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Eva Joly, l’incorruptible. Étude du cadrage stratégique d'une figure de la contre-démocratie devenue candidate à l’élection présidentielle française de 2012. Gildas Le Bars Thierry Giasson Groupe de recherche en communication politique Centre pour l’étude de la citoyenneté démocratique Université Laval Communication présentée au Congrès de l'Association internationale de science politique. Madrid, juillet 2012. Version préliminaire. Ne pas citer, reproduire ou mettre en ligne sans la permission des auteurs.

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Eva Joly, l’incorruptible. Étude du cadrage stratégique d'une figure de la contre-démocratie devenue candidate à l’élection présidentielle française de 2012.

Gildas Le Bars Thierry Giasson Groupe de recherche en communication politique Centre pour l’étude de la citoyenneté démocratique Université Laval

Communication présentée au Congrès de l'Association internationale de science politique. Madrid, juillet 2012.

Version préliminaire. Ne pas citer, reproduire ou mettre en ligne sans la permission des auteurs.

L’année 2011 a été l’année des premières élections primaires en France au sein de deux partis de gauche : « Europe Écologie les Verts » et le « Parti Socialiste ». Jusqu’alors, la désignation des candidats était réservée aux membres du parti. Avec les primaires, l’ensemble des sympathisants des partis organisateurs fut invité à s’exprimer sur le choix du candidat à l’élection présidentielle. Ces primaires socialistes et écologistes ont chacune constitué une campagne avant la campagne et les journalistes ont accordé une visibilité médiatique importante aux différents candidats. L’élection primaire écologiste a été la première à être organisée, en juillet 2011, suite à une décision prise un an avant, durant l’été 2010. La primaire écologiste de 2011 a été remportée par une candidate atypique : Eva Joly. Dès juillet 2010, elle évoqua la possibilité de sa candidature ; elle la confirma en août. Bien qu’élue écologiste au Parlement européen depuis 2008, Eva Joly était alors plus connue du grand public comme la juge qui avait affolé le monde politique en créant et instruisant l’affaire Elf dans les années 90. Cette affaire avait révélé au grand public un système de corruption à grande échelle autour de l’entreprise pétrolière publique Elf ; il profitait à des responsables politiques français et africains ainsi qu’à des hauts fonctionnaires, des dirigeants de l’entreprise et à une foule d’intermédiaires. Dès le début de sa campagne, Eva Joly a semblé poursuivre l’action qu’elle n’a jamais cessée depuis son entrée sur la scène médiatique : dénoncer les pratiques de corruption des gouvernants. Les sujets environnementaux apparaissant à ce moment secondaires dans les interventions médiatiques de la candidate à l’investiture écologiste. Nous avons voulu vérifier cette hypothèse et comprendre si la candidate écologiste pouvait utiliser sa présence dans les médias pour poursuivre son combat contre la corruption, en délaissant les thèmes environnementaux, habituellement attendus des responsables politiques écologistes.

Cette recherche s’appuie notamment sur les travaux de Pierre Rosanvallon, afin de caractériser l’action anticorruption menée par Eva Joly durant sa carrière publique à l’aide de la notion de contre-démocratie. Cette notion est définie par Rosanvallon comme des formes d’actions qui visent à exercer un pouvoir contraignant sur les gouvernants. Eva Joly est souvent présentée par les commentateurs politiques comme « l’incorruptible ». Nous nous appuyons également sur les travaux de Robert Entman afin de comprendre les dynamiques de production d’un cadrage stratégique médiatique. En effet, Nous pensons qu’Eva Joly cadre ses interventions médiatiques selon l’archétype de l’incorruptible, exerçant ainsi un rôle contre-démocratique selon la modalité du pouvoir de surveillance définie par Rosanvallon (2006a: 14). Entman indique que la réussite de l’imposition d’un cadrage par une élite politique dépend principalement de deux facteurs qui vont influer sur la collaboration des journalistes à ce cadrage : la congruence culturelle du cadrage proposé et la présence d’un cadrage divergent proposé par une autre élite. Sur la base de ces facteurs, nous étudions le cadrage médiatique d’Eva Joly à l’élection primaire écologiste en France en 2010 et 2011.

Nous évoquons en premier lieu les aspects principaux des théories de la contre-démocratie de Rosanvallon et du cadrage en cascade de Entman avant de présenter le cas de la candidature d’Eva Joly aux primaires écologistes de 2011. Nous appuierons sur ces bases notre question générale de recherche et les différentes hypothèses soumises à la vérification, ainsi que notre méthodologie. Suivent la présentation des résultats et notre conclusion.

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Considérations théoriques

Notre étude tente de circonscrire plus précisément le niveau de collaboration journalistique dans la construction d’un cadrage stratégique d’une candidate politique issue de la société civile et qui y incarnait un rôle de contre-pouvoir à la démocratie représentative. En conséquence, le cadre d’analyse privilégié allie les concepts de contre-démocratie et de cadrage en cascade.

La contre-démocratie Rosanvallon, dans La contre-démocratie : la politique à l'âge de la défiance, fonde le concept de contre-démocratie sur la notion de défiance citoyenne de type démocratique. Le terme contre-démocratie évoque intuitivement la notion d’opposition à la démocratie. Le concept serait peut- être mal nommé ; son auteur concède lui même que le terme est ambigu, voir antinomique. L’expression contre-pouvoir est sans doute plus immédiatement compréhensible. C’est bien des contre-pouvoirs sociaux ou institutionnels qu’il s’agit ici : des pouvoirs de contrainte disséminés dans le corps social, qui viennent s’adosser aux formes classiques de la démocratie représentative. La contre-démocratie exerce ainsi une contrainte sur les dépositaires du pouvoir représentatif, en questionnant leur légitimité au delà du moment électoral, avec comme effet souhaitable de renforcer in fine le système démocratique dans lequel cette forme de participation démocratique prend une importance croissante.

Pour Rosanvallon il convient de complexifier l’appréhension de la démocratie représentative. Cela passe par l’appréhension de nouvelles voies d’expression de la souveraineté du peuple qui viennent compléter, voire contester, le principe majoritaire. C’est dans cet objectif que Rosanvallon propose la notion de contre-démocratie :

Cette contre-démocratie n’est pas le contraire de la démocratie ; c’est plutôt la forme de démocratie qui conforte l’autre, sur le mode d’un arc-boutant, la démocratie des pouvoirs indirects disséminés dans le corps social, la démocratie permanente de la défiance face à la démocratie épisodique de la légitimité électorale (2006a: 16)

Au regard de cette définition, la contre-démocratie est donc une forme politique ; plus précisément un ensemble de formes de participation démocratique citoyenne : « tout un enchevêtrement de pratiques, de mises à l’épreuve, de contre-pouvoirs sociaux informels, mais aussi d’institutions, destinés à compenser l’érosion de la confiance par une organisation de la défiance » (2006a: 11). La contre-démocratie se définit donc aussi par la fonction qu’elle remplit : celle d’un pouvoir de contrôle exercé par les citoyens sur les élus de la démocratie représentative.

Les formes de la contre-démocratie

En présentant brièvement le type de pouvoir que recouvre la contre-démocratie, il est possible de définir un ensemble d’actions visant à contraindre l’exercice du pouvoir par les responsables politiques dans une démocratie représentative. La notion de défiance et son contraire, la confiance, sont nécessaires à la compréhension de la dynamique de la contre démocratie. La notion de confiance entre ici en considération pour étendre la légitimité démocratique :

Elle procède d’abord à un élargissement de la qualité de légitimité, en ajoutant à son caractère strictement procédural une dimension morale (l’intégrité au sens large) et une dimension substantielle (le souci du bien commun). La confiance joue aussi un

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rôle temporel : elle permet de présupposer le caractère continu dans le temps de cette légitimité élargie (Rosanvallon, 2006b: 477).

Cependant, les périodes où légitimité procédurale démocratique et confiance se superposent sont rares. On observe ainsi dans les démocraties occidentales contemporaines de nombreux gouvernements qui, malgré leur légitimité procédurale apportée par l’élection, ne bénéficient que d’une confiance des citoyens très réduite. Selon Rosanvallon (2006b) deux directions ont été tracées pour tenter de pallier ce décalage : la modification des procédures démocratiques (mandats plus courts, référendums, etc.) et le développement de l’« enchevêtrement de pratiques, de mises à l’épreuve, de contre-pouvoirs sociaux informels, mais également d’institutions, destinés à compenser l’érosion de la confiance par une organisation de la défiance (478). Ces éléments qui constituent la contre-démocratie s’articulent sous différentes formes.

Rosanvallon propose trois catégories de formes d’exercice de la contre-démocratie : « les pouvoirs de surveillance, les formes d’empêchement, les mises à l’épreuve d’un jugement » (2006a: 14). Ces pouvoirs entrent dans cette logique de complexification et de diversification de la légitimité démocratique, il s’agit de constater qu’ « au peuple-électeur du contrat social se sont de la sorte surimposées de façon toujours plus active les figures du peuple-surveillant, du peuple-veto et du peuple-juge. » (Rosanvallon, 2006a: 22). La notion de contre-démocratie permet donc de nommer les formes de cette diversification de l’action démocratique. Ces formes de participation démocratique ne sont pas forcément nouvelles, mais il semble qu’elles gagnent en importance depuis la fin du 20e siècle en France. Les trois modalités de la contre-démocratie se déclinent par des actions citoyennes diverses : le pouvoir de surveillance permet aux citoyens de « mettre à l’épreuve la réputation d’un pouvoir » par « la vigilance, la dénonciation et la notation » (2006a: 19). Les « pouvoirs de sanction ou d’empêchement » peuvent prendre la forme de manifestations, de désobéissance civile, d’appel à l’opinion publique ou de toute action citoyenne contraignant le pouvoir à renoncer à une politique ou un projet qu’il souhaite mener (21-22) La dernière modalité de la contre-démocratie, « la mise à l’épreuve d’un jugement », se caractérise principalement selon Rosanvallon par « la judiciarisation du politique » car les citoyens attendent des « procès les résultats qu’ils désespèrent d’obtenir par l’élection » (22).

Rosanvallon précise que l’exercice de la contre-démocratie peut « être le fait d’individus, et pas seulement d’organisations » (2006a: 19). Cette précision nous parait importante, car elle implique que des actions contre-démocratiques peuvent être menées sans le concours d’acteurs organisés collectivement.

Au regard des aspects présentés ci dessus, la notion de contre-démocratie parait pertinente pour caractériser l’action d’Eva Joly. La force de ce concept réside dans la caractérisation des formes d’actions démocratiques que l’on retrouve souvent désignées comme contre-pouvoirs sociaux ou pouvoirs de la société civile ; la notion de contre-démocratie semble toutefois plus riche et précise. Dans les démocraties post-industrielles, la confiance et la défiance à l’égard des gouvernants sont généralement rendues visibles par les médias. Plusieurs formes de la contre-démocratie ont intérêt à utiliser les médias pour accroitre leur efficacité : mise à l’épreuve d’un jugement, appel à l’opinion, dénonciation, etc. Les prochaines pages décrivent le second appui théorique central de notre démarche : le modèle du cadrage en cascade de Robert Entman.

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La collaboration des journalistes au cadrage

Les théories du cadrage (framing) tiennent une place importante dans le champ de la communication politique. La majorité des études ont porté sur les effets du cadrage sur les auditoires ou les citoyens. Il semble que la production des cadres ait été moins étudiée. Ainsi, selon Chong et Druckman, «How frames in communication emerge continues to befuddle researchers » (2007: 117). Le modèle du cadrage en cascade, créé par Entman (2004) en analysant la diffusion des cadrages relatifs à la politique étrangère aux États-Unis constitue un point de départ important mais n’a été appliqué depuis lors que sur un sujet du même domaine : la guerre en Irak (Kurtzleben, 2010). Pour Entman, les journalistes font preuve à présent d’une moins grande déférence envers les responsables politiques que par le passé et collaborent moins systématiquement à la production du cadrage proposé par ceux-ci ; son modèle détermine notamment dans quelles conditions ils peuvent contester le cadrage proposé par les responsables politiques.

Le cadrage stratégique Bien que le cadrage — ou framing en anglais — soit un concept central de la communication politique ; il n’existe pas selon Scheufele et Nisbet de définition largement partagée du cadrage dans ce champ (2008: 254). Néanmoins, nous proposons de suivre la définition du cadrage stratégique donnée dans The International Encyclopedia of Communication:

Framing is a critical element in constructing social reality because it helps shape perceptions and provides a context for processing information. As a surrounding picture frame delimits a landscape painting, so strategic communicators use message frames to create salience for certain elements of a topic by including and focusing attention on them while excluding other aspects. (Hallahan, 2008, en ligne, 2e paragraphe)

Cette définition du cadrage stratégique qui se place sous l’angle du cadrage par les communicateurs, et dans notre cas par les acteurs politiques eux-mêmes, correspond directement à l’objet étudié. Elle est par ailleurs assez proche de celle proposée par Entman : « selecting and highlighting some facets of event or issues, and making connections among them so as to promote a particular interpretation, evaluation, and/or solution » (2004: 5).

Le modèle du cadrage en cascade Robert Entman a développé le modèle du cadrage en cascade dans Projections of power : framing news, public opinion, and U.S. foreign policy. Son modèle — en anglais le cascading activation model — est basé sur une étude du cadrage des interventions militaires conduites par l’administration américaine. Le cadrage en cascade théorise la propagation (spreading) du cadrage que l’émetteur politique cherche à imposer à travers différents niveaux hiérarchiques : l’administration (la maison blanche), les élites, les médias et l’opinion publique. Entman avance que cette propagation se fait sans difficulté s’il y a congruence culturelle entre le cadrage proposé et la société. S’il n’y a pas congruence, où si elle est partielle la propagation du cadrage peut être entravée, ce qui peut conduire, en fonction de la division des élites et de l’efficacité des stratégies mises en place par l’émetteur, à un éventuel échec de l’imposition du cadrage (Entman, 2004). Entman base principalement ses travaux sur la couverture journalistique faite de différents événements liés à la politique étrangère américaine. De cette manière, il approfondit l’étude des

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facteurs qui influencent la capacité des journalistes à questionner voire à contrer les cadres proposés par la Maison blanche. Le premier de ces facteurs est la congruence. Entman estime que si le cadrage par l’administration d’un sujet ou d’un événement présente une grande congruence culturelle alors il ne pourra être remis en cause. Cette notion de congruence recouvre selon Entman des références culturelles communes qui permettent l’acceptation d’un message ou d’une idée sans coûts cognitifs excessifs pour le récepteur visé. Entman donne pour exemple le contexte de la guerre froide. L’absence de congruence, où une congruence partielle, ouvrirait par contre la voie à un questionnement du cadrage proposé par les gouvernants ou par les élites politiques. Cependant, pour que les journalistes remettent en cause le cadrage proposé et il est nécessaire, selon Entman, que d’autres élites politiques proposent un cadrage divergent. Plus précisément, notre recherche recours à la portion du modèle qui porte sur la collaboration des journalistes au cadrage proposé par les hommes politiques. Bien que le modèle ait été développé dans le contexte spécifique de la politique étrangère américaine, nous pensons qu’il peut être appliqué à d’autres contextes de communication politique, notamment électoraux, dans d’autres sociétés démocratiques postmodernes et à d’autres acteurs politiques que les gouvernants. L’association des deux ancrages théoriques que sont la contre-démocratie et le modèle du cadrage en cascade permet d’étudier le positionnement et le rôle d’acteurs qui se situent à la frontière entre contre-démocratie et démocratie représentative. Nous avons choisi d’étudier ce rôle dans la construction du cadrage stratégique médiatique d’Eva Joly.

Congruence et cadrage divergent dans le cas d’Eva Joly  Il convient donc de clarifier la situation du cadrage de l’incorruptible au regard des deux critères qui, selon Entman, déterminent la collaboration des journalistes : la congruence culturelle et l’absence de cadrage divergent.

L’incorruptible, un cadrage culturellement congruent ? Dans le cas d’Eva Joly, il semble que son image antérieure de juge et la présence de nombreuses affaires politico-judiciaires dans l’actualité sur la période étudiée rendent le cadrage selon l’archétype de l’incorruptible congruent culturellement, au moins partiellement. Cependant, en étudiant les candidatures écologistes antérieures, Salmon a noté que lorsqu’elles abordent d’autres thèmes que l’écologie, les journalistes semblent peu collaboratifs : « la marginalisation du candidat écologiste semble d’autant plus importante que celui-ci, ne se contentant pas de parler d’écologie au sens strict, mène campagne sur des thèmes politiques, sociaux et économiques» (2001: 50). La congruence culturelle du cadrage de l’incorruptible semble donc contrastée. Nous posons qu’elle est partielle. Selon le modèle de Entman, l’éventuelle présence d’un cadrage divergent pourrait donc avoir une grande influence sur la réussite de l’imposition du cadrage de la candidate Joly dans le contexte de la primaire écologiste.

Le cadrage divergent de « l’écologiste » Nicolas Hulot

La présence d’un cadrage divergent nous parait largement varier en fonction des interventions médiatiques de son principal concurrent, Nicolas Hulot, qui propose un cadrage de sa campagne

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centré sur l’environnement, que nous nommerons le cadrage de « l’écologiste ». Le cadrage de « l’écologiste » nous parait également congruent culturellement. Selon un baromètre publié par La Croix et TNS SOFRES (2011) il s’agit d’une préoccupation majeure des Français en avril 2011, dans le contexte où les deux compétiteurs veulent obtenir l’investiture du parti Vert. Le principal obstacle à l’imposition d’un cadrage stratégique selon l’archétype de l’incorruptible pourrait alors être la présence de ce cadrage divergent compétitif de Nicolas Hulot.

Questions et hypothèses de recherche Au regard des aspects théoriques et du cas présenté, nous posons la question suivante : Dans la compétition pour la conquête du pouvoir, Eva Joly peut-elle poursuivre un rôle contre-démocratique, via le cadrage de l’incorruptible, en présence d’un fort cadrage divergent ?

Plus spécifiquement, nous voulons répondre aux questions suivantes : quels vont être les effets de la présence d’un cadrage compétitif divergent sur le cadrage stratégique d’Eva Joly ? Quelle attitude sera adoptée par les journalistes en fonction de la présence ou de l’absence d’un tel cadrage divergent ?

Hypothèses Notre première hypothèse est qu’en l’absence d’un cadrage divergent compétitif, Eva Joly va pouvoir poursuivre un rôle contre-démocratique selon la modalité du pouvoir de surveillance, via son cadrage stratégique. Nous posons ainsi deux hypothèses spécifiques :

H1a : En l’absence de cadrage divergent, Eva Joly va cadrer médiatiquement sa candidature selon son rôle contre-démocratique antérieur, c’est à dire, selon l’archétype de l’incorruptible.

Cette hypothèse spécifique sera vérifiée si nous constatons que dans les entrevues réalisées au moment où il n’y a pas de cadrage divergent durant la course à l’investiture, la proportion de réponses de la candidate cadrées selon l’archétype de l’incorruptible est plus élevée que la proportion de réponses cadrées selon d’autres thématiques. Nous pensons également observer que ce cadrage contre-démocratique sera plus souvent construit à l’initiative d’Eva Joly qu’à l’initiative des journalistes.

H1b : En l’absence de cadrage divergent compétitif, la collaboration des journalistes au cadrage proposé par Eva Joly sera forte.

Cette hypothèse spécifique sera vérifiée si nous constatons une plus grande proportion de questions cadrées selon l’archétype de l’incorruptible que de questions cadrées selon chacune des autres thématiques.

Lors de la vérification de notre première hypothèse générale, portant sur un contexte peu compétitif, nous nous attendons à observer l’utilisation par Eva Joly des tribunes médiatiques offertes afin de cadrer sa candidature dans la continuité de son rôle contre-démocratique antérieur.

Notre deuxième hypothèse pose que la forte présence d’un cadrage divergent dans la course à l’investiture écologiste va contraindre Eva Joly à abandonner l’archétype de l’incorruptible. Deux hypothèses spécifiques seront testées :

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H2a : En présence d’un fort cadrage divergent, la collaboration des journalistes au cadrage selon l’archétype de l’incorruptible va s’amoindrir au profit du cadrage divergent compétitif.

Cette hypothèse spécifique sera vérifiée si nous constatons que dans les entrevues réalisées au moment où un cadrage divergent est très présent, la proportion de questions cadrées selon l’archétype de l’incorruptible est inférieure à la proportion de questions cadrées selon le cadrage compétitif.

H2b : En présence d’un fort cadrage divergent dans l’actualité de la campagne, la candidate sera contrainte à rééquilibrer son cadrage stratégique au détriment de l’archétype de l’incorruptible et en faveur du cadrage stratégique compétitif.

Cette hypothèse spécifique sera vérifiée si nous constatons que dans les entrevues réalisées au moment où un cadrage divergent est très présent dans l’actualité de la campagne, la proportion de réponses cadrées selon l’archétype de l’incorruptible est inférieure à la proportion de réponses cadrées selon le cadrage compétitif. Lors de la vérification de notre seconde hypothèse générale, nous pensons observer l’abandon du rôle contre-démocratique d’Eva Joly dans un contexte compétitif où un cadrage divergent fort s’exprime lors de la course à l’investiture. Ces résultats seraient cohérents avec les propos de Pierre Rosanvallon qui semblent indiquer une incompatibilité entre conquête du pouvoir représentatif et exercice d’un rôle contre-démocratique.

Méthodologie Cas étudié

Ancienne juge d’instruction très médiatisée en France, puis conseillère anticorruption auprès du gouvernement norvégien, Eva Joly a été candidate aux élections présidentielles françaises de 2012, investie par le parti Europe Écologie les Verts. Nous pensons qu’Eva Joly exerça un rôle contre-démocratique dans ses fonctions antérieures de juge d’instruction, de conseillère anticorruption pour le gouvernement norvégien et, d’une manière générale, de femme publique (Etchegoin & Aron, 2002 ; Joly & Beccaria, 2002, 2004 ; Joly & Malagardis, 2010 ; Joly & Perrignon, 2008). En effet, Eva Joly a eu un rôle contre-démocratique selon la modalité de la mise à l’épreuve d’un jugement de par sa fonction de juge d’instruction et a étendu son action contre-démocratique selon des modalités liées aux pouvoirs de surveillance définis par Rosanvallon, notamment via la dénonciation dans les médias de pratiques de corruption. Elle a ainsi obtenu, par ses prérogatives de juge, la condamnation et la démission de responsables politiques et, par ses plaidoyers médiatiques, le renforcement des moyens de lutte contre la grande corruption (Joly & Beccaria, 2004).

Eva Joly est entrée tardivement en politique. En 2007, à 65 ans, alors qu’elle est encore conseillère anticorruption pour le gouvernement norvégien, elle se sent découragée par le peu de résultats obtenus par ses discours devant les élites mondiales et décide de continuer le combat sur le terrain politique (Etchegoin & Aron, 2012: 335). Elle déclare qu’elle s’engage en politique pour être « la première à faire le lien entre l’écologie et les paradis fiscaux » (2012: 339-340). Élue en 2009 au Parlement européen, Eva Joly a poursuivi son engagement en prenant la présidence de la commission du développement (Parlement européen, 2012). Elle a notamment

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rendu à ce titre un rapport portant sur la coopération en matière fiscale entre l’Europe et les États africains afin de lutter contre la grande corruption (Joly, 2011). En 2010, Eva Joly envisage de devenir la candidate des écologistes à l’élection présidentielle française. Elle doit pour cela remporter l’élection primaire lui donnant l’investiture du parti. Le contexte spécifique de notre recherche est ainsi la course à l’investiture écologiste pour l’élection présidentielle française de 2012. Les adhérents du parti Europe Écologie les Verts ont élu leur candidat le 12 juillet 2011. Eva Joly a été la première candidate à se déclarer à l’été 2010. Elle a reçu à ce moment le soutien des principaux responsables du parti. Ensuite, quelques candidats mineurs l’ont rejoint dans la course à l’investiture ainsi qu’un candidat majeur du point de vue de sa notoriété publique, Nicolas Hulot, en avril 2011. Le second tour des primaires écologistes a départagé les deux candidats principaux : Nicolas Hulot avec 41,34 % des voix s’est incliné face à Eva Joly, victorieuse avec 58,16 % des voix. Eva Joly s’est donc inscrit dans une démarche de compétition pour l’exercice du pouvoir représentatif, en contradiction avec la définition de la contre-démocratie par Pierre Rosanvallon comme une forme de participation politique qui se caractérise par la poursuite d’un objectif de contrainte du pouvoir représentatif, et non par l’objectif de la conquête de ce pouvoir (2006a). Analyse de contenu

Afin de vérifier la validité de nos hypothèses, nous avons étudié la couverture médiatique de la campagne d’Eva Joly lors des primaires écologistes en procédant à une analyse de contenu d’entrevues journalistiques. De plus, un entretien a été mené en janvier 2012 avec Julien Bayou, conseiller d’Eva Joly.

Nous voulons connaître, pour chaque entrevue étudiée, son contexte du point de vue de la présence d’un éventuel cadrage divergent compétitif. Cette variable étant, avec la notion de congruence culturelle, à la base du modèle de cadrage en cascade développé par Entman. Nous avons donc soumis un échantillon de six interviews de Nicolas Hulot à la même analyse de contenu que celle à laquelle nous avons procédé pour les entrevues d’Eva Joly. Nous nous sommes ainsi assurés que Nicolas Hulot utilisait bien ses tribunes médiatiques pour défendre un cadrage divergent des enjeux de la campagne pour l’investiture d’EELV : celui de « l’écologiste ».

Nous avons donc retenu le nombre d’entrevues, conférences de presse, débats ou discours de Nicolas Hulot diffusés intégralement dans les médias audiovisuels comme un indicateur pertinent de la présence dans l’actualité de la campagne d’un cadrage divergent compétitif à celui mis en avant par Eva Joly. Ce nombre a été comparé à celui des interventions d’Eva Joly du même type dans les médias audiovisuels. Nous avons ainsi défini trois périodes :

-­‐ Du début juillet 2010 au 12 avril 2011, avant la déclaration de candidature de Nicolas Hulot, nous qualifions le cadrage divergent compétitif de négligeable.

-­‐ Du 13 avril 2011, jour de la candidature de Nicolas Hulot, jusqu’au 31 mai, le nombre d’interventions d’Eva Joly diffusées intégralement dans les médias audiovisuels est 2,5 fois plus élevé que le nombre d’interventions de Nicolas Hulot, nous qualifions donc le cadrage divergent de modéré sur cette période.

-­‐ Du 1er juin à la fin de la campagne, le 9 juillet 2011, Nicolas Hulot a intensifié sa campagne. Durant cette période, il est près de deux fois plus présent qu’Eva Joly dans les médias audiovisuels, le cadrage divergent compétitif est alors intense.

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Corpus

Le corpus est constitué de toutes les interviews médiatiques accordées par Eva Joly pendant la période étudiée. Il comprend ainsi 67 entrevues journalistiques publiées ou diffusées entre le 1er juillet 2010 et le 12 juillet 2011. Ce corpus est presque exhaustif : il contient l’ensemble des interviews intégrales parues ou diffusées dans les médias français, tous supports confondus, durant la période, à l’exception d’une émission non disponible pour des raisons techniques. Nous avons choisi les entrevues journalistiques non-éditées car elles nous donnent accès au dialogue co-construit. Nous pouvons ainsi observer le cadrage mis en avant par les journalistes dans les questions posées, et celui que privilégie Eva Joly dans ses réponses. Les 67 entrevues du corpus comprennent 1622 échanges. Nous entendons par échange une question suivie d’une réponse. Nous avons codé les 1622 questions et les 1622 réponses selon une grille de codage (voir Annexe 1). La grille est constituée de huit catégories principales divisées en 59 sous catégories thématiques. Nous avons codé selon cette grille le cadrage de chaque question et de chaque réponse. Jusqu’à trois sous-catégories thématiques pouvaient être attribuées à chaque composante d’un échange.

Présentation des résultats

Avant d’entrer en détail dans la vérification des hypothèses, nous donnons ici un aperçu des grandes tendances qui caractérisent le cadrage des interviews d’Eva Joly durant la campagne des primaires. Ces résultats sont des résultats globaux sur l’ensemble du corpus et sur une période d’un an.

Le Tableau 1 présente les thématiques abordées dans les questions des journalistes. La catégorie dominante dans 34,8 % des cas est celle de la vie politique. Cette catégorie traite des sujets liés à la compétition électorale. L’archétype de l’incorruptible est le second cadre thématique privilégié dans les questions des journalistes (21,5 %). Ce cadrage est important dans les questions posées à Eva Joly et les journalistes y accordent globalement plus d’importance qu’à l’écologie. Seulement 10,7 % des questions se rapportent à l’écologie, ce qui en fait un thème comparable aux affaires étrangères, abordées dans 10,2 % des questions. Voilà une proportion relativement faible de questions sur l’environnement adressées par les médias français à une candidate à la primaire écologiste.

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Tableau 1. Cadrage privilégié dans les questions des journalistes Réponses Pourcentage

d'observations N : Pourcentage :

Archétype de l'incorruptible 348 19,5% 21,5% Vie politique 565 31,6% 34,8% Écologie 173 9,7% 10,7% Société 117 6,5% 7,2% Economie 98 5,5% 6,0% Politiques Publiques 125 7,0% 7,7% Affaires étrangères 165 9,2% 10,2% Vie privée 103 5,8% 6,4% Autre 95 5,3% 5,9% Total 1789 100,0% 110,3% N : 1622 questions

Ainsi, deux cadrages dominent les questions des journalistes durant la campagne d’Eva Joly : le jeu politique et l’archétype de l’incorruptible. Le thème de l’écologie semble donc peu intéresser les journalistes. Leurs questions orientent le cadrage des interviews sur la compétition électorale et sur le cœur de l’identité de la candidate : la lutte contre la corruption. Dans un entretien de recherche, Julien Bayou, porte parole de la candidate, a confirmé cette identité « elle incarne un truc, un supplément d’âme, donc c’est ce parcours qui est de l’or en barre. […] Eva, c’est le matériau brut : elle a pris des coups, elle en a donné, c’est une incorruptible».

De la part des journalistes, les données montrent que le cadrage de l’incorruptible est construit sur deux piliers principaux : les affaires politico-judiciaires en cours (43,1 % des questions) et l’expérience d’Eva Joly (26,1% des questions portent sur ses fonctions antérieures de juge ou de conseillère anti-corruption et 9,2 % portent sur l’affaire Elf). Les journalistes rappellent ainsi fréquemment la légitimité d’Eva Joly à commenter les sujets de corruption en se basant sur son expérience avant de lui demander de commenter les affaires politico-judiciaires en cours. Nous pensons donc que les journalistes accordent encore une très grande importance au personnage d’Eva Joly tel qu’il est apparu sur la scène médiatique dans les années 90 avec l’affaire Elf : l’intègre juge anticorruption. Dans le dialogue que constitue une entrevue journalistique, les conventions incitent généralement à reprendre le thème de la question dans la réponse qu’on y apporte. Eva Joly respecte généralement cet usage, même s’il y a une évolution dans le temps de sa capacité à recadrer le débat. Selon Julien Bayou : « Elle a beaucoup progressé. Dans les premiers temps, elle répondait aux questions. […] Elle s’est libérée à partir de mai [2011] je crois ». Les préoccupations des journalistes ne concordant pas forcément avec les préoccupations de la candidate, nous observons donc certaines variations révélatrices des thèmes qu’Eva Joly valorise ou évite.

Avec 32,8 % des réponses codées selon la catégorie « vie politique », Eva Joly aborde moins ce thème que les journalistes. Elle préfère valoriser un cadrage selon l’archétype de l’incorruptible dans 24,4 % des réponses alors que les journalistes n’ont posé que 21,5 % de questions cadrées ainsi. Si elle répond aux questions des journalistes sur les affaires étrangères dans des proportions

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comparables (10,8 %), Eva Joly valorise bien plus le cadrage écologiste dans ses réponses que ne le font les journalistes (14,2 %). Tableau 2. Cadrage privilégié dans les réponses d’Eva Joly Réponses Pourcentage

d'observations N : Pourcentage :

Archétype de l'incorruptible 396 20,4% 24,4% Vie politique 532 27,4% 32,8% Écologie 230 11,9% 14,2% Société 123 6,3% 7,6% Economie 139 7,2% 8,6% Politiques Publiques 161 8,3% 9,9% Affaires étrangères 171 8,8% 10,5% Vie privée 107 5,5% 6,6% Autre 81 4,2% 5,0%

Total 1940 100,0% 119,6%

N : 1622 réponses

Eva Joly effectue donc un recadrage stratégique en faveur des éléments qui fondent son identité et sa légitimité politique et médiatique : l’environnement et la lutte contre la corruption. Ce recadrage se fait au détriment du commentaire sur la vie politique. Nous pensons que ce recadrage peut être interprété comme une volonté de la candidate de porter ses messages plus que de croiser le fer avec ses adversaires politiques. Eva Joly ferait ainsi primer la transmission de ses idées sur le combat électoral. Julien Bayou explique cette primauté donnée aux idées par le positionnement d’Europe Écologie Les Verts entre militance associative et militance politique : « Le militant politique, il veut faire des voix et le militant associatif, il s’en fout lui ; peu importe tant que ses idées progressent ». Julien Bayou présente le militant EELV comme plus proche du militant associatif : « [il] inonde de ses propositions, pollennise, et espère que ce sera repris [par les autres partis politiques] ».

Pour ce qui est des réponses cadrées selon l’archétype de l’incorruptible, si Eva Joly respecte le cadrage proposé par les questions, elle met à profit ses réponses pour élargir le propos. Les données montrent qu’en se basant sur les cas précis soulevés par les journalistes, la candidate à la primaire écologiste opère une montée en généralité : les cas particuliers que constituent chaque affaire sont à la fois caractérisés juridiquement (12,1 % font référence à un délit précis) et contextualisés. Ces affaires servent ainsi de support pour expliquer des notions et mécanismes tels que l’éthique en politique et l’impunité des gouvernants et des élites dans 17,9 % des réponses, l’indépendance de la justice dans 12,6 % des cas ainsi que les paradis fiscaux et l’évasion fiscale dans 8,8 % des réponses. Cet exercice dépasse largement le commentaire judiciaire ; par cet enrichissement des réponses, Eva Joly présente une vision du monde structurée autour des méfaits d’une corruption mondialisée. Ces premiers résultats ont montré que si la candidate et les journalistes cadrent logiquement questions et réponses avec une certaine similitude autour de la compétition électorale et de

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l’archétype de l’incorruptible, Eva Joly opère un recadrage stratégique en faveur des thèmes liés à son identité de prédilection. Cette vision du monde exposée à partir des questions relatives aux affaires politico-judiciaires constitue bien un cadrage médiatique central dans les interviews d’Eva Joly durant la campagne des primaires : celui de l’archétype de l’incorruptible.

Période de cadrage divergent négligeable

La première hypothèse que nous soumettons à la vérification est la suivante : En l’absence de cadrage divergent, Eva Joly va cadrer médiatiquement sa candidature selon son rôle contre-démocratique antérieur, c’est-à-dire, selon l’archétype de l’incorruptible.

La période durant laquelle le cadrage divergent fut négligeable, comprend 889 échanges issus de 33 interviews. On constate que, sur cette période, le cadrage selon l’archétype de l’incorruptible domine dans les réponses d’Eva Joly. Comme nous le voyons dans le Tableau 3, 29,9 % de ses réponses sont en effet cadrées selon l’archétype de l’incorruptible, contre 26,5 % pour la catégorie vie politique, portant plus sur le jeu électoral que sur les enjeux politiques. Après l’archétype de l’incorruptible, la deuxième des catégories relatives aux enjeux politiques à être la plus présente dans les réponses de la candidate est celle des affaires étrangères, avec 15,3 % des réponses ; seules 10,7 % des réponses ont un cadrage relatif à l’écologie sur la période.

Tableau 3. Réponses en contexte de cadrage divergent négligeable

Réponses Pourcentage d'observations N : Pourcentage :

Archétype de l'incorruptible 265 25,3% 29,8% Vie politique 236 22,5% 26,5% Écologie 95 9,1% 10,7% Société 39 3,7% 4,4% Economie 72 6,9% 8,1% Politiques Publiques 100 9,6% 11,2% Affaires étrangères 136 13,0% 15,3% Vie privée 69 6,6% 7,8% Autre 35 3,3% 3,9%

Total 1047 100,0% 117,8% N : 889 réponses. De plus, on constate que dans 4,6 % des échanges, Eva Joly a abordé des sujets liés à l’archétype de l’incorruptible dans sa réponse alors que la question n’y faisait pas référence. La situation contraire, où suite à une question cadrée selon l’archétype de l’incorruptible Eva Joly ne reprend pas ce thème dans sa réponse, n’est observée que dans une proportion de 1,6 %. Le cadrage selon l’archétype de l’incorruptible se fait donc plus à l’initiative d’Eva Joly qu’à l’initiative des journalistes dans cette période où le cadrage divergent compétitif est négligeable. L’hypothèse 1a

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est donc vérifiée. Eva Joly, à son initiative, propose un cadrage de ses interventions médiatiques majoritairement lié à l’archétype de l’incorruptible. La mise en avant du cadrage selon l’archétype de l’incorruptible et la part importante des questions portant sur les affaires étrangères méritent d’être soulignées. Cette association peut s’expliquer notamment par les luttes pour la démocratie contre les régimes autoritaires et corrompus qui se sont multipliés dès l’automne 2010 jusqu’au « printemps arabe ». Pour Eva Joly, la lutte contre la corruption est intimement liée à la lutte pour la démocratie. Elle s’est d’ailleurs rendue en Tunisie en janvier suite à la chute de Ben Ali et a rencontré des responsables du régime de transition afin de discuter des moyens d’enquête sur la corruption sous Ben Ali. L’association de ces thèmes est donc cohérente avec l’actualité et l’action de la candidate et participe au cadrage global de l’incorruptible.

La collaboration des journalistes. La deuxième hypothèse pose qu’en l’absence de cadrage divergent compétitif, la collaboration des journalistes au cadrage proposé par Eva Joly va être forte. Nous avons constaté lors de la vérification de H1a que la mise en avant de l’archétype de l’incorruptible se fît à l’initiative d’Eva Joly dans un contexte de cadrage divergent compétitif négligeable. Néanmoins, les résultats du Tableau 4 ci-dessous nous portent à croire que le cadrage selon l’archétype de l’incorruptible fut soutenu par une large collaboration des journalistes. Certes, la catégorie qui domine dans le cadrage journalistique n’est pas celle de l’archétype de l’incorruptible mais celle de la vie politique avec 29,4 % des questions. Néanmoins, cette catégorie est particulière puisqu’elle recouvre ce que Patterson (1993) a appelé le jeu politique. Il a constaté que le cadrage de la couverture de la politique par les médias valorise de plus en plus le jeu politique (la compétition électorale, les sondages, les stratégies, etc.) au détriment des enjeux politiques (les positions sur les dossiers, les solutions apportées, etc.). Ce cadrage des questions sur la compétition électorale, alors même qu’aucun candidat de poids ne s’était encore déclaré s’explique de deux façons : d’une part, les rumeurs autour d’une candidature de Nicolas Hulot étaient très fortes depuis son discours du 9 novembre à Lyon à l’occasion du congrès donnant naissance juridiquement au parti. D’autre part, les journalistes anticipaient dans leurs questions la compétition électorale avec les autres partis à l’issue de la primaire.

Le cadrage selon l’archétype de l’incorruptible s’applique à 26,8 % des questions et domine donc largement les autres catégories relevant des enjeux. L’écologie ne représentant ainsi que 7,4 % des questions durant cette période.

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Tableau 4. Cadrage des questions en contexte de cadrage divergent négligeable

Réponses Pourcentage d'observations N : Pourcentage :

Archétype de l'incorruptible 238 24,6% 26,8% Vie politique 261 26,9% 29,4% Écologie 66 6,8% 7,4% Société 35 3,6% 3,9% Economie 50 5,2% 5,6% Politiques Publiques 77 7,9% 8,7% Affaires étrangères 133 13,7% 15,0% Vie privée 67 6,9% 7,5% Autre 42 4,3% 4,7% Total 969 100,0% 109,0% N : 889 questions.

H1b semble ainsi vérifiée puisqu’en l’absence de cadrage divergent compétitif, les journalistes ont collaboré au cadrage proposé par la candidate.

Par l’observation du recours aux sujets liés à l’archétype de l’incorruptible par les journalistes et la candidate durant la campagne des primaires nous observons des rôles relativement distincts dans la co-construction du cadrage des interviews selon l’archétype de l’incorruptible. Par le rappel de la légitimité d’Eva Joly basée sur ses fonctions antérieures et par leurs demandes de commentaires sur les affaires politico-judiciaires, les journalistes offrent à la candidate l’opportunité d’un cadrage selon l’archétype de l’incorruptible. Eva Joly saisi cette opportunité pour appuyer sur ces exemples une vision du monde qui constitue véritablement le cadrage selon l’archétype de l’incorruptible.

Période de cadrage divergent intense La vérification des deux dernières hypothèses repose sur l’analyse les 264 échanges de la troisième période, du 1er juin à la fin de la campagne le 9 juillet, lorsque le cadrage divergent était intense.

Notre troisième hypothèse pose qu’en présence d’un fort cadrage divergent, la collaboration des journalistes au cadrage selon l’archétype de l’incorruptible va s’amoindrir au profit du cadrage divergent compétitif. Afin d’établir une comparaison avec le cadrage des interviews d’Eva Joly, nous avons analysé le contenu d’un échantillon aléatoire de six interviews audiovisuelles de Nicolas Hulot. Le cadrage des interviews de Nicolas Hulot est centré autour de trois thèmes principaux : la vie politique, l’écologie et l’économie. La catégorie « vie politique » domine : elle représente 57 % des questions et 58,7 % des réponses. L’économie est un peu plus fréquemment mobilisée dans 23,1 % des réponses du candidat que dans 19,8 % des questions. La catégorie qui offre les résultats les plus intéressants et celle de l’écologie : 47,9 % des réponses sont codée selon cette catégorie, soit deux fois plus que les 24 % de questions cadrées ainsi. Nous affirmons donc que Nicolas Hulot défend un cadrage stratégique de sa candidature selon une figure de « l’écologiste ».

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Le Tableau 5 indique que la présence de Nicolas Hulot dans la campagne a eu pour effet d’accentuer encore plus le cadrage journalistique selon le jeu électoral au détriment des enjeux : 45,8 % des questions sont liés à la catégorie vie politique durant cette période de cadrage divergent intense. Pour ce qui est des autres thèmes, nous constatons que le cadrage selon l’archétype de l’incorruptible, qui représente seulement 6,4 % des questions, est plus de 4 fois inférieur qu’en contexte de cadrage compétitif divergent négligeable. Ainsi, le cadrage divergent proposé par Nicolas Hulot, l’écologie, devient le cadrage d’enjeu dominant, présent dans 23,5 % des questions des journalistes.

Tableau 5. Cadrage des questions en contexte de cadrage divergent intense Réponses Pourcentage

d'observations N : Pourcentage :

Archétype de l'incorruptible 17 5,8% 6,4% Vie politique 121 41,0% 45,8% Écologie 62 21,0% 23,5% Société 28 9,5% 10,6% Economie 26 8,8% 9,8% Politiques Publiques 13 4,4% 4,9% Affaires étrangères 15 5,1% 5,7% Vie privée 6 2,0% 2,3% Autre 7 2,4% 2,7% Total 295 100,0% 111,7%

N : 264 questions. Ces données permettent de confirmer H2a. La collaboration des journalistes au cadrage selon l’archétype de l’incorruptible s’amoindri au bénéfice du cadrage compétitif que propose Nicolas Hulot, l’écologie, ainsi qu’au profit du cadrage sur le jeu électoral.

Le thème de l’écologie, délaissé par les journalistes avant que Nicolas Hulot ne le mette de l’avant devient primordial dans le cadrage des questions des journalistes durant cette période. L’accident nucléaire de Fukushima au Japon, survenu à partir du 11 mars 2011 a certainement marqué les esprits et eu une influence sur l’importance accordée au nucléaire en raison de son fort impact médiatique. Néanmoins, suite à l’analyse de la période de cadrage divergent modérée, nous soutenons que ses effets sur le cadrage de la campagne d’Eva Joly ont été modérés. La présence du cadrage environnementaliste de Nicolas Hulot est donc déterminante dans ce glissement d’un cadrage de l’incorruptible vers un cadrage écologiste.

H2b suppose qu’en présence d’un fort cadrage divergent dans l’actualité de la campagne, la candidate sera contrainte de rééquilibrer son cadrage stratégique au détriment de l’archétype de l’incorruptible et en faveur du cadrage stratégique compétitif. Dans ce contexte très compétitif, en présence d’un fort cadrage divergent, Eva Joly continue de pousser le cadrage selon l’archétype de l’incorruptible. Dans 4,9 % des échanges, elle aborde des

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sujets liés à l’archétype de l’incorruptible dans sa réponse alors que la question n’y réfère pas initialement. La situation contraire, où suite à une question cadrée selon l’archétype de l’incorruptible Eva Joly ne reprend pas ce thème dans sa réponse, n’est observée que dans 1,5 % des échanges. Néanmoins, cette attitude ne suffit pas à maintenir le caractère dominant du cadrage selon l’archétype de l’incorruptible. Le Tableau 6 montre que les réponses de la candidate suivent la tendance dessinée par les questions. Ainsi, l’archétype de l’incorruptible n’apparaît plus que dans 9,8 % des réponses, soit 3 fois moins que durant la période où le cadrage divergent compétitif était négligeable. Comme pour les questions, les catégories vie politique (45,8 %) et écologie (28,8 %) bénéficient du cadrage divergent intense. Tableau 6. Cadrage des réponses en contexte de cadrage divergent intense Réponses Pourcentage

d'observations N : Pourcentage :

Archétype de l'incorruptible 26 7,9% 9,8% Vie politique 121 36,9% 45,8% Écologie 76 23,2% 28,8% Société 30 9,1% 11,4% Economie 32 9,8% 12,1% Politiques Publiques 15 4,6% 5,7% Affaires étrangères 17 5,2% 6,4% Vie privée 6 1,8% 2,3% Autre 5 1,5% 1,9% Total 328 100,0% 124,2% 264 réponses.

Les données révèlent un net recul des réponses cadrées selon l’archétype de l’incorruptible au bénéfice de réponses portant sur la vie politique et sur l’écologie durant cette période où ce dernier thème constitue un cadrage divergent présent de manière intense. Ainsi, H2b se confirme. Dans cette période de cadrage divergent intense, Eva Joly valorise davantage que les journalistes les piliers de son identité politique : la lutte contre la corruption et l’environnement.

Conclusion

Les données tirées de l’analyse de contenu des questions des journalistes et des réponses de la candidate ont permis de valider nos quatre hypothèses de recherche. L’analyse semble indiquer que la visibilité médiatique donnée par une candidature ne peut être utilisée pour exercer un rôle contre-démocratique selon la modalité du pouvoir de surveillance que sous certaines conditions.

Les résultats indiquent qu’en l’absence de compétition électorale significative, et donc en l’absence de cadrage divergent, Eva Joly n’a eu aucune difficulté à porter le cadrage stratégique de sa médiatisation selon l’archétype de l’incorruptible. Les candidats n’ayant pas pour objectif de remporter une élection pourraient donc exercer un rôle contre-démocratique en portant le

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message qu’ils souhaitent avec la collaboration des journalistes si ce message est, au moins partiellement, congruent culturellement. Cependant, lorsqu’il s’agit de remporter une élection à l’issue incertaine, face à un adversaire proposant un cadrage divergent compétitif, les résultats laissent penser que l’exercice du rôle contre-démocratique devient plus complexe. En effet, pour peu que le cadrage divergent soit au moins partiellement congruent culturellement, les journalistes semblent amoindrir fortement leur collaboration. Dans l’étude du cas d’Eva Joly, ils ont ainsi cadré leurs questions autour du cadrage divergent proposé par Nicolas Hulot, l’écologie, et autour de la compétition électorale. Les candidats ayant pour objectif de remporter l’élection n’auraient ainsi d’autre choix que de se plier en partie au cadrage des compétiteurs et des médias, ce qui entraverait alors leur capacité à jouer un rôle contre-démocratique en exerçant des pouvoirs de surveillance.

Nos premiers résultats donnent des pistes de réponses sur le cas de la candidature d’Eva Joly aux primaires. Néanmoins, cette étude de cas ne saurait être généralisée. Il sera intéressant dans des recherches futures de chercher à observer si les mêmes contraintes agissent sur d’autres individus issus de la société civile ou du monde associatif souhaitant utiliser la tribune d’une candidature à un poste électif pour exercer des pouvoirs contre-démocratiques.

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Annexe

Annexe 1 : grille de codage V1 Date de diffusion / publication :

V2 Nom du média : V3 Type de média :

- 1 – télévision - 2 - radio - 3 - presse écrite ; - 4 - internet.

V4 Numéro de l’échange : V5 Auteur de la question :

- 1 – journaliste, spécifiez son nom: - 9 – autre, spécifiez : (autre invité, chroniqueur, humoriste, etc.)

V6 Thème(s) de la question : - lié à l’archétype de l’incorruptible

-­‐ 11 - Éthique en politique, impunité des gouvernants et des élites -­‐ 12 - Indépendance de la justice -­‐ 13 - Affaire Elf -­‐ 14 - Autres affaires politico-financières -­‐ 15 – Délits précis (conflit d’intérêt, prise illégale d’intérêt, financement illégal de

parti politique, fraude fiscale, etc.) -­‐ 16 - Paradis fiscaux et évasion fiscale -­‐ 17 - Opacité et réformes du système financier et bancaire -­‐ 18 – Fonctions antérieures de juge ou de conseillère anticorruption -­‐ 19– autre :

- Vie politique

-­‐ 21 – Compétition électorale interne (primaire) -­‐ 22 – Compétition électorale avec les autres partis de gauche -­‐ 23 – Compétition électorale avec la droite et le centre ou sans précision -­‐ 24 – Vie interne EELV. -­‐ 25 – Engagement politique -­‐ 29 – autre :

- écologie -­‐ 31 - Nucléaire -­‐ 32 – Énergies vertes -­‐ 33 - Économie d’énergie -­‐ 34 - Agriculture, alimentation, OGM -­‐ 35 - Aménagement du territoire, questions urbaines -­‐ 36 – Changement climatique -­‐ 37 – Économie verte -­‐ 38 – Ressources naturelles

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-­‐ 39 – autre : - société

-­‐ 41 - Affaires judiciaires non politico-financières et faits divers -­‐ 42 - Droits de la personne et discriminations -­‐ 43 - Drogues -­‐ 49 – autre :

- économie -­‐ 51 – Croissance économique, développement de la richesse -­‐ 52 – Création d’emploi -­‐ 53 – Chômage -­‐ 54 - Pouvoir d'achat -­‐ 55 - Zone euro -­‐ 56 – Crise financière mondiale -­‐ 57 – Fiscalité, budget de l’État et dette -­‐ 59 - autre :

- Politiques publiques -­‐ 61 - Santé -­‐ 62 - Sécurité -­‐ 63 - Éducation -­‐ 64 – Logement et ville -­‐ 65 – Retraites -­‐ 66 – Immigration -­‐ 67 - Justice -­‐ 69 – autre :

- affaires étrangères -­‐ 71 - Régulation du commerce et de la finance mondiale -­‐ 72 - Situation dans le monde arabe -­‐ 73 - Droits de l’homme -­‐ 74 - Construction européenne -­‐ 79 - Autre :

- Vie privée (Personnalisation, starification, people)

-­‐ 81 - Vie familiale (enfants, parents, proches) -­‐ 82 - Jeunesse, expériences de vie -­‐ 83 - Amitiés (liens amicaux) -­‐ 84 - Goûts et intérêts personnels -­‐ 85 - Loisirs -­‐ 86 – Vacances -­‐ 87 – Origines, accent -­‐ 89 – Autre :

- 99 - autre thème : V7 Thème de la réponse :

Modalités identiques à V6