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Paul Otlet LE LIVRE SUR LE LIVRE Traité de documentation LES IMPRESSIONS NOUVELLES

Extrait du "Livre sur le livre" (presse)

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Extrait du fac-similé du "Livre sur le livre. Traité de documentation" de Paul Otlet (édité pour la première fois en 1934), préfacé par Benoît Peeters, Sylvie Fayet-Scribe et Alex Wright, paru aux Impressions Nouvelles en août 2015.

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Paul Otlet

le livre sur le livreTraité de documentation

LES I M P R E S S I O N S N O U V E L L E S

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Cet ouvrage est publié

avec l’aide de la Fédération Wallonie-Bruxelles

et avec le soutien du Mundaneum

Sauf indication contraire, toutes les illustrations de ce livre sont issues des collections de la Fédération Wallonie-Bruxelles mises en dépôt au Mundaneum à Mons. Elles ne peuvent être reproduites, même partiellement, par

quelque moyen que ce soit, sans l’autorisation écrite des propriétaires ou ayants droit.

Illustrations de couverture et de quatrième de couverture : © François SchuitenMise en page : Mélanie Dufour

© Le Mundaneum & Les Impressions Nouvelles – [email protected]

[email protected]

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Paul Otlet

Le Livre sur Le Livre

LES IMPRESSIONS NOUVELLES

Traité de documentationfac-similé de l’édition originale de 1934

Préfaces de Benoît Peeters, Sylvie Fayet-Scribe

et Alex Wright

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Les deux vies de PauL OtLetpar Benoît Peeters

La présente réédition du Traité de documentation. Le livre sur le livre marque une nouvelle étape dans la redécouverte de Paul Otlet. À la fin des années 1980, lorsque François Schuiten et moi-même avons commencé à nous intéresser au Mundaneum, le nom de son fondateur et inlassable animateur avait sombré dans un oubli presque complet, y compris à Bruxelles où il avait vécu toute sa vie. Certains, lorsque nous parlions de Paul Otlet, pensaient même que nous avions inventé cet étrange archiviste pour l’une de nos prochaines Cités obscures. Il est vrai que le seul ouvrage alors consacré au Mundaneum – celui de l’Australien W. Boyd Rayward, paru à Moscou en 1975 – était parfaitement introuvable 1. Quant aux fichiers du « Répertoire bibliographique universel » et aux documents de toute sorte réunis au Palais Mondial, ils avaient été transférés plusieurs fois dans des locaux peu adaptés. À chaque déménagement, des pans entiers des collections avaient disparu. Selon le mot d’André Canonne, l’un des derniers responsables des lieux, le Mundaneum était devenu le « Juif errant de la documentation universelle 2 ».

En peu d’années, la situation s’est transformée du tout au tout. Fin 1992, les collections ont été accueillies par la ville de Mons, grâce à l’intervention de l’actuel bourgmestre Elio di Rupo. Cinq ans plus tard, en 1998, le nouveau Mundaneum s’est ouvert à Mons, dans un ancien grand magasin coopératif 3. Le lieu, qui ras-semble une bonne partie des collections amassées depuis la fin du xixe siècle, est accessible aux chercheurs tout en accueillant des expositions et des colloques. En 2002, sous le titre L’homme qui voulait classer le monde, Françoise Levie a consacré à Otlet un documentaire, bientôt suivi par une riche biographie 4. Et surtout, notam-ment grâce au travail de médiation réalisé par les équipes du Mundaneum, Paul

1. W. Boyd Rayward, The Universe of Information: The Work of Paul Otlet for Documentation and International Organization, Moscou, Institute for Scientific and Technical Information, 1975.2. Cité par Jacques Hellemans et Christian L’Hoest dans « Paul Otlet : l’universalisme », in : Cent ans de l’Of-fice International de Bibliographie, Mons, éditions du Mundaneum, 1995.3. Une excellente présentation des lieux est proposée dans l’ouvrage collectif Le Mundaneum, Les archives de la connaissance, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2008.4. L’homme qui voulait classer le monde, Paul Otlet et le Mundaneum, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2006.

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François Schuiten, Portrait de Paul Otlet, © François Schuiten

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Otlet a commencé à être cité, aux États-Unis et ailleurs, comme l’un des précurseurs de l’hypertexte, d’Internet et de Wikipédia. Avant même Vannevar Bush – dont le fameux article « As we may think » date de 1945 –, Otlet a entrevu les principes directeurs d’une nouvelle « machinerie pour le travail intellectuel », envisageant, comme certains théoriciens contemporains, les possibilités de l’intelligence collec-tive 5. Depuis les années 1990, tandis qu’Internet prenait une place toujours plus importante dans nos vies, les historiens ont commencé à se pencher sur son histoire et les anticipations de Paul Otlet ont enfin pris tout leur sens. Le 2 juin 2012, au World Science Festival à New York, Alex Wright a souligné l’importance des intui-tions du bibliographe belge dans le Traité de documentation, publié en 1934 6. La presse internationale s’en est largement fait l’écho.

Deux hommes de progrèsNé à Bruxelles le 23 août 1868, Paul Otlet est le fils du financier, industriel et sénateur Édouard Otlet, parfois sur-nommé le « roi des tramways ». Si Paul Otlet n’hérite guère de son goût pour les affaires, ses intérêts intellectuels et phi-lanthropiques sont précoces. En 1888, alors que la coloni-sation belge ne fait que débuter, le jeune homme publie une brochure au titre sans équivoque : L’Afrique aux Noirs. Deux ans plus tard, il obtient le titre de docteur en droit, mais le Barreau ne le passionne pas plus que les affaires. « L’argent ne représente rien pour moi, note-t-il dans son journal. Je suis intéressé par l’universel, le bien de tous. » Il se cherche un véritable but, « quelque chose de grand, de continu et d’absorbant ». Il ne tardera pas à le trouver. Stagiaire chez le juriste Edmond Picard, il commence à s’enthousiasmer pour les questions de documentation et de bibliographie.

La rencontre d’Otlet et de La Fontaine est décisive. Né en 1854, Henri La Fontaine est de 14 ans l’aîné de Paul Otlet. Docteur en droit comme lui, et comme lui ancien collaborateur d’Edmond Picard, La Fontaine est le type même du bourgeois libéral et progressiste. Il rejoint le Parti ouvrier belge en 1894 et siège au

5. Voir notamment l’article de W. Boyd Rayward « Visions of Xanadu : Paul Otlet (1868–1944) and hyper-text », in : Journal of the American Society for Information Science, vol. 45, mai 1994, p. 235-250. On pourra aussi se reporter à Alexandre Serres, « Hypertexte, une histoire à revisiter », in : Documentaliste - Sciences de l’information, Paris, vol. 32, n° 2, 1995, p. 71-83 ; Jean-Max Noyer, « Réflexions sur le développement des nouvelles mémoires collectives », in : La Bibliothèque Universelle : défis technologiques, Bruxelles, éditions du Centre de Lecture publique de la Communauté française, 1996, p. 23-30 ; Jean-Didier Wagneur, « De la numérisation à la bibliothèque virtuelle », in : Tous les savoirs du monde, Paris, Bibliothèque nationale de France - Flammarion, 1996, p. 460-461. Un riche ensemble de contributions est proposé dans l’ouvrage collectif Paul Otlet, fondateur du Mundaneum (1868-1944). Architecte du savoir, Artisan de paix, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2010.6. Ce contributeur au New York Times a dédié en juin 2014, une troisième biographie à Otlet intitulée Cataloging the world: Paul Otlet and the birth of the Information age (Oxford University Press).

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Laissez-passer de Paul Otlet à l’Exposition universelle de Bruxelles de 1897

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Sénat sous ses couleurs de 1895 à 1932. Très actif au sein de la franc-maçonnerie, il dirige plusieurs années durant la loge bruxelloise des Amis Philanthropes. Wagnérien acharné, alpiniste chevronné, La Fontaine est aussi, avec sa sœur Léonie, l’un des pionniers du mouvement féministe. Mais la grande affaire de sa vie est le pacifisme. Et curieusement, c’est pour développer ses efforts en direction d’une paix universelle que La Fontaine va rejoindre Otlet dans ses projets bibliographiques et qu’il va rester, plusieurs décennies durant, le principal bailleur de fonds du Mundaneum 7.

La bibliographie apparaît en effet aux deux hommes comme un outil essen-tiel pour favoriser la diffusion du savoir et la fraternité entre les peuples. Pour Otlet et La Fontaine, la bibliographie n’est pas une simple affaire de recension : dans la lignée de Hegel et d’Auguste Comte, ils cherchent à unifier l’ensemble du savoir mondial et à dessiner un programme pour les chercheurs de toutes les disci-plines. Le 14 septembre 1895, l’Office international de bibliographie (OIB) est fondé à Bruxelles. Le but est grandiose : « cataloguer intégralement la production bibliographique de tous les temps, de tous les lieux, sur toutes matières », bref établir un Répertoire bibliographique universel (RBU). S’inspirant de la méthode de l’Américain Melvil Dewey, l’Office adopte la Classification décimale universelle, toujours en vigueur aujourd’hui. Et pour per-mettre les intercalations, Otlet propose la fiche de 12,5 sur 7,5 cm, qui s’impose durablement. « Le principe de la fiche nous enchantait, écrira-t-il. Facilité de com-mencer le travail par où il était le plus facile, extension indéfinie de la collaboration, corrections, additions, remaniements toujours possibles 8. »

Les premières années, le travail avance à un rythme soutenu. En 1897, le Répertoire comprend déjà 1 500 000 fiches. En 1900, l’Office international de bibliographie obtient un Grand Prix à l’Exposition universelle de Paris en présen-tant une partie des répertoires originaux, dans les meubles spécialement dessinés par Otlet. En 1903, un accord est passé avec la Library of Congress de Washington

7. Pour plus de détails sur Henri La Fontaine, je renvoie à l’ouvrage Henri La Fontaine, Prix Nobel de la paix en 1913. Un Belge épris de justice, Bruxelles, éditions Racine, 2012.8. Paul Otlet, notes personnelles, archives du Mundaneum, Mons.

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François Schuiten, Portrait d’Henri La Fontaine, © François Schuiten

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pour la mise en dépôt réciproque d’un double des fiches réalisées par les deux éta-blissements. Mais en ces premières années du xxe siècle, le nombre de publications commence à croître à un rythme exponentiel, beaucoup plus vite que la producti-vité des calligraphes. Le retard se creuse, d’autant que le cadre du projet ne cesse de s’étendre. Ce ne sont plus seulement les livres, mais tous les supports d’information, toutes les formes de documents – journaux, affiches, dessins, photographies, etc. – que Paul Otlet veut désormais répertorier. Avec La Fontaine, il fonde un grand nombre de nouvelles associations, dont le Musée du livre, le Musée international de la presse, l’Office de documentation féminine. Et bientôt, pour fédérer toutes ces initiatives, l’Union des associations internationales. « Partis de la Bibliographie, nous aboutissions à l’internationalisme. Organiser toutes les forces humaines pour une meilleure humanité, tel était le but général… » D’un simple outil de classe-ment, Otlet et La Fontaine sont passés à une véritable grille de compréhension du monde.

Inlassable militant pacifiste, animateur des conférences internationales de la Haye, La Fontaine reçoit le Prix Nobel de la paix en 1913. L’année est bien mal

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Le Répertoire bibliographique universel, vers 1900

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choisie. La Première Guerre mondiale porte un coup terrible aux projets des deux hommes, tout en les renforçant dans leurs convictions pacifistes. En exil à Londres, puis aux États-Unis, La Fontaine publie un ambitieux plaidoyer pour les bases d’une paix future sous le titre Magnissima Charta. Quant à Paul Otlet, qui perd un de ses fils sur le front de l’Yser, il réfléchit dès 1914 aux bases d’une future Société des Nations (SDN).

De la fiche à la Cité mondialeAu lendemain de la guerre, l’heure paraît favorable aux institutions interna-

tionales. Le conflit qui vient de ravager l’Europe, et dont la Belgique a particuliè-rement souffert, rend plus évidente que jamais une nouvelle coopération entre les États. Forts de leurs vingt années d’efforts, Otlet et La Fontaine bénéficient d’im-portants soutiens au sein du gouvernement belge et auprès du roi Albert.

En 1920 s’ouvre au Palais du Cinquantenaire, sous le nom de Palais Mondial, un curieux temple dédié au savoir, à l’enseignement et à la fraternité universelle, destiné à accueillir et diffuser les fonds documentaires rassemblés avant la guerre. Paul Otlet a encore étendu les dimensions de son projet. Il en est per-suadé, les musées doivent devenir « des livres à trois dimensions, comme les livres transformés par leurs abondantes illustra-tions sont devenus de véritables musées graphiques ». Ébauche du « Musée uni-versel encyclopédique » dont il rêve, le Palais Mondial tente de faire connaître, à travers une centaine de salles quelque peu bricolées, la civilisation de tous les pays. On y trouve des cartes et des tableaux didactiques, mais aussi des objets arrivés d’un peu partout : graines de plantes du Brésil, défenses de phacochère, revolvers de la Fabrique nationale de Herstal…

Comme toujours, Paul Otlet voit déjà plus loin. Dans la lignée des Expositions universelles, il veut édifier un grand centre permanent, abritant de nombreux musées, bibliothèques et sièges d’institutions internationales. Vivant au milieu des fiches, Otlet veut penser le monde. Absorbé par une tâche de calligraphe dont il sent confusément qu’il ne pourra venir à bout, il se lance dans une fuite en avant de plus en plus éperdue. À la mesquinerie de son quotidien, aux tracasseries dont il commence à être victime, il oppose une rêverie de plus en plus grandiose.

IX

Paul Otlet (au centre) et Henri La Fontaine (à droite) devant l’entrée du Palais Mondial au Palais du Cinquantenaire à

Bruxelles, sans date

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C’est dès 1912 que l’idée de créer de toutes pièces une « Cité mondiale » est devenue son obsession principale. La rencontre avec le sculpteur norvégien Hendrik

Andersen lui a permis de proposer une première concré-tisation de cette vision. Pacifiste et internationaliste aussi convaincu qu’Otlet et La Fontaine, Andersen a publié en 1913, en collaboration avec l’architecte Ernest Hébrard, un superbe album intitulé « Création d’un centre mondial de communication » 9. Grandiose et symétrique, sculptural et symbolique, ce projet d’une « capitale du monde » créée ex nihilo est l’une des expressions les plus remarquables de l’utopie urbanistique du début du xxe siècle. On en trouve des images dans la plupart des histoires de l’architecture, mais généralement sans qu’il soit fait la moindre réfé-rence au rôle joué par Paul Otlet. C’est lui pourtant qui

9. Très lié à Henry James, Hendrik Andersen est un personnage hautement romanesque, dont l’histoire méri-terait d’être racontée en détail. Je me permets de renvoyer à l’ouvrage déjà cité de Françoise Levie, L’homme qui voulait classer le monde, et particulièrement aux pages 128-141.

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Salle du Musée international consacrée à l’Espagne, 1927

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poussa Andersen à publier son ouvrage, avant de se battre pour tenter de faire construire ce prolongement tridimen-sionnel de ses rêves de bibliographe. Otlet en est profondément persuadé : « La Cité mondiale, observatoire et miroir de la vie nouvelle du monde, serait éta-blie en un lieu exterritorialisé. Elle serait pour les affaires temporelles ce que sont la Cité vaticane et les cités religieuses de La Mecque, Jérusalem et Bénarès pour les affaires spirituelles. La Cité mondiale sera un livre colossal, dont les édifices et leurs dispositions – et non seulement leur contenu – se liront à la manière dont les pierres des cathédrales se “lisaient” par le peuple au Moyen-Âge. Et ainsi vraiment une édification immense s’élèverait avec le temps : de la fiche à la Cité mondiale 10. »

Dès 1918, Otlet cherche à lier le projet de la Cité mondiale et celui de la Société des Nations ; le siège de cette dernière serait situé au cœur de la capitale internationale qu’il appelle de ses vœux. Otlet insiste sur les avantages présentés par Bruxelles, avec des arguments assez semblables à ceux qui prévaudront quarante ans plus tard, quand on fera de Bruxelles le siège des institutions européennes. En novembre 1920, le choix définitif de Genève comme siège de la SDN le déçoit profondément, mais ne suffit pas à le décourager. Puisque Bruxelles n’en a pas voulu, c’est Genève qui accueillera la Cité mondiale… Et puisqu’Andersen ne jure plus que par la Rome mussolinienne, c’est Le Corbusier qui dessinera de nouveaux plans. Entre l’homme du xixe siècle que Paul Otlet reste à bien des égards et le plus moderniste des architectes du moment, le rapprochement peut paraître paradoxal. Toujours est-il qu’en février 1928 Otlet signe une pétition internationale en faveur du projet de Le Corbusier pour le siège de la SDN. Une correspondance suivie s’en-gage entre l’architecte et le bibliographe. Si différents soient-ils, ils partagent une même passion de l’ordre et du classement, et une même foi dans l’avenir. Habitué aux propositions utopiques et aux manifestes idéologiques, Le Corbusier semble trouver son compte dans les visions grandioses de Paul Otlet. Sans doute espère-t-il aussi, grâce au vaste projet qu’il dessine, augmenter ses chances d’être choisi pour la construction du Palais des Nations.

Sur la seule foi de quelques encouragements verbaux, Paul Otlet engage Le Corbusier à donner au projet une dimension colossale, en renouant avec l’ampleur de la Cité mondiale d’Andersen. Telle qu’il la conçoit en 1929, cette Cité doit avoir

10. Paul Otlet, Traité de documentation. Le livre sur le livre, Bruxelles, Ediciones Mundaneum, 1934, p. 419-420.

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Paul Otlet devant une maquette de la Cité mondiale, 1943

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Photographie prise lors de l’inauguration de la salle du Musée international consacrée à l’Ukraine, 1937

une superficie de 566 520 hectares pour un budget total de 5 milliards de francs or ! En ce qui concerne le financement de l’opération, Paul Otlet est beaucoup plus vague : l’édification devrait se faire « à l’aide de fonds à récolter par souscription mondiale ». En dépit d’une propagande intense, le projet ne tarde pas à s’enliser.

À Bruxelles, pendant ce temps, la situation tourne à la catastrophe. Dès 1922, le Palais Mondial se voit amputé de plusieurs salles. En 1924, la Foire internationale du caoutchouc impose de déménager temporairement l’ensemble des collections. 1934 est plus noir encore : sur ordre du gouvernement belge, le Palais Mondial doit fermer ses portes, et c’est dans sa propre maison, avec ses derniers fidèles, que Paul Otlet continue le travail.

Les tensions politiques de la fin des années 1930 achèvent de désorienter le chantre du Mundaneum. Otlet songe à transférer cette « Arche moderne » en Amérique pour la protéger de la destruction : un télégramme, envoyé au président Roosevelt le 15 avril 1939, reste bien sûr sans réponse. Rongé par l’amertume,

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Dessin de la Cité mondiale réalisé par Hendrik Andersen en 1913

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Otlet lance des appels à tous les dirigeants de l’époque, y compris à Hitler. Mais les Allemands voient le Mundaneum d’un très mauvais œil. Le 4 mars 1941, les autorités d’occupation ordonnent une évacuation dans les quinze jours des collections toujours entreposées au Palais du Cinquantenaire. Le vieil homme consacre ses dernières forces à la création d’un Otletaneum, fondation vouée à sa propre mémoire et répertoriant tous ses papiers personnels, brouillons et jeux d’épreuves com-pris. D’universel qu’il était à l’origine, son projet s’est réduit à bien peu de choses. Comme son ami Henri La Fontaine, Otlet meurt peu avant la fin de la Seconde Guerre mondiale. Sur sa tombe, au cimetière d’Etterbeek, on peut lire ces mots : « Il ne fut rien, sinon mundanéen. »

La revanche d’OtletL’histoire de Paul Otlet ne serait que celle d’un rêveur malchanceux s’il n’avait publié en 1934 son ouvrage le plus important, Traité de documentation. Le livre sur le livre, celui où se

concentrent les éléments les plus substantiels et les plus visionnaires de sa pensée. On ne sait pas quand Paul Otlet a commencé la rédaction de cet énorme

volume. Mais dans L’homme qui voulait classer le monde, Françoise Levie a raconté comment il fut aidé dans la préparation du manuscrit et les relectures d’épreuves par une jeune Hollandaise nommée Milisa Coops. Celle qui avait alors à peine 20 ans a apporté 70 ans plus tard un précieux témoignage sur la genèse du Traité. « Quand je suis arrivée, l’ouvrage était terminé mais il devait être relu. Le professeur Otlet avait une écriture très peu lisible, ce n’était donc pas facile pour l’éditeur de déchiffrer le manuscrit. Je corrigeais les épreuves. Parfois il y avait un mot que ni l’imprimeur, ni moi, ne pouvions relire, il fallait alors demander au professeur Otlet qui, la plupart du temps, n’avait pas le temps ! Je faisais de mon mieux pour rendre le texte plus compréhensible ! J’avais des lunettes spéciales. Pendant six mois, nous avons travaillé à la même table, lui et moi, rue Fétis 11. »

Réalisé en étroite collaboration avec l’imprimeur Guillaume Van Keerberghen, le Traité de documentation fut publié par les « Editiones Mundaneum » à l’adresse du Palais Mondial. On n’a guère d’informations sur le tirage de l’ouvrage ni sur une diffusion, mais on peut supposer qu’elle resta confidentielle.

11. Françoise Levie, L’homme qui voulait classer le monde, op. cit., p. 276.

XIV

Georges Lorphèvre (à droite), qui succédera à Paul Otlet à la tête de l’Institut international de documentation, 1943

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Dans Le livre sur le livre, Otlet n’offre pas seulement aux documentalistes et aux bibliothécaires le plus complet des traités de méthodologie jamais écrit, il évoque aussi, dans les dernières sections de l’ouvrage, les « substituts du livre » que sont en train d’offrir les technologies émergentes. Dès 1906, avec l’aide de Robert Goldschmidt, Otlet s’était fait le promoteur du microfilm. Mais il veut maintenant aller beaucoup plus loin : « Coup sur coup des inventions merveilleuses sont venues étendre immensément les possibilités de la documentation. Elles ne se sont pas présentées dans le prolongement direct du développement du livre mais en quelque sorte dans son prolongement dévié : l’objet dans le musée, le télégraphe et le télé-phone, la radio, la télévision, le cinéma, les disques. Il y a là sous un certain rapport des substituts du livre, en ce sens que les procédés nouveaux permettent d’atteindre les résultats que recherche le livre (information, communication), en mettant en œuvre d’autres moyens que lui. »

Otlet s’intéresse surtout à la manière de combiner ces différents médias, en des termes qui ne peuvent aujourd’hui qu’évoquer irrésistiblement Internet. Ces quelques lignes sont devenues célèbres : « Ici, la table de travail n’est plus chargée d’aucun livre. À leur place se dresse un écran et à portée un téléphone. Là-bas au loin, dans un édifice immense, sont tous les livres et tous les renseignements… De là, on fait apparaître sur l’écran la page à lire pour connaître la réponse aux ques-tions posées par téléphone, avec ou sans fil. Un écran serait double, quadruple ou décuple s’il s’agissait de multiplier les textes et les documents à confronter simul-tanément ; il y aurait un haut-parleur si la vue devait être aidée par une donnée ouïe, si la vision devait être complétée par une audition. Utopie aujourd’hui, parce qu’elle n’existe encore nulle part, mais elle pourrait bien devenir la réalité pourvu que se perfectionnent encore nos méthodes et notre instrumentation. Et ce perfec-tionnement pourrait aller jusqu’à rendre automatique l’appel des documents sur l’écran, automatique aussi la projection consécutive… 12 » Alors que la télévision n’en est encore qu’au stade expérimental, Otlet est persuadé qu’elle ne va pas tarder à se répandre. Il imagine dès lors « le télescope électrique, permettant de lire de chez soi des livres exposés dans la salle “teleg” des grandes bibliothèques, aux pages demandées d’avance. Ce sera le livre téléphoté. » On n’est pas loin de Google Books et de Gallica.

Bientôt, assure Otlet, c’est tout le champ du savoir qui se trouvera bouleversé, dès lors qu’un « Réseau Universel d’Information et de Documentation » permettra de « relier les uns aux autres les centres producteurs, distributeurs, utilisateurs, de toute spécialisation et de tout lieu ». Une immense machinerie, formée « par la combinaison des différentes machines existantes, dont les liaisons nécessaires s’en-trevoient » suscitera « un véritable cerveau mécanique et collectif ». « Ce Réseau, de quelque manière que ce soit, doit relier les uns aux autres les centres producteurs, distributeurs, utilisateurs, de toute spécialisation et de tout lieu. Il s’agit pratique-ment que tout producteur ayant quelque donnée à faire connaître, quelque propo-sition à présenter ou à défendre, toute personne enfin puisse au moindre effort et

12. Traité de documentation, op. cit., p. 428. Les citations suivantes sont extraites du même ouvrage.

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avec un maximum de sûreté et d’abon-dance, entrer en possession de ce qui lui est offert. » Parfois, c’est Wikipédia que Paul Otlet est en train d’anticiper : « Devant l’abon-dance des documents, le besoin s’impose de les résumer et d’en coordonner les matériaux en une Encyclopédie univer-selle et perpétuelle. Une telle encyclopé-die, monument élevé à la pensée humaine et matérialisation graphique de toutes les sciences et de tous les arts est l’étape ultime. Elle aurait en fait pour collabora-teurs tous les penseurs de tous les temps et de tous les pays ; elle serait la somme totale de l’effort intellectuel des siècles. »Après l’oubli et le mépris dont Paul Otlet a été longtemps victime, il faut certes se

garder d’une surestimation de ces pages finales du Traité de documentation. Par la technologie dont il dépendait comme par ses conceptions fondamentales, Otlet appartenait au xixe siècle davantage qu’au xxie. Centralisatrice et didactique, sa pensée est bien différente des échanges hétéroclites et multidirectionnels qui se sont développés sur le World Wide Web depuis une vingtaine d’années. Le débat, la contradiction, la polémique sont presque absents de la vision d’Otlet. « Membres producteurs de l’Humanité pensante », les travailleurs intellectuels doivent selon lui coopérer harmonieusement dans leur quête de la Vérité, évitant les « doubles emplois » pour s’intéresser en priorité aux champs encore inexplorés.

Il n’en reste pas moins qu’on se prend souvent à rêver d’un autre chemine-ment de l’Histoire. Né Français, Allemand ou Anglais, ou mieux encore Américain, Paul Otlet aurait sans doute vu se concrétiser certains de ses grands projets. À cet égard, une bonne part de sa vie mériterait d’être écrite au conditionnel : la Belgique aurait pu accueillir le siège de la Société des Nations, la Cité mondiale aurait pu se construire et, loin de sombrer dans une obsession confinant au délire, Otlet aurait pu être reconnu de son vivant comme un visionnaire et un précurseur… Mais le propre d’une utopie est de ne pouvoir se transformer facilement en réalité. La seconde vie de Paul Otlet n’en est que plus extraordinaire.

XVI

« Le monde et sa classification », calque de l’Encyclopedia Universalis Mundaneum (schéma de Paul Otlet), 1944

François Schuiten, Paul Otlet et le nouveau Mundaneum, © François Schuiten

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théOrie et Pratique Par PauL OtLetpar Sylvie Fayet-Scribe

1933, les livres brûlent en Allemagne 1, le moment est venu pour Paul Otlet de rompre le silence pesant, de fonder un contre-feu inédit : un traité de documen-tation, le livre sur le livre qui affirme et développe une science passée inaperçue, la bibliologie accompagnée de la bibliométrie.

431 pages sous nos yeux pour rendre sa place à « un art informulé 2 » : celui du livre articulé au document jusque-là resté sans histoire, sans science, sans norme, sans échange avec d’autres disciplines scientifiques, sans rôle dans le développe-ment de la vie internationale : « chez 2 millions d’êtres humains, 3 continents, 60 états 3 », sans action sur les institutions, les administrations, les firmes (entre-prises), les finances, les sciences, les techniques, le commerce et l’industrie.

Car Paul Otlet nous le prouve : au sein de ces différents secteurs, dans les formidables coulisses aussi bien professionnelles que scientifiques du modernisme européen et de la société de l’information occidentale en marche 4, la documenta-tion est entrée en action, formant un homme nouveau, « une entité documentaire individuelle ».

Pour Paul Otlet, composer et transmettre ce traité, ce « manuel » permet à tout un chacun de choisir des données « organisatrices » pour son propre usage 5. Au fil du texte, le lecteur en prend conscience : deux buts sont poursuivis en paral-lèle, fonder une science et donner des savoir-faire documentaires aux usagers par « l’autodidaxie » (p. 321, 379), par l’apprentissage de la documentation dans l’en-seignement post-scolaire, dans la bibliothèque qui a un rôle social à remplir pour le plus grand nombre, et dans la documentation administrative publique ou privée « au service du public et non l’inverse » (p. 351). L’action scientifique est doublée par l’éducation populaire : « Théorie et Pratique » se trouve bel et bien être le sous-titre du traité. À chaque problème Paul Otlet propose une solution, sa pédagogie est celle de l’explicitation.

1. Paul Otlet, Traité de documentation. Le livre sur le livre, Liège, Centre de lecture publique de la communauté française de Belgique, 1989, p. 333 : « Un autodafé de 20 000 livres a eu lieu le 9 mai 1933 à Berlin ».2. L’expression « art informulé » est de Paul Otlet, Traité de documentation, op. cit., p. 395.3. Paul Otlet, Traité de documentation, op. cit., p. 19.4. W. Boyd Rayward, European Modernism and the Information Society, Informing the Present, Understanding the past, (UK), Ahsgate, 2008.5. Paul Otlet, Traité de documentation, op. cit., Introduction (hors pagination).

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Comment s’en étonner ? Otlet, pacifiste, internationaliste, promoteur de l’es-péranto a l’ambition d’un citoyen du monde et explore le terrain de l’organisation intellectuelle des étudiants aussi bien que des travailleurs. Son alter-ego et ami fran-çais, le général Hippolythe Sebert 6 qui partage les même buts, préface les Ressources du Travail intellectuel en France d’Edme Tassy. Quant à Otlet, il cite plusieurs fois l’ouvrage Organisation du travail intellectuel du docteur Chavigny, expert reconnu dans l’art de capitaliser ses savoirs : « Ranger, pouvoir les retrouver et savoir utiliser au jour voulu les matériaux acquis 7. »

Otlet n’a plus de temps à perdre, parce que le livre qui régnait en maître dans le domaine de l’imprimé se voit concurrencé par des supports nouveaux : pério-diques, photographies, microfilms, microfiches… mais aussi schémas, documents graphiques, images fixes puis animées. Des données 8 diverses qui constituent des « formes matérielles » composites voire inattendues : le dossier documentaire au sein duquel on rassemble des documents préexistants ou le dossier d’enquête com-posé de données brutes ; les objets eux-mêmes dans les musées sont devenus des documents.

Otlet se passionne pour les documents en images, il sent leur fertilité. Dans son propre traité, il les décline sous différents aspects : schémas, graphiques, tableaux,

6. Sylvie Fayet-Scribe, « Le réseau français de la bibliographie et de la documentation (1899-1930) », in : Paul Otlet, fondateur du Mundaneum (1866-1944), Architecture du savoir, Artisan de paix, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2010, p. 75-87.7. Dr Chavigny, Organisation du travail intellectuel, Recettes pratiques à l’usage des étudiants de toutes les facultés et de tous les travailleurs, Paris, Librairie Delagrave, 1918, p. 12.8. L’histoire du mot « données » dans les différents contextes employés par Otlet reste à faire : données brutes ? agrégées ? de bases ? données documentaires puis organisées ?

XIX

Panneaux de l’Encyclopedia Universalis Mundaneum consacrés à la Classification décimale universelle, sans date

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illustrations 9… Un an après cette publication, son nouveau travail le pousse vers la création d’un atlas visuel. Dépasser les frontières habituelles, dans l’espace du document (nous dirions maintenant medium) et au sein des bibliothèques (media), adopter d’autres itinéraires et réfléchir en termes de nouvelles représentations sché-matiques. Continuer vers le fol espoir d’améliorer l’humanité, de la perfection-ner grâce à l’exploitation des nouveaux supports du document… car ceux-ci sont désormais considérés comme porteurs d’une information qui peut être indexée et circuler dans « un réseau international de documentation ». Mais quels sont les acteurs de l’indexation ?

Les associations sociales ou scientifiques rassemblées au sein de l’Union des associations internationales (UAI) sont devenues de véritables coopératives de pro-duction intellectuelle (p. 401) face aux besoins des consommateurs. L’objectif est de dépouiller les périodiques, de réaliser une encyclopédie mondiale à l’aide de la Classification décimale universelle (CDU) et de guider les lecteurs grâce à des répertoires variés. Au moment où il rédige ce texte, Paul Otlet ne procède-t-il pas à l’adoption de la CDU pour sa table des matières ? Et son ouvrage ne mériterait-il pas une mise à jour permanente ?

Car ce traité est composé « à chaud » dans un moment difficile ; le gouver-nement belge demande au Palais Mondial-Mundaneum (qui comprend l’ensemble de 17 millions de pièces autour du livre et du document et où sont installés les sièges des divers instituts et associations internationales) de déménager rapidement.

9. Michael K. Buckland, « Interrogating Spatial Analogies Relating to Knowledge Organization: Paul Otlet, and Others », in : Library Trends, vol. 61, n° 2, 2012, p. 271-285.

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Panneaux de l’Encyclopedia Universalis Mundaneum consacrés à l’indexation des publications, à la rédaction des fiches bibliographiques et à la Classification décimale universelle, sans date

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Alors le texte, humain, trop humain, laisse voir quelques scories : une page oubliée, et rattrapée dans les annexes, une phrase répétée dans les bas de notes, quelques coquilles orthographiques, des illustrations sans doute revues et corrigées à la hâte. Tristes traces. Paul Otlet, passé maître dans l’histoire du livre, de ses procédés de fabrication, de diffusion, de conservation, s’est sans doute livré à une relecture trop rapide de son manuscrit. Nous ne saurons rien sur certains aspects bibliologiques de son œuvre : des brouillons de travail de ce traité ont-ils existé ? Quels choix ont été faits pour le suivi des caractères typographiques à l’imprimerie ? A-t-il eu des collaborateurs ? Comment a-t-il constitué sa bibliographie ? Comment collectait-il et traitait-il ses propres informations ? Avait-il recours à des prises de notes ciblées ? A-t-il pu contrôler sa diffusion ?

On aimerait également appliquer à ce livre la méthode de la bibliométrie et de ses indicateurs statistiques, et même ceux de la scientométrie (puis webomé-trie). Quelle a été la réception de cet ouvrage ? A-t-il été traduit à l’époque ? Et aujourd’hui ? L’absence d’un index des noms propres révèle sans doute le manque de temps. Et pourtant à travers tous les noms rassemblés 10, formidable gotha de spécialistes du livre et du document dans les années 1930, tous les aspects sont cou-verts : économiques, sociologiques, politiques, mais aussi historiques, esthétiques et psychologiques. Nous y retrouvons Nicolas Roubakine et Gabriel Tarde, reconnus aujourd’hui.

Ce panorama n’exclut pas de taire certains travaux : par exemple tout le sec-teur lié à la comptabilité, à l’école moderne, qui donnera la « classologie ». Il occulte les techniques organisationnelles de classement et de classification qui naissent dans l’univers des bureaux des années 1920-1930, autour de la revue Méthodes dirigée par Thérèse Leroy ou encore de l’organisation commerciale de Gaston Ravisse, ou Joseph Wilbois (cf. les travaux de Delphine Gardey sur le monde des bureaux). Il traite en revanche de l’activité administrative, des organismes privés ou publics, lorsque celle-ci est confiée aux soins des archivistes (cf. p. 207, p. 349). Pour Paul Otlet, ces archives courantes constituent la documentation vivante des grandes administrations (matériaux de travail futurs pour l’historien).

Paul Otlet se réfère aux grands anciens de la bibliologie et de la bibliométrie 11 familiers du monde des bibliothèques. Il évoque maintes fois les travaux de Charles-Victor Langlois et rappelle à la fois l’École des Chartes et l’École des bibliothécaires américaines à Paris. Les travaux de rationalisation, de standardisation et bien sûr de normalisation du microcosme des ingénieurs, de la science et de ses applications industrielles lui sont également familiers.

10. Où quelques femmes se croisent avec beaucoup d’hommes : Marie Bethmann (p. 32), Mlle Kipiani (p. 66), Mme de Staël (p. 86), Mlle de Scudéry (p. 189) – la carte du tendre comme forme de synthèse – Alice Alickon (p. 198), Camille Auclair (p. 211), Margaret Mann (p. 308), Mary Wilson (p. 308), Mlle Tordeus (p. 323), Julia Petter (p. 380).11. Robert Estivals, « Paul Otlet dans l’histoire de la bibliologie », in : Cahiers de la documentation – Bladen voor documentatie, 2, 2012, p. 67-70.

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Mais pour établir la synthèse nécessaire, dans la cinquième partie, on le voit définitivement ouvert à d’autres disciplines : mathématiques (il souligne le rôle fondamental de l’algorithme), mécanique (afin de résoudre le continuum espace-temps), physique et chimie (pour s’inspirer de leurs lois), psychologie (afin d’étu-dier l’équilibre nécessaire à la réception du lecteur), sociologie (pour la coopéra-tion documentaire dans les groupes humains), métaphysique et théologie (pour la conscience morale des nouveaux phénomènes vécus en société). À l’injonction scientifique : un objet, une méthode, des lois, il répond par des faits, des principes, des règles.

En 1937, au Congrès mondial de la documentation à Paris, les termes « Science de l’information » commencent à être employés. Après la Seconde Guerre mondiale, un nouveau bond en avant se produit grâce à une bibliothécaire respon-sable de la création de la salle de bibliographie à la Bibliothèque nationale de Paris : Suzanne Briet 12.

Ironie ou respect ? Dans ses mémoires, Suzanne Briet surnomme Paul Otlet « Le mage » ; sans doute a-t-elle senti les limites de son positivisme et de sa méthode trop stricte d’indexation normalisée. Suzanne Briet ne classe plus, elle désigne et assigne un contexte ; c’est l’indexation qui crée une permanence documentaire. Par cette nouvelle orientation, le document entre de plain-pied dans la grande aventure sémantique et sémiologique de la deuxième partie du xxe siècle. Car nul royaume stable pour le document, nul régime imperturbable pour les techniques ; l’évolu-tion de « l’outillage des machines intellectuelles » et l’avenir de la fiche relèvent de la révolution permanente 13. Toute la société bouge, pourtant Paul Otlet fixe et rapproche la science du livre et du document avec celle des sciences naturelles : les grandes classifications de la botanique le fascine. Ce traité aurait pu se nommer « Physiologie du document, ses formes stables et composites ».

Devenue directrice de l’Institut national des techniques documentaires (INTD) au Conservatoire des arts et métiers (CNAM), Suzanne Briet propose un concept de base : « l’Unité documentaire ». Un document peut comporter plusieurs parties de nature différente, portant sur des sujets divers. On peut isoler et traiter à part chaque « idée élémentaire » pour en faire une fiche individuelle. Ce traitement permet de recueillir et de signaler l’information à un niveau très fin. En 1951, elle fait paraître un manifeste : « Qu’est-ce-que la documentation ? » qui complète le traité de Paul Otlet. Ce manifeste donne la clef du document : « Tout indice concret ou symbolique conservé ou enregistré, aux fins de représenter ou de prouver un phénomène physique ou intellectuel. »

12. Sylvie Fayet-Scribe, « Connaissez-vous Suzanne Briet ? », in : Bulletin des Bibliothèques de France, n° 1, février 2012, p. 40-44. Merci à Michael Buckland de l’avoir fait redécouvrir aux Français.13. Julie Lauvergnier, Classer et inventorier au xixe siècle, administration des fonds et écriture de l’histoire locale dijonnaise par l’archiviste Joseph-François Garnier, 1815-1903, thèse, Université de Bourgogne, juin 2012.

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En passant brièvement par le vocable « documentologie » des années 1960-1970, les décennies avancent et la France et les pays anglo-saxons voient se déve-lopper la science de l’information avec ses revues, ses congrès et ses chercheurs 14 ; celle-ci intègre la grande évolution due au Web, à la numérisation, à l’indexation et à l’annotation.

Face à la marche du temps, que devient la bibliologie ? Toujours présente et animée par l’Association internationale de bibliologie (en particulier en Afrique), elle se présente aussi comme un grand corps accidenté, livré à la science et greffé à diverses spécialités : « l’histoire culturelle du livre », « la bibliographie matérielle », « la science de l’information ».

Dans un contexte où les rapports homme/machine évoluent avec une extrême célérité, nous n’avons encore qu’une connaissance partielle du fonctionnement de notre cerveau.

C’est pourquoi la lecture, par fragments savoureux, du Traité de documenta-tion permet à cette science 15 encore à la fleur de l’âge de se poser encore et toujours les bonnes questions.

14. Yves-François Le Coadic, La science de l’information, Paris, Presses Universitaires de France, 1994.15. Fidelia Ibekwe-San Juan, La Science de l’information, origines, théories et paradigmes, Paris, Lavoisier, 2012.

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Tiroir du Répertoire bibliographique, illustration extraite du Manuel du Répertoire bibliographique, 1905

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ChrOnique d’une antiCiPatiOn du Webpar Alex Wright

En 1931, l’historien britannique Hubert Butterfield critique ce que l’on appelle la conception whig de l’histoire : la tendance de certains historiens à « louer les révolutions pourvu qu’elles aient été couronnées de succès ». Fustigeant les auteurs qui présentent l’ensemble de l’histoire humaine comme une marche inévi-table vers la démocratie libérale, il met en garde contre les tentations du « récit qui consiste en une ratification, sinon une glorification du présent ».

Nous sommes actuellement les témoins d’un âge d’or du modèle whig dans le monde de la technologie. En partie initiée par l’appareil marketing de la Silicon Valley, la version whig de l’histoire d’Internet tend à dépeindre le monde en réseau moderne comme le triomphe de la science informatique anglo-américaine, en mettant l’accent sur des innovateurs tels que Vannevar Bush, Douglas Engelbart, Vinton G. Cerf et Tim Berners-Lee, l’inventeur du World Wide Web.

Tous ces pionniers méritent sans aucun doute leur place dans les livres d’his-toire. Mais l’histoire suit rarement une ligne droite. Elle est pleine de tours, de détours, d’impasses et de voies abandonnées qui peuvent approfondir notre pers-pective, jeter un éclairage nouveau sur le contexte social et culturel entourant des événements particuliers et, dans certains cas, nous attirer sur des chemins alterna-tifs. L’histoire de Paul Otlet constitue précisément l’un de ces chemins.

La récente vague d’intérêt populaire pour Otlet provient largement d’un bref passage de son livre, dans lequel il semble décrire quelque chose de très semblable au World Wide Web :

« Ici, la Table de Travail n’est plus chargée d’aucun livre. À leur place se dresse un écran et à portée un téléphone. Là-bas au loin, dans un édifice immense, sont tous les livres et tous les renseignements, avec tout l’espace que requiert leur enre-gistrement et leur manutention […]. De là, on fait apparaître sur l’écran la page à lire […]. Un écran serait double, quadruple ou décuple s’il s’agissait de multiplier les textes et les documents à confronter simultanément ; il y aurait un haut-parleur […] si la vision devrait être aidée par une audition 1. »

1. Paul Otlet, Traité de documentation, Bruxelles, 1934, p. 428 (tous les numéros de page renvoient à la pre-mière édition du livre).

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François Schuiten, Esquisse pour la scénographie du Mundaneum à Mons, © François Schuiten

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La vision d’Otlet offre un aperçu prophétique du futur monde en réseau. Cinquante ans avant l’invention du Web, des décennies avant l’avènement des puces électroniques, des semi-conducteurs ou des disques durs, il a imaginé les possibilités d’un réseau global d’informations partagées. Et bien avant Google ou Facebook, il a déjà commencé à considérer le problème de l’excès d’information.

« Malgré l’évolution de la pensée scien-tifique, du contenu bibliologique, les modes d’enregistrement de nos connais-sances faisaient peu de progrès », écrit Otlet 2. Il pense qu’une trop grande part du capital intellectuel de l’humanité reste prisonnière de la forme anachronique et de plus en plus inadéquate du livre tra-ditionnel. Étant donné le développement exponentiel de l’information publiée qui commence à circuler sur le globe au début du xxe siècle, Otlet pense que le livre traditionnel doit évoluer vers quelque chose de plus fonctionnel qu’il nomme le « livre-machine », soit un appareil capable à la fois de collecter et de transformer la connaissance humaine 3.« On entrevoit dès maintenant ce que pourraient être les grandes centrales du

travail intellectuel », écrit Otlet, envisageant une ère à venir où l’humanité dévelop-perait de nouveaux outils pour gérer son patrimoine intellectuel collectif. Il décrit un « télescope électrique » permettant de lire, d’écrire, de consulter des photogra-phies, de rechercher des matériaux archivés, ou encore d’assister à des « télélec-tures » à distance, de transcrire de la parole, et même de traduire un texte en plu-sieurs langues.

Se projetant encore plus loin dans le futur, Otlet imagine de nouvelles formes de médias combinant le texte, le son et les images filmées, et même un capteur per-mettant de transmettre des odeurs. Ce vaste réseau global de connaissances pren-drait finalement forme sous les auspices d’une nouvelle entité internationale qu’il appelle Mundaneum.

Malgré sa remarquable anticipation, Otlet n’a évidemment pas inventé le World Wide Web (le mérite en revient directement à Berners-Lee). Néanmoins, son travail invite à réfléchir à la conception d’un système alternatif de recherche d’infor-mation hypertexte et à questionner nos postulats sur la manière dont un tel réseau pourrait – ou devrait – fonctionner.

2. Idem, p. 374.3. Ronald E. Day, The Modern Invention of Information: Discourse, History, and Power, Carbondale, Southern University Press, 2001, p. 19.

XXVI

« Les étapes de l’organisation documentaire », panneau de l’Encyclopedia Universalis Mundaneum, sans date

Page 27: Extrait du "Livre sur le livre" (presse)

XXVII

Schéma de Paul Otlet illustrant les outils de transmission de la connaissance, calque de l’Encyclopedia Universalis Mundaneum, sans date

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Au premier abord, le Web et le Mundaneum semblent partager un cer-tain nombre de fonctions de base, dont beaucoup sont esquissées par Otlet dans le Traité : la capacité à stocker des docu-ments à distance, à en réaliser des copies à l’infini, et à visualiser les relations entre ces documents grâce à des liens explicites. Un tel dispositif, affirme-t-il, constitue-rait « un cerveau mécanique et collec-tif 4 ».Nonobstant sa force visionnaire, le Mun-daneum d’Otlet diffère en plusieurs points essentiels de l’actuel World Wide Web. Si les deux systèmes impliquent un réseau global d’appareils connectés don-nant accès à l’information du monde, Otlet propose une topologie du réseau très différente.Le Web d’aujourd’hui n’a en premier lieu pas de « tête » – c’est un environnement partagé, ouvert, sans centre de contrôle qui détermine ce qui en fait partie ou non. Le Web équivaut à une grande expé-rience de décentralisation, c’est un envi-ronnement permissif où n’importe qui, en principe, peut publier ce qu’il veut – et dont aucune entité n’est en charge. Cette

vision se démarque nettement de la conception d’Otlet d’un réseau global d’infor-mation fermement dirigé par une autorité centrale coordonnant les activités des sociétés savantes, des universités et des gouvernements. Le Web, pour le meilleur ou le pire, est conçu pour optimiser la liberté d’expression plutôt que le déterminisme factuel.

L’architecture plate et ouverte du Web provient en partie de l’essai publié par Vannevar Bush en 1945, As We May Think 5, dans lequel l’inventeur américain pro-pose notamment son idée de Memex, une sorte de lecteur de microfilm sophistiqué permettant aux lecteurs de créer des « chemins associatifs » entre les documents. Bush pense qu’une approche de l’organisation ascendante, axée sur l’utilisateur, donnerait de meilleurs résultats qu’un système d’indexation descendant tradition-nel. L’essai de Bush inspire Douglas Engelbart, qui en arrive dans les années 1960 à créer un environnement proto-hypertexte influent, l’oN-Line System (NLS). Ce

4. Traité de documentation, op. cit., p. 391.5. Vannevar Bush, « As We May Think », in : Atlantic Monthly, 176, juillet 1945, p. 641-649.

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« Documentation et télécommunication », calque de l’Encyclopedia Universalis Mundaneum (schéma de Paul Otlet), sans date

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travail inspire à son tour Ted Nelson, dont le système Xanadu fournit le cadre conceptuel du World Wide Web. Couplé à l’architecture technique ouverte d’In-ternet, le Web est depuis ses débuts empreint d’une philosophie de décen-tralisation.

Cette décentralisation a un incon-vénient. En l’absence d’une entité diri-geante unique, des entreprises privées se sont proposées d’aider l’utilisateur moyen à tirer un sens du chaos qui en résulte. Au final, un petit nombre d’en-treprises puissantes comme Google, Facebook et Amazon ont émergé pour jouer le rôle qu’Otlet attribuait au Mundaneum : collecter, gérer et diffuser la propriété intellectuelle mondiale.

Par contraste, Otlet envisage le Mundaneum comme une organisation purement non lucrative, en charge de classer toute la connaissance du monde disponible et de la rendre libre d’accès. À cette fin, il prévoit de mettre en place une petite armée de catalogueurs – ou « bibliologues », comme il les appelle – qui contrôlent l’arrivée des données dans le système et les classent selon les règles de la Classification décimale universelle (CDU). Les bibliologues rassembleraient les informations depuis des sources mul-tiples pour donner aux lecteurs un aperçu d’un sujet, quel qu’il soit, et produiraient de nouvelles publications synthétiques qui constitueraient avec le temps un vaste dépôt central de la connaissance.

Tandis que le Mundaneum, tout comme le World Wide Web, rendrait l’in-formation accessible à tout le monde, il le ferait sous les auspices d’un nouveau gouvernement mondial, utopique, confiant au Mundaneum la mission de lui servir de centre nerveux intellectuel et de constituer un centre de tri global et un point de coordination pour les sociétés savantes du monde et les autres organisations pro-ductrices de connaissance.

La conception qu’a Otlet d’un réseau de l’information très structuré nous invite à nous demander si l’humanité est vraiment mieux servie par un réseau plat radicalement ouvert tel que le World Wide Web, ou si un environnement plus fer-mement contrôlé avec de meilleurs outils d’indexation pourrait, paradoxalement, engendrer une liberté intellectuelle plus significative.

XXIX

« Le livre en connexion avec la bibliothèque, le Répertoire bibliographique et l’Encyclopédie. Les trois bases du réseau

mondial de la documentation », calque de l’Encyclopedia Universalis Mundaneum, sans date

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Berners-Lee lui-même a rapidement reconnu certaines des limites inhérentes au Web. En 2000, il publie un article dans la revue Scientific American où il décrit le Web sémantique qu’il propose, un terme générique pour un rassemblement de technologies destinées à rendre Internet plus utile en imposant des structures de données plus cohérentes – des ontologies – qui pourraient ensuite être partagées automatiquement entre les machines 6.

L’environnement qu’Otlet envisage comporte de nombreuses similitudes avec le « Web des données » de Berners-Lee. La conception des ontologies de Berners-Lee évoque l’idée de systèmes experts en connaissance qui caractérise la Classification décimale universelle (CDU) d’Otlet. Le professeur Charles van den Heuvel suggère que les idées d’Otlet annoncent le Web sémantique dans la mesure où les deux systèmes fournissent des cadres hautement structurés pour fractionner les documents en composants séparés et les recombiner en de nouveaux formats utilisant un langage descriptif très structuré 7.

Des critiques ont soutenu que le Web sémantique de Berners-Lee revient à une tentative de contrôle centralisé dans les mains de quelques-uns ; elles ont éga-lement avancé que son maintien exige une classe privilégiée d’experts en ontologie (pas très éloignés de l’idée des bibliologues d’Otlet). Le Web, en revanche, s’est traditionnellement prêté à l’exploration amatrice – c’est d’ailleurs précisément la raison pour laquelle il est parvenu à être adopté aussi largement par les utilisateurs.

La question de savoir qui serait le « détenteur » du Web sémantique a mis en évidence l’un de ses problèmes les plus épineux, et révèle l’absence d’une pensée systémique en termes de politique de surveillance et de questions organisationnelles qui en découlent. La technologie seule n’est, semble-t-il, pas suffisante. Sans une opération administrative équivalente au travail d’organisation de la connaissance du monde, un tel effort semble condamné à rester inachevé. Sur ce point, Otlet est un point de référence utile.

Ces dernières années, le mouvement émergent des données liées (Linked Data) a dans une certaine mesure subsumé le Web sémantique original en propo-sant, comme compromis, une approche dans laquelle les ontologies seraient déri-vées de larges ensembles de données grâce à un programme, plutôt que d’être créées manuellement par des équipes d’experts 8. Cette approche pourrait encore per-mettre d’intégrer certaines des idées d’Otlet : une structure actualisée plus perfec-tionnée grâce à la découverte automatisée, la liaison bidirectionnelle et la capacité à extraire du contenu à partir de documents statiques, pour ensuite le synthétiser et le retravailler sous de nouvelles formes. Dans ce sens, les algorithmes et les robots

6. Tim Berners-Lee, James Hendler et Lassila Ora, « The Semantic Web: Scientific American », in : Scientific American, mai 2011.7. Charles Van den Heuvel, « Web 2.0 and the Semantic Web in Research from a Historical Perspective. The Designs of Paul Otlet (1868-1944) for Telecommunication and Machine Readable Documentation to Organize Research and Society », in : Knowledge Organization 36, n° 4, s.d., p. 214-226.8. Alex Wright, « Data Streaming 2.0. », in : Communications of the ACM 53, n° 4, avril 2010, p. 13-14.

XXX

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de recherche pourraient faire le travail qu’Otlet envisageait de confier à son armée de bibliologues.

Le Mundaneum ne verra sans doute jamais le jour, mais la pensée d’Otlet offre néanmoins une alternative intéressante, celle d’un monde en réseau utopique qui ne serait pas mû par des intérêts commerciaux ou la gratification personnelle mais par une éthique plus largement basée sur le progrès intellectuel, l’engagement social, voire la libération spirituelle. Bien que certaines méthodes d’Otlet puissent sembler anachroniques d’un point de vue contemporain, sa vision plus large d’un monde interconnecté peut encore s’avérer utile, en tant qu’objectif platonique.

Le Traité de documentation est à ce titre un antidote puissant aux tendances whig, en nous rappelant que notre passé technologique est, comme le suggère Borges dans sa nouvelle « Le jardin aux sentiers qui bifurquent », une « trame de temps qui s’approchent, bifurquent, se coupent ou s’ignorent pendant des siècles 9 ». L’histoire n’est pas une trajectoire, mais un labyrinthe.

Traduit de l’anglais par Jacques Gillen

9. Jorge Luis Borges, « Le jardin aux chemins qui bifurquent », in : Fictions, Paris, Gallimard, 1965, p. 103.

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Paul Otlet à son bureau, 1937

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[…]

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sOmmaire

Benoît PeetersLES DEUx vIES DE PAUL OTLET V

Sylvie Fayet-ScribeTHÉORIE ET PRATIQUE PAR PAUL OTLET XVIII

Alex Wright CHRONIQUE D’UNE ANTICIPATION DU WEB XXV

TRAITÉ DE DOCUMENTATION. LE LIvRE SUR LE LIvREpar Paul Otlet 1

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Page 69: Extrait du "Livre sur le livre" (presse)

Paul Otlet et le MundaneuM aux IMPressIOns nOuvelles

Paul Otlet, fondateur du Mundaneum (1868-1944)Architecte du savoir, Artisan de paix

Essai, ouvrage collectif, 2010

Le MundaneumLes archives de la connaissance

Essai, ouvrage collectif, 2008

L’Homme qui voulait classer le mondePaul Otlet et le Mundaneum

Biographie, Françoise Levie, 2006

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Paul Otlet est considéré comme le père des sciences de l’information. Ouvrage fondateur et fondamental, le Traité de documentation. Le livre sur le livre (1934) est l’aboutissement de son travail inlassable pour rassembler, classer et partager les connaissances. Otlet y propose une remarquable synthèse du savoir sur le livre et le document en même temps qu’il anticipe Internet et l’hypertexte.

La réédition du Traité de documentation, 70 ans après la disparition de son auteur, coïncide avec la réouverture du Mundaneum à Mons, où le fabuleux héritage documentaire légué par Paul Otlet et Henri La Fontaine est conservé.

« Ici, la table de travail n’est plus chargée d’aucun livre. À leur place se dresse un écran et à portée un téléphone. Là-bas, au loin, dans un édifice immense, sont

tous les livres et tous les renseignements. De là, on fait apparaître sur l’écran la page à lire pour connaître la réponse aux questions posées par téléphone. »

Préfaces de Benoît Peeters (écrivain), Sylvie Fayet-Scribe (maître de conférence à Paris I, Panthéon-Sorbonne)

et Alex Wright (collaborateur du New York Times)

Diffusion / Distribution : Harmonia MundiEAN 9782874492990

ISBN 978-2-87449-299-0496 pages – 38 €

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le livre sur le livreTraité de documentation

AOÛT 2015