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Argumentation et Analyse du Discours (2009) Ethos discursif et image d’auteur ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Jan Herman Image de l’auteur et création d’un ethos fictif à l’Âge classique ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue, l'auteur et la référence du document. Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'édition électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV). ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Référence électronique Jan Herman, « Image de l’auteur et création d’un ethos fictif à l’Âge classique », Argumentation et Analyse du Discours [En ligne], 3 | 2009, mis en ligne le 15 octobre 2009, Consulté le 25 mars 2015. URL : http:// aad.revues.org/672 Éditeur : Université de Tel-Aviv http://aad.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://aad.revues.org/672 Document généré automatiquement le 25 mars 2015. Tous droits réservés

Ethos de l Auteur Et Anonymat Sur Le Recit Prefaciel Au Xviiie Siecle

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Jan Herman

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  • Argumentation et Analyse duDiscours3 (2009)Ethos discursif et image dauteur

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    Jan Herman

    Image de lauteur et cration dunethos fictif lge classique................................................................................................................................................................................................................................................................................................

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    Rfrence lectroniqueJan Herman, Image de lauteur et cration dun ethos fictif lge classique, Argumentation et Analysedu Discours [En ligne], 3|2009, mis en ligne le 15 octobre 2009, Consult le 25 mars 2015. URL: http://aad.revues.org/672

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    Jan Herman

    Image de lauteur et cration dun ethosfictif lge classique1. Ethos et auteur: dfinitions

    1 Quand il sagit de discuter de limage de lauteur et de lethos de lcrivain, lanalysediscursive et la narratologie ont-elles quelque chose se dire? Quand, en outre, lapprochenarratologique veut contribuer une contextualisation historique de la question, les positionset concepts mthodologiques ne paraissent-ils pas trop loigns les uns des autres pour risquerun croisement dexpertise? La narratologie a beaucoup lutt avec la notion dauteur quelle adabord voulu exclure de son champ au profit de celle de narrateur. Elle a cependant t amene admettre que dans le rcit produit par un narrateur peut transparatre limage dun auteurimpliqu. En revanche, la narratologie ne connat pas la notion dethos. Pour lanalysediscursive, lethos est limage que le sujet parlant donne de lui-mme, et parfois malgr lui,par le simple fait quil prend la parole. Cette image existe dans le dire mme et dpendde lui. Elle est rgle, notamment, par le genre de discours choisi par le sujet parlant: roman,pice de thtre, ptre ddicatoire, . et par la manire dont il en manie les codes1.

    2 Or, si le concept dethos parat intressant pour lapproche narratologique des textes, cestmoins en tant quimage inscrite dans le discours mme et dans les choix quon y opre, quentant quimage dtermine par le contexte institutionnel et historique dans lequel toute prisede parole, en particulier durant lAncien Rgime, merge. Limage du sujet parlant quonessaiera de saisir ici nest pas celle que celui-ci donne involontairement de lui-mme, maiscelle quil cre, par stratgie. Cette stratgie est discursive et dans ce sens-l elle relve delanalyse du discours. La prise de parole napparat pas comme une vidence, durant lAncienRgime, o elle est soumise un assentiment pralable, non seulement des autorits tatiquesou religieuses, mais aussi de la doxa, quon peut dfinir comme lopinion publique2. Endautres termes, prendre la parole, en particulier, sous forme crite, est un geste qui a besoindtre justifi et cette lgitimation est une question pragmatique: le sujet parlant est appel donner, activement, stratgiquement, de lui-mme une image qui lgitime son apparitionsur la scne publique. Cest dans ce sens, institutionnellement dtermin donc, que la notiondethos apparat comme capitale pour une approche des phnomnes littraires qui se veut la fois narratologique et historique.

    3 Il sagira ici dinterroger les conditions dapparition dune parole, qui non seulement estassume par un sujet parlant, mais o ce sujet parlant parle en outre de lui-mme : lediscours autobiographique. Nous soutiendrons que, malgr lexistence de modles discursifsdisponibles en apparence dans le champ littraire, comme les Confessions de saint Augustinet les Essais de Montaigne, lautobiographe de lge classique ne dispose pas dun discourstout fait, codifi. Le discours autobiographique est inventer, le genre autobiographiquenexiste pas comme discours rpondant des rgles ou codes prcis, dot dune Potique.Ce qui existe, ce sont des discours teneur autobiographique, qui empruntent leurstructure lpistolaire ou aux mmoires qui, tymologiquement et souvent pratiquement,constituent des textes incomplets, provisoires, non destins la publication, des minutes quipourront servir de matriau de base un texte venir : la biographie de lauteur, qui serafaite par un autre. Cest de cette faon que les premiers diteurs posthumes de Voltaire ontperu le texte autobiographique quil avait laiss sa mort. Impubliable en tant que tel, lesditeurs de Kehl ont appel Mmoires ce manuscrit que Voltaire navait pas song publier, titre sous lequel ce texte a t souvent rdit3. Il faut rappeler aussi la solennelle etpompeuse proclamation par J.-J. Rousseau de ce que Philippe Lejeune a appel en 1975 lepacte autobiographique (Lejeune 1975) qui pour Rousseau apparat comme une entrepriseindite et exclusive: Je forme une entreprise qui neut jamais dexempleet dont lexcution

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    naura point dimitateur. Je veux montrer mes semblables un homme dans toute la vrit dela nature; et cet homme ce sera moi (Rousseau 1968: 1: 43).

    4 Dans ce texte que Rousseau brandit devant lEternel, une voix parlera de quelquun. Cettevoix ce sera la sienne, et la personne dont il sera question ce sera encore lui, Jean-Jacques.Et qui plus est, il assumera cette voix comme une voix authentique, comme une voix quirsonne dans la ralit du lecteur ou, provisoirement, de lauditeur. Trois je qui font corpset qui se rsument en un seul, lui-mme, Jean-Jacques Rousseau. Pacte autobiographiquequi implique lidentit de ces trois je. A la fin de ces Confessions, qui ne constituent enrien la fin de laventure autobiographique de Rousseau, il semble toutefois que Rousseau aittransgress un tabou. Il a parl de ses chagrins, de ses penses les plus intimes, de sesfantasmes les plus secrets, de sa sexualit. Il a parl comme quelquun qui, prcisment va confesse. Rousseau a fait de ses Confessions des lectures publiques qui ont sembl gnerson auditoire. Il fait part son lecteur de sa dception dans la dernire phrase des Confessions:Jachevai ainsi ma lecture et tout le monde se tut. Mme dEgmont fut la seule qui me parutmue; elle tressaillit visiblement, mais elle se remit bien vite et garda le silence. Tel fut lefruit que je tirai de cette lecture et de ma dclaration (Rousseau 1968: 2: 431). Cette fin desConfessions nous informe sur un code sous-jacent la discursivit classique, auquel Rousseauessaie en vain de se soustraire par son entreprise qui neut jamais dexemple: on ne parlepas de soi en public. La parole personnelle, intime, doit se confiner dans la sphre prive.Le moi ne peut sexprimer librement que dans le confessionnal, ou dans une correspondanceprive. En intitulant de faon extrmement provocatrice Confessions un texte o il rend lepublic dpositaire de son intimit, Rousseau enfreint un tabou: il change le confessionnal,qui est le lieu priv par excellence, pour un confessionnal public. Dans cette perspectivebien particulire et typiquement rousseauiste, les Confessions de saint Augustin apparaissentmoins comme un modle dcriture autobiographique que comme un rempart: cest labride ce titre consacr par la tradition que Rousseau se permet dvoquer des intimits quiauraient fait horreur son illustre modle. Aussi la lecture des Confessions, mme dans uncercle relativement restreint qui bascule entre le priv et le public, provoque-t-elle un malaise.Lexistence dun tabou, au rebours du pacte, constituera le point de dpart de notreraisonnement. Tabou de parler de soi en public et gne de prendre la parole en publicsans invitation pralable tout court. Le code de lhonnte homme na pas fondamentalementchang au 18e sicle. Il interdit au moi laccs lagora4.

    5 Linteraction entre narratologie et analyse discursive est indispensable dans la mesure o, dansla perspective historique qui est ici la ntre, le sujet parlant ne trouve pas les discours tout fait.Ltude discursive de limage quun sujet parlant donne de lui-mme, comme malgr lui, enchoisissant tel ou tel discours, demande tre complt dune dmarche inverse qui tudiecomment un sujet parlant, avant de se produire sur la scne publique, est appel crer uneimage acceptable de lui-mme, travers des stratgies discursives qui manipulent des formulestextuelles quil a sa disposition: la lettre, les mmoires, etc. Sil est vrai dune part,comme laffirme une prmisse fondamentale de lanalyse discursive, que toute prise de paroleest automatiquement entache dune image du sujet parlant, il est vrai aussi, dautre part, quece sujet parlant est forc, dans des contextes historiques prcis, de manipuler activementce discours en fonction dune image quil a besoin de donner de lui-mme au public.

    6 La notion dthos sera donc prise ici dans le sens dune image du sujet parlant, non pas tellequelle apparat ipso facto dans le discours du fait mme quil parle, mais en tant quimageconstruite, sous la contrainte de pressions institutionnelles rgles dans une large mesure parla doxa. Cette dfinition nous semble pertinente dans la mesure o elle prend en considrationles conditions historiques et contextuelles de lmergence de discours, tel que lautobiographiemoderne.

    7 Il faut aussi dfinir la notion dauteur. Si on qualifie dauteur celui qui assume luvre ense lattribuant nominatim, il apparatra quau dix-huitime sicle, cette assomption est rglepar un protocole. La notion dauteur sera apprhende, primo, comme une entit dynamiquedont le statut dpend de la place quelle occupe sur une chelle qui va de la scne prive ceque Habermas (1993) a appel lespace public. Secundo, comme le dclare Alain Viala,

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    lauteur nest pas une ncessit potique lge classique. Lunit de lhomme et de luvrenest pas tablie. Elle est subordonne une unit plus forte, celle entre luvre et le public1990: 186). Tertio, lunit entre lauteur et le lecteur propre lge classique est rgle par ladoxa. Cest le public et la doxa qui autorisent lauteur se nommer, se montrer sur la scnepublique. Mais avant que lauteur ne se montre, il devra montrer luvre et ne se montrerque quand le public aura agr celle-ci et autoris lauteur paratre. Quarto. En attendant,lauteur a besoin de recourir des scnographies5 o il fait marcher luvre avant son auteur.Ces scnes fictionnelles dmergence du moi cumulent plusieurs fonctions, comme on leverra. Mais de toute manire, lapparition du moi comme auteur sur la scne publiquedpendra de la cration dun ethos, dans la fiction, qui soit susceptible damener le public agrer le texte et autoriser lauteur paratre et assumer son uvre.

    2. Lethos comme stratgie discursive: Limage fictionnelledu sujet parlant

    8 Ces prmisses une fois tablies, nous soutenons, comme hypothse de dpart, quavant queRousseau ne forme une entreprise qui neut jamais dexemple - le pacte autobiographiquedonc la fiction offrait au moi une scne dmergence permettant de contourner letabou. Le moi est admis la scne publique condition de se prsenter comme unefiction. Autrement dit: la fictionnalisation du moi est un protocole impos par la doxa classique tout sujet parlant qui na pas dautorit suffisante pour se passer de quelques prliminaires.

    9 La floraison particulirement intense du roman la premire personne lpoque qui prcdeimmdiatement la fondation du pacte par Rousseau, nest pas un hasard. Elle tmoignede la difficult de parler de soi et de la dconnection du moi rel dun je fictionnel. Enmme temps, la fiction narrative la premire personne renferme une stratgie vasive etprotocolaire qui permet au moi rel, lauteur, de conjurer le tabou de se produire surla scne publique sans y avoir t invit. Le roman-mmoires est un objet dtude de premierordre, pour la narratologie et lanalyse discursive, dans la mesure o il reflte, dans la fiction,le problme qui nous occupe tout en offrant une solution ce problme. Mais pour que cettestratgie de lgitimation soit efficace, deux conditions doivent tre remplies: il faut que leje qui parle dans la fiction soit dconnect du sujet parlant rel; il faut en outre que lafiction se fasse reconnatre comme telle. Le lieu privilgi dune telle transaction est la prface.

    10 Dans un climat o les interdits implicites, qui agissent de manire diffuse dans le champculturel classique, poussent lauteur ne se montrer quaprs que le public la autoris paratre, la prface est un espace pragmatique o lauteur, en seffaant, sinterdit la postureen tte de luvre, se mnageant dans le dsaveu une marge de ngociation avec le public,qui le reconnatra ou ne le reconnatra pas, qui lui attribuera luvre ou lattribuera unautre. En attendant, lauteur se protge par lanonymat, doubl dune fiction prfacielle o ildnie la paternit de luvre en se donnant pour lditeur dun texte dont il nassume pas laresponsabilit. Bien entendu, certains auteurs se montrent sans protocole mais, trs souvent,sils ne sont pas cautionns par le statut dautorit reconnue, ils prennent le soin de sabriterderrire une autorit reconnue, la faveur dune ptre ddicatoire.

    11 Cest dans luvre de Rousseau que sarticulent le plus visiblement les deux postures extrmesquun auteur peut adopter au sein de la discursivit classique: posture assomptive dans laprface thiquerevendique par Rousseau: Je me nomme la tte de ce recueil, non pour melattribuer, mais pour en rpondre (Nouvelle Hlose 1967: 3); posture dngative dans laprface pragmatique que Rousseau rcuse en rejetant, dans les Confessions mais surtout dansLEmile, toute forme de ngociation au sujet de son identit: On me reprochait davoir mismon nom lEmile, comme si je ne lavais pas mis tous mes autres crits (1968: 345).Rousseau est quelquun qui signe, qui ne se soucie pas de crer de lui-mme une image quirende lgitime lapparition sur la scne publique dun homme de peu dimportance.

    12 La prface thique rpond une rhtorique de lorigine et de lunicit, qui antpose lauteur luvre, assume par lui. La prface pragmatique, quant elle, postpose lauteur luvreen dnouant leur relation. A lunit de lauteur et de luvre signe sous forme de pactedans la prface assomptive fait pendant lalliance de luvre et du lecteur dans la prface

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    dngative. Dans la premire, luvre est reconnue par son auteur; dans lautre, elle est censetre reconnue par le public. Le pivot entre ces deux relations est l uvre, objet dunengociation. Sans prface, un ouvrage demeure un livre candidat, comme le dit fort proposMarivaux: Un livre imprim, reli sans prface, est-il un livre? Non, sans doute, il ne mritepas encore ce nom, livre sans brevet [] ouvrage candidat, aspirant le devenir, et qui nestdigne de porter vritablement ce nom, que revtu de cette dernire formalit (1972: 313).

    13 La prface est une formalit. Mais quest-ce quune formalit ? Au-del de la futilit et delinutilit que le terme connote, toute formalit avait son origine une injonction, mais dontla logique est souvent devenue opaque. Se serrer la main est une formalit, un protocole.Mais qui se souvient de lorigine et de la logique intrinsque de ce geste, qui remonte unepoque o on tait tenu montrer quon ne cachait pas de couteau dans ses manches et quonvenait sans mauvaises intentions ? Le propre dun protocole, devenu formalit, est quil estun rflexe partag ressenti comme ncessaire par une communaut sans que celle-ci sacheclairement pourquoi. Dans la discursivit classique, la prface est un protocole, la fois inutileet indispensable.

    14 La prface dngative est celle qui doit nous intresser ici. Elle nous permet dtudier commentla fiction a pu fournir une rponse au tabou de parler de soi en public et la gnequimplique la prise de parole. La prface dngative dveloppe un rcit fictionnel, qui se faitbien reconnatre comme tel. Elle implique une dconnection de lauteur et de son discours, quiest explicitement pos comme autonome, indpendant, coup de son producteur rel. Enrevanche, sy dveloppe un processus autogntique qui ramne le texte un manuscrit trouv,par exemple, ou un texte traduit dune autre langue. Ltude de la critique contemporainemontre que le public ntait pas dupe de ce dispositif et quil ne prenait pas le texte quil lisaitpour le soi-disant manuscrit quon lui prsentait pour un texte authentique ou pour un originalvenu on ne sait do. Comme nous lavons montr ailleurs (Herman 2008), le public taitbien capable de reconnatre la supercherie, de reconnatre le clich. Que dit-on exactementquand on parle dun clich ou dun strotype, ou dun topos? Le topos, quand il est reconnucomme tel, reprogramme la lecture du texte et un dispositif qui semble affirmer Ceci nestpas un roman mais un manuscrit authentique sinverse en son contraire et signifie Ceciest un roman parce que manuscrit trouv. Cest donc dans sa propre ngation que la fictionprfacielle se signale. Ce signal de fictionnalit est indispensable lefficacit de la stratgiediscursive, et la cration dun thos fictionnel, dont la prface est loprateur.

    3. Le rcit prfaciel: accrditation, autonomisation,lgitimation

    15 Le protocole prfaciel se droule selon un schma bien strotyp, o on peut sans trop de difficults reconnatre trois tapes. Il se dfinit dabord par une tentative daccrditer letexte, de construire sa crdibilit. La rhtorique de laccrditation textuelle se droule selonun schma trs reconnaissable et sculaire. La modalit la plus ancienne est celle du manuscrittrouv dans un tombeau6. La rhtorique de laccrditationest indirectement lie la questionde lauctorialit, dans le sens dune autorit qui confre au texte une origine qui laccrdite:le texte est rapproch dune source qui lautorise, qui lui confre le prestige dont il a besoinpour saccrditer. Le dispositif daccrditation, sculaire, rapproche le texte dun corps quilaccrdite. Ce dispositif est topique et on pourrait en citer de nombreux exemples dans lecourant des sicles. Mais ce quil est important de voir pour notre propos, cest que le toposdu manuscrit trouv dans un tombeau dfinit le problme fondamental de lcriture, dcrit parPlaton dans Phdre: lcriture implique une rupture dans le logos, sparation du discours etde celui qui le profre, loignement du texte dun corps qui sen portait garant. Ou en termesrhtoriques: il ny a pas dactio de lcriture. Le dispositif du manuscrit trouv dans le tombeaurpare cette rupture en rapprochant le discours dun corps qui lautorise. Il y a accrditation7.A ce stade de notre rflexion, nous pouvons observer comment se reflte dans la fiction, parmise en abyme, la coupure entre lauteur et le texte en qute dautorit. Rien ne garantit queles manuscrits soient composs par le roi, le prophte ou le saint8, sur le corps de qui ils ontt trouvs, mais cest lui qui les autorise et les accrdite par le prestige attach sa royaut

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    ou sa saintet. Le rcit prfaciel reflte, dans la fiction, le problme de lauctorialit. On verradans la suite comment il y formule en mme temps une rponse.

    16 On retrouve des rcits de ce type en tte des romans du 18e sicle, comme chacun le sait. Il estindniable quen rponse la rupture platonicienne qui caractrise lcriture, des dispositifsdaccrditation ont t mis en place depuis les temps les plus reculs. Mais est-ce quecette accrditation fonctionne encore de la mme faon lpoque prmoderne ? On a toutlieu de croire quau fil des temps, laccrditation est non seulement devenue une topiquereconnaissable (ce qui est un plonasme), mais que les dispositifs prfaciels la dconstruisent cur joie. La dconstruction commence trs tt, chez Rabelais. Le manuscrit trouv dans letombeau de Gargantua contenant sa gnalogie est rong par les cafards et en partie illisible.Les caractres sont indchiffrables, et quant au corps qui est cens accrditer le texte, il estdcompos et on nen a jamais pu retrouver les pieds tellement il tait grand.

    17 Le dispositif de laccrditation, ce mirage des sources (Dragonetti 1987), est dconstruit.Dans certains rcits prfaciels du XVIIIe sicle, le corps est parti, les cercueils sembotentdans dautres cercueils plus richement orns, qui semboitent encore linfini. ChezDubocage de Blville (La princesse Coque duf et le prince bonbon, 1745), le dernier cercueilne contient plus de corps, mais un manuscrit certes prcieux mais indchiffrable, jusquaumoment o un savant que le hasard amne arrive le dchiffrer et dite le texte, lui donnantune existence publique. Le topos du manuscrit trouv dans le tombeau nest plus au servicedune rhtorique de laccrditation, mais dune valorisation de lobjet-texte: le texte quon liranest quun conte, une bagatelle, mais finement cisele. La rhtorique daccrditation estcontredite par une manuvre inverse qui la sape9. A laccrditation commencent se substituerdes processus dautonomisation de lobjet-texte et de sa lgitimation. Cette dernire concerne,on sen souvient, la faon dont le texte construit son apparition sur la scne publique.

    18 Il est temps de dvelopper un exemple sans doute. Il sagit dun roman anglais donn en1746 par Simon Berrington qui sintitule Histoire de Gaudence de Lucque10. Ce roman estprcd dun rcit prfaciel, qui raconte, en plusieurs tapes, comment une histoire est devenuemanuscrit, comment ce manuscrit a ensuite transit, de la prison o il a t compos, sonarrive en Angleterre, o une traduction en anglais la fait entrer dans le domaine public. Et entte de la traduction franaise du roman, en 1753, ce rcit est encore continu pour expliquercomme le texte anglais a finalement pu aboutir la version franaise. Cest la version de 1753,franaise donc, que nous lisons.

    19 Le texte nest pas sign. Lauteur Berrington sabsente de la page de titre pour ny laisserquune trane dtoiles. La prface est dngative et explique, dans une fiction qui se faitreconnatre comme telle, le devenir-livre dun manuscrit. L o une prface assomptive auraitpu consigner lunit de lauteur et de luvre, la prface dngative que voici dnoue cetteunit, dabord au niveau de la production relle du texte, et ensuite dans la fiction mme, parmise en abyme. Dans la fiction, un manuscrit est progressivement livr au public, et tout estmis en uvre pour que ce public agre luvre. Cette fiction prfacielle va de pair avec lamultiplication des instances narratologiques responsables du devenir-livre, qui sont dune partdes instances accrditantes, mais en mme temps des actants de la promotion du texte.

    20 Gaudence de Lucque est un mdecin vivant Bologne. Son dfaut est dtre bavard. Il raconteautour de lui quil a fait un long voyage en Afrique o il aurait dcouvert une culture, vieillede trois mille ans, encore inconnue du monde civilis. Le rcit mme raconte les aventuresde Gaudence dans ce pays. Cest videmment une utopie du type dont Swift avait donnun modle avec Gulliver. Un rcit donc de la plus haute invraisemblance, que le prfacieressaiera daccrditer. Le bruit que fait Gaudence met lInquisition sur ses traces. Il est mis enprison, et les inquisiteurs lobligent rdiger son histoire, par des moyens que ce tribunalsait employer. Sous la torture donc. Lorigine du texte est le lieu priv par excellence, laprison, qui est une espce de tombeau. La prise de parole est demble incrimine et lcrituresentoure dun processus daccrditation paradoxal: la lecture du manuscrit de Gaudencede Lucque, les inquisiteurs sont persuads que lhistoire est vraie, tellement le style est naf etsimple. La navet accrdite le texte. Mais comment croire, dautre part, un rcit extorquavec les moyens de linquisition? Le processus daccrditation est demble invalid et

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    compromis. Il tourne vide et cde la place un autre processus qui explique prcismentla sortie du manuscrit de la prison. Ce rcit trs invraisemblable, que les inquisiteurs croientvrai mais qui vhicule une vrit Gestapo, va en effet transiter de la scne prive la plusemblmatique, la prison, au domaine public. Il sort de prison un moment o la mort du papecause un relchement de la vigilance des geliers. Le manuscrit est envoy, enveloppe dansune lettre, par un secrtaire de lInquisition un ami quil a Venise. Et ds ce moment, lemanuscrit va se soustraire la dialectique du vrai et du faux, du bon ou du mauvais, pourdevenir une curiosit. Lami vnitien est un savant, lornement de son glise, de son tat etde son pays. Il est en outre bibliothcaire Saint-Marc, haut lieu culturel bien videmment, oil donne au manuscrit une place de choix dans un cabinet de curiosits, qui mrite ladmirationde tout le monde. Ce manuscrit est montr par le bibliothcaire de Saint-Marc un voyageuranglais de ses amis, qui est frapp par la nouveaut de la chose. Il en demande une copiequil traduit fidlement.

    21 Il est trs vident que le mcanisme daccrditation ntait pas fait pour tre pris au srieux.Le dispositif daccrditation est non seulement subtilement dconstruit, comme on la dit, ilse charge en mme temps dune nouvelle valence, qui est dordre potique. En effet, il nesagit plus, semble-t-il, de faire croire la vrit du texte, mais le mettre en valeur et de lepromouvoir un niveau littraire: le style est naturel et simple, il na besoin daucun secourstranger pour plaire, [il] na qu se montrer nos yeux tels quil est. Et qui plus est, il estporteur dune vrit: la vrit, mme sans ornements, a droit sur lesprit et sur le cur deshommes, que ne peut balancer la fiction la plus ingnieuse. En dautres termes - et ces termesne sont plus dordre rhtorique (faire croire, persuader) mais potique entre un texte sous-jacent et un texte quon lit en clair sesquisse une trajectoire le long de laquelle un processusde promotion a lieu. Le texte sous-jacent est un nouveau modle potique promouvoir, faire accepter. Dans le texte que nous lisons, qui est un texte corrig, amlior, se profile lemodle idal dune autre potique. La rhtorique de laccrditation sest transforme en unecampagne de promotion potique o il sagit de substituer, si lon veut, le sermo loratio,de substituer donc le discours quotidien et naturel (sans ornement et sans la disposition quedemande un discours organis) au discours littraire, qui rpond aux exigences de la potiquergnante, celle du classicisme. De plus, ce texte est une nouveaut, il est curieux, il estsingulier, terme extrmement frquent dans ce type de fictions prfacielles. Et sil y a unechose laquelle le classicisme ne sest pas intress, cest bien le singulier.

    22 Lu dans cette nouvelle lumire, non plus rhtorique mais potique, le dispositif prfacielapparat comme trs riche. La ville de Venise est un vritable pivot dans les fictions prfaciellesde ce genre. Comme le dclare notre auteur, on respire Venise un air plus libre que dans lereste de lItalie [] ltat ny admet aucun tribunal indpendant du sien. Le manuscrit changedonc despace, pour aboutir dans un lieu o les gens comme ils sont tous commerants,sont obligs davoir des gards pour toutes sortes de personnes, de quelque religion quellessoient et surtout pour les trangers. Un lieu accueillant donc, o rgne lesprit bourgeois, quiprfigure, en abyme, laccueil favorable que se prpare le texte rel par le public contemporain,lecteur de romans.

    23 Le rcit continue. Quand le voyageur anglais regagne son pays par la France, il doit passerpar la douane franaise, dbarquant Marseille. La douane franaise visite ses bagages etconfisque une partie de son manuscrit. L aussi on a affaire un topos dont la fonction narrativeest videmment de rendre possible une suite. Cest dailleurs ce qui arrivera, car le traducteurfranais du texte expliquera lexistence de son texte par la retrouvaille des feuilles confisquespar la douane franaise. Mais la valence de la douane et de la ville de Marseille sinscrit aussidans la logique potiquedclenche plus haut: la nouvelle potique vhicule par le manuscritest encore suspecte en France et il nest pas si facile de la faire entrer.

    24 La rhtorique daccrditation, dans son dysfonctionnement mme, se charge dune valencepotique et est commue en un dispositif dautonomisation. Le lieu dmergence textuelleest la prison. Lacte dcriture est un crime. Crime dautosuffisance que revendique lauteuret quil rendra excusable. Dans cette autonomisation qui se sert de lancienne rhtorique dessources en la pervertissant, tout se passe comme si le texte refusait de saccrditer, comme

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    sil refusait dtre ramen un corps qui lautorise. Tout se passe comme si le texte voulaitneutraliser la question du vrai et du faux, pour instaurer dans la fictionnalit mme un rgimedautogense et dautorfrentialit, et de se promouvoir comme un objet de valeur non plusen tant que vhicule de la vrit, mais comme discours valeur littraire. Surgissant du nant,le tombeau vide par exemple, il est progressivement coup dun auteur qui se trouverait sonorigine. Il est un manuscrit trouv dans un tombeau do le corps accrditant a disparu. Ou,comme dans lexemple de Gaudence de Lucque, le texte est produit par un auteur prisonnier,souponn de lse-autorit, suspect de manipuler lopinion publique, mais il sort de prisonet est singulirement promu comme un objet de valeur. Le texte arriv sur la scne publiquenest plus celui que Gaudence a crit dans sa prison. Ce manuscrit premier, on ne le lira pas.Le long de cette trajectoire seffectue paralllement ce processus dautonomisation du texte,un processus de promotion, de lgitimation, qui nous ramnera la question de lauteur surlaquelle dbouche cette analyse. La trajectoire de la prison la ville de Londres, prpare, parmise en abyme et dans la fiction, lentre sur la scne publique du texte rel. Le rcit prfacielreflte, dans la fiction, la problmatique de lauteur la recherche dune image et qui au niveaude la production relle du texte est forc dadopter la posture de lanonyme. En mme tempsle rcit prfaciel construit cette image, en abyme, comme un ethos fictionnel.

    25 Un lieu commun de la critique moderne est que le roman au 18e sicle investit lespacebourgeois, on la dit. Mais avec cet espace bourgeois surgit aussi la question du moi etde la parole intime.

    4. Anonymat et ethos fictionnel26 A lpoque classique, il nest pas de bon ton de trop parler de soi sur la scne publique, on

    la dit. Le lieu de la parole personnelle est la correspondance prive, et idalement, commela affirm Michel de Certeau (1982), le confessionnal. Et pourtant, le modle romanesquequi nous a occups est celui de la parole personnelle, du moi, de ses garements du cur,du corps et de lesprit. Comment rimer le tabou autobiographique et lexistence trs massivedun roman la premire personne la mme poque, o lon nest pas entirement sorti delre classique? Cest que, selon lhypothse propose ici, le moi a besoin de la fictionpour apparatre sur la scne publique de faon lgitime. La trajectoire entre deux textes quevisualisent les prfaces de romans est aussi la trajectoire de lmergence du moi, de la paroleintime, qui ne peut accder au domaine public quen se chargeant non pas de vecteurs qui lerendent authentique mais, au contraire, de valences qui le prsentent comme une fiction, maisune fiction qui dit aussi, obliquement, ce que le texte est: un objet littraire.

    27 La fiction prfacielle est aussi, et en particulier au dix-huitime sicle, une fiction lgitimante.Son analyse systmatique, dont nous navons pu montrer quun spcimen parmi beaucoupdautres, rvle que la prface dngative est un lieu o se prpare, dans la fiction, une scne delgitimation, dune part, du texte la premire personne qui apparat comme un objet culturelsans lgitimit pralable, et dautre part du moi parlant de lui-mme qui, dpourvu dautoritdans le champ culturel de lpoque, a lui aussi besoin de se forger des assises pour pouvoirse dire de faon lgitime. Dans lun et dans lautre cas, cest la fiction qui offre, au texte etau moi, une scne lgitimante.

    28 La problmatique de lethos et de limage de lauteur telle quelle est envisage ici impliquedonc la distinction de deux niveaux danalyse: la production effective du texte et sa productionfictive. Dans la prface dngative, la production effective est subordonne la productionfictive, qui est mise lavant-plan. Une image fictionnelle prend la place de limage rellede lauteur.

    29 Auteur rel et producteur fictionnel du texte se construisent lun et lautre une image, un ethos.Lauteur rel le fait travers un certain nombre de choix: il dcide de seffacer, de disparatrede la page de titre ou tout au plus dy tre nomm comme lditeur dun manuscrit. Il sefictionnalise, se crant dans la fiction une image susceptible de faire accepter par le publicle texte derrire lequel il se cache. Une fois ce texte accept par le public, lauteur pourrase montrer. Le lecteur le nommera, le sommera de paratre et il pourra rpondre, ou non, cette sommation. Lanonymat de lauteur, qui se cre une nouvelle existence dans la fiction

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    du manuscrit restitu, trahit une trange, complexe et fascinante interaction du pragmatiqueet de lthique. En effet, quand, par manque dautorit sociale ou par savoir-vivre face ladoxa, lauteur ne peut pas assumer ouvertement son uvre dans une prface assomptive, ilest forc de transiger et de recourir une pragmatique discursive, o il se compose un ethos,dans la fiction mme. Le public comprendra que lauteur de luvre cest lui, mais au moinsaura-t-il eu la modestie et le savoir-vivre de faire comme sil ne ltait pas. Celui qui, saplace, fictivement, assume le texte se cre un ethos de faon trs subtile: il se donne pour unmaladroit, qui nest pas un crivain professionnel, qui reproduit tant bien que mal un manuscrit.Lethos du producteur fictif se construit travers une captatio benevolentiae ou travers unecaptatio propter infimitatem, qui saccompagne dune progressive et subtile valorisation dumanuscrit comme objet culturel.

    30 Limage de lauteur qui est oblig par le contexte culturel de se crer un ethos dans la fictionsapplique tout individu crivant qui na pas lautorit de prendre la parole en publicsans y avoir t invit. A lcrivain qui nest pas autoris par lEtat ou par lEglise,la doxa (qui est une vritable institution de lAncien Rgime) impose du savoir-vivreet en particulier la modestie de sabriter derrire son uvre, aussi longtemps que le publicne lautorise pas paratre. Et cette autorisation dpendra dun protocole, transparent maisindispensable, travers lequel est mis en vidence un ethos fictionnel. Cette pragmatiquesemble tout particulirement sappliquer celui qui, en parlant en public, souhaite parlerde lui-mme. Le discours autobiographique nest pas constitu comme tel au dix-huitimesicle. Rousseau, en fondant le pacte autobiographique, marque une monumentale exception,qui a fait date, et qui a expuls du champ de la rflexion sur lmergence des discoursmodernes lide capitale de tabou, lisible dans les stratgies mmes que le champ discursif,romanesque en particulier, met en place pour le conjurer. Le roman-mmoires est un vritableatelier du genre autobiographique quon saisit ici sa naissance.

    31 Si donc la narratologie et lanalyse discursive se rejoignent sur le terrain historique, il sembleque cest au prix dune inversion de prmisses : la prise en considration de contraintesinstitutionnelles et/ou sociales oblige le narratologue supposer que le sujet parlant, tout enimprgnant le discours dune image de soi, est aussi une instance qui manipule ce discours enfonction de la cration dun ethos efficace.

    Bibliographie

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    Voltaire. 1998. Mmoires pour servir la vie de M. de Voltaire crits par lui-mme, d. JacquelineHellegouarch (Paris: Livre de Poche)

    Notes

    1 Voir Amossy (1999: 9): Toute prise de parole implique la construction dune image de soi. A ceteffet, il nest pas ncessaire que le locuteur trace son portrait, dtaille ses qualits ni mme quil parleexplicitement de lui. Son style, ses comptences langagires et encyclopdiques, ses croyances implicitessuffisent donner une reprsentation de soi.2 Voir pour une tude approfondie de la problmatique de la doxa: Amossy 2002, et Cauquelin 1999, qui nous empruntons la formule suivante: La doxa : une autre pense, non pas le double honteux dela raison mais une manire diffrente de raison, un processus singulier par lequel une errance trouvaitson lieu dans le mouvement, processus qui transportait des images et des mots coloniss par les canauxde linformation, et par lequel, aussi, sprouvaient des comportements non planifis.3 P. ex. Voltaire: ses Mmoires, impubliables cause de la rvlation de dtails intimes sur sa proprepersonne et sur celle de plusieurs princes ou puissants personnages (Frdric II de Prusse surtout), furentpargns lissue dun processus trange. Dans un premier temps, des lments substantiels en furentinterpols dans le Commentaire historique publi dans le tome 48 (1784) de ldition de Kehl. A cetteoccasion, les parties interpoles furent rcrites la troisime personne pour mieux se fondre dans lanarration daccueil; Il faut noter aussi que, dans un deuxime temps, le texte intgral des Mmoires futpubli, in extremis, dans le dernier tome (Tome 70, 1790), alors que la Rvolution franaise commenceavait fondamentalement transform le paysage discursif et sans doute aussi le tabou autobiographique.Les Mmoires figurent donc dits sous deux formes dans ldition de Kehl : au tome 48, de faonfragmente, recontextualise et transvocalise de JE en JE /IL; au tome 70, dans son intgralit,mais comme un discours en quelque sorte cit et non plus autonome, en annexe la Vie de Voltaire parCondorcet qui clture ldition de Kehl (Voltaire 1998).4 Voir ce sujet la remarquable tude dAlain Viala Lloquence galante, uneproblmatique (Amossy 1999:179-198).5 Terme emprunt D. Maingueneau: Enonciation par essence menace, luvre littraire lie en effetce quelle dit la mise en place de conditions de lgitimation de son propre dire (1993: 122).6 On en trouve un exemple trs ancien chez Pline lancien qui se fonde sur une source plus ancienne quiest Cassius Hemina. En 181 avant J.-C., lcrivain Cornelius Terentius aurait dcouvert, en travaillantson champ la charrue sur le mont Ianicule Rome, le cercueil du roi Numa Pompilius. Dans ce cercueilse trouvaient galement ses livres crits sur papyrus. Comment ces papyrus avaient-ils pu tre conservspendant les quelque 535 ans qui sparent le rgne de Numa de la trouvaille? Lexplication donne parCassius Hemina est que les manuscrits avaient t placs dans une pierre rectangulaire, enveloppe dansdes bandes trempes dans de la cire. Les rouleaux mmes auraient t imbibs dhuile de cdre. Leslivres retrouvs dans cet tat auraient contenu des crits de philosophie pythagoricienne. Cassius Heminatermine son rcit, repris par Plinius, en disant que le prfet Q. Petillius avait ordonn de brler ces crits,respectant en cela une dcision du snat. Cette histoire rapparat chez Varro, Livius et Plutarque, avecdes variantes plus ou moins importantes.7 Les Ephmrides de la guerre de Troie, un faux notoire datant du deuxime sicle de notre re,saccrdite par le rcit de la trouvaille du manuscrit dans un tombeau Crte qui serait celui de Dyctis,tmoin oculaire de la guerre de Troie et donc source de la guerre plus fiable quHomre.8 La Vie de Saint Alexis, rcit hagiographique du XIe sicle, se ramne un manuscrit trouv sur lecorps mort du saint.9 On trouvera le texte complet de ce rcit prfaciel dans Herman 1998.10 Le texte complet de ce rcit prfaciel peut tre lu dans Angelet & Herman 2003.

    Pour citer cet article

    Rfrence lectronique

    Jan Herman, Image de lauteur et cration dun ethos fictif lge classique, Argumentation etAnalyse du Discours [En ligne], 3|2009, mis en ligne le 15 octobre 2009, Consult le 25 mars 2015.URL: http://aad.revues.org/672

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    propos de l'auteur

    Jan HermanKU Leuven, Centre de Recherche sur le roman du XVIIIe sicle

    Droits d'auteur

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    Rsums

    Linteraction entre narratologie et analyse discursive est indispensable dans la mesure o, dansla perspective historique dveloppe dans cet article, le sujet parlant ne trouve pas les discourstout fait. Ltude discursive de limage quun sujet parlant donne de lui-mme, comme malgrlui, en choisissant tel ou tel discours, demande tre complment dune dmarche inverse quitudie comment, lge classique, un sujet parlant, avant de se produire sur la scne publique,est appel crer une image acceptable de lui-mme, travers des stratgies discursives quimanipulent des formules textuelles quil a sa disposition. Sil est vrai dune part, commelaffirme une prmisse fondamentale de lanalyse discursive, que toute prise de parole estautomatiquement entache dune image du sujet parlant, il est vrai aussi, dautre part, que cesujet parlant est forc, dans des contextes historiques prcis, de manipuler activement cediscours en fonction dune image quil a besoin de donner de lui-mme au public. Cela estparticulirement vrai pour le discours autobiographique. Lmergence du moi semble, lgeclassique, insparable dun emploi particulier de la fiction. Le moi est admis la scnepublique condition de se prsenter comme une fiction. La fictionnalisation du moi est unprotocole impos par la doxa classique tout sujet parlant qui na pas dautorit suffisantepour se passer de quelques prliminaires.

    The image of the author and the creation of a fictional ethos in theClassical AgeThe interaction between narratology and discursive analysis is imperative insofar as, from thehistorical viewpoint developed in this paper, the speaking subject does not find a ready-madediscourse. The discursive examination of the image that a speaking subject offers of himselfas if in spite of himself by choosing a certain type of discourse ought to be complementedby a reverse approach. This approach examines how, in the Classical Age, a speaking subjectis expected, before entering the public scene, to create an acceptable image of himself throughdiscursive strategies which manipulate the textual formulae he finds at his disposal. If, on theone hand, it is true that (according to a basic premise of textual analysis) any speech act isautomatically tainted by an image of the speaking subject, on the other hand, it is also true thatthis speaking subject is, in specific historical contexts, forced to actively manipulate thisdiscourse in function of the manner in which he wishes to be perceived by the public. This isparticularly true in the case of autobiographical discourse. In the Classical Age, the emergenceof the I seems to have been inseparable from a specific usage of fiction. The I may onlyenter the public scene when presented as fiction. The fictionalisation of the I is a protocolwhich Classical doxa dictates to every speaking subject who is not sufficiently authoritativeto overlook certain preambles.