4
Extrait : La voie des Nazaréens, ou l’héritage de Jésus dans l’Islam contemporain INTRODUCTION Dans « Pourquoi Jésus doit-il revenir, selon la tradition islamique ? » je concluais par une analogie entre la période qui précéda la première venue de Jésus et notre époque, en constatant que le monde musulman vivait aujourd’hui une situation très similaire à celle des Juifs à l’époque de Jésus. Ce parallèle est mis en lumière tout au long du Coran et sert d’ailleurs à développer certaines orientations du Texte révélé. Ainsi, de nombreuses sourates mettent en parallèle le récit des Hébreux avec le destin des musulmans. Dans la Sourate 2 par exemple, dont une grande partie est consacrée au récit des Juifs, le sort de la « nation » juive est qualifié de scellé ou révolu, et un parallèle est établi entre les « œuvres » des Juifs et celles des musulmans : {Voilà une nation révolue [ou dont le parcours est scellé]. Ils sont responsables de leurs œuvres et vous êtes responsables des vôtres. Alors, vous n’aurez pas à répondre de leurs actes} 1 (Coran 2.134). ×ÖÕÔÓÒÑÐÏÎÍÌËÊÉÈÇÆ Dans la sourate 17, les dix premiers versets résument les grandes étapes de l’histoire des enfants d’Israël à partir de la révélation du « Livre » à Moise qualifié de « guide » : {Nous avions donné à Moïse le Livre dont Nous avions fait un guide pour les Enfants d’Israël} (Coran 17.2). DCBA@?>=<;:98 Puis les différentes étapes qui ont jalonné l’histoire des Juifs sont exposées jusqu’au verset 7. Puis le verset suivant (8) reprend la narration et s’adresse aux musulmans en rappelant le point de départ qui est la révélation du « Livre », le Coran qui est lui aussi qualifié de « guide » : {Certes, ce Coran guide vers ce qu’il y a de plus droit, et il annonce aux croyants (…)} (Coran 17.8). ?>=<;:9876543210/ Cette structure narrative met donc en parallèle l’histoire révolue des Juifs et l’avenir en construction des musulmans, qui dans les deux cas découlent de la révélation du Livre. Et effectivement, nous constatons que les quatorze siècles d’histoire du monde musulman depuis Muhammad () suivent le même schéma que l’histoire des Juifs depuis Moise jusqu’à Jésus, notamment sur les plans doctrinal et politique. Par exemple, aussi bien dans l’histoire des musulmans que celle des Juifs, nous trouvons la dégradation en trois étapes de la gouvernance politique : 1- La perte de la gouvernance juste (Après Salomon ; après le Califat orthodoxe) 2- La perte de l’unité (La sécession entre Israël et la Judée ; l’émiettement du califat abbasside) 3- La perte de l’autonomie (la conquête d’Alexandre et la domination grecque puis plus tard romaine ; la colonisation européenne puis la domination unipolaire des USA). 1 Ce verset est répété à l’identique quelques versets plus loin Sourate 2, verset 141. www.nawa-editions.com

Extrait Le Voie Des Nazar Ens

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Extrait Le Voie Des Nazar Ens

Extrait : La voie des Nazaréens, ou l’héritage de Jésus dans l’Islam contemporain

INTRODUCTION Dans « Pourquoi Jésus doit-il revenir, selon la tradition islamique ? » je concluais par une analogie entre la période qui précéda la première venue de Jésus et notre époque, en constatant que le monde musulman vivait aujourd’hui une situation très similaire à celle des Juifs à l’époque de Jésus. Ce parallèle est mis en lumière tout au long du Coran et sert d’ailleurs à développer certaines orientations du Texte révélé. Ainsi, de nombreuses sourates mettent en parallèle le récit des Hébreux avec le destin des musulmans. Dans la Sourate 2 par exemple, dont une grande partie est consacrée au récit des Juifs, le sort de la « nation » juive est qualifié de scellé ou révolu, et un parallèle est établi entre les « œuvres » des Juifs et celles des musulmans : {Voilà une nation révolue [ou dont le parcours est scellé]. Ils sont responsables de leurs œuvres et vous êtes responsables des vôtres. Alors, vous n’aurez pas à répondre de leurs actes}1 (Coran 2.134).

×ÖÕÔÓÒÑÐÏÎÍÌËÊÉÈÇÆ

Dans la sourate 17, les dix premiers versets résument les grandes étapes de l’histoire des enfants d’Israël à partir de la révélation du « Livre » à Moise qualifié de « guide » : {Nous avions donné à Moïse le Livre dont Nous avions fait un guide pour les Enfants d’Israël} (Coran 17.2).

DCBA@?>=<;:98

Puis les différentes étapes qui ont jalonné l’histoire des Juifs sont exposées jusqu’au verset 7. Puis le verset suivant (8) reprend la narration et s’adresse aux musulmans en rappelant le point de départ qui est la révélation du « Livre », le Coran qui est lui aussi qualifié de « guide » : {Certes, ce Coran guide vers ce qu’il y a de plus droit, et il annonce aux croyants (…)} (Coran 17.8).

?>=<;:9876543210/ Cette structure narrative met donc en parallèle l’histoire révolue des Juifs et l’avenir en construction des musulmans, qui dans les deux cas découlent de la révélation du Livre. Et effectivement, nous constatons que les quatorze siècles d’histoire du monde musulman depuis Muhammad () suivent le même schéma que l’histoire des Juifs depuis Moise jusqu’à Jésus, notamment sur les plans doctrinal et politique. Par exemple, aussi bien dans l’histoire des musulmans que celle des Juifs, nous trouvons la dégradation en trois étapes de la gouvernance politique :

1- La perte de la gouvernance juste (Après Salomon ; après le Califat orthodoxe) 2- La perte de l’unité (La sécession entre Israël et la Judée ; l’émiettement du califat

abbasside) 3- La perte de l’autonomie (la conquête d’Alexandre et la domination grecque puis plus tard

romaine ; la colonisation européenne puis la domination unipolaire des USA).

1 Ce verset est répété à l’identique quelques versets plus loin Sourate 2, verset 141.

www.nawa-editions.com

Page 2: Extrait Le Voie Des Nazar Ens

Extrait : La voie des Nazaréens, ou l’héritage de Jésus dans l’Islam contemporain

Actuellement, la similitude entre l’histoire des deux nations se situe précisément dans le rapport avec une civilisation étrangère et dominante ; hier l’empire romain, aujourd’hui l’occident. Il existe une équivalence entre la manière dont s’exerçait la tutelle étrangère romaine sur les contrées du Levant, et la manière dont aujourd’hui les puissances occidentales dominent les terres d’Islam. Rappelons que ces deux dominations sont à la fois physiques et symboliques : la domination physique se traduit dans les deux cas par la perte de la souveraineté de la nation dominée au profit d’une puissance étrangère et impie et la perte de l’unité nationale incarnée par le morcellement politique. Les Romains avaient créé plusieurs provinces : la Judée, la Samarie et la Galilée, comme aujourd’hui les Etats occidentaux luttent pour maintenir « l’intangibilité » des frontières à l’intérieur du monde musulman, des frontières qu’ils ont eux-mêmes tracées à l’issue de la décolonisation. Nous trouvons des similitudes plus subtiles comme la dissémination chez le vainqueur d’une partie de la population dominée. Des communautés juives étaient dispersées dans tout l’empire romain dès le IIe siècle avant JC, comme aujourd’hui les populations musulmanes dans le monde occidental. Comme les actuelles minorités musulmanes d’Occident, les Juifs étaient méprisés et subissaient les mêmes préjugés concernant leur mode de vie (notamment les interdits alimentaires et la circoncision). Les Juifs se soulevèrent à maintes reprises, contre l’empire séleucide puis contre l’empire romain (à partir de -64), mais sans succès. Les terres d’Islam ont été une première fois soumises à la colonisation européenne, puis aujourd’hui à l’hégémonie américaine. Et dans les deux cas, rien ne semble pouvoir remédier à cette situation. La domination symbolique entrainait quant à elle la soumission à des symboles païens incompatibles avec les fondements du monothéisme. Dans le cas des Juifs, il s’agissait des idoles et des effigies diffusées à travers les pièces de monnaie et des statues dans l’espace public. Aujourd’hui, l’Occident diffuse universellement des symboles idéologiques (les valeurs universelles) qui servent de référents à toute forme d’acte, de discours et de doctrine. Cette filiation entre l’empire romain et l’Occident moderne s’explique d’ailleurs rationnellement par l’exhumation de l’héritage gréco-romain dans le monde européen à partir de la période justement appelée « Renaissance ». Sur le plan doctrinal, la première partie de l’histoire des Juifs (depuis Moise jusqu’à la destruction du Temple en -586 par les armées babyloniennes) est marquée par des querelles fondamentales sur le dogme, l’unicité divine, etc. Les populations juives reviennent régulièrement au paganisme et sont sans cesse rappelées à l’ordre par des prophètes, comme en témoigne encore l’Ancien Testament. Mais à partir de -516, les querelles doctrinales s’estompent, le dogme monothéiste « orthodoxe » triomphe et s’impose parmi la population juive. Il ne sera dès lors plus remis fondamentalement en cause. Les nouveaux débats concernent désormais le rapport de la nation juive à la domination étrangère, les relations à entretenir avec les païens, la compatibilité des idées philosophiques et l’introduction des pratiques culturelles étrangères. La première partie de l’histoire du monde musulman (du Prophète Muhammad -- jusqu’à la conquête mongole) est également marquée par des controverses fondamentales sur le dogme et les pratiques. Il existe des sectes qui remettent en cause le caractère incréé du Coran, d’autres qui rejettent des principes fondamentaux du credo musulman comme la Prédestination, les pratiques rituelles, etc. Mais à partir des années 900 de l’hégire, les courants philosophants disparaissent et les croyances hétérodoxes se voient marginalisées avec la stabilisation du dogme autour de positions consensuelles. Une « orthodoxie » (au sens large) triomphe dans le monde musulman à

www.nawa-editions.com

Page 3: Extrait Le Voie Des Nazar Ens

Extrait : La voie des Nazaréens, ou l’héritage de Jésus dans l’Islam contemporain

travers la tendance acharite qui monopolise l’enseignement religieux. Il n’existe plus aujourd’hui de remise en cause sérieuse des fondements dogmatiques, mais des débats centrés sur le rapport à la domination occidentale, l’introduction du mode de vie européen, la modernité, etc. L’hégémonie romaine à l’époque de Jésus, celle de l’Occident aujourd’hui causent naturellement, dans les deux époques, les mêmes conséquences internes sur la division doctrinale de la communauté religieuse dominée. Nous retrouvons de nos jours dans le monde musulman, des courants religieux qui correspondent exactement à ceux qui existaient chez les Juifs du temps de Jésus. Chacun de ces courants représentant une « attitude », une position vis-à-vis de la puissance impériale étrangère :

-La soumission (Saducéens et réformistes-modernistes) -L’accommodement (les Pharisiens et les Salafistes) -L’hostilité (Les Zélotes et le Djihadisme) -La lutte armée (Les Sicaires et les organisations djihadistes) -L’isolement (les Esséniens et les néo-soufis)

Nous concluons de cette répétition de l’histoire qu’il n’est pas pertinent de trouver un précédent à la situation actuelle des musulmans dans les premiers temps de l’Islam, car le monde musulman ne ressemble ni à la période mecquoise, ni à la période médinoise de la prophétie, où la société musulmane était saine, soudée et fidèle au Message. Par contre, les similitudes avec l’époque de Jésus sont flagrantes. Nous ne sommes donc ni à La Mecque, ni à Médine, mais à Jérusalem. La « voie de Jésus » offre de ce fait un modèle prophétique à suivre, puisque les musulmans aujourd’hui, vivent une situation similaire à celle du peuple qu’il était venu prêcher. C’est certainement le sens de ce verset qui vient clore, dans la Sourate 3, le récit de Jésus : {Je t’élève vers Moi et je te purifie des incroyants, et J’établis ceux qui te suivront au dessus des incroyants jusqu’au jour de la Résurrection} (Coran 3.55).

GFEDCB A@?>=<;: 9876543

Ce verset coranique indique donc, que même à la fin des temps, parmi les disciples de Muhammad (A), ceux qui prendront exemple sur Jésus dans son rapport à la division des Enfants d’Israël et vis-à-vis de l’empire romain, seront les seuls à pouvoir supplanter leurs ennemis et surmonter les adversités. Si nous considérons maintenant Jésus comme un modèle actuel et pertinent dans notre rapport à l’Occident, comme dans notre rapport aux divers courants islamiques, d’autres questions viennent naturellement à l’esprit : quelle était la « voie » de Jésus, à quelle tendance appartenait-il et à quoi pourrait ressembler l’application de cette voie à notre époque, dans l’Islam contemporain ? Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de développer une réflexion hérésiologique sur la vie de Jésus, son message et son héritage jusqu’à l’avènement de l’Islam, à travers une lecture coranique des éléments historiques sur l’époque de Jésus. Pour cela, nous diviserons cette étude selon les trois étapes clefs dans l’évolution de la communauté nazaréenne telle que présentée dans le Coran : Partie I - Le Coran évoque la famille de Jésus dans les sourates 3 et 19, en insistant sur la famille d’Imran, père de Marie. La description qui est donnée par le Coran de ce milieu juif dans lequel va naitre Jésus, confirme l’existence à l’époque au sein du judaïsme d’une petite communauté connue sous le terme de « Nazaréens », qui est bien distincte des autres courants juifs (Saducéens,

www.nawa-editions.com

Page 4: Extrait Le Voie Des Nazar Ens

Extrait : La voie des Nazaréens, ou l’héritage de Jésus dans l’Islam contemporain

Esséniens, Zélotes, Pharisiens, etc.). Il faut donc revenir sur les antécédents de Jésus, son environnement familial et sociologique, et l’état des divisions doctrinales à son époque. Partie II - Dans une deuxième phase, Jésus devenu adulte reçoit le message divin et se déclare prophète et Messie. Il prêche les enfants d’Israël pour réformer leur comportement, leur croyance et leur application de la Thora. Dès lors, un cercle de disciples se forme autour de lui. Ce petit groupe est alors appelé « Nazaréens » par les contemporains et impose donc une transformation du sens de ce terme qui vient définir les « disciples de Jésus ». Partie III - Enfin, après la disparition de Jésus, la communauté nazaréenne devient un courant religieux marginal et atypique, qui subit deux ruptures. La rupture avec les « Chrétiens » vers les années 60 du fait de la formation du courant paulinien comme religion autonome. Puis la rupture avec le judaïsme rabbinique en 90, quand l’élite pharisienne représentée par « les scribes et les rabbins », exclut de la communauté juive, les fidèles nazaréens. Dès lors, les Nazaréens constitueront une communauté spirituelle minoritaire, éparpillée au Moyen-Orient jusqu’à l’avènement de l’Islam. Il convient donc d’étudier les conséquences historiques du message de Jésus, avec la naissance des religions modernes (judaïsme et christianisme). Comprendre aussi comment les différents courants religieux se réclamant de Jésus ont-ils évolué jusqu’à l’avènement de l’Islam. Toutes ces questions nous permettront de comprendre le rôle réel de l’Islam dans l’histoire des révélations et sa place vis-à-vis des religions du Livre antérieures.

www.nawa-editions.com