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Évaluer pour accompagner les établissements d’éducation et de formation Faisons-nous ce que nous disons faire, et avons-nous raison de faire ce que nous faisons ? Hommage à Michel Lecointe

Évaluer pour accompagner les établissements d'éducation et de

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Évaluer pour accompagner les établissements d’éducation

et de formationFaisons-nous ce que nous disons faire,

et avons-nous raison de faire ce que nous faisons ?

Hommage à Michel Lecointe

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et de formationFaisons-nous ce que nous disons faire,

et avons-nous raison de faire ce que nous faisons ?

Hommage à Michel Lecointe

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La formation à l’audit à visée participative a été pilotée par l’ESEN durant douze années. Elle a représenté la première étape d’une culture d’évaluation de nos stagiaires, culture, qui, maintenant, se diversifie fortement : évaluation de la performance, auto-évaluation des EPLE, évaluation des écoles, démarches d’assurance-qualité...

Dominique Odry

Ont collaboré à cet ouvrage sous la direction de Dominique Odry :Angéline Aubert-LotarskiAnne JorroChristian LajusMichel LecointeVincent LoriusBlandine MaesMichel RebinguetDanielle Zay

Secrétariat d’éditionLaëtitia Pourel (CNDP)

Mise en pagesCéline Lépine (CNDP)

Image de couverture : Hommes d’affaires et employés © Imagezoo/Getty Images

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Sommaire

Avant-propos...........................................................................................................................................................................................................4

Préface.............................................................................................................................................................................................................................5

1. La formation à l’audit à l’ESEN ............................................................................................................................................9

1.1 Présentation du dispositif .....................................................................................................................................................................10

1.2 L’audit à visée participative dans l’académie de Bordeaux ....................................................................................15

1.3 Formation à l’AVP : une voie pour combiner accompagnement aux établissements

et professionnalité des cadres .....................................................................................................................................................................30

1.4 Accompagner l’évaluation : une idée d’actualité ..............................................................................................................41

2. Quelques questions théoriques ........................................................................................................................................54

2.1 Le diagnostic d’établissement : au-delà du transfert méthodologique,

un héritier de l’audit à visée participative .......................................................................................................................................55

2.2 Penser et agir avec les paradigmes de l’évaluation en éducation .....................................................................69

2.3 L’audit participatif : le cas d’un audit de formation dans l’enseignement supérieur ......................79

3. Une certaine distance… ............................................................................................................................................................. 84

3.1 Au-delà de l’intervenant… le transvenant ............................................................................................................................87

3.2 Le contrevenant en trois figures ......................................................................................................................................................95

3.3 Michel Lecointe, une pensée de sortie de crise.................................................................................................................97

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Avant-propos

L’évaluation des unités d’enseignement devient une ardente obligation.En 2007, une lettre de mission du président de la République et du Premier ministre invitait le ministre de l’Éducation nationale à mettre en place « une évaluation en profondeur des établissements qui sera disponible pour les familles ».Il est vrai que la France connaît une situation encore singulière au regard de nombre de ses voisins européens : l’évaluation globale des unités d’enseigne-ments y est effectivement peu développée en dépit des réflexions conduites : travaux de l’inspection générale, études de la direction de l’évaluation de la prospective et de la performance, dispositifs académiques…La publication des protocoles et des rapports d’évaluation, la régularité dans le temps des évaluations et l’implication de la communauté scolaire, y compris les élèves et les familles, sont loin d’être à la hauteur des attentes alors qu’elles devraient accompagner le développement de l’autonomie des unités d’enseignement. Car l’évaluation est nécessaire pour déboucher sur des actions d’amélioration, communiquer avec les acteurs et les usagers, et tout simplement rendre compte de l’action publique. Les méthodes de l’évaluation sont plurielles : pilotage par les résultats, évaluation externe, auto-évaluation, audit…Depuis plusieurs années, l’École supérieure de l’Éducation nationale s’est donné comme objectif de mieux préparer les cadres en formation, en leur proposant connaissances, méthodologies et outils.Le professeur Michel Lecointe fut pour nous un pionnier. Il s’engagea d’emblée à accompagner nos formateurs dans ce domaine, et son rôle fut décisif pour aider les stagiaires de l’ESEN à s’approprier une authentique culture de l’évaluation.Les institutions ont le devoir de rendre hommage à ceux et à celles qui les ont aidés à construire leur identité culturelle et à défricher de nouveaux domaines de réflexion.L’ESEN se devait de saluer la mémoire de celui qui n’eut de cesse de nous accompagner par la publication de ces mélanges en son honneur, mélanges organisés en trois parties :– une présentation du travail de notre école dans le domaine de l’audit et

de l’évaluation des unités d’enseignement ;– des apports théoriques sur l’évaluation des organisations ;– des souvenirs de collègues et d’amis de Michel Lecointe.Cet hommage se veut à la fois gratitude intellectuelle et reconnaissance personnelle.

Pierre Polivka, directeur de l’ESEN de 2007 à 2010

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Préface

Transmettre des connaissances et faire acquérir une culture, préparer à une insertion sociale et professionnelle réussie, permettre l’exercice d’une citoyen-neté responsable et faire partager les valeurs de la République, telles sont les missions que la Nation fixe à l’ensemble du système éducatif et à ses acteurs.Comment remplir dans les meilleures conditions pour les jeunes ces objectifs majeurs pour notre avenir commun ?Une étude récente de McKinsey, « Les clés de l’amélioration des systèmes scolaires », met en évidence, à partir de l’étude d’une vingtaine de systèmes scolaires, deux leviers essentiels de progrès : le renforcement des pratiques pédagogiques et la transmission des savoir-faire entre les enseignants sur le terrain d’une part, le renforcement des marges de manœuvre laissées au terrain d’autre part.Ainsi, le rapport note que « les systèmes éducatifs performants continuent à s’améliorer lorsque l’administration centrale accroît les responsabilités et les marges de manœuvre des structures régionales et des établissements pour adapter les pratiques d’enseignement à la réalité locale ».Plusieurs évolutions de notre système éducatif dans les trente dernières années ont permis d’aller dans ce sens.Ainsi, la création, en 1985, des établissements publics locaux d’enseignement a donné aux collèges et lycées une autonomie pédagogique et administrative confirmée et précisée par les deux lois d’orientation de 1989 et de 2005, ainsi que par d’autres textes (loi de décentralisation de 2004…).L’autonomie, indiquait il y a quelques années un directeur, «  c’est la responsabilité de réaliser les objectifs de la Nation, pas seulement ses propres désirs ».D’où l’importance de la politique de projets qui permet à une entité, établissement mais aussi académie, de se fixer des objectifs, dans le cadre de la politique de la Nation, et les moyens de les réaliser.Instrument de mobilisation d’une communauté éducative, le projet (acadé-mique ou d’établissement) est aussi un instrument de communication et un instrument de dialogue.Fondement de la politique de l’établissement, le projet a été complété, avec la loi de 2005, par le contrat d’objectifs.Autonomie, projet, contrat doivent conduire naturellement, puisque ceux-ci sont ancrés dans un projet collectif national et réalisés avec les moyens de la Nation, à une évaluation.Question récurrente que celle de l’évaluation, évoquée dans maints rapports des inspections générales, depuis 2004, du Haut Conseil de l’Éducation ou, plus récemment, de la Cour des Comptes.

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Thierry Bossard, chef du service de l’IGAENR, rappelait en 2009 lors du colloque « Gouvernance et performance des EPLE » que « nous sommes, avec la Grèce et la Bulgarie, le dernier pays en Europe où il n’y a pas d’évaluation organisée, systématique, cadrée de nos établissements d’enseignement, alors que dans tous les autres pays, c’est, au contraire, un point fort sur lequel on mise pour améliorer le résultat des établissements ».Alors, évaluer pour quoi ? Plusieurs réponses peuvent être apportées à cette question. Évaluer d’abord pour mieux connaître, évaluer pour conseiller et améliorer, évaluer le cas échéant pour contrôler et remédier.Mais s’il n’y a pas d’évaluation systématique des établissements, ceci ne signifie pas qu’il n’y ait pas une culture de l’évaluation qui s’installe progres-sivement.Ainsi, la Direction de l’évaluation et de la prospective a-t-elle été créée dès 1987, dotant l’ensemble du système des indicateurs de pilotage des établis-sements scolaires (IPES).La mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) a introduit la notion de performance avec les programmes annuels de perfor-mance, les rapports annuels de performance et, en conséquence, une direc-tion de l’évaluation, de la prospective et de la performance.François Perret rappelait, dans un article, que l’évaluation des unités d’ensei-gnement est « devenue une ardente obligation et que l’attente des opinions publiques dans ce domaine ne cesse de s’accroître ». Et de rappeler les six conditions identifiées par les inspections générales pour qu’il y ait, en France, une évaluation comme dans les autres pays :1 Il n’y a d’évaluation possible que s’il y a une autonomie réelle de l’établis-sement. Inversement, le développement de l’autonomie des établissements s’accompagne partout d’un renforcement de leur évaluation.2 Il n’y a d’autonomie que si celle-ci porte sur l’essentiel, l’enseignement et la pédagogie, et pas simplement sur les marges de l’action éducative, et il n’y a d’évaluation que si elle porte sur la qualité de la formation.3 Toute évaluation doit être rendue publique, elle est faite pour rendre service au public.4 La seule évaluation pertinente et acceptable est celle qui combine une auto-évaluation encadrée et une évaluation externe.5 Il n’y a pas d’évaluation sans procédure contradictoire. Ceux que l’on inspecte ont le droit de répondre.6 L’évaluation ne se justifie que si elle tire à conséquence et débouche sur des actions correctrices, un plan d’amélioration de la situation…Notre encadrement (corps de direction et d’inspection) est, me semble-t-il, prêt à s’engager dans cette voie.

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Les formations dispensées à l’École supérieure de l’Éducation nationale, notamment à l’initiative de Michel Lecointe, ont permis d’introduire progres-sivement une culture de l’évaluation au travers notamment de l’audit à visée participative.Celui-ci, selon la définition même de Michel Lecointe, constitue « une analyse systématique et négociée évaluant quelques fonctions d’un établissement scolaire pour inventorier les effets, résultats et problèmes liés à des fonctions et aider par des recommandations et propositions à leur amélioration ».La pratique de l’audit à visée participative dans certaines académies a montré tout l’intérêt du dispositif de trois points de vue.D’abord dans la construction d’une culture commune de l’encadrement et comme pratique d’un véritable pilotage partagé entre corps d’inspection, de direction et d’encadrement administratif. La constitution des équipes d’audi-teurs permet ainsi de réaliser un travail en commun, se nourrissant des expé-riences des uns et des autres et permettant de dépasser les limites strictes de ses missions propres.Ensuite dans sa pratique, l’audit à visée participative permet d’associer totale-ment, selon un protocole transparent, un chef d’établissement et son équipe qui sont les demandeurs, au regard externe porté par l’équipe d’auditeurs. Cette association est essentielle me semble-t-il pour la construction d’une pratique d’évaluation efficace.Enfin, l’audit à visée participative est clairement orienté vers l’action, c’est-à-dire vers la résolution concrète d’un problème pour lequel sont présentées des recommandations vis-à-vis desquelles le chef d’établissement deman-deur dispose d’un libre arbitre. C’est un véritable outil d’aide au pilotage de l’établissement, construit dans une relation de confiance à laquelle contribue certainement la confidentialité.Cette dimension, il faut le reconnaître, pourrait être problématique, tant pour les auditeurs (au nom de l’éthique de leur métier s’ils constatent des manquements graves) que pour le responsable académique (soucieux d’avoir la meilleure connaissance possible de ses établissements). Pour les premiers, Dominique Odry, dans son article, indique que «  cette question ne s’est jamais posée concrètement » et qu’en tout état de cause, « il ne peut s’agir d’un interdit absolu si des faits mettent, de façon notable, en jeu l’intérêt des élèves nécessitant une intervention d’un autre type ». Pour le second, la présentation d’une synthèse anonyme des problématiques traitées, des voies d’action préconisées, permet d’en tirer des enseignements pour le pilotage académique.Avec la pratique des audits à visée participative, grâce à la petite équipe animée par Michel Lecointe qui a su essaimer dans les académies, avec la récente méthodologie utilisée pour l’évaluation des Réseaux Ambition Réussite,

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se construit progressivement cette nécessaire culture de l’évaluation des établissements. Il nous faut, me semble-t-il, élaborer une méthodologie simple et sérieuse, combinant auto-évaluation et regard externe, débouchant sur des actions concrètes d’amélioration pour les élèves, trois conditions pour la réussite de cette opération.Il est clair que la mise en œuvre de cette évaluation constitue un des enjeux majeurs des années qui viennent. Michel Lecointe, par sa démarche pion-nière, et les auteurs de cet hommage, par leurs articles, tracent les pistes d’une véritable stratégie d’évaluation.

William MaroisRecteur de l’Académie de Créteil

Chancelier des Universités

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1. La formation

à l’audit à l’ESEN

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1.1 Présentation du dispositif

Dominique Odry

La formation à l’audit à visée participative des personnels d’encadrement a été initiée à l’ESEN au début des années 2000

Au fil des ans, la formation à l’audit à visée participative a concerné un nombre toujours plus important de stagiaires, jusqu’à être offerte à l’ensemble des inspecteurs en formation. Elle est désormais proposée à un nombre important de personnels de direction en formation dans les académies.D’abord conçue comme activité d’apprentissage, la démarche de l’audit à visée participative (AVP) a été retenue dans certaines académies comme outil d’aide au pilotage. Une grande partie de la démarche utilisée peut être transférée dans d’autres modalités d’accompagnement des établissements, comme l’aide à l’auto-évaluation ou à la contractualisation.Depuis trois ans, l’encadrement pédagogique est assuré par un réseau de formateurs ressources, qui tous assurent l’instruction méthodologique des stagiaires. Ces personnes référentes sont formées et pilotées par l’ESEN.Un recrutement d’au minimum deux personnels d’encadrement par acadé-mie a été effectué, avec la validation des recteurs. Chaque année, une forma-tion de formateurs leur est offerte, destinée soit à consolider les compétences dans le domaine de l’audit, soit à les élargir à d’autres domaines de l’évalua-tion. Au bout de deux années de formation et d’interventions, une attestation de compétences peut leur être délivrée par l’ESEN.

Définition et spécificité de l’audit à visée participative

L’audit à visée participative est une forme spécifique d’évaluation. Auditer une organisation ou un dispositif avec une visée participative, c’est examiner, dans un contexte défini, les procédures mises en œuvre à partir de critères explicites et entérinés par les acteurs afin de mettre en évidence les dysfonction- nements effectifs et les risques potentiels, mais aussi les points forts, et tirer de cette évaluation des recommandations pour améliorer le pilotage. Son objectif étant de proposer des outils de pilotage de leurs actions aux différents acteurs de l’organisation ou du dispositif audité, ce type d’audit ne peut se concevoir sans leur implication négociée et contractualisée. Il ne s’agit pas d’un audit d’établissement mais de l’audit d’une thématique précise décidée avec le commanditaire.

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Objectifs de l’audit à visée participative

– Impulser une dynamique d’action chez les acteurs du site audité.– Favoriser l’amélioration d’un dispositif d’éducation.– Proposer des outils de pilotage aux acteurs du dispositif audité.– Produire et communiquer un rapport d’audit formatif et praxéologique.

Compétences des auditeursPour favoriser l’amélioration d’un dispositif d’éducation, dans le cadre de l’audit à visée participative, les opérations techniques que réalise l’auditeur développent des compétences qui permettent de :– analyser la demande d’audit dans son contexte, la négocier, la formaliser ;– construire un référentiel pour impliquer les acteurs ;– recueillir et sélectionner des données factuelles ;– mettre en relation données et référentiel ;– identifier les freins et facilitateurs ;– prendre en compte les forces de proposition et d’action locales ;– formuler des propositions d’action ;– rendre compte oralement ;– produire et communiquer un rapport écrit. Enjeux du dispositif d’audit à visée participativeParce qu’il articule diagnostic et auto-diagnostic, parce qu’il permet de confronter expertise externe et analyse et diagnostic internes, parce qu’il met en marche une dialogique, l’audit à visée participative ouvre plus de perspec-tives et de dynamisme que les autres formes d’audit.La double clause de confidentialité et de transparence permet de travailler au plus près de la réalité locale. La démarche participative développée dans l’AVP est une implication dont la finalité est l’efficacité de l’audit, puisque l’audit efficace est l’audit qui a des effets positifs sur l’organisation auditée.La position externe des auditeurs est essentielle, car elle apporte un regard extérieur décentré qui permet de relativiser et facilite la remise en question de ce qui était pensé acquis, immuable.

L’audit à visée participative dans la formation des cadres

La méthodologie d’évaluation de l’AVP est transférable à d’autres situations, notamment le diagnostic d’établissement, les inspections croisées, la contrac-tualisation, les audits institutionnels. La démarche participative et explicite quant à la méthodologie mise en œuvre induit des effets d’appropriation auprès des responsables des établissements audités.

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Culture d’évaluation 

La participation à un AVP, que ce soit en tant qu’auditeur ou acteur d’un établissement audité, contribue à la construction d’une culture commune de cadre, notamment dans le domaine de l’évaluation et de l’analyse des situa-tions complexes.Dans le cadre de l’éducation nationale, une évaluation n’est considérée efficace qu’à condition d’être collective et partagée. L’audit à visée participative répond à ces critères et permet de faire intégrer une réelle culture d’évaluation dans les communautés éducatives.L’interaction auditeurs-audités favorise la progression vers une démarche spontanée d’auto-évaluation.

Regards croisés

L’intercatégorialité des groupes d’auditeurs renforce les échanges construc-tifs et contribue à l’enrichissement des compétences. Les cadres associent l’ensemble de leurs représentations intellectuelles, élargissent les connais-sances mutuelles de leurs missions. Ils construisent leur professionnalisation par confrontation des savoirs, savoir-faire et pratiques.

Compétences visées par la formation à l’audit à visée participative

Pour les inspecteurs : l’AVP s’inscrit pleinement dans le thème 3 du référentiel de formation des inspecteurs « Évaluation et accompagnement des établisse-ments et des personnels », ayant pour objectif général de formation :« Acquérir les attitudes et maîtriser les techniques d’évaluation permettant de comprendre et d’optimiser les pratiques individuelles et collectives » :– définir des priorités d’action dans le cadre de la politique nationale et

du projet académique ;– s’adapter et prendre en compte les évolutions, conduire le changement,– évaluer les unités d’enseignement, les actions, les dispositifs et les

personnes ;– mobiliser et animer des équipes et des groupes de travail ; anticiper et

dénouer les tensions ; créer un climat de confiance ;– travailler avec les autres personnels d’encadrement dans le cadre

d’un pilotage pédagogique partagé  ; intervention en équipe d’auditeurs intercatégorielle ;

– analyser des situations complexes, inscrire l’action dans une approche systémique ;

– initier et accompagner les projets, les changements et les innovations liés aux adaptations et aux évolutions du système éducatif ;

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– maîtriser les fondamentaux du management : conduites de réunion et d’entretien, détection et valorisation des potentialités, accompagnement des personnes, création d’un climat de confiance, délégation, gestion des tensions, travail en équipes ;

– maîtriser la communication interne et externe, orale et écrite ;– faire preuve d’écoute et d’ouverture, de flexibilité, d’exemplarité, de

maîtrise de soi.

Pour les chefs d’établissements : on peut, en particulier, pointer dans le réfé-rentiel du responsable d’un établissement d’éducation et de formation, dans les domaines des savoir-faire et des compétences transversales :– acquérir les attitudes et maîtriser les techniques permettant de comprendre

et d’optimiser le fonctionnement de l’établissement, repérer et gérer les dysfonctionnements,

– concevoir, construire, mettre en œuvre, accompagner et rendre compte d’une politique d’établissement  : diagnostic, projet d’établissement, évaluation ;

– animer l’ensemble des instances de concertation et de pilotage de l’établissement ;

– arbitrer, décider ;– développer une culture d’évaluation à tous les niveaux de l’établissement ;– analyser des situations complexes, le fonctionnement de l’établissement,

inscrire l’action dans une approche systémique ;– initier et accompagner les projets, les changements et les innovations liés

aux adaptations et évolutions du système éducatif.

Pour tous les cadres :– maîtriser les fondamentaux du management : conduites de réunion et

d’entretien, détection et valorisation des potentialités, accompagnement des personnes, création d’un climat de confiance, délégation, gestion des tensions.

– maîtriser la communication interne et externe, orale et écrite.– faire preuve d’écoute et d’ouverture, de flexibilité, d’exemplarité, de

maîtrise de soi.

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Comment ça marche ?

Phase 1 Rencontre de travail entre les groupes d’auditeurs et les chefs des établissements audités afin de :– préciser définitivement l’objet d’audit ;– rédiger la lettre de mission ;– organiser concrètement la séquence d’audit sur la base du protocole préparé par le groupe d’auditeurs (dates et modalités).

Phase 2 Travail dans les établissements : réunions, entretiens, recueil de données.

Phase 3

Préparation du rapport de restitution aux EPLE

Cette séquence de travail vise à :– permettre aux auditeurs d’analyser le matériau prélevé dans les établissements (documents, informations issues des entretiens, etc.) ;– construire un diagnostic ;– construire des préconisations ;– préparer le rapport de restitution.

Phase 4 Restitutions orales des conclusions de l’audit aux acteurs de l’établissement.Rédaction du rapport d’audit adressé au chef d’établissement.

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Christian Lajus

Une rencontre 

Si l’académie de Bordeaux est aujourd’hui pleinement investie dans le dispo-sitif des audits à visée participative, elle le doit très certainement, au-delà d’une volonté clairement affichée par William Marois, recteur de l’académie, à l’apport d’un homme d’une grande disponibilité et d’un humanisme remar-quable, Michel Lecointe.Si la volonté d’analyser, de mesurer, de partager pour mieux piloter se fait si prégnante et durable, c’est sûrement le résultat d’un accompagnement d’une grande justesse, d’une écoute justement distanciée, de ce talent incompa-rable qu’il avait pour « passer » ses connaissances en les adaptant à tous les publics. Il savait prendre appui de manière judicieuse sur les multiples expé-riences qu’il avait menées pour rendre plus lisible, plus visible le concept de l’évaluation afin que chacun puisse se l’approprier.Ainsi, voilà cinq ans s’ouvrait, en collaboration avec l’ESEN, une action de formation académique des cadres, de remarquables apports théoriques ponctuant les temps forts de chaque phase de l’audit. Les grandes lignes se traçaient, les prémisses se confirmaient de manière de plus en plus précise…Les premiers audits se mettaient donc en place dans le cadre d’une « forma-tion » guidée par Michel Lecointe, apportant à la fois un éclairage mesuré et progressif sur le dispositif, des stratégies méthodologiques de grande perti-nence, une démarche de pilotage réflexive et très participative. Les interactions qui naissaient alors entre cadres permettaient de faciliter le transfert des compé-tences acquises dans le champ professionnel, d’aiguiser le regard d’expertise, d’appréhender le système éducatif avec une perspective plus large.

Un cheminement

Cette volonté renforcée par le plan académique 2006-2010 a facilité la mise en place du dispositif qui s’est fait progressivement plus prégnante et de plus grande ampleur, prenant appui sur les ressources de l’ESEN. Très vite, cette opération s’est donc trouvée confortée par le projet académique qui, dans son troisième objectif, définit clairement l’intérêt qu’il porte au pilotage et à l’évaluation des unités d’enseignement. William Marois, recteur de l’acadé-mie de Bordeaux, consolide alors l’ossature du dispositif par une sollicitation forte de l’encadrement, un plein respect de la confidentialité et de l’apport théorique de grande qualité de Michel Lecointe.

1.2 L’audit à visée participative dans l’académie de Bordeaux

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Émerge alors un élément fort, incontournable, souligné et apprécié de tous : l’intercatégorialité. Au fur et à mesure, les personnels ont répondu très favo-rablement à la proposition de formation, les demandes se sont faites de plus en plus nombreuses, même s’il faut remarquer une participation plus faible des cadres administratifs et une augmentation plus sensible des demandes des chefs d’établissement. Depuis deux ans, les inspecteurs de l’Éducation nationale premier degré ont été intégrés aux groupes d’auditeurs qui associent indifféremment stagiaires et titulaires. Une culture s’est installée, prenant ses racines sur le croisement de regards divers et différents mais aussi sur des valeurs partagées et des outils critériés, précis, évolutifs et modélisables. Pour accompagner cette évolution, le groupe des trois formateurs reflète lui aussi cette inter-catégorialité, un chef d’établissement étant associé à deux inspec-teurs des premier et second degrés. La démarche s’est structurée autour d’un comité de pilotage réunissant, entre autres, les IA-DSDEN de chaque dépar-tement de l’académie, elle a fait l’objet d’une note de service académique, d’une présentation lors des réunions de l’encadrement et donné lieu à la création d’outils académiques harmonisés : diaporama de présentation aux établissements, contrat, référentiel ainsi que la restitution écrite et orale. Des temps de rencontre sont organisés pour chaque phase, ils débouchent sur un travail de réflexion et de recherche de plus en plus approfondie mais, surtout, depuis maintenant quatre ans, ils tissent de manière durable un réseau de connaissances et de ressources. La dynamique formative et formatrice se double d’une construction de culture commune autour d’un concept diffé-rent, autre, mais d’une grande rigueur, de l’évaluation.

Exemple :Ces divers documents se retrouvent dans le document de restitution écrite (voir ci-après). Deux diaporamas servent également de points d’appui, d’une part pour la présentation aux audités et d’autre part, lors de la restitution orale de fin d’audit.

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LE CONTRAT D’AUDIT A VISÉE PARTICIPATIVE

À la demande de

un audit à visée participative sur une question relative à la vie quotidienne des élè-ves au collège et à l’image de l’établissement sera réalisé par le groupe d’auditeurs ci-dessous :

L’objet de cet audit a conjointement été défini comme suit :

Cette opération a pour double objectif d’aider l’EPLE à optimiser son fonction-nement et son organisation et de permettre aux auditeurs de développer leurs compétences dans la démarche d’audit à visée participative.

Les focales qui organiseront l’audit sont :

En accord avec le chef d’établissement, les auditeurs auront accès à tous les docu-ments qu’ils jugeront utiles à la préparation de l’audit, hormis les dossiers des per-sonnels. Ils mèneront également des entretiens avec les acteurs de la communauté scolaire, notamment : des élèves, des parents, des professeurs, l’équipe vie scolaire, les élus et les personnalités qualifiées au conseil d’administration, des A.T.O.S.S. et l’équipe de direction.

Dans un premier temps, les auditeurs présenteront aux acteurs de l’établissement, le dispositif d’audit retenu à l’ensemble des personnes nommées ci-dessus. Cette réunion est fixée au :

Dans un second temps, les auditeurs s’entretiendront avec les personnes nom-mées ci-dessus. Les dates retenues sont :

Les auditeurs s’engagent :

1. à fournir oralement leurs conclusions aux acteurs de l’établissement audité (analyses, diagnostic et recommandations) le :

2. à faire parvenir leur rapport écrit, en un seul exemplaire, au chef d’établisse-ment

3. à respecter strictement le caractère confidentiel des informations recueillies et restituées.

Les auditeurs, le chef d’établissement,

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L’ANALYSE

Conclusion intermédiaire :

CAUSES PRINCIPALES DES DYSFONCTIONNEMENTS

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POINTS FORTS/POINTS FAIBLES/POINTS CRITIQUES

POINTS FORTS POINTS FAIBLES POINTS CRITIQUES

Champ de référence de l’audit

Utiliser autant de pages que de champs d’observation.

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DIAGNOSTICen une dizaines de lignes maximum L’audit à visée participative conduit, montre

RECOMMANDATIONS

PERSPECTIVES ET ACCOMPAGNEMENT À MOYEN TERME

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ANNEXES

RÉFÉRENTIEL concernant :

FOCALES :

CHAMPS D’OBSERVATIONS

SOURCES QUESTIONS

Sources externes

Sources internes

– Projet d’établissement

Sources expertes

Autant de pages que d’objets pour le référentiel.

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La construction progressive de ces outils communs, leur harmonisation, la définition de leurs critères participent sans nul doute de ce que Michel Lecointe définissait comme la valeur ajoutée, l’au-delà de la performance, de la mesure, une nouvelle approche de l’évaluation. Il est très vite apparu, en effet, qu’au-delà d’une action où l’échange entre différents cadres, le croi-sement de regards divers apportaient une pierre supplémentaire à l’édifice, se construisait pas à pas une culture commune de l’évaluation. Au travers d’une démarche d’une grande rigueur, prenant étayage sur des référents théo-riques, les équipes se sont progressivement approprié une nouvelle approche de l’évaluation ou, du moins, sous une nouvelle focale. L’élaboration d’un référentiel, la recherche d’indicateurs pertinents soumis au filtre de focales, le recueil et le tri de données afin de partir à la recherche d’un diagnostic le plus « juste » possible, ces différentes étapes, dans le cadre d’un accom-pagnement organisé et formalisé, fondent le socle commun d’une mission d’encadrement. C’est avec un regard nouveau, plus aiguisé mais aussi mieux partagé qu’inspecteur, chef d’établissement ou cadre administratif, titulaire ou stagiaire, abordent ensuite les situations professionnelles.

L’audit à visée participative est également devenu pour l’académie un outil de pilotage dans le sens où, tout en respectant le principe de confidentialité, un bilan des vingt-six audits menés en trois ans a permis de faire émerger les préconisations qui revenaient de manière récurrente, à ouvrir des pistes d’évolution. Ces axes seront des éléments à prendre en compte lors de l’élaboration du prochain projet académique et ont été présentés à chaque IA-DSDEN qui, dès maintenant, peut prendre appui sur cette analyse pour orienter sa politique départementale. Il est enfin à relever qu’une enquête menée auprès des chefs d’établissement audités les années précédentes conforte, dans l’ensemble, le postulat selon lequel, soit au moyen de sa visée participative, soit au travers de la démarche, soit à partir des préconisations, le commanditaire de l’audit et son équipe se sont, à plus ou moins long terme, emparés de cette méthodologie.

Durant ces trois dernières années, 26 audits ont été menés dans l’académie de Bordeaux : 15 en collège, 6 en lycée général et technologique, 1 en lycée professionnel, 2 en cité scolaire, 1 dans une circonscription du 1er degré et 1 en EREA.La synthèse qui suit, élaborée par les formateurs académiques : Nicole Aubin-Marchal, Frédéric Blanc, Jean-Michel Martinez et Christian Lajus, a pour objectif de faire un bilan quantitatif et qualitatif sur les thèmes abordés par des équipes d’auditeurs intercatégorielles, selon la méthodologie de Michel Lecointe.

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Objets des audits menés

1 Les procédures pour développer la qualité et l’organisation du travail des élèves.2 Gestion et accompagnement des comportements difficiles.3 Recrutement des élèves et amélioration des taux de passage en 2de GT, diminution des taux de sortie.4 L’engagement des élèves et sérénité de l’EPLE.5 Lutte contre l’absentéisme et le décrochage scolaire.6 Valorisation des atouts du lycée pour conforter le recrutement des élèves.7 Développer le recrutement en BTS.8 Utilisation des TICE pour améliorer la formation des élèves.9 Favoriser le travail en équipe.10 La prise en compte de la diversité des publics.11 Dispositifs et procédures pour acquérir des méthodes et valoriser les progrès des élèves (en difficulté).12 Améliorer le fonctionnement de la communication.13 Lutter contre les difficultés de maîtrise de la langue française des élèves entrant au collège.14 Contribuer à l’analyse des orientations et des dispositifs de construction des projets des élèves.15 Développer les liens inter-cycles pour une meilleure continuité des apprentissages.16 Concilier une offre élargie d’options et de dispositifs avec le projet person-nel et les contraintes organisationnelles.17 Lutter contre le faible niveau d’ambition des élèves.18 Optimiser les relations fonctionnelles au sein d’une structure scolaire complexe.19 Stratégies pour améliorer l’attractivité du lycée professionnel.20 Développer une image positive de l’établissement.21 L’évaluation des élèves à l’école primaire (sens et efficacité).22 Comment les dispositifs mis en place au lycée contribuent-ils à améliorer l’assiduité des élèves et à combattre l’échec scolaire en fin de seconde ?23 Comment contribuer à l’engagement et à l’assiduité des élèves ?24 Quelle image veut-on pour la cité scolaire ?25 Comment développer l’attractivité du lycée ?26 Comment améliorer l’intégration des TICE dans l’établissement ?

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THÉMATIQUES nbre d’EPLE

RECOMMANDATIONS

Comportements difficiles des élèves

1 – Développer des partenariats externes et internes (familles, ville, services sociaux, collectivités territoria-les, écoles et lycées).– Impliquer les équipes pédagogiques sur les 6e et 7e piliers du socle commun.– Travailler sur le projet d’orientation.– Travailler sur le règlement intérieur.

L’engagement, l’assiduité et le décrochage

4 – Créer une dynamique de confiance en impulsant des projets en intercatégorialité, avec des objectifs et des indicateurs de résultats quantitatifs et qualitatifs.– Développer une culture commune et partagée par les personnels, les élèves et les parents et informer les élèves sur les instances du collège.– Impulser un travail collaboratif permettant de définir et préciser les missions de chacun, de construire des protocoles (fiche de poste), d’améliorer les conditions matérielles de travail de chacun pour mieux encadrer les élèves et faciliter le contrôle de l’assiduité.– Mettre en place et faire vivre une commission vie scolaire ou cellule de veille présidée par le chef d’éta-blissement et/ou des groupes de réflexion sur des projets prioritaires : dispositifs d’accueil des élèves et familles, projet vie scolaire, FSE, projet documentaire, CESC…– Construire un projet de vie scolaire à partir d’un diagnostic explicite et précis (groupe de pilotage inter catégoriel piloté par le CE, construction d’un référen-tiel dans le respect des textes réglementaires, choix d’indicateurs explicites, communication et concerta-tion de toute la communauté éducative).– Optimiser le temps scolaire de l’élève et des classes.– Favoriser et valoriser la prise de responsabilité des élèves dans les différentes instances ou structures tels que : le conseil des délégués, le conseil d’admi-nistration, le CESC, le FSE, l’AS. Reconnaître l’inves-tissement des élèves dans le cadre de la note de vie scolaire.– Revoir le règlement intérieur de façon à le rendre plus lisible et vérifier sa conformité aux textes régle-mentaires.– Engager une réflexion sur l’aménagement des espa-ces (place de la SEGPA).

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THÉMATIQUES nbre d’EPLE

RECOMMANDATIONS

L’orientation 5 – Fédérer l’adhésion de tous les acteurs autour des possibilités du collège à partir d’une analyse commune des indicateurs.– Assurer une communication permettant de faire connaître les réussites du collège.– Réaffirmer les liaisons intercycles  en termes de compétences.– Contribuer à la réussite de tous en optimisant l’uti-lisation des moyens et la souplesse des organisations (DGH, organisation du temps scolaire, coordination de différents dispositifs de soutien : ATP, PPRE…).– Mener une politique d’orientation active permet-tant une orientation claire sur les différentes filières en informant sur les formations et les métiers (inciter les jeunes filles à choisir la voie scientifique et technolo-gique…).– Assurer un suivi et un accompagnement des élèves (suivi de cohorte, orientation de fin de cycles.– Favoriser la fluidité des parcours (baisse des taux de doublement et réorientation).

Utilisation des TUIC

2 – Mettre en place un comité de pilotage tripartite (administration, enseignants, élèves) pour déterminer la politique TICE de l’établissement et la validation du B2i.– Mener une réflexion sur la plus-value apportée aux élèves, définir des objectifs et arrêter des besoins en formation.– Mener une réflexion sur les pratiques pédagogiques en référence au socle commun et déterminer les choix à mettre en œuvre.– Doter les différents pôles disciplinaires en matériel (portables et vidéo projecteurs), résoudre le problème de maintenance en interne ou en externe.– Assurer la communication intercycles avec notam-ment l’utilisation d’un document de suivi des compé-tences du B2i (dans le cadre des liaisons amont et aval).

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THÉMATIQUES nbre d’EPLE

RECOMMANDATIONS

Le travail en équipe 1 – Recenser les actions du projet d’établissement qui permettent de fédérer les équipes et de faire vivre le conseil pédagogique.– Décloisonner les filières  en ne spécialisant pas les professeurs sur la voie générale ou technologique.– Instituer des plages de concertation dans les EDT.– Améliorer la politique de communication interne.– Mettre en place un plan d’action global pour optimi-ser les liaisons intercycles.

Les dispositifs d’aide aux élèves

3 – Fixer les objectifs de chaque dispositif (dans le cadre du conseil pédagogique) et les évaluer (indicateurs et calendrier).– Coordonner tous les dispositifs et les modalités de leur mise en œuvre.– Élaborer un tableau de bord des élèves bénéficiant des différents dispositifs.– Préciser la contribution des disciplines à l’améliora-tion de la maîtrise de la langue française.– Dégager des temps de concertation : bilan, régula-tion et évaluation des dispositifs.– Renforcer la place du CDI comme outil pédagogi-que au service de la réussite des élèves.– Instituer une réflexion collective sur les modes et les outils de communication interne et externe (famille).

La prise en compte des élèves à besoins éducatifs particuliers

1 – Mettre l’accent sur les apprentissages, malgré les difficultés pédagogiques et matérielles engendrées par l’inclusion et l’individualisation.– Mettre en place des formations d’enseignants et autres personnels selon les besoins spécifiques des élèves (formation d’établissement, formation en ZAP).– Renforcer et enrichir les partenariats avec les diffé-rents instituts.– Développer l’ambition de chacun des élèves, en partenariat avec les familles (définir avec précision les exigences attendues en lien avec le socle com-mun de connaissances et de compétences et, selon le potentiel réel de l’élève, proposer les compensations adéquates).– Formaliser un projet spécifique prenant en compte les élèves concernés, décliné en diverses actions et reprenant les points ci-dessus.

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THÉMATIQUES nbre d’EPLE

RECOMMANDATIONS

La communication 2 – Modes de pilotage : présenter explicitement le diagnostic et le projet d’établissement (ou la contrac-tualisation), préciser les fonctions et les rôles de chacun, présenter l’objet et le cadre des réunions, déterminer collectivement des procédures…– Au plan pédagogique : impulser une dynamique d’établissement en utilisant le conseil pédagogique.– Pour la communication : professionnaliser les tech-niques de communication et les mettre en cohérence (spécificité à construire pour les équipes de direction des cités scolaires), utiliser le réseau des professeurs principaux et des responsables disciplinaires.– Évaluer les effets des actions mises en place.

La liaison inter cycles

1 – Faire intervenir dans les collèges des équipes mixtes de professeurs (enseignement général et technologique).– Cibler comme interlocuteur privilégié le professeur principal de 3e.

L’évaluation d’une circonscription

1 – Mettre en place, au sein de la circonscription, une culture partagée de l’évaluation entre les acteurs de la circonscription à destination des enseignants.– Mettre en place une cohérence des pratiques d’éva-luation, définir des modalités communes, coordon-nées et systématiser leur exploitation.– Publier les résultats des évaluations bilan par école et les référer à des données concernant : le public sco-laire, les profils et catégories socioprofessionnelles (PCS) des familles, les contraintes et ressources envi-ronnementales.– Établir une communication dynamique entre les écoles, les conseillers pédagogiques et l’IEN en asso-ciant les enseignants volontaires (définition d’un plan d’animation annuel, échanges sur les orientations ministérielles…)

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Les audits menés depuis trois ans dans l’académie de Bordeaux permettent de conclure de façon provisoire que les principales thématiques et recomman-dations sont liées :– au pilotage concerté ;– à l’évaluation ;– aux mesures afférentes à la réussite des élèves ;– à la communication.

Les recommandations récurrentes

Le pilotage concertéClarifier les modes de pilotage et mettre en place une politique de projet partagé.Utiliser le conseil pédagogique pour impulser une réflexion sur les indica-teurs de l’établissement et les mesures utiles.Dégager des temps de concertation.Dynamiser le travail en équipe en s’appuyant sur les coordonnateurs discipli-naires et les professeurs principaux.Développer des partenariats internes et externes.

L’évaluationProcéder à des évaluations partagées et communiquées.Publier les effets des actions.

La réussite des élèvesMettre l’accent sur la réussite de tous, coordonner les différents dispositifs d’aide.Assurer le suivi et l’accompagnement de tous les élèves et développer une politique d’orientation fondée sur un projet commun.Favoriser et valoriser tous les types d’engagement et de réussite (piliers 6 et 7 du socle commun).Responsabiliser les élèves notamment au sein des instances (CVL, FSE…).Travailler à l’interne sur :– un projet vie scolaire ;– le règlement intérieur ;– l’utilisation des espaces ;– l’accessibilité du CDI.

La communication

Renforcer et professionnaliser la communication interne et externe.

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Des évolutions envisagées

L’ouverture sur le premier degré s’est organisée progressivement… Tout d’abord, par l’intégration d’inspecteurs stagiaires puis titulaires… Ensuite par le choix d’ouvrir les sites audités à des circonscriptions. Ces premiers pas vers une organisation nouvelle, une unité d’enseignement aux contours différents se sont faits non sans tâtonnements mais avec l’intérêt certain de permettre à des cadres missionnés sur les organisations du second degré de décou-vrir d’autres formes de management, d’autres modalités de pilotage dans un contexte plus large, moins défini, plus complexe.

La prise en compte des réformes du système éducatif et des nouvelles modalités de formation initiale des cadres constitue sans doute le nouveau chantier à ouvrir, sans occulter le débat permanent qui persiste de manière sous-jacente sur l’efficacité de ce type d’opération comparativement à un choix plus institutionnel, plus commandité.

La traversée de ces dernières années d’expérimentation sous la conduite de Michel Lecointe, une certitude des formateurs construite pas à pas, un accompagnement sans faille du recteur et une adhésion de plus en plus forte des cadres participent sans aucun doute de la réussite de l’audit à visée par-ticipative sur l’académie de Bordeaux. Cette année encore, treize sites seront audités par soixante-cinq auditeurs regroupés par équipes de cinq.

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1.3 Formation à l’AVP : une voie pour combiner accompagnement aux établissements et professionnalité des cadres

Vincent Lorius

1.3.1 Introduction

Les spécificités de l’accompagnement à visée participative (AVP) présentées dans cet ouvrage permettent de comprendre en quoi, sur de nombreux points, cette méthodologie est assez différente des pratiques habituelles au sein de l’institution dans le registre de l’évaluation et de l’accompagne-ment des structures éducatives. Mon expérience d’animateur académique du dispositif de formation à l’AVP m’amène à formuler l’hypothèse que ce « décalage » présente un intérêt à la fois dans le domaine de l’aide aux établis-sements et dans celui de la formation des personnels d’encadrement.Dans ce texte, je tenterai de défendre la proposition suivante : c’est parce qu’elle est adaptée à plusieurs caractéristiques des relations entre établisse-ments et autorités académiques que la méthodologie AVP permet d’assurer efficacement la combinaison progrès des établissements/développement de compétences des cadres en formation.J’appuierai mon propos sur une tentative de mise à jour de dominantes dans le fonctionnement quotidien de l’institution scolaire et l’identification de deux compétences professionnelles importantes pour les personnels d’enca-drement, spécifiquement développées au travers de la pratique de l’AVP.

1.3.2 La collaboration EPLE/autorité académique : quelques dominantes

Une prégnance de la contractualisationSi l’on considère qu’un contrat formalise, par écrit, un engagement mutuel autour d’objectifs (voir par exemple de quelle manière le « contrat » est uti-lisé pour la réalisation de paris dans certains jeux de cartes), on ne peut que constater que les modes actuels de conventionnement entre autorité acadé-mique et établissement prennent progressivement et de plus en plus nette-ment et explicitement cette forme. Il n’est pas utile d’insister sur le caractère explicitement contractuel du contrat d’objectifs mais l’on retrouve les mêmes caractéristiques, peut-être de façon un peu diluée dans les textes de cadrage des projets d’établissement, des projets de territoire (Réseaux de réussite scolaire, Réseau ambition réussite…) ou dans ceux des lettres de mission des personnels de direction.

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Une place centrale accordée au chef d’établissementLe consensus qui se dégage autour de «  l’effet chef d’établissement  », renforce les attentes envers les personnels de direction, accroissant de fait la responsabilité de ces derniers.

Les indicateurs chiffrés comme gage d’efficacité dans le pilotageLe regard institutionnel porté sur les établissements combine deux injonc-tions qui peuvent paraître contradictoires : développement de l’autonomie et prégnance des procédures de contrôle. Il est en effet clair que se développe un mode de régulation à partir d’indicateurs quantitatifs : leur construction et leur mise à jour font aujourd’hui partie du quotidien des chefs d’établissement. Conséquences Ces éléments permettent à mon sens de repérer quelques points pour comprendre ce que peut être la valeur ajoutée de l’AVP :– sur la contractualisation : l’inégalité des statuts des signataires du contrat

(chef d’établissement et représentants de l’autorité académique) peut induire une bascule de l’efficacité vers la simple conformité. L’AVP peut être un levier pour que soit rétablie une véritable égalité entre les «  contractants  » (auditeurs et audités) au travers des principes de transparence et de confidentialité.

– sur la responsabilité des chefs d’établissement : être responsable, c’est bien sûr rendre des comptes à une autorité légitime, mais c’est également les rendre sur des champs et au regard des leviers qui dépendent directement de son action. L’AVP, en consacrant beaucoup d’attention à la négociation de l’objet garantit l’exercice réel de la responsabilité du chef d’établissement, si l’étude porte sur des points pour lesquels il se reconnaît acteur décisif.

– sur la place de la mesure : « de la mesure dans la mesure ». Sans revenir sur la nécessaire « vigilance mathématique » lors de la réalisation d’opérations statistiques (vigilance qui n’est en rien spécifique à l’AVP), la méthodologie s’attache à respecter une conception de la preuve, conçue plutôt comme un faisceau de présomptions que comme un tableau de bord. Dans le registre éducatif, le statut de la preuve est souvent plus proche de celui de l’enquête (faisceau d’indices) que de la preuve strictement mathématique1

La partie suivante tente de préciser ces différents apports potentiels de la méthodologie.

1 Gather Thurler (Monica), « L’Enjeu de l’évaluation et régulation des systèmes scolaires » in, Demailly (Lise), Évaluer les politiques éducatives, De Boeck, Bruxelles, 1995, p. 145.

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1.3.3 Zoom sur quelques caractéristiques de la méthodologie

Transparence et confidentialitéS’approcher de la réalité vécue par les acteurs nécessite sans doute plusieurs conditions mais ne peut s’envisager sans que s’établisse un rapport de confiance entre auditeurs et audités. Dans le cadre de l’AVP, cet objectif repose sur trois aspects :– L’opérationnalisation : la maîtrise et la précision des conditions de déroule-ment de l’audit (calendrier ) sont primordiales et formalisées dans une lettre de mission (voir annexe 1).– La professionnalité : elle repose d’abord sur une conception et une présen-tation claire des étapes de la méthodologie et de leur rôle. En formation, lorsque l’étude est réalisée par des personnes n’ayant pas l’expérience de la démarche, cette garantie de professionnalité doit être assurée par les référents académiques.– L’exhaustivité : la définition précise des personnes concernées à un titre ou à un autre par l’audit est indispensable. Par ailleurs, le rappel dans la lettre de mission du fait que seul le commanditaire sera destinataire du rapport d’audit, permet d’assurer le « périmètre » de l’étude.Outre la posture générale des auditeurs (écoute, empathie, bienveillance…), ces trois aspects permettent en général de rendre effectifs les principes de trans-parence et de confidentialité, et ainsi de promouvoir une « parole vraie ».

Faisabilité et audibilitéUne attention particulière aux conditions de définition de l’objet d’étude doit permettre de vérifier que celui-ci est directement lié au champ d’action du commanditaire. Sans entrer trop avant dans le détail des opérations à mener pour que cela soit effectif, il est possible de pointer deux écueils à éviter pour que l’objet soit bien calibré.– L’instrumentalisation : À l’usage, on constate qu’il ne s’agit pas simplement d’un risque mais pratiquement d’un passage obligé dans la construction d’une relation de confiance entre le commanditaire et les auditeurs. Ce terme désigne une tendance naturelle du responsable de la structure (chef d’établissement, directeur) à privilégier une question qui lui tient à cœur et dans les termes que celle-ci prend dans son quotidien.– L’intrusion : De façon symétrique, il est frappant de constater de la part des auditeurs novices, la volonté quasi-systématique de promouvoir comme objet une question qui correspond à l’idée qu’ils se font a priori de la structure à auditer.Pour limiter ces risques, une technique simple consiste à proposer à chaque membre du groupe d’auditeurs, en amont de la rencontre avec le commanditaire,

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de noter son « ressenti de départ » sous la forme d’une réponse à la question : «  a priori, et avant d’entrer effectivement dans la recherche d’informations précises, il me semble que la question prioritaire à traiter pour cette structure relève de… »La reprise collective de ces représentations ne vise ni à les valider , ni à les infirmer mais de les mettre à distance pour se placer dans une situation d’écoute critique par rapport aux propositions du commanditaire. Par ailleurs, un document de cadrage pour structurer la rencontre peut être proposé (voir annexe 2, p. 40).

Statut de la preuveAu cœur de la méthodologie de l’AVP, il y a la conviction qu’il n’est pas opé-ratoire d’aller directement du constat à la proposition de remédiation. Pour le dire autrement, sans phase de diagnostic, c’est-à-dire sans formulation d’hypothèses sur les causes des constats, il y a peu de chances de produire des propositions d’amélioration adaptées. Ainsi, si l’on constate par exemple dans un collège un problème de réussite au DNB, il n’est pas possible de savoir sans recherche des causes probables, s’il faut plutôt s’orienter vers la mise en place de cours de soutien ou retravailler les modalités de notation en contrôle continu. De même, si les exclusions de cours semblent très nombreuses, il n’est pas possible de savoir a priori si le règlement intérieur doit être repris ou si l’emploi du temps, en concentrant en fin de journée un nombre important de cours, n’est pas en partie responsable de cet état de fait.L’identification spécifique d’une étape de formulation d’hypothèses sur les causes (diagnostic) permet donc de ne pas prendre les indicateurs pour cible mais comme support de réflexion (voir annexe 3 p. 41).

1.3.4 Intérêt de la formation au travers de l’AVP

Si la mise en place du dispositif de formation à l’AVP vise en premier lieu à permettre aux établissements volontaires pour l’audit de bénéficier de recom-mandations adaptées, il reste que les personnels d’encadrement en formation doivent pouvoir acquérir des compétences pour leur nouveau métier. Outre des compétences propres à chaque fonction (IPR, IEN IO, chef d’établissement…), il est possible de distinguer deux types d’acquisitions souvent provoquées par la formation à l’AVP, adaptées à l’ensemble des fonctions d’encadrement, et parfois peu travaillées dans les autres modules de formation proposés :– une conception affinée de la responsabilité d’un cadre au sein de l’institu-tion scolaire ;– une conception affinée des différents positionnements possibles pour accompagner les établissements.

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1.3.5 Une conception affinée de l’exercice de la responsabilité…

La plupart des auteurs et des acteurs du système éducatif s’accordent sur la nécessité d’une responsabilisation des acteurs éducatifs. Les débats portent plus sur la nature de cette responsabilité (peut-elle être autre chose que plurielle et négociée ? Comment peut-elle permettre de sortir de l’alternative obligation de résultats/obligation de moyens ?) que sur son intérêt.Concernant l’obligation de résultats, qui induit les procédures de contrôle, plusieurs objections théoriques ont été formulées et incitent à la vigilance face à certains effets pervers potentiels :– un risque de dérives concurrentielles concernant les relations entre établis-sements (éducation à plusieurs vitesses, ghettos, effondrement de la qualité de l’enseignement dans certains établissements, dégradation de la socialisa-tion dans tous les établissements par diminution de la mixité sociale…) ;– un risque de dérives circulaires quant aux buts des enseignements, qui pourraient devenir étroitement scolaires, d’une part, et même se centrer sur les tests des examens, d’autre part ;– un risque de dérives pédagogiques, comme la technicisation outrancière de l’acte pédagogique.Pour réduire ces risques, l’AVP présente un intérêt fondamental dans la mesure où il s’agit d’effectuer un travail dont l’objectif n’est pas d’abord la correction ou la conformité mais l’explication, la mise en évidence des causes d’un écart éventuel entre cibles et réalisation. Au travers de cet objectif, il devient possible pour les acteurs concernés, de porter un jugement sur le fait de savoir si le fonctionnement (ou ses résultats) est (sont) satisfaisant(s) ou non-satisfaisant(s).En se confrontant à la difficulté de proposer et de promouvoir des recom-mandations, non pas sur les objectifs à atteindre, mais sur la manière de le faire en intégrant à la fois les caractéristiques du cadre réglementaire et les caractéristiques de l’établissement telles que formulés par les acteurs, les personnels en formation sont en mesure de comprendre, en acte, que l’exer-cice de la responsabilité du pilotage d’une structure d’enseignement, consiste bien à porter un jugement sur les résultats observés et à les interpréter pour savoir ce qui peut être entrepris, dans le cadre de ce qui relève effectivement des possibilités d’action des acteurs.

1.3.6… Pouvant déboucher sur une conception plus opérationnelle du rôle de conseil

Ce cheminement intellectuel est facilité par la méthodologie. En effet, celle-ci induit un «  temps de recul  » permettant de ne pas aller directement de

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l’identification d’un problème à la recherche d’une solution avant d’avoir procédé à une interprétation fine des constats.Formellement, et comme l’indique le schéma ci-dessous, la métho-dologie prévoit plusieurs techniques pour bien distinguer l’« analyse » et le « diagnostic  » comme des éléments incontournables pour l’élaboration de recommandations.

Parmi ces techniques, figure l’algorithme ci-après, qui permet par exemple de ne pas proposer mécaniquement des recommandations basées sur le rappel des objectifs.On voit là tout l’intérêt de la méthode pour que les personnels en formation se familiarisent avec une posture de conseiller, prenant finement en compte le point de vue et les possibilités des acteurs.

Niveau de difficulté / dysfonctionnement Type d’action

Les acteurs savent-ils ce qu’il faut faire ? NON Information

OUI

Savent-ils comment le faire ? NON Formation

OUI

Ont-ils la possibilité de le faire ? NON Organisation Gestion

OUI

Veulent-ils le faire ? NON Management

OUI

Ont-ils le pouvoir de le faire ? NON Politique

OUI

M. Rebinguet, A. Aubert-Lotarski, B. Desclaux

Dans une démarche d’évaluationl’identification des « problèmes »

n’est qu’une étape.

La finalité est la recherche de solutions.

Comment ça fonctionne ?

Pourquoi ça fonctionne comme ça ?

Comment faire pour que ça fonctionne mieux ?

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1.3.7 Conclusion

Il est relativement aisé de repérer des complémentarités entre procédures de contrôle et dispositifs d’évaluation et plusieurs articles de ce livre discutent de ce point2. Claude Pair proposait déjà en 2004 de rompre avec des prati-ques de suivi inefficaces en « (intégrant) le fait que le seul contrôle effectué (actuellement) est un contrôle de conformité, non stratégique, qui ménage aux individus une liberté très large. Seules sont vérifiées les règles bureaucra-tiques ne portant pas sur les décisions réellement importantes qui, en fait, se trouvent entre les mains des agents du système3 ».C’est ce constat qu’il semble possible de dépasser au travers de la métho-dologie de l’AVP. J’ai ainsi tenté d’illustrer en quoi elle permet de prendre en compte de façon explicite et transparente quelques conditions pour méliorer la collaboration entre les établissements et les autorités académiques et comment la formation des personnels d’encadrement pouvait contribuer à une conception plus fonctionnelle des métiers d’inspection ou de chef d’établissement.Au final, et c’est là de mon point de vue ce qu’ont permis de cristalliser Michel Lecointe et son équipe, c’est qu’il n’existe pas de fatalité à osciller continuellement au sein de notre institution, entre conformité et efficacité, qu’un travail prenant pour principe la nécessaire autonomie des acteurs n’implique en rien une absence de loyauté institutionnelle.

2 Voir la distinction proposée par Angeline Aubert-Lotarski : www.esen.education.fr/conseils3 Claude Pair, février 2004 : contribution au débat national sur l’école www.debatnational.education.fr/upload/pdf/claudepair.pdf (lien vérifié le 8/09/2011).

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ANNEXE 1

LETTRE DE MISSIONACCOMPAGNEMENT À VISÉE PARTICIPATIVE

1° Objet : « Étude des procédures de valorisation des parcours des élèves de 1° S et ES »

L’objectif est double :– améliorer le repérage et la prise en charge des élèves en difficulté ;– favoriser l’ambition scolaire de chacun.

2 ° Site audité :………………… ;

3° Auditeurs :…………….

4° Modalités du recueil de données :

– entretiens avec équipe de direction (proviseur, proviseur-adjoint, gestionnaire), secrétaire, professeurs, personnels de la vie scolaire, délégués de classes ;

– recueil de documents : projet d’établissement, contrat d’objectifs, tableau de bord, compte-rendus de réunions (conseil pédagogique, conseils d’enseignement...).

5° Règles de confidentialité : tout ce qui sera entrepris dans le cadre de l’AVP sera porté à la connaissance du proviseur. Les résultats de l’étude ne seront pas divul-gués à l’extérieur de l’établissement mais remis sous forme d’un rapport au chef d’établissement.

6° Modalités des restitutions : restitution orale auprès de l’ensemble des per-sonnes auditées. Le commanditaire et les auditeurs pourront convenir en cours de démarche d’un élargissement de ce groupe.

7° Descriptif prévisionnel :

– recueil des divers documents : courant octobre.– recueil des données par voie d’entretien le jeudi 10 décembre.– restitution en mars (date à fixer).

À…………… Le…………………….

Les auditeurs Le commanditaire

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ANNEXE 2 DOCUMENT D’AIDE AU CADRAGE DU PREMIER CONTACT

AVEC LE COMMANDITAIRE

Par rapport à un objet concret et existant (un dispositif, un ensemble d’actions, une structure, un outil, etc.).

Auditeurs et CE cherchent à :– repérer les enjeux, attentes et besoins du commanditaire ;– définir l’objet de la commande : explorer et délimiter ;– situer la commande en termes de pertinence et faisabilité ;– discuter des termes de la lettre de mission/contrat.

Questions probablement incontournables– Pourquoi ce thème ? (causes : pour quelles raisons le CE propose ce thème ?)– Pour quoi ce thème ? (objectif : quels résultats d’audit sont attendus, quelle utilisation le CE veut-il faire de cet audit ?)

Points de vigilance 

Enjeux, risques et gains de l’audit pour :– les auditeurs.– le chef d’établissement.– l’établissement.

Les termes du contratQuelle « porte d’entrée » pour traiter la problématique évoquée ? Vérification de la recevabilité par les acteurs de l’objet tel qu’il est formulé.

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ANNEXE 3

EXEMPLE DE PHASE DE DIAGNOSTICDans un collège où l’objet retenu était « l’organisation des dispositifs d’aide », il a été dégagé après étude (analyse), le problème à résoudre suivant (diagnostic) :– Le collège est mobilisé…– …dans la prise en charge d’un public parfois en difficulté…– …mais génère une moins value.

« Le collège est mobilisé »ExemplesDécisions relatives à la DGH :– Math et français + 1h/horaire plancher en 6e et 5e et + 0,5h en 4e et 3e pour l’organisation du soutien par chaque professeur. – SVT, sciences physiques et technologie : création de groupes (de 12 à 15 élèves).

EntretiensDe nombreuses tentatives de prises en charge individualisées relatées par les enseignants.

Le public est plutôt en difficultéIndicateurs sociologiques (en %)

Collège Département

PCS défavorisés 58,9 43,4

PCS favorisés 20,5 27,1

Quelques constats faits par l’équipe éducative :– culture éloignée de la culture de l’école ;– désintérêt pour l’école, pas de sens donné, manque de travail personnel ;– des familles démunies ;– orientation : par défaut, manque d’ambition, pas de projection, choix géogra-phiques (éloignement difficile).

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Mais le collège génère une « moins value ». En effet, à la différence des résultats départementaux et académiques, ce collège a, en pourcentage, des résultats au DNB* nettement inférieurs à ceux, quatre ans aupa-ravant, des évaluations 6e.

Hypothèse sur quelques pistes de travail prioritairesLes recommandations induites par ces hypothèses ont donc visé :

À renforcer le point A « transparence et confidentialité », à favoriser la mise à jour de principes à respecter pour les dispositifs d’aide– formalisés,– partagés,dont la mise en œuvre est vérifiée périodiquement.

Pour le point B « faisabilité et audibilité » :– À construire des éléments permettant de juger des effets produits par l’établisse-ment,– à recentrer les documents internes et les instances sur les besoins des élèves en difficulté,

Pour le point C « statut de la preuve » :– À promouvoir l’existence d’une instance de régulation des dispositifs d’aide (en particulier pour disposer de procédures explicites d’affectation des élèves dans les dispositifs),– disposer d’indications concernant l’évolution de chaque élève.

* Diplôme national du brevet.

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1.4 Accompagner l’évaluation : une idée d’actualité

Dominique Odry

« Comment, au cours d’un audit, respecter la clause de confidentialité, si nous constatons dans l’établissement un manquement grave ? »

Ce fut, chez nos stagiaires inspecteurs, une question récurrente pendant plusieurs années, lorsque nous leur présentions le dispositif de formation/action à l’audit à visée participative et les principes inhérents à sa démarche. Pour s’inscrire stricto sensu dans une démarche d’accompagnement, la lettre de mission de l’équipe d’auditeurs comprend effectivement la garantie du respect de la confidentialité des analyses et des préconisations remises au chef d’établissement. Mais une des missions de l’inspecteur n’est-elle pas, avant tout, de vérifier la conformité du fonctionnement de l’établissement et le respect des normes ? Et quand bien même on reconnaît l’intérêt de la démarche d’accompagnement, un inspecteur peut-il, même pour une courte durée, abandonner son rôle de garant de la norme, à tout le moins son devoir de signalement ? Dans l’absolu, cette question ne peut que déboucher sur une aporie. Un cadre, dont une des missions principales est de vérifier la qualité des enseignements, peut-il endosser les habits de celui qui accompa-gne sans être soupçonné de duplicité ? Et, in fine, n’est-ce pas contraire à sa mission première ?De fait, cette question ne s’est jamais posée concrètement au cours des centaines d’audit menés dans le cadre de la formation des inspecteurs. Et quand bien même l’aurait-elle été, elle trouve sa résolution dans le principe de la hiérarchie des normes. Aucune clause de confidentialité contractua-lisée dans le cadre d’un dispositif de conseil ne peut être un interdit absolu si des faits mettant, de façon notable, en jeu l’intérêt des élèves nécessitent une intervention d’un autre type. Il n’en reste pas moins que la posture de conseil de l’auditeur a longtemps percuté de plein fouet les représentations premières de nos stagiaires sur leur métier.

Les premières formations à l’audit à visée participative à l’ESEN eurent lieu il y a plus d’une dizaine d’années. Elles n’ont d’abord concerné qu’un petit nom-bre de stagiaires, ceux du public des IEN IO et des IA IPR EVS. Peut-être parce que ces derniers, aussi bien par leur expérience antérieure que par leur champ d’exercice, avaient une approche de l’établissement scolaire dans sa globalité. La réalisation de l’audit se déroulait durant une semaine bien remplie, de la négociation à la restitution des préconisations. Les journées se terminaient fort tard mais l’implication des stagiaires était forte. Bien qu’intégrée dans un

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cursus de formation, l’opération d’audit ne pouvait être une simulation. Les chefs d’établissements concernés (et volontaires) connaissaient le statut de l’opération qu’on leur proposait. Mais la dynamique se mettait en route et ils attendaient des résultats. C’est quelque chose qui s’est confirmé au fil des ans. Dans ce type d’évaluation, il n’y a pas de place pour la demi-mesure. Le contrat passé entre l’équipe d’auditeurs et le chef de l’établissement « audité » prévoit un engagement réel des protagonistes. Pour l’établissement, il s’agit de choisir un objet sur lequel l’équipe souhaite avancer, et de mettre à dis-position des auditeurs les informations nécessaires. Il y a donc une attente et l’acceptation de se montrer « visible ». En contrepartie, les auditeurs s’enga-gent à faire leur possible pour produire un diagnostic et des préconisations qui permettent d’apporter une plus-value à l’établissement. Sous le contrat formel (lettre de mission), il y a donc un contrat moral qui exige une impli-cation authentique des acteurs. J’ai toujours été frappé, vers la fin du pro-cessus, lorsqu’il fallait préparer la restitution, de l’engagement de stagiaires dans ce travail. L’attention de Michel Lecointe était constante. Au-delà d’une formation théorique de haut niveau, il était vigilant sur toutes les questions méthodologiques et éthiques de la démarche, avec une attention constante sur le respect du protocole. « S’asseoir pour se regarder marcher » est le titre d’un ouvrage qu’il consacra à la formation continue des enseignants. Il savait éclairer chaque étape d’une dimension réflexive qui permettait aux stagiaires de construire leurs connaissances en acte.Très vite, cette formation fut proposée à d’autres publics au sein de l’ESEN, puis à l’ensemble des stagiaires, et à un nombre de plus en plus important de personnels de direction. Cette nouvelle modalité demanda de monter des dispositifs sophistiqués. Il fallait trouver des établissements volontaires, élaborer des thématiques, mettre en place des réseaux de formateurs. L’engagement de Michel Lecointe, bientôt aidé d’Angeline Aubert-Lotarski, fut toujours entier.La démarche de l’AVP au début de sa mise en œuvre à l’ESEN s’intégrait par-faitement à la formation. La dimension participative, la clause de confidenti-alité, permettaient de trouver des établissements volontaires. Le discours que nous tenions aux stagiaires leur indiquait que dans leur pratique profession-nelle, ils auraient rarement l’occasion de mettre en œuvre une telle démarche. Par contre, une grande partie des outils méthodologiques (construction des référentiels, recueil de données, analyse et diagnostic…) étaient transférables dans d’autres démarches d’évaluation de l’EPLE. Au cours des ans, la dimen-sion participative de la démarche surprit de moins en moins les stagiaires. Pour les formateurs, elle constitua rapidement la clef de voûte du dispositif. Les conceptions de l’évaluation évoluaient…

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L’évaluation des EPLE, une question déjà ancienne

La question de l’évaluation des établissements scolaires est apparue en France au début des années 1980. Jusqu’alors, on s’intéressait très peu à la notion même d’établissement, même si «  l’explosion scolaire  », depuis les années 1960, eut comme effet l’ouverture d’un nombre considérable de col-lèges. La loi de modernisation du système éducatif de 1975 (réforme Haby), si elle instaure les bases du collège unique, n’aborde pas les questions d’au-tonomie et de pilotage de l’établissement. C’est pourtant une question sur laquelle on s’interroge depuis la fin des années 1960, à partir des théories naissantes de la sociologie des organisations, et de la critique du « phéno-mène bureaucratique » analysé par Michel Crozier. Christian Beullac, dernier ministre de l’Éducation de Valéry Giscard d’Estaing et qui, venant de l’entre-prise, s’appuyait sur une culture managériale, réfléchit à une déconcentration centrée sur les unités éducatives. Il soutint une expérimentation menée dans ce sens dans l’académie de Toulouse et pilotée par Maurice Vergnaud 4. Un rapport publié à la Documentation française en 1980 et rédigé par Dominique Paty, « Douze collèges en France », mit en avant pour la première fois les différences de culture et d’organisation dans le paysage des collèges hexago-naux. C’est la gauche, arrivée au pouvoir par les élections de 1981, qui mettra en œuvre la politique d’autonomie des établissements. La loi sur la décentra-lisation est votée en 1982 et en 1984 est créé le statut d’Établissement public local d’enseignement. Le projet d’établissement, outil phare du management des EPLE au mitan des années 1980, devait permettre d’atteindre les objectifs nationaux en les traduisant en adaptations pédagogiques locales. Un décret du 30 août 1985 définit les champs sur lesquels porte l’autonomie de l’éta-blissement, et la notion de contrat d’objectifs. L’évaluation apparaît dans la description du rôle du conseil d’administration : « Le conseil d’administration établit chaque année un rapport sur le fonctionnement pédagogique de l’établissement qui rend compte de la mise en œuvre du projet d’établisse-ment, des objectifs à atteindre et des résultats obtenus. »

4 Voir Jean-Louis Derouet : « La place des établissements scolaires en France sous la Ve Républi-que » in Revista Portuguesa de Educaçào, Vol 22 n° 2, 2009. Maurice Vergnaud deviendra directeur des lycées et collèges durant le ministère d’Alain Savary et sera à l’initiative de l’association « Éducation et Devenir ». Une interpellation de Christian Beullac en direction des corps d’inspec-tion est encore souvent citée (« Ce que je vous demande, ce n’est pas d’obéir, c’est de réussir »), anticipatrice des évolutions qui attendaient la professionnalité des cadres du système éducatif.

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Un changement de paysage

L’évolution de la recherche en sociologie de l’éducation.Les modèles de la sociologie de la reproduction ont été longtemps dominants en France concernant l’analyse du système éducatif. Les travaux de Pierre  Bourdieu et Jean-Claude Passeron, puis de Christian Baudelot et Roger  Establet s’intéres-sent d’abord à la reproduction du système social et de ses classes. Marqués par le marxisme, ces sociologues ne prennent pas en compte la singularité des situations, des expériences, des organisations…L’école est d’abord présentée comme un appareil idéologique d’état dont la fonction est d’alimenter la division en classes de la société, ainsi que celle du travail manuel et du travail intellectuel. L’exclusion, provoquée soit par l’organisation structurelle de l’école en réseaux, soit par le rapport à la langue et aux savoirs académiques, permet de maintenir les rapports de domination.Les modèles ethnographiques anglo-saxons, ceux de l’école efficace, la socio-logie des organisations, vont petit à petit être pris en compte. Cette évolution est bien entendu liée à celle du système éducatif accordant plus de places aux particularités des établissements et faisant apparaître leurs singularités. Ces modèles permettent également une lisibilité de la pratique des acteurs, et sont une aide pour l’action.

La volonté de créer une culture d’évaluation

Lorsqu’en 1987, René Monory crée au sein de l’administration centrale de l’Éducation nationale une direction de l’évaluation et de la prospective, il s’agit d’une véritable révolution. L’évaluation apparaît comme indispensable aussi bien au pilotage central du système qu’à celui du pilotage local des EPLE. Jusqu’à maintenant, pour la France, l’évaluation comme notion concernait exclusive-ment les élèves et leurs apprentissages. Cela faisait déjà plusieurs années que les théories de l’évaluation formative permettaient de mettre en place des pra-tiques innovantes. Mais ces théories concernent le processus pédagogique, et non pas le fonctionnement du système et de celui des établissements. La mise au point des IPES (Indicateurs pour le Pilotage des Établissements scolaires) est également une réelle innovation. Cinq catégories d’indicateurs sont propo-sées : ceux relatifs à la population accueillie, aux ressources et aux moyens, des indicateurs de résultats, de fonctionnement, et d’environnement. Cette catégo-risation permet de construire un modèle systémique aussi bien du fonctionne-ment du système éducatif que de celui des établissements. On dispose en effet de variables d’entrée et de sorties, ainsi que d’indicateurs de fonctionnement. Le rôle des IPES est clairement affiché : ils doivent permettre à un chef d’établis-sement (et à son équipe) de procéder à une évaluation interne et d’élaborer des analyses pour améliorer le fonctionnement et le résultat.

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La place des usagers

La place dévolue aux parents d’élèves est un des éléments saillants du chan-gement des organisations scolaires. L’évolution des textes leur donne un rôle accru, liée en cela à un mouvement sociétal de renforcement des droits des usagers. Représentation dans des instances, dialogues, évolution des procédures d’orientation… À une plus grande manœuvre qui leur est offerte, va être associée une évolution des comportements qu’on a pu assimiler à du consu-mérisme. Comparaison des établissements, mise au point de stratégies de « zapping » entre le public et le privé, contournement de la carte scolaire, choix des options en fonction de la constitution de classes de niveaux… Du coup, la diffusion publique des évaluations d’établissements est prise en compte par les parents dans les stratégies d’élaboration des parcours de leurs enfants.

L’évolution du management dans la fonction publique

Passer d’un fonctionnement pyramidal reposant sur le modèle bureaucratique d’agents exécutant les consignes qui leur sont transmises, à une organisation plus transversale et laissant la place à l’initiative des acteurs, est un des objectifs aussi bien du système éducatif que de la fonction publique dans son ensemble, depuis bientôt vingt-cinq ans. On a d’abord mis en avant le projet d’établis-sement et les notions de pilotage, d’adaptation aux contingences locales, d’adhésion des équipes à un projet commun… Ce fut l’époque où une revue novatrice, Éducation et Management, pouvait inscrire comme devise embléma-tique sur sa couverture, « Les valeurs de l’école et l’esprit d’entreprise »5.Le pilotage par les résultats et la notion de performance ont pris le relais. La loi organique relative aux lois de finance (LOLF), votée en 2001 mais mise en œuvre seulement en 2006, a pour premier objectif de rendre le budget de l’état plus lisible. Les résultats attendus des programmes sont fixés dès l’origine et doivent servir de base à une évaluation. Chaque programme doit donner lieu à un rapport annuel de performance présenté devant le parle-ment. Concernant l’éducation, c’est l’échelon académique qui est avant tout concerné, les recteurs devant présenter leurs dépenses par budget opération-nel. Un ensemble d’indicateurs doit permettre de suivre les politiques aca-démiques. A priori, si les établissements ne sont que peu concernés directe-ment, les contrats d’objectifs entre les établissements et les recteurs peuvent néanmoins reprendre les principes de la LOLF.

5 On ne peut que regretter la disparition de cette revue qui, durant près de vingt-cinq ans, a joué un rôle pionnier, puis d’accompagnateur des changements en profondeur du manage-ment du système éducatif.

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État des lieux

Un rapport des deux inspections générales rédigé en 2004 traite de la ques-tion de l’évaluation des établissements6. L’ouverture du rapport est explicite : « Une interrogation sur une exception française : la faible attention portée à la question de l’évaluation des établissements ». Une histoire française fait qu’on a du mal à considérer l’établissement dans sa globalité. L’unité de l’éta-blissement est d’abord à considérer par rapport à l’habitude prise dans beau-coup d’établissements français de distinguer des fonctions d’administration des fonctions d’enseignement et des fonctions d’éducation  »7. Un rapport d’Eurydice plus récent, publié en 2008, fait le constat suivant : «  L’évalua-tion des établissements en France […] est en cours de définition et fait inter-venir une multiplicité d’acteurs dont les rôles respectifs ne sont pas encore bien déterminés : inspections générales, inspecteurs d’académie-inspecteurs pédagogiques régionaux, autorités hiérarchiques au niveau du département et de l’académie ». Le lien entre autonomie et évaluation semble encore assez lâche pour la France, par rapport à ses voisins, particulièrement en ce qui concerne les pratiques d’auto-évaluation. Autre caractéristique (soulignée dans le rapport d’Eurydice) : un foisonnement d’initiatives et de dispositifs différents d’une académie à l’autre. L’absence d’un cadrage et d’un pilotage national sur cette question se fait parfois sentir.

Audit et accompagnement

Jusqu’au début des années 1970 le terme « audit » indiquait le contrôle d’une entreprise sur le plan de la finance et de la gestion. Il s’agissait d’un travail d’investigation permettant d’évaluer les procédures comptables et adminis-tratives en vigueur dans une entreprise. L’élargissement de la notion d’audit est allé de pair avec les nouvelles conceptions du management. On s’est intéressé ensuite à l’organisation administrative et au contrôle de gestion (la gestion est comprise comme l’ensemble des décisions de mise en œuvre de la stratégie). Le facteur humain, la capacité des membres d’une organisation à agir de manière cohérente dans le sens des objectifs poursuivis sont devenus des éléments essentiels. La notion d’audit social a fait son apparition : il s’agissait de mesurer l’efficacité de la politique menée à l’égard du personnel. Trois types d’audit social ont été distingués8 :

6 Étienne (Jean) et Gauthier (Roger-François), « L’évaluation des lycées et collèges en France en 2004 : bilan critique et perspective », MEN, IGEN-IGAENR, juillet 2004.7 op. cité p. 20.8 Voir Couret (Alain) et Igalens (Jacques), L’Audit social, PUF, Que sais-je ?, 1994.

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– L’audit de conformité dont la vraie nature est celle d’un audit juridique appliqué au droit social ;

– l’audit d’efficacité centrant ses analyses et ses préconisations sur la formation, la communication et la rémunération du personnel mais également sur la gestion prévisionnelle des ressources humaines ;

– l’audit stratégique qui est la traduction de la stratégie sociale en plans et programmes.

Fédérant ces différentes acceptions de l’audit, l’IAS (Institut international de l’audit social) en propose la définition suivante : « démarche spécifique d’investigation et d’évaluation à partir d’un référentiel, incluant un diagnostic et conduisant éventuellement à des recommandations ». Cette acception est à distinguer de l’audit de situation, qui est une opération de contrôle et de vérification, qui peut se pratiquer dans le système éducatif, à la demande d’un recteur par exemple, lorsqu’un dysfonctionnement grave est constaté dans un établissement.Majoritairement, c’est le modèle de « l’audit d’efficacité » qui s’est développé au sein du système éducatif, plus que l’audit de situation ou de conformité. L’opé-ration initiée par le recteur Claude Pair est emblématique de cette approche. De 1990 à 1996, l’ensemble des établissements secondaires de l’académie de Lille ont fait l’objet d’une opération d’audit. Plus de 300 auditeurs ont été formés, constituant des équipes formées d’inspecteurs et de personnels de direction. Les objectifs de l’opération étaient hybrides. S’il s’agissait d’aider le chef d’établissement à conduire l’auto-analyse du fonctionnement de la communauté scolaire, était également énoncée l’intention de construire un outil aidant au dialogue lors de l’évaluation des chefs d’établissements. Une recherche conduite par Lise Demailly a permis d’évaluer un certain nombre d’effets de cette opération9. Bien qu’obligatoire, il n’y a pas eu rejet par les équipes des établissements. Pour certains, on constate une amélioration de la communication interne, et émergence d’une politique pédagogique collec-tive. Des demandes d’accompagnement et de suivi ont été constatées. Lise Demailly insiste sur les effets sur la culture des auditeurs associés à cette opération. D’abord par l’enrichissement et la diversification de la culture professionnelle des membres des équipes d’audit. Ensuite, par la communica-tion améliorée entre personnels de direction et personnels d’encadrement, et l’émergence d’une culture commune dans le domaine de l‘évaluation.Existe-t-il alors un modèle « chimiquement pur » de l’audit d’établissement qui supposerait que l’établissement seul a l’initiative ou non de déclencher

9 Demailly (Lise), « L’évaluation et l’auto-évaluation des établissements : un enjeu collectif. Le cas des audits d’établissements scolaires de l’académie de Lille ». Politique et management public, mars 1999, n° 1, p. 37-58.

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une évaluation et que les conclusions ne soient communiquées qu’aux mem-bres de la communauté éducative ?Le grand mérite du travail mené par Michel Lecointe10 est d’avoir, à partir des modèles de l’audit social, construit une démarche et des outils adaptés à la culture des établissements scolaires. Il en donne la définition suivante : «  l’audit est une analyse systématique et négociée évaluant quelques fonc-tions d’un établissement scolaire […] pour inventorier les effets, résultats, et problèmes liés à des fonctions et aider par des recommandations et propo-sition à leur amélioration »11. C’est la prise en compte des particularités de l’organisation scolaire, du rôle du chef d’établissement, de la place des parents et des élèves, de la connaissance de la culture enseignante qui enrichissent une démarche initialement conçue pour une entreprise ou un service. Une réflexion approfondie et une grande rigueur sur les principes déontologiques, ainsi qu’une méthodologie enrichie au fil des années, achèvent d’en faire un outil performant12.L’audit à visée participative s’inscrit-il dans une démarche d’accompagnement de l’établissement scolaire ?. La notion d’accompagnement n’est pas nouvelle, mais elle a fait l’objet de nombreuses réflexions depuis quelques années. Elle trouve ses fondations dans les pratiques d’aide et de conseil. Relevant d’une relation duale d’aide, cette notion est surtout employée lorsqu’il s’agit d’une personne. Elle s’illustre alors dans des domaines aussi divers que l’éduca-tion, la formation, la santé, le travail social. Pourtant on l’emploie également en ce qui concerne des collectifs : accompagnement d’équipes, de projets… Jean-Pierre BOUTINET13 distingue trois niveaux d’accompagnement suivant le degré d’autonomie du sujet accompagné : la guidance lorsque le degré d’autonomie est faible, l’accompagnement contractuel qui correspond à un « marcher ensemble », enfin le suivi ou accompagnement non directif. Il y a une temporalité propre à l’accompagnement. Le conseil et la formation se positionnent sur le futur et l’anticipation. L’accompagnement concerne le moment présent et privilégie la durée et non pas l’instantané. Lui sont asso-ciées les notions de processus et de parcours. L’audit ne relèverait donc pas de l’accompagnement, car son protocole se déroule dans une durée bien précise. Si une opération d’audit a pour effet une demande d’accompagne-ment d’un établissement, cela relève d’un autre processus. Reste à trouver un

10 Avec Michel Rebinguet pendant longtemps, puis avec Angeline Aubert Lotarski.11 L’audit à visée participative, dossier de formation, document ronéoté, ESEN12 On en trouve l’illustration dans l’ouvrage  Conduire un audit à visée participative. Angeline Aubert-Lotarski, Michel Lecointe, Blandine Maës, Michel Rebinguet, Michèle Saint-Jean. Chronique Sociale, 2006.13 Jean-pierre Boutinet, Repères anthropologiques. dans : Accompagner, une idée neuve en éducation. Cahiers Pédagogiques n° 393, avril 2001.

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terme générique pour tout ce qui relève de l’aide, du conseil, du formatif, bref d’une certaine conception de l’évaluation et de la posture de l’évaluateur. Il ne s’agit pas seulement d’un débat d’école. Un certain nombre de dispositifs sont mis en place dans les académies, privilégiant l’aide à l’auto-évaluation et au diagnostic des établissements. Peut-on poser le principe une éthique d’un accompagnement qui ne puisse être imposé, mais seulement contractualisé ?

Posture

Le terme «  posture  » connaît ces dernières années un réel succès. S’agit-il seulement d’un nouveau stéréotype de langage venu des sciences sociales, ou bien ce terme recouvre-t-il une nouvelle façon de décrire le rôle des acteurs ?La posture représente une attitude, une position, une façon d’être, de se tenir… La psychologie sociale différencie depuis longtemps le rôle et le statut. Le statut désigne les positions des agents les uns vis-à-vis des autres, particu-lièrement dans leur dimension hiérarchique. Le rôle est le faisceau des atten-tes qui règlent le comportement des individus dans une situation donnée : prescriptions normatives, attentes des supérieurs, attentes des subordonnés. L’individu a un idéal de son rôle, une image des comportements qu’il doit adopter. Il ne faut pas que le rôle soit trop éloigné des comportements atten-dus par rapport au statut. Un cadre qui manifestera des comportements de « copinage » avec ses subordonnés ne sera pas forcément bien perçu par ses derniers qui attendent de lui une certaine distance, qu’il soit « au-dessus de la mêlée ». S’il a un comportement autocrate (autorisé par contre par le statut), il ne sera pas forcément mieux perçu. On peut attendre de lui que tout en assu-mant ses responsabilités et sa fonction, il communique à certains moments de façon simple et transversale avec ses subordonnés. Il y a « du jeu » possi-ble entre le statut et les rôles. C’est peut-être dans cet entre-deux que se situe la notion de posture, celui de la marge de manœuvre dont dispose un acteur, en situation professionnelle, pour moduler ses comportements, choisir une attitude, créer une situation.Cette question se pose donc bien pour ce qui est attendu aujourd’hui des cadres de la fonction publique et plus particulièrement de ceux du système éducatif. La complexification de leurs missions demande à être capable de tenir des postures différentes : animation, contrôle, rappel de la norme, conseil, accompagnement, expertise… Il ne s’agit pas seulement « d’attitude » au sens par exemple de l’autoritarisme, ou bien au contraire de l’empathie et de l’écoute. Ce qui est en jeu, c’est également la clarté des situations avec les acteurs, et d’une certaine façon du contrat qui est passé avec eux. Adopter la posture de l’accompagnateur par exemple, lorsqu’on peut être appelé de par ses fonctions à adopter celle du «  contrôleur  » demande à

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ce que la situation soit explicite. Il n’est pas nécessaire pour justifier une opération de vérification, de la masquer d’un drapé formatif pour se donner bonne conscience…Des formations à l’audit conduites à l’ESEN, ce fut un des traits saillants, surtout pour des stagiaires dont la représentation majeure de leur métier était centrée sur la vérification normative. Le fait de pouvoir adopter une posture de conseil (au même titre que pourrait le faire un consultant), dans un contrat dont un principe était la confidentialité, demandait une réelle décentration. Mais cela ne suffit pas. Dans une fonction de cadre, encore faut-il être conscient de la pertinence des moments où on adopte ce type de posture, et avoir la capacité d’en changer de manière réfléchie, d’en garantir la lisibilité et les frontières pour l’interlocuteur.

Les enjeux

Si la France reste « en deçà » d’un certain nombre de pays de l’Union Euro-péenne concernant le lien entre autonomie des établissements et évaluation, on peut néanmoins repérer deux périodes dans l’évolution de ce rapport.La première, que l’on pourrait qualifier de pionnière a été marquée par deux facteurs :– la promotion d’une culture d’évaluation dans un paysage dont elle était

totalement absente, entre autres par la création de la DEPP et l’élaboration d’outils conçus au niveau national mais destinés à aider au pilotage local ;

– la priorité donnée aux démarches d’aide et d’accompagnement des EPLE, particulièrement au moment du développement des projets d’établissement. Au regard d’un certain nombre de dispositifs mis en place dans les académies au cours de cette première période, on constate que la plupart ont pour objectif le conseil et l’accompagnement, l’évaluation (et plus particulièrement les démarches d’auto-évaluation) étant un outil co-substantiel à la démarche de projet.

La seconde période privilégie le pilotage par les résultats et la notion de performance. Les contrats d’objectifs prennent leur sens dans cette nouvelle donne. Pour autant, cette nouvelle logique ne renforce pas le primat de l’éva-luation externe au détriment de l’évaluation interne, bien au contraire. Pour un établissement ou une école, (se) fixer des objectifs de performance ne peut que passer par une autonomie accrue, ce qui renforce la nécessité de l’auto-évaluation comme outil de pilotage de l’unité d’enseignement, et corrélative-ment celle de l’évaluation externe comme élément du pilotage central.À ces deux fonctions s’en ajoute une troisième, celle de la communication, et plus particulièrement la nécessité de rendre les résultats publics. Dans une lettre de mission adressée au ministre Xavier Darcos en juillet 2007, le prési-

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dent de la République lui demande de mettre en place « une évaluation en profondeur des établissements qui sera disponible pour les familles ».Certes un certain nombre d’indicateurs sont accessibles aux usagers du service public de l’éducation, notamment ceux concernant les lycées. Mais là encore, la France se distingue d’autres pays de l’Union. C’est d’ailleurs essen-tiellement ce qui différencie les pratiques d’évaluation en œuvre au sein du système éducatif de celles que l’on retrouve sous l’intitulé : « Évaluation des politiques publiques »14. La politique publique est le résultat des interrelations entre acteurs du débat public. La Société française d’évaluation insiste sur la nécessité de la prise en compte de la pluralité des points de vue, nécessité se traduisant par l’association des différentes parties prenantes concernées par le processus d’évaluation. Au sein du système éducatif, les instances consulta-tives sont nombreuses, à tous les échelons de l’action éducatrice, du niveau national au niveau local. Les instances permettant l’expression et la partici-pation des acteurs et des usagers sont variées. Encore est-il fondamental de distinguer la consultation, la prise en compte de l’avis des experts, la parti-cipation aux décisions des acteurs et des usagers. Cette dernière repose très peu sur des processus d’évaluation, et encore moins sur des méthodologies construites. L’élément « tiers » que doit représenter une véritable évaluation opérationnalisée est la plupart du temps absent.Au fil des décennies, il n’y a plus guère d’acteurs qui défendent le principe d’une simple évaluation contrôle par le pilotage central. Ainsi on trouve dans le rapport de l’IGEN de 2004 la définition suivante de l’évaluation : « Plus qu’une technique, l’évaluation est d’abord un certain type de démarche, faite à la fois de regard critique mais aussi d’une attitude de compréhension et d’ouverture à l’autre, d’une volonté de faire partager par ceux qui sont évalués certains constats pour faire évoluer la qualité de la formation. »Se trouve alors posée la question de l’articulation entre évaluation externe et évaluation interne.Dans une conférence de conclusion du colloque de la SICI15, Thierry Bossard, doyen de l’IGAENR souligne les convergences de la réflexion commune d’inspecteurs européens sur le thème de l’évaluation des écoles et des établissements d’enseignement. Un principe est affirmé : il n’y a d’évaluation juste, pertinente, et même acceptable, que celle combinant auto-évaluation, évaluation interne et évaluation externe. Thierry Bossard constate deux posi-tions différentes en Europe quant à l’articulation entre évaluation interne et évaluation externe :

14 Voir l’ouvrage L’Évaluation des politiques publiques, le développement d’une nouvelle culture. Coordonné par Patrice Braconnier et Guy Cauquil. CNDP/ESEN. Juin 2010.15 Standing International Conference of Inspectorates.

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« Pour les uns, l’évaluation externe doit venir comme un contrôle-qualité qui va s’assurer que les évaluations internes sont menées selon des protocoles rigoureux et que des conséquences en ont été tirées : à ce titre elle certifie le processus d’évaluation interne. Dans l’autre cas (…) il y a une articulation réelle, effective entre une évaluation interne prise comme point de départ et la conduite de l’évaluation externe. »Les Anglais ont fait le choix d’un dispositif combinant une auto-évaluation obligatoire et une évaluation externe, ce que David Miliband, ministre anglais de l’Éducation appelait en 2004 une obligation de résultats intelligente, et qu’il définit ainsi : « un cadre d’obligation de résultats, qui met l’accent sur la mise en œuvre d’une auto-évaluation continue et efficace dans chaque établissement, combinée à une inspection externe resserrée, étroitement arti-culée au cycle du changement pédagogique de l’établissement scolaire »16. L’auto- évaluation est donc obligatoire (à partir d’un protocole précis et normé), mais la particularité est qu’il existe un élément « tiers », ni inspecteur garant du contrôle externe, ni membre de la communauté éducative ; il s’agit du SIP (School Improvement Partner), « ami professionnel critique » de l’établis-sement scolaire. Soumis au respect de la confidentialité, son rôle est d’aider à construire les compétences collectives de l’établissement, et il intervient à la demande de l’établissement.

De nouvelles compétences pour les personnels d’encadrement

La circulaire de mai  2009 élargit les modalités d’intervention des inspec-teurs : «  L’évaluation d’équipes disciplinaires et pédagogiques, l’évaluation de niveaux ou de cycles, l’évaluation systémique d’unités éducatives, sont des formes d’interventions qui viennent désormais placer l’inspection indivi-duelle dans une perspective de véritable pilotage pédagogique ». On peut en conclure que les inspecteurs (ainsi que, dans une autre mesure, les personnels de direction) devront dorénavant connaître, si ce n’est maîtriser, une pluralité de démarches pour choisir la plus appropriée : inspection, audit, évaluation d’établissement, aide à l’auto-évaluation… La demande d’accompagnement des EPLE (bientôt des écoles…) devrait monter en puissance. Dans une intervention prononcée lors de la réunion nationale des IA IPR en mai 2009, le doyen de l’IGEN, François Perret, affirmait : «… le besoin de conseil et d’accompagnement des établissements ne peut que s’accroître. Dans une étude que nous venons de mener sur la mise en place des contrats d’objec-tifs, nous constatons que l’attente des établissements et des personnels de

16 Cité par Romuald Normand (INRP), conférence tenue à l’ESEN en 2010 : « Évaluer la perfor-mance de l’établissement scolaire : vers une obligation de résultats intelligente ? »

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direction est forte à l’égard des inspecteurs pédagogiques, dans la phase de dialogue préalable à la validation des contrats, dans leur suivi, et, demain, dans leur évaluation. »Un groupe d’expertise animé par l’ESEN a relevé l’ensemble des situations professionnelles relevant du champ de l’évaluation et concernant les corps d’inspection et les personnels de direction. Cette liste permet de repérer des groupes de compétences pour les traduire en référentiels de formation. Cinq thèmes ont été retenus pour ce dernier :– le cadre institutionnel (réglementaire) et l’espace de référence international ;– enjeux et épistémologie ;– pluralisme des démarches ;– outils et méthodes ;– déontologie et postures de l’évaluateur.La formation à l’audit à visée participative conduite à l’ESEN nous a mon-tré l’intérêt de combiner une pluralité d’entrées pour favoriser une pratique réfléchie d’évaluateur ou d’« accompagnateur » en évaluation. Il ne s’agit pas tant de maîtriser le « bon » protocole que d’établir les bases d’une nouvelle culture d’évaluation. Les pratiques d’évaluation ne peuvent être que des pra-tiques sociales hétérogènes ; il ne s’agit pas de tenter de normaliser, mais de prendre en compte et d’articuler des logiques d’action pouvant être complé- mentaires. La prise en compte des acteurs et des usagers dans le proces-sus d’évaluation, (sur le modèle de l’évaluation des politiques publiques), l’accompagnement des démarches d’auto-évaluation, la nécessaire commu-nication des résultats pour la sphère publique, sont des modalités devenues incontournables tout autant que le contrôle de conformité.

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2. Quelques questions

théoriques

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2.1 Le diagnostic d’établissement : au-delà du transfert méthodologique, un héritier de l’audit à visée participative

Angéline Aubert-Lotarski

La mise en œuvre d’un audit à visée participative17 a des effets concrets sur l’organisation auditée. Le chapitre 1.2 (C. Lajus) en est une illustration. Les trois précédents ouvrages collectifs présentant cette forme d’audit appli-quée aux organisations d’enseignement et de formation18 ont pu détailler la méthodologie mais aussi les principes, aussi bien théoriques que déontologi-ques, qui la fondent. Michel Lecointe avait eu l’occasion de développer plus largement ces principes dans de nombreuses publications, dont Les Enjeux de l’évaluation19 (1997) ou, plus récemment, dans L’Évaluation : rationalités et imagi-naires20 (in Jorro, 2007).Les conditions de réalisation d’un AVP inquiètent cependant les « auditeurs se formant »21 quant à la possibilité de transfert de cette pratique dans leur réalité professionnelle quotidienne. L’équipe autour de Michel Lecointe a en effet toujours insisté sur les sept exigences fondamentales suivantes22 :L’AVP est au service du développement autonome d’une organisation.1 C’est l’organisation, par l’intermédiaire de son représentant, qui fait la demande.2 Les destinataires, les participants et les personnes concernées par l’audit sont identifiés et informés.3 La commande, en particulier la définition des objets de l’audit, est négociée.4 Un contrat écrit engage les partenaires quant aux objets et objectifs, aux étapes et au calendrier, aux produits et aux rapports.5 L’interactivité est non seulement une méthode de travail, mais aussi la condition d’un transfert de compétences.

17 AVP dans la suite du texte.18 Lecointe (Michel), Rebinguet (Michel), L’Audit de l’établissement scolaire. Les Éditions d’Or-ganisation, 1990 ; Lecointe, Michel, Rebinguet, Michel. Éthique et pratique de l’audit : le cas des audits de formation. Chronique sociale, 1994 ; Aubert-Lotarski, Angeline, Lecointe  (Michel) Maes (Blandine) et al. Conduire un audit à visée participative. Chronique sociale, 2006.19 Lecointe (Michel), Les Enjeux de l’évaluation, L’Harmattan, 1997.20 Jorro (Anne), Évaluation et développement professionnel, L’Harmattan, 2007.21 Notamment, les cadres de l’Éducation nationale qui, lors de leur formation initiale, sont amenés à découvrir l’AVP lors d’une formation-action accompagnée par des formateurs académiques spécialisés en AVP. 22 Cf. Fiche 5 – «  La déontologie  », in Aubert-Lotarski (Angeline), Lecointe (Michel), Maes (Blandine) et al. Conduire un audit à visée participative. Chronique sociale, 2006.

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6 Les recommandations sont soumises au libre-arbitre des acteurs de l’orga-nisation auditée.7 Les auditeurs respectent une méthode rigoureuse, explicitée et affichée.

En particulier, le fait qu’un chef d’établissement puisse, d’autorité, passer commande d’un audit et qu’il dispose d’un libre-arbitre quant aux recomman-dations qui lui seront faites, constituent une rupture par rapport à la culture dominante au sein de l’institution Éducation nationale. De tels autonomie et libre-arbitre, même s’ils doivent être nuancés parce que ponctuels dans le temps et circonscrits par rapport à un objet d’audit négocié, sont pour les auteurs de l’AVP une condition d’efficacité de l’audit et non une revendication politique visant l’autogestion des établissements. Pour autant, la pratique institutionnelle de l’AVP dans les académies requiert l’acceptation par les autorités académi-ques de permettre, voire de soutenir, des interventions dans des établissements dont elles ne connaitront matériellement ni l’objet, ni les conclusions, ni les résultats. On comprend alors aisément la position délicate des auditeurs et des formateurs d’auditeurs si les autorités académiques ne sont pas elles-mêmes convaincues du bien-fondé comme de l’efficacité de la méthode.

Ces difficultés institutionnelles vécues par les auditeurs et leurs formateurs sont à l’origine de certaines évolutions de l’AVP, tout comme le sont les évolutions du contexte dans lequel les audits sont réalisés. Par exemple, on peut citer la création de dispositifs mêlant audits locaux « confidentiels » et synthèse globale à l’autorité académique ou l’adaptation des AVP aux établis-sements du premier degré d’enseignement scolaire.

Dans cette contribution sur un « héritier » de l’AVP, il ne s’agira pas de préciser ces évolutions, parfois techniques. La volonté est de montrer dans quelle mesure l’AVP, ou du moins certains aspects de cette démarche, peuvent enri-chir d’autres pratiques d’évaluation, ici le diagnostic d’établissement scolaire.

2.1.1 Entre évaluation des personnels de direction et outil de pilotage : de multiples enjeux

Le cadre réglementaire du diagnostic d’établissement le situe clairement par rapport à l’évaluation des personnels de direction. Ainsi, le protocole d’accord relatif aux personnels de direction du 16 novembre 200023, dans son annexe 2, présente l’architecture du dispositif global d’évaluation des personnels. Sa première étape est la réalisation d’un diagnostic de la situa-

23 Décret statutaire du 11 décembre 2001, BO spécial n° 1 du 3 janvier 2002.

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tion de l’établissement qui donnera ensuite lieu à des propositions en termes d’objectifs et d’actions sur lesquels le personnel de direction pourra être mis-sionné et devra périodiquement rendre des comptes. Le même document précise que « L’évaluation des personnels de direction s’inscrit dans un double objectif :– apporter à ces personnels l’aide, l’accompagnement et la valorisation de

leurs pratiques qu’ils sont en droit d’attendre de la hiérarchie de proximité, inspecteurs d’académie et recteurs ;

– permettre aux opérations de gestion collective et individuelle qui impliquent comparaison et action discriminante (promotions, mutations) de se dérouler dans un contexte d’objectivité quant aux critères retenus et de transparence quant aux avis émis. »

On perçoit dès lors l’ampleur des enjeux liés à l’élaboration de ce diagnostic. Les nouveaux collègues au sein de l’établissement  peuvent être associés à l’élaboration du diagnostic, en tant qu’experts internes, passeurs de relais ou mémoire de l’EPLE. Le chef d’établissement doit cependant être conscient qu’ils peuvent se sentir jugés sur leurs actions passées ou sur le mode de fonctionnement actuel de l’établissement. Ainsi, il est possible d’observer des comportements défensifs classiquement constatés lors d’évaluations : cacher certains problèmes, tenter d’orienter les interprétations du nouveau personnel de direction, nouer des alliances contre le nouveau venu ou, au contraire, cher-cher à s’allier au nouveau venu contre d’autres collègues, etc. La réalisation du diagnostic est sur ce plan un outil au service de la connaissance de l’établisse-ment mais il peut interférer, en positif comme en négatif, dans la construction par le chef d’établissement de son positionnement en termes de leadership et de mode de pilotage.

Concernant l’institution, le double objectif louable d’accompagnement et d’évaluation apparaît dans la pratique peu réaliste… et réalisé. Dans l’accom-pagnement méthodologique de chefs d’établissements exerçant dans plusieurs académies j’ai pu observer les stratégies suivantes :– se donner des objectifs « faciles » pour être sûr de les atteindre vs. se donner

des objectifs ambitieux pour valoriser ce qui sera réalisé.– se «  fondre  » dans le plan académique et limiter son diagnostic à la

contribution possible à la stratégie académique globale vs. développer une approche très contextualisée, complémentaire voire opposée à certains objectifs académiques.

– refaire ou préparer les évaluations à la base du projet d’établissement ou de la contractualisation vs. développer comment le chef d’établissement envisage d’atteindre les objectifs contractualisés et/ou identifiés dans le projet d’établissement.

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En outre, dans un document aussi personnel et traitant principalement des ressources humaines, les personnels de direction font part de leur crainte de se trouver en situation de délation. Ainsi, faire état d’un conflit ancien, est-ce pointer l’incapacité du prédécesseur à le gérer ? Questionner le fonctionnement de la vie scolaire, est-ce signaler aux autorités le manque de compétences de son responsable ? Dans l’accompagnement méthodologique, cette probléma-tique se travaille par la recherche de faits décrivant ou expliquant un compor-tement ou un dysfonctionnement. La responsabilité du chef d’établissement est également questionnée : par exemple, ne pas rendre compte de doutes sur la gestion financière dans l’établissement lorsque des preuves matérielles sont tangibles pourrait revenir à « couvrir » le fautif.Enfin, lors de leur premier diagnostic, certains chefs d’établissement expri-ment parfois le sentiment de «  jouer leur carrière  » et craignent les consé-quences d’un diagnostic erroné ou incomplet. L’expérience de la lettre de mis-sion et de son évaluation, lorsqu’elle a lieu au bout de trois à quatre années d’exercice, amène à relativiser les effets actuellement possibles sur la carrière. Les chefs d’établissement plus expérimentés interrogent alors d’autant plus les attentes institutionnelles. Il est souhaitable que la pratique des recteurs et inspecteurs d’académie se situe véritablement dans l’accompagnement d’une prise de fonction qui passe par un diagnostic partagé, articulant connaissance du contexte local, vision institutionnelle et regard externe. Cependant, les aspects formels prennent parfois le dessus pour se limiter à une « correction de copie » au regard d’attentes personnelles, du projet académique ou, plus largement, de la politique nationale24.

Pour qu’il soit utile, le diagnostic ne peut se limiter à un état des lieux des-criptif de l’établissement25, une redite d’autres documents de l’EPLE26 ou à une déclinaison simple d’objectifs portés au niveau académique.

2.1.2 Éléments de méthode : des apports de l’AVP

Clarifier les enjeux, objectifs et contexte institutionnel de cette opération d’évaluationÉvaluation en vue d’élaborer le projet d’établissement, contractualisation, bilans et rapports d’activité, diagnostic d’établissement… la confusion est

24 Il ne s’agit pas ici d’une critique des politiques nationales et académiques mais bien de défendre l’importance de la contextualisation critique de ces politiques pour leur efficacité lors de leur mise en œuvre locale.25 Les premiers diagnostics consistaient trop souvent à lister les indicateurs caractérisant l’établissement : nombre d’élèves, taux moyen d’agrégés, surface des locaux, taux de réussite… 26 Telle qu’une mise à jour ou un complément avant l’heure du projet d’établissement existant.

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d’autant plus grande que les attentes institutionnelles peuvent être peu claires et les calendriers présenter des échéances peu opportunes.Ainsi, même si chaque académie à son propre calendrier, les échéances devraient idéalement s’articuler comme suit  pendant la durée de fonction d’un CE dans un nouvel établissement :

Figure 1 : Articulation « idéale » de différentes opérations d’évaluation au sein d’un EPLE

Dans la pratique, si le diagnostic est réalisé dans les premiers mois de prise de fonction, il est fréquent que la contractualisation anticipe ou soit décon-nectée de l’élaboration du projet d’établissement, ou encore que le CE fasse vivre l’entièreté d’un projet dans lequel il ne se reconnaît pas.

Figure 2 : Un exemple d’échéances peu opportunes

Le diagnostic s’intéresse au fonctionnement de l’établissement, à ses résultats, à ses moyens et à son équipe afin de dégager pour le chef d’établissement des axes (ou priorités) en termes de pilotage. Il ne s’agit pas de compléter le projet d’établissement existant ou de proposer des objectifs à contractualiser. En effet, ces deux démarches nécessitent l’engagement de l’ensemble de l’éta-

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blissement. En se positionnant de manière isolée sur ce qui doit être mené, le CE irait l’encontre de la dynamique mobilisatrice nécessaire à l’atteinte de ces objectifs.Les axes du diagnostic, sur lesquels le CE souhaite être missionné, se rappor-tent au pilotage de l’établissement, en d’autres termes :– la direction à donner à l’établissement, concernant ses résultats ou

son mode de fonctionnement  : objectif spécifique et complémentaire à la politique académique et nationale ; déclinaison locale d’un objectif plus large ; objectif managérial sans lien immédiat avec les résultats de l’établissement mais indispensable pour son bon fonctionnement ;

– la manière de conduire l’établissement dans cette direction : description des moyens et modes d’action du CE et non des attentes du CE vis-à-vis de son équipe.

Même si le diagnostic est une exigence institutionnelle, même s’il a un côté formel, même s’il ne se déroule pas dans les meilleures conditions (calendrier, niveau de connaissance de l’établissement, charge de travail, etc.) même si des ambiguïtés subsistent quant à sa place effective dans l’évaluation des personnels de direction, il est important de souligner les avantages que le CE peut y trouver notamment en termes de connaissance de l’établissement et de pilotage. En effet, le diagnostic, sur la base d’une évaluation étayée et argumentée est l’occasion de formaliser une stratégie de pilotage sur du moyen terme au moment où le « nouveau » CE risquerait de se limiter à une gestion des urgences qui lui sont présentées.

Procéder à une véritable évaluation intégrant une opération de diagnosticLes opérations dites «  évaluations  » menées dans les EPLE peuvent, sur la base de leurs finalités comme des procédures qu’elles mettent en œuvre pour les atteindre, être définies au regard de trois catégories : l’état des lieux, le contrôle et l’évaluation27. Le diagnostic devrait, pour avoir des effets utiles pour le CE, relever de l’évaluation.

Un état des lieux est une pratique qui consiste à décrire, de manière orga-nisée et par des indicateurs, des faits ou un fonctionnement. Les don-nées recueillies sont analysées en vue de produire de l’information et de la connaissance.

27 Voir notamment le site www.esen.education.fr/conseils pour plus de développement sur les méthodologies d’évaluation.

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Un état des lieux permet de connaître le fonctionnement d’un système (ou les résultats qu’il a produits). Par contre, on ne peut pas dire si ce fonction-nement (ou ses résultats) est (sont) satisfaisant(s) ou non-satisfaisant(s) sans procéder à une opération supplémentaire : la comparaison avec un fonction-nement (ou des résultats) attendu(s). De la même manière, comme on ne sait pas si ce que l’on constate et décrit est satisfaisant, on n’a pas les moyens, sur la base de ces seules informations, de prendre de décisions ou de proposer des recommandations.

Par exemple, répertorier les différentes catégories de personnel présentes dans un établissement, les quantifier en «  équivalent temps plein  », synthétiser leur profil par une moyenne d’âge et calculer des proportions en fonction du niveau de diplôme est une information descriptive synthétisant les ressources humaines de l’établissement. Pour autant, sans comparaison à une norme ou à un idéal, ce simple état de lieux ne permet pas de se prononcer sur la satisfac-tion en termes de taux d’encadrement, niveau de formation, compétence, etc.

Le contrôle est une pratique qui consiste à comparer une situation observée à une situation idéale (ou souhaitée ou prescrite). La situation idéale est consignée dans une norme externe élaborée a priori. La situation observée est décrite grâce à l’utilisation d’indicateurs. La comparaison se fait au regard d’un seul critère : la conformité. Ainsi, l’analyse des données recueillies au regard de la norme externe permet de repérer s’il y a ou non des écarts à la conformité.Le contrôle permet de se prononcer sur la satisfaction ou non-satisfaction d’un fonctionnement ou de résultats au regard d’une norme. On peut alors informer l’organisation sur ses défaillances et ses réussites et lui fixer des objectifs de régulation – en d’autres termes, lui rappeler la norme à respec-ter ou à atteindre. Par contre, il n’est pas possible, sur la base de ces seules informations, de comprendre pourquoi l’organisation réussit ou non. Par conséquent, il est alors difficile de l’aider à progresser en lui proposant des recommandations adaptées à ses forces et lacunes propres.

Une évaluation est une pratique qui consiste à élaborer une explication, une interprétation, du fonctionnement d’une organisation ou des résultats qu’elle a obtenus, en vue d’en tirer des décisions de nature à améliorer ce fonc-tionnement ou ces résultats. Pour cela, l’évaluation réalise des opérations proches de celles de l’état des lieux et du contrôle qu’elle complète par deux spécificités :– l’évaluation recourt à un référentiel construit spécifiquement pour

l’évaluation en cours. Ce référentiel intègre une partie normative ainsi que

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des éléments d’ordre interne : projet d’établissement, règlement intérieur, culture et valeurs de l’organisation, etc.

– l’évaluation procède à un diagnostic (ou recherche des causes), c’est-à-dire qu’elle élabore à partir des données recueillies et mises en relation, un système d’interprétation (identification des causes, de points forts et faibles, de risques et ressources, hypothèses explicatives, etc.) cherchant à expliquer pourquoi l’organisation fonctionne ainsi et/ou pourquoi elle a obtenu tel ou tel résultat.

Les différentes productions de l’évaluation permettent donc d’étayer des décisions à prendre par l’organisation « aide à la décision » et de proposer des recommandations opérationnelles spécifiques qui dépassent le rappel de la norme « aide à l’action ».

On retrouve dans cette distinction deux étapes au cœur de l’audit à visée participative et de toute évaluation : l’analyse et le diagnostic. L’analyse28 fait appel à la décomposition et à l’inventaire pour mettre en évidence des traits saillants et produire une description structurée. Le diagnostic vise à expliquer une situation ou un état sur la base d’une recherche, mise en relation et inter-prétation de ses causes. Ainsi, pour pouvoir produire des effets pertinents, toute évaluation doit répondre aux questions « Comment ça fonctionne ? » – analyse – et « Pourquoi ça fonctionne comme ça ? » – diagnostic – avant de pouvoir identifier ce qui pourrait être fait pour que « ça fonctionne mieux ».

Le diagnostic d’établissement doit relever des pratiques d’évaluation et donc ne peut se passer d’un véritable diagnostic, au sens de recherche des causes. Trop souvent, le diagnostic produit se limite à un état des lieux de l’établisse-ment, passant en revue les éléments factuels le caractérisant. Parfois, la com-paraison des indicateurs de résultats avec les moyennes académiques ou les taux attendus permettent à son auteur de repérer des domaines dans lequel une amélioration est souhaitée. On est alors dans une pratique de l’ordre du contrôle ; moyennes académiques et taux attendus constituant la norme à laquelle il faut, a minima, se conformer.

Avec, d’une part, une description des « entrées »29, ressources et résultats et, d’autre part, le repérage peu contextualisé d’objectifs à atteindre, deux com-posantes importantes du diagnostic font alors défaut :

28 Cf. Fiche 19. Analyser/diagnostiquer in Aubert-Lotarski (Angeline), Lecointe (Michel), Maes (Blandine) et al. Conduire un audit à visée participative. Chronique sociale, 2006.29 Principalement les caractéristiques des élèves de l’établissement.

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– la vérification de la pertinence30 et de la faisabilité des axes identifiés et de leur opérationnalisation en actions ;

– l’argumentation des liens établis entre la situation de l’établissement/les axes identifiés/les actions proposées qui pourra convaincre le lecteur31 de missionner le CE conformément à sa proposition.

Du point de vue de l’appropriation de la démarche de diagnostic, les CE doivent donc passer d’une démarche où l’on pense faire une évaluation/dia-gnostic lorsqu’on répond au schéma suivant…

Mauvais résultat XFormuler

l’objectif

Améliorer le résultat X

Figure 3 : Le diagnostic de type « injonction d’action »

… à une démarche à la fois plus globale et intégrant l’incertitude du type :

Figure 4 : Le diagnostic de type « recherche des causes et leviers d’action »

Dans cette deuxième conception du diagnostic, l’identification du « mauvais résultat » n’est qu’une première étape. Le cœur du travail est dans la recherche des éléments, internes et externes à l’établissement, qui interviennent dans la production du résultat insatisfaisant. Il peut aussi bien s’agir de dysfonction-nements que de facteurs facilitant l’évolution qui, jusqu’à présent, limitaient

30 Définie comme la réponse aux besoins.31 Selon les cas, recteur, inspecteur d’académie ou conseiller technique.

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les effets des dysfonctionnements et sur lesquels le CE pourra s’appuyer pour faire évoluer la situation. En particulier, le CE doit s’attacher à distinguer les paramètres qu’il peut maîtriser et faire évoluer par rapport à ceux avec lesquels il devra continuer à fonctionner sans changement possible.

D’un point de vue méthodologique, divers outils peuvent être utilisés pour structurer le diagnostic, par exemple le diagramme d’Ishikawa, le SWOT, etc32. Dans la démarche, il est indispensable de ne pas se limiter aux dysfonction-nements et, au contraire, de prendre en compte les ressources, ce qui marche dans l’établissement pour en faire des leviers d’actions et repérer des marges de manœuvre. En conséquence, l’objectif formulé ne se limite pas à une annonce du résultat à atteindre mais intègre une prise de position sur les moyens perti-nents à déployer pour atteindre ce résultat.

Ainsi, si une analyse permet aisément de repérer qu’un établissement a des taux d’orientation fin de 2de GT inadéquats, seule la recherche des causes (lacu-nes des élèves, politique d’orientation, pratiques pédagogiques, carte des for-mations, représentations familiales, etc.) et des leviers d’actions dont le CE dispose permettra de formuler un axe réaliste, opérationnalisable et pertinent compte tenu du contexte et des ressources locales.

Structurer la démarche : peut-on évaluer sans référentiel ?On ne peut pas évaluer sans référentiel. Comme le soulignent Gérard Figari et Claire Tourmen33 l’utilisation d’un référentiel fait partie des invariants de l’activité évaluative : « Nous retiendrons aussi que, dans l’activité évaluative, les jugements seraient produits en comparant des données (référés) à des réfé-rents, permettant d’affecter des attributions causales expliquant les phénomè-nes observés. » Les travaux de G. Figari (1994), que l’audit à visée participative tend à intégrer sur ce point, vont même plus loin en parlant de « système de références  » et de référentialisation pour désigner le processus de modélisa-tion d’une part de l’objet et d’autre part de l’évaluation (confrontation référent/référé ; élaboration des critères et indicateurs) qui va être conduite.Dans ce type d’évaluation comme dans l’AVP, le référentiel est construit ad hoc en fonction de l’objet, des finalités de l’évaluation et des focales retenues.

32 Pour des explications et des exemples, on pourra se référer aux fiches 21 et 24 de Conduire un audit à visée participative (Chronique sociale, 2006) ainsi qu’à la page www.esen.education.fr/conseils/traitement-des-donnees/operations/outils-de-diagnostic-structurants et les outils qui y sont associés.33 Figari (Gérard), Tourmen (Claire), « La référentialisation : une façon de modéliser l’évalua-tion de programme, entre théorie et pratique » in Mesure et évaluation en éducation, 2006.

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Lors de l’analyse de la demande, les auditeurs travaillent à préciser ces dif-férents éléments et, en particulier, à circonscrire l’objet d’audit. À relire les premiers textes sur l’audit d’établissement, on constate que nos pratiques ont évolué d’un audit d’abord de type fonctionnel vers une approche de plus en plus systémique et stratégique. Ainsi, s’appuyant sur les acquis de l’approche systémique et des travaux sur la complexité (notamment, Edgar Morin, 1990 ; Jean-Louis Le Moigne, 1977) l’audit à visée participative reconnaît les princi-pes de l’hologramme et de l’organisation récursive. Pour approcher le fonc-tionnement d’un système, l’exhaustivité n’est pas recherchée par les auditeurs qui ciblent un objet « porte d’entrée dans le système » parce qu’il concentre et révèle des propriétés de l’ensemble du système (Aubert, Maës, 2009).Le contexte dans lequel s’inscrit le diagnostic d’établissement et les utilisations qui en seront faites a précédemment été précisé. Dans ses finalités, il comporte aussi bien un aspect « rendre des comptes » qu’un aspect « se rendre compte ». Dans le contexte pratique de la réalisation du diagnostic, l’élaboration complète d’un référentiel s’est avérée impossible, parce que trop lourde pour les CE face à une tâche en concurrence avec l’ensemble des responsabilités à assumer au quotidien. D’un point de vue pragmatique, les accompagnements méthodolo-giques du diagnostic gagnent cependant à insister sur certains principes incon-tournables : la problématisation, l’identification des « attendus » et la confron-tation à des indicateurs quantitatifs et qualitatifs.

En premier lieu, l’approche de l’organisation évaluée doit faire l’objet d’une problématisation34. La problématisation est ici une autre façon de concevoir le travail de référentialisation. Ainsi, parler de problématisation implique à la fois un processus et un produit :– un processus, car problématiser un sujet, c’est le questionner pour

déterminer la façon la plus appropriée de l’étudier ;– un produit, car la problématique est la synthèse de ce questionnement

qui précise l’objet et les finalités de l’évaluation, argumente les choix faits et annonce comment elle sera traitée, en termes de méthodes comme d’options prises.

Il s’agit notamment de délimiter quelques points saillants (dysfonctionne-ment dans un service, problème d’identité de l’établissement, mécontente-ment face à certaines « performances », etc.) qui apparaissent comme cen-traux ou « symptomatiques » pour l’établissement. Le choix de ces « portes d’entrées  » pourra être explicité en introduction du document-diagnostic,

34 Concernant les liens entre « traitement de la demande » et « problématisation », on pourra consulter : www.esen.education.fr/conseils/commande/demarche

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notamment à l’aide d’éléments factuels caractérisant leur importance dans le système. À cette étape, il est intéressant, comme dans un AVP, d’identifier une à deux focales qui permettent de cibler le questionnement.

Le choix d’une focale35 amène à préciser ce qui semble poser problème dans le domaine délimité. Ainsi, on prendra position quant à la pertinence d’un questionnement sur :– la conformité : ce qui est réalisé correspond-il à ce qui est prescrit ?

En d’autres termes, à ce qui devrait être selon les normes, lois ou réglementations en vigueur ?

– l’efficacité : ce que l’on a fait et obtenu correspond-il aux résultats attendus (ou objectifs visés) ?

– l’efficience : quelle optimisation des moyens peut être faite (de « plus avec autant » à « mieux avec moins ») ?

– la cohérence : les différentes actions menées s’inscrivent-elles dans la complémentarité, la juxtaposition, la concurrence ?

– la pertinence : les actions menées répondent-elles aux besoins identifiés ?Le travail sur les focales amène à identifier les « attendus ». Ainsi poser la question de la conformité implique de connaître les normes, réglementations et textes législatifs. L’efficacité fait appel aux objectifs ; l’efficience faisant éga-lement entrer en compte les moyens. Enfin, interroger la pertinence d’actions ne peut se faire sans une identification rigoureuse des besoins auxquels elles devaient répondre. La focale est le point de vue que l’on se donne pour questionner des faits comme pour estimer des performances. Il n’est alors pas contradictoire d’observer des actions efficaces (atteignant les résultats escomptés) mais non conformes (d’un point de vue réglementaire) ou encore efficaces mais non pertinentes (ne répondant pas aux besoins identifiés) si les objectifs de départ avaient mal été définis.Dans les faits, la démarche du CE pour élaborer son diagnostic s’approche de celle du chercheur qui, sur la base de pistes de travail « hypothèses » va recueillir des informations « données et indicateurs » puis les analyser et les interpréter en vue, dans un premier temps, de confirmer, infirmer ou affiner son regard sur l’établissement puis, dans un deuxième temps, de formuler des objectifs concrets d’évolution de l’établissement.La question des indicateurs a pris encore plus d’importance depuis la LOLF et la démarche de travail qui en résulte. Pour autant, l’erreur serait de limiter

35 Le terme « critère » pourrait également être utilisé comme, par exemple, dans le modèle de Bouchard et Plante (2002). Bouchard (Chantal), Plante (Jacques), « La Qualité : mieux la définir pour mieux la mesurer », Les Cahiers du Service de Pédagogie expérimentale, université de Liège, 2002, n° 11-12, p. 219-236.

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les approches évaluatives, dont le diagnostic d’établissement, à l’utilisation d’indicateurs de résultats pour juger ce qui fonctionne bien ou mal36.

Lorsque l’on s’intéresse aux résultats, les indicateurs seront des éléments significatifs, des phénomènes observables, des données quantifiées ou quan-tifiables permettant d’observer et éventuellement de mesurer une évolution, la présence ou l’obtention d’un effet escompté. Pour prendre sens, les indica-teurs doivent être confrontés à d’autres indicateurs, notamment de contexte, de moyens et caractérisant les bénéficiaires des actions37. Que dire par exemple d’une comparaison de taux bruts de résultats au bac qui ne tiendrait pas compte du rapport entre le nombre d’élèves entrés en 2de dans le même établissement et ceux présentés trois ans plus tard à l’examen du baccalauréat ? Comment s’assurer que l’éventuelle « performance académique » ne s’explique par un élitisme social sans prendre en compte un indice socio-économique ?38

Dans l’élaboration du diagnostic, il sera en priorité fait appel à des indicateurs pour qualifier ou quantifier le problème. Parce que pour résoudre un problème, il faut en premier lieu le comprendre, dans une conception plurifactorielle de la causalité, des indicateurs de diverses natures étayeront l’interprétation par le CE des phénomènes analysés. Pour que le diagnostic constitue également un outil d’aide à l’action, il est également indispensable d’identifier les indica-teurs qui permettront de suivre et réguler l’action qui sera mise en œuvre, puis de l’évaluer. L’élaboration du diagnostic peut ainsi être l’occasion de définir ou affiner des tableaux de bord spécifiques à l’établissement.

En conclusion : au-delà du diagnostic d’établissement, des questions de valeurs

Le diagnostic d’établissement engage le personnel de direction dans deux doubles dynamiques :– deux opérations d’évaluation : l’une menée par le CE sur l’établissement

et sa situation, l’autre, liée à son développement professionnel dans

36 Un bon exemple de cette dérive serait l’utilisation d’un indicateur « poids moyen du col-légien » pour évaluer l’efficacité de la politique de santé d’un établissement tant les paramè-tres intervenant dans l’évolution de cet indicateur sont nombreux (croissance des adolescents, alimentation familiale, etc.) et prégnants par rapport à la marge de manœuvre des acteurs de santé scolaire.37 Sur ce point : www.esen.education.fr/conseils/recueil-de-donnees/operations/ingenierie-du-recueil-de-donnees/indicateurs-et-variables38 Voir notamment les travaux de Marc Demeuse et son équipe. Par exemple : Demeuse (Marc) (2009), « Placer l’école au centre. Pour une approche qui interroge les effets des établis-sements scolaires sur les apprentissages des élèves ». In X. Dumay & V. Dupriez (Eds) 2009. L’Efficacité dans l’enseignement. Bruxelles : De Boeck Université, collection « Pédagogies en déve-loppement ». (p. 165-174).

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laquelle, pour ne pas être un simple « objet évalué », il est impliqué dans l’évaluation de ses compétences ;

– deux opérations d’aide à la décision : le diagnostic devant, d’une part, contribuer à la définition de la stratégie et des modalités de pilotage du chef d’établissement et, d’autre part, contribuer à la détermination des missions spécifiques confiées par les autorités au CE.

Pour ce faire, la communication du chef d’établissement dans le « document-diagnostic » devra traiter des aspects suivants :– son point de vue personnel, mais étayé par des faits et/ou des chiffres sur la

situation. Le propos doit être problématisé et engagé dans l’interprétation des indicateurs. Si un état des lieux général et descriptif est requis, il trouvera sa place en annexe ;

– les domaines prioritaires dans lesquels il compte agir. Il est important à ce niveau de cibler des domaines relevant de la marge de manœuvre du CE et à travailler sur du moyen terme ;

– les modalités opérationnelles, relevant de son champ de compétences et réalistes, qu’il envisage de mettre en œuvre ;

– une anticipation, par l’identification des indicateurs et outils d’évaluation pertinents, des possibilités de reddition de compte sur l’atteinte, ou non, des objectifs visés.

Enfin, parce que le diagnostic d’établissement constitue avant tout une éva-luation, il apparaît pertinent de faire appel aux travaux de Michel Lecointe précisant les relations dialogiques entre évaluation et valeur. Ainsi, au-delà d’une opération de mesure ou de mise en rapport de résultats et d’objectifs, ses écrits mettent en avant d’autres dimensions des évaluations :– interroger les finalités des actions menées et des objectifs visés ;– « traiter la dimension éthique et politique de l’évaluation » ;– « mesurer la valeur ajoutée, en termes de plus-value (optimisation des moyens)

mais tout autant en termes de « plus-valeur » (satisfaction et développement des acteurs ; accroissements cognitifs, identitaires, personnels, culturels ; développement de la capacité d’un système à se piloter, à se projeter, à se finaliser) ; ou en termes d’émergence (Morin), de différence positive et exponentielle entre la somme des parties et le tout. » 39 ;

– s’engager dans un débat de valeurs.

39 Citations de Michel Lecointe, p. 28-29, in Aubert-Lotarski (Angeline), Lecointe (Michel), Maes (Blandine) et al. Conduire un audit à visée participative. Chronique sociale, 2006.

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2.2 Penser et agir avec les paradigmes de l’évaluation en éducation

Anne Jorro

Ce texte, écrit en hommage à Michel Lecointe et aux travaux qu’il a conduits dans le champ de l’évaluation, permet de ressaisir la proposition qu’il faisait en 2001 sur la nécessité d’un renversement de perspective en évaluation. Par là, il entendait mettre en évidence une autre approche de l’évaluation enfin distinguée des pratiques de contrôle. À la suite d’Ardoino et Berger (1986), il poursuivait le projet de valoriser la dimension interprétative du processus critique. Il cherchait à promouvoir une évaluation qui permettrait aux acteurs de revenir sur leur projet, de le mettre en débat dans une communauté éducative tout en prenant appui sur une démarche instrumentée (Lecointe & Rebinguet, 1994). Comment prolonger ses travaux dans le contexte actuel d’un système éducatif inscrit dans des politiques européennes déterminées par des impératifs économiques et en recherche d’efficacité. Comment valo-riser la question éthique quand, désormais, le dialogue de gestion prévaut en éducation ?

2.2.1 L’évaluation, entre gouvernance et emprise gestionnaire

Plus que jamais le renversement de perspective auquel nous conviait Michel Lecointe semble nécessaire. Appuyées sur une solide instrumentation, les pratiques évaluatives en éducation sont promues par une gouvernance inter-médiaire. Les tableaux de bord, les fiches de synthèse, les rapports statis-tiques, les tableaux de répartition, les référentiels, les listes d’indicateurs prolifèrent au sein de l’organisation éducative. Les perceptions de cette ingé-nierie instrumentale sont variées : pour certains, elle assure une autonomie certes relative et empreinte de contrôle quand d’autres voix s’élèvent pour souligner l’emprise bureaucratique. Il n’en demeure pas moins que la culture du résultat ordonne un renforcement de la gestion organisationnelle sur les dispositifs et démarches éducatives et déplace de ce fait les préoccupations pédagogiques des acteurs et des collectifs de travail. La rationalisation de l’action qui aboutit à penser en terme d’action utile (Caillé, 2009) gomme d’une certaine manière les finalités éducatives dont les philosophes de l’édu-cation se faisaient les porte-voix (Reboul, 1992, Jorro, 2008) et ralentit les initiatives pédagogiques d’innovateurs rétifs aux procédures standardisées.Outre les réticences qui s’expriment, la question de fond aujourd’hui débattue porte sur la capacité de l’évaluation à rendre compte de l’action éducative. La commensurabilité des processus éducatifs est donc au cœur des discussions.

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Les contextes de travail, les difficultés scolaires des élèves, les rapports de force dans les situations d’enseignement semblent s’effacer devant la quête du résultat. Ressentie comme inappropriée, l’obligation de résultats en édu-cation serait oublieuse des contextes traversés par la violence, oublieuse des difficultés économiques des familles, oublieuse des tensions dans les équipes pédagogiques, oublieuse des enseignants qui ont un travail de socialisation important à fournir pour aménager un contexte favorable à l’étude. Une autre approche est présentée par Lessard et Meirieu (2006) conduisant à porter un regard sur l’efficience des actions, laquelle reviendrait à concevoir l’évaluation en terme d’obligation, de moyens. Voire, d’obligation de compétences selon Perrenoud (2006). Le principe d’accountability suscite un conflit de valeurs particulièrement saillant dans la culture française, laquelle reste proche de la logique de l’honneur (d’Iribarne, 2006).Les enseignants opposent alors des aspects singuliers de leur quotidien aux normes nationales et internationales. Le sentiment de standardisation coexiste avec le repérage d’un gouvernement par les normes (Thevenot, 2007) si bien que ces derniers considèrent le rétrécissement de leur espace d’action. Une insécurité évaluative est aujourd’hui identifiée (Normand & Derouet, 2005) sur laquelle ces professionnels s’expriment et qui tend à montrer que l’évalua-tion ne relève pas encore d’un savoir professionnel (Jorro, 2009). Fortement attachés au périmètre de la classe, ils appréhendent les évaluations internatio-nales comme des instruments étrangers, ceux que la gouvernance européenne communique dans un mouvement top-down. Entre un centre de décision éloigné et la spécificité des contextes éducatifs, ils relèvent que des aspects sont souvent négligés dans l’évaluation, en particulier celui de la tempora-lité des apprentissages qui oblige à porter un regard diachronique pour saisir les transformations à l’œuvre dans l’accompagnement des élèves, celui des équipes qui éprouvent des difficultés à collaborer. Il ressort de ces éléments de discussion que les conditions de l’éducation peuvent devenir secondaires dans une culture du résultat pensée depuis une gouvernance européenne. Devant le sentiment généralisé d’une emprise gestionnaire, il importe de revi-siter les paradigmes de l’évaluation afin de faire valoir d’autres approches, de comprendre les différentes acceptions de l’évaluation en éducation en vue de leur usage pertinent dans des contextes toujours singuliers.

2.2.2 Se situer dans les paradigmes de l’évaluation

Des travaux antérieurs ont permis d’identifier quatre paradigmes de l’éva-luation dans le champ de l’éducation (Jorro, 2009). La force d’un paradigme réside dans l’existence conjointe de modes de pensée et d’action qui par-tagent une grande cohérence. Penser et agir dans un paradigme revient à

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mobiliser un raisonnement qui sera prolongé dans l’action par une démarche congruente avec les idées fondatrices de ce même raisonnement. Il est pos-sible de saisir la force de l’imaginaire dans l’existence des paradigmes (Gillet, 1988, Jorro, 1997) puisque la contagion d’une idée, sa puissance opératoire détermineront des types de comportement évaluatifs. Ainsi, seront présen-tées quatre manières de penser des démarches d’évaluation et de les mobili-ser dans l’action éducative.

Le paradigme des valeurs ou des vertusLe paradigme des valeurs mobilise les approches philosophiques, sociologi-ques, anthropologiques et éthiques. Il est particulièrement présent en éduca-tion avec les critères d’efficacité et d’équité (Demeuse, Baye, Straeten, Nicaise & Matoul, 2005). D’un côté, la valeur d’efficacité sous-tend l’idée que la raréfaction des ressources engendre une réflexion rationnelle sur l’usage de l’éducation comme bien immatériel. Il n’est plus temps de consommer ce qui est rare mais de faire la preuve que l’action atteint ses buts et que les aspects disparates qui fragilisent les systèmes éducatifs sont ou seront gommés par des procédures d’harmonisation (Crahay, 1997). De l’autre, la valeur d’équité en éducation interpelle tout citoyen dans la possibilité qui lui est donnée d’apprendre, de se développer, d’avoir accès au savoir. Ainsi, il devient pri-mordial pour un chef d’établissement, pour une équipe pédagogique de se poser la question de l’équité d’accompagnement pour tous les élèves qui ont décroché, pour ceux qui sont réticents devant l’offre éducative. Le conflit de valeurs qui émerge de la mobilisation de ces deux critères dans les pratiques évaluatives relève bien du paradigme des valeurs. En effet, lorsque ces deux critères sont mis en regard, la fonction critique joue pleinement son rôle dès lors qu’elle éclaire l’interdépendance de ces critères : en concevant la valeur dialogique de ces dimensions, il s’agit de comprendre que la recherche de la « justice distributive » (Dubet, 2004) n’est pas incompatible avec la quête d’efficacité (Baudelot & Establet, 2009).

Le point de vue éthique qui résulte de ce débat contradictoire implique de réfléchir aux aspects méthodologiques. En effet, la dimension opérationnelle de ce paradigme intervient au moment de l’usage du référentiel, du manie-ment des critères. Plutôt que de verser dans l’applicationnisme, il devient cru-cial de penser les marges d’interprétation. À un rapport normatif de confor-mité se substitue un rapport d’usage de conformité. Dans cette dernière approche, les critères ne peuvent être mobilisés indépendamment les uns des autres mais impliquent d’être mis en relation. Une configuration de critères permet une interprétation à grains fins. Sans diminuer la tension à l’œuvre entre ces critères, un nécessaire compromis est en jeu. La prise en compte des

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valeurs en contexte, de celles incarnées par les acteurs et de celles qui relèvent des activités modifie l’évaluation. La démarche évaluative ne repose pas sur une logique univoque mais sur une approche pluridimensionnelle. Dans ce contexte, la posture de l’évaluateur importe : mettra t-il en dialogue et en ten-sion ces valeurs ? Se positionnera-t-il sur une valeur ou sur une configuration de valeurs ? Quelles significations accordera-t-il aux finalités éducatives tout en se situant dans une gouvernance intermédiaire ? Comment s’inscrira-t-il dans l’ère économique, laquelle apporte en éducation un autre regard ?

Lorsque Michel Lecointe (1997, 2001, 2007) plaidait pour une démarche éthique en évaluation, il tentait de souligner la réduction apportée par les démarches d’évaluation rompues à la technique et qui procédaient par coup de force là où il était question de sens et donc de pertinence en éducation.

Un autre débat, relevant du paradigme des valeurs, a mobilisé la commu-nauté éducative autour de la pertinence du socle commun de compétences et de connaissances. L’introduction du socle commun dans le système éducatif français depuis 2006 visait à donner à chaque élève la maîtrise de domaines de connaissances et de compétences à un moment précis de son parcours scolaire. La réforme curriculaire témoignait de l’engagement de la nation envers les élèves pour faire en sorte que chacun quitte le système éducatif avec un bagage minimum de connaissances. L’esprit du socle commun porte un principe généreux : faire en sorte que l’éducation concerne chaque élève sans laisser en chemin ceux qui éprouvent des difficultés. Un référentiel de compétences formalise ce que chaque élève est censé maîtriser à l’issue de son parcours. C’est en termes de paliers de compétences que ce minimum est pensé et qu’il implique des évaluations, suivies de situations de remédiation. Cette réforme curriculaire s’explique par le pilotage des systèmes éducatifs avec les enquêtes PISA, qui ont montré la baisse du niveau des acquisi-tions pour les élèves français et aussi le fait que 15 % d’entre eux sortent du système éducatif sans bagage minimum (recommandations du Haut Conseil de l’Éducation du 23 mars 2006). Dans le contexte des politiques d’accoun-tability, le système éducatif français cherche à améliorer ses performances et à faire valoir une équité du système. Ce qui met en évidence non pas seule-ment une dimension gestionnaire mais également une dimension philoso-phique du projet curriculaire français. En effet, le socle commun sous-tend l’idée que tout être humain est en droit de se former, de grandir dans sa condition d’être humain. Le désir d’acquérir des compétences constituerait même un signe d’humanité. Le Blanc (2009) incite à penser que l’institution de l’humain est reliée à la reconnaissance de capacités fondamentales de tout sujet. Dès lors, le socle commun instaure un principe de reconnaissance du

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pouvoir d’agir de toute personne pour laquelle la nation s’engage à créer les conditions d’organisation et de réalisation de cette capacité à se former. Le socle commun de connaissances et de compétences participe à ce que Renaut (2007) appelle la « démocratie des capabilités », assurant une possi-bilité à chaque citoyen de se développer personnellement et professionnelle-ment. L’évaluation des compétences de base appelle donc une mobilisation de tous les personnels de l’éducation nationale afin de décider de démarches concertées d’évaluation.Dans le paradigme des valeurs, les pratiques d’évaluation sont en tension entre des approches macro et micro, des démarches qui portent sur des ensembles de critères plutôt que sur le seul prisme du résultat, des approches concertées.

Le paradigme de la mesureLa mesure en éducation et en formation a pris de l’ampleur avec les pratiques édumétriques. Les enquêtes nationales et internationales s’inscrivent dans le paradigme de la mesure en mettant à disposition les résultats des élèves ou des jeunes de 15 ans. Les enquêtes PISA renseignent sur la façon dont les dif-férents systèmes éducatifs permettent aux jeunes de 15 ans de construire des compétences nécessaires pour une vie de citoyen libre et autonome. À la dif-férence des évaluations qui portent sur les acquisitions scolaires, les enquêtes PISA, parce qu’elles mettent en lumière des capacités à être autonome, rensei-gnent sur la spécificité du système éducatif français et, notamment, montrent que ce système est basé sur la transmission des savoirs et qu’il laisse peu de place aux compétences. Par ailleurs, les éléments de comparaison montrent que l’école française n’est ni juste ni efficace. En se situant dans la moyenne des 30 pays qui participent à cette enquête internationale, le système fran-çais est donc questionné. Le fait de savoir qu’en compréhension de l’écrit, le système français se place en 17e position sur trente interroge responsables et enseignants. Que de 2000 à 2006, la part des élèves ayant de grandes diffi-cultés en lecture ait augmenté de 15 à 22 % devient une préoccupation pour tous les acteurs du système éducatif. De même, le comparatif sur la période 2000-2006 montre une dégradation des résultats en mathématiques. L’éva-luation-mesure apporte une dimension informative indéniable, elle ne révèle rien d’autre qu’un état des lieux et laisse aux spécialistes de l’éducation le soin de penser des stratégies d’amélioration.Sur le plan politico-économique, l’évaluation-mesure est l’outil privilégié des grands organismes internationaux comme la Banque mondiale, l’Unesco, l’OCDE. Les politiques internationales se servent des classifications comme autant de repères pour le pilotage des systèmes. À l’échelle nationale, les classements des services publics, des hôpitaux, des grandes écoles, des éta-

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blissements scolaires, des universités, des chercheurs évalués avec « l’impact factor » correspondent à la volonté de reconnaître l’excellence. Mesure et per-formance vont de pair dans une rhétorique de l’excellence.Cette rhétorique entraîne parfois des situations paradoxales. Les mesures qui ne reposent pas sur un système conceptuel et un projet peuvent perdre de leur sens. C’est le cas dans certains contextes professionnels où la mesure n’est pas articulée à une finalité, où l’objectif de performance est imposé sans que l’on puisse faire valoir d’autres considérations. Le monde du travail souffre de l’absence de reconnaissance des acteurs quand la recherche de productivité et de rentabilité devient dogmatique (Dejours, 2003). La logique de performance n’a de sens que reliée à un projet éducatif partagé. Dans le registre des performances en éducation, peut-on penser en terme de four-chette d’acceptabilité pour prendre en compte la spécificité des contextes ?

Le paradigme de la gestion

Proche du précédent paradigme, le paradigme de la gestion assoit l’idée d’un pilotage des établissements en vue d’établir une gouvernance éducative. Ce paradigme contribue à harmoniser une offre éducative et à fonder le principe du fonctionnement rationnel de l’action individuelle et collective. L’évalua-tion se développe selon une obligation de réflexivité (Demailly, 2009) qui peut porter sur la régulation du fonctionnement de l’organisation, le cadrage de l’action, la cohérence d’ensemble des composantes de l’organisation. Pour les corps d’encadrement, le paradigme de la gestion permet de struc-turer l’action éducative, de la rendre plus cohérente dans ses procédures, de réduire les dysfonctionnements repérés. Une gouvernance intermédiaire est fondée sur les pratiques d’audit, d’expertise-conseil et se développe à partir de démarches instrumentées. La régulation par les résultats s’accompagne d’une veille stratégique. C’est aussi sous couvert de qualité (Berhens, 2006) que ce paradigme prend de l’ampleur.Ainsi, dans le monde de l’éducation, la mise en œuvre et le suivi des dispo-sitifs de formation et d’éducation nécessitent plus que jamais des retours d’information sur l’action entreprise. Le pilotage des dispositifs mobilise les responsables de formation, les cadres du système éducatif, tendus vers la recherche de cohérence et d’efficacité. Dans ce contexte, l’évaluation impli-que une rationalisation des procédures en termes de traçabilité et de trans-parence dans un champ de pratiques préoccupé aussi par l’accompagnement pédagogique des apprenants. Malgré l’existence d’un conflit de valeurs dans les institutions éducatives et formatives : d’un côté les objectifs de gestion, de l’autre l’importance accordée à la relation éducative, ce qui est reconnu, c’est la maîtrise du fonctionnement organisationnel, l’engagement profes-sionnel figurant comme simple facteur (de Gaulejac, 2005). Dès lors, dans

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le paradigme de la gestion, une axiologie particulière est à l’œuvre, celle de la capacité des structures éducatives à maîtriser des programmes d’action avec force curricula, objectifs, référentiels et à faire valoir son efficacité, si ce n’est sa productivité, aux plans national et international. Cependant, le para-digme de la gestion trouve ses limites et ce d’autant plus, que les recherches sur l’efficacité montrent certaines failles (de Ketele, 2009, Dumay, 2009) et soulignent la nécessité de penser des démarches évaluatives qui prennent en compte la complexité des situations éducatives.Michel Lecointe (2007) incitait à penser les contours de l’objet évalué surtout quand l’emprise de la rationalité managériale pouvait reléguer des éléments d’information qui paraissaient secondaires et qui concernent les réseaux et les marges. Ainsi, l’accès aux « réseaux » offrait une opportunité, celle d’accéder à des informations de premier plan sur l’organisation sociale des structures évaluées. De même, les « marges » permettaient de revenir sur la rationalité limitée des acteurs en portant attention aux pratiques bricolées, aux arrange-ments et en remontant aux raisonnements initiaux.

Le paradigme de la reconnaissance

Comme pour proposer une alternative aux paradigmes de la mesure et de la gestion, le paradigme de la reconnaissance cherche à éclairer la place des acteurs dans les organisations. Ce paradigme a été particulièrement déve-loppé avec les démarches de validation des acquis de l’expérience. Dans le contexte de la formation tout au long de la vie, la loi de modernisation sociale a permis, avec des dispositifs de VAE, l’entrée de nombreux salariés dans les institutions de formation.Le paradigme de la reconnaissance inaugure un mouvement de singularisa-tion dans lequel l’évaluation joue un rôle de révélateur des caractéristiques des acteurs. Une place nouvelle leur est accordée si bien que l’on assiste à la reconnaissance de la « liberté créatrice de l’acteur » (Touraine, 2006). Il n’est plus seulement l’agent captif de structures, il cherche à sortir de l’anonymat en revendiquant un projet personnel, en défendant des valeurs individuelles, en aspirant à plus d’équité dans une société inégalitaire.Avec la montée des subjectivités qui caractérise la modernité, l’affirmation des droits humains individuels et collectifs entraîne les minorités à se faire entendre. La justice sociale devient une revendication de la société réflexive (Beck, 1986). Au sein du système éducatif, la justice sociale ouvre la question de l’accès aux grandes écoles, et c’est en termes de discrimination positive ou de justice distributive (Dubet, 2004) que des voies nouvelles sont proposées à des publics issus de contextes socio-économiques défavorisés.

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À l’école, l’approche singulière de l’apprenant a été également pensée avec la loi de 1989 visant à mettre l’élève au centre des apprentissages. Ce qui permit de développer des approches différenciées, de porter une attention accrue sur l’accompagnement de certains élèves et d’envisager des parcours particuliers. Question toujours actuelle puisque le système éducatif produit toujours des inégalités et les difficultés des élèves ne sont pas levées.Le paradigme de la reconnaissance permet de mettre en évidence une nouvelle fonction de l’évaluation, celle qui a trait au développement profes-sionnel des acteurs (Jorro, 2010). Cette approche a du sens dans les entretiens professionnels quand elle motive les acteurs à aller de l’avant, à tenter des démarches, à innover à petits pas afin de permettre des processus déclencheurs d’apprentissage pour tous les élèves. La reconnaissance de l’enseignant dans les démarches d’inspection se pose réellement dans un contexte éducatif criblé de difficultés. L’évaluation qui peut être entendue non seulement comme un processus d’évaluation de l’activité mais aussi comme un processus de légiti-mation de l’engagement professionnel de l’enseignant permet alors de valo-riser des dimensions de l’activité professionnelle qui restaient dans l’ombre ou qui étaient sous-estimées.

A propos de traces…

La pensée de Michel Lecointe est une pensée de l’élargissement des pratiques évaluatives, de la tempérance dans les modes de perception d’une réalité toujours complexe, échappant en partie à l’observateur et par conséquent à l’évaluateur. C’est aussi une pensée de la valorisation de l’action éducative, cherchant à mettre en évidence les points d’appui avant de pointer les néces-saires améliorations. Dans les relations terrain-acteurs-institutions, il souli-gnait la question du sens et plus encore celle des valeurs. Il nous semble que la gouvernance intermédiaire devient légitime à ce prix. Aujourd’hui, l’acti-vité évaluative peut être un ressort pour penser l’acte éducatif à la condition toutefois que soient distingués les différents paradigmes de l’évaluation de l’action éducative en vue d’un usage raisonné. Les travaux de Michel Lecointe questionnaient plus particulièrement deux paradigmes de l’évaluation : celui des valeurs et celui de la gestion. Il se peut même qu’il ait réussi à construire dans les démarches d’audit des passerelles entre ces deux paradigmes. Les corps d’encadrement formés à l’ESEN agissent sur le terrain sur la base de cette transmission. OUI, son message peut irriguer les gestes professionnels de tout acteur de l’éducation qui se lancerait dans une activité évaluative.

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2.3 L’audit participatif : Le cas d’un audit de formation dans l’enseignement supérieur 

Blandine Maes

L’évaluation des enseignements et/ou des formations s’est progressivement mise en place dans les universités à partir de 1998, son application avec la loi du 23 avril 2002 puis celle des réformes qui ont suivi ont généré un pro-cessus global d’évaluation dans les institutions de l’enseignement supérieur. Ces démarches ont souvent été introduites dans les établissements par des phases d’expérimentation et sur la base du volontariat des acteurs institution-nels. Le problème de ces réformes est celui de l’intégration possible des résis-tances par les enseignants chercheurs. En effet, l’évaluation est multifacettes et apparaît souvent difficile à mettre en œuvre, car elle véhicule des repré-sentations qui « interrogent » son sens. Elle est souvent rejetée ou non utili-sée, voire re-normalisée pour être opérationnalisée. Les implications fortes, l’ambiguïté permanente entre valorisation et dévalorisation font des évalua-tions des opérations à « haute densité », elles suscitent méfiance et appréhen-sion. Pour de nombreux enseignants chercheurs, l’évaluation des enseigne-ments se résume à la mise en œuvre d’un dispositif de contrôle. Le processus réformateur et obligatoire mis en application doit donc se doubler d’un dis-positif d’analyse et de négociation permanente tout au long des phases de mise en œuvre du projet en associant les acteurs institutionnels.

Pourquoi réaliser un audit à visée participative ?

En 2004, lorsqu’avec Michel Lecointe nous avons été missionnés pour mettre en œuvre une démarche d’évaluation, l’audit à visée participative fut choisi. C’est une méthodologie adaptée à partir des techniques de l’audit social aux besoins et aux modes de fonctionnement spécifiques aux orga-nisations d’éducation, de formation et socioculturelles40. L’audit doit se donner les moyens de se faire entendre, c’est-à-dire négocier (et donc soumettre à discussion et association) son processus, l’exposer et l’expliciter afin que la démarche, les étapes et les résultats attendus soient clairement définis. C’est dire que le système audité doit pouvoir participer à un certain nombre d’opérations, qu’il est souhaitable qu’il soit associé à des phases comme la collecte et une partie du traitement de l’information, le choix des fonctions à auditer. Pour nous, il était important, pour répondre à cette

40 Lecointe  (Michel), Rebinguet (Michel), L’Audit de l’établissement scolaire. Les éditions d’Organisation, Paris, 1990.

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demande, de nous appuyer sur les acteurs, sur leur capacité à faire preuve de créativité, d’autonomie dans le cadre réglementaire… En effet, nous pensions qu’une démarche globale imposée par le haut est vouée à l’échec à court ou moyen terme, et peut aboutir à des blocages et à un rejet de la notion même d’évaluation. Pour Ardoino et Berger, « L’évaluation nous semble se spécifier, en accord avec son étymologie, par l’interrogation sur les valeurs qu’elle suppose toujours… Évaluer, c’est poser la question de la valeur en même temps que les problèmes du sens et des significations d’un acte donné. »41

M. Lecointe met en relation trois opérations de l’évaluation : – le sens par la direction qu’il inaugure ou dégage,– la mesure n’est intéressante que par le sens qu’elle permet,– la direction, l’évolution ne valent que par la valeur qu’elles visent ou instituent.« C’est la valeur qui donne son sens au sens et c’est l’évaluation qui fait adve-nir la valeur… »42.Notre conviction était que cette démarche serait d’autant plus facilement adop-tée par les acteurs qu’elle serait perçue comme une aide et non comme une contrainte. Elle a été présentée comme un instrument de compréhension, un outil de dialogue, qui ne peut se résumer à la recherche d’une conformité à un référentiel pré-établi. Son objectif est de produire du sens et non du contrôle, permettant de valoriser les réussites, favorisant une communication interactive entre les différents partenaires. L’audit à visée participative a pour objectif la prise en compte du contexte auquel il prétend s’appliquer. Nous pensions que la façon dont on présente un projet à mener à ceux qui ont le pouvoir de les approuver, ou de les rejeter, peut s’avérer déterminante car le choix de la méthode ou des concepts n’est jamais neutre et est souvent porteur de représentations.

Le processus mis en œuvre

Le traitement de la demande et de la commande nécessite la formalisation de différentes étapes. Il demande une véritable coopération institutionnelle en instaurant un comité de pilotage et des commissions composées d’ensei-gnants, d’étudiants et d’administratifs de l’institution. La finalité de l’audit à visée participative est de laisser une réelle autonomie aux acteurs, de créer une co-production tout en accompagnant le processus. L’audit doit permet-tre de trouver entre les différents partenaires, les actions à mettre en œuvre en

41 Ardoino (Jacques), Berger (Guy). D’une évaluation en miettes à une évaluation en actes. Paris, Les éditions Matrice, 1989.42 Lecointe (Michel), Les Enjeux de l’évaluation. L’Harmattan, 1997.

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fonction des exigences de la situation. C’est l’interaction, la mise en place des différentes étapes qui permettent d’instaurer une co-production de sens.Pour Michel Lecointe « le sens de l’évaluation trouve son centre dans le projet d’évaluation et va de « ce que je connais de l’action » à « ce que je veux en savoir » et à « ce que je mets en œuvre pour le savoir ».

Le rôle du comité de pilotage dans l’audit à visée participativeLe comité de pilotage, système organisationnel, préétabli fixe les moyens, les processus et les étapes à mettre en œuvre afin que l’adhésion à la démarche soit la plus participative. Il accorde aux acteurs la capacité à mettre en place de façon autonome les différents processus, les rôles et les responsabilités des acteurs. Il se donne les moyens d’une régulation du processus, c’est-à-dire de procéder à une régulation basée sur l’appréciation intelligente par les acteurs institutionnels (administratifs, enseignants chercheurs…) et sur leurs coopérations. Cette régulation permet de travailler le projet visé des compo-santes en articulant le projet visé de l’institution.

Le fonctionnement du comité de pilotage pour l’audit à visée participativeL’organisation du processus et de la procédure est de la compétence du directeur de l’établissement, des partenaires de l’institution (enseignants, étudiants, administratifs…) et des auditeurs. Le comité de pilotage est chargé du suivi de la procédure et accompagne les différentes étapes de l’audit à visée participative. Il ne délibère de l’évaluation des enseignements que si les enseignants en formulent le souhait. En tant que tel, ce comité est organisé comme une instance de dialogue entre étudiants et enseignants. Il rapporte ses résultats à la commission de la pédagogie et de la recherche afin que celle-ci puisse les prendre en compte pour l’amélioration de la cohérence pédagogique et l’organisation du ou des cursus.Le comité de pilotage est chargé du suivi opérationnel de l’évaluation des enseignements. Il est consulté régulièrement sur la mise en place et le dérou-lement des opérations pour l’essentiel décidés dans les départements, les unités de formation et de recherche. Il est compétent pour les décisions ordi-naires, le mode de fonctionnement et le suivi de l’opérationnalisation des actions dans les départements. Il est aussi le lieu d’articulation, de coordi-nation  et de mise en cohérence des deux dimensions des évaluations des enseignements, la dimension « locale » concernant les décisions et les choix des UFR et des départements d’une part et l’orientation générale concernant l’ensemble de l’institution universitaire d’autre part. Il est en outre le garant de la méthodologie et de la déontologie des opérations mises en œuvre. Il sera nécessaire de veiller à ce qu’il s’agisse bien d’évaluation des enseigne-ments et non des enseignants, et à respecter la confidentialité, la contractuali-

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sation des opérations et de la transmission des informations. La formalisation de l’évaluation est établie sous forme d’un engagement mutuel.

La mise en acte

Nous avons pu construire avec les acteurs des composantes pédagogiques (départements, UFR), volontaires, une démarche autonome d’évaluation, mettre en place une auto co-évaluation. L’aspect « auto » repose sur la mobi-lisation des acteurs du ou des départements, sur les choix des objets et focales d’évaluation partant d’un questionnement interne. Il s’agit pour l’AVP d’une intervention à visée formative ayant pour objectif un transfert de méthodo-logie par une appropriation des acteurs accroissant leur autonomie. L’aspect «  co-  » consiste en une assistance méthodologique et technique du chargé de mission (et de personnes qualifiées sous sa responsabilité) pour l’aide aux choix stratégiques, la construction d’outils, la conduite d’enquêtes et d’interviews.Les focales telles que la connaissance des flux, la pertinence et la cohérence des enseignements, les appréciations par les étudiants et les autres acteurs, la conduite des projets en cours ou de nouveaux projets, et l’orientation et la valorisation de la structure ont été retenues.Nous avions pour objectifs d’apporter des éléments d’information et d’aide à la décision pour le pilotage global de l’institution, de rendre compte des évaluations dans un premier document interne d’évaluation, lequel pourrait faire l’objet ensuite, et à la demande d’une procédure de mutualisation, de croisement avec l’évaluation d’un autre département ou d’une procédure d’expertise externe par des pairs.Bien sûr, ce travail, même orienté comme on vient de le préciser, ne s’est pas fait sans rencontrer de réelles difficultés. La principale est sans doute que la démarche, soutenue par la gouvernance de l’institution, a parfois été perçue comme une volonté d’homogénéiser les fonctionnements des différentes composantes pédagogiques et a suscité quelques résistances au sein de l’établissement, d’oppositions ou le plus souvent une non-participation aux réunions proposées pour expliquer la démarche aux acteurs institutionnels. Plus généralement, ces difficultés témoignent d’une résistance ou d’une difficulté d’appropriation par les acteurs d’une démarche de changement. Si la formalisation des savoir-faire, au cours de cette mise en œuvre de l’audit à visée participative, donne à certains enseignants chercheurs l’occasion de valoriser l’appropriation de l’outil évaluatif, de permettre un recul de la défiance et pour certains de contribuer à une certaine « fabrique de valeur », elle engendre pour d’autres la crainte d’une perte d’auto-nomie qui suscite le plus souvent un boycottage de la démarche d’audit même si elle se veut participative, et incite une forte coopération des acteurs. L’audit à

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visée participative, comme de nombreuses démarches d’évaluation relève plus de la construction d’un compromis entre des exigences souvent contradictoires, pour un objet l’évaluation des enseignements, qui a aussi valeur d’enjeux.Néanmoins, malgré ces obstacles, Michel Lecointe avec sa dimension profonde humaine, sa rigueur scientifique, son savoir-faire, m’a toujours accompagnée sur ce chemin passionnant et enrichissant. Je n’oublierais pas cette rencontre professionnelle qui a éclairé bon nombre de mes question-nements dans mon activité d’auditrice d’aujourd’hui. Michel a été, et restera un ami, un guide.

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3. Une certaine distance…

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Je me souviens de la présence de Michel. Qu’il s’agisse d’une réunion de travail, d’une conversation à bâtons rompus dans un bistrot ou d’une confé-rence devant des auditeurs bardés de diplômes ou de titres, il imposait d’emblée sa présence. Je veux dire qu’immédiatement, disons naturellement, il jouait le rôle de foyer des échanges.

Je me souviens de son sens stratégique et de ses talents tactiques. En un temps où nous étions, nous deux et une secrétaire à mi-temps, les trois seuls membres du service universitaire de formation de formateurs à l’université de Pau et des Pays de l’Adour, il avait réussi à obtenir de la présidence trois bureaux « pour lui, pour moi, pour la secrétaire », plus une salle de docu-mentation et de recherches, plus une salle de formation de vingt-cinq places. Certains soirs, avant de quitter les lieux, on arpentait le couloir et, arrivé au bout, il éclatait de rire en pensant que dans d’autres départements d’autres collègues s’estimaient heureux de partager un bureau à deux.

Je me souviens des bières que nous avons bues à Montparnasse ou dans d’autres buffets de gares, après des journées de formation, en attendant l’heure de départ du train. Il achetait Le Monde ; il le parcourait et commentait illico tel ou tel article de manière pénétrante et lumineuse. Il ne mettait jamais les pas de ses analyses ou de ses commentaires dans des tracés convenus ; il avait le génie de l’approche oblique des problèmes.

Je me souviens que sur le trajet de retour après des sessions de formation à l’ESEN, il tirait à chaud le bilan de ce qui s’était passé et, en arrivant à Bordeaux, il avait déjà tracé le projet de la session à venir : deux ou trois feuilles finement quadrillées couvertes de pattes de mouches ou d’idéogram-mes reliés par quelques flèches flexibles.

Je me souviens que je ne savais jamais où il se trouvait quand j’arrivais à le joindre sur son mobile. Michel était un nomade. Il était fier de sa carte SNCF « grand voyageur ». Il jubilait d’avoir formé des managers chinois à Shanghaï. Son adresse, c’était son numéro de téléphone mobile et son adresse de messagerie électronique.

Je me souviens qu’il avait eu l’idée d’introduire l’audit comme méthode d’évaluation et de pilotage dans l’univers des établissements scolaires. J’en garde un souvenir émerveillé et amusé.

Je me souviens qu’à l’époque où il était professeur à l’université de Pau et des Pays de l’Adour, il avait acheté une voiture improbable, une Peugeot

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104 d’une couleur indéfinissable tant elle avait subi de pluies, qu’il laissait toutes portes ouvertes sur le parking de la gare et qu’il récupérait pour faire le parcours de celle-ci à la fac. C’était plus commode qu’un taxi. Cette voiture, improbable aussi eu égard à sa taille, n’avait qu’un siège : celui du conduc-teur. Forcément. Elle consommait environ 1,5 litre d’eau aux 5 kilomètres. Il s’amusait de devoir remplir le radiateur avant de démarrer et de devoir à nouveau le remplir après s’être garé.

Je me souviens d’un certain 15 août où nous avions déjeuné chez mes beaux-parents, à Dax, en pleine feria, avant de travailler à l’écriture d’un livre sur l’audit d’établissements scolaires, puis d’assister à une corrida, dont il voulait décrypter quelques arcanes, avant d’aller manger à l’estanquet une daube de toro arrosée de vin des Landes au son d’un orchestre musette.

Je me souviens qu’il était plus qu’amusé par mon goût pour l’accordéon, classique ou de jazz. Il avait apprécié la sélection que je lui avais faite au moment de sa retraite au Mirail. Pendant le pot, il montrait les deux CD titrés « Accordéon jazz » à tout le monde et la surprise des gens le réjouissait.

Je me souviens qu’un jour il m’avait demandé de lire un texte préparatoire à une conférence sur l’intervention en établissements scolaires. J’ai toujours joué avec le plus grand plaisir ce rôle de premier lecteur. Dois-je le dire, j’étais heureux de sa confiance. Je m’étais acquitté de la tâche de mon mieux, en tout cas avec le plus grand sérieux, mais, à la fin, je n’avais pu résister au plaisir de lui proposer quelques réflexions supplémentaires. Il s’agissait du « transvenant ». À partir de là, combien d’échanges entre nous… jusqu’à son texte sur « le contrevenant ». C’était une manière pour lui de pratiquer encore cette approche oblique que j’évoquais plus haut. On voit assez bien tout le parti qu’il savait tirer d’un jeu de mots. Bien sûr, l’évocation de notre compli-cité sur ce terrain est pour moi pleine de nostalgie.

Je me souviens encore de sa gourmandise, de son carnet d’adresses de res-taurants, de son appétit de vivre, de son ironie décapante et de son humour. Aujourd’hui, sa présence me manque, mais aussi le son de sa voix au télé-phone ou ses notes jetées sur le papier comme autant de fulgurances. Il me manque lorsqu’à la lecture d’un article ou à l’occasion de telle ou telle infor-mation, je me demande ce qu’il en aurait dit. Et comme ses propos étaient toujours imprévisibles et lumineux, je reste sans réponse.

Sa présence me manque comme au jour de sa mort.Michel Rebinguet

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3.1 Au-delà de l’intervenant… le transvenant

Michel Lecointe

Au-delà de la figure classique et polymorphe de l’intervenant, une nouvelle figure surgit aujourd’hui dans le champ social : le transvenant. Membre du collège coopératif de formation potentielle (Cocofopo), le transvenant en ses encore rares épiphanies préfigure dès à présent le futur de l’intervention.

L’intervenant intervient. L’intervention comprend l’idée d’une action (par la parole ou par des gestes) par laquelle un tiers se met entre des individus plus ou moins antagonistes ou entre ceux-ci et des difficultés qu’ils ne peuvent surmonter seuls. L’intervenant est donc une personne étrangère, une sorte de métèque, à qui d’autres personnes, autochtones en leur organisation, deman-dent d’agir pour modifier une situation existante et aller vers un état consi-déré comme souhaitable ou « moins pire ». L’intervenant digne de ce nom se met en quatre pour accomplir sa mission de tiers inclus. Bien loin de se comporter en expert inaltérable, il n’hésite pas à s’impliquer, quitte à devoir s’en expliquer. Il est payé pour ça. Il suscite la sympathie ou l’antipathie. Au fond, il s’en fout…

Le transvenant transvient. La « transvention » comprend l’idée d’une action (par la parole ou par des gestes ou par tout autre truchement) par laquelle un tiers se jette dans une mêlée comme un chien dans un jeu de quilles puis, après un parcours erratique et déconcertant (trans/transe) pour les présents effarés, se retire dans sa tour d’ivoire, laissant derrière lui désordre, confu-sion, capharnaüm, fatras, fouillis, pagaille… l’anarchie, quoi ! Le transvenant est donc un personnage exotique qui sème du vent pour que d’autres récol-tent la tempête. L’action du transvenant se fonde sur le double principe de « l’ordre par les bruits », autrement dit « de l’harmonie par les parasites », et de la solution paradoxale, dite encore du « cadrage/débordement ». Contraire-ment à l’intervenant, dont il est l’avatar postmoderne et cocofopien, le trans-venant ne se pose pas de questions sur son rôle : il parle à tort et à travers, il ne dit pas ce qu’il fait, il ne fait pas ce qu’il dit, mais il sait ce qu’il fait.

Bien entendu, cette démarche méthodique s’inscrit dans une longue tradition théorique : l’éclectisme syncrétique. Plutôt que d’édifier un système nouveau et plus ou moins original, il emprunte aux divers systèmes existants ce qui lui paraît être le meilleur au moment où il en a besoin. Il ne s’interdit donc pas de changer de cadre de référence, au risque parfois de désarçonner ses inter-locuteurs. La cohérence n’est pas son souci primordial : il lui suffit que ses

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propos déclenchent des réactions contradictoires et si possible violentes chez ceux qui croyaient obtenir des conseils en contrepartie de sa rémunération. Il considère que c’est là le prix qu’ils doivent payer pour accéder à l’autonomie en se débarrassant de lui. Son parcours intellectuel est une véritable odyssée : il joue de la mètis, il se comporte en véritable métis ; sans jamais confondre ces deux postures. Il ne pratique pas le métissage, mais le métis-pas-sage, car il n’oublie jamais sa fonction de médiateur, même si parfois, il confond médiateur et médium. Pince-sans-rire, il excelle dans l’art de l’ironie cynique et de la maïeutique au forceps.

Par sa démarche, qu’un observateur grossier pourrait assimiler à la chorégra-phie du crabe, tant ses progrès privilégient la diagonale, le transvenant est affilié à l’art tauromachique. La transvention en effet est un combat : un duel, dont la beauté résulte de l’égalité des chances malgré la disparité des moyens. Le commanditaire a pour lui son énergie de puissance, mais sa cuirasse intel-lectuelle a toujours quelque faille que le transvenant doit découvrir pour en jouer. Le transvenant, quant à lui, ne dispose que d’un leurre dérisoire : la confiance et l’expertise qu’on lui accorde, mais il sait le manier avec ingénio-sité, finesse et sang-froid.

À l’origine de la transvention, il y a un lieu clos : un ruedo matériel ou ima-ginaire, en tout cas un espace fermé peu propice aux échappatoires. Avant d’engager la confrontation, le transvenant s’avance et montre sa détermina-tion : sa tenue doit être impeccable, comme la plaquette en quadrichromie qui dit ce qu’il sait faire. On doit être assuré que le service sera de qualité. « Soigne ta prestance ! », comme le soigneur dit au boxeur qui monte sur le ring : « soigne ton gauche ». Présentations. Sonnez clarines !

Premier tercio. D’entrée, l’interlocuteur doit être étudié et jaugé. Des ques-tions larges, comme des véroniques, permettent de saisir ses défauts et ses travers les plus apparents. Il ne saurait ici être question d’un temps précis ou d’un nombre d’échanges, de passes, déterminé a priori. Dès que le transve-nant juge que le moment est venu où son partenaire est suffisamment fixé, il sort les piques : deux ou trois sont nécessaires et suffisantes pour juger la bravoure et la pugnacité de son adversaire, et pour lui faire un peu cour-ber l’échine. Quelques questions pointues feront l’affaire à condition d’être décochées avec assez de vivacité et de perfidie pour déstabiliser ce partenaire/adversaire, qui dès lors ne saura plus sur quel pied danser, ni quel rôle jouer.

Deuxième tercio. C’est le moment de la pose des banderilles : le transvenant, tel le torero sans cape, lance des hypothèses, esquisse des scénarios de travail,

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fait part de ses propres doutes ou hésitations. C’est un tourbillon d’idées, qui doit à la fois rassurer l’interlocuteur, sans effacer toutes ses inquiétudes, et le fatiguer quant à ses capacités intellectuelles et de vigilance. Les morsures doivent avoir un effet hypnotique. La fin approche… Après ces instants où la beauté du jeu en a éclipsé la cruauté.

Troisième tercio : la faena. Le but est simple : il s’agit de réduire le partenaire/adversaire à sa merci. Constats, analyses, diagnostic, recommandations… une fois, deux fois, trois fois, etc… Et l’autre qui cherche la faille, argumente, se défend, se débat, une fois, deux fois, trois fois, etc… Vaine gesticulation ! Dérisoire pantomime ! À la fin, lessivé, vidé, exsangue, il ne lui reste plus que la force de payer la prestation du transvenant et de le remercier. Cette phase est délicate ; à l’instar du matador, le transvenant doit savoir trouver le bon terrain pour faire ses recommandations : ni trop banales et convenues, ni trop exotiques et inaudibles. À ce moment du jeu, l’erreur est fatale, la faute est indélébile comme une tache sur la réputation. Différence cependant avec la tauromachie : le transvenant se contente des oreilles attentives de son inter-locuteur.Le cirque est fini ! Un dernier regard jeté vers la scène de ses exploits ! Sonnez clarines : une autre mission appelle le transvenant.On pourrait objecter que parler de transvenant en général est assurément quelque peu abstrait. C’est sûr ! C’est pourquoi il faudrait distinguer, comme en tauromachie, entre les artistes et les belluaires, entre les trémendistes et les rigoristes, entre les classiques et les baroques, entre les traditionalistes et les novateurs, mais ceci serait un autre chapitre, où il serait question du style. Précisément, quel est votre style ? Quel type de transvenant êtes-vous ? Pour le savoir, un petit test : notez votre accord ou votre désaccord avec chacune des vingt propositions ci-dessous.

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N° PROPOSITIONS d’accord pas d’accord

1Une bonne transvention, c’est castagne et baston.

2Une bonne transvention, c’est forcément craintes et tremblements.

3La qualité de la transvention découle du respect des normes ISO transvention 2000.

4 Tout nouveau, tout beau !

5 Vae victis !

6 La transvention sera éthique ou ne sera pas.

7 Il est inutile de tortiller du cul pour chier droit.

8 L’intégrité, ça se discute ; l’intégrisme, jamais !

9La transvention est à l’intervention ce que le tango est à la valse.

10 La transvention sera convulsive ou ne sera pas.

11 Le beau est toujours bizarre.

12 Du passé, faisons table rase.

13La transvention est une affaire d’intuition, de feeling et d’inspiration.

14 Le transvenant doit être sans peur et sans reproche.

15 Le bonheur, c’est toujours un peu kitsch.

16Le transvenant doit se définir comme un nouveau coach, extravaguant entre le mage, l’aruspice et le gourou.

17 Les lavettes, aux chiottes !

18 La transvention, ça fout les jetons.

19Une bonne transvention est forcément alambi-quée, tarabiscotée, amphigourique.

20 La transvention est une pratique petite-bourgeoise.

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Maintenant, notez le nombre de points (0/1) correspondant à votre réponse pour chaque item.Calculez le total de points obtenus pour chacune des séries d’items ci-des-sous ; vous pouvez alors déterminer les quatre caractéristiques de votre style : artiste ou belluaire, trémendiste ou rigoriste, classique ou baroque, traditio-naliste ou novateur.

QUESTIONS Total : 5, 4, 3 Total : 2, 1, 0

1, 5, 9, 13, 17 Artiste Belluaire

2, 6, 10, 14, 18 Trémendiste Rigoriste

3, 7, 11, 15, 19 Classique Baroque

4, 8, 12, 16, 20 Traditionaliste Novateur

La composition idiosyncrasique de ces quatre caractéristiques élémentaires vous permet à présent de déterminer quel est votre style à proprement parler et de savoir qui vous êtes.

Les Styles Qui êtes-vous ?

Artiste Trémendiste Classique Traditionaliste

Artiste Trémendiste Classique Novateur

Artiste Trémendiste Baroque Traditionaliste

Artiste Trémendiste Baroque Novateur

Artiste Rigoriste Classique Traditionaliste

Artiste Rigoriste Classique Novateur

Artiste Rigoriste Baroque Traditionaliste

Artiste Rigoriste Baroque Novateur

Belluaire Trémendiste Classique Traditionaliste

Belluaire Trémendiste Classique Novateur

Belluaire Trémendiste Baroque Traditionaliste

Belluaire Trémendiste Baroque Novateur

Belluaire Rigoriste Classique Traditionaliste

Belluaire Rigoriste Classique Novateur

Belluaire Rigoriste Baroque Traditionaliste

Belluaire Rigoriste Baroque Novateur

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Bien entendu, il n’échappe pas à votre esprit de finesse que cette identité est encore bien grossière. Pour l’affiner, il faut considérer comment est compo-sée la formule :– Deux transvenants du type « artiste-trémendiste-classique-traditionaliste »

n’ont pas le même style suivant qu’ils procèdent des notes suivantes : « 5 - 5 - 5 - 5 » ou « 3 - 3 - 3 - 3 » ;

– De même, deux transvenants du même type «  artiste-trémendiste-classique-traditionaliste  » apparemment semblables peuvent être très différents si l’on ordonne leurs caractéristiques. Soit par exemple :

– transvenant 1 : artiste (5), trémendiste (3), classique (4), traditionaliste (5) – transvenant 2 : artiste (3), trémendiste (5), classique (3), traditionaliste (4)

À strictement parler, il faudrait écrire :– transvenant 1 : artiste-traditionaliste-classique-trémendiste– transvenant 2 : trémendiste-traditionaliste-artiste-classique.

On l’aura compris : ces distinctions sont essentielles au plan éthique, puisqu’elles respectent l’identité et l’originalité irréductible de la personne humaine, même s’il s’agit d’un transvenant ; au plan praxéologique, puisqu’elles prennent en considération que la praxis transventionnelle est bien une affaire de sujets ; au plan logistique enfin, puisqu’elles permettent de savoir comment placer des transvenants dans des voitures lorsqu’ils doivent voyager ensemble. Accessoirement, cela peut permettre de bien choisir des places dans un train et d’éviter les appariements monstrueux et contre nature.

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ANNEXE 1

La petite fabrique de propositions

Artiste vs belluaire Une bonne transvention, c’est castagne et baston.

Artiste vs belluaire Vae victis !

Artiste vs belluaire Les lavettes, aux chiottes !

Artiste vs belluaire La transvention est une affaire d’intuition, de feeling et d’inspiration.

Artiste vs belluaire La transvention est à l’intervention ce que le tango est à la valse.

Trémendiste vs rigoriste Une bonne transvention, c’est forcément craintes et tremblements.

Trémendiste vs rigoriste La transvention, ça fout les jetons.

Trémendiste vs rigoriste La transvention sera éthique ou ne sera pas.

Trémendiste vs rigoriste La transvention sera convulsive ou ne sera pas.

Trémendiste vs rigoriste Le transvenant doit être sans peur et sans reproche.

Classique vs baroque La qualité de la transvention découle du respect des normes ISO transvention 2000.

Classique vs baroque Une bonne transvention est forcément alambi-quée, tarabiscotée, amphigourique.

Classique vs baroque Il est inutile de tortiller du cul pour chier droit.

Classique vs baroque Le bonheur, c’est toujours un peu kitsch.

Classique vs baroque Le beau est toujours bizarre.

Traditionaliste vs novateur Tout nouveau, tout beau !

Traditionaliste vs novateur L’intégrité, ça se discute ; l’intégrisme, jamais !

Traditionaliste vs novateur Du passé, faisons table rase.

Traditionaliste vs novateur La transvention est une pratique petite-bourgeoise.

Traditionaliste vs novateur Le transvenant doit se définir comme un nouveau coach, extravaguant entre le mage, l’aruspice et le gourou.

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ANNEXE 2

La petite fabrique de codage

N° PROPOSITIONS D’ACCORDPAS D’ACCORD

1 Une bonne transvention, c’est castagne et baston.

Bel Art

2 Une bonne transvention, c’est forcément craintes et tremblements.

Tré Rig

3 La qualité de la transvention découle du res-pect des normes ISO transvention 2000

Cla Bar

4 Tout nouveau, tout beau ! Trad Nov

5 Vae victis ! Bel Art

6 La transvention sera éthique ou ne sera pas. Rig Tré

7 Il est inutile de tortiller du cul pour chier droit.

Cla Bar

8 L’intégrité, ça se discute ; l’intégrisme, jamais ! Trad Nov

9 La transvention est à l’intervention ce que le tango est à la valse.

Art Bel

10 La transvention sera convulsive ou ne sera pas.

Tré Rig

11 Le beau est toujours bizarre. Bar Cla

12 Du passé, faisons table rase. Nov Trad

13 La transvention est une affaire d’intuition, de feeling et d’inspiration.

Art Bel

14 Le transvenant doit être sans peur et sans reproche.

Rig Tré

15 Le bonheur, c’est toujours un peu kitsch. Bar Cla

16 Le transvenant doit se définir comme un nouveau coach, extravaguant entre le mage, l’aruspice et le gourou.

Nov Tra

17 Les lavettes, aux chiottes ! Bel Art

18 La transvention, ça fout les jetons. Tré Rig

19 Une bonne transvention est forcément alambiquée, tarabiscotée, amphigourique.

Bar Cla

20 La transvention est une pratique petite-bourgeoise.

Trad Nov

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3.2 Le contrevenant en trois figures

Michel Lecointe

À la différence de l’intervenant, de sa posture modeste et de sa légendaire humilité, le contrevenant tient plusieurs rôles extravagants sur la scène sociale et flamboie dans les métiers de la consultance :– Il dévie, il transgresse, il est dans le contraire,– Il va à l’encontre, rentre dedans, agresse,– Il va tout contre, cajole, séduit.On le reconnaît facilement : il fait le contraire de ce qu’il dit mais il dit qu’il fait ce qu’il dit et que quand il ne fait pas ce qu’il dit c’est pour illustrer a contrario ce qu’il dit qu’il faut faire… et s’il arrive qu’il dise le contraire de ce qu’il fait et fasse l’inverse de ce qu’il dit, c’est par la double négation encore une affirmation de ce qu’il faut faire ce qu’il dit, de ce qu’il faut dire ce qu’il dit, de ce qu’il ne faut pas faire ce qu’il fait, de ce qu’il ne faut pas dire ce qu’il fait réellement… bref que c’est de la dialectique et qu’il a raison.C’est un autogestionnaire directif et un coopérant impérialiste ; c’est un communicateur à sens unique et un moulin à paroles pour libérer celle des autres.En tant que contrevenant patenté, il fixe des règles rigoureuses mais en sort avec alacrité. La loi est sa référence, mais jamais là où il dit qu’elle est. La dérive, sa dérive, est toujours porteuse et sa pratique de la déviance toujours féconde. Il est évidemment en contravention permanente et il peut lui arriver de prôner la contravention dans la contravention.Toutefois, « Qui dévie bien, châtie bien ! » : tout transgresseur autre que lui-même, tout contrevenant improvisé ou amateur est donc rappelé à l’ortho-doxie dont il est le seul interprète autorisé.Le contrevenant s’émancipe sans cesse des conventions et du programme… pour mieux les achever. Il change de route selon le vent et affirme garder le cap quand il tourne casaque.Il refait le mètre et la boussole. Il édifie un monde sans foi ni loi : les cadres amidonnés en frémissent et les bobos en raffolent.Pour le contrevenant agresseur, il n’y a de relation que rude : le choc de la mêlée front contre front plutôt que l’évitement léger de la danse. Au pays du rugby, il aime la castagne et le coup de boule ; en paroles, il cogne et martèle, cingle et insulte : il sème la merde et récolte la chienlit !Le plus souvent grossièrement viril, il peut être aussi subtilement vipérin, tortueux et entortillant, mariant le sous-entendu apitoyé au venin sucré. La violence bien intentionnée, l’étripage constructif, l’assassinat forcément symbolique font partie de la mise en scène et de la mise en groupe.

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L’intervention est la forme post-moderne de la guerre : dans un monde désa-busé et désappareillé, dans la jungle du sens et des interprétations, l’interve-nant envahisseur, le barbare consultant invente et promeut l’éthique de la soft-cruauté et la déontologie de la cool-guérilla.Le contrevenant pratique aussi l’intervention rapprochée, le tout-contre de la distance abolie. Cette contre-intervention-là transgresse les vieilles lunes de la bonne mise à distance, du jeu de la focale et du zoom, de la dynamique du dedans et du dehors.Ce contrevenant touche ! Il touche l’objet, le prend en main, le caresse et le cajole. Mieux, il s’immerge, il plonge dedans, le comprend de l’intérieur, s’identifie à lui jusqu’à s’y perdre. Pour se fondre et se confondre, il n’a de cesse que de ne pas être, que de ne pas influencer. L’intervention se fait non-intervention, le tout-contre aboutit à l’effacement, la fusion engendre la confusion !Phénix renaissant des cendres de l’autre, le contrevenant se reproduit inexo-rablement, se perpétue dans une contredanse douce et voluptueuse, se clone dans un espace d’apesanteur, sans frontières et sans interdits.Le contrevenant contrevient, contreva, contrefait  : c’est un pervers polymorphe…

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3.3 Michel Lecointe, une pensée de sortie de crise Actualité et pertinence d’une redéfinition de l’évaluation

Danielle ZAY

Au cours des xxive Rencontres de Pétrarque, le 24  juillet 2009, le psycha-nalyste Roland Gori a donné une définition de l’évaluation qui « a soudain électrisé l’assistance » (Birnbaum, 2009) : « Une volonté d’aligner l’existence humaine sur un modèle technique et marchand ».Michel Lecointe me paraît être un auteur à relire actuellement pour une pen-sée de sortie de crise. En effet, sa conception de l’évaluation répond à une situation qui met à nu la vanité des fausses valeurs et de ceux qui ne prônent leur compétence que comme un moyen de se donner le droit d’asservir les autres et de les exploiter.Quelques traits définissent la démarche de reprise de conscience de ce qu’est une société démocratique.

Rendre sa place à l’humain dans un contexte complexe qui ne peut se réduire à des dimensions linéaires et à des alternatives binaires.

Ainsi, dans son intervention à l’atelier sur « l’évaluation des actions en par-tenariat  », dont il était responsable dans le colloque sur le partenariat de l’INRP (Institut national de recherche pédagogique) en 1993, M. Lecointe cite Edgar Morin, (Lecointe, 1995, p. 315).C’est en ce sens qu’il utilise le systémisme comme base de sa méthodologie d’audit. Ce que les acteurs pensent des situations qu’ils vivent et les repré-sentations qu’ils se font de leurs groupes d’appartenance est à prendre en considération tout autant qu’un fait si on veut comprendre les enjeux et le fonctionnement d’une institution ou d’un collectif, ensemble complexe qui ne se réduit jamais à une de ses dimensions.«  Chacun sait que l’audit se fonde sur l’examen d’écrits, sur la recherche de faits observables et, dans la mesure du possible, sur la mise en évidence d’écarts entre un référent et un référé : normes et existant, intentions et réalisations, etc. Nous voyons ici qu’une large part a été faite aussi à des entretiens ou interviews individuels ou de groupe. En cela, nulle contra-diction, car il ne s’est jamais agi de considérer les opinions et les témoignages comme tenant lieu de faits, mais de les traiter comme des faits au sens où ils sont l’expression de représentations ou, plus simplement, la description de l’existant à partir de tel ou tel point de vue. Les propos recueillis au cours des entretiens ne remplacent donc pas des faits, mais ils sont nécessaires pour

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éclairer la signification des faits pour les uns et pour les autres. En particu-lier, ils permettent souvent de reconstituer les enjeux des différents acteurs et donc de mieux comprendre les jeux d’alliance ou d’opposition au moment de faire des choix ou de prendre des décisions.  » (Lacrosaz, Lecointe, Rebinguet, 1999, p. 169).

Faire participer l’autre à l’évaluation du système dans lequel il se trouve pris, mais dont il est aussi un acteur qui participe à ce que ce système est et devient.

Le souci de ne jamais prendre l’autre comme un objet évaluable de l’exté-rieur, mais comme sujet/acteur participant à l’évaluation dont il est l’objet, et le souci de faire profiter l’évalué de l’évaluation pour, qu’en connaissance de cause, il puisse mieux ajuster son action, car le but de l’évaluateur est d’être à son service en même temps qu’à celui de l’établissement concerné en produisant une connaissance fiable pour tous.Ce n’est pas un hasard si, chargé de l’audit des établissements scolaires par le rectorat de Bordeaux, M. Lecointe impose la règle de la confidentialité aux auto-rités hiérarchiques, comme il se l’impose à lui-même et qu’il l’a fait jouer avec ses co-équipiers dans notre recherche conjointe sur les EN (écoles normales).« L’audit, tel que nous l’avons pratiqué à Bourges, est un audit du type parti-cipatif. Il repose sur la double exigence de confidentialité et de transparence ; les auditeurs s’engagent à ne rien dévoiler des informations qu’ils ont eu à traiter, ni de leurs conclusions ; réciproquement, les audités s’engagent, à partir de ce rapport de confiance inscrit dans une lettre de mission, à fournir toute donnée demandée par les auditeurs. Il est donc exclu de communi-quer ici le rapport d’audit de l’école normale du Cher (69 pages augmentées d’annexes) présenté oralement à Bourges le 10 mai 1990 et envoyé au chef d’établissement dans la quinzaine suivante » (Lacrosaz, Lecointe, Rebinguet, 1999, p. 165).La modestie de l’évaluateur en découle puisqu’il s’applique sa propre démarche :«  Au terme de cet exposé, nous voudrions rappeler en quelques mots ce que nous avons voulu faire. Ce bref rappel permettra au lecteur de comparer sa lecture avec nos intentions et donc, en quelque sorte, d’en évaluer la réali-sation » (ibid., p. 179).Ce respect du lecteur, de sa faculté de compréhension, comme de l’évalué, comme de tout être humain, se traduit par le refus d’un jargon de spécialiste, qui permet à celui-ci de fonder sa supériorité sur la prétendue incapacité et ignorance de l’autre. Il s’agit, au contraire, de se mettre à la portée de tous, de rendre compréhensibles les concepts considérés comme les plus difficiles.

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Rôle pédagogique, certes, en accord avec la fonction de professeur d’école nor-male, de formateur de futurs enseignants, mission que Michel Lecointe s’est gardée quand il est passé au statut d’enseignant-chercheur et de professeur d’université.Mais aussi, venue de bien avant, démarche de militant qui se veut au service d’une société démocratique, de membre du PSU, d’élu de l’opposition muni-cipale de sa ville, de syndicaliste depuis sa jeunesse étudiante.À la beauté d’une langue écrite claire, s’ajoute l’humour propre à démys-tifier par la dérision et les expressions familières les enflures d’une pensée technocratique.Ainsi, l’auteur se propose de traiter du partenariat :– comme phagocytose de l’autre,– comme « coucou » ou « bernard-l’hermite »,– comme fuite de l’institution,– comme institution parallèle parasite. » (Lecointe, 1995, p. 316).Certains titres de ses ouvrages témoignent aussi de cette manière de présenter les choses avec une certaine désinvolture, refus de l’esprit de sérieux, humour à l’égard de soi-même, à l’égal de cette modestie de l’auteur qui se veut respect de l’autre au même titre que de soi-même.S’asseoir… pour se regarder marcher, sur la formation, ou Les militants et leurs étranges organisations, regard distancié sur sa propre posture, avec des sous-titres comme :« Astres morts et jeunes lunes : l’imaginaire militant (…) » ;« Demain… tous les melons seront bons » ;« À la recherche du carburant des partis (…) » ;« Ne plus militer idiot : un miroir pour l’action (…) » ;« Dinosaures et transhumance » (Lecointe, 1983, sommaire, p. 5).Je conclurai sur cet ouvrage puisque Michel Lecointe avait voulu en faire :« (…) une sorte de bilan personnel et général, issu de pratique et éclairé de théorie ; un bilan où je suis marcheur et observateur de la marche, impliqué et décentré…Un bilan rétrospectif certes, qui recense et analyse les pages tournées, mais un bilan prospectif aussi dans la mesure où il envisage des adaptations et mutations susceptibles (?) de sauver l’espèce militante de la réserve zoologi-que ou de l’éco-musée ! » (Lecointe, 1983, p. 8).Ce bilan me semble donc aussi constituer son testament sprirituel.Fin 2009, sa pensée anticipatrice de l’avenir éclate dès les premières lignes de cette introduction publiée en 1983 :« Le mouvement social est en panne, le militantisme est en crise… dans les organisations politiques, mais aussi dans les syndicats et les mouvements associatifs et culturels. Il y a des explications à ce recul du militantisme :– la « crise » économique qui ankylose de proche en proche tout le tissu

social,

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– la fatigue ou la désertion des soixante-huitards, les lendemains qui déchantent,

– Les médias audio-visuels qui court-circuitent le canal et le message militant, l’assoupissement général dans une société de consommation excluant contestation et innovation » (p. 8).

Dans la société des années 1980, il décrit déjà les maux du xxie siècle :« Marx découvre l’un des fondements de la société : le processus de produc-tion, mais il ramène tout à l’économie et la société à des rapports marchands (…). L’évolution du capital, du progrès technique et des moyens de produc-tion, l’extension du contrôle étatique font qu’à côté des moyens de produc-tion se posent aujourd’hui des questions tout aussi essentielles : – (…) le productivisme, l’économie pour l’économie. L’aliénation centrale

est la même : la soumission et la dépendance à une machine économique, à une société de consommation (et de gaspillage) devenue une fin en soi.

– (…) une diminution du nombre de producteurs et du temps de travail. Du fait de la population non-active et des chômeurs, les non-producteurs sont déjà et seront plus nombreux que les producteurs et le système n’est déjà plus viable, qui consiste à faire indemniser les premiers par les seconds. (…)

L’émancipation de la contrainte du travail et l’illusion de la jouissance inin-terrompue dans la contemplation de soi ont fait apparaître la société et le social comme entrave et obstacle ou mieux comme fournisseur auquel on ne doit rien.Ce narcissime est l’aboutissement logique des principes économiques (…).Consommation et possession d’objets font partie de l’affirmation narcissique de soi !(…) L’attribution de « stimulants matériels » (primes, sur salaires…) (…) est une réponse « économique » à un problème qui n’est pas qu’économique (…).L’affirmation d’une image de soi à travers les objets, le besoin de se montrer et de se sentir différent vont bien au-delà des aspects propres à la consomma-tion en société industrielle (…)» (p. 99-104).

Tout l’objet de ce livre, et c’est en cela qu’il est à la fois bilan et testament, est de faire le point sur soi-même, et par cet effort de lucidité sur ce que l’on est soi-même, comprendre ce que le sujet, non seulement individuel, mais collectif militant est, ce qui permet, après s’être assis pour s’être regardé mar-cher, de marcher à nouveau avec les autres, mais en leur proposant la même démarche pour ne plus « militer idiot », objectif nécessaire pour être efficace. Car Michel Lecointe, s’il reconnaît la nécessité du rôle de l’utopie pour avoir une idée de ce que pourrait être une société meilleure que l’existant, reste un

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pragmatique, loin des vélléitaires et des rêveurs, sinon pour tenter de faire exister les rêves.C’est pourquoi il ajoute que, si ces raisons objectives jouent, « il en est d’autres que militants et associations n’évoquent presque jamais parce qu’elles les touchent de trop près et qu’en conséquence elles leur échappent. Il s’agit de la façon d’être et de militer du militant, de son rapport aux autres, à l’idéo-logie et à l’utopie ; il s’agit des fonctions et objectifs « intimes » des groupes : des représentations et imaginaires « conscients et inconscients » individuels et collectifs de chaque militant et de toute association. 

On touche alors à l’attraction et à la répulsion suscitées par un modèle, par un mode d’être…Militant de longue date (MNEF, UNEF, PSU, SGEN, CFDT…) il m’a fallu le détour d’une réflexion professionnelle sur la formation et l’imaginaire des ensei-gnants43 pour repérer et inventorier le rôle de quasi-programmation « aveugle et ignoré » des imaginaires dans les attitudes et les engagements » (p. 7-8).L’auteur, applique alors à cet objet hors de sa vie professionnelle, sa démarche de chercheur systémiste. Il s’agit à la fois de se réapproprier la complexité de ce qu’il est à travers ses divers groupes d’appartenance et de ce qu’est le mili-tant politique sous la justification rationnelle et la proclamation d’altruisme visant une légitimation.

« Et si le socialisme, utopie du siècle et grand mythe contemporain, avait pris le relais du mythe religieux ? (…)Historicité dites-vous. Cela veut dire qu’il y a des lois de l’histoire, un sens à cette histoire, un progrès inéluctable. Que le socialisme est inscrit dans l’his-toire après le capitalisme comme celui-ci après le féodalisme et celui-là après le servage et qu’il ne peut pas ne pas advenir (…).Mais alors, camarades militants, si tout est écrit (« Mektoub »… dans la reli-gion musulmane !), si le socialisme est fatal, asseyons-nous et regardons. Cessons de nous agiter : il se fera bien sans nous. » (p. 19).À nouveau, on ne peut que constater la clarification qu’introduit une telle pensée par rapport aux problèmes qui nous troublent 26 ans plus tard, en 2009. Le raisonnement aboutit, en effet, à conclure que si cela est, « L’une des “mentalités” les plus profondes et les plus stables ne serait-elle pas la struc-ture mentale religieuse ? Le politique ne serait-il pas d’essence religieuse ? »Religion et politique, à l’origine et encore aujourd’hui dans un certain nom-bre de civilisations (l’Islam en particulier), ne font qu’un. La distinction du spirituel et du temporel est d’origine occidentale et tout à fait contemporaine.

43 Cf. S’asseoir pour se regarder marcher, Syros, 1981.

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L’effort récent de séparation de l’État et de la religion, de laïcisation du poli-tique n’aurait alors que peu autonomisé ce qui était uni… ou s’y emploierait vainement ! » (p. 19).

Au chercheur, appliquant à l’ensemble de sa vie sa visée d’élucidation, le socialisme apparaît ainsi comme la transposition religieuse et mythique, dans le domaine humain et social, de l’assurance du scientisme dans le domaine physico-chimique. À l’instar du structuralisme dans les sciences humaines, le résultat est le même : éliminer le sujet au profit de l’objet.La vraie posture du chercheur, pas seulement comme statut social, mais comme attitude de vie – est désir de la connaissance vraie, donc humble, toujours limitée, toujours remise en question par une lucidité qui s’applique à soi-même comme aux autres et aux objets qu’on construit dans sa recher-che professionnelle.« La raison et la conscience me paraissent rarement être au départ de l’enga-gement. Par contre, leur rôle “après”, “ensuite” et “au cours” est certainement fondamental. Avec cette réserve capitale qu’elles ne sont pas alors, à elles deux, des garanties suffisantes, puisqu’il existe aussi des perversions de la raison (l’idéologisme…), des cheminements aberrants de la conscience (les énormités auxquelles l’autorité comme la soumission peuvent conduire…) » (p. 89).

La recherche n’est pas une fonction exercée de l’extérieur. Elle fonde la démar-che d’un être humain dans sa quête de sens pour se réapproprier l’ensemble de sa vie à l’extérieur, comme la plus intime. C’est pourquoi, elle n’existe pas seulement parce qu’elle est sanctionnée par un diplôme, une habilitation, une qualification, un titre, un grade acquis une fois pour toutes. Elle n’est pas un bilan ou une rupture définitive avec ses illusions ou son idéologie, elle ne clarifie jamais tout, elle laisse une part d’ombre, d’inconscient, elle n’est interrompue, comme la vie d’un être humain, que par la mort.Pensée de sortie de crise par retour sur soi-même, non pas par égocentrisme mais comme connaissance de soi qui permet l’ouverture à l’autre et le retour à un collectif non aliéné. Le sens de désaliénation est : les membres de ce collectif sont capables de construire patiemment, dans des négociations et des réévaluations toujours à reprendre, l’intérêt général, parce qu’il ne sacri-fie ni l’intérêt propre et la libido personnelle, ni l’autre, individu lui aussi, reconnu et respecté comme sujet égal à soi-même, ayant ses propres intérêts à prendre en compte pour vivre, militer ou travailler avec.

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Cette lucidité vis-à-vis de soi-même comme des autres est la seule vraie reconnaissance de l’autre, comme il est – pas comme on voudrait qu’il soit parce qu’on est capable de prendre conscience et d’accepter qu’il soit mû par un intérêt personnel, comme soi-même, mais différent, parce qu’ayant des motivations qui lui sont propres, donc autres que les nôtres.« Car le “goût du collectif”, une socialisation vraie, ne peut se développer qu’à partir d’individus personnalisés, différents, reconnus et voulus comme tels… »Ce n’est pas parce que les hommes sont égaux en droit qu’il faut faire l’éga-lité de fait… C’est au contraire parce que les hommes sont différents, pas identiques les uns aux autres, qu’il faut tendre vers l’égalité » (p. 105).Cette position personnelle vise à déboucher sur « une autre rationalité scien-tifique… et politique » renvoyant « le discours électoral et le mot d’ordre-slo-gan… à la hache de pierre taillée… ! » (p. 94).Ainsi peut se fonder le relativisme politique, qui n’est ni scepticisme, ni gnose ou agnosticisme, mais une attitude de recherche systématique et une méthode de connaissance (p. 96, note 3).L’approche scientifique du monde et la connaissance psycho-affective de l’homme convergent dans une attitude voisine : passer du dogmatisme à un relativisme méthodique.« On sort de la fixité pour retrouver l’histoire, on quitte la simplification et le simplisme pour admettre la complexité des acteurs et du terrain social. On peut intégrer le relatif et le conflit ouvert avec soi, le conflit dans sa pensée et son action et le conflit avec les autres. (…)Ce que dit Morin du sociologue et de l’anthropologue vaut pour le sujet politique (individuel ou collectif) : « Dès lors commence la nécessaire auto-relativisation de l’observateur qui se demande “qui suis-je ?”, “où suis-je ?”. Le “je” qui surgit ici est le “je” modeste qui découvre que son point de vue est nécessairement partiel et relatif » (…). (Pour la science, Le Monde, 7 janvier 1982) (Lecointe, 1983, p. 97).

Ce relativisme politique, fondé sur une attitude scientifique de recherche est ce qui peut nous faire accepter que « militer dans la société d’aujourd’hui, ce n’est pas se contenter de proclamer qu’en régime socialiste, “tous les melons seront bons” parce que l’analyse l’affirme et que l’État les garantit… c’est labourer profond, diversifier et adapter modes de semences et modes de culture… et savoir qu’il existera toujours des melons décevants ! » (p. 109).En te rendant hommage, c’est-à-dire en mettant en œuvre ce testament spirituel que tu nous as laissé, nous pourrons, grâce à notre «  Je » devenu « modeste », comme tu l’as voulu pour toi-même, « être vraiment comme un poisson dans l’eau et pas comme un oursin dans le social » (p. 107).

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Salut à toi, Michel Lecointe, ta pensée nous reste par tes écrits.Droit et loyal, homme d’honneur,tu n’avais pas de maître parce que tu en étais un.

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Bibliographie

Birnbaum, (Jean) (2009). «  La “crise” est d’abord une crise de confiance généralisée ». Le Monde, 28 juillet 2009, p. 2.

Lacrosaz (Marie-Claude), Lecointe (Michel) ; Rebinguet (Michel). « L’Évaluation de la politique d’ouverture d’un établissement ». In Danielle Zay (dir.), Enseignants et partenaires de l’école. Démarches et instruments pour travailler ensemble. Préface d’André de Peretti. De Boeck, Coll. Pédagogies en développement, Paris-Bruxelles, 1999, 3e éd., p. 165-179.

Lecointe, Michel. S’asseoir… pour se regarder marcher, fantasmes et formation des enseignants. Syros, Paris, 1981.

Lecointe (Michel). Les Militants et leurs étranges organisations. Syros, Paris, 1983, 189 p.

Lecointe (Michel). « Éléments pour une évaluation de type systémique des actions en partenariat ». In Danielle Zay et Annette Gonnin-Bolo (éds.), Établissements et partenariats. Stratégies pour des projets communs. Actes du colloque, 14, 15, 16 janvier 1993. Paris : INRP, 1995, p. 315-317 .

Toutes réactions à l’hommage à Michel Lecointe seront les bienvenues. [email protected]