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Faustin Betheder, Victor Hugo le Grand (Victor Hugo écrasant Louis-Napoléon au lendemain de Sedan). Commentaire de la caricature Les références historiques à connaître : 1. Pendant la Révolution française, en 1793, la ville de Toulon s'était révoltée contre le pouvoir parisien. Le futur Napoléon I er , alors capitaine d'artillerie, avait permis de prendre la ville et de la rendre à la République. On peut alors comprendre les expressions suivantes, qui figurent dans les vers cités : "dans les temps stoïques" : l'époque "stoïque", c'est-à-dire celle du courage austère, du sacrifice, des valeurs morales avec lesquelles on ne transige pas, est celle de la Révolution. "le grand soldat", c'est le futur Napoléon I er , l'oncle de Napoléon III ; il servait dans l'artillerie, ce qui permet à Victor Hugo d'écrire qu'il mettait "dans les canons de ses mains héroïques" un boulet de canon. 2. Après le coup d'État de Louis-Napoléon Bonaparte, Hugo a pris le chemin de l'exil, il écrit Les Châtiments dans l'île anglo-normande de Jersey. 3. Le Second empire s'effondre à la suite de la défaite française (bataille de Sedan) par laquelle s'achève la guerre franco-prussienne de 1870 ; Napoléon III lui-même fut fait prisonnier à Sedan. I. Composition d'ensemble : Une diagonale, matérialisée par la plume et soulignée par le dos du livre, partage l'image en deux ; elle rend immédiatement visible la supériorité de l'écrivain, debout, qui domine Napoléon III, "renversé" (le terme s'emploie souvent, métaphoriquement, pour parler de la chute d'un chef d'État). La composition de l'image traduit un rapport de forces : l'écrivain a vaincu le tyran. II. Victor Hugo : Portrait disproportionné, tête énorme.

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Faustin Betheder, Victor Hugo le Grand(Victor Hugo écrasant Louis-Napoléon au lendemain de Sedan).

Commentaire de la caricature

Les références historiques à connaître :

1. Pendant la Révolution française, en 1793, la ville de Toulons'était révoltée contre le pouvoir parisien. Le futur Napoléon Ier, alorscapitaine d'artillerie, avait permis de prendre la ville et de la rendre à laRépublique.

On peut alors comprendre les expressions suivantes, qui figurentdans les vers cités :

"dans les temps stoïques" : l'époque "stoïque", c'est-à-dire celle ducourage austère, du sacrifice, des valeurs morales avec lesquelles on netransige pas, est celle de la Révolution.

"le grand soldat", c'est le futur Napoléon Ier, l'oncle de Napoléon III ;il servait dans l'artillerie, ce qui permet à Victor Hugo d'écrire qu'il mettait"dans les canons de ses mains héroïques" un boulet de canon.

2. Après le coup d'État de Louis-Napoléon Bonaparte, Hugo a prisle chemin de l'exil, il écrit Les Châtiments dans l'île anglo-normande deJersey.

3. Le Second empire s'effondre à la suite de la défaite française(bataille de Sedan) par laquelle s'achève la guerre franco-prussienne de1870 ; Napoléon III lui-même fut fait prisonnier à Sedan.

I. Composition d'ensemble :

Une diagonale, matérialisée par la plume et soulignée par le dosdu livre, partage l'image en deux ; elle rend immédiatement visible lasupériorité de l'écrivain, debout, qui domine Napoléon III, "renversé" (leterme s'emploie souvent, métaphoriquement, pour parler de la chuted'un chef d'État).

La composition de l'image traduit un rapport de forces : l'écrivaina vaincu le tyran.

II. Victor Hugo :

Portrait disproportionné, tête énorme.

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Son visage est celui d'un intellectuel (il est assez célèbre pour êtreimmédiatement reconnu), marqué par l'âge (et l'exil ?). La barbe en faitun sage, les mèches de la chevelure ont un mouvement qui suggèrel'action (et l'énergie des Romantiques).

Attitude, silhouette :Il est debout, tandis que Napoléon III est à terre, il ne regarde pas

Napoléon III (ce dernier est déjà vaincu, et Hugo, méprisant, n'a plus quefaire de cet adversaire ridicule).

Les "attributs" de Victor Hugo : La plume, énorme, représente la force de l'écrit. On pense aussi à la

lance du chevalier : Les mots deviennent une arme.Le mot "justicier" est écrit sur la plume ; les écrits de Victor Hugo ont

donc permis de rendre la justice (en dehors d'un tribunal ; un "justicier"n'est pas un juge), alors même que la légalité, au service du pouvoirimpérial, garantissait le pouvoir d'un usurpateur. Les "châtiments"deviennent ainsi la sanction que mérite un coupable que la loi ne permetpas d'atteindre, et Hugo devient un héros hors-la-loi, au service de lamorale.

Le mot latin veritas (vérité) peut se lire sur le sol ; pour lacommodité du lecteur, il est écrit face à lui (et non comme Hugo auraitpu l'écrire !). Le latin est à l'époque une langue prestigieuse – et lalangue dans laquelle l'Église catholique célèbre la messe ; la "vérité"proclamée par Victor Hugo acquiert ainsi prestige et noblesse.

Le mot "vérité" résume le contenu des Châtiments, qui rétablit lavérité des faits et s'oppose à la propagande impériale. Napoléon IIIn'était pas seulement un tyran, mais aussi un menteur…

Le livre : La masse du livre écrase Napoléon III. Cela signifie queles vers de Victor Hugo ont convaincu les lecteurs, et sont responsablesdu changement de régime (la véritable cause, la défaite devant laPrusse, n'est pas mentionnée !)

Victor Hugo est donc présenté comme un écrivain engagé, dont ledessinateur célèbre le triomphe.

III. Napoléon III :La caricature rend évidente une différence de taille entre les deux

personnages ; "Napoléon le Petit" est dominé par Victor Hugo à qui ledessinateur décerne le surnom "le Grand", habituellement donné à desmonarques prestigieux.

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Le visage de l'Empereur est ridicule, grotesque ; son regard trahitle désarroi et l'incompréhension : "Comment ai-je pu être vaincu par desmots ?"

Tenue militaire : Il vient justement d'essuyer une défaite.Antithèse par rapport à l'habit civil de Hugo.

Les plumes du panache constituent, elles aussi, une antithèse parrapport à la plume de Victor Hugo (dont l'extrémité est déchirée, commesi elle sortait d'un combat) : le panache n'est qu'un ornement futile,l'uniforme de l'empereur devient une tenue d'opérette – là encore, Hugoa fait éclater la vérité. La légion d'honneur (décoration créée parNapoléon Ier !) est les épaulettes ne sont plus que les signes d'undéguisement grotesque.

IV. Les vers cités par le dessinateur sont extraits des Châtiments ; lagravure les illustre en les prenant au sens propre.

"Va, maudit ! ce boulet que, dans les temps stoïques,Le grand soldat, sur qui ton opprobre s'assied,Mettait dans les canons de ses mains héroïques,

Tu le traîneras à ton pied."

"Opprobre" : la honte, le déshonneur (allusion au coup d'État de1851).

Les trois fonctions du boulet :a) Rappel historique : mérites militaires du soldat de la Révolution,

futur Napoléon Ier.b) Symbole des Châtiments.c) Symbole du bagnard.

Victor Hugo a établi lui-même une correspondance entre sonrecueil de poèmes et un boulet ; l'écrivain a célébré la gloire de l'onclepour mieux montrer la petitesse du neveu, et il était sûr que l'effet produitdans l'opinion publique serait profond et durable : le tyran traînerait doncle "boulet" de son indignité révélée.

Conclusion :Le dessinateur a mis en scène le triomphe de Victor Hugo, dont il

fait le champion de la vérité, le maître de la dénonciation – autrement ditun écrivain engagé responsable de la chute d'un régime tyrannique.

Il faudra attendre le XXe siècle pour que certains aspects positifsdu Second Empire soient soulignés par les historiens ; l'influenced'écrivains comme Hugo et Zola a donc été profonde ; la tradition del'écrivain qui s'oppose au pouvoir en place remonte au moins à Voltaire,et se poursuit au XXe siècle, avec Jean-Paul Sartre, par exemple.