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BF/1.06.2012 1

« Emergence d’un mécénat populaire

pour sauver le patrimoine en péril »

I - La Fondation du Patrimoine, une institution originale qui s’inscrit dans une tradition

Si l’on considère les efforts réalisés à travers l’Europe pour sauvegarder et mettre en valeur le

patrimoine, on peut distinguer trois courants qui se rattachent à trois grandes cultures :

- Le courant régalien, auquel se rattache bien sûr la tradition française : il s’inscrit dans

la suite logique des grands mécénats royaux, prolongés au XIXe siècle par l’intervention

de l’Etat, sous l’impulsion d’un certain nombre de grands acteurs au premier rang

desquels il faut citer Prosper Mérimée. Le principe selon lequel il incombe à la

puissance publique de protéger le patrimoine national se développe dès le milieu du

XIXe siècle pour aboutir à la grande loi de 1913, instituant l’inventaire et la protection

du patrimoine détenu, tant par les particuliers que par la puissance publique. Ce

dispositif institue non seulement un régime d’inventaire mais règlemente les obligations

des propriétaires et leurs contreparties en termes d’avantages fiscaux et de subventions.

En outre, dans la tradition de l’administration française, il institue un corps de

fonctionnaires spécialisés, recrutés sur concours, qui se répartissent les différentes tâches

de l’acte de conservation, au nom de la puissance publique : les conservateurs, les

architectes des Bâtiments de France (ABF), les architectes en chef des Monuments

Historiques (ACMH). Au fil des années, des moyens financiers substantiels sont mis en

place, dans le cadre du budget du Ministère des Affaires Culturelles. Le déploiement de

ces moyens financiers, sous forme de subventions, subit bien sûr l’aléa des contraintes

budgétaires, alors même que le coût d’entretien et de restauration du patrimoine

historique va croissant.

A cette tradition régalienne, il faut rattacher le rôle qu’exerce la puissance publique en

qualité de propriétaire d’une partie non négligeable du patrimoine historique français,

par suite d’une part, de la dévolution à l’Etat du patrimoine de la couronne et d’autre

part, par le transfert à la puissance publique de la quasi intégralité du patrimoine de

l’Eglise dans la suite de la loi de 1905. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’à cette

occasion, l’Etat s’est réservé la propriété directe de l’ensemble des cathédrales de

France, ce qui n’a d’autre justification que le respect d’une tradition régalienne

solidement ancrée.

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- Le courant mécénal : ce courant se rattache bien sûr à la grande tradition des

« protecteurs des Arts et des Lettres », qui trouve sa racine essentiellement dans la

péninsule italique. Les Médicis, les Sforza, les Colonna ont consacré, à travers les

siècles, une part significative de leurs moyens financiers à construire, passer des

commandes, décorer palais et églises, gagnant en retour prestige et reconnaissance. Cette

tradition italienne s’est perpétuée avec l’intervention des grands groupes industriels et

financiers dont on a vu, bien avant que cela ne soit autorisé en France, les noms et les

logos fleurir sur les bâches abritant les chantiers de restauration. Cette tradition est

puissante et éclairée ; elle a permis de sauvegarder et de mettre en valeur

l’exceptionnelle richesse du patrimoine italien qui concentre, à lui seul, près de la moitié

des œuvres d’art du patrimoine mondial.

- Le courant patrimonial et familial : c’est au pragmatisme de nos amis anglo-saxons

que l’on doit l’invention des trusties, permettant aux grandes familles britanniques de

maintenir un succédané du droit d’ainesse, en opérant un transfert des grandes propriétés

dans ces structures juridiques originales qui autorisent la pérennité des grands

patrimoines, dont les propriétaires se trouvent dépossédés mais dont ils conservent la

jouissance. Cette forme d’appropriation, qui fait fi du temps et de la succession des

générations, a également trouvé une forme, au niveau de la nation, dans la constitution

du National Trust, qui a vocation à détenir et à entretenir un certain nombre d’édifices

majeurs.

Ces trois traditions, qui ont chacune leur génie propre, ont en commun de s’intéresser

prioritairement aux éléments majeurs du patrimoine. Mais que faire pour le patrimoine

vernaculaire, porteur de la tradition populaire, des métiers, des styles de vie et bien

évidemment des religions, et qui est d’autant plus exposé à l’abandon ou à la destruction qu’il

est souvent isolé, en déshérence et sans utilité immédiate ?

C’est pour tenter d’apporter une réponse à cette situation qu’a été créée, en 1996 en France,

la Fondation du Patrimoine.

II - La naissance d’un mécénat populaire, une référence pour le patrimoine européen

L’objet premier de la Fondation du Patrimoine est de veiller à la sauvegarde de cette

multitude de petits édifices pour lesquels aucune protection systématique n’avait été

organisée au titre des monuments historiques. En effet, si le dispositif de protection mis en

place au fil des années, dans le cadre de la loi de 1913, avait abouti à la protection de près de

50.000 édifices en France (soit de 1 à 2 pour chacune des 36.000 communes de France), le

patrimoine vernaculaire se trouvait totalement exposé à la dégradation du temps et aux

mécanismes inexorables de l’expansion urbaine : qui pouvait sauvegarder les moulins, les

lavoirs, les granges, les calvaires, les innombrables chapelles dont beaucoup ont des origines

druidiques, sans oublier le patrimoine industriel de proximité, réduit rapidement à l’état de

friche. Aucun inventaire n’a été fait mais on peut estimer qu’il représente un ensemble d’au

moins 300.000 éléments, d’intérêt inégal, mais tous porteurs d’une parcelle d’histoire locale.

En cette fin du XXe siècle, marquée par un déracinement généralisé des populations,

aboutissant rapidement à une perte de la mémoire collective et à la grande difficulté de

reconstruire concomitamment un nouveau savoir-vivre ensemble, il est apparu essentiel à la

puissance publique de trouver un moyen, de sauvegarder ce petit patrimoine et de proposer

une forme de réappropriation à une population de proximité désireuse de retrouver des

racines, non par goût du passé mais simplement pour permettre aux générations nouvelles de

venir s’abreuver à la sève des générations qui les ont portées.

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Ce travail, éminemment salutaire pour la santé du corps social, présentait une difficulté

singulière en raison de la dispersion et parfois de sa déshérence du patrimoine concerné. La

machine mise en place par la loi de 1913 était à la fois trop lourde et trop large pour

s’engager dans les venelles de ce patrimoine de proximité ; il fallait inventer un outil

nouveau, confié au secteur privé et chargé d’une mission d’intérêt général. Le paradoxe est

que la Fondation du Patrimoine est née d’une initiative régalienne aboutissant à se dessaisir

d’une tâche d’intérêt général, confiée à une structure sui generis et autonome, alimentée

concomitamment par des fonds publics et par des fonds privés.

C’est dans l’acceptation de ce paradoxe, dans l’ouverture d’esprit et grâce à l’audace de ceux

qui ont mis en œuvre ces dispositions légales que se trouvait l’embryon des synergies

nouvelles qui font aujourd’hui le succès de la Fondation du Patrimoine.

Les difficultés de démarrage, au cours des premières années d’existence de la Fondation du

Patrimoine, ont contraint ses dirigeants à inventer et à mettre en place une formule très

originale de convergence des fonds privés et des fonds publics, aboutissant à l’émergence

d’un véritable mécénat populaire pour la sauvegarde, la mise en valeur et l’animation du

patrimoine de proximité.

Ce dispositif a nécessité la mise en place des grandes étapes suivantes :

1) Création d’un véritable maillage territorial, structuré au niveau des régions, des

départements et même des pays, composé très majoritairement de bénévoles ancrés dans

la vie économique et sociale locale et à même d’avoir une connaissance fine des

éléments de patrimoine à protéger, ainsi que de la qualité technique et humaine de ceux

qui acceptent d’en prendre la charge.

Au 1er janvier de cette année 2012, 465 bénévoles répartis dans les 24 régions et dans

les 104 départements de France métropolitaine et d’Outre Mer, constituent les forces

vives de notre dispositif.

2) Création de deux filières distinctes s’appliquant l’une au patrimoine des propriétaires

privés et l’autre au patrimoine des collectivités locales ou des associations.

- En ce qui concerne le patrimoine des propriétaires privés, un dispositif de

labellisation, sous le contrôle des architectes des Bâtiments de France, permet de

faire bénéficier lesdits propriétaires d’un dispositif de subventions et surtout de

déductions fiscales, très proche de celui qui s’applique aux édifices classés ou

inscrits à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques ; sur ce premier

champ, on voit se mettre en place une collaboration très originale et nouvelle entre

l’Etat et les particuliers, par le truchement de la Fondation du Patrimoine : c’est en

effet cette dernière qui organise, au bénéfice des particuliers, les interventions des

fonctionnaires d’Etat que sont les architectes des Bâtiments de France, et le

contrôle des déductions fiscales à raison du montant des travaux engagés par les

propriétaires privés. Il s’agit d’un exemple unique en France d’un démembrement

de la puissance régalienne sur le plan fiscal par délégation à une structure de droit

privé.

Au 1er

janvier de cette année 2012 plus de 9900 labels ont été attribués dont 1100

pour la seule année 2011.

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- En ce qui concerne le patrimoine des collectivités locales ou des associations, le

dispositif est encore plus novateur : la Fondation du Patrimoine a, en effet, à la

suite de différentes expérimentations positives, posé l’exigence que toute

opération qui lui serait présentée, en vue d’obtenir son soutien, soit elle-même

portée par une souscription locale à laquelle sont invités à participer les habitants

de la commune ou les membres de l’association. Bien que ce dispositif ne soit pas

prévu dans ses statuts, il s’impose aujourd’hui comme une règle absolue et connaît

un succès de proximité considérable. Il peut arriver que plus de 50 % de la

population d’une petite commune accepte librement de verser un don à la

Fondation du Patrimoine pour participer à la restauration d’un élément qui leur

tient à cœur et, notamment, de leur église. La seule dernière année a vu se mettre

en place près de 800 opérations de souscriptions populaires réunissant plus de

33 000 donateurs ce qui porte à plus de 3900 le nombre cumulé des souscriptions

lancées par la Fondation du Patrimoine depuis l’origine de ce dispositif.

La Fondation du Patrimoine abonde cette collecte populaire par des subventions

représentant de 5 à 30 % du montant des travaux. Elle finance elle-même ses

subventions par prélèvement sur ses ressources propres, essentiellement

constituées par l’attribution par l’Etat français, d’une partie du produit des

successions en déshérence.

Ce dispositif est particulièrement original et intéressant : en droit français, les

successions des particuliers, qui n’ont aucun héritier, sont reversées, au terme d’un

délai fixé par la loi, au domaine public. La Fondation du Patrimoine a obtenu du

Ministère des Finances le reversement à son bénéfice de 50 % des successions en

déshérence chaque année. Outre son impact financier essentiel, ce dispositif

présente une forte valeur symbolique : le patrimoine des Français sans héritier se

trouve de fait, par le truchement de l’Etat puis de la Fondation du Patrimoine,

réinvesti directement pour la sauvegarde de ce qui constitue une partie essentielle

de la mémoire collective : le patrimoine de proximité.

Conclusion

En 12 ans de fonctionnement « en régime », l’ensemble de nos dispositifs a permis de

soutenir plus de 16 000 projets ce qui correspond à un montant de travaux de près de

1, 2 milliard d’euros. Ces travaux ont permis à des entreprises du bâtiment, des travaux

publics et des métiers d’art d’exercer et de transmettre leurs savoirs et leur savoir-faire.

Elles ont ainsi créé ou maintenu plus de 35 500 emplois sur cette période de 12 ans.

La sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine bâti de proximité est non seulement

l’exercice du devoir de mémoire mais aussi un acte majeur de contribution à la vie

sociale et économique des territoires.