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Emosition de sculptures en plein air, Musée K r ö k r -Müller, Otterlo Les musées disposent rarement de grands jardins, et même les plus favorisés ne sont généralement pas situés en pleine nature. Du seul fait de sa situation exceptionnelle, au milieu d’un parc national de 6 o00 hectares, le Musée d‘État ICröller-Müller paraissait donc prédestiné à servir de cadre à un essai de présentation de sculptures en plein air. Cette tentative n’était d’ailleurs pas entièrement nouvelle. Dès l’origine, Mme ICrö1- ler avait tenu à ce que le musée fût situé dans la nature et, de son vivant, quelques statues avaient déjà été placées dans le parc: sur une large étendue sablonneuse, un grand monument de Mendes da Costa en l’honneur du général sud-africain Christiaan de Wet et, dans les bois, quelques œuvres de Raedecker. Après la deuxième guerre mondiale, à la suite d’une série d’expositions, notamment dans le Battersea Park à Londres, dans le parc Sonsbeek à Arnhem et surtout dans le parc Middelheim à Anvers, on s’intéressa plus activement à la présentation de sculp- tures en plein air, et le Musée ISröller-Müller n’eut qu’à poursuivre l’expérience commencée. Mme ICröller avait cherché à faire ressortir le contraste entre la sculpture - création de l’homme - et la nature à l’état à peu près sauvage. Le directeur actuel du musee, le professeur A. M. Hammacher, a choisi délibérément le cadre d’une nature plus policée. Relativement accidenté pour les Pays-Bas, le terrain choisi représente environ 4 hectares de bois dominent le chêne et le pin. I1 se trouve immédiatement derrière le musée et a été soigneusement adapté aux exigences de la présentation des sculptures en plein air. On en a fait un jardin sans effets artificiels ; il n’y a ni tonnelles, ni allées monumentales, ni haies taillées, ni panoramas sensa- tionnels. L‘architecte paysagiste, le professeur J. T. P. Bijhouwer, a su ouvrir dans le bois une succession délicatement variée de “salles” ou de clairières disposées de manière à recevoir des sculptures. On a cherché à créer un fond d’apparence assez neutre, de même que, dans les musées, l’atmosphère est déterminée actuellement par des murs unis peints en blanc cassé ou en gris discret. Les premiers plans ont été dressés dès 19j1, à la suite d’entretiens entre le pro- fesseur Hammacher, le Dr H. J. Reinink, directeur général des arts et des relations culturelles avec l’étranger au Ministère de l’éducation, des arts et des sciences, et feu le professeur Henry van de Velde. Enfin, le 3 juin 1961, le nouveau parc a été inauguré par le ministre de l’éducation, des arts et des sciences. Le professeur Hammacher a choisi un cadre adapté à chaque sculpture, combinant avec beaucoup de finesse le plein air, la lumière, les espaces ouverts ou fermés, les contrastes et la cohésion de l’ensemble. D’une présentation souple, ne tombant ni dans le dogmatisme ni dans l’éclectisme, l’exposition ne prétend pas être complète, ce qui ne se ferait qu’au détriment de la qualité, et elle ne sacrifie pas l’expérience directe aux exigences d‘un enseignement de l’histoire de l’art. Son but est plutôt de faire naìtre un jeu de rencontres sur la base d‘une certaine affinité. Depuis 19j 3, le musée possède déjà une salle spécialement conpe pour la sculp- ture, dont les vastes parois de verre créent un accord entre l’intérieur et l’extérieurl. Les nouveaux aménagements lient intimement la “forme intérieure” à la “forme extérieure”, le biìtiment au parc. Qu’elles soient exposées dans les salles ou en plein air, les sculptures font partie d’un seul et même musée. Ce contact est encore ren- forcé par une collection de plus en plus importante de dessins de sculpteurs, à laquelle on a déjà consacré quelques salles. Un nouveau passage (fig. IS), qui longe la salle des sculptures, mène à une grande terrasse entourée de verdure2 ; celle-ci sert de transition entre l’architecture et la nature (fig. IS). commence le parcours entre les cWérentes pelouses, sont exposées cinquante et une sculptures dont la plupart ont été acquises au cours des deux dernières années. Le choix des œuvres ne procède pas d‘une préférence marquée pour un pays ou une génération, ni d’un penchant décisif pour le figuratif ou l’abstrait, mais l’ensemble par R. W. D. OXENAAR r X. RIJKSMUSEUM KR~LLER-M~LLER, Otterlo. Nouvelle entrée du music. r8. New entrance to the museum. I. Voir MUSEUM, vol. VIII, no I, I y 5 5, p. 70. 2. Cette terrasse a été conçue par l’architecte N. J. Habraken, en consultation avec le pro- fesseur P. Donk. 9I

Exposition de sculptures en plein air, Musée Kröller-Müller, Otterlo

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Emosition de sculptures en plein air, Musée K r ö k r -Müller, Otterlo

Les musées disposent rarement de grands jardins, et même les plus favorisés ne sont généralement pas situés en pleine nature. Du seul fait de sa situation exceptionnelle, au milieu d’un parc national de 6 o00 hectares, le Musée d‘État ICröller-Müller paraissait donc prédestiné à servir de cadre à un essai de présentation de sculptures en plein air.

Cette tentative n’était d’ailleurs pas entièrement nouvelle. Dès l’origine, Mme ICrö1- ler avait tenu à ce que le musée fût situé dans la nature et, de son vivant, quelques statues avaient déjà été placées dans le parc: sur une large étendue sablonneuse, un grand monument de Mendes da Costa en l’honneur du général sud-africain Christiaan de Wet et, dans les bois, quelques œuvres de Raedecker. Après la deuxième guerre mondiale, à la suite d’une série d’expositions, notamment dans le Battersea Park à Londres, dans le parc Sonsbeek à Arnhem et surtout dans le parc Middelheim à Anvers, on s’intéressa plus activement à la présentation de sculp- tures en plein air, et le Musée ISröller-Müller n’eut qu’à poursuivre l’expérience commencée.

M m e ICröller avait cherché à faire ressortir le contraste entre la sculpture - création de l’homme - et la nature à l’état à peu près sauvage. Le directeur actuel du musee, le professeur A. M. Hammacher, a choisi délibérément le cadre d’une nature plus policée. Relativement accidenté pour les Pays-Bas, le terrain choisi représente environ 4 hectares de bois où dominent le chêne et le pin. I1 se trouve immédiatement derrière le musée et a été soigneusement adapté aux exigences de la présentation des sculptures en plein air. On en a fait un jardin sans effets artificiels ; il n’y a ni tonnelles, ni allées monumentales, ni haies taillées, ni panoramas sensa- tionnels. L‘architecte paysagiste, le professeur J. T. P. Bijhouwer, a su ouvrir dans le bois une succession délicatement variée de “salles” ou de clairières disposées de manière à recevoir des sculptures. On a cherché à créer un fond d’apparence assez neutre, de même que, dans les musées, l’atmosphère est déterminée actuellement par des murs unis peints en blanc cassé ou en gris discret.

Les premiers plans ont été dressés dès 19j1, à la suite d’entretiens entre le pro- fesseur Hammacher, le Dr H. J. Reinink, directeur général des arts et des relations culturelles avec l’étranger au Ministère de l’éducation, des arts et des sciences, et feu le professeur Henry van de Velde. Enfin, le 3 juin 1961, le nouveau parc a été inauguré par le ministre de l’éducation, des arts et des sciences.

Le professeur Hammacher a choisi un cadre adapté à chaque sculpture, combinant avec beaucoup de finesse le plein air, la lumière, les espaces ouverts ou fermés, les contrastes et la cohésion de l’ensemble. D’une présentation souple, ne tombant ni dans le dogmatisme ni dans l’éclectisme, l’exposition ne prétend pas être complète, ce qui ne se ferait qu’au détriment de la qualité, et elle ne sacrifie pas l’expérience directe aux exigences d‘un enseignement de l’histoire de l’art. Son but est plutôt de faire naìtre un jeu de rencontres sur la base d‘une certaine affinité.

Depuis 19j 3, le musée possède déjà une salle spécialement conpe pour la sculp- ture, dont les vastes parois de verre créent un accord entre l’intérieur et l’extérieurl. Les nouveaux aménagements lient intimement la “forme intérieure” à la “forme extérieure”, le biìtiment au parc. Qu’elles soient exposées dans les salles ou en plein air, les sculptures font partie d’un seul et même musée. Ce contact est encore ren- forcé par une collection de plus en plus importante de dessins de sculpteurs, à laquelle on a déjà consacré quelques salles.

Un nouveau passage (fig. IS), qui longe la salle des sculptures, mène à une grande terrasse entourée de verdure2 ; celle-ci sert de transition entre l’architecture et la nature (fig. IS). Là commence le parcours entre les cWérentes pelouses, où sont exposées cinquante et une sculptures dont la plupart ont été acquises au cours des deux dernières années.

Le choix des œuvres ne procède pas d‘une préférence marquée pour un pays ou une génération, ni d’un penchant décisif pour le figuratif ou l’abstrait, mais l’ensemble

par R. W. D. O X E N A A R

r X. RIJKSMUSEUM KR~LLER-M~LLER, Otterlo. Nouvelle entrée du music. r8. New entrance to the museum.

I. Voir MUSEUM, vol. VIII, no I, I y 5 5 , p. 70. 2. Cette terrasse a été conçue par l’architecte

N. J. Habraken, en consultation avec le pro- fesseur P. Donk.

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donne dès maintenant un aperp - limité mais clair - des courants et des person- nalités de la sculpture moderne depuis Rodin.

Les anciens et les jeunes vivent ici en bonne intelligence: d'abord, le groupe apollinien de Hepworth, Aeschbacher, Arp et Panl. De là, le regard se porte vers la grande pelouse voisine, où il rencontre les Oeuvres dionysiaques de Lipchitz (Chmt des zio_yelZes), Maillol, Bourdelle (Pénélape), Rodin, Permeke, Wotruba et Couzijn (fig. 21). Par une petite allée ornée d'ceuvres figuratives de moindre format, notam- ment d'Epstein et de Wouters, on atteint un espace découvert dominé par la grande statue de pierre blanche : J.nstl'3 e t Nolopheme de Martini ; quelques autres sculptures italiennes ont aussi trouvé là leur climat. A côtt de ces grands espaces qui forment le centre du parc, il y a deux pelouses plus petites et un paisible vallon où, à côté de Lipchitz, Laurens, Mastroianni et Pevsner, le ton est donné par des artistes plus jeunes ou moins connus : les Anglais Chadwick, Paolozzi et Richmond, l'Alle- mand Otto Freundlich, trop longtemps oublié, l'Italien Mannucci, le Grec de Vienne Avramidis, l'Israélien de formation fransaise Haber.

Enfin, au point le plus haut du parc, dans une petite clairière se trouve une Figm cotichée, Oeuvre récente de Henry Moore (fig. 20). C'est ici, semble-t-il, qu'un musée a réalisé pour la première fois une présentation permanente de sculptures en plein air dans un cadre digne des œuvres.

[ Tradtlit dit néerlmdais]

I. La Stile d'deschbacher et la Sc4bfitre Jot- tar& de Marta Pan ont été consues spécialement pour être placées aux endroits où elles se trouvent dans le parc.

Open-air sculpture exhibition, Kröller -Müller Museum, Otterlo

by R. W. D. O x E N A A R Museums seldom have large gardens and those that have are rarely situated in the open countryside. The I<röller-Müller National Museum, if only because of its exceptional setting in the heart of a national park of I~,OOO acres seemed predestined as a place for experimenting with the exhibition of sculpture in the open air.

But let us trace the events that led up to this. From the first, Mrs. ICrÖller wished her museum to be situated in natural surroundings, and even during her lifetime a few statues were placed in the park; on a broad stretch of sand, a large statue in memory of the South African General Christiaan de Wet by Mendes da Costa, and in the woods, several works by Raedecker. After the second world war, public interest in the open-air exhibition of sculpture was aroused by a series of exhibitions -in Battersea Park in London, for instance, in the Sonsbeek Park at Arnhem, and, more particularly, in the Middelheim Park in Antwerp; it was natural that the ICröller-Müller Museum should follow suit.

&Irs. Kröller had sought to contrast sculptures-product of human workman- ship-with nature still untamed. The present director, Professor A. M. Hammacher, has deliberately chosen a more ordered natural setting. Some ten acres of what, for the Netherlands, is quite hilly land, thickly wooded with oak and fir and lying directly behind the museum, were chosen and adapted for the open-air exhibition of sculpture. It is now a garden without artificial effects, without bowers, monu- mental avenues, trimmed hedges or dramatic vistas. The landscape architect, Pro- fessor J. T. P. Bijhouwer, has managed to open out in the forest a delicately varied series of "galleries", that is to say, open glades, for the exhibition of sculpture, appropriately neutral on a background, just as nowadays in museums this quality is sought by painting walls in an off-white or a discreet shade of grey.

The first plans drawn up in 195 I were the fruit of discussions between Professor Hammacher, Mr. H. J. Reinink, Director-General of Art and Foreign Cultural Relations at the Ministry of Education, Arts and Sciences and the architect of the

Z9. RIJKSMLISEWM ISRÖLLER-M~LLER, Otterlo. La terrasse. 19. The terrace.

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museum, the late Professor Henry van de Velde. Ten years later, on 3 June 1961, the new park was finally declared open by the Minister of Education, Arts and Sciences.

With the greatest finesse, Professor Hammacher has chosen as a setting for each statue just the right combination of open air and light, space and confinement, contrast and cohesion. Flexible in arrangement and avoiding the two extremes of dogmatism and eclecticism, the exhibition makes no attempt to be complete (it could be so only at the expense of quality), nor does it sacrifice direct aesthetic experience to the didactic requirements of the history of art. .It aims rather at achiev- ing an interplay of encounters proceeding from certain affinities.

Since 19j3 the museum has had a special sculpture gallery with walls entirely of glass, thus bringing outdoors and indoors into close c0mmunion.l The arrange- ment creates an organic link between “interioryy and “exterior” form, the building merging naturally into the park, and, whether outside or indoors the sculptures form part of onesingle museum. This contact is strengthened by a growing col- lection of sculptors’ sketches ; already certain galleries are entirely reserved for these.

A new entrance (fig. 18) next to the sculpture gallery leads to a large terrace, completely enclosed by greenery ; 2. the terrace serves as a bridge linlcing the archi- tectural with the natural setting (hg. 19). From there begins the tour along the different lawns, on which 5 1 statues are now exhibited, most of them acquired in the last two years.

The exhibits have been chosen with no marked preference for any nationality or generation, or as between the figurative and the abstract, yet the collection as a whole constitutes a brief but clear synopsis of the trends and personalities in modern scubture since Rodin.

20. RIJKSMUSEUM KR~LLER-MÜLLER, Otterlo. Clairikre avec la sculpture d‘Henry Moore : F&we corichie. 20. Glade with Henry Moore’s sculpture Rediti- àng/”is.ru.

I. MUSEUM, Vol. VIII, No. I, 1915, p. 70. 2. This was designed by the architect,

N. J. Habraken, in co-operation with Professor P. Donk.

I Y5

21. RIJKShKISEUM KR~LLER-MULLER, Otterlo. Vue générale des deus premieres pelouses: de gauche droite, ceuvres de: Wotruba, Figwe deboirf ; Permeke, Nìobé; Bourdelle, Pénélope ; Marta Pan, Scia(ptwe flottante ; Aeschbacher, Conzposifioti ; Lipchitz, Le chatif des eyelles. zr . General view of the first two lawns. From left to right : Wotruba, Statidìtgjgwe ; Permeke, Ariobe ; Bourdelle, Penelop ; Marta Pan, Floatitg scz@tïm ; Aeschbacher, Composìon ; Lipchitz, Song of flle uoasels.

I. Aeschbacher’s Sieh and Marta Pan’s Floatìtg Sr@tiare were specially conceived for these particular spots in the park.

Here, the older generations and the younger live together in harmony: first the Apollonian group of Hepworth, Aeschbacher, Arp and Pan.l From these the attention moves naturally to the adjacent large lawn and the Dionysiac works of Lipchitz (The Song of the Vowels), Maillol, Bourdelle (Penelope), Rodin, Permeke, Wot- ruba and Couzijn (fig. 21). Following a wooded path where smaller figurative works from Epstein, Wouters and others are shown, one comes to a wide open space dominated by the large white stone statue of Ji&% atid Holofernes by Martini; other Italian sculptures also find here their appropriate atmosphere. Skirting these large spaces in the centre of the park, are two smaller lawns and a quiet valley where, though Lipchitz, Laurens, Mastroianni and Pevsner are represented, the tone is mainly set by younger and less known artists, such as the English sculptors Chad- wick, Paolozzi and Richmond, the long forgotten German Otto Freundlich, the Italian Mannucci, the Viennese Greek Avramidis and the French Israeli, Haber.

Finally, in a glade at the highest point of the garden, one finds a recent Reclining Figi4re by Henry Moore (fig. 20).

Here, and probably for the first time, a museum has presented a permanent exhibition of sculpture in the open air in a setting worthy of the works themselves.

[Translated from the Dutch]

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