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Fiche n° 78 Pourquoi un droit pénal ? La commission d’actes antisociaux est universellement répandue. Elle procède largement du désir incons- cient humain d’enfreindre la norme, lié à la volonté de puissance nourrie de l’illusion d’une liberté sans borne. S'y ajoutent les facteurs dus aux disfonctionnements du groupe social pour une part importante. La criminalité concerne tous les individus. Nul n’est à l’abri des conséquences d’un acte délictueux ou crimi- nel tant au plan des répercussions singulières qu’à celui des conséquences collectives, chaque acte antisocial atteignant chacun, de manière indirecte, par le climat d’insécurité diffuse qu’il engendre. Toute société se doit donc d’apporter une réponse réactive et concrète à la déstabilisation opérée en son sein par le phénomène criminel. C’est à l'Etat, organe juridique de la Nation, qu’il appartient de protéger la collectivité humaine. La préven- tion étant préférable à la répression, la première mission des pouvoirs publics est d'informer clairement la population des règles fondamentales de la vie en société, nourries aux sources de la morale et du droit. A cet égard, morale religieuse et morale laïque s’entendent sur l’essentiel, sauf là où sont niés les droits de l'homme. La règle de droit est structurellement différente de la règle de morale. Pour que la vie en société soit possible, une règle de conduite est indispensable. Elle s’impose pour faire régner la justice et pour assurer la sécurité. - Le besoin de justice est l’un des plus élémentaires et des plus impérieux. Fortement ancré chez l’enfant, ce sentiment demeure puissant chez l’adulte : l’on ne peut admettre un acte qui ne paraît se justifier que par la force de celui qui l’accomplit. Il y a contre cet acte une révolte de la conscience, parce que chacun sait que la vie en société serait impossible si le plus fort pouvait écraser le plus faible. - Pour vivre en société, l’homme a encore plus besoin de sécurité que de justice. Il peut, éventuellement vivre sous une règle qu’il estime injuste, du moins faut-il qu’il connaisse la règle sous laquelle il vit. Sans la satis- faction de ces besoins de justice et de sécurité, la vie en société est impossible. 1 - La règle morale n’a qu’une sanction intérieure. La règle du droit contraint matériellement les individus à ne pas faire ce qui est défendu, en prévoyant une sanction pour ceux qui ont enfreint la règle et en les obli- geant à réparer les conséquences de leurs actes. Cette contrainte se manifeste sous trois formes essentielles : - Intervention concrète, brutale de la force publique pour faire respecter la règle. - Atténuation des effets de l'acte accompli par le système de la compensation. - Condamnation de celui qui a agi contre la règle à réparer les conséquences de son acte. La responsabilité pénale, sanction de la règle de droit pénal, consiste en des condamnations corporelles ou pécuniaires, en des amendes qui sont des peines versées au Trésor Public (les dommages-intérêts sont une réparation versés à la victime pour réparer le dommage qui lui a été causé). Une sanction juridique est donc indispensable. 2 - La règle morale, telle la morale chrétienne, est d’une nature souvent trop élevée. L’homme chrétien n’a pas seulement à être juste ; il a aussi à être bon. La règle de droit s'arrête au stade de la justice. L’idéal de charité ne peut être qu’une règle de conduite individuelle. La justice est une nécessité sociale que la règle de droit ne peut pas dépasser. Elle est l’ordre des relations entre personnes humaines. 3 - La règle morale ne peut pas contenir une réglementation suffisamment complète et précise pour assurer aux hommes la sécurité dont ils ont besoin pour vivre en société. Cette sécurité juridique exige la mise en place de règles précises adaptées à la réalité sociale et culturelle des groupes qu’elles régissent. Les principaux interdits - prohibition du meurtre, de l'inceste, de la trahison, du vol - se retrouvent dans toutes les civilisations et en toutes époques : la "loi morale" est à la fois universelle et intemporelle. Pour que son enseignement entre dans les mœurs, cette loi morale doit être transposée du plan des idées à celui de l’effectivité de la vie quotidienne. D'où l’ensemble de préceptes juridiques - "loi naturelle" - dont la somme

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Fiche n° 78

Pourquoi un droit pénal ?

La commission d’actes antisociaux est universellement répandue. Elle procède largement du désir incons-cient humain d’enfreindre la norme, lié à la volonté de puissance nourrie de l’illusion d’une liberté sans borne. S'y ajoutent les facteurs dus aux disfonctionnements du groupe social pour une part importante.

La criminalité concerne tous les individus. Nul n’est à l’abri des conséquences d’un acte délictueux ou crimi-nel tant au plan des répercussions singulières qu’à celui des conséquences collectives, chaque acte antisocial atteignant chacun, de manière indirecte, par le climat d’insécurité diffuse qu’il engendre. Toute société se doit donc d’apporter une réponse réactive et concrète à la déstabilisation opérée en son sein par le phénomène criminel. C’est à l'Etat, organe juridique de la Nation, qu’il appartient de protéger la collectivité humaine. La préven-tion étant préférable à la répression, la première mission des pouvoirs publics est d'informer clairement la population des règles fondamentales de la vie en société, nourries aux sources de la morale et du droit. A cet égard, morale religieuse et morale laïque s’entendent sur l’essentiel, sauf là où sont niés les droits de l'homme. La règle de droit est structurellement différente de la règle de morale.

Pour que la vie en société soit possible, une règle de conduite est indispensable. Elle s’impose pour faire régner la justice et pour assurer la sécurité. - Le besoin de justice est l’un des plus élémentaires et des plus impérieux. Fortement ancré chez l’enfant, ce sentiment demeure puissant chez l’adulte : l’on ne peut admettre un acte qui ne paraît se justifier que par la force de celui qui l’accomplit. Il y a contre cet acte une révolte de la conscience, parce que chacun sait que la vie en société serait impossible si le plus fort pouvait écraser le plus faible. - Pour vivre en société, l’homme a encore plus besoin de sécurité que de justice. Il peut, éventuellement vivre sous une règle qu’il estime injuste, du moins faut-il qu’il connaisse la règle sous laquelle il vit. Sans la satis-faction de ces besoins de justice et de sécurité, la vie en société est impossible.

1 - La règle morale n’a qu’une sanction intérieure. La règle du droit contraint matériellement les individus à ne pas faire ce qui est défendu, en prévoyant une sanction pour ceux qui ont enfreint la règle et en les obli-geant à réparer les conséquences de leurs actes. Cette contrainte se manifeste sous trois formes essentielles :

- Intervention concrète, brutale de la force publique pour faire respecter la règle. - Atténuation des effets de l'acte accompli par le système de la compensation. - Condamnation de celui qui a agi contre la règle à réparer les conséquences de son acte.

La responsabilité pénale, sanction de la règle de droit pénal, consiste en des condamnations corporelles ou pécuniaires, en des amendes qui sont des peines versées au Trésor Public (les dommages-intérêts sont une réparation versés à la victime pour réparer le dommage qui lui a été causé). Une sanction juridique est donc indispensable.

2 - La règle morale, telle la morale chrétienne, est d’une nature souvent trop élevée. L’homme chrétien n’a pas seulement à être juste ; il a aussi à être bon. La règle de droit s'arrête au stade de la justice. L’idéal de charité ne peut être qu’une règle de conduite individuelle. La justice est une nécessité sociale que la règle de droit ne peut pas dépasser. Elle est l’ordre des relations entre personnes humaines.

3 - La règle morale ne peut pas contenir une réglementation suffisamment complète et précise pour assurer aux hommes la sécurité dont ils ont besoin pour vivre en société. Cette sécurité juridique exige la mise en place de règles précises adaptées à la réalité sociale et culturelle des groupes qu’elles régissent.

Les principaux interdits - prohibition du meurtre, de l'inceste, de la trahison, du vol - se retrouvent dans toutes les civilisations et en toutes époques : la "loi morale" est à la fois universelle et intemporelle. Pour que son enseignement entre dans les mœurs, cette loi morale doit être transposée du plan des idées à celui de l’effectivité de la vie quotidienne. D'où l’ensemble de préceptes juridiques - "loi naturelle" - dont la somme

forme le droit naturel, universel et intemporel, et duquel vont être dégagés les principes fondamentaux du droit pénal.

Le droit naturel, droit idéal, conçu à partir des caractères psychiques fondamentaux de l’être humain, ébauché à partir des Dix commandements, a inspiré les diverses Déclarations de droits de l’homme. Il s’efforce de déterminer les droits et les devoirs de l’homme envers lui-même, sa famille, la société et autrui : le législateur doit protéger la vie, l’honneur, la liberté, la propriété de chacun ; un individu n’est moralement responsable que lorsqu’il agit librement et en toute connaissance de cause ; les poursuites pénales doivent tendre à la re-cherche de la vérité, et ce dans le respect des souffrances des victimes et le souci de permettre à la défense de s’exprimer librement. Mais ses décisions ne comportent pas de sanction temporelle. Il n’est que la matrice idéologique du droit positif.

Pour une réaction efficace contre la délinquance, l’État doit préciser les agissements interdits et édicter des mesures répressives telles que privation de liberté, taxation du patrimoine, travail d’intérêt général. Le droit pénal, avec la criminologie, assure les ajustements nécessaires du passage d’un droit naturel idéal à un droit étatique pragmatique.

Selon le principe de la séparation des pouvoirs, le combat contre la délinquance se répartit entre trois fonc-tions distinctes : - la fonction législative, exercée par les assemblées parlementaires, pose les règles de la vie en société pres-crites sous forme de sanction pénale. - la fonction exécutive veille, par l’intermédiaire du procureur de la République, à ce que ces règles posées par la Nation soient effectivement appliquées. - la fonction judiciaire, confiée aux juridictions répressives, constate et sanctionne les éventuels manque-ments. Elle applique la généralité de la loi au cas concret de l’espèce.

Ces trois fonctions s’exercent de manières différentes : la loi vise des faits à venir, elle ne peut être que géné-rale, abstraite et impersonnelle ; les tribunaux, saisis de faits advenus, examinent des cas spéciaux, concrets et individuels. Le législateur ne peut prétendre réglementer ce qui ressort par nature du cas d’espèce.

La multiplication des textes, tendant à la règlementarisation du droit, engendre l’alourdissement des procé-dures et leur caractère toujours plus complexe où le formalisme en vient à étouffer le fond. La prolifération des textes constitue une cause indirecte mais certaine d’aggravation de la délinquance.

Sociologiquement, le droit pénal détermine les conduites antisociales et la réaction de la société contre ces comportements. Juridiquement, le droit pénal est constitué par l'ensemble des règles générales applicables aux infractions, celles applicables spécialement à chaque infraction et la sanction dont chacune est assortie : la peine. Le droit pénal sert donc à punir, au moyen d’outils juridiques répressifs appelés peines. Le droit pénal est une des principales prérogatives de puissance publique : la détermination des limites aux libertés individuelles. L’État s'est réservé l’exclusivité de la discipline pénale en prohibant la vengeance pri-vée et en exerçant un monopole de droit et de fait sur l’obligation contraignante par des moyens coercitifs, autrement dit le monopole de la violence publique. Le rôle du droit pénal est de définir, classifier, prévenir et sanctionner les infractions pénalement qualifiées commises par une personne physique ou morale. Le droit pénal est commandé par le principe de légalité, et ses corollaires, le principe d'interprétation stricte de la loi, l'application de la loi pénale dans le temps et dans l'espace.

La loi est la seule source des incriminations et des peines, ce qui exclut la création d'infractions ou de peines par un juge. "Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi, ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement. Nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi, si l'infraction est un crime ou un délit, ou par le règlement, si l'infraction est une contravention." Ce principe est fondé sur la séparation des pouvoirs : le législateur définit l'acte interdit, dont il ne juge pas le caractère illicite ; le juge statue sur la constitution de l'infraction, qu'il n'a pas définie dans ses éléments constitutifs. Il a pour fin de s'opposer à l'arbitraire des incriminations. D'où il ressort que l'interprétation judiciaire est restrictive et le raisonnement analogique exclu et que les lois ne sont pas rétroactives. La loi doit définir pour tous l'acte interdit soumis au juge et la sanction applicable par ce dernier. Elle est le mode obligé d'intervention de l'État en la matière, à l'exclusion de normes inférieures (or-donnances, décrets, règlements, arrêtés).

La principale évolution du droit pénal réside en ce que le droit communautaire entre dans les droits nationaux en raison de la hiérarchie des normes, créant et développant ainsi progressivement un droit criminel européen supranational. Synthèse d'un travail de Gilbert Jouberjean

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