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ÉDITORIAL Évolutions et progrès en neurologie : quelle influence sur l’activité des réanimateurs ? D. Leys* Équipe d’accueil EA 2691, université de Lille II, service de neurologie et pathologie neurovasculaire, centre hospitalier universitaire de Lille, hôpital Roger-Salengro, F-59037 Lille, France (Reçu le 8 mars 2001 ; accepté le 12 mars 2001) Au cours des 20 dernières années, les principes géné- raux de l’intervention des réanimateurs auprès des mala- des neurologiques n’ont pas été profondément modifiés, mais les pathologies traitées ont changé. Le réanimateur est toujours amené à prendre en charge deux types de patients : 1) en première intention des patients neuro- logiques graves chez lesquels sont encore nécessaires les mêmes démarches diagnostiques et thérapeutiques qu’en milieu neurologique ; 2) et en raison d’une com- plication intercurrente, des patients ayant une affection neurologique déjà diagnostiquée. Si la philosophie géné- rale de la prise en charge a peu changé, les pathologies prises en charge se sont profondément transformées et devraient encore se modifier dans les prochaines années. DES PROGRÈS ONT – OU VONT – ENTRAÎNER UNE DIMINUTION DE L’IMPLICATION DES RÉANIMATEURS DANS PLUSIEURS DOMAINES DE LA NEUROLOGIE Syndrome de Guillain et Barré Le syndrome de Guillain et Barré était il y a 20 ans le leader des pathologies neurologiques en milieu de réa- nimation. Une fois le diagnostic affirmé sur la base de données cliniques, électrophysiologiques et biologiques, le rôle des neurologues se limitait à prévenir les compli- cations liées à l’alitement et à dépister à temps les patients qui nécessitaient le recours à un service de réanimation pour la prise en charge des troubles respi- ratoires, et/ou la réalisation de plasmaphérèses. Prati- quées avant même que leur efficacité soit prouvée, les plasmaphérèses ont profondément transformé le pro- nostic des formes respiratoires ou dysautonomiques [1]. Les gammaglobulines polyvalentes intraveineuses se sont progressivement imposées comme traitement de référence [2] pour peu que l’expression clinique de la maladie ne se limite pas à un déficit sensitif ou à un déficit moteur limité. Parallèlement à la généralisation de l’utilisation des gammaglobulines, le nombre de syndromes de Guillain et Barré pris en charge en servi- ces de réanimation a sensiblement diminué. Le pro- blème majeur en 2001 ne semble plus être de déterminer le moment le plus opportun pour confier le patient aux réanimateurs mais de réunir au plus vite le minimum de données cliniques, électrophysiologiques et biologiques permettant d’avoir le niveau minimal de certitude dia- gnostique et d’évaluation du pronostic pour décider d’un traitement par gammaglobulines. Toutefois, l’amélioration du pronostic risque de banaliser la prise en charge d’une pathologie potentiellement grave et de voir de nouveau des patients admis en état de détresse respiratoire lorsque les gammaglobulines se sont révé- lées inefficaces. Il est donc crucial de ne pas perdre de vue cette possibilité, et de maintenir pour ces patients la coopération étroite entre neurologues et réanimateurs *Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail : [email protected] (D. Leys). Réanimation 2001 ; 10 : 355-7 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S1164675601001293/EDI

Évolutions et progrès en neurologie : quelle influence sur lactivité des réanimateurs ?

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Page 1: Évolutions et progrès en neurologie : quelle influence sur lactivité des réanimateurs ?

ÉDITORIAL

Évolutions et progrès en neurologie : quelle influencesur l’activité des réanimateurs ?

D. Leys*Équipe d’accueil EA 2691, université de Lille II, service de neurologie et pathologie neurovasculaire, centre hospitalieruniversitaire de Lille, hôpital Roger-Salengro, F-59037 Lille, France

(Reçu le 8 mars 2001 ; accepté le 12 mars 2001)

Au cours des 20 dernières années, les principes géné-raux de l’intervention des réanimateurs auprès des mala-des neurologiques n’ont pas été profondément modifiés,mais les pathologies traitées ont changé. Le réanimateurest toujours amené à prendre en charge deux types depatients : 1) en première intention des patients neuro-logiques graves chez lesquels sont encore nécessaires lesmêmes démarches diagnostiques et thérapeutiquesqu’en milieu neurologique ; 2) et en raison d’une com-plication intercurrente, des patients ayant une affectionneurologique déjà diagnostiquée. Si la philosophie géné-rale de la prise en charge a peu changé, les pathologiesprises en charge se sont profondément transformées etdevraient encore se modifier dans les prochaines années.

DES PROGRÈS ONT – OU VONT – ENTRAÎNER UNEDIMINUTION DE L’IMPLICATION DESRÉANIMATEURS DANS PLUSIEURS DOMAINESDE LA NEUROLOGIE

Syndrome de Guillain et Barré

Le syndrome de Guillain et Barré était il y a 20 ans leleader des pathologies neurologiques en milieu de réa-nimation. Une fois le diagnostic affirmé sur la base dedonnées cliniques, électrophysiologiques et biologiques,le rôle des neurologues se limitait à prévenir les compli-cations liées à l’alitement et à dépister à temps les

patients qui nécessitaient le recours à un service deréanimation pour la prise en charge des troubles respi-ratoires, et/ou la réalisation de plasmaphérèses. Prati-quées avant même que leur efficacité soit prouvée, lesplasmaphérèses ont profondément transformé le pro-nostic des formes respiratoires ou dysautonomiques[1]. Les gammaglobulines polyvalentes intraveineusesse sont progressivement imposées comme traitement deréférence [2] pour peu que l’expression clinique de lamaladie ne se limite pas à un déficit sensitif ou à undéficit moteur limité. Parallèlement à la généralisationde l’utilisation des gammaglobulines, le nombre desyndromes de Guillain et Barré pris en charge en servi-ces de réanimation a sensiblement diminué. Le pro-blème majeur en 2001 ne semble plus être de déterminerle moment le plus opportun pour confier le patient auxréanimateurs mais de réunir au plus vite le minimum dedonnées cliniques, électrophysiologiques et biologiquespermettant d’avoir le niveau minimal de certitude dia-gnostique et d’évaluation du pronostic pour déciderd’un traitement par gammaglobulines. Toutefois,l’amélioration du pronostic risque de banaliser la priseen charge d’une pathologie potentiellement grave et devoir de nouveau des patients admis en état de détresserespiratoire lorsque les gammaglobulines se sont révé-lées inefficaces. Il est donc crucial de ne pas perdre devue cette possibilité, et de maintenir pour ces patients lacoopération étroite entre neurologues et réanimateurs

*Correspondance et tirés à part.Adresse e-mail : [email protected] (D. Leys).

Réanimation 2001 ; 10 : 355-7© 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservésS1164675601001293/EDI

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et un suivi spirométrique répété. Ce problème, quiexiste aussi pour la myasthénie, est peut-être encoreplus crucial pour les jeunes neurologues, formés après lagénéralisation de l’utilisation des gammaglobulines. Ilest important de garder cette notion à l’esprit dans leurformation.

Pathologie neurovasculaire courante

La pathologie neurovasculaire devrait également néces-siter un moindre recours aux services de réanimationpolyvalente, au moins dans les établissements dotésd’unités neurovasculaires. Ces unités ne se substituentpas aux services de réanimation, puisqu’elles n’en n’ontni les moyens ni la vocation [3], mais elles diminuent lescomplications non spécifiques telles que les pneumopa-thies et les embolies pulmonaires, comme cela a étémontré dans des essais randomisés conduits selon leprincipe des essais de médicaments [4, 5].

D’AUTRES PROGRÈS SONT, EN REVANCHE,SUSCEPTIBLES D’ENTRAÎNER UNE AUGMENTATIOND’ACTIVITÉ POUR LES RÉANIMATEURS

Neurotraumatologie

La neurotraumatologie est certainement le domaine quinécessitera le plus souvent le recours aux réanimateurs,en particulier dans les centres hospitaliers non univer-sitaires. L’époque où tous les traumatisés crâniens gra-ves, polytraumatisés ou non, étaient systématiquementhospitalisés en réanimation neurochirurgicale, est révo-lue. En dehors des patients assez peu nombreux néces-sitant une intervention neurochirurgicale, la prise encharge repose avant tout sur l’équipe de réanimationpolyvalente. L’avènement de l’imagerie non invasive etles possibilités de transfert d’images, permettent main-tenant le maintien des patients dans le service de réani-mation de l’établissement hospitalier dans lequel ils ontété initialement admis, et où leurs lésions viscérales etorthopédiques ont été prises en charge.

Pathologie neurovasculaire grave

La neurologie vasculaire pourrait par ailleurs créer denouveaux besoins nécessitant les compétences des réa-nimateurs. Cela ne sera pas pour la thrombolyse, dontla pratique relève plutôt d’unités neurovasculaires [6-8],mais pour la crâniectomie décompressive et la neuro-protection par hypothermie [9]. Toutes deux sont

actuellement en cours d’évaluation à la suite des travauxpréliminaires de l’université de Heidelberg, et pour-raient rentrer dans une pratique de soins dans quelquesannées pour les infarctus étendus du territoire de l’artèrecérébrale moyenne.

Neurologie dégénérative

La neurologie dégénérative pourrait aussi interférer avecl’activité des réanimateurs. L’augmentation d’incidencede la maladie d’Alzheimer au cours des 20 prochainesannées devrait aboutir à un doublement de son inci-dence. Inévitablement, certains de ces patients, en par-ticulier à un stade initial où la maladie n’est pas encorediagnostiquée, pourront avoir besoin de réanimation.Cela va nécessiter l’organisation d’une prise en chargeparticulière de ces patients dont le recours à la réanima-tion n’est pas directement en rapport avec la maladie, etchez lesquels l’hospitalisation, en réanimation en parti-culier, peut aggraver la situation neurologique.

ENFIN, DES ÉVOLUTIONS SONT SUSCEPTIBLESDE MODIFIER LES CONDITIONS D’ACTIVITÉDES RÉANIMATEURS

Les réanimateurs doivent se préparer aux progrès desméthodes de diagnostic, qu’il s’agisse des explorationsfonctionnelles ou d’explorations morphologiques, ren-dues parfois difficiles par la ventilation assistée et l’envi-ronnement médical et technique du patient. Ainsi, uneimagerie par résonance magnétique effectuée à la recher-che d’une thrombose veineuse cérébrale chez un patientconscient et coopérant, examen simple et rapide sil’établissement a une disponibilité permanente de lamachine, devient un examen lourd pour un patient deréanimation.

Les possibilités thérapeutiques nouvelles créeront éga-lement des problèmes éthiques, concernant en particu-lier la notion de « consentement éclairé aux soins »,délicate à gérer chez les patients neurologiques graves.L’évolution démographique et l’augmentation de l’espé-rance de vie, poseront des problèmes difficiles de priseen charge en post-réanimation pour les patients por-teurs de pathologies neurovasculaires très âgés, quiactuellement ne sont pas ou rarement admis en réani-mation. La nécessité de structures intermédiaires pourles patients sortant des services de réanimation – véri-tables structures de convalescence lourde – va devenirencore plus impérieuse.

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CONCLUSION

L’entrée à part entière de la neurologie au sein desdisciplines disposant de traitements curatifs et sympto-matiques, les modifications d’incidence de certainesaffections neurologiques et les progrès technologiques,en particulier dans le domaine de l’imagerie, vont bou-leverser les relations entre la neurologie et la réanima-tion dans les 20 prochaines années. Des pathologiesfréquentes en réanimation vont devenir plus rares.D’autres pathologies, rarement vues en réanimation,vont y faire leur apparition. À cette évolution viendronts’ajouter des problèmes éthiques, légaux, économiques,et organisationnels qui feront de la neurologie et de laréanimation deux disciplines destinées à travailler encollaboration encore plus étroite.

RE´ FE´ RENCES

1 French Cooperative Group on Plasma Exchange in Guillain-Barré syndrome. Efficiency of plasma exchange in Guillain-

Barré syndrome : role of replacement fluids. Ann Neurol 1987 ;22 : 753-61.

2 van der Meche FG, Schmitz PI. A randomized trial comparingintravenous immune globulin and plasma exchange in Guillain-Barré syndrome. Dutch Guillain-Barre Study Group. N Engl JMed 1992 ; 326 : 1123-9.

3 Société française neurovasculaire. Recommandations pour lesunités neurovasculaires. Presse Méd 2000 ; 29 : 2240-8.

4 Stroke units trialists’collaboration. Collaborative systematicreview of the randomised trials of organised inpatient (strokeunit) care after stroke. Br Med J 1997 ; 314 : 1151-9.

5 Langhorne P, Dennis M. Stroke units : an evidence basedapproach. Londres : BMJ books ; 1998. 112 p.

6 Buggle F, Grau AJ, Spranger M, Hacke W. Routine use ofthrombolysis : experienced centers report better outcome [abs-tract]. Stroke 1999 ; 30 : 265.

7 Katzan IL, Furlan AJ, Lloyd LE, Frank JI, Harper DL, Hin-chey JA, et al. Use of tissue-type plasminogen acivator for acuteischemic stroke : the Cleveland area experience. JAMA 2000 ;283 : 1151-5.

8 Société francaise neurovasculaire. Recommandations pour l’uti-lisation du traitement thrombolytique intraveineux dans l’acci-dent ischémique cérébral. Presse Méd 2000 ; 29 : 372-8.

9 Hacke W, Kaste M, Olsen S, Bogousslavsky J, Orgogozo JM,for the EUSI executive committee. Acute treatment of ischemicstroke. Cerebrovasc Dis 2000 ; 10 suppl 3 : 22-30.

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