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© L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés. L’Encéphale (2008) Supplément 5, S159-S161 journal homepage: www.em-consulte.com/produit/encep Éditorial États mentaux à risque des 15-25 ans : quels systèmes de soins ? M. O. Krebs PU-PH, Servie Hospitalo-Universitaire, Laboratoire de Physiopathologie des Maladies Psychiatriques, INSERM Centre de Psychiatrie et Neurosciences U894 Hôpital Sainte-Anne, Paris 75014 Les premières journées ont réuni le 8 avril 2008 plus de 200 professionnels de la santé, psychiatres libéraux ou du secteur public, chercheurs, médecins scolaires, psycho- logues autour des pathologies émergentes de l’adolescent et du jeune adulte. Comme l’a souligné, Monsieur Jean-Luc Chassaniol, Directeur de l’hôpital Sainte-Anne, dans son introduction, ce domaine aborde une question de santé publique évidente, vu les conséquences sociales et humaines que représente l’irruption d’un trouble psychiatrique et plus encore d’un trouble psychotique dans la vie d’un adolescent ou d’un jeune adulte et dans celle de sa famille. Ce domaine se caractérise par deux particularités. D’une part, le dévelop- pement d’actions spéciques à ces situations repose sur la création de réseaux coordonnant les différents profes- sionnels au contact de ces jeunes patients, et donc éminemment ouverts sur l’extérieur et créant des liens forts avec l’hôpital. D’autre part, compte tenu de la complexité des questions posées, ces actions sont indissociables de la mise en place de centres Experts couplant clinique et programmes de recherche, mettant en œuvre les outils de caractérisation et les modalités de prise en charge les plus adaptées. Une dernière particularité du domaine est l’importance d’une communication vers les professionnels de terrain, de première ligne mais aussi vers la population générale an d’aider à ce que les premiers signes puissent être repérés de façon à réduire le temps de souffrance que représente le délai entre les premiers signes et une prise en charge adéquate. L’état des lieux Le système de soin actuel en France et dans la plupart des pays, consacre une part très largement majoritaire vers le traitement des syndromes psychiatriques avérés. Parmi ceux-ci, la schizophrénie constitue l’une des plus fréquentes (1 %) et l’une des plus invalidantes, par sa chronicité et l’importance de la souffrance engendrée pour les personnes concernées et leur entourage. Mais la durée de la période de psychose non traitée (Duration of Untreated Psychosis, DUP) (plus de 2 ans actuellement) serait un facteur pronostique important dans la qualité de la réponse thérapeutique à long terme, justiant les stratégies de détection et d’intervention plus précoces. Comme la plupart des troubles psychiatriques de l’adulte, la schizophrénie représente en fait l’aboutissement d’un parcours symptomatique très variable d’un sujet à l’autre. Près de la moitié des patients schizophrènes ont présenté des troubles du comportement et de l’adaptation dans les 2, 5 parfois 10 ans avant la première hospitalisation, mais ces troubles sont généralement peu spéciques. Parfois, des symptômes positifs (idées xes, illusions sensorielles) peuvent également survenir de façon intermittente ou atténuée, passant alors inaperçus. La reconnaissance du caractère pathologique de cette période par le sujet et son entourage est souvent difcile, surtout quand le changement est progressif et d’autant que ces symptômes surviennent durant l’adolescence. Le premier épisode psychotique s’installe à l’issue d’une phase de transition, * Auteur correspondant. E-mail : [email protected] L’auteur n’a pas signalé de conits d’intérêts.

États mentaux à risque des 15-25 ans : quels systèmes de soins ?

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© L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés.

L’Encéphale (2008) Supplément 5, S159-S161

journa l homepage: www.em-consu l te .com/produi t /encep

Éditorial

États mentaux à risque des 15-25 ans : quels systèmes de soins ?M. O. Krebs

PU-PH, Servie Hospitalo-Universitaire, Laboratoire de Physiopathologie des Maladies Psychiatriques, INSERM Centre de Psychiatrie et Neurosciences U894 Hôpital Sainte-Anne, Paris 75014

Les premières journées ont réuni le 8 avril 2008 plus de 200 professionnels de la santé, psychiatres libéraux ou du secteur public, chercheurs, médecins scolaires, psycho-logues autour des pathologies émergentes de l’adolescent et du jeune adulte.

Comme l’a souligné, Monsieur Jean-Luc Chassaniol, Directeur de l’hôpital Sainte-Anne, dans son introduction, ce domaine aborde une question de santé publique évidente, vu les conséquences sociales et humaines que représente l’irruption d’un trouble psychiatrique et plus encore d’un trouble psychotique dans la vie d’un adolescent ou d’un jeune adulte et dans celle de sa famille. Ce domaine se caractérise par deux particularités. D’une part, le dévelop-pement d’actions spécifi ques à ces situations repose sur la création de réseaux coordonnant les différents profes-sionnels au contact de ces jeunes patients, et donc éminemment ouverts sur l’extérieur et créant des liens forts avec l’hôpital. D’autre part, compte tenu de la complexité des questions posées, ces actions sont indissociables de la mise en place de centres Experts couplant clinique et programmes de recherche, mettant en œuvre les outils de caractérisation et les modalités de prise en charge les plus adaptées. Une dernière particularité du domaine est l’importance d’une communication vers les professionnels de terrain, de première ligne mais aussi vers la population générale afi n d’aider à ce que les premiers signes puissent être repérés de façon à réduire le temps de souffrance que représente le délai entre les premiers signes et une prise en charge adéquate.

L’état des lieux

Le système de soin actuel en France et dans la plupart des pays, consacre une part très largement majoritaire vers le traitement des syndromes psychiatriques avérés. Parmi ceux-ci, la schizophrénie constitue l’une des plus fréquentes (1 %) et l’une des plus invalidantes, par sa chronicité et l’importance de la souffrance engendrée pour les personnes concernées et leur entourage. Mais la durée de la période de psychose non traitée (Duration of Untreated Psychosis, DUP) (plus de 2 ans actuellement) serait un facteur pronostique important dans la qualité de la réponse thérapeutique à long terme, justifi ant les stratégies de détection et d’intervention plus précoces.

Comme la plupart des troubles psychiatriques de l’adulte, la schizophrénie représente en fait l’aboutissement d’un parcours symptomatique très variable d’un sujet à l’autre. Près de la moitié des patients schizophrènes ont présenté des troubles du comportement et de l’adaptation dans les 2, 5 parfois 10 ans avant la première hospitalisation, mais ces troubles sont généralement peu spécifi ques. Parfois, des symptômes positifs (idées fi xes, illusions sensorielles) peuvent également survenir de façon intermittente ou atténuée, passant alors inaperçus. La reconnaissance du caractère pathologique de cette période par le sujet et son entourage est souvent diffi cile, surtout quand le changement est progressif et d’autant que ces symptômes surviennent durant l’adolescence. Le premier épisode psychotique s’installe à l’issue d’une phase de transition,

* Auteur correspondant.E-mail : [email protected]’auteur n’a pas signalé de confl its d’intérêts.

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marquée par une aggravation des symptômes et de ses répercussions scolaires ou sociales, de durée variable.

Enjeux de la détection/intervention précoce

L’enjeu des programmes de détection est de déterminer a priori les symptômes qui doivent alerter et aider à leur reconnaissance, afi n de mettre en place les mesures de prise en charge adéquates. Mais, compliquant la situation, il faut noter que la majorité des sujets présentant des signes potentiellement évocateurs ne développeront pas de psychose avérée et c’est là la diffi culté. Ainsi, l’utili-sation du terme « d’état mental à risque », apparaît plus appropriée que celui d’état « prodromique ».

On connaît encore mal les marqueurs d’évolution, cognitifs, fonctionnels, structuraux, qui permettraient de différencier les différentes phases de la maladie psychotique ou permettraient de mieux comprendre la nature des modifi cations et dysfonctionnements accompagnant la transition psychotique et l’entrée dans la maladie.

L’observation que certains sujets présentant des troubles psychotiques attérnués ne présenteront fi nalement pas de trouble psychotique patent, tout au moins cliniquement signifi catif, suggère que la « marche vers la psychose » n’est pas inéluctable et que l’évolution pourrait avoir des formes résolutives de meilleur pronostic. On peut envisager que certaines interventions puissent empêcher la transition psychotique, que ce soit en évitant l’exposition à des facteurs précipitants (rôle du stress, du cannabis ?) ou que ce soit en favorisant les processus de récupération, « de résilience », par des interventions pharmacologiques (encore mal connues) ou psychothérapiques.

Les processus qui sous-tendent l’évolution vers l’aggra-vation ou la « résilience » sont à ce jour très mal connus. L’idée d’une possible prévention de la schizophrénie, qu’elle soit primaire, ou plus vraisemblablement secondaire ou tertiaire soulève d’immenses espoirs. Ce profond changement de point de vue, tourné vers le prospectif, implique néanmoins plusieurs changements radicaux :

ce ne sont plus des patients qui sont pris en charge mais des sujets « à risques » dont on ne connaît pas a priori le futur et pour lesquels chacune des interventions doit être évaluée dans un rapport bénéfi ce-risque différent de celui qui s’applique pour les patients dont le diagnostic de psychose est déterminé (nature des traitements, modalité d’évaluation et modalité et lieu de suivi).La tranche d’âge concernée est à cheval entre celle tra-ditionnellement vue en pédopsychiatrie, psychiatrie de l’adolescent, psychiatrie de l’adulte, nécessitant de faci-liter les ponts entre ces milieux.L’accès à ces populations à un réseau de soin ou de dépis-tage doit être facilité, en amont des systèmes spéciali-sés, et fait jouer un rôle crucial aux systèmes de soin primaires et aux professionnels non médicaux (notam-ment du milieu scolaire).Le niveau de connaissance de la population générale doit aussi être amélioré par des campagnes de sensibilisation et d’information afi n que les premiers symptômes soient

plus facilement repérés et afi n de ne pas stigmatiser les sujets repérés comme à risque.

Par ailleurs, l’analyse précise de la littérature fait apparaître le peu de données fi ables sur la faisabilité, l’effi -cacité à long terme et l’acceptabilité de tels programmes en France. Concrètement, si les travaux réalisés dans les pays anglo-saxons ont permis d’ouvrir la voie, il est indispensable aujourd’hui de favoriser les recherches afi n de valider complètement ce nouveau type d’abord des maladies mentales et de l’adapter au contexte socio-culturel français et à son système de soin.

L’objectif des Journées Européennes des Pathologies Émergentes du Jeune Adulte et Adolescent

La France a pris un retard important dans le domaine des programmes spécifi ques dédiés aux 15-25 ans, non seulement par rapport aux équipes pionnières Australiennes ou Nord Américaines, mais aussi, par rapport aux autres pays Européens. Il est important aujourd’hui de rattraper ce retard en fédérant les moyens et en facilitant le transfert des expertises pour en faire bénéfi cier la communauté. Mais nombres de questions restent incomplètement tranchées et justifi ent que ces initiatives soient implantées dans des centres permettant de mener en parallèle les programmes de recherches évaluant les stratégies d’évaluation et de soins.

Nous souhaitons que cette première Journée Européenne des Pathologies Émergentes du Jeune Adulte et Adolescent soit la première d’une série de rencontres regroupant les différents professionnels concernés par la question de la santé des adolescents et jeunes adultes et en particulier la prévention et l’intervention précoce dans la psychose : cliniciens, éducateurs, chercheurs, médecins de santé publique, décideurs.

Nous souhaitons que cette journée puisse devenir un rendez-vous privilégié favorisant les rendez vous et discussions sur ces thèmes et favorise la création de réseaux collaboratifs avec les différents professionnels.

Avec les Drs O. Canceil et G. Gozlan, I. Ferrand et MN. Vacheron, cette 1re « JEPEJAAD » a abordé principalement la question des dispositifs et systèmes de soins :

Quelle est l’accessibilité des systèmes de soins pour les 15 – 25 ans et comment l’améliorer ?Comment les familles et les patients jugent l’accessibi-lité ?Quels dispositifs et stratégies ont adopté les centres Européens ? Les programmes FETZ à Berlin et OASIS à Londres seront présentés.Comment de tels programmes peuvent-ils s’adapter aux systèmes français ?

L’expérience du centre expert C’JAAD, développé au sein du SHU adossé au réseau de santé Prépsy, spécifi -quement dédié à la détection des psychoses sera détaillé.

Les prochaines journées poursuivront ce chemin en proposant un programme faisant la place aux initiatives

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françaises tout autant qu’aux points de vue de collègues européens ou sur certains thèmes spécifi ques plus largement internationaux.

Les journées 2009 (prévues le 24 mars 2009) auront pour thème privilégié l’environnement des adolescents et des jeunes adultes (infl uence des substances d’abus, des situations sociales).

Ces journées s’inscrivent dans les actions menées par le réseau de recherche clinique et en santé des populations « Transition » cordonné par le Pr MO Krebs et soutenu par l’INSERM dont les objectifs sont :

la mise en commun d’un noyau d’outils d’évaluations (faciliter l’accès aux outils et à la méthodologie) permet-tant l’homogénéisation des évaluations enfants/adultes ;la mise en place de cohortes de recherche clinique et de protocoles thérapeutiques contrôlés facilités par l’acces-sion à une masse critique suffi sante de centre experts ;la coordination des efforts entre cliniciens, centres experts et chercheurs.

La mise en place de réseau Européen (Genève, Londres…), Francophone (Montréal) ou internationnal (McGorry, Mc Guire).

La diffusion de l’information au sein de ce réseau par la mise en place d’actions (journées scientifi ques, symposia, plaquettes d’information) et d’un site web dédié à l’infor-mation sur la détection et la prévention des psychoses.

En conclusion, familles et patients rapportent trop souvent un parcours douloureux avant de pouvoir accéder à une prise en charge, parfois émaillé de « compli-cations » : désinsertion scolaire ou professionnelle, marginalisation, tentatives de suicide. Les psychiatres partagent également le sentiment d’intervenir souvent trop tard alors qu’au moins certaines de ces complications pourraient être évitées. Il est grand temps aujourd’hui de mener des actions permettant d’améliorer l’accessi-bilité à des centres Experts développant des stratégies visant à aider à la détection précoce des sujets à très haut risque de psychose et la mise en place de prises en charge spécifi ques, adaptées à chaque situation, pour améliorer le pronostic global et possiblement, à l’avenir, enrayer l’évolution vers un épisode psychotique. Cet objectif ne pourra être atteint sans associer réseaux de soins, réseaux de recherche et information. Les JEPEJAAD tenteront d’apporter leur contribution à ce défi scientifi que, médical et humain.