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n e 0 Exposer pour voir, exposer pour savoir Philippe Dubé L'eqosition est aujourd'hui considérée par les muséologtes comme le muyen le miem appropképour mettre en vaLeur les collections d'un musée et les fdire connaître It un largepublic. Consacrer un numéro de Museum international à la mise en espace muséale s'impose d'autant plus que les milieuxprofesonnelr ressentent jrtement le besoin de fiire lepoint sur cette question primordiale de leur pratique quotidienne. Et c'est pès spontanément que Pbil+pe Dubé a réjondu à tinvitation qui lui étaitfdite de regrouper un certain nombre de spécialistes qui, chueun, ont bien voulu étzdier sous divers angles ce mode de communication majeur : texposition. De tout temps, le langage des objets s'est imposé comme l'instrument privilégié de l'institution muséale. Placer les pièces d'une collection sous le regard du visiteur et les mettre (( en espace )) est apparu, il y a longtemps déjà, comme le moyen le plus performant de communication d'un savoir, par l'entremise de témoins maté- riels qui permettent une lecture simple et directe de tel sujet, le déchiffrement de telle thématique. Depuis quelques décen- nies, des muséologues se penchent sur ce mode d'expression et tentent d'en identi- fier les contours théoriques. Vaste champ d'étude qui, pour nous en tenir aux avis les plus autorisCs, conduit à penser que l'exposition est à la fois présence, présenta- tion et représentation. Le phénomène de présence est le fruit de la rCunion, dans un espace donné, d'œuvres ou d'objets pour le meilleur profit du visiteur/regardeur. Et d'emblée s'affirme la primauté des matériaux de l'exposition : leur logique propre est à la source de tout processus de mise en va- leur. C'est ce que montrent Pnina Rosen- berg et Susan Pearce : abordant des thèmes divers, elles font la lumière sur les qualités expressives d'une matière trop souvent tenue pour inerte et montrent comment, une fois rassemblés, des élé- ments disparates interagissent pour, en définitive, constituer un ensemble cohé- rent, et somme toute éloquent, dont Tef- fet est autant intellectuel que visuel. Cet ensemble peut ensuite être ordon- né de telle manière que sa présentation, qu'il soit destiné à l'étude ou au simple plaisir de l'œil, le constitue en un tout agencé de faGon percutante. De fait, l'ex- position dispose de langages qui lui sont propres, et il nous appartient d'en maîtri- ser aussi complètement que possible les nombreux codes afin de parfaire notre habileté dans l'art d'exposer. Mohan L. Nigam et Frank den Oudsten traitent de ces problèmes, chacun à sa façon : créer un environnement favorable ou rtaliser une mise en scène théâtrale - tous les moyens sont bons pour faire d'une pré- sentation muséale non un banal accro- chage, une quelconque installation, mais une organisation de l'espace qui soit propre à communiquer. Donner ainsi àvoir commande l'utili- sation de techniques complexes, pour moduler la dimension spatiale d'une ex- position, et aussi la mise en action d'ex- périmentations originales. John C. Stick- ler et Michael Stocker dressent un inven- taire ,de modes exploratoires qui, tout en rendant les manifestations plus actuelles, favorisent une communication plus acti- ve. Cela exige bien éidemment la pré- sence dans les musées de professionnels trks qualiiés :Jane H. Bedno fait le point sur les problèmes posés par la formation permanente de personnels qui doivent s'adapter à un contexte extrêmement changeant. Nous voilà des lors informés : exposer, c'est créer une représentation, puisque cet- te réunion d'ceuvres ou d'objets aborde des thèmes qui, en fin de compte, vont mettre au jour l'immatérialité même du tout rassemblé. Raymond Montpetit sonde le capricieux parcours de l'univers des signes, tant du point de vue de l'émet- teur que de celui du récepteur. Un tour de piste obligé pour apprécier à sa juste valeur la richesse implicite du concept d'exposition. Ces thèmes sont explorés, dans ce nu- méro de Museum international, avec le souci de mieux saisir, dans toute sa com- plexité, le fonctionnement de l'activité muséale par excellence : l'exposition, tan- tôt grande dtpensière, tantôt réalisée à peu de frais, pour le meilleur et pour le pire - et qui fera ou non le délice du vi- siteur. L'exploration de plusieurs champs disciplinaires nourrit la réflexion amorcée 4 Museum intemational(Paris, UNESCO), no 185 (vol. 47, no 1, 1995) O UNESCO 1995

Exposer pour voir, exposer pour savoir

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n e 0 Exposer pour voir, exposer pour savoir Philippe Dubé

L'eqosition est aujourd'hui considérée par les muséologtes comme le muyen le miem appropképour mettre en vaLeur les collections d'un musée et les fdire connaître It un largepublic. Consacrer un numéro de Museum international à la mise en espace muséale s'impose d'autant plus que les milieux profesonnelr ressentent jrtement le besoin de fiire lepoint sur cette question primordiale de leur pratique quotidienne. Et c'est pès spontanément que Pbil+pe Dubé a réjondu à tinvitation qui lui étaitfdite de regrouper un certain nombre de spécialistes qui, chueun, ont bien voulu étzdier sous divers angles ce mode de communication majeur : texposition.

De tout temps, le langage des objets s'est imposé comme l'instrument privilégié de l'institution muséale. Placer les pièces d'une collection sous le regard du visiteur et les mettre (( en espace )) est apparu, il y a longtemps déjà, comme le moyen le plus performant de communication d'un savoir, par l'entremise de témoins maté- riels qui permettent une lecture simple et directe de tel sujet, le déchiffrement de telle thématique. Depuis quelques décen- nies, des muséologues se penchent sur ce mode d'expression et tentent d'en identi- fier les contours théoriques. Vaste champ d'étude qui, pour nous en tenir aux avis les plus autorisCs, conduit à penser que l'exposition est à la fois présence, présenta- tion et représentation.

Le phénomène de présence est le fruit de la rCunion, dans un espace donné, d'œuvres ou d'objets pour le meilleur profit du visiteur/regardeur. Et d'emblée s'affirme la primauté des matériaux de l'exposition : leur logique propre est à la source de tout processus de mise en va- leur. C'est ce que montrent Pnina Rosen- berg et Susan Pearce : abordant des thèmes divers, elles font la lumière sur les qualités expressives d'une matière trop souvent tenue pour inerte et montrent comment, une fois rassemblés, des élé- ments disparates interagissent pour, en définitive, constituer un ensemble cohé- rent, et somme toute éloquent, dont Tef- fet est autant intellectuel que visuel.

Cet ensemble peut ensuite être ordon- né de telle manière que sa présentation, qu'il soit destiné à l'étude ou au simple plaisir de l'œil, le constitue en un tout agencé de faGon percutante. De fait, l'ex- position dispose de langages qui lui sont propres, et il nous appartient d'en maîtri- ser aussi complètement que possible les nombreux codes afin de parfaire notre habileté dans l'art d'exposer. Mohan L. Nigam et Frank den Oudsten traitent de

ces problèmes, chacun à sa façon : créer un environnement favorable ou rtaliser une mise en scène théâtrale - tous les moyens sont bons pour faire d'une pré- sentation muséale non un banal accro- chage, une quelconque installation, mais une organisation de l'espace qui soit propre à communiquer.

Donner ainsi àvoir commande l'utili- sation de techniques complexes, pour moduler la dimension spatiale d'une ex- position, et aussi la mise en action d'ex- périmentations originales. John C. Stick- ler et Michael Stocker dressent un inven- taire ,de modes exploratoires qui, tout en rendant les manifestations plus actuelles, favorisent une communication plus acti- ve. Cela exige bien éidemment la pré- sence dans les musées de professionnels trks qualiiés :Jane H. Bedno fait le point sur les problèmes posés par la formation permanente de personnels qui doivent s'adapter à un contexte extrêmement changeant.

Nous voilà des lors informés : exposer, c'est créer une représentation, puisque cet- te réunion d'ceuvres ou d'objets aborde des thèmes qui, en fin de compte, vont mettre au jour l'immatérialité même du tout rassemblé. Raymond Montpetit sonde le capricieux parcours de l'univers des signes, tant du point de vue de l'émet- teur que de celui du récepteur. Un tour de piste obligé pour apprécier à sa juste valeur la richesse implicite du concept d'exposition.

Ces thèmes sont explorés, dans ce nu- méro de Museum international, avec le souci de mieux saisir, dans toute sa com- plexité, le fonctionnement de l'activité muséale par excellence : l'exposition, tan- tôt grande dtpensière, tantôt réalisée à peu de frais, pour le meilleur et pour le pire - et qui fera ou non le délice du vi- siteur. L'exploration de plusieurs champs disciplinaires nourrit la réflexion amorcée

4 Museum intemational(Paris, UNESCO), no 185 (vol. 47, no 1, 1995) O UNESCO 1995

Exposer pour voir, exposer pour savoir

depuis quelques années seulement et une analyse la plus précise possible de ses fa- cettes multiples devrait permettre d'en percevoir toute l'ampleur.

Pour une histoire de la mise en espace

Le concept d'exposition tel qu'il s'est im- posé de nos jours est l'aboutissement d'un long cheminement de l'institution au fil du temps. Un examen attentif fait apparaître que la muséographie se fonde sur un héritage ancien déjà. La mise en valeur des sciences de la nature a ainsi connu trois âges qui témoignent de l'exis- tence d'autant de modes d'exposition.

Dans un premier temps, s'est affirmé le primat de la vitrine, presque exclusive- ment fondé sur les méthodes de l'in vi- tro : le cabinet de curiosités est longtemps apparu comme l'archétype assuré de ce mode de présentation. Puis la quête de l'authentique et le goût d'un rapport plus direct avec l'objet ont conduit à montrer le spécimen bien en vie, selon la dyna- mique propre de l'in vivo : l'enclos, la cage protègent et cadrent l" objet )) - en l'occurrence, l'animal - à observer. En- fin, cet intérêt marqué pour le vivant a inéluctablement conduit à privilégier le site d'origine, où l'habitat naturel - c'est

la démarche dite de l' in si& - devient le lieu, l'espace de rencontre privilégié du visiteur et du sujet qui retient son atten- tion.

Cette trame historique des modes d'exposition des éléments naturels a per- duré, sans toutefois se plier aux règles d'un développement linéaire. Au cours des siècles derniers, chaque épisode - in vitro, in vivo, in situ -a été l'expression, certes, de nouveaux impératifs 'dans le choix des présentations, mais chacun a aussi été déterminé par les changements les plus marquants de la connaissance, dictés, on le sait, par le mouvement gé- néral de l'avancement des sciences. La ri- gueur de la démarche scientifique influe- ra alors grandement sur les modes d'ex- position dans les musées, au rythme même du renouveau constant des ap- proches de la recherche. C'est dire que l'expérience cognitive commande, jus- qu'à un certain point, les modes de pré- sentation et que, pour écrire l'histoire de la muséographie, il convient de regarderà travers le spectre des sciences, qui annon- cent son renouvellement permanent, voi- re son dépassement.

A partir du moment où le lien entre les modes d'exposition et le mouvement de la pensée est clairement établi, l'étude de la mise en espace muséale devient un

exercice de nature quasi philosophique : les schèmes de la pensée, au long des temps, provoquent le surgissement de schèmes d'exposition nouveaux. Le voir et le savoir sont alors intimement joints, et l'exploration scrupuleuse de l'un ren- seigne nécessairement sur l'autre.

Mais ces évocations d'un passé tout proche encore ne doivent pas faire obs- tacle à une démarche prospective hardie : l'avenir, sur le seul plan de la muséogra- phie, réserve bien des surprises. En effet, les nouveautés, demain, seront dues pour une part à l'émergence de nouvelles tech- nologies et à leur utilisation hypermédia- tique. Pour une part seulement : ce qui surprendra plus encore, ce sont les avan- cées dans le champ de la connaissance, et par là une approche totalement autre de la matière, un mode neufd'apprkhension de l'univers. Au point qu'il ne nous sera plus loisible de rendre compte des ma- nières du voir sans référence explicite au savoir. C'est là une évidence dont le re- gard critique ne saurait se détourner, sous peine de ne rien voir par manque de sa- voir. Puisse ce numéro de Museum inter- national aider à mieux connaître les pro- blèmes posés par l'exposition, par excel- lence instrument de communication du musée, et ainsi àresserrer toujours plus les liens avec ses publics.

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