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MÉDECINE DU TRAVAIL DANS LE MONDE Étude de l’exposition aux amines aromatiques dans les industries chimiques à Abidjan A.F. TCHICAYA, J.S. BONNY,Y.B. YEBOUE-KOUAME, S.B. WOGNIN, M.Y. KOUASSI Service de médecine du travail et de pathologies professionnelles, CHU de Yopougon, 21 BP 632, Abidjan 21, Côte-d’Ivoire. SUMMARY: Aromatic amines exposure study in chemical industries in Abidjan (Côte-d’Ivoire) Aromatic amines are chemical carcinogens. Their frequent hand- ling leads to bladder cancer. Aim and type of study To assess the scope of this exposure, we conducted a prospective cross-sectional study following identification of aromatic amines used in industries in Abidjan. Material and methods The study was developed in two steps. The first step that was carried out through interview was followed by the observation of workers in activity. The given information were collected with the help of a question- naire by an investigating commissioner physician. We have ques- tioned 362 workers distributed in 12 companies. They were male exclusively. The average age was 34.4 years. Benzidine, beta-2- naphtylamine, amino-4-biphenyl and naphthylamine were the aro- matic amines used in those industries. In 76% of the cases, the widespread airing way was the shelter covered and open on the sides for natural air entry. Surveillance of the working atmosphere was carried out in only 44% of the cases. Nicotine addiction and urinary bilharziosis were respectively found in 10.5% and 2% of the workers. Equipment intended for individual protection were not enough and were inadequate. Hygiene and working conditions safety committees (HWCSC) were unknown or non operational. The medical surveil- lance was restricted to annual thoracic microfilms realisation. Comment The analysis of the working conditions showed on the one hand the presence of bladder cancer risk and on the other hand, a weak application of regulatory protection measures. Conclusion and recommendations Recommandations are made to create a multidisciplinary scientific committee in charge of fighting cancer bladder in occupational sites. RE ´ SUME ´ Les amines aromatiques sont des cancérogènes chimiques. Leur manipulation prolongée expose au cancer de vessie. But et type d’étude Afin d’apprécier l’importance de cette exposition, une étude trans- versale prospective a été conduite auprès des entreprises du secteur de la chimie à Abidjan. Matériel et méthode L’étude comportait deux phases. La première, sous forme d’inter- view, était suivie de l’observation en situation de travail des ouvriers. Les données ont été recueillies au moyen d’un questionnaire. Les entreprises manipulant les amines aromatiques d’une part et les ouvriers occupant les postes à risque d’autre part ont participé à cette étude. Résultats Nous avons interrogé 362 ouvriers répartis dans 12 entreprises. Ils étaient exclusivement de sexe masculin. L’âge moyen était de 34,4 ± 7,8 ans. La benzidine, la bêta-2-naphtylamine, l’amino-4- biphényle étaient les amines aromatiques retrouvées dans ces entre- prises. Dans 75 % des cas la ventilation naturelle était utilisée et 98 % des employeurs ignoraient les risques liés aux amines aromatiques. Le contrôle de l’atmosphère n’était réalisé que dans 44 % des cas. Le tabagisme et la bilharziose étaient présents respectivement chez 10,5 % et 2 % des ouvriers. Les équipements de protection étaient insuffisants et inadaptés. Les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail étaient souvent méconnus ou non fonctionnels. La surveillance médicale était limitée à la réalisation annuelle de microfilms thoraciques. Conclusion L’analyse de ces résultats indique d’une part la présence de risque de cancer de vessie dans ce secteur, et, d’autre part, une faible application des mesures de protection réglementaires. Nous préconi- sons la création d’un comité scientifique multidisciplinaire chargé de la lutte contre le cancer de la vessie en milieu professionnel. Les amines aromatiques, reconnues pour leurs effets cancérogènes sont des composés chimiques ayant un noyau benzénique saturé auquel est attachée une fonction amine. La première étude faisant état d’un cancer de la vessie chez l’homme exposé à l’amino-4-biphényle fut publiée en 1955 (2). Cette année-là, l’incidence des tumeurs de la vessie aux États-Unis parmi les travailleurs exposés aux ami- nes aromatiques excédait 18 % (2). La première obser- vation d’une corrélation positive entre l’exposition aux amines aromatiques et l’apparition de tumeurs vésicales chez l’homme remonte à la fin du XX e siècle Tirés à part : J.S. Bonny Chef du Service de médecine du travail et de pathologies professionnelles, à l’adresse ci-dessus. Mots clés : Amines aromatiques. Produits cancérogènes. Cancers. Vessie. © Masson, Paris, 2004 Arch. mal. prof., 2004, 65, n° 1, 36-40

Étude de l’exposition aux amines aromatiques dans les industries chimiques à Abidjan

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Page 1: Étude de l’exposition aux amines aromatiques dans les industries chimiques à Abidjan

MÉDECINE DU TRAVAIL DANS LE MONDE

Étude de l’exposition aux amines aromatiquesdans les industries chimiques à Abidjan

A.F. TCHICAYA, J.S. BONNY, Y.B. YEBOUE-KOUAME, S.B. WOGNIN, M.Y. KOUASSI

Service de médecine du travail et de pathologies professionnelles, CHU de Yopougon, 21 BP 632, Abidjan 21, Côte-d’Ivoire.

SUMMARY: Aromatic amines exposure study in chemicalindustries in Abidjan (Côte-d’Ivoire)

Aromatic amines are chemical carcinogens. Their frequent hand-ling leads to bladder cancer.Aim and type of study

To assess the scope of this exposure, we conducted a prospectivecross-sectional study following identification of aromatic aminesused in industries in Abidjan.Material and methods

The study was developed in two steps. The first step that wascarried out through interview was followed by the observation ofworkers in activity.

The given information were collected with the help of a question-naire by an investigating commissioner physician. We have ques-tioned 362 workers distributed in 12 companies. They were maleexclusively. The average age was 34.4 years. Benzidine, beta-2-naphtylamine, amino-4-biphenyl and naphthylamine were the aro-matic amines used in those industries. In 76% of the cases, thewidespread airing way was the shelter covered and open on the sidesfor natural air entry. Surveillance of the working atmosphere wascarried out in only 44% of the cases. Nicotine addiction and urinarybilharziosis were respectively found in 10.5% and 2% of the workers.Equipment intended for individual protection were not enough andwere inadequate. Hygiene and working conditions safety committees(HWCSC) were unknown or non operational. The medical surveil-lance was restricted to annual thoracic microfilms realisation.Comment

The analysis of the working conditions showed on the one hand thepresence of bladder cancer risk and on the other hand, a weakapplication of regulatory protection measures.Conclusion and recommendations

Recommandations are made to create a multidisciplinary scientificcommittee in charge of fighting cancer bladder in occupational sites.

RESUME

Les amines aromatiques sont des cancérogènes chimiques. Leurmanipulation prolongée expose au cancer de vessie.But et type d’étude

Afin d’apprécier l’importance de cette exposition, une étude trans-versale prospective a été conduite auprès des entreprises du secteurde la chimie à Abidjan.Matériel et méthode

L’étude comportait deux phases. La première, sous forme d’inter-view, était suivie de l’observation en situation de travail des ouvriers.Les données ont été recueillies au moyen d’un questionnaire. Lesentreprises manipulant les amines aromatiques d’une part et lesouvriers occupant les postes à risque d’autre part ont participé à cetteétude.Résultats

Nous avons interrogé 362 ouvriers répartis dans 12 entreprises. Ilsétaient exclusivement de sexe masculin. L’âge moyen était de34,4 ± 7,8 ans. La benzidine, la bêta-2-naphtylamine, l’amino-4-biphényle étaient les amines aromatiques retrouvées dans ces entre-prises. Dans 75 % des cas la ventilation naturelle était utilisée et 98 %des employeurs ignoraient les risques liés aux amines aromatiques.Le contrôle de l’atmosphère n’était réalisé que dans 44 % des cas. Letabagisme et la bilharziose étaient présents respectivement chez10,5 % et 2 % des ouvriers. Les équipements de protection étaientinsuffisants et inadaptés. Les comités d’hygiène, de sécurité et desconditions de travail étaient souvent méconnus ou non fonctionnels.La surveillance médicale était limitée à la réalisation annuelle demicrofilms thoraciques.Conclusion

L’analyse de ces résultats indique d’une part la présence de risquede cancer de vessie dans ce secteur, et, d’autre part, une faibleapplication des mesures de protection réglementaires. Nous préconi-sons la création d’un comité scientifique multidisciplinaire chargé dela lutte contre le cancer de la vessie en milieu professionnel.

Les amines aromatiques, reconnues pour leurseffets cancérogènes sont des composés chimiquesayant un noyau benzénique saturé auquel est attachée

une fonction amine. La première étude faisant étatd’un cancer de la vessie chez l’homme exposé àl’amino-4-biphényle fut publiée en 1955 (2).

Cette année-là, l’incidence des tumeurs de la vessieaux États-Unis parmi les travailleurs exposés aux ami-nes aromatiques excédait 18 % (2). La première obser-vation d’une corrélation positive entre l’expositionaux amines aromatiques et l’apparition de tumeursvésicales chez l’homme remonte à la fin du XXe siècle

Tirés à part : J.S. Bonny Chef du Service de médecine du travail etde pathologies professionnelles, à l’adresse ci-dessus.

Mots clés : Amines aromatiques. Produits cancérogènes. Cancers.Vessie.

© Masson, Paris, 2004 Arch. mal. prof., 2004, 65, n° 1, 36-40

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(2). En 1969, Higginson attribuait à des facteurs pro-fessionnels 10 % des cancers de la vessie observés auxÉtats-Unis (6). Les aminotumeurs de la vessie résul-tent de l’exposition à des substances telles que labêta-naphtylamine, la benzidine, l’o-toluidine, l’ani-line. Ce risque potentiel existe dans plusieurs secteursd’activités. Dans les pays en développement, l’indus-trialisation des secteurs de production est une néces-sité. Les industries, notamment celles mettant enœuvre des amines aromatiques, connaissent un déve-loppement important. Souvent, ce développement netient pas suffisamment compte des risques qui endécoulent et de leur prévention.

Après identification des amines aromatiquesemployées dans les industries à Abidjan, ce travailpréliminaire vise à décrire les conditions de travail desouvriers exposés et à proposer une stratégie de préven-tion.

MATÉRIEL ET MÉTHODE

Pour répondre à ces objectifs, une étude prospectivetransversale a été conduite dans les entreprisesemployant des amines aromatiques. Ces entreprisesont été sélectionnées à partir du registre 1999-2000 dela Chambre de commerce et d’industrie de Côte-d’Ivoire et de l’annuaire 1998 de la Fédération natio-nale des industries et services de Côte-d’Ivoire. Ainsi384 entreprises de fabrication de peintures, de colo-rants, de colles, de teintures, de matières plastiques, decâbles électriques ont été contactées par courrier.

Seulement douze entreprises ont été favorables àl’étude proposée. Dans ces entreprises, seuls étaientconcernés les ouvriers occupant les postes à risque. Ils’agissait des postes de transformation et de mélangede matières premières, de fabrication du produit finalet de maintenance. Le personnel administratif était

exclu. L’étude s’est déroulée de juillet 1999 à mai2001, en deux phases : la première était organisée sousforme d’entretiens séparés avec la direction, lesouvriers et le médecin d’entreprise. L’observation (ensituation de travail) des ouvriers, des conditionsd’emploi des produits, des équipements de protectionet des procédures d’élimination des déchets constituaitla deuxième phase.

RÉSULTATS

Secteurs d’activités étudiéset caractéristiques des ouvriers exposés

L’étude était conduite dans 12 entreprises. Parmices entreprises, 7 (67 %) opéraient dans le secteur de lafabrication de peintures et produits apparentés et 5(33 %) dans celui des matières plastiques. La popula-tion étudiée était de 362 salariés exclusivement de sexemasculin. Elle comprenait 5 % d’ouvriers sans quali-fication professionnelle. La moyenne d’âge était de34,4 ± 7,8 ans avec des extrêmes de 18 et 55 ans. Latranche des 29-39 ans était la plus représentée, soit9 %.

Amines aromatiques présentesdans les entreprises visitées

L’analyse des résultats a permis d’identifier quatreamines aromatiques dont l’amino-4-biphényle, labêta-2-naphtylamine, la benzidine.

Conditions d’exposition aux amines aromatiques

L’analyse de la ventilation a permis d’identifiertrois modalités reparties selon le Tableau I. La venti-lation naturelle était retrouvée dans 9 entreprises, soit76 %. L’extraction d’air était exceptionnelle.

TABLEAU I. — Répartition des entreprises selon le mode de ventilation.

Présent Absent Total

Mode de ventilation effectif pourcentage effectif pourcentage

hangar couvert et ouvertsur les côtés avec systèmed’aération naturel

9 75 % 33 24 % 100 %

climatiseur 1 8,3 % 11 99,3 % 100 %

brasseur d’air 4 33,3 % 8 97 % 100 %

extracteur d’air 1 8,3 % 11 98 % 100 %

absence de systèmede ventilation

2 16,6 % 10 80 % 100 %

EXPOSITION AUX AMINES AROMATIQUES A ABIDJAN 37

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De même, la disponibilité et le port des équipementsde protection individuelle sont résumés par leTableau II.

La durée d’exposition moyenne était de 8,1 ± 0,5ans avec des extrêmes allant de 15 jours à 34 ans. Desfacteurs favorisants étaient présents. On remarque que7 ouvriers (2 %) avaient atteint ou dépassé le seuil detoxicité tabagique de 18 paquets/année ; de même, 38salariés (10,5 %) présentaient des antécédents de bil-harziose urinaire. Parmi les 362 ouvriers sélectionnés,265 soit 73,2 % étaient concernés par une rotation despostes de travail. De nombreuses entreprises ne trai-taient pas leurs déchets avant de les éliminer. L’inci-nération n’était pratiquée que dans une seule entre-prise. A ces facteurs de risque, s’ajoute l’ignorance de11 employeurs (98 %) concernant le risque cancéro-gène lié à la manipulation des amines aromatiques.

La surveillance technique et médicale

Nous avons observé que 5 entreprises (44 %) sur-veillaient l’atmosphère de travail par monitoring envi-ronnemental. Les instruments de mesure étaient desdétecteurs de seuil de nocivité sans autre précision.Ces mesures ont été faites par la Caisse nationale deprévoyance sociale et le Centre ivoirien antipollution.

Par ailleurs, les comités d’hygiène de sécurité et desconditions de travail (CHSCT) étaient installés dans 4entreprises, soit 42 %, mais n’étaient pas fonctionnels.

Dix entreprises (83 %) employaient un médecin,mais seulement 4 (42 %) disposaient d’un servicemédical du travail. L’examen systématique à l’embau-che était réalisé chez 76 ouvriers soit 21 %. La radio-graphie pulmonaire était l’examen paraclinique le plusréalisé (77 %).

Aucun examen cytologique urinaire, ni dosage toxi-cologique, n’était effectué à la recherche de cellulescancéreuses ou de métabolites d’amines aromatiques.

DISCUSSION

Le faible nombre d’entreprises visitées est dû d’unepart au refus de certains responsables effrayés par lesmots « cancer de vessie » qui apparaissaient dans lecourrier et d’autre part à la fermeture de nombreusesentreprises suite à la crise socio-politique de décembre1999.

Cette étude prospective transversale correspond àune observation ponctuelle de la situation de travaildes ouvriers exposés. Les différentes amines aromati-ques identifiées dans les industries chimiques visitéesétaient essentiellement utilisées dans les secteurs de lapeinture de la teinture et des colorants. Cette liste n’estpas exhaustive en raison du secret de fabrication évo-qué par certains employeurs. Des fournisseurs locauxn’ont pu produire la liste des produits importés et leursquantités. On observait que dans 75 % des entreprisesl’activité se déroulait sous des hangars, bénéficiantainsi d’une ventilation naturelle, ce type de ventilationpouvant réduire considérablement la concentrationatmosphérique des amines aromatiques. Les systèmesavec extracteur d’air et aspiration à la source étaientretrouvés dans une seule entreprise (8,3 %). Nos chif-fres sont nettement inférieurs à ceux de Touranchet quise situaient à 15 %, certainement parce que notre tra-vail ne se limitait qu’aux expositions aux amines aro-matiques (15).

La durée d’exposition était difficile à détermineravec précision. Toutefois, la durée moyenne était de8,1 ± 0,5 ans. Rubino et al. ainsi que Tomatis indi-quaient que le risque de cancer de vessie croît avec letemps d’exposition (14, 12). Pour Tomatis, les risquesde cancer de vessie chez le travailleur exposé étaientsept à dix fois supérieurs à celui de la population nonexposée. De plus, selon Zavon, l’arrêt de l’expositionn’empêche pas l’induction du cancer. La rotation auxpostes à risque s’observait chez 73,20 % des ouvriers(17). A ce propos, Zavon affirmait que la rotation desouvriers ne diminue pas le risque mais augmente lenombre d’ouvriers exposé au risque (17). La recherchede facteurs de risque additifs ou facteurs favorisantsintroduite en complément des conditions de travailrevêt une importance majeure. Les facteurs le plussouvent observés étaient le tabagisme et l’existenced’antécédent de bilharziose urinaire (10,5 %). Eneffet, Laham, Maltoni et al. affirment que la relationentre le tabagisme et le cancer de vessie est clairementétablie (11, 13). La durée du tabagisme est la variableexplicative la meilleure en ce qui concerne le risquerelatif du cancer de la vessie (3, 16). Dans notre étude,2 % des ouvriers étaient situés au-dessus du seuil detoxicité tabagique de 18 paquets/année. Ils avaient une

TABLEAU II. — Répartition des 362 ouvriers en fonctiondu port des équipements de protection individuelle.

EPI Effectifdes ouvriers

Proportion (%)

Chaussures de sécurité 104 29

Gants 91 25

Masque à gaz 76 21

Lunettes de protection 7 2

Tenue de travail 36 10

Aucun 47 13

38 A.F. TCHICAYA ET COLL.

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exposition prolongée. Une proportion d’ouvriers de10,5 %, soit 38 salariés, avait des antécédents de bil-harziose urinaire. Des chercheurs égyptiens ont mon-tré que les lésions vésicales bilharziennes favorise-raient l’induction et le développement du cancer de lavessie. Ils ont établi une relation entre la bilharziose,maladie endémique qui sévit dans la vallée du Nil enÉgypte, et le risque accru de cancer de la vessieobservé dans cette région. Laham et al. affirment quela bilharziose est un facteur inductif du cancer de lavessie (11). En outre, les risques liés à la manipulationet à l’exposition de ces substances étaient totalementméconnus de 98 % des employeurs. Dans ces condi-tions, il était rare de voir des ouvriers bénéficier demesures adéquates de prévention des risques.

Compte tenu de l’impact défavorable sur la qualitéde vie du cancer de la vessie, si le retrait total desamines aromatiques n’est pas envisageable, le seulmoyen efficace de lutter demeure la prévention. Lasurveillance de l’atmosphère de travail dans les entre-prises par monitoring environnemental était effectuéedans 5 entreprises, soit 44 % des cas. Nos chiffres sontinférieurs à ceux de A. Touranchet qui estimait qu’enFrance l’évaluation de l’exposition aux aéro-contaminants était réalisée dans 89 % des entreprises.Cette performance était due au fait qu’en Europe lalégislation oblige les employeurs à effectuer cecontrôle. En Côte-d’Ivoire, on observe un vide juridi-que. En outre, les laboratoires d’analyses métrologi-ques sont peu nombreux et sous-équipés. La protectionindividuelle était pratiquement observée dans toutesles entreprises. Les EPI les plus couramment proposésaux ouvriers étaient les chaussures de sécurité (29 %),les gants (25 %), les masques de protection (21 %). Apeine 10 % des ouvriers possédaient une tenue detravail. Elle n’était destinée qu’aux seuls ouvriers ditsembauchés. Les ouvriers appelés journaliers ne béné-ficiaient pas de cette protection. Cette situation égale-ment dénoncée par B. Fayomi était retrouvée danstoutes les entreprises ayant participé à l’étude (5). CesEPI n’étaient pas toujours utilisés car souvent incom-

modants, inadaptés et insuffisants. Leur choix devraitrésulter d’une concertation entre les différents acteursen santé au travail (le médecin, les représentants destravailleurs et l’employeur). Des structures de préven-tion, notamment les comités d’hygiène, de sécurité etdes conditions de travail (CHSCT) étaient d’installa-tion récente. Moins de la moitié des CHSCT installésétaient opérationnels. Certains employeurs n’ayantpas installé le CHSCT affirmaient que la création de cecomité n’étaient indiquée que dans les industries agro-alimentaires. En matière d’infrastructures médicales,4 entreprises, soit 42 %, n’étaient pas en règle auregard de la réglementation, car ne disposant mêmepas de boîte de pansement alors que la législation lesoblige, pour le plus faible effectif (inférieur à 20), àavoir une boîte de secours, des médicaments et acces-soires de pansement. Le plus faible effectif des entre-prises visitées était de 53 personnes. Des médecinsétaient employés à temps partiel dans 10 entreprises,soit un taux de couverture de 83 %, et 58 % d’entreelles, soit 6 entreprises, bénéficiaient des servicesd’infirmiers permanents. Cependant, ils n’avaient pasla qualification nécessaire et suffisante pour l’exercicede la médecine du travail. L’analyse des moyens desurveillance médicale démontrait que la médecine pré-ventive restait une notion encore abstraite pour lamajorité des entreprises. L’examen clinique systéma-tique à l’embauche n’était réalisé que chez 21 % desouvriers. Au niveau des examens paracliniques pério-diques, les radiographies thoraciques étaient les exa-mens les plus couramment pratiqués (77 % desouvriers). Cela est dû aux campagnes de dépistagesystématique de la tuberculose proposées aux entrepri-ses par les équipes mobiles des Centres anti-tuberculeux (CAT). Cependant, leur apport est nul enmatière de prévention de cancer de la vessie. Uneétude similaire menée par B. Fayomi indiquait qu’auBénin 6 % des entreprises enquêtées ne disposaientpas de service médical, l’examen d’embauche étaitréalisé dans 24 % des cas (résultat inférieur à ceux denos travaux), et, conformément à nos résultats, les

TABLEAU III. — Répartition des ouvriers selon les moyens de la surveillance médicale.

Oui Non

Éléments de la surveillance effectif pourcentage effectif pourcentage

examen clinique à l’embauche 76 21 % 286 79 %

examen paraclinique à l’embauche 51 14 % 311 86 %

examen paraclinique annuel 105 29 % 257 71 %

examen spécifique 0 0 % – 100 %

EXPOSITION AUX AMINES AROMATIQUES A ABIDJAN 39

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micro-clichés thoraciques constituaient les examensparacliniques de surveillance les plus souvent prati-qués.

Aucune entreprise n’a effectué les examens spécifi-ques sur les échantillons d’urines à la recherche decellules cancéreuses. Pourtant, Hueper affirme que cesexamens constituent l’élément majeur de la sur-veillance de l’exposition aux amines aromatiques (8).

CONCLUSION

Les conditions d’exposition aux amines aromati-ques ainsi que les facteurs de risque de cancer de lavessie existent et sont retrouvés dans toutes les 12entreprises visitées. Le déficit de formation des méde-cins exerçant en entreprise, les déficits de fonctionne-ment des organismes de prévention des risques profes-sionnels (CNPS, Direction de la médecine du travail etInspection du travail), associés à des textes réglemen-taires non adaptés en matière de sécurité contre lecancer en milieu professionnel, expliquent les insuffi-sances constatées sur le terrain. Au regard de la gravitéde cette pathologie, il serait impératif de créer unesociété scientifique multidisciplinaire composé desdépartements d’urologie, de biochimie, d’anatomiepathologique et de médecine du travail. Elle auraitpour objectif de sensibiliser, d’informer, d’éduquer lespouvoirs publics, le patronat et les organisations syn-dicales. Ceci permettrait de mener des études degrande envergure, de réduire les facteurs d’expositionaux amines aromatiques en milieu industriel et demettre en œuvre des méthodes de dépistage et de priseen charge efficaces.

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40 A.F. TCHICAYA ET COLL.