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FICHE DE LECTURE Qu'est-ce qu'une nation ? Ernest RENAN Auteur français du XIXe siècle, né en Bretagne en 1823 et mort à Paris en 1892, Ernest Renan était à la fois philosophe, philologue, spécialiste des langues sémitiques, historien et homme politique. Renan était un spécialiste des langues sémitiques et s'était spécialisé dans l'étude critique des textes bibliques. Il écrivit en 1863 une Vie de Jésus qui fit sa renommée et dans laquelle il qualifie Jésus d’ « homme remarquable ». La guerre de 1870 et toutes ses conséquences – la défaite de la France face à l’Allemagne, l’annexion de l’Alsace-Lorraine, l’humiliation… - fut, particulièrement pour Renan, un désastre sentimental, moral, philosophique. Il avait en effet fait de l'Allemagne sa patrie spirituelle, admirateur des grands philosophes allemands Hegel, Kant et Herder. Alors que tout au long du 19 ème siècle intellectuels et hommes politiques allemands et français se disputent autour de l'idée de nation, Ernest Renan prononce à la Sorbonne le 11 mars 1882 un discours qui fera date. On analysera donc le texte en suivant son déroulement en parties bien distinctes tout en se focalisant sur le cœur de ces parties du fait des répétitions, c'est-à-dire dans un premier temps l’analyse la nation en tant que produit de l’Histoire, la définition de la nation par la négative ensuite (i.e. ce qu’elle n’est pas) et enfin la définition qu’en fait Renan. I. La nation, produit de l’Histoire Dans un premier temps, Ernest Renan montre la relative nouveauté et la spécificité du concept de nation. Ainsi, il rappelle que « l’antiquité ne la connue pas [la nation] », écartant du rang de nation l’Egypte, la Chine, Athènes, Sparte ou encore la Gaule ou l’Espagne d’avant la conquête romaine (et ce sans trop d’explications). De même, « l'Empire romain fut bien plus près d'être une patrie » (le pays de naissance), et ne constituait pas pour lui une nation, du fait notamment de la taille de l’Empire. C’est donc selon lui les invasions germaniques qui introduisirent « dans le monde le principe qui, plus tard, a servi de base à l'existence des nationalités ». En effet, c’est là l’un des premiers grands points développés dans le texte, c’est la « fusion des populations » qui du 5 ème au 10 ème siècle assura la fondation des pré-nations. Les envahisseurs germaniques adoptèrent rapidement, c'est-à-dire en quelques siècles, la religion et la langue de ceux qu’ils avaient vaincus. L’intégration des soldats germains dans les populations anciennement sous contrôle romain et l’adoption de la culture fortement influencée par ces mêmes romains a permit d’unifier ces territoires sous la domination d’une dynastie certes au départ étrangère mais par la suite intégrée. C’est cette unification des peuples vivant sous les territoires ainsi conquis, et notamment en France, que les nations émergent. Enfin, Renan montre que la nation peut se détacher de la dynastie qui la dirige et que « c’est la gloire de la France d'avoir, par la Révolution française, proclamé qu'une nation existe par elle-même. » II. Définition négative de la nation Il récuse successivement les cinq fondements possibles de la Nation que d’autres penseurs évoquent : la race, la langue, la religion, les intérêts et la géographie. 1

Fiche de Lecture Renan - Qu'est ce qu'une nation

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FICHE DE LECTURE

Qu'est-ce qu'une nation ?Ernest RENAN

Auteur français du XIXe siècle, né en Bretagne en 1823 et mort à Paris en 1892, Ernest Renan était à la fois philosophe, philologue, spécialiste des langues sémitiques, historien et homme politique. Renan était un spécialiste des langues sémitiques et s'était spécialisé dans l'étude critique des textes bibliques. Il écrivit en 1863 une Vie de Jésus qui fit sa renommée et dans laquelle il qualifie Jésus d’ « homme remarquable ».

La guerre de 1870 et toutes ses conséquences – la défaite de la France face à l’Allemagne, l’annexion de l’Alsace-Lorraine, l’humiliation… - fut, particulièrement pour Renan, un désastre sentimental, moral, philosophique. Il avait en effet fait de l'Allemagne sa patrie spirituelle, admirateur des grands philosophes allemands Hegel, Kant et Herder.

Alors que tout au long du 19ème siècle intellectuels et hommes politiques allemands et français se disputent autour de l'idée de nation, Ernest Renan prononce à la Sorbonne le 11 mars 1882 un discours qui fera date.

On analysera donc le texte en suivant son déroulement en parties bien distinctes tout en se focalisant sur le cœur de ces parties du fait des répétitions, c'est-à-dire dans un premier temps l’analyse la nation en tant que produit de l’Histoire, la définition de la nation par la négative ensuite (i.e. ce qu’elle n’est pas) et enfin la définition qu’en fait Renan.

I. La nation, produit de l’Histoire

Dans un premier temps, Ernest Renan montre la relative nouveauté et la spécificité du concept de nation. Ainsi, il rappelle que « l’antiquité ne la connue pas [la nation] », écartant du rang de nation l’Egypte, la Chine, Athènes, Sparte ou encore la Gaule ou l’Espagne d’avant la conquête romaine (et ce sans trop d’explications). De même, « l'Empire romain fut bien plus près d'être une patrie » (le pays de naissance), et ne constituait pas pour lui une nation, du fait notamment de la taille de l’Empire.

C’est donc selon lui les invasions germaniques qui introduisirent « dans le monde le principe qui, plus tard, a servi de base à l'existence des nationalités ». En effet, c’est là l’un des premiers grands points développés dans le texte, c’est la « fusion des populations » qui du 5ème au 10ème siècle assura la fondation des pré-nations. Les envahisseurs germaniques adoptèrent rapidement, c'est-à-dire en quelques siècles, la religion et la langue de ceux qu’ils avaient vaincus. L’intégration des soldats germains dans les populations anciennement sous contrôle romain et l’adoption de la culture fortement influencée par ces mêmes romains a permit d’unifier ces territoires sous la domination d’une dynastie certes au départ étrangère mais par la suite intégrée.

C’est cette unification des peuples vivant sous les territoires ainsi conquis, et notamment en France, que les nations émergent.

Enfin, Renan montre que la nation peut se détacher de la dynastie qui la dirige et que « c’est la gloire de la France d'avoir, par la Révolution française, proclamé qu'une nation existe par elle-même. »

II. Définition négative de la nation

Il récuse successivement les cinq fondements possibles de la Nation que d’autres penseurs évoquent : la race, la langue, la religion, les intérêts et la géographie.

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A ses yeux, la nation ne dépend ni d'une race particulière, car « au principe des nations on substitue alors celui de l'ethnographie », ni d'une langue: « n'abandonnons pas, dit-il, ce principe fondamental que l'homme est un être raisonnable et moral avant d'être parqué dans telle ou telle langue », ni d'une religion , ni d'intérêts économiques partagés , ni encore de la géographie.

Pour citer une fois encore l’auteur, « L'homme n'est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d'hommes, saine d'esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s'appelle une nation. Tant que cette conscience morale prouve sa force par les sacrifices qu'exige l'abdication de l'individu au profit d'une communauté, elle est légitime, elle a le droit d'exister. Si des doutes s'élèvent sur ses frontières, consultez les populations disputées. Elles ont bien le droit d'avoir un avis dans la question. »

Ainsi, la race en tant que fondement d’une nation est une imposture pour Renan, car les races pures n’existent pas ou n’existent plus depuis des millénaires. Tout en rappelant son amour pour l’ethnographie (il était en effet adepte d’une certaine vision raciale de l’humanité1) il refuse que cette science serve politiquement.

La langue n’est pas non plus un des fondements de la Nation, elle invite la réunion des hommes qui la parle mais elle ne les y oblige pas. En effet, la Suisse est multilingue mais uninationale, c’est selon lui aussi le cas de la Belgique de l’époque.

On peut présenter l'opposition classique entre les conceptions de la nation avancées par l’allemand Herder et par le français Renan. Selon le premier, la Providence « a admirablement séparé les nations non seulement par des forêts et des montagnes mais surtout par les langues, les goûts et les caractères », chaque nation faisant figure d'organisme devant persister à travers l'Histoire en demeurant fidèle à sa propre culture.

Il faut tout de même rappeler que l'Alsace-Lorraine est l'exercice de style obligatoire pour tous les historiens français et allemands de cette époque. Les principaux arguments que les historiens français trouveront à opposer sont des arguments de démocratie, issus de la conception révolutionnaire, notamment l'idée du « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ». Fustel de Coulanges déclare ainsi que si l'Alsace est allemande de langue et de race, elle est française par le « sentiment de la patrie », et que depuis 1789 elle a suivi « toutes nos destinées, elle a vécu de notre vie ».

En 1769, Herder envisage une Nation allemande à partir de la langue. C’est la tradition linguistique qui permettra la formation d’une Nation, d’un peuple, d’un « Volk». C’est ainsi que naît une conception allemande de la Nation, Volkstum, selon une idée de rassemblement de tous les Hommes ayant une langue commune, une même culture et une même origine ethnique (génie national). Les philosophes allemands vont être influencés par la philosophie des Lumières, et accueillirent avec enthousiasme la Révolution française. Mais en voyant dans chaque nation le résultat d'une culture propre qui se transmet dans le temps, une sorte d'héritage s'imposant, par exemple, à travers une langue maternelle, Herder ouvre incontestablement une perspective très différente de celle présentée, un siècle plus tard par Ernest Renan.

Si Ernest Renan oppose aux conceptions allemandes des contre-exemples tels que la Suisse et la Belgique qui dérogent à l'unité de langue et de coutume, les allemands montrent

1 « L’inégalité des races est constatée », L’avenir de la science – pensée de 1848

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que les thèses de la nation-personne et de la « volonté générale » impliquent l'oppression des minorités récalcitrantes.

Les historiens français de l’époque se veulent des rassembleurs de tous les français autour de la mémoire collective, leur passé, et des combattants face à l'adversaire allemand. La nation allemande constituée et l'annexion de l'Alsace-Lorraine transformeront le plus grand nombre des intellectuels français, en particulier les historiens, en porte-parole de la communauté nationale Fustel de Coulanges par exemple, tout comme Ernest Renan. Ce dernier met en avant la thèse de la « volonté collective » pour s'opposer à la thèse des historiens allemands.

Une évolution similaire s'est faite jour chez les historiens allemands, avec par exemple Mommsen ou Fichte qui écrivit son Discours à la Nation allemande durant l’occupation de l’Allemagne par les troupes napoléoniennes. Les historiens allemands évoquent des données « objectives » pour justifier que ces territoires font partie de la nation allemande : l'unité de la langue, des coutumes, voire de la race. C'est cette crispation autour de ces définitions qui a justifié l'idée qu'il y avait une définition française et une définition allemande de la nation, bien distinctes et incompatibles.

III. Ce qu’est la nation

Réfutant successivement les conceptions dynastique, ethnographique, linguistique, religieuse, géographique et communauté d’intérêts de l’unité nationale, il leur oppose une représentation historique, spirituelle et communautaire où domine le principe d’adhésion volontaire qui marque le désir clairement affirmé d'une communauté de citoyens de vivre ensemble. L’existence d’une nation est selon l’auteur « un principe spirituel » qui trouve sa source dans le passé, le présent et même l’avenir.

Pour Renan, la nation nécessite que les individus se remémorent leur passé mais aussi qu’ils oublient une partie de leur histoire, pour s’unir au sein d’une Histoire nationale. Un passé héroïque avec des gloires communes, comme la bataille de Valmy et le mythe des grands hommes ou du citoyen en arme défendant leur nation, mais aussi un passé douloureux, fait de souffrances communes. La Nation c’est donc « avoir fait de grande chose ensemble », et « vouloir en faire encore ». « L’histoire comme mythe porteur du destin national » pour citer Pierre Nora et le mythe national liant « étroitement l’avenir au passé ».

L’oubli est également, ce qui peut sans doute paraître paradoxal, un outil essentiel pour Renan, pour qui « tout citoyen français doit avoir oublié la Saint-Barthélemy, les massacres du Midi au XIII e siècle », une conception qui ne contredit en rien la nécessité du souvenir car selon lui il faut se délaisser de ces pages sombres de l’histoire nationale afin d’aller de l’avant.

Enfin pour Renan, la Nation est « un plébiscite de tous les jours, comme l'existence de l'individu est une affirmation perpétuelle de la vie ».

Ce concept de nation élective se défini comme une association volontaire d’individus ayant comme objectifs de se donner ou de se lier à un État. Autrement dit, Renan montre implicitement que l’État constitue le cadre dans lequel ces individus sont regroupés. Quand il dit qu’ « une province, pour nous, ce sont ses habitants ; si quelqu'un en cette affaire a droit

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d'être consulté, c'est l'habitant », c’est une allusion à peine voilée2 une fois encore au cas de l’Alsace-Lorraine à qui le droit à l’autodétermination a été refusé au Traité de Francfort.

Mais Renan ne magnifie pas pour autant le concept de nation qu’il a ici définis. Comme il le dit lui-même, « Les nations ne sont pas quelque chose d'éternel. Elles ont commencé, elles finiront. »

ConclusionDans Qu’est-ce qu’une nation ?, Ernest Renan expose donc une conception originale

de l’idée de nation. Pour lui, « la nation est un plébiscite de tous les jours », elle est le résultat de la volonté des hommes et femmes qui, porteurs « d’un riche legs de souvenirs », et vivant dans « le consentement actuel », veulent manifester pour l’avenir, leur « désir de vivre ensemble ».

Il faut donc se souvenir que cette théorie s’enracine dans un contexte historique et un héritage particulier et étudier la conception dite raciale de la nation que l’on présente souvent comme contradictoire.

2 Comme selon la formule prononcée par Gambetta en 1872 à propos de l’Alsace-Lorraine « Y penser toujours,

n’en parler jamais ».

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