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University of Calgary Press Canadian Association of Latin American and Caribbean Studies Essai sur les clivages et les formations politiques haïtiennes Author(s): Alain Gilles Source: Canadian Journal of Latin American and Caribbean Studies / Revue canadienne des études latino-américaines et caraïbes, Vol. 9, No. 17 (1984), pp. 13-31 Published by: University of Calgary Press on behalf of Canadian Association of Latin American and Caribbean Studies Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41799539 . Accessed: 12/06/2014 17:11 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . University of Calgary Press and Canadian Association of Latin American and Caribbean Studies are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Canadian Journal of Latin American and Caribbean Studies / Revue canadienne des études latino-américaines et caraïbes. http://www.jstor.org This content downloaded from 185.2.32.96 on Thu, 12 Jun 2014 17:11:06 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Essai sur les clivages et les formations politiques haïtiennes

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University of Calgary PressCanadian Association of Latin American and Caribbean Studies

Essai sur les clivages et les formations politiques haïtiennesAuthor(s): Alain GillesSource: Canadian Journal of Latin American and Caribbean Studies / Revue canadienne desétudes latino-américaines et caraïbes, Vol. 9, No. 17 (1984), pp. 13-31Published by: University of Calgary Press on behalf of Canadian Association of Latin American andCaribbean StudiesStable URL: http://www.jstor.org/stable/41799539 .

Accessed: 12/06/2014 17:11

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CJLACS/RCELAC, IX (no 17, 1984), pp. 13-32.

Essai sur les clivages

et les formations politiques haïtiennes

Alain Gilles Université du Québec à Montréal

This article develops the hypothesis that the Haitian political forma- tions , being constituted either from the social democratic doctrine , which , I show , is irrelevant for the countries in the capitalist periphery and above all for Haiti, or from the marxist doctrine , which , in the Haitian social sciences , is an abstract master scheme , tend to be factionned on the basis of the traditional political cleavages: land property , skin color and regional- ism. The dependent nature of the economy in the periphery tends to shift the balance of power between capital and labor in favor of the international capitalist class. This situation prevents social policies that characterize a social democratic regime. Haitian marxism has failed to provide operation- al concepts for an empirical analysis of the factors which affect the articu- lation and the mobilization power of the political formations. In this con- text , the traditional cleavages, which tend to present an overlapping structure, remain the key factors in the formation of organic political alliances.

L'UBIQUITÉ DE LA DÉPENDANCE

La dépendance des pays dits sous-développés n'est pas qu'une dépen- dance économique et technologique, comme celle-ci s'exprime dans la division internationale du travail. Elle est aussi une dépendance culturelle et idéologique se manifestant dans les valeurs et les normes sur lesquelles se fondent nos options politiques, les définitions de nos problèmes et nos choix de solutions. L'espace politique des pays de la périphérie porte la marque de cette dépendance dans les idées-forces qui sous-tendent la formation de leurs différents groupes de pression ou politiques. L'histoire du mouvement ouvrier latino-américain est marquée par toutes les idéolo-

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gies que Ton retrouve sur le vieux continent: de l'anarcho-syndicalisme au syndicalisme chrétien et au marxisme 1 . John Lombardi a indiqué que toutes les doctrines politiques qui se heurtaient sur la scène politique du Vénézuela à la fin de la dictature de Pérez Jimenez étaient importées de l'Europe ou des États-Unis 2 . Cette observation peut, sans nul doute, être généralisée à l'ensemble de la périphérie.

Cette dépendance n'est certainement pas accidentelle. L'omniprésen- ce de la dépendance est due à l'organisation de la production au niveau mondial et aux stratégies institutionnelles mises en place pour assurer la reproduction de cette organisation. La dépendance culturelle et idéologi- que fait donc partie intégrante du système centre - périphérie. Pour im- portant, cependant, qu'il soit d'établir le contact de cette dépendance, il est encore plus impératif de rendre compte de ses effets, des distortions dont elle est porteuse.

Dans cet essai, nous avançons que les formations politiques haïtiennes contemporaines, subissant l'effet de ces distortions et ne disposant pas d'analyses critiques appropriées, ne peuvent produire une pratique politi- que capable de mobiliser sur la base de principes et de transformer le réel politique haïtien. À l'intérieur de ces formations, nous retrouvons les prin- cipaux clivages de la politique traditionnelle, liés au maintien, à la consoli- dation et à la reproduction de ce réel. Ces formations tendent donc à être factionnées sur la base de ces clivages qui ont marqué l'histoire politique du pays, donnant ainsi lieu à des alliances au sein et au-delà d'elles- mêmes, rendant ces formations finalement inopérantes.

LES IDÉES-FORCES DES FORMATIONS POLITIQUES

Deux principales idées-forces que l'on retrouve à la base des forma- tions politiques haïtiennes sont la social-démocratie et le marxisme 3 . Dans quelle mesure peut-on dire que ces choix proviennent d'une analyse serrée des spécificités historiques de la formation sociale haïtienne ou en tiennent compte? Nous soutenons que tandis que la social-démocratie ré- pond difficilement aux conditions historiques de la périphérie et, a fortiori, à celles d'Haïti, étant à la périphérie de la périphérie, le marxisme haïtien, lui, n'a pas su travailler à produire des concepts opératoires permettant de faire le lien entre la théorie marxiste, générale et abstraite, et la réalité empirique haïtienne.

L'illusion d'une social-démocratie haïtienne

La social-démocratie est un compromis historique du capitalisme avec les forces de la gauche, compromis rendu possible grâce à l'expansion éco- nomique qu'ont connue les pays capitalistes avancés après la Deuxième Guerre mondiale. Elle repose sur un État fort, interventionniste, capable de procéder à la redistribution du profit capitaliste et de maintenir ainsi un équilibre entre les forces du statu quo et celles du changement, assurant finalement la survie du capitalisme. «Les expériences social-démocrates,» écrit Michel Rocart, «tirent leur relative réussite de l'expansion capitaliste qui leur a permis de jouer la carte de l' État-Providence» 4 . Et fait remar-

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quer Martinet: «Les partis sociaux-démocrates (et le parti travailliste) tirent l'essentiel de leur force de ce qu'ils apparaissent comme l'expression d'un mouvement ouvrier puissant et uni» 5 . Les forces populaires doivent être suffisamment organisées pour pouvoir apporter un appui politique efficace à l'État social-démocrate, ce qui permet à ce dernier de pouvoir ré- sister aux pressions répondant aux intérêts immédiats de la classe capita- liste et de garder en conséquence une certaine autonomie. Il y a donc deux éléments à la base d'un régime politique social-démocrate: un élément éco- nomique, l'expansion de l'économie et un élément politique, l'organisation de la force ouvrière en classe sociale. Le premier élément est une condition fondamentale et tant que la crise économique actuelle est perçue comme étant la plus grave menace à la survie même des démocraties occidenta- les 6 . Le deuxième élément est nécessaire, les réformes sociales sont le fait de la force économique et politique des syndicats. La social-démocratie s'appuie donc sur une classe ouvrière organisée. Elle se développe dans un contexte caractérisé par une structure sociale extrêmement diversifiée où les tensions sociales tendent à s'annuler, c'est-à-dire où la tendance à la polarisation est minimale.

Est-il vraiment nécessaire de se demander si ces conditions se trou- vent réalisées en Haïti? Il ne saurait être question de parler d'expansion économique portée par une bourgeoisie nationale pour ce qui concerne l'Haïti contemporaine. En outre, une tradition de revendications populai- res, de luttes sociales organisées fait tout à fait défaut chez nous. Les rap- ports sociaux, nullement politisés, se développent dans un cadre tradition- nel où les relations primaires, diffuses, l'emportent. Le citoyen haïtien n'existe qu'en tant que contribuable. De son côté, le système social est extrêmement polarisé: d'une part, les très riches qui s'approprient, par différents mécanismes d'extorsion, tant au niveau de la production qu'au niveau de la circulation ou de la distribution, presque la totalité des valeurs produites et d'autre part, les très pauvres, composés de petits paysans, de paysans sans terre (métayers et autres), d'ouvriers agricoles et indus- triels, d'artisans appauvris et de migrants ruraux croupissant dans les péri- phéries des villes. La social-démocratie? Allons, camarades!

La question est cependant mal posée. Le point théorique fondamental à clarifier est celui de la viabilité ou même de la possibilité de la social- démocratie comme forme d'État dans les sociétés périphérqiues, même en supposant réalisée de façon relative la condition de l'expansion économi- que. Certes, il a été montré que la dépendance ne constitue pas en soi un obstacle à l'expansion économique définie en termes de croissance soute- nue du produit national ou de l'intégration verticale du processus d'indus- trialisation 7 . Le Brésil ou encore l'Argentine ou le Mexique constituent des références empiriques pour montrer que la relation entre croissance économique et dépendance doit être spécifiée; d'autres variables doivent être introduites dans la relation. Les notions de développement associé 8 ou de développement dépendant 9 ont été suggérées pour décrire l'expan- sion économique dans le contexte de la dépendance.

Quelles sont cependant les conditions et les contraintes socio-politi- ques de cette expansion? Des essais théoriques inductifs féconds ont été produits pour montrer que la «profondisation» de l'industrialisation dans

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les sociétés dépendantes requiert la mise en place de régimes politiques anti-démocratiques caractérisés par l'exclusion politique dès masses et l'exploitation accrue de la classe ouvrière, par la mise hors la loi des partis politiques et par l'oppression généralisée10. Le Brésil et l'Argentine sont cités pour être des cas modèles. Le Mexique, où le parti se confond avec l'État, ne résiste pas à l'analyse, malgré toutes les apparences d'une dé- mocratie n. La social-démocratie à la vénézuélienne est financée moins par une expansion économique que par les revenus pétroliers et en dépit de cette particularité, la «gauche démocratique» placée devant les contraintes de l'industrialisation dépendante, a sensiblement évolué vers la «droite dé- mocratique» et l'on peut se questionner même sur la survie de cette der- nière 12 .

Dans le cadre de la remarque de Samir Amin, savoir que la structure sociale des pays de la périphérie est une structure tronquée, 13 faudrait-il ajouter que dans ces pays et surtout dans les plus dépendants d'entre eux, Haïti par exemple, de par la faiblesse de l'accumulation interne, la fraction dominante de la classe capitaliste est une classe étrangère, présente et absente, pouvant facilement échapper au contrôle de l'appareil étatique de ces pays tout en pouvant, à l'inverse, grandement influencer le cours de leur histoire. L'installation en Haïti d'un ensemble d'industries d'assem- blage, ce qui correspond en fait à la localisation, dans le pays, de la phase du procès de travail industriel exigeant une main-d'oeuvre abondante et à bon marché, ne change rien à la réalité de la dépendance externe du pays; la reproduction de l'ensemble du procès de production est tout à fait con- trôlée par les pays centres, les État-Unis, notamment. Dans le cas d'Haïti donc, comme conséquence de sa grande dépendance économique, la dé- pendance politique, avec une tendance à développer ses propres mécanis- mes de fonctionnement, est certainement plus forte que dans les pays dé- pendants industrialisés. Ceci affecte considérablement le pouvoir de négo- ciation de l'État qui doit se résigner à accepter les pires conditions de l'investissement externe et à n'être que le bourreau d'un peuple affamé et aux abois.

En conclusion, la situation de dépendance entraîne des contraintes qui font de la social -démocratie une alternative politique peu viable. Ces con- traintes sont imposées par le capital international, les organismes de finan- cement international et aussi par les besoins d'accumulation de l'appareil d'État devenu, dans les pays périphériques avancés, un agent de finance- ment et de développement. Ces contraintes s'exercent directement sur les masses populaires qui font les frais sociaux et politiques de l'expansion économique. Il est peut-être illusoire de croire qu'avec une aide internatio- nale bien gérée, Haïti pourra voir un jour émerger sa version de social- démocratie. Des changements dans ce pays exigent une rupture.

Le théoricisme du marxisme haïtien

Les formations politiques s 'inspirant du marxisme sont par essence des partis révolutionnaires, qui visent à la transformation de rapports sociaux fondés sur la propriété privée des moyens de production ou de rap-

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ports sociaux qui sont eux-mêmes des mécanismes d'extorsion du produit du travail des autres. Avec un tel projet politique, qui n'implique nécessai- rement pas la construction immédiate du socialisme, 14 ces formations poli- tiques ont des problèmes tout à fait particuliers. Tandis que s'élèvent con- tre elles tous ceux dont les intérêts de classe sont servis par le statu quo, leur base, qui est objectivement constituée par ceux qui en sont les exploi- tés, se trouve soumise aux appareils de formation culturelle et idéologique et de propagande politique contrôlés par les premiers.

Dans les pays périphériques, avec une capacité autonome de dévelop- pement très faible, le problème est encore plus complexe. En effet, leur statut de pays dépendants tend à bloquer tout développement interne des forces productives, il s'en suit que la contradiction classique entre forces productives et rapports sociaux se pose très différemment et se développe à un niveau qui confère au projet révolutionnaire de ces pays une dimen- sion nécessairement internationale, un caractère nécessairement anti- impérialiste.

Le changement doit cependant se produire dans des situations concrè- tes, historiquement définies. Si l'identification au marxisme attribue à une formation politique la vocation révolutionnaire, elle ne donne pas pour autant à elle seule les moyens de réalisation du changement. Nous n'enten- dons pas par là les ressources matérielles et humaines uniquement, mais aussi les analyses concrètes faites à partir de concepts opératoires très liés au réel, comme ce dernier est historiquement défini. Une action poli- tique qui vise au changement est une entreprise essentiellement difficile devant rencontrer des résistances particulières. Elle suppose une analyse de la société à transformer, une connaissance des facteurs sociaux qui af- fectent les alliances et les ruptures à l'intérieur des classes et entre elles.

Il y a environ une dizaine d'années, Claude Moïse 15 rappelait aux marxistes haïtiens la double utilisation idéologique et scientifique qui peut se faire du marxisme. Ce n'était pas qu'une mise en garde. Christian Girault, dans une note sur «le problème de la pertinence des études haï- tiennes » indiquait que la plupart des articles parus dans la revue Nouvelle Optique , dont «l'orientation politique est nettement à gauche,» avaient un «aspect 'livresque' et 'théoriciste' (faute de données empiriques)» 16 Moïse recommandait notamment que le schéma classique marxiste ne soit pas utilisé comme un lit de Procuste auquel Haïti devrait s'ajuster. Le pre- mier danger, comme d'ailleurs mis en évidence par Moïse, est que l'on peut passer tout à fait à côté de la réalité historique. Le second danger est que les analyses de la situation peuvent se situer à un très haut niveau d'abstraction, dépourvu de tout contenu historique, rendant difficile sinon impossible toute intervention qui voudrait s'en inspirer. Si, dans une cer- taine mesure, des efforts ont été faits pour écarter le premier danger 17, nous croyons que des analyses empiriques portant sur des champs précis font encore défaut dans les sciences sociales marxistes haïtiennes.

Nous pensons qu'il ne suffit pas d'affirmer chaque fois de plus que, en dernière instance, tout se ramène à la lutte des classes. Il faut certaine- ment des analyses toujours renouvelées de la formation sociale haïtienne, permettant d'identifier les classes en présence, leur fractionnement et les rapports existant entre elles, mais il faut aussi des analyses plus détaillées,

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se situant à un niveau plus proche du concret qui se fait et se défait dans des temps historiques plus courts. Il s'agit, par exemple, de produire des analyses capables de rendre compte des effets des facteurs comme les mouvements horizontaux et verticaux de population (migration et mobilité sociale), leur distribution dans l'espace socio-économique du pays, leurs rythme et ampleur, les pratiques religieuses, le recrutement presqu'exclu- sivement féminin de la main-d'oeuvre industrielle, la dispersion ou la con- centration des exploitations agricoles sur la participation sociale, la forma- tion des groupes ou encore le développement de la conscience politique.

Remarquons encore ceci: l'ouvrier haïtien n'est pas cet ouvrier tradi- tionnel des débuts de l'industrialisation en Europe, indépendant dans son métier, chez qui la vie dans la cité ouvrière développait un sens d'apparte- nance communautaire. Il n'est pas non plus cet ouvrier déqualifié du milieu de travail taylorisé; l'introduction du «travail en miettes» en Haïti a connu un processus tout à fait différent de l'émergence du taylorisme dans les pays industrialisés. L'ouvrier haïtien est encore moins, oh! loin de là, l'ouvrier de l'abondance qui a donné lieu à la théorie si controversée de la nouvelle classe ouvrière. Saisir donc cette force de travail ouvrière dans ses singularités socio-culturelles, techniques et historiques dans le cadre du capitalisme mondial afin de mieux comprendre ses potentialités d'organi- sation est une tâche primordiale et un prérequis dans l'entreprise du chan- gement.

En conclusion, il faut, sans que l'on doive pour autant verser dans l'empirisme, c'est-à-dire tout en établissant la correspondance entre les formes concrètes observées et les concepts théoriques, il faut, disions- nous, des analyses empiriques à défaut desquelles la pratique politique ne peut être que spontanée et routinière. De telles analyses faites par James Petras dans le Chili d 'Allende ont, par exemple, montré que des niveaux de conscience de classe inégaux dans la classe ouvrière chilienne consti- tuaient déjà un obstacle majeur à la survie de l'expérience socialiste dans ce pays 18. La carence de telles études, qui peut se justifier tant par les conditions difficiles de la recherche chez nous que par une position métho- dologique, consistant dans le refus du «positivisme» de la «science sociale bourgeoise»19, conduit le plus souvent et a conduit à des défaites très dures en coût humain et ne peut que contribuer au jeu de la politique fon- dée sur les clivages traditionnels.

CLIVAGES, ALLIANCES ET FORMATIONS POLITIQUES

Dans cette deuxième partie de l'étude, nous présentons trois clivages qui ont traditionnellement marqué la vie socio-politique haïtienne. Nous essayerons de montrer le système qu'ils forment, c'est-à-dire comment ils s'interpénétrent. Enfin, leurs effets au sein des formations politiques se- ront analysés à l'aide d'un modèle. D'abord, un rappel sur la théorie des clivages.

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Clivages et système de clivages

Les clivages sont des paramètres qui stratifient ou qui, dans certains cas, fragmentent une société en groupes ou en communautés20. La signifi- cation sociale d'un clivage émerge à travers un processus plus ou moins long qui accompagne la structuration du système social. Sur cette base, on peut distinguer les clivages structurels qui donnent lieu aux groupements fondamentaux, aux classes sociales qui constituent la base d'une société et les clivages fonctionnels aux rôles idéologiques divers et pouvant posséder, dans certaines conjonctures, une force de mobilisation impor- tante. Dans cette étude, nous postulons que l'entreprise du changement social doit tenir compte des clivages fonctionnels qui, généralement, ten- dent à masquer les clivages structurels, en même temps qu'ils en sont l'expression conjoncturelle. Nous refusons donc, d'une part d'établir une coupure entre la conjoncture et la structure et d'autre part nous soutenons que la transformation structurelle passe par une rupture qui est nécessaire- ment conjoncturelle.

Les clivages fonctionnels, parce qu'ils sont liés à des formations historiques précises, sont généralement absents dans les modèles théori- ques qui se veulent généraux et abstraits. Il appartient à l'analyste de les faire ressortir dans ses recherches et de montrer comment, en tant que variables, ils affectent les relations théoriques contenues dans son modèle. Dans tout autre cas, ou bien l'on tendrait à considérer les cas ne répondant pas au cadre théorique comme des cas déviants21, comme des cas excep- tionnels, ou bien on s'acharnerait à trouver l'élément manquant pour adap- ter la réalité au modèle, ou bien encore l'on déformerait les concepts en les étirant ( conceptual stretching) 22 pour qu'ils traduisent des phénomènes pour lesquels ils n'ont pas été construits. L'action politique qui dérive de ces artifices ne peut conduire qu'à des désastres.

Les clivages peuvent être analysés sous divers angles. On peut retenir leur degré de cristallisation, c'est-à-dire le nombre de membres d'une so- ciété qui sont touchés par un clivage donné. Le clivage de religion dans une société où la plupart des gens sont areligieux possède une faible cristallisa- tion. Celui de langue dans une société bilingue ou trilingue a la cristallisa- tion maximum. En effet, chauqe individu membre de cette société utilise au moins une des langues parlées.

Comme on peut facilement s'en rendre compte, tous les clivages n'ont pas le même poids socio-politique. Ce poids varie suivant les sociétés et, à l'intérieur d'une société, à travers le temps. Dans le cas d'Haïti, nous pouvons dire que le clivage de couleur a toujours eu une plus forte capacité de mobilisation politique que celui de langue, par exemple. Il revient aux partis politiques de mettre en évidence la pertinence ou la non-pertinence d'un clivage dans l'orientation des comportements politiques collectifs. Quand un clivage a acquis une force politique considérable, il faut un tra- vail méthodique et, parfois, de longue haleine pour pouvoir arriver à le désactiver à l'intérieur de la structure sociale qui l'a engendré et qu'à son tour il consolide. Il existe donc un rapport de renforcement réciproque entre un clivage et la société dans laquelle il a émergé.

Une autre importante caractéristique des clivages est qu'ils peuvent

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se superposer comme ils peuvent s'entrecroiser. Si deux clivages se super- posent, tous les acteurs sociaux qui occupent une position sur Tun des deux, se retrouveront sur une position identique pour ce qui concerne l'au- tre clivage. Si en Haïti tous les vaudouisants ne parlaient que le créole, et les catholiques, que le français (ce qui n'est certainement pas le cas), on dirait que les clivages de langue et de religion, ainsi dichotomisés, sont su- perposés. Les conséquences de polarisation politique que peuvent engen- drer de telles situations, dans le cas où les clivages superposés ont tous un poids politique élevé, peuvent conduire jusqu'à des scissions territoriales. Les clivages sont dits entrecroisés toutes les fois qu'ils se recoupent. Dans ce cas, il peut y avoir plus de fuidité, plus d'ouverture sociale.

Nous avons ici présenté trois caractéristiques des clivages: leur degré de cristallisation, l'ordre hiérarchique qu'ils forment, ce qui touche à leur poids socio-politique, l'un par rapport à l'autre et par rapport au système social dans lequel ils s'insèrent et enfin leur interpénétration, c'est-à-dire si les clivages sont superposés ou entrecroisés.

Les clivages en Haïti

En se référant à l'histoire politique d'Haïti, trois clivages paraissent avoir joué un rôle de premier plan quant à l'impact qu'ils ont eu sur la dynamique de ce pays. Il s'agit de la question agraire, de la couleur et du régionalisme. Le premier clivage répartit les membres de la société haïtienne en grands propriétaires, petits propriétaires et non propriétaires; le deuxième, en noirs et mulâtres et enfin le troisième, en hommes du Nord, homme du Sud, hommes de l'Ouest et hommes de l'Artibonite.

En écartant le clivage de la propriété capitaliste, nous postulons la dominance de l'économie agraire fondée principalement sur des rapports sociaux de type féodal dans la formation sociale haïtienne. Ces derniers, en effet, imprègnent même les exploitations agricoles de type capitaliste. C'est là, une caractéristique de la société haïtienne et d'une grande partie des sociétés de la périphérie: la pénétration capitaliste de ces sociétés n'implique pas dans tous les cas l'établissement de rapports capitalistes exclusifs ou même prédominants. Quant aux entreprises industrielles, encore que la plupart d'entre elles soient caractérisées par un certain clièntélisme dans le mode de recrutement de la main-d'oeuvre, dans l'octroi des promotions ou d'autres types de maigres avantages, elles ont un effet d'amont ou d'aval nul sur l'ensemble de l'économie. La production de denrées agricoles d'exportation sur les grandes comme sur les petites exploitations et les entreprises agro-industrielles restent le pivot de l'éco- nomie haïtienne.

La question agraire

Par la question agraire, il faut entendre non seulement la propriété du sol, sous ses formes juridique et économique, mais aussi l'ensemble des rapports sociaux liés à la production, à la répartition et à la commercialisa- tion des produits agricoles et de l'élevage. En considérant le clivage agrai- re, nous retrouvons les trois principaux groupes suivants:

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- les grands propriétaires et/ou exploitants, grands alliés des gros commerçants avec qui ils constituent les patrons des spéculateurs;

- les petits propriétaires et/ou exploitants qui, pour la pluaprt, for- ment la classe des métayers ou de ceux qui travaillent la terre par afferma- ge;

- et enfin les sans-terre, comme les non propriétaires sont des fois appelés. Ils deviennent ouvriers agricoles, les journaliers, mais tendent, de plus en plus, à migrer vers les centres urbains.

La question agraire est la question sociale la moins débattue dans les cercles et les conflits entre les politiciens ou idéologues haïtiens. De la fin de l'occupation américaine à nos jours, quel que soit l'indicateur utilisé (analyse des discours politiques, des débats ou des polémiques, la forme des alliances, ...), on se rend compte que la référence à la question agraire est plutôt incidente23. Elle est donc absente, pas dans le sens qu'elle n'est pas la question centrale. Au contraire. Plutôt qu'absente, disons qu'elle est camouflée, qu'elle est escamotée.

Mais pourquoi ce silence complice sur la question agraire? La réponse à cette question est éminemment simple. La classe politique haïtienne, dans sa grande majorité, n'a jamais eu d'intérêts à mettre en question le statu quo agraire mis en place pour l'essentiel depuis Christophe, Pétion et Boyer. Les candidats à la direction politique des affaires haïtiennes, même quand ils ne sont pas originaires de la classe dominante agraire, pactisent avec cette classe dont ils nécessitent l'appui et l'assistance pour le succès de leurs entreprises politiques. Pour ceux qui aspirent au pouvoir à des fins claniques ou personnelles, il sera toujours plus facile de l'obtenir avec les forces conservatrices ou même réactionnaires qu'avec celles du change- ment. Pour tous les autres, la lutte sera longue et âpre.

La question de couleur

C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre toute l'importance accor- dée par la classe dominante haïtienne et ses représentants politiques à la question de couleur léguée par l'histoire coloniale. C'est, selon Benoit Joachim, «un sujet que ne doivent pas escamoter ceux qui ont pour tâche d'étudier, d'expliquer et de contribuer à changer les structures socio- économiques vermoulues d'Haïti»24. En tant que clivage fonctionnel, elle sert à occulter la question sociale fondamentale et à consolider le statu quo. Elle a acquis son importance, sa force politique même au sein des masses exploitées; socialisées, qu'elles sont, aux valeurs, normes et symboles de la culture dominante.

À ce point, il est extrêmement important de souligner qu'indépen- damment de la position des membres d'une fraction de la classe dominante sur le clivage de couleur, ou de ceux qui servent ses intérêts, ils tendront à faire l'agitation, ouvertement ou non, autour de la question de couleur; la variante utilisée restant secondaire. Tout en croyant nécessaire l'analyse de la question de couleur sous ses différentes formes, nous croyons aussi devoir souligner son caractère global face à ceux qui, suivant les conjonc- tures, s'évertuent à montrer le contenu mystificateur ou le sectarisme de l'une ou de l'autre variantes. Pour l'ensemble de la classe dominante, la

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question de couleur, dans son ensemble, a une fonction stabilisatrice. Dans cette perspective, il devient théoriquement impératif d'abandon-

ner toute approche individualiste ou phénoménologique tendant à expli- quer la position politique des acteurs sociaux haïtiens à partir de leur posi- tion, en tant qu'individus, sur le clivage de couleur. Devant l'imminence d'un changement fondamental dans l'ordre social haïtien, les membres de la classe dominante haïtienne embrassent le noirisme et le mulatrisme avec la même ferveur. En outre, l'approche individualiste cache ou même nie le fait que la couleur, avant d'être individuelle, est d'abord et surtout une caractéristique contextuelle25 . Il faut entendre par là qu'elle est une carac- téristique que l'individu doit aux contextes de classe, de famille et de région dont il fait partie.

À un autre niveau, il est aussi extrêmement important de souligner que la couleur n'est pas simplement une question secondaire, comme on se plait trop facilement à le répéter sans toujours y croire. À travers l'histoire, elle a acquis un pouvoir dans la détermination des comportements poli- tiques, des relations interclaniques, tel qu'il tend à agir de façon autonome dans les moments historiques les plus tumultueux. Il ne s'agit point là d'une surprise dans l'étude des comportements collectifs. Sans être de ceux qui, avec Talcott Parsons, croient que les valeurs constituent les con- ditions structurelles de l'action sociale, il convient cependant de rappeler le poids que les analystes sociaux ont toujours accordé aux traditions et aux représentations collectives26. Ainsi, comme mis en relief par Bourdieu et Passeron27, l'éthos des classes défavorisées, tout en ayant ses fonde- ments dans la société, tend cependant à avoir son effet propre sur le com- portement des membres de ces classes. Les valeurs, les idéologies, une fois élaborées dans le contexte d'un ensemble de rapports sociaux, s'en- gagent dans un «processus d'autonomisation» qui se renforcera tant que les structures de base subsisteront. L'on a assez souvent rappelé des situa- tions où des traits culturels, des clivages survivaient aux conditions structurelles qui leur avaient donné naissance. Théoriquement, ceci tient au rythme inégal auquel se développent les structures des organisations sociales et celles des mentalités. Dans le décalage qui survient à la suite de transformations sociales, différents cas peuvent se présenter:

Il peut arriver que le clivage qui survit à une transformation radicale de la société soit complètement coupé de tout lien avec la nouvelle structu- re créée. Dans ce cas, sa disparition, à plus ou moins longue échéance, peut être attendue.

Dans d'autre cas, le clivage peut retrouver une base dans la nouvelle formation, assumant ainsi de nouvelles fonctions intégratrices, tout en por- tant les marques des adaptations nécessaires. À cette dernière catégorie appartient le clivage de couleur qui, après la révolution de 1804, a pu ac- quérir un pouvoir de mobilisation relativement fort et autonome. Ce pou- voir s'explique par son rôle stabilisateur pour le nouvel ordre social établi, par l'arme politique qu'elle constitue pour les tenants de cet ordre et sur- tout par son enracinement dans la conscience collective du peuple.

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Page 12: Essai sur les clivages et les formations politiques haïtiennes

Le régionalisme

L'histoire coloniale n'a pas seulement légué la question de couleur comme clivage socio-politique. Elle a aussi contribué à la formation de ré- gions politiques qui ont servi à empêcher ou à favoriser certains types d'alliances politiques. L'on sait le rôle de premier plan qu'ont joué le Nord et l'Artibonite en tant que lieux géographiques où se sont prises les majeu- res décisions et où se sont déroulées les principales batailles pour l'indé- pendance. Certainement, ces régions ont dû présenter des caractéristiques particulières quant à la concentration de certains types de plantation et aussi quant à la polarisation des rapports sociaux. L'existence de très grandes plantations sucrières dans le Nord exigeant un très grand nombre d'esclaves avait dû laisser peu de place aux groupes intermédiaires cons- titués par les petits blancs et les affranchis que dans la classification mo- derne on pourrait considérer comme des classes tampons. Quoi qu'il en soit, les régions ont commencé à colorer les luttes politiques haïtiennes bien avant l'indépendance. La guerre entre Toussaint et Rigaud, interpré- tée par certains comme la guerre entre les Noirs et les Mulâtres, est aussi la guerre du Sud. Cette dernière région s'est donc détachée, avec l'Ouest, en tant que région politique avec ses hommes et ses projets politiques. Pour Dantès Bellegarde, «il n'y avait pas seulement des intérêts matériels ou des questions administratives pour diviser, à l'époque coloniale, le Nord, l'Ouest et le Sud: ces trois régions différaient sensiblement par le mode de formation de leurs populations, par les sentiments, les idées, les moeurs et les traditions de leurs habitants»28. Au cours de la campagne électorale de 1957, Duvalier se référait tantôt au «Nord héroïque», tantôt à l'«Artibonite sacrée», tantôt à la « Bien aimée Jérémie»2^ .

Dans la diaspora, des associations régionales se sont multipliées et se sont révélées assez mobilisatrices 30. Aux dernières élections législatives, on entendait dire que le Nord avait choisi. Quand un macoute a été lapidé, on répétait que les gens de l'Artibonite ne savent pas plaisanter. Si deux ministres sont de Port-de-Paix et que le directeur d'un hebdomadaire à position politique ambiguë soit lui aussi de la région, on ne cessera de rappeler que l'équipe du Nord-Ouest se consolide. Ce que ces indicateurs révèlent, c'est la présence d'un régionalisme, manifeste ou latent, mais toujours présent dans les analyses et dans les pratiques politiques spon- tanées.

L'interpénétration des clivages

Dans Dessalines a parlé , Bellegarde a rappelé ce dialogue assez ré- vélateur: «Ce Mulâtre du Cap-Haïtien me dit: comment un jeune mulâtre comme vous peut-il être firministe? Ne savez-vous pas que M. Firmin est un noir? Ce Noir de Port-au-Prince me dit: Comment un jeune homme de l'Ouest comme vous peut-il être firministe? Ignorez-vous donc que M. Fir- min est du Nord? Or,» conclut Bellegarde, «ce Mulâgre du Cap-Haïtien était partisan de Sénèque Momplaisir Pierre, Noir de l'Ouest. Et ce Noir de Port-au-Prince était partisan du Général Nord Alexis, le plus nordiste des

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nordistes»31. D'après B. Joachim, le préjugé de couleur «résurgit au moins dès 1805, mais dans certaines parties du Sud et de l'Ouest, et non comme un phénomène d'envergure nationale s'étendant à l'ensemble du pays»32. D. Nicholls, de son côté, pense que «L'élite noire se trouvait lar- gement dans les zones rurales et au Cap-Haïtien, tandis que l'élite mulâtre se concentrait à la capitale et était forte dans les villes du Sud de Jérémie, des Cayes et Jacmel »33 .

À partir de ces allégations, il est clair que les clivages de couleur et de région se trouvent associés et que la configuration qu'ils forment constitue ün élément devant être retenu dans l'analyse des questions politiques haï- tiennes. Soulignons que la citation tirée de Bellegarde met en évidence que le clivage décisif dans le choix politique n'est ni la couleur, ni la région. Nous réitérons donc la position: le clivage agraire reste le clivage socio- politique fondamental et les deux autres ne servent de base qu'à la mobili- sation populaire stabilisatrice.

Cette position, cependant, ne nous empêche pas d'avancer qu'au ni- veau de la réalité et sur le plan de la couleur, des noyaux permanents quant à leur composition se sont formés à travers l'histoire du pays. Notre hypo- thèse est que cette permanence trouve son explication dans le système formé par les clivages de couleur, de région et de propriété agraire. Ce système présente une configuration caractřisée par une superposition de ces clivages, surtout pour ce qui concerne la catégorie des grands proprié- taires. En d'autres termes, les grands propriétaires noirs se retrouvent concentrés dans le Nord et dans l'Artibonite tandis que les grands proprié- taires mulâtres se retrouvent surtout dans le Sud et dans l'Ouest34. Cette superposition tend à favoriser le développement d'un discours et d'une pratique politiques autour du régionalisme et surtout autour de la couleur tout en permettant aux classes possédantes d'écarter tout à fait la question agraire dans les débats politiques. Elle procure aux deux oligarchies agrai- res, noire et mulâtre, une base territoriale à partir de laquelle elles peuvent se lancer à l'assaut du pouvoir central, en mobilisant les masses rurales qui retrouvent dans les conquêtes une fierté régionale, le Nord prenant pres- que toujours l'initiative. Ces assauts seront jalonnés de tentatives de sé- cession ou de sécessions plus ou moins brèves. L'occupation américaine (1915-1934) redéfinira les formes de la lutte pour le pouvoir. À «l'ère des baïonnettes» se substituera l'ère des tractations, sous l'oeil vigilant de la nouvelle institution militaire, mais aucun changement fondamental n'ayant été apporté aux structures du système social haïtien, les clivages réapparaîtront à chaque émeute, à chaque crise, à chaque velléité de for- mer des alliances politiques.

Le tableau suivant permet de poser avec plus de clarté et de façon plus compréhensive le problème de l'interpénétration des trois clivages.

On remarquera d'abord que le clivage de position dans la structure agraire a été dichotomisé afin de réduire la complexité du tableau sans nuire pour autant à l'analyse. Les cellules 1, 2, 3, 4 concernent la relation entre la position dans la structure agraire et la couleur pour la région du Nord; les cellules 5, 6, 7, 8 pour la région de l'Artibonite, etc. La variable position dans la structure agraire étant pour nous la variable fondamen- tale, les pourcentages devront être calculés sur la base de ses catégories.

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Page 14: Essai sur les clivages et les formations politiques haïtiennes

CLIVAGES ET LEUR INTERPÉNÉTRATION DANS LA SOCIÉTÉ HAÏTIENNE

Région Position dans Nord Artibonite Sud Ouest la structure Couleur Couleur Couleur Couleur agraire Mui. Noir Mui. Noir Mui. Noir Mui. Noir

Grands propriétaires, planteurs et spéculateurs 1 2 5 6 9 10 13 14

Petits propriétaires et sans terres 3 4 7 8 11 12 15 16

Ainsi, la somme des pourcentages correspondant aux cellules 1 et 2 de- vront donner 100%, comme aussi sera le cas pour la somme des pourcen- tages correspondant aux cellules 3 et 4. Techniquement, le clivage de ré- gion joue ici le rôle de variable contrôle, c'est-à-dire nous analysons les relations entre les deux autres clivages à l'intérieur de chacune de ses caté- gories. En ce sens, le tableau est le regroupement de quatre sous-tableaux, un pour chacune des régions.

À ce point, on se concentre sur les cellules montrant les pourcentages les plus élevés, ceux supérieurs à 80% par exemple. D'après ce que nous avons suggéré comme hypothèse, pour la région du Nord la cellule 2 de- vrait contenir tout au moins 80% des cas, c'est-à-dire de l'ensemble des grands propriétaires et des grands exploitants du Nord. Dans le cas de la région du Sud, c'est plutôt la cellule 9 qui devrait contenir tout au moins 80% des cas, c'est-à-dire de l'ensemble des grands propriétaires et des grands exploitants du Sud.

Quand on passe à la catégorie des petits paysans ou des paysans sans terre, c'est-à-dire aux cellules 3, 4 pour la région du Nord; 7, 8 pour l'Ar- tibonite; 11, 12 pour le Sud et 15, 16 pour l'Ouest, le problème se révèle plus délicat. Une analyse pour ces catégories, que nous ne pouvons entre- prendre ici, mettra en évidence le caractère nettement social de la question de couleur. C'est en ce sens que nous avons insisté sur la nécessité de la traiter non pas comme une variable absolue (individuelle), mais plutôt comme une variable contextuelle, en retenant la famille élargie et la région comme contextes. Tout en suggérant que la classe sociale peut être aussi retenue comme contexte, il ne faudrait pas que l'on s'attende à une rela- tion directe, vu comme nous l'avons déjà dit, le pouvoir analytique rela- tivement autonome qu'a acquis le clivage de couleur.

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Page 15: Essai sur les clivages et les formations politiques haïtiennes

Le tableau peut être aussi utilisé dans son ensemble et dans une pers- pective longitudinale, permettant ainsi de faire ressortir les changements qui se sont produits à l'intérieur du système formé par les trois clivages.

Les clivages, les alliances et les formations politiques

En conformité avec notre point de départ, à savoir que les formations politiques haïtiennes, étant constituées à partir ou véhiculant des idées- forces qui ne tiennent pas compte des variables qui caractérisent la struc- turation et révolution de la société haïtienne, sont marquées par des fac- tionnements dus aux alliances engendrées par des clivages traditionnels, nous présentons dans ce qui suit un modèle montrant le jeu de ces clivages dans la constitution de ces alliances.

Nous indiquons dans un premier temps que des facteurs déterminants dans la formation des groupements politiques sont d'origine externe, ils jouent directement aussi bien qu'à travers le système éducationnel haï- tien. Dans un deuxième temps, nous montrons comment l'effet de la struc- ture agraire est médiatisé pour être déformé par les clivages de région et de couleur. La figure ci-après montre schématiquement le modèle que nous décrivons comme suit:

En premier lieu, il y a les formations politiques sur la constitution desquelles jouent directement des variables externes, conséquences de la dépendance culturelle qui se traduit par l'action des médias et surtout par la prise en charge de la formation de l'élite politique par le système éduca- tionnel des pays capitalistes avancés. La plupart de nos formations politi- ques ont pris naissance sous l'influence directe de crises idéologiques ou de mouvements sociaux qui ont eu pour centres de développement les pays avancés, en particulier l'Europe sans oublier l'Union Soviétique et la Qiine.

La position dans la structure agraire stratifié par rapport à l'éducation, la profession et le revenu qui, à leur tour, se renforcent par le biais de groupes primaires où se retrouveront des familles, des amis et des collè- gues. La formation de ces groupes primaires n'est pas seulement due à l'action de ces variables. Ils subissent directement les effets des clivages de couleur et de région qui contribuent à leur renforcement. Ces groupes primaires ainsi formés donneront lieu au développement des alliances, c'est-à-dire des liens organiques au pouvoir d'action relativement efficace et basés plus sur des traditions que sur des principes, à l'intérieur des for- mations qui se retrouvent ainsi fragmentées et dotées d'un pouvoir d'in- tervention diminué.

Finalement, tout en médiatisant l'effet de la structure agraire, les variables de région et de couleur joueront, elles aussi, directement sur les alliances politiques qui, dans le temps d'ailleurs, prenaient ouvertement la forme de partis politiques. Nous pensons aux partis libéral et national. Il est certain que malgré un effort évident de certaines formations de se pré- senter autrement, en faisant référence à des principes de doctrine, elles restent marquées par cette tradition dans leur pratique. Les attentions qu'elles ont attirées sont peut-être dues à cette marque.

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CO W & o> M H M K-l O Pu co z O M H < S o Pu H W Q/5 W u z < s 3 co W O < > HH 1-1 U w p* H Z W Ç/5 Z O H < 1-4 U c¿: co w K-i H Z < PU H Z O S W <W Q O S

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Page 17: Essai sur les clivages et les formations politiques haïtiennes

SYNTHÈSE ET CONCLUSION

Pour finir, nous présentons un résumé des prémisses et des hypo- thèses que nous avons développées dans cet essai.

La social -démocratie n'est pas issue seulement d'une volonté politi- que. Elle est l'expression conjoncturelle d'une structure caractérisée par une expansion économique due au développement des forces productives et par un changement dans les rapports capital/travail, permettant au der- nier d'agir sur les politiques de l'État.

Les sociétés capitalistes périphériques, en raison des contraintes économiques qui leur sont imposées par leur position dans le système capi- taliste mondial, ne peuvent donner lieu à l'émergence de régimes politi- ques sociaux-démocrates. La surexploitation de la force de travail exigée par le capital international nécessaire à l'industrialisation dépendante, doit avoir comme support politique un régime autoritaire et oppresseur caracté- risé par l'exclusion politique des masses. Ces contraintes se révèlent encore plus fortes dans le cas de pays à très faible accumulation interne de capital, Haïti en l'occurence.

Le marxisme haïtien tributaire des maîtres-schémas occidentaux, reste encore un ensemble théorique et abstrait. Les concepts de média- tion, opératoires, pouvant permettre des analyses de nature empirique, ne sont pas développés. Les formations politiques qui s'inspirent du marxis- me, ne disposant pas d'un outil conceptuel et théorique adapté, ont donc un pouvoir de mobilisation et d'articulation plutôt faible. En conséquence:

Les formations politiques haïtiennes qui sont organisées sur la base de ces idées-forces restent fondamentalement étrangères aux réalités haï- tiennes, pour des raisons différentes, et ne peuvent arriver à établir un lien organique fort entre les éléments qui les constituent.

Des alliances fondées sur les clivages traditionnels se forment à l'in- térieur et au-delà des formations politiques, ce qui rend ces dernières éphémères dans leur composition ou même dans leur existence, faibles dans leurs interventions et inefficaces dans leurs démarches visant à géné- er des formations plus larges.

NOTES ET RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

1. Voir, par exemple, Hobart A. Spalding, Jr., Organised Labor in Latin America , New York: Harper and Row, 1977.

2. John V. Lombardi, Venezuela - The Search for Order, The Dream for Progress, New York: Oxford University Press, 1982, pp. 216-217.

3. Nous tenons à souligner que ces deux idées-forces ne constituent pas les seules que l'on puisse retrouver à la base des formations politiques haïtiennes dans la diaspora. En outré, en retenant la social -démocratie comme idée -force, cela n'implique nullement qu'il y aurait des formations politiques qui se seraient nominalement ou doctrinalement identifiées à la social- démocratie. Ce qui est certain est que la plupart d'entre elles entretiennent un discours prônant des réformes sociales qui se situent dans le cadre d'un régime social-démocrate en tant que forme d'État capitaliste. Dans le même sens, certaines formations politiques, sans

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Page 18: Essai sur les clivages et les formations politiques haïtiennes

s'identifier au marxisme, avancent des propositions qui dérivent clairement d'une concep- tion matérialiste de l'histoire.

4. Michel Rocard, «La Social -démocratie et nous», Faire , Paris: Seuil, 1979, p. 23.

5. Gilles Martinet, «Les Syndicats, fer de lance de la social -démocratie, » op. cit., p. 62.

6. Voir, par exemple, M. Crozier, S. P. Huntington and J. Watanuki, The Crisis of Democra- cy (Report on the Governability of Democracies to the Trilateral Commission), New York: New York University Press, 1975. Ou encore, plus récemment, Henry A. Kissinger, «Saving the World Economy, » Newsweek, Jan. 24, 1983.

7. Voir, entre autres, Fernando H. Cardoso, «Associated-dependent Development: Theore- tical and Practical Implications,» in A. Stepan (ed.) Authoritarian Brazil, New Haven: Yale University Press, pp. 142-178. L'on peut également voir: Arthur Mac Ewan, «New Light on Dependent Development, » Monthly Review, XXXIV, no 8 (Jan. 83) pp. 12-26.

8. F.H. Cardoso, Op. cit.

9. Entres autres, Peter Evans, Dependent Development - The Alliance of Multinational, State, and Local Capital in Brazil, Princeton: Princeton University Press, 1979.

10. Cette thèse est notamment présentée dans: Guillermo A. O'Donnell, Modernization and Bureaucratic-Authoritarianism Studies in South American Politics, Berkeley: University of California, Institute of International Studies, 1979. Pour une plus large discussion, voir: David Collier (ed.) The New Authoritarianism in Latin America, Princeton: Princeton University Ptess, 1979.

11. José Luis Reyna and R. S. Weinert (ed.) Authoritarianism in Mexico, Philadelphia: Institute for the Study of Human Issues, 1977.

12. James F. Petras and Morris H. Morley, «Petrodollars and the State: The Failure of State, Capitalist Development in Venezuela, » Third World Quarerly, V, no. 1 (Janv. 1983) pp. 7-27.

13. Samir Amin, Accumulation on a World Scale - A Critique of Theory of Underdevelop- ment. New York: Monthly Review Press, 1974, p. 360.

14. Dans le cadre des discussions sur la construction du socialisme dans la périphérie, voir: André Corten, «Cuba: Critique et Autocritique,» Nouvelle Optique, Recherches Haïtiennes et Caraïbéennes, I, no 3 (déc. 1971) pp. 119-140. Ou plus généralement et plus récemment: Barry Munslaw, «Is Socialism Possible on the Periphery?» Monthly Review, XXXV, no 1, (May 1983) pp. 25-39. II est important de noter qu'il faut se garder de confondre la mise en place d'un pouvoir de changement (the achievement of power) avec la réalisation du socialis- me (the achievement of socialism). Sur ce dernier point, voir: Paul Sweezy, «Socialism in Poor Countries,» Monthly Review, XXVIII, no 5 (Oct. 1976) pp. 1-13. Pour ce qui concerne Haïti, Gérard-Pierre-Charles indique ceci: «Haïti, pays semi-féodal, à économie arriérée, même en répudiant la voie capitaliste de développement ne peut en aucun cas entrer de plein pied au socialisme. Dire que la seule stratégie permettant de combler en des délais historique- ment brefs le retard séculaire de notre économie est de choisir la voie non capitaliste de déve- loppement, cela ne signifie nullement qu'il faut instaurer immédiatement le socialisme.» in L'économie haïtienne et sa voie de développement, Paris: Maisonneuve et Larose, 1967, p. 256.

15. Qaude Moïse, «Les théoriciens du mouvement révolutionnaire et la formation sociale haïtienne,» Nouvelle Optique - Recherches Haïtiennes et Caraïbéennes, no 5, (jan. - ma. 1972) pp. 119-142.

16. Christian A. Girault, «Le problème de la pertinence dans les études haïtiennes,» in Manpower and Unemployement Research in Africa, Montreal: Centre for Developing-Area

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Page 19: Essai sur les clivages et les formations politiques haïtiennes

Studies, McGill University, no 2, (nov. 1974) pp. 29-36.

17. Voir, par exemple, Gérard Pierre-Charles, «Genèse des nations haïtiennes et domini- caines,» Nouvelle Optique - Recherches Haïtiennes et Caraïbéennes , no 8 (oct.-nov. 1972) pp. 17-44. Jean-Jacques Doubout, Haïti: Féodalisme ou Capitalisme (Essai sur l'évolution de la formation sociale d'Haïti depuis l'indépendance) s. 1; Imprimerie ABECE, 1973.

18. James Petras, «Politicai and Social Change in Chile,» in J. Petras (ed.) Latin America: From Dependence to Revolution, New York: John Wiley and Sons, Inc., 1973 pp. 9-40 (notam- ment pp. 24-34).

19. Pour la défense d'un maxisme empirique et en même temps le rejet des prémisses positi- vistes, voir Erick Olin Wright, «Methodological Introduction,» in Class, Crisis and the State, London: NLB, 1978, pp. 9-29. On peut également voir pour une revue de la littérature Pauline Vaillancourt, «Le marxisme empirique dans les pays de l'Ouest», Les Cahiers du socialisme , no 4 (Automne 1979) pp. 108-179.

20. La littérature sur les clivages est assez dense. On peut voir le texte de base par Seymour M. Lipset and Stein Rokkan, «Cleavage Structures, Party Systems and Voter Alignments: An Introduction», in S. M. Lipset and S. Rokkan (eds) Party Systems and Voter Alignments:- Cross-National Perspectives, New Haven; The Free Press, 1967. Pour une adaptation en langue française de ce texte, voir Daniel-Louis Seiler, Partis et Familles Politiques , Paris: PUF, 1980, pp. 80-122. Pour un traitement plus technique, voir Douglas Rae and Michael Taylor, The Analysis of Political Cleavages , New Haven: Yale University Press, 1970.

21. O'Donnell dans sa revue de la théorie de la modernisation fait une critique méthodologi- que de ceux qui traitent comme déviants les pays de l'Amérique latine qui ne répondent pas à ce schéma théorique au lieu de procéder à une révision du modèle. Voir G. O'Donnell, Op. Cit., pp. 8-9.

22. Ce point méthodologique a été établi par Givanni Sartori, «Concept Misformation in Comparative Politics, » American Political Science Review, LXIV, no 4 (Dec. 1970).

23. En prenant comme référence la période qui va de l'occupation américaine à nos jours, nous ne suggérons pas implicitement qu'il en fut tout autrement pour la période d'avant l'oc- cupation. Une analyse pour cette période devrait retenir les révoltes paysannes, dans le Sud surtout, des années qui ont suivi l'indépendance, révoltes qui ont certainement marqué la structure agraire.

24. Benoit Joachim, «Sur l'esprit de couleur en Haïti», Nouvelle Optique - Recherches Haïtiennes et Caraïbéennes, no 9 (janv. - mars 1973) pp. 149-158.

25. Pour le traitement de la variable contextuelle, voir Paul F. Lazarsfeld and H. Menzel, «On the Relation Between Individual and Collective Properties, » in Paul F. Lazarsfeld et al., (eds) Continuities in the Language of Social Research, New York: The Free Press, 1972, pp. 225- 236.

26. Ici, bien sûr, l'on peut se référer à toute la tradition léguée par Max Weber et Emile Durkheim. Il est peut-être plus approprié de citer le fondateur du matérialisme historique. Voir, en effet, Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, Paris: Éditions Sociales, 1976, p. 15. On y lit: «La tradition de toutes les générations mortes pèse d'un poids très lourd sur le cerveau des vivants. »

27. Pierre Bourdieu et J.-C. Passeron, Les Héritiers, Paris: Les Éditions de Minuit, 1964, passim.

28. Dantès Bellegarde, Haïti et ses problèmes, Montréal: Valiquette, 1941, p. 103.

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Page 20: Essai sur les clivages et les formations politiques haïtiennes

29. François Duvalier, Oeuvres essentielles: La marche à la présidence , Port-au-Prince: Presses Nationales, 1966.

30. Parmi ces associations, on peut compter: Alliance Gonaivienne (ALGO); Union des Saint- Marcois (à l'étranger); Association des Haïtiens Originaires de Liancourt et de la Vallée de l'Artibonite; La Coalition Piacentine; l'Union Dessalinienne du Québec.

31. Dantès Bellegarde, «Préjugés criminels», in Dessalines a parlé , Port-au-Prince: Société d'Édition et de Librairie, 1948, pp. 90-97.

32. Benoit Joachim, Les racines du sous-développement en Haïti , Port-au-Prince: Henri Deschamps, (1979) p. 121.

33. David Nicholls, From Dessalines to Duvalier: Race, Colour and National Indépendance in Haiti , New York: Cambridge University Press, 1979, p. 141 (notre traduction).

34. Nous tenons à rappeler que, dans le cadre de notre conceptualisation, les statuts de «noirs» et de «mulâtres » sont d'ordre contextuel.

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