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Extrait de la publication - Decitre.fr : Livres, Ebooks, … · 2013-09-20 · les premiers échanges, ... plante devant la télévision pour suivre les ébats imaginaires d’amants

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C O L L E C T I O N F O L I O

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Salim Bachi

Le chien d’Ulysse

Gallimard

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© Éditions Gallimard, 2001.

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Salim Bachi est né en 1971 en Algérie. Il vit en France depuis1997. Le chien d’Ulysse a obtenu la bourse Goncourt du PremierRoman, le prix littéraire de la Vocation et la bourse prince Pierrede Monaco de la Découverte en 2001, et La Kahéna le prix Tro-piques en 2004.

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à Olivier Todd

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I

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Forteresse hérissée d’immeubles branlants, detoits aux arêtes vives, où flottent d’immensesétoffes blanches, rouges, bleues, vermeilles, quidans le ciel s’évaporent et se découpent sur lesnuages, oripeaux d’une ville insoumise, indomp-table, cité en construction et pourtant ruinée,Cyrtha luit, dominant terres et mers infinies.

Sous le soleil tamisé par le lin et la laine,dégringolent les terrasses aux carreaux amarante,

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brisés par des générations de femmes chamailleu-ses, d’épouses volages, de répudiées recomptantenfants et orteils, de veuves taraudées par lachair qui se consume entre leurs cuisses, de fillesflattant de la main un jeune sein durci par leregard des mâles fatigués de naviguer entre despostérieurs, poupes sans espoir d’abordage sinonà travers les brumes de leurs rêves humides,hommes-galères aux échouages apocalyptiques, setraînant en crabe, mains dans les poches, sanspaletot ni idéal, à travers les rues pavées deCyrtha, sombres comme des grottes avec des

perspectives sur l’océan des songes, ultime espoird’une humanité aiguillonnée par ses fléaux. Onse souvient encore de la grande peste, introduitepar des prisonniers espagnols, ou du typhus dontles poux vaillants partirent guerroyer sur les rou-tes d’Europe pendant la seconde hécatombe dusiècle.

La mer seule permet aux captifs de la villed’espérer un jour échapper au cauchemar detrois mille années placées sous le poids desconflits. Invasions, dévastations, mouvementsde populations et pogroms marquèrent au rougela mémoire ancestrale d’un peuple devenu crain-tif au point de guetter les constellations et leurconjonction pour en extrapoler de futures cala-mités. Le lointain octroyé par les masses glau-ques exerce sa fascination de charmeur deserpents qui, envoûtés, partent pour essaimerles confinsÞ: terres inconnues, mondes neufsdont la construction ne se perd pas dans les

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limbes ou l’enfer des consciences, en une obscurerégion de l’âme où se confondent les filiations,les premiers échanges, les valeurs antiques, oùla loi du père n’a pas été transcrite en signescunéiformes.

Dans Cyrtha de longue et triste renommée,ma ville j’en conviens, grouille une humanitédont le passé écrase la mémoire. Ici, vont etviennent les marchands de tapis dont le bazarincontrôlé menace d’engloutir sous ses effets troisquartiers, deux avenues, un parc. Ici, chante unpeuple de vagabonds, d’enfants sales, batailleurs,

qui mendient le pain d’une journée, soulagentles bourses des nantis — littéralement et danstous les sens — pour ensuite en remettre l’usu-fruit aux souteneurs du Bas-Cyrtha, quartiercélèbre pour ses hétaïres venues des cinq conti-nents, descendantes des captives barbaresques,turques, mongoles, gardiennes immémoriales dutréponème pâle et de ses actions pernicieuses,violentes et exaltantes, sur la population mâlede la ville, je m’emporte, je le sens, mais célèbreaussi pour ses bandits d’honneur, fiers homon-cules, bigles, chassieux, fourbis de longs cou-teaux, hérissés des pieds à la tête, amoraux,caractéristique qui leur permit au cours desâges de fournir aux insurrections les meilleurssoldats, de marier le proxénétisme et le martyreavec une allègre facilité, puisque, tout d’unepièce, ils tombaient dans l’angélisme avec la grâceaérienne d’un plongeur poursuivant une médailleolympique. Personne ne l’ignore, les idéaux des

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voyous, ces platoniciens intégristes, sont la beautéet la justice.

Cyrtha, que ni moi ni Mourad n’avons vue sur-gir des eaux, Cyrtha grosse de tous les méfaits,des exactions de ses tortionnaires, flics, terroris-tes, corrompus, taupes de la Force militaire dontun affidé, le commandant Smard, ne nous quitteplus — sans doute cherche-t-il de nouvellesrecrues —, Cyrtha envahit de toute la force deses ruelles, de son fleuve de pierre, de ses cata-ractes d’immondices, de nuit, ma cervelle étroite,qu’on me pardonne, il se fait tard, je suis assoupi,

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il est quatre heures du matin, j’entends grincerle portail dans le jardin, l’ancien moudjahid, monpère, rentre chez lui, mon chien aboie, la portede la maison s’entrouvre…

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Cyrtha déploie son ombre sur toutes les facesde cette terre ingrate, sur les ravines aux nomsévocateurs de guerrières antiques, de mara-bouts atteints de folie, de poètes andalous dontle chant se répercute encore sur les parois cal-caires, sur les cours d’eau mêlés au clapotis del’onde, et même, par temps de grand vent —nous ne nous expliquons pas ce phénomène —,sur la mer agitée, furieuse. Plusieurs ponts relient

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les ravins entre eux, tissant une toile infinie surles habitants du Rocher, captifs, emmurés dansle dédale de ses rues, enfouis dans les entraillesde ses venelles.

Chaque matin, Mourad et moi, médusés,observons la ville dressée contre le ciel. Souvent,nous longeons la grève en quête d’un ailleurs.Brun, les cheveux bouclés, Mourad, pour sedonner un genre, courbe le buste en marchantsur le sable. Par-delà les vagues, l’hiver, emmi-touflés dans d’épais anoraks, nous cherchons àsaisir les contours sombres d’un continent neuf,

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d’une terre insoumise. Nous partirons, avant demourir, jurons-nous en regardant les masses liqui-des chevaucher les récifs en archipels. Recueillis,nous écoutons le chant des sirènes pendant queBéhémot lève ses armées et habille ses légions.

Sur les hauteurs de Cyrtha-Belphégor, àl’endroit où les rues dessinent des cercles concen-triques, demeurent les riches commerçants dela ville, les dignitaires d’un régime corrompu,les luxurieux, les avaricieux, les hypocrites, leslâches, les orgueilleux, les traîtres. L’hôtel Hash-hash, où je travaille le soir, s’élève dans l’un deces cercles.

Des cheveux blonds, des yeux noisette, unvisage avenant m’eussent assuré, ailleurs, la bien-veillance des femmes. Dans Cyrtha, la femelle,enrégimentée, vit en cage. Je ne manque pas decœur. Affligé d’une famille pléthorique, je medémène pour creuser ma voie. Je cherche de la

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quiétude en pleine tourmente. Vaine recherche.Les considérations d’un nourrisson ne vont pasplus loin que son bol alimentaire ou fécal. J’enveux à ma mère, à mon père aussi, de m’avoirconçu si nombreux. Mourad envie mon étatd’aîné noyé dans la multitude. Mourad est filsunique, un vrai de vrai, une hérésie dans cemagnifique coin de terre. MagnifiqueÞ? mon cul,oui.

Parfois je me laisse aller à des écarts de langage.Essayez de conserver votre vernis d’éducationquand votre frère de trois ans tente d’escalader

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le promontoire de votre jambe en s’agrippant àvos cheveux, quand votre sœur de quinze ans seplante devant la télévision pour suivre les ébatsimaginaires d’amants égyptiens décatis, quandvotre mère vous maudit parce que selon ellevous engloutissez la fortune familiale en dévo-rant comme un cannibale. Considérez tout cela.Si le cœur vous en dit encore, jetez-moi la pierre,l’eau du bain et la femme adultère à la figure.

Souvent, la nuit, avant le retour de mon père,j’allume la télé. J’emploie des ruses d’Indien surle sentier de la guerre pour procéder sans bruitet ne pas réveiller mon frère. Nous dormons dansle salon, sur des matelas en laine. Quand j’y par-viens, cœur battant, j’observe les relations char-nelles, ô tristement charnelles, d’acteurs montéscomme des chevaux, justement chevauchant degentes dames à la croupe rebondie.

Si par miracle mon frère ne s’est pas réveilléentre-temps, si ma mère, prise d’une envie sou-

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daine de chocolat — elle est encore enceinte —,ne s’est pas jetée dans le salon en quête du pré-cieux aliment, si ma sœur somnambule n’a pasgrimpé sur le placard en poussant de grandscris de putois en rut, si aucun de ces plats évé-nements ne s’est produit pendant le visionnagedu film, une splendide érection soulèvera ledrap blanc qui me couvre des pieds à la tête. Ilfaudra me munir alors de patience, déployerune intelligence de chacal, pour traverser dansl’obscurité le couloir qui me mènera au para-disÞ: j’y déverserai mon foutre.

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La semaine dernière, sur le chemin des toi-lettes, je me suis étalé au milieu de l’attirailde mon père. Bien entendu, toute la maisonnéemonta en ligneÞ; je me vautrais lamentablemententre un fusil-mitrailleur, un automatique, unecartouchière et une érection monumentale.

— SaligaudÞ! hurla ma mère, au bord de lacrise hystérique.

Mon père, digne, s’en alla dormir. Mes frèreset mes sœurs examinaient mon anatomie enpouffant de rire. La télé grésillait dans le salon.Bitte en berne, je repartis me coucher, non sansavoir donné un grand coup de pied dans l’écran.Une jeune femme me regarda en gémissant deplaisir.

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D U M Ê M E A U T E U R

Aux Éditions Gallimard

LE CHIEN D’ULYSSE, roman (Folio n°Þ5616). Prix littéraire de

la Vocation. Bourse Goncourt du Premier Roman. Bourse prince

Pierre de Monaco de la Découverte.

LA KAHÉNA, roman, prix Tropiques 2004.

TUEZ-LES TOUS, roman (Folio n°Þ4649).

LES DOUZE CONTES DE MINUIT, nouvelles.

LE SILENCE DE MAHOMET, roman (Folio n°Þ4997).

AMOURS ET AVENTURES DE SINDBAD LE MARIN,

roman.

Aux Éditions du Rocher

AUTOPORTRAIT AVEC GRENADE, récit.

Aux Éditions Grasset

MOI, KHALED KELKAL, roman.

Le chien d’UlysseSalim Bachi

Cette édition électronique du livre Le chien d’Ulysse de Salim Bachia été réalisée le 4 septembre 2013 par les Éditions Gallimard.

Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage,(ISBN : 978-2-07-045149-4 - Numéro d’édition : 249338).

Code Sodis : N54632 - ISBN : 978-2-07-248398-1.Numéro d’édition : 249340.

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