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Faire des recommandations efficaces - apt.ch · La rédaction de rapports et de recommandations nécessite des compétences spécifiques. Ce qui à première vue peut paraître une

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  • Briefing N1 Faire des recommandations

    efficaces

    Depuis sa cration en 1977, lAssociation pour la prvention de la torture (APT) dfend lide que les visites rgulires des lieux de dtention effectues par des experts indpendants constituent un moyen efficace de prvenir la torture, les mauvais traitements et toute autre violation des droits humains. Avec la publication de ces nouveaux briefings, lAPT souhaite partager ses analyses et recherches les plus rcentes, ainsi que les bonnes pratiques de ses partenaires, avec tous les acteurs intresss, aux niveaux national ou international. Nhsitez pas nous faire part de vos commentaires, remarques ou suggestions sur le contenu de ces briefings ladresse suivante : [email protected].

    novembre 2008

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  • Monitoring des lieux de dtention Briefing N1

    Faire des recommandations efficaces 1

    Faire des recommandations efficaces

    1. Introduction La rdaction de rapports et de recommandations ncessite des comptences spcifiques. Ce qui premire vue peut paratre une tche aise est en ralit bien plus complexe. Aussi, des conseils pratiques sont-ils utiles. Mme des rdacteurs et visiteurs expriments peuvent gagner reconsidrer leur propre pratique la lumire de lignes directrices spcialises. Ce document sadresse toute personne amene rdiger des recommandations la suite de visites effectues dans des lieux de dtention. Il est notamment destin servir de cadre pour lanalyse collective et individuelle ainsi que pour la rvision de projets de recommandations. Alors que le contexte politique, juridique, social, culturel et linguistique de tout pays concern par les visites aura des incidences sur la faon dont les recommandations seront formules, le modle Double-SMART prsent ci-aprs dfinit des critres qui peuvent tre appliqus de faon systmatique afin de faire des recommandations aussi efficaces et utiles que possible.

    2. Le but des recommandations Les recommandations constituent une partie essentielle du processus de visite des lieux de dtention. Aussi est-il primordial daccorder suffisamment de temps leur rdaction, et ce pour plusieurs raisons : sans recommandation, un rapport a moins de chance dinduire des changements ; dans les rapports sur les visites des lieux de dtention, la partie consacre aux

    recommandations est souvent celle qui est lue avec le plus dattention ; les recommandations sont le fruit dune analyse pluridisciplinaire mene par lorgane

    de visite ; elles permettent de dfinir les actions mener et de fixer des priorits en vue dun

    plus grand respect des droits humains dans les situations de privation de libert ; elles devraient dune part contribuer de faon constructive la rsolution de

    problmes au niveau national et dautre part fournir un cadre structur pour ltablissement dun dialogue avec les autorits ;

    elles devraient constituer la base dune valuation et dun suivi priodiques effectus la fois par les organes de visite et par les autorits elles-mmes.

  • Monitoring des lieux de dtention Briefing N1

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    3. Le modle de recommandations Double-SMART

    Il est possible dvaluer tant la qualit que lutilit des recommandations faites dans le cadre des visites des lieux de dtention partir des dix critres suivants, critres troitement lis et se renforant les uns les autres :

    Spcifiques Mesurables Axes sur les rsultats Ralisables Temporellement dfinies

    + Suggestion de solution Meilleure hirarchisation des recommandations & prise en compte des risques

    Argumentes Rpondre aux causes profondes Tournes vers une cible

    4. Examen de chaque critre Chaque critre est analys ci-aprs, suivi de conseils sous forme de questions/points de repre et de remarques visant assurer le bon respect dudit critre. Lors de la prise en considration des critres Double-SMART, il se peut que les organes de visite des lieux de dtention soient amens revoir galement le contenu de leur rapport. Ceci ne peut que contribuer la cohrence du processus de visite dans son ensemble. Les recommandations peuvent ne pas rpondre tous les critres. Toutefois, plus les critres seront remplis, plus les recommandations nauront de poids. Spcifiques Chaque recommandation ne devrait traiter que dune seule question. En outre, elle devrait proposer une ou des actions spcifiques. Lorsque plusieurs actions sont proposes, chacune delles devrait tre clairement dfinie et spare des autres par des points ou des numros. Non seulement cette mesure aidera les autorits mieux comprendre et mettre en uvre les recommandations, mais elle facilitera le suivi effectu par lorgane de visite. Il peut nanmoins tre utile dinclure dans un paragraphe dintroduction aux recommandations une remarque dordre gnral rappelant aux autorits leur devoir de garantir les droits des personnes prives de libert et damener les conditions de dtention au niveau des normes internationales.

  • Monitoring des lieux de dtention Briefing N1

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    Points de repre :

    La recommandation traite-t-elle un seul problme ou une question spcifique ? La recommandation diffrentie-t-elle bien les actions mener ? Toutes les actions proposes sont-elles directement lies au sujet de la

    recommandation ? Mesurables A lavenir, les autorits et les organes de visite devraient tre mme dvaluer sans quivoque si oui ou non, et dans quelle mesure, une recommandation a t mise en uvre. La recommandation devrait tre rdige de faon rendre cette valuation aussi simple que possible. A ce titre, le rapport qui accompagne les recommandations devrait rsumer la situation actuelle, en tablissant une base de rfrence ou un instantan de la situation qui servira de point de comparaison chaque fois que possible. Une attention particulire devra tre accorde aux avantages et aux inconvnients dutiliser des indicateurs qualitatifs ou quantitatifs et des indicateurs de processus ou de rsultat. Points de repre :

    Le corps du rapport prsente-t-il la situation actuelle avec clart ? Est-ce que le rapport ou la recommandation inclut ou implique un indicateur pour

    le suivi ? Est-ce quun indicateur diffrent ou modifi faciliterait la vrification future ? Dans quelle mesure la preuve donne par lindicateur est-elle irrfutable ?

    Axes sur les rsultats La description et lanalyse du problme devraient apparatre dans la partie principale du rapport et non dans les recommandations. Les actions suggres dans la recommandation devraient tre nonces dans le but datteindre un rsultat concret ou de parvenir une situation particulire. Ce but peut tre formul de faon implicite ou concrtement dfini dans la recommandation. Points de repre :

    La recommandation contient-elle des informations ou une analyse qui devraient se trouver dans la partie principale du rapport ?

    La recommandation identifie-t-elle la situation atteindre ou les actions concrtes mener pour y parvenir ou alors se contente-t-elle de dcrire la situation et dappeler simplement au changement ?

    Ralisables Toute recommandation devrait chercher tre ralisable en termes oprationnels. Nanmoins, ce critre ne prend pas en compte la question de la disponibilit des ressources financires. Les recommandations tant bases sur des normes internationales, elles devraient mettre laccent sur ce qui doit tre fait dans la limite du raisonnable. Il relve de la responsabilit de lEtat de trouver et dallouer les ressources afin dagir en ce sens. En outre, des actions complmentaires ou alternatives, qui

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    permettraient datteindre plus facilement le rsultat souhait ou den renforcer les effets, devraient tre envisages. Points de repre :

    La mise en uvre de cette recommandation est-elle possible en termes pratiques ?

    Dautres actions ou des actions complmentaires pourraient-elles tre recommandes ?

    Quelles sont les options qui rencontreront le moins de rsistance pour redresser la situation ?

    Temporellement dfinies Le fait de fixer un calendrier raliste pour la mise en uvre des recommandations aide les autorits dfinir des priorits, les pousse laction et renforce lobligation de rendre des comptes. Le calendrier peut tre tabli en termes de mois ou dannes, mais il peut galement viser une mise en uvre immdiate . Une autre option est de proposer un cadre temporel en termes de court, moyen et long terme. Il est alors impratif de clarifier ce que chaque rfrence implique en termes numriques. Points de repre :

    La recommandation spcifie-t-elle quand la mise en uvre doit tre lance ou acheve ?

    Le cadre temporel est-il suffisamment serr pour pousser au changement mais suffisamment long pour tenir compte du temps vritablement ncessaire la mise en uvre des recommandations ?

    Suggrer des solutions Les recommandations qui appellent simplement au changement ou visent juste une amlioration de la situation requirent une analyse subsquente de la part des autorits afin de trouver une solution, avant mme de parler de mise en uvre. Cela rduit considrablement les possibilits daboutir des rsultats concrets. Une quipe de visite multidisciplinaire peut utiliser un ensemble de comptences professionnelles, analytiques et autres pour traiter la situation spcifique. Cette quipe devrait essayer, aussi souvent que possible, non seulement didentifier les problmes mais galement de proposer des solutions crdibles. Les actions recommandes devraient non seulement tre concrtes et concises, mais galement inclure les dtails techniques ncessaires pour viter une mauvaise mise en application. Points de repre :

    Lanalyse a-t-elle dfini des actions concrtes qui devraient permettre de surmonter le problme identifi ?

    Sont-elles comprises dans la recommandation ? Est-il ncessaire dinclure des lments techniques ou de changer la formulation

    afin dviter une mise en application errone de la recommandation ?

  • Monitoring des lieux de dtention Briefing N1

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    Meilleure hirarchisation des recommandations & prise en compte des risques Il est possible que les organes de visite mettent en lumire plusieurs problmes ncessitant une action. Dans la mesure o les visites prventives forment un processus continu, il peut tre utile de mettre de ct les recommandations moins pressantes afin de permettre aux autorits charges de leur mise en uvre de se concentrer sur les recommandations les plus urgentes. Par ailleurs, certaines recommandations peuvent gagner tre prsentes dans des rapports ultrieurs, une fois que dautres ont t pralablement mises en uvre. Enfin, les visiteurs doivent galement valuer les risques lis la mise en uvre des recommandations elles-mmes, afin dviter tout effet ngatif sur les droits des personnes prives de libert. Des consquences ngatives non prvues discrditeront non seulement laction des visites prventives mais aussi les autorits charges de la mise en application des recommandations. Points de repre :

    Parmi les recommandations qui apparaissent dans le rapport, certaines sont-elles ce point important quelles devraient figurer plus haut dans la liste ?

    Serait-il prfrable domettre certaines recommandations pour que les autorits puissent se concentrer sur les plus urgentes ?

    La mise en uvre de certaines recommandations dpend-elle de la mise en application pralable dautres recommandations ?

    La mise en uvre de quelque action spcifique pourrait-elle avoir un effet ngatif sur lexercice des droits humains ?

    Argumentes Les recommandations devraient se fonder sur des analyses et des faits objectifs et de haute qualit runis au cours des visites et systmatises dans le corps du rapport. Les normes juridiques nationales et internationales applicables ainsi que les bonnes pratiques et lexpertise de professionnels (par exemple du domaine mdical, psychologique, de la gestion de la dtention, de lassistance sociale) qui viennent complter le contenu des recommandations devraient tre clairement exposes et appliques. Cette argumentation apporte de la crdibilit et aide les organes de visite dfendre leur position. Il convient de rappeler que les normes internationales sont des normes minimales. Lorgane de visite peut donc aller au-del dans les recommandations, sil considre cela justifi pour des raisons professionnelles, de droits humains, de bonnes pratiques ou autres. Points de repre :

    Le problme traiter par la recommandation est-il clairement identifi dans la partie principale du rapport ?

    Cette analyse est-elle fonde sur des faits de qualit, objectifs et vrifis ? Lanalyse met-elle en lumire les justifications juridiques, professionnelles ou

    issues des bonnes pratiques ? Lanalyse conduit-elle logiquement et de faon persuasive la recommandation

    en question ?

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    Rpondre aux causes profondes Les visites devraient chercher identifier le fond des problmes ou les systmes et processus qui doivent tre mis en place ou modifis pour attnuer les facteurs de risque. En consquence, les recommandations devraient viser ces aspects-l et non les symptmes. Pour ce faire, il est ncessaire de vrifier consciencieusement les faits et de procder une analyse critique. Quand il est impossible didentifier le fond des problmes ou les facteurs dattnuation du risque, il convient denvisager des actions supplmentaires facilitant une amlioration de la situation et une analyse plus approfondie, sous la forme dune srie de rapports tals dans le temps. Points de repre :

    La partie principale du rapport met-elle en vidence les symptmes du problme (c..d. les faits) ?

    Lanalyse identifie-t-elle les causes ? Les actions proposes dans la recommandation sattaquent-elles directement aux

    causes plutt quaux symptmes ? Si le fond du problme demeure non identifi, une autre approche pourrait-elle

    tre applique ? Tournes vers une cible Le gouvernement et ltat ne devraient pas tre considrs comme des entits monolithiques. Les acteurs et les institutions mme de mettre en uvre juridiquement et pratiquement la recommandation doivent tre correctement identifis. Le gouvernement pourra ainsi mieux attribuer les responsabilits et insister sur lobligation de rendre des comptes. En outre, le suivi effectu par les visiteurs et la socit dans son ensemble en sera facilit. Cependant, les visiteurs devraient avoir lesprit le protocole institutionnel et veiller ce que la hirarchie soit correctement respecte, que ce soit dans les recommandations elles-mmes ou au moment de prsenter le rapport. Certains rapports regroupent les recommandations par secteur cible (par exemple, le systme judiciaire, le systme pnitentiaire, le ministre de lIntrieur). Points de repre :

    Quel(s) acteur(s) en particulier dans la hirarchie organisationnelle devrai(en)t tre plus mme de mettre la recommandation en pratique ?

    Existe-t-il une autorit de plus haut niveau jouant un rle cl qui puisse faciliter la mise en application des recommandations ou dont laval est ncessaire pour entreprendre une action ?

    Dun point de vue stratgique, lequel des acteurs chargs de la mise en uvre des recommandations et leurs autorits doivent tre explicitement mis en relation avec la recommandation ?

    Regrouper les recommandations par secteur cible permettrait-il daugmenter ou de rduire leur impact ?

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    5. Mettre le modle Double-SMART en pratique

    Appliquez les quatre questions suivantes aux deux versions des recommandations dans les exemples ci-aprs :

    1. Quels critres Double-SMART ne sont pas remplis par la premire version ? 2. Quels critres ont t pris en compte au moment de rdiger la deuxime

    version ? 3. Quels critres nont pas t pris en compte et pourquoi ? 4. De quelle manire la recommandation pourrait-elle tre amliore ?

    Exemple 1 Dans un dlai dun mois, le Secrtaire laction sociale devrait remdier la vulnrabilit des mineurs aux violations de leur intgrit physique au cours de leurs transferts et les temps de transport longs et tardifs entre les tribunaux et les centres de rhabilitation.

    Le Ministre de la Justice, le Secrtaire laction sociale, le directeur du systme pnitentiaire ainsi que le chef de la police devraient dici lanne prochaine mettre sur pied une politique stratgique et oprationnelle concernant le transfert des mineurs afin de veiller ce que : ils ne soient pas mis dans les vhicules avec des adultes ; au moins une femme fonctionnaire soit toujours prsente au moment du transfert

    de mineurs de sexe fminin ; les dispositions appropries soient prises pour assurer leurs besoins essentiels et

    leur fournir de la nourriture et de leau au cours des trajets suprieurs quatre heures ;

    tous les mineurs aient la possibilit de voir un infirmier ou un mdecin leur arrive ;

    tous les registres de transfert soient remplis intgralement.

    Exemple 2 Les autorits devraient veiller rduire le nombre lev dincidents concernant lusage excessif de la force dans les lieux de dtention.

    Chaque directeur de prison devrait sassurer que dici la fin de lanne en cours tous les incidents impliquant lusage de la force de la part du personnel soient consigns dans un seul registre spcifique, lequel devrait inclure : le nom du membre du personnel prenant note de lincident, lheure et la date auxquelles a eu lieu lincident, le(s) nom(s) et la/les fonction(s) des membres du personnel impliqus ainsi que ceux prsents lors de lincident, le(s) nom(s) des personnes prives de libert qui sont impliques, une description dtaille de lincident comprenant les raisons de lusage de la force, tout quipement utilis au cours de lincident et la signature du superviseur.

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    Exemple 3

    Rduire ladministration arbitraire de psychotropes des patients comme moyens de coercition.

    Les autorits hospitalires devraient veiller ce que dici un an les psychotropes soient administrs selon des normes mdicales, thiques et juridiques, notamment en : laborant des directives claires sur leur usage ; sassurant que seuls des membres qualifis du corps mdical et spcialement

    forms cet effet puissent les administrer ; mettant en uvre un systme de vrification rgulier et multidisciplinaire.

    6. Conclusion Les recommandations devraient avoir pour but de proposer des solutions concrtes visant rpondre aux problmes de droits humains dans les lieux de dtention. Dans la mesure du possible, elles ne devraient pas pouvoir tre contestes par les instances charges de les appliquer. A cette fin, le modle Double-SMART fournit un cadre de rfrence utile pour lvaluation critique des projets de recommandations. Une fois les recommandations finalises, il peut tre utile lorgane de visite dexaminer sil est ncessaire ou non de revoir la stratgie prvue en matire de diffusion du rapport et de son suivi. La faon dont le rapport et ses recommandations dploient leurs effets constitue une tape-test importante dans le processus de monitoring des lieux de dtention.

    Association pour la prvention de la torture - APT Route de Ferney 10 Bote Postale 2267

    CH - 1211 Genve 2 Tl. : (+41 22) 919 2170 Fax : (+41 22) 919 2180

    courriel : [email protected] internet : www.apt.ch