas anims par des militants confronts une situation oppressive et

    qui ne prennent pas pour cible ltat mais plutt, par exemple, des codes culturels, ne

    sont pas forcment exposs la rpression de ltat et leur dynamique ne dpend donc

    pas dun largissement de la SOP. Lorsque les mouvements sociaux prennent pour

    cible des pouvoirs religieux, conomiques, ethniques ou dautres formes de pouvoir

    non gouvernemental, comme lenvisage Tilly (2008: 7), il devient ncessaire de consi-

    drer dautres facteurs structurants quuniquement les institutions tatiques et la SOP.

    Cest ici que nous rencontrons lune des principales lacunes du modle du pro-

    cessus politique, non pas tant parce quil ne sapplique quaux mouvements qui pren-

    nent ltat pour cible, comme laffirment Goodwin et Jasper (2004 : 11), mais plutt

    43Esquisse dune thorie de la contestation

    7. Tilly ne semble pas distinguer le gouvernement de ltat et attribue souvent au premier des fonc-tions du deuxime.

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  • parce quil nglige les effets potentiels dune structure des opportunits non politiques

    ou non tatiques. Au-del de la dimension discursive et culturelle de toute structure

    dopportunits (cf. Gamson et Meyer, 1996), on peut supposer, en effet, quil existe

    autant de structures dopportunits quil existe de catgories de cible. Le sens et lim-

    portance dune cible donne une entreprise, une universit, etc. dcoulent de

    lespace institutionnel dans lequel elle est encastre. Par exemple, prendre une entreprise

    donne pour cible na de sens et de valeur que dans le cadre dun march prcis qui

    conditionne les forces et les faiblesses de cette entreprise ainsi que les options sa dis-

    position et la faon dont elle est susceptible de ragir. La structure des opportunits

    laquelle sont confronts les acteurs est ainsi tributaire de lespace institutionnel au sein

    duquel leur cible et eux-mmes voluent. Dans la ligne dArmstrong et Bernstein

    (2008) et dautres auteurs no-institutionnalistes (voir, entre autres, Friedland et Alford,

    1991), nous faisons lhypothse dune coexistence de multiples espaces institutionnels

    au sein dune socit donne. Aussi, plutt que daffirmer la primaut de la structure

    des opportunits politiques, il convient dexaminer empiriquement la faon dont de

    multiples structures dopportunits politiques (au sens dtatiques) ou non sont

    encastres les unes dans les autres et mutuellement constitutives.

    Il est important dinsister sur le fait que nous ne cherchons pas ici souligner

    lexistence dune structure dopportunits politiques niveaux multiples qui reflterait

    une articulation entre des structures nationales, transnationales et internationales.

    Plusieurs auteurs ont dj tudi linteraction entre de telles structures (voir Marks et

    McAdam, 1996 ; Meyer, 2003 ; Rodriguez-Garavito, 2007), mais leurs considrations

    se sont limites la structure des opportunits tatiques et intertatiques. La primaut

    revient toujours au systme politique, quil soit dfini en termes nationaux ou supra-

    nationaux, et ce, quelle que soit la cible des mobilisations. Bien que nous reconnaissions

    les effets structurants du systme politique, nous voudrions nous attarder sur la struc-

    ture des opportunits qui modle les mobilisations prenant pour cible des pouvoirs

    non gouvernementaux.

    Nous pencher sur dautres types de structure dopportunits nimplique pas que

    nous abandonnions la logique explicative du modle du processus politique. Bien au

    contraire. Quoi quen disent ses dtracteurs et en dpit de son manque de constance

    empirique, ce modle a le mrite de nous indiquer de faon relativement prcise un

    nombre limit de facteurs prendre en compte pour expliquer lmergence et les modes

    daction privilgis des mouvements sociaux. Dans le modle du processus politique,

    comme nous lavons remarqu plus haut, ces facteurs sont tous lis ltat et au sys-

    tme politique. Cependant, leur logique est transposable dautres contextes ou struc-

    tures. La SOP a un effet sur les acteurs dans la mesure o elle facilite ou empche

    laction collective et la canalise. On peut trs bien imaginer que des facteurs non poli-

    tiques jouent un rle similaire.

    Par exemple, Walker, Martin et McCarthy (2008) ont rcemment compar des

    tats et des entreprises sur la base de leurs forces et de leurs faiblesses respectives ainsi

    que sur celle de leur capacit institutionnelle rprimer, faciliter et banaliser un

    44 sociologie et socits vol. xli.2

    01_SocioSoc_v41n2_001-088:SociologieSoc_vol41no2 1/18/10 9:35 AM Page 44

  • mouvement social8. Ils soulignent que les entreprises, contrairement aux tats, ne per-

    mettent pas leurs membres et encore moins aux non-membres, les outsiders

    daccder au processus de prise de dcision ; ils remarquent galement que les entre-

    prises sont vulnrables aux efforts de dlgitimation ( cause de limportance de leur

    rputation) et disposent dune capacit rpressive trs limite car elles peuvent licen-

    cier leurs employs mais pas leurs clients ni les citoyens. Selon Walker, Martin et

    McCarthy (2008), ce mlange de fermeture, de vulnrabilit et de faible capacit rpres-

    sive encourage les militants adopter des modes daction radicaux et disruptifs lors-

    quils prennent les entreprises pour cible. Ainsi, la structure des opportunits gnre

    par les entreprises modle laction des militants selon une logique similaire la dimen-

    sion statique de la SOP dcrite plus haut (tat fort/faible, stratgie dinclu-

    sion/dexclusion).

    La dmarche de Walker et ses collgues ouvre de nouvelles pistes de recherche

    mais nglige la dimension dynamique de la structure des opportunits. Or, celle-ci est

    essentielle pour expliquer pourquoi un mouvement donn se dveloppe un moment

    plutt qu un autre. De plus, Walker et ses collgues laissent entendre quil suffit de se

    pencher sur les interactions entre un mouvement social et sa cible, tout en gardant un

    il sur ltat et le systme politique, pour comprendre les tactiques des acteurs et la

    dynamique des mobilisations. Ce faisant, ils minimisent totalement les effets de la

    concurrence entre organisations au sein dun mme mouvement social ainsi quentre

    un mouvement et un contre-mouvement (voir ce sujet Meyer et Staggenborg, 1996).

    Afin de mieux comprendre la dynamique des mobilisations et des vagues contes-

    tataires prenant pour cible des pouvoirs non gouvernementaux, nous proposons de

    redfinir le concept de structure des opportunits de sorte quil ne soit plus exclusive-

    ment tributaire du rapport ltat et quil puisse tre appliqu une grande diversit

    despaces institutionnels. En dautres termes, nous cherchons extraire de la notion de

    SOP une thorie la fois plus gnrale et plus prcise. Dans ce qui suit, nous nous ins-

    pirons de la thorie des champs de Pierre Bourdieu pour jeter les bases dune thorie

    de la contestation qui soit une alternative au modle du processus politique tout en

    en conservant la logique explicative et lambition.

    du systme politique aux champs

    Bien que la rfrence aux champs renvoie originellement la physique et llectro-

    magntisme (voir Martin, 2003), on la retrouve dans ltude des mouvements sociaux

    ds les annes 1970, notamment dans les travaux de Curtis et Zurcher (1973 : 53 n1),

    qui laborent la notion dun champ multi-organisationnel qui inclurait toutes les orga-

    nisations avec lesquelles une organisation donne pourrait tablir des liens. On retrouve

    galement cette perspective, assez proche du no-institutionnalisme sociologique de

    45Esquisse dune thorie de la contestation

    8. Walker et ses collgues parlent de routinization, que nous avons librement traduit par bana-lisation.

    01_SocioSoc_v41n2_001-088:SociologieSoc_vol41no2 1/18/10 9:35 AM Page 45

  • DiMaggio et Powell (1991), dans les travaux plus rcents dauteurs tablis comme Bert

    Klandermans (1997). Plus rcemment, Jack Goldstone (2004) a propos de remplacer

    la notion de SOP par celle de champ relationnel externe (external relational field) afin

    de tenir compte des allis et des opposants non gouvernementaux des mouvements

    sociaux ainsi que des effets potentiellement positifs de ladversit sur la capacit de

    mobilisation des acteurs. Goldstone cherchait ainsi mettre laccent sur la dimension

    relationnelle plutt que structurelle de laction collective. Daprs Goldstone

    (2004 : 357), le champ externe inclut les autres mouvements sociaux, les institutions

    politiques et conomiques, les autorits tatiques, les acteurs politiques, les lites co-

    nomiques, religieuses et mdiatiques, diffrents publics, lensemble des orientations

    symboliques et normatives et les vnements critiques.

    Nanmoins, de faon gnrale, dans cet article nous nous distanons des diff-

    rentes conceptualisations de la notion de champ prsentes ci-dessus pour nous

    appuyer plutt sur celle labore par Pierre Bourdieu. Inspire de largument de Weber

    relatif la coexistence de diffrentes sphres de vie, la thorie des champs de Bourdieu

    postule que la socit est divise en un ensemble de sphres ou de champs relative-

    ment autonomes et caractriss par des principes, une logique dorganisation et un

    type dintrts particuliers. minemment relationnel, le concept de champ renvoie

    une topographie sociale, un tat ou une configuration de rapports de force et un

    champ de luttes (Bourdieu, 1984a ; Martin, 2003 : 28).

    Selon Bourdieu (1984a : 113), les champs se prsentent lapprhension syn-

    chronique comme des espaces structurs de positions (ou de postes) dont les propri-

    ts dpendent de leur position dans ces espaces et qui peuvent tre analyses

    indpendamment des caractristiques de leurs occupants (en partie dtermines par

    elles). Chaque champ est construit autour denjeux et dintrts spcifiques qui sont

    perus et ports principalement, voire exclusivement, par les acteurs qui participent

    au champ et qui motivent ces derniers sinvestir dans le champ (Bourdieu,

    1984a: 114). Aussi, malgr les antagonismes en prsence, les acteurs en lutte au sein dun

    champ contribuent sa reproduction. Comme le remarque Bourdieu (1984a : 115),

    la lutte prsuppose un accord entre les protagonistes sur ce qui mrite quon lutte et

    qui est refoul dans le cela-va-de-soi, laiss ltat de doxa, cest--dire tout ce qui fait

    le champ lui-mme, le jeu, les enjeux, tous les prsupposs quon accepte tacitement,

    sans mme le savoir, par le fait dentrer dans le jeu. Mme les acteurs dans une posi-

    tion subordonne et engags dans des luttes de subversion contribueraient donc la

    reproduction du champ plutt qu son renversement.

    Un champ est constitu de deux dimensions : la premire renvoie la position des

    acteurs dans le champ et la seconde aux prises de position de ces acteurs. La position

    des acteurs est dtermine par le type et le volume de capital dtenu par chaque acteur.

    La valeur et la distribution des formes de capital (conomique, culturel, social, politique,

    juridique, scientifique, symbolique, etc.) varient dun champ lautre, tablissant ainsi

    un principe hirarchique et un rapport ingalitaire particuliers entre des acteurs qui ne

    46 sociologie et socits vol. xli.2

    01_SocioSoc_v41n2_001-088:SociologieSoc_vol41no2 1/18/10 9:35 AM Page 46

  • sont pas forcment en contact les uns avec les autres9. La hirarchie et les ingalits

    dun champ donn impliquent que certains acteurs tendent monopoliser la forme de

    capital qui confre le plus de pouvoir dans ce champ-l, ce qui suppose des rapports non

    seulement de force mais aussi de domination dans lesquels les acteurs dominants sont

    en mesure dimposer les rgles formelles et informelles du champ, ses principaux objec-

    tifs et ses critres dentre (Bourdieu, 1984a ; Bourdieu et Wacquant, 1992 ; Fligstein,

    2008). La lutte entre dominants et domins ou entre incumbents et challengers,

    comme les appelle Fligstein (2001, 2008) est donc la fois un lment constitutif et

    un effet du champ.

    La deuxime dimension constitutive dun champ est lespace des prises de position.

    Tandis que les positions sont dtermines par laccumulation dune forme de capital

    valorise dans un champ donn, les prises de position sont, quant elles, troitement

    lies aux stratgies dployes par les acteurs pour amliorer leur position dans le champ.

    Dans la mesure o lespace des prises de position est un systme doppositions, la for-

    mation et la signification des prises de position sont fondamentalement relationnelles :

    Chaque prise de position (...) se dfinit (objectivement et parfois intentionnellement) parrapport lunivers des prises de position et par rapport la problmatique comme espacesdes possibles qui sy trouvent indiqus ou suggrs ; elle reoit sa valeur distinctive de larelation ngative qui lunit aux prises de position coexistantes auxquelles elle estobjectivement rfre et qui la dterminent en la dlimitant. Il sensuit par exemple que lesens et la valeur dune prise de position (...) changent automatiquement, lors mme quellereste identique, lorsque change lunivers des options substituables qui sont simultanmentoffertes aux choix des producteurs et des consommateurs. (Bourdieu, 1992 : 381-382)

    Chaque prise de position tire ainsi sa signification, sa valeur et ses effets de sa rela-

    tion aux autres prises de position du champ. Les efforts de distinction et la conflictua-

    lit qui alimentent cette dynamique ne sont pas une source de forces centrifuges mais

    plutt, selon Bourdieu, centriptes : le principe gnrateur et unificateur de ce sys-

    tme [doppositions] est la lutte mme (Bourdieu, 1992 : 381).

    Ces deux dimensions lespace des positions et lespace des prises de position

    qui constituent un champ sont lies lune lautre, de sorte que leur relation exprime

    les effets que le champ exerce sur les participants du champ. Les stratgies, et donc les

    prises de position, que les acteurs dploient pour sauvegarder ou amliorer leur posi-

    tion dans le champ dpendent de leur perception de la configuration ou des rapports

    de force du champ partir de leur propre position dans ce champ (Bourdieu et

    Wacquant, 1992 : 78). Dans la mesure o les acteurs ne voient pas le champ den haut,

    vol doiseau, mais de lintrieur, leur perspective est conditionne par leur position.

    Les acteurs dominants cest--dire les acteurs fortement dots de capital gnrant le

    pouvoir ou lautorit propre au champ auquel ils participent sont enclins adop-

    ter des stratgies de conservation et des prises de position orthodoxes, tandis que les

    47Esquisse dune thorie de la contestation

    9. Par consquent, la position des acteurs dans un champ ne reflte pas forcment, et encore moinsexclusivement, leur dotation en capital conomique, et ce, bien que ce dernier constitue souvent chez Bourdieuune des principales formes de capital que lon retrouve dans tous les champs.

    01_SocioSoc_v41n2_001-088:SociologieSoc_vol41no2 1/18/10 9:35 AM Page 47

  • acteurs domins cest--dire moins pourvus de capital valoris dans le champ

    sont enclins adopter des stratgies de subversion et des prises de position hrtiques

    ou htrodoxes (Bourdieu, 1984a : 115)10.

    Il semblerait donc que, en priode dquilibre, lespace des positions tend com-

    mander lespace des prises de position (Bourdieu, 1992 : 379). Cependant, Bourdieu

    (1984 : 384-385) prcise galement quentre les deux se trouve ce quil nomme lespace

    des possibles, cest--dire un espace de potentialits objectives qui agit comme rvla-

    teur des dispositions des acteurs. De plus,

    les agents, pour si strictes que soient les ncessits inscrites dans leur position, disposenttoujours dune marge objective de libert (quils peuvent ou non saisir selon leursdispositions subjectives ) (...) ces liberts sadditionnent dans le jeu de billard desinteractions structures, ouvrant ainsi une place, surtout dans les priodes de crise, pources stratgies capables de subvertir la distribution tablie des chances et des profits lafaveur de la marge de manuvre disponible. (Bourdieu, 1992 : 392)

    Bien quanimes par une qute de lgitimation et de reconnaissance sexprimant

    dans les luttes de classement qui sont au cur de lexistence mme du champ, les prises

    de position ne sont pas mcaniquement dtermines par la position des acteurs dans

    ce champ. Lexistence dun certain niveau dindtermination entre lespace des positions

    et lespace des prises de position est ncessaire pour pouvoir penser linnovation et le

    changement partir des pratiques des acteurs qui participent au champ.

    De mme, les transformations conomiques ou matrielles qui se droulent lex-

    trieur du champ naffectent pas directement les prises de position des acteurs de ce

    champ. Ces transformations sont filtres par la structure spcifique du champ et

    peuvent gnrer des effets inattendus (Bourdieu, 1992 : 381)11. Les principes de hi-

    rarchisation extrieurs un champ diffrent des principes de hirarchisation, et donc

    de conscration, que lon retrouve lintrieur du champ (Bourdieu, 1984b : 173 ;

    1992 : 356), de sorte que lun ne reflte pas ncessairement lautre. Les effets des chan-

    gements extrieurs au champ sont dautant plus indirects et models par la structure

    du champ que chaque champ est lui-mme compos de multiples sous-champs, encas-

    trs les uns dans les autres tels des poupes russes (Fligstein, 2008: 7). Les changements

    les plus dcisifs au sein dun champ sont donc le produit de la rencontre entre plu-

    sieurs processus relativement indpendants qui surviennent dans chacun des sous-

    champs et des champs ainsi que hors du champ (Bourdieu, 1992: 416). Dailleurs, cet

    gard Bourdieu (1984b: 226) a bien montr comment les mobilisations de mai 1968 en

    48 sociologie et socits vol. xli.2

    10. Il est important dinsister sur le fait que Bourdieu parle ici en termes de propension et non dedtermination. Cet nonc gnral nimplique pas que tous les dtenteurs dun faible capital soient nces-sairement rvolutionnaires et que tous les dtenteurs dun grand capital soient automatiquement conserva-teurs (Bourdieu et Wacquant, 1992 : 84).

    11. cet gard, largument de Bourdieu est trs proche des approches no-institutionnalistes quimontrent comment les effets des chocs exognes sont filtrs et models par les configurations institutionnelles.Pour un survol des diffrentes approches no-institutionnalistes, voir, entre autres, Campbell (2004), Clemenset Cook (1999), Hall et Taylor (1996) et Thelen (1999).

    01_SocioSoc_v41n2_001-088:SociologieSoc_vol41no2 1/18/10 9:35 AM Page 48

  • France taient en partie le rsultat de la synchronisation de crises latentes dans diff-

    rents champs.

    Finalement, avant de nous tourner vers la pertinence de la notion de champ pour

    comprendre lmergence et la dynamique des mobilisations et des vagues contesta-

    taires, nous nous devons daborder rapidement la question pineuse des limites du

    champ. En effet, pour valuer les effets du champ sur les acteurs encore faut-il savoir

    quels acteurs participent un champ donn. En dautres termes, il faut pouvoir dis-

    tinguer ceux qui sont dans le champ de ceux qui ny sont pas. La rponse de Bourdieu

    cette question est notoire : Les limites du champ se situent au point o cessent les

    effets du champ (Bourdieu et Wacquant, 1992 : 76). Bien que tautologique, cette

    rponse toute simple a le mrite dcarter une dlimitation atemporelle et invariante

    dun champ donn. Selon la logique propose par Bourdieu, il faut retracer empiri-

    quement les effets de champ pour savoir si un acteur donn en fait partie ou non. cet

    gard, il convient de noter que la notion de champ ne renvoie pas une ralit sta-

    tique formelle mais plutt une approche analytique aux vertus heuristiques (Martin,

    2003: 24). De plus, comme Bourdieu la souvent soulign, les frontires du champ sont

    elles-mmes un enjeu de luttes :

    Dfinir les frontires, les dfendre, contrler les entres, cest dfendre lordre tabli dansle champ. (...) les grands bouleversements naissent de lirruption de nouveaux venus qui,par le seul effet de leur nombre et de leur qualit sociale, importent des innovations enmatire de produits ou de techniques de production, et tendent ou prtendent imposerdans un march de production qui est lui-mme son propre march un nouveau modedvaluation des produits. (Bourdieu, 1992 : 369)

    Un acteur entre de facto dans un champ partir du moment o il y produit des

    effets, ft-ce de simples ractions de rsistance ou dexclusion (Bourdieu, 1992: 369-

    370). Les acteurs dominants dun champ vont donc essayer de marginaliser ou dexclure

    leurs opposants en imposant une certaine dfinition de lappartenance au champ et

    de limiter lavnement dune concurrence ou de luttes subversives en levant les droits

    dentre au champ. Plus les critres dentre et dappartenance sont codifis et institu-

    tionnaliss, moins les rgles du jeu sont en jeu et plus la position des dominants est

    conforte (Bourdieu, 1992 : 370).

    la structure des opportunits du champ

    Dans son uvre, Bourdieu identifie et analyse plusieurs champs : le champ littraire, le

    champ scientifique, le champ universitaire, le champ intellectuel, le champ journalis-

    tique, le champ politique, le champ bureaucratique, le champ conomique, etc.

    Pourrait-on parler dun champ des mouvements sociaux au sens que nous venons

    dexposer ci-dessus et, si oui, quels seraient les avantages analytiques dune telle concep-

    tualisation? Bourdieu napporte pas de rponse une telle question. Ses quelques crits

    sur les mouvements sociaux (voir Bourdieu, 2002) sont avant tout des prises de posi-

    tion politiques sans relle contribution thorique ou empirique. Mme Homo acade-

    micus (1984b), dans lequel il traite des vnements de Mai 68, explique davantage les

    49Esquisse dune thorie de la contestation

    01_SocioSoc_v41n2_001-088:SociologieSoc_vol41no2 1/18/10 9:35 AM Page 49

  • racines structurelles des prises de position des acteurs du champ universitaire et de la

    gnralisation de la crise que la dynamique des mobilisations comme telle.

    Cependant, plusieurs auteurs se sont inspirs des travaux de Bourdieu pour tu-

    dier la dynamique des mobilisations12. Par exemple, Chad Alan Goldberg (2003) sest

    inspir du concept bourdieusien de luttes de classement pour rendre compte de la for-

    mation et transformation des identits collectives durant des pisodes de mobilisation

    pro et anticommuniste durant les annes 1930 aux tats-Unis. Mais cest le concept

    de champ qui est le plus souvent repris. Ainsi, Raka Ray explique les divergences entre

    le mouvement des femmes de Bombay et celui de Calcutta, en Inde, partir du concept

    de champ politique dans lequel elle identifie un sous-champ quelle nomme le champ

    de la protestation et au sein duquel uvrent les acteurs qui sopposent aux acteurs

    dominants du champ politique formel (Ray, 1998 : 22-23). Dans la mme veine, Nick

    Crossley (2003) prtend que les mouvements sociaux constituent un jeu particulier

    et quil existe un champ de la contestation structur autour dune forme particulire de

    capital partir duquel des acteurs peuvent lancer des campagnes visant dautres

    champs. Le champ de la contestation serait alors un lieu de socialisation qui permet-

    trait aux acteurs dacqurir des comptences particulires ainsi quun refuge o ils

    pourront, dans les priodes de crise ou de retrait, continuer entretenir lillusio qui

    les guide (Crossley, 2003 : 59-60)13. De mme, Frdrique Matonti et Frank Poupeau

    (2004-2005) avancent lide dun capital militant et donc dun savoir-faire parti-

    culier et valoris propre au champ militant, qui serait driv mais distinct du capi-

    tal politique que lon acquiert dans le champ politique ou partisan14. Finalement, bien

    quil refuse daccorder le titre de champ lunivers des mouvements sociaux car ce

    dernier ne disposerait pas dun degr dobjectivation, de structuration et dinstitu-

    tionnalisation suffisant pour correspondre ce que Bourdieu (...) dfinit comme un

    champ (Mathieu, 2007 : 139) Lilian Mathieu (2007 : 133) parle de lespace des

    mouvements sociaux comme dun univers de pratique et de sens relativement auto-

    nome lintrieur du monde social, et au sein duquel les mobilisations sont unies par

    des relations dinterdpendance. Cet espace des mouvements sociaux serait caract-

    ris par des comptences pratiques et cognitives particulires similaires au capital mili-

    tant mentionn ci-dessus (Mathieu, 2007 : 146-149).

    50 sociologie et socits vol. xli.2

    12. Ceci dit, linfluence de Bourdieu au sein de la sociologie politique reste marginale. Pour une dis-cussion du manque de considration dont souffre Bourdieu au sein de la sociologie politique et de la sciencepolitique amricaines, voir Swartz (2006).

    13. Le concept dillusio renvoie linvestissement des acteurs dans un jeu, et donc dans un champ,donn ; Bourdieu prfre parler dillusio plutt que dintrt pour viter les connotations invariantes et co-nomiques de ce dernier et, ainsi, insister sur la nature arbitraire, historique et situe des intrts (Bourdieuet Wacquant, 1992 : 91-92).

    14. cet gard, Bourdieu (1984b: 248) avait dj remarqu limportance, durant les vnements demai 1968, des syndicats, des partis et des groupuscules, o sacquiert une comptence spcifique, faite pourlessentiel dun ensemble dinstruments linguistiques et posturaux, dune rhtorique la fois verbale et cor-porelle, qui permet de prendre et de tenir les lieux et les instruments institutionnaliss de la parole.

    01_SocioSoc_v41n2_001-088:SociologieSoc_vol41no2 1/18/10 9:35 AM Page 50

  • Bien que cette perspective nous permette de mieux saisir la dynamique du mili-

    tantisme en tant que pratique, elle prsente la contestation comme une sphre dlimi-

    te et relativement stable dactivit plutt que comme une stratgie dveloppe par

    des acteurs actifs dans diffrents champs. Elle souffre ainsi des mmes limites que lap-

    proche dite de la mobilisation des ressources, qui avait, elle aussi, avanc lhypothse

    selon laquelle les mouvements sociaux constitueraient un secteur dactivit distinct de

    lconomie, de la politique formelle, de la famille, etc. (voir McCarthy et Zald, 1977).

    En plaant les cibles et les opposants des mobilisations en position dextriorit, elle

    suppose que les interactions les plus dterminantes ont lieu entre des acteurs similaires

    en concurrence les uns avec les autres au sein du champ ou de lespace des mouve-

    ments sociaux, ce qui lempche dexpliquer la faon dont la nature, la dotation en

    capital et les stratgies des cibles influencent la stratgie des acteurs contestataires

    (cf. Walker et al., 2008)15. Plus gnralement et plus fondamentalement, dans la mesure

    o elle traite les mouvements sociaux comme une constante de la vie sociale, cette

    perspective nglige la question de lmergence de la contestation et des mobilisations.

    Tout au plus peut-elle expliquer leur dclin comme produit de luttes se droulant au

    sein du champ des mouvements sociaux.

    Contrairement cette perspective, nous faisons lhypothse quil ny a pas de champ

    de la contestation ou des mouvements sociaux et quil faut plutt aborder les mobili-

    sations comme un phnomne rsultant principalement de la dynamique interne des

    champs, quels quils soient. Cest ici que nous pouvons renouer avec le modle du pro-

    cessus politique tout en tendant sa logique explicative. Nous proposons de reformu-

    ler la notion de structure des opportunits politiques (SOP) comme une structure des

    opportunits du champ (SOC)16. Dans la mesure o il y a une multitude de champs qui

    coexistent au sein dune socit donne et travers les socits, il y a toujours une mul-

    titude de SOC. Il sensuit que la structure des opportunits politiques est un type de SOC

    parmi dautres plutt que la principale, voire lunique, structure dopportunits perti-

    nente ltude des mouvements sociaux.

    Notre perspective suppose que chaque champ est plus ou moins comparable un

    systme ou un rgime politique, avec ses acteurs mieux dots en ressources (les domi-

    nants, les titulaires [les incumbents], les polity members) et ses lments subversifs et

    contestataires (les domins, les nouveaux entrants, les challengers). En nous inspirant

    des travaux de Tarrow (1996 ; 1998), nous proposons de distinguer la dimension sta-

    tique de la SOC, qui explique les principales caractristiques de laction collective (le

    type dorganisation, les tactiques et les stratgies prminentes, etc.) au sein dun

    champ, de sa dimension dynamique, qui explique les changements dans la trajectoire

    des mobilisations (mergence, croissance ou dclin) (voir tableau 1). La dimension

    statique repose sur une comparaison synchronique et sattache rendre compte des

    51Esquisse dune thorie de la contestation

    15. Comme le rappellent Walker et al. (2008 : 39 n8), les cibles sont elles aussi des acteurs strat-giques.

    16. Crossley (2003 : 60) a implicitement suggr, sans la dvelopper, une telle possibilit.

    01_SocioSoc_v41n2_001-088:SociologieSoc_vol41no2 1/18/10 9:35 AM Page 51

  • variations dun champ lautre. La dimension dynamique suppose, quant elle, une

    comparaison diachronique et vise expliquer les variations dans le temps au sein dun

    mme champ.

    Dans chaque champ, la dimension statique de la SOC renvoie (1) la hirarchie et

    la distribution des formes de capital, (2) louverture et la capacit rpressive tant

    sur le plan symbolique que matriel ou physique des acteurs dominants, (3) aux

    rgles formelles et informelles et (4) lespace des prises de position17. Cette dimension

    de la SOC dtermine de manire relativement durable les canaux, les tactiques prdo-

    minantes et le cot gnral de laction collective au sein dun champ donn.

    Tel quexpliqu plus haut, (1) la hirarchie et la distribution des formes de capital

    dterminent la position et le pouvoir des acteurs au sein dun champ. Comme la sug-

    gr Ray (1998) dans son tude des mouvements de femmes en Inde, plus la forme

    dominante de capital est contrle par un petit nombre dacteurs, plus le pouvoir est

    concentr au sein de ce champ et, par consquent, plus les mobilisations contestataires

    auront du mal se dvelopper et se faire entendre ; et, inversement, une plus grande

    dispersion de la forme dominante de capital favorise une concurrence relativement

    quilibre entre acteurs dominants ainsi que lmergence de coalitions entre acteurs

    contestataires et certains acteurs dominants. Les champs dans lesquels il y a une grande

    dispersion du pouvoir sont donc susceptibles dtre caractriss par un niveau de mobi-

    lisation plus lev.

    (2) Louverture et la capacit rpressive des acteurs dominants influencent les tac-

    tiques18 des acteurs contestataires : plus les acteurs subordonns ou domins ont accs

    au processus de prise de dcision des acteurs dominants, moins ils sont susceptibles

    dutiliser des tactiques disruptives ou extra-institutionnelles et vice versa (Kriesi et al.,

    1995 ; Tilly, 1978) ; de mme, plus les acteurs dominants jouissent dune forte capacit

    rpressive, moins les acteurs contestataires sont susceptibles dutiliser des tactiques dis-

    ruptives et vice versa (cf. Walker et al., 2008). Leffet combin de louverture et de la

    capacit rpressive des acteurs dominants dun champ donn modle ainsi les tac-

    tiques prdominantes dployes par les acteurs contestataires pour amliorer leur posi-

    tion au sein du champ.

    Bien que lies au point prcdent relatif au degr douverture des acteurs domi-

    nants, (3) les rgles formelles et informelles dun champ donn ont pour effet principal

    de codifier, de canaliser et de rgulariser les pratiques des acteurs en dictant, par

    exemple, qui peut lgitimement participer au champ et, ainsi, concurrencer les acteurs

    dj prsents. Les rgles formelles et informelles ont donc un effet direct sur, entre

    autres, la dmographie de chacun des champs (cf. Bourdieu, 1984b).

    52 sociologie et socits vol. xli.2

    17. Nous avons ici simplement adapt les indicateurs identifis par Tarrow (1996, 1998) sur la basedune synthse des principaux ouvrages qui ont appliqu et contribu dvelopper le modle du processuspolitique.

    18. Tandis que la stratgie fait rfrence lorientation gnrale des acteurs, les tactiques renvoientaux moyens mis en uvre sur le terrain pour raliser la stratgie choisie.

    01_SocioSoc_v41n2_001-088:SociologieSoc_vol41no2 1/18/10 9:35 AM Page 52

  • Finalement, (4) lespace des prises de position, en tant que configuration relation-

    nelle de positions antagonistes ou complmentaires laquelle les acteurs sont confron-

    ts, restreint lventail des nouvelles prises de position que les acteurs peuvent prendre

    ainsi que les cadres daction collective quils peuvent formuler et utiliser ; ce faisant,

    lespace des prises de position modle leurs stratgies de diffrenciation et conditionne

    les innovations et le potentiel futur du champ (Emirbayer et Johnson, 2008 : 15-16)19.

    En laborant toujours sur la base de la classification propose par Tarrow (1996,

    1998), nous faisons lhypothse que la dimension dynamique de la SOC renvoie aux

    changements qui peuvent faciliter ou faire obstacle lmergence et la croissance de

    mobilisations et de vagues contestataires. Ces changements incluent : (1) la dprcia-

    tion ou la valorisation relative de la forme dominante de capital du champ; (2) une

    redistribution de la forme dominante de capital du champ; (3) une plus grande divi-

    sion ou, au contraire, cohrence entre les acteurs dominants ; (4) un ralignement des

    prises de position ; (5) une rforme des rgles du champ; et (6) lentre de nouveaux

    acteurs dans le champ. Certains de ces changements concernent des aspects de la

    dimension statique de la SOC et sont donc rares.

    Dans la mesure o elle implique potentiellement une redfinition de la hirarchie

    du champ et donc des positions des acteurs, (1) la dprciation ou la valorisation rela-

    tive de la forme dominante de capital dun champ donn peut confrer davantage de

    53Esquisse dune thorie de la contestation

    19. Selon Bourdieu (1992: 387), lespace des possibles, situ entre lespace des positions et lespace desprises de position, dfinit, la faon de la grammaire, lespace de ce qui est possible, concevable, dans leslimites dun certain champ, constituant chacun des choix oprs (...) comme une option grammaticalementconforme (...) ; mais il est aussi un ars inveniendi qui permet dinventer une diversit de solutions accep-tables dans les limites de la grammaticalit . Lespace des possibles implique donc une innovation souscontraintes (bounded innovation ) plutt quune logique de dtermination.

    Tableau 1 Les dimensions de la structure des opportunits du champ

    Dimension statique Dimension dynamique

    La hirarchie et la distribution des formes

    de capital

    Un changement de la valeur relative de la forme

    dominante de capital

    Louverture et la capacit rpressive des acteurs

    dominants

    Une redistribution de la forme dominante

    de capital

    Les rgles formelles et informelles Une plus grande division ou cohrence entre les

    acteurs dominants

    Lespace des prises de position Un ralignement des prises de position

    Une rforme des rgles

    Lentre de nouveaux acteurs

    01_SocioSoc_v41n2_001-088:SociologieSoc_vol41no2 1/18/10 11:39 AM Page 53

  • pouvoir aux acteurs domins, ou, au contraire, les en priver, et ainsi contribuer lmer-

    gence, au renforcement ou au dclin des mobilisations. Ainsi, en 1968, la mobilisation

    contestataire aurait bnfici du fait que les professeurs titulaires de la Sorbonne ont t

    confronts la dprciation de leur capital de pouvoir universitaire tandis que les

    matres-assistants nouvellement recruts brandissaient leur capital scientifique pour

    remettre en question la hirarchie du champ universitaire tout en essayant de construire

    des alliances avec des acteurs occupant des positions structuralement homologues dans

    dautres champs (Bourdieu, 1984b).

    Bien quune (2) redistribution de la forme dominante de capital dun champ donn

    puisse tre simplement le produit de la concurrence entre les acteurs du champ, elle

    peut nanmoins avoir des effets importants sur la capacit de mobilisation des acteurs

    domins. En effet, selon la logique nonce dans le premier point de la dimension sta-

    tique de la SOC, si cette redistribution conduit une plus grande concentration de

    capital, voire une situation de monopole, le cot dentre du champ sera plus lev

    et lhgmonie des dominants plus totale ; si la redistribution mne, au contraire,

    une plus grande dispersion de la forme dominante de capital et une fragmentation du

    champ, les acteurs domins pourront ventuellement former des alliances avec une

    fraction des dominants et, ainsi, avoir accs davantage de ressources. Ce qui nous

    amne au point suivant.

    (3) Le degr de division ou de cohrence des acteurs dominants du champ condi-

    tionne galement les perspectives dalliances et de mobilisation. Comme la dmontr

    McAdam (1999) dans son tude du mouvement amricain des droits civiques, la pr-

    sence dallis influents en loccurrence, le gouvernement fdral amricain peut

    tre dterminante pour la croissance dune vague contestataire. De mme, plus les

    acteurs dominants sont diviss, plus les acteurs domins pourront esprer profiter de

    ces divisions pour aller chercher de nouveaux appuis et de nouvelles ressources qui

    viendront soutenir leur stratgie de subversion. Comme le remarque Bourdieu

    (1997 : 124), les domins peuvent toujours tirer parti ou profit des conflits entre les

    puissants qui, bien souvent, ont besoin de leur concours pour triompher. Nombre de

    grands affrontements historiques tenus pour des moments exemplaires de la lutte des

    classes nont t en fait que lextension, par la logique des alliances avec les domins,

    de luttes entre les dominants au sein du champ du pouvoir. Inversement, une plus

    grande cohsion entre les acteurs dominants dun champ donn diminuera la capacit

    des acteurs domins dobtenir lappui dallis influents et de mobiliser des ressources.

    (4) Un ralignement des prises de position suppose une modification durable de la

    correspondance entre la position des acteurs cest--dire leur dotation en capital

    et leurs prises de position20. Une telle transformation des bases sociales de lespace

    des prises de position peut amener certaines prises de position devenir dominantes,

    ou au contraire marginales, par simple vertu de la position des acteurs qui les prennent;

    ce faisant, un ralignement des prises de position peut conduire une lgitimation ou

    54 sociologie et socits vol. xli.2

    20. Daprs Bourdieu (1992: 384), les transformations radicales de lespace des prises de position (...)ne peuvent rsulter que de transformations des rapports de force constitutifs de lespace des positions.

    01_SocioSoc_v41n2_001-088:SociologieSoc_vol41no2 1/18/10 9:35 AM Page 54

  • une dlgitimation de certaines revendications et des cadres daction collective qui les

    sous-tendent et, ainsi, entraner une reconfiguration des alliances entre dominants,

    entre dominants et domins, ou entre domins qui facilitera ou affaiblira les mobi-

    lisations. Une fois que les mobilisations commencent se manifester et crotre, et

    quelles dvoilent et remettent en cause les accords tacites qui liaient jusqu prsent dif-

    frents acteurs du champ, lespace des prises de position est susceptible de continuer

    changer au fur et mesure que les enjeux se politisent, puisque la politisation dsigne

    le processus au terme duquel le principe de vision et de division politique tend lem-

    porter sur tous les autres, rapprochant des gens fort loigns selon les critres anciens

    et loignant des gens tout fait rapprochs dans les jugements et les choix de lexistence

    antrieure (Bourdieu, 1984b : 243).

    (5) Une rforme des rgles du champ qui viendrait faciliter ou rendre plus difficile

    laccs et la participation un champ donn. Une telle rforme peut prendre la forme

    dune baisse ou dune augmentation du cot dentre du champ, ou encore dune reco-

    dification des critres dappartenance au champ, qui se traduirait par lincorporation

    ou lexclusion contrle de certains acteurs et, ainsi, une transformation de la structure

    de la concurrence et de la valeur relative des formes de capital du champ. Une redfi-

    nition des frontires du champ qui irait dans le sens dune plus grande ouverture pour-

    rait faciliter lmergence ou la croissance de stratgies subversives et des mobilisations,

    comme cela est arriv en mai 1968 (cf. Bourdieu, 1984b) ; inversement, une rforme

    conduisant une fermeture des conditions daccs au champ renforcerait la concen-

    tration du pouvoir au sein de ce champ et contribuerait potentiellement la stagnation,

    voire au dclin, des mobilisations et de la contestation.

    Finalement, et directement lie au point prcdent, (6) linvasion de nouveaux

    acteurs qui essaient doccuper le mme espace social peut bouleverser les rapports de

    force du champ et ventuellement affaiblir les acteurs dominants dans la mesure o les

    nouveaux entrants prennent partie dans les conflits qui structurent le champ et cher-

    chent construire des alliances avec des acteurs dominants et/ou des acteurs domins

    pour amliorer ou consolider leur position nouvellement acquise dans le champ

    (Fligstein, 2008 : 26). De mme, les acteurs dj prsents dans le champ chercheront

    rallier les nouveaux entrants puisque les chances de russite des stratgies de conser-

    vation et de subversion dpendent toujours pour une part des renforts que lun ou

    lautre camp peut trouver dans des forces externes (Bourdieu, 1992 : 384). Ces nou-

    veaux entrants ne sont gnralement pas ns de rien. Ils passent souvent dun champ

    lautre selon une logique dexpansion, lorsquils essaient de convertir et dinvestir

    ailleurs le capital accumul dans leur champ dorigine, ou de push and pull : dun

    ct, une contraction de la structure des opportunits du champ dans lequel ils vo-

    luaient originellement a contribu les pousser hors de ce champ; dun autre ct,

    lexpansion de la structure des opportunits du champ dans lequel ils viennent den-

    trer a contribu les y attirer21. Le passage dun champ lautre est dautant plus

    55Esquisse dune thorie de la contestation

    21. Ces dbordements dun champ lautre rappellent les phnomnes de movement spillover dcrits par Meyer et Whittier (1994).

    01_SocioSoc_v41n2_001-088:SociologieSoc_vol41no2 1/18/10 9:35 AM Page 55

  • probable et rentable pour les acteurs si les champs se chevauchent (cf. Evans et Kay,

    2008). Une fois que les envahisseurs sont entrs dans le nouveau champ, ils contri-

    buent le transformer par leur simple prsence et, par consquent, affecter la dyna-

    mique des mobilisations : ils modifient non seulement la structure de la concurrence et

    les rapports de force, mais aussi potentiellement la valeur relative des formes de capi-

    tal du champ ainsi que lespace des prises de position et la cohsion des acteurs domi-

    nants (Bourdieu, 1992: 369). Linvasion de nouveaux acteurs est donc la fois le produit

    et la source dun changement dans la structure des opportunits dun champ donn.

    Ces six types de changements de la SOC peuvent se renforcer mutuellement : une

    dprciation de la forme dominante de capital peut conduire un ralignement des

    prises de position, une plus grande division des acteurs dominants et une rforme

    des rgles du champ; de mme, une redfinition des frontires du champ peut facili-

    ter linvasion de nouveaux acteurs qui, leur tour, pourraient affecter la valeur relative

    des formes de capital du champ ainsi que lespace des prises de position et le degr de

    cohsion des acteurs dominants. Plus ces changements convergent et se renforcent

    mutuellement, plus leur effet sur les mobilisations sera grand et durable.

    conclusion

    La filiation entre les notions de structure des opportunits politiques (SOP) et de struc-

    ture des opportunits du champ (SOC) et, par consquent, notre dette lgard du

    modle du processus politique est vidente22. Au-del du mme vocable de struc-

    ture des opportunits, la thorie dont nous avons fait ici lesquisse reprend non seu-

    lement la logique explicative du modle du processus politique mais aussi son insistance

    sur les bases fondamentalement relationnelles de laction collective23. De plus, bien que

    la notion de SOC vise dcentrer le rapport ltat dans ltude des mouvements

    sociaux, nous ne nions pas que les acteurs investis dans des champs non tatiques ou

    non politiques puissent activement chercher semparer dun pouvoir sur ltat afin

    que celui-ci modifie les rgles du jeu en leur faveur (cf. Bourdieu, 2005 : 204 ; Bourdieu

    et Wacquant, 1992 : 75 ; Fligstein, 1991 : 314)24. Bref, la notion de SOC nimplique pas

    de relguer ltat au statut dacteur parmi tant dautres.

    56 sociologie et socits vol. xli.2

    22. Bien que nous ayons dcid de nous concentrer, dans cet article, sur la faon dont la thorie deschamps de Bourdieu pourrait alimenter et renouveler la notion de structure des opportunits politiques, ilexiste dautres parallles entre le modle du processus politique et la pense de Bourdieu. Au-del de lvi-dent parallle entre la mobilisation des ressources et lutilisation des diffrents capitaux par les acteurs duchamp, le concept de rpertoire daction introduit par Tilly (1978) sapparente certains gards notam-ment sa critique des modles de rationalit instrumentale au concept dhabitus de Bourdieu.

    23. Que lon pense, par exemple, aux concepts de catnet (category/network), que Tilly (1978) a reprisde Harrison White, de boundary activation/de-activation, de brokerage, etc. Lapproche dveloppe plus rcem-ment par McAdam, Tarrow et Tilly (2001), les trois auteurs les plus influents du modle du processus poli-tique, place galement les mcanismes relationnels au centre de lanalyse de la contestation. Pour un survoldes lments relationnels des travaux de Tilly, voir Diani (2007).

    24. Bourdieu parle dailleurs dun capital tatique, issu dun processus historique de concentration dediffrentes formes de capital, qui jouirait du statut de mta-capital en raison de son pouvoir sur les autrescapitaux et notamment sur les taux de change entre eux (Bourdieu, 1996: 109). Fligstein (1991: 314) remarquegalement que ltat peut dfinir les rgles du jeu dans un champ donn mme sil ny participe pas direc-tement.

    01_SocioSoc_v41n2_001-088:SociologieSoc_vol41no2 1/18/10 9:35 AM Page 56

  • Mais si la SOC sapparente autant la SOP, quelle est sa valeur ajoute ? Bien que,

    ce stade, il faille traiter lide dune structure des opportunits du champ comme une

    hypothse gnrale dont la pertinence pour rsoudre des problmes empiriques

    concrets et la validit restent vrifier, nous estimons quelle a le potentiel de reprsenter

    un vritable gain pistmique par rapport la notion traditionnelle de SOP.

    Tout dabord, la notion de SOC peut a priori sappliquer tous les cas de mobili-

    sation et de contestation, indpendamment de la nature de la cible et du rle de ltat.

    Elle permet ainsi dviter le rductionnisme tatiste du modle du processus politique

    et de prendre en compte et thoriser les effets structurants des facteurs qui ne sont pas

    lis au systme politique. Elle peut nous aider saisir la trajectoire des mobilisations

    dans un contexte de stabilit tatique, cest--dire un contexte dans lequel la stabilit de

    la structure des opportunits gnre par le systme politique formel ne pourrait pas

    expliquer lmergence, la croissance ou le dclin des mobilisations. Deuximement, la

    notion de SOC expose dans cet article ne postule pas que la structure des opportuni-

    ts est exogne aux mobilisations: plutt que de supposer que les acteurs la rencontrent

    dans leur marche vers les ressources de ltat, elle apparat comme le produit des rela-

    tions et des interactions du champ et donc, en partie, des mobilisations. Cette endo-

    gnisation de la structure des opportunits implique que les acteurs la dcouvrent

    en mme temps quils contribuent la constituer et la modeler25. Leur rapport celle-

    ci nest donc pas seulement intersubjectif mais aussi pratique26. Troisimement, la

    notion de SOC permet de dvelopper une conception socialement, institutionnelle-

    ment et historiquement situe des intrts des acteurs, des luttes et du pouvoir, ces der-

    niers fluctuant dun champ lautre et dune poque lautre. Aussi, bien que la notion

    de SOC sappuie sur une logique gnrale des champs, les effets des dimensions sta-

    tiques et dynamiques de la SOC doivent tre valus empiriquement plutt que dduits

    a priori. De mme, on peut faire lhypothse que moins un champ est autonome un

    moment historique donn, plus il faudra prendre en compte des facteurs externes au

    champ pour comprendre la dynamique des mobilisations et vice versa. Et quatrime-

    ment, la notion de SOC offre des pistes de recherche pour mieux comprendre larti-

    culation entre la trajectoire des mobilisations et lespace des prises de position,

    contribuant ainsi lintgration de la dimension discursive dans la conceptualisation

    de la structure des opportunits (cf. McCammon et al., 2007).

    57Esquisse dune thorie de la contestation

    25. McAdam (1983, 1999) a dailleurs bien montr comment les militants des droits civiques amri-cains nont cess de rvaluer les opportunits de mobilisation aprs chaque pisode contestataire tout enadaptant leurs tactiques afin dtendre ces mmes opportunits et dapprofondir la mobilisation.

    26. La dimension pratique du rapport aux opportunits suggre que les dispositions des acteursjouent un rle important dans le choix dessayer de saisir une opportunit. cet gard, le concept dhabitus cest--dire un systme socialement constitu de dispositions structures et structurantes qui est acquispar la pratique et constamment orient vers des fonctions pratiques (Bourdieu et Wacquant, 1992 : 97) pourrait nous aider comprendre pourquoi certains acteurs nessaient pas de saisir des opportunits objec-tives et ventuellement expliquer pourquoi certains changements dans la SOC ne se traduisent pas par unefluctuation de la contestation et des mobilisations. Ceci dit, nous avons dcid, pour linstant, de ne pas avoirrecours ce concept en raison, notamment, des risques de drive fonctionnaliste dont il souffre. Pour une dis-cussion du concept dhabitus, voir Sewell (1992), Swartz (1997 : 95-116) et Wacquant (2005).

    01_SocioSoc_v41n2_001-088:SociologieSoc_vol41no2 1/18/10 9:35 AM Page 57

  • Il reste videmment beaucoup faire pour transformer notre esquisse dune tho-

    rie de la contestation en une srie dindicateurs prcis qui permettraient de retracer

    empiriquement la relation entre les transformations de la structure des opportunits

    du champ et la trajectoire des vagues contestataires. De plus, il convient dinsister sur

    le fait que les changements dans la SOC ne sont pas les seuls facteurs prendre en

    compte pour expliquer lmergence des mobilisations et des mouvements sociaux. On

    pourrait parler de conditions ncessaires mais certainement pas suffisantes. Tout comme

    le modle du processus politique ne se rduit pas la structure des opportunits poli-

    tiques, une thorie complte de la contestation devrait se pencher, entre autres, sur le

    rle des entrepreneurs ou des leaders, la formation et les effets des identits collec-

    tives, les rseaux de mobilisation et de diffusion et, dans une perspective bourdieu-

    sienne, les croisements entre la trajectoire sociale des acteurs et la dynamique des

    champs.

    Nous esprons, cependant, avoir russi fournir suffisamment dlments de

    rflexion et de pistes de recherche pour que daucuns aient envie daller voir jusquo

    un sociologue qui sest fait connatre en tudiant la reproduction des ingalits pour-

    rait les aider comprendre les mouvements sociaux et le changement politique.

    rsum

    Comment expliquer lmergence et le dclin de mobilisations contestataires ? Afin de rpondre cette question, nous dveloppons une critique du modle du processus politique sur la basede la thorie des champs de Pierre Bourdieu. Partant de lide voulant quune multitude despacesinstitutionnels organiss selon des logiques diffrentes coexistent au sein de chaque socit,nous proposons de remplacer la notion de structure des opportunits politiques, qui est aucur du modle du processus politique, par celle de structure des opportunits du champ(SOC). Il y aurait donc autant de SOC quil y a de champs et la structure des opportunitspolitiques ne serait quune structure dopportunits parmi dautres. Aprs avoir prsent lemodle du processus politique ainsi que la thorie des champs de Bourdieu, nous distinguonsune dimension statique dune dimension dynamique de la SOC et expliquons en quoi chacun desaspects contribue lmergence, la croissance ou au dclin des mobilisations et de lacontestation.

    abstact

    How can we explain the emergence and decline of contentious mobilization ? I address thisquestion with a critique of the political process model based on Pierre Bourdieus field theory.Building on the premise according to which there is a multitude of institutional spaces organizedaround different logics and coexisting within each society, I propose to replace the concept ofpolitical opportunity structure, which lies at the heart of the political process model, with that offield opportunity structure (FOS). Hence there would be as many FOSs as there are fields, thepolitical opportunity structure being but one of them. After sketching the political process modeland Bourdieus field theory, I distinguish a static from a dynamic dimension of the FOS andexplain how each aspect contributes to the emergence, growth or decline of mobilization andcontention.

    58 sociologie et socits vol. xli.2

    01_SocioSoc_v41n2_001-088:SociologieSoc_vol41no2 1/18/10 9:35 AM Page 58

  • resumen

    Cmo explicar la aparicin y el declive de las olas contestatarias ? Con el fin de responder aesta pregnanta, desarrollamos una crtica del modelo del proceso poltico sobre la base de la teorade los campos de Pierre Bourdieu. A partir de la idea segun la cual una multitud de espaciosinstitucionales organizados segn lgicas diferentes coexisten en cada sociedad, proponemossustituir el concepto de estructura de las oportunidades polticas, que est al centro del modelodel proceso poltico, por la de estructura de las oportunidades del campo (EOC). Habran puestantas EOC como hay campos y la estructura de las oportunidades polticas no sera ms que unaestructura de oportunidades entre otras. Despus de haber presentado el modelo del procesopoltico as como la teora de los campos de Bourdieu, distinguimos una dimensin esttica deuna dimensin dinmica de la EOC y explicamos en que cada uno de los aspectos contribuye ala aparicin, al crecimiento o al declive de las movilizaciones y de la contestacin.

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