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HORS SERIE - ETRE JOURNALISTE EN 2010

Folio - Numéro Hors Série

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HORS SERIE - ETRE

JOURNALISTE EN 2010

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En France, le ministère de la Défense organise des stages commandos pour les reporters. Le but est de les préparer aux dangers des zones de guerre. Une bonne idée que l’on pour-rait développer. Pourquoi ne pas faire des formations sur les risques quotidiens du journal-isme ? Un stage sur les vols d’ordinateurs pourrait être très utile. Savoir comment réagir après s’être fait cambriolé paraît plus important que de savoir franchir un check-point afghan. Mais visiblement, ces petits problèmes ne sont pas à régler en priorité. Mieux vaut préparer les reporters aux zones de conflits, cela leur évitera de se faire kidnapper et permettra à l’Etat, d’économiser de coûteux frais de libération.

La rédaction

Si on peut féliciter les moteurs de la liberté de la presse, à savoir les pays scandinaves et quelques pays comme la Suisse ou l’Autriche, d’autres rendent compte d’une sombre ré-alité : la détérioration de la liberté de la presse et du modèle européen de défense des droits de l’homme. Aberrant donc de constater qu’être journaliste aujourd’hui, c’est assurer ses arrières car la justice et les politiques sont sur le qui-vive.

On dit bien souvent que le rôle d’un journaliste est de défendre les libertés. Une tâche difficile. Dans certains pays, comme la Corée du Nord ou la Birmanie, les journalistes risquent parfois leur propre liberté à défendre les nôtres. Les intérêts économiques peuvent parfois inciter les dictateurs à desserrer leur oppression. Pour autant, puissance économique ne signifie pas for-cément liberté. La Chine en est un parfait exemple. Bien sûr qu’il existe de fervents défenseurs de la démocratie dans le pays. Mais leurs bâillons les étouffent, on ne les entend pas. Pourtant les idées sont bien là, à ne pas pouvoir être relayées par les journalistes. La surveillance ne baisse pas les armes, alors attention aux mots employés. L’informateur doit savoir s’adapter au métier et à ses limites.Quoi de mieux qu’un casque intégral pour se protéger des coups de barres à mine quand on est journaliste en Russie? Même Vladimir Poutine en porte un sauf qu’il s’essaye à la Formule 1 sur un circuit. Décliné aussi à un usage professionnel, il protège des agressions les journalistes qui ont la langue bien pendue. On dit que la parole est d’argent et que le silence est d’or. La Russie applique la seconde devise à la lettre. Mais que fait-elle de la vérité qu’elle étouffe comme on renferme des poupées russes les unes dans les autres?Ailleurs, c’est au contraire le trop plein de vérité qui dérange. Julian Assange, fondateur de Wikileaks, en sait quelque chose. Poursuivi par les polices internationales sous - n’ayons pas peur de prendre parti - ce qui ressemble fort à un prétexte, son envie de rendre public ce qui n’était pas destiné à l’être en premier lieu ne plaît pas à tout le monde. Même à certains jour-nalistes, qui n’y voient là qu’une parodie de travail d’investigation. A tort ?

Le mot de la rédaction

Que retiendront les journalistes de 2010 ? Un classement éloquent sûrement : celui de Reporters sans Frontières. Des surprises certes, mais une réalité obscure qui retient l’attention : la presse est en proie à une guerre. Une guerre médiatique où le journaliste, à l’image d’un soldat, doit se battre pour défendre sa liberté d’expression

face à l’oppression des régimes totalitaires. Tunisie, Yémen, Birmanie, Corée du Nord, Chine, autant de pays “blacklistés” par RSF où les droits de la presse n’existent plus, mais où des journalistes vaillants persistent au péril de leur propre sécurité, à défendre le droit de dénoncer, de faire vivre l’information et la conscience citoyenne. Le constat est d’autant plus inquiétant que la censure, qui était jusqu’alors l’apanage des régimes totalitaires, tend à se répandre dans une moindre mesure en Europe. Le Vieux Continent a perdu son statut de leader avec quatorze pays classés au-delà de la vingtième place. La France, qui se targue d’être la terre des libertés, persiste dans une tendance répressive : concentration des médias, violation de la protection des sources, entre autres. Reste à savoir si la guerre sera longue et si les armes nouvelles à la portée de l’information, à l’image de Wikileaks, permettront de renverser la tendance répressive et faire vivre le droit à l’expression et à l’information...

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A LA UNE

Pour ce numéro spécial, la rédaction de Folio a réalisé un tour du monde des différentes condi-tions dans lesquelles les journalistes exercent leur métier. De l’Europe à la Birmanie, état des lieux d’une profession pas comme les autres.

EuropeLa chute libreLe Vieux Continent représente le plus grand paradoxe en matière de liberté de la presse : si les pays du nord sont un exemple pour la profession, ceux du sud, en revanche, font pencher la bal-ance du mauvais côté.............4

MAGHREBBen Ali et Saleh, les prédateurs du monde arabeLes présidents tunisiens et yéménite figurent parmi les 40 prédateurs de la liberté de la presse selon le classement de Reporters Sans Frontières...8

RUSSIENovembre noirAprès l’épisode Politkovskaïa, la répression du régime con-tinue envers ceux qui rev-endiquent la libre pensée......14

ASIERégimes totalitaires, pires ennemis de la liberté de la presseChine, Corée du Nord, Bir-manie : passage au crible de trois des plus mavais élèves du classement RSF..............16

WIKILEAKSEntre bien et malLe site fondé par Julian As-sange vient jouer les trouble-fête dans la diplomatie mon-diale. Bonne ou mauvaise nouvelle ?............................22

LE PLUS DE LA RÉ-DACTIONDes journalistes sur le pied de guerreChaque année, des stages sont organisés par le ministère de la Défense, qui placent les journalistes en situation de conflit. Une manière de leur inculquer quelques rudi-ments de survie.................................24

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Un journaliste tente de prendre des photos en pleine guerre civile thaïlandaise / © Kerek Wongsa

Rédacteur en chef : Coline Benaboura Secrétaire de rédaction : Nicolas Gil Maquettiste : Nicolas Gil Rédaction : Marie Aubazac, Coline Benaboura, Marine Chapelle, Nicolas Gil, Benoît Jacquelin, Claire Monnerat, Jérémie Nadé, Lauriane Rialhe, Natacha Verpillot.

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La chute libreLa situation de la liberté de la presse est mise à mal dans l’Union européenne. Si les pays du nord sont en tête concernant le respect et la protection des journalistes et médias, c’est loin d’être le cas de ceux du sud. Un constat en demi-teinte…

En tête des pays qui défend-ent le mieux leurs journal-istes, un groupe compact venu du froid : la Finlande

et la Suède. Suivent les Pays-Bas, la Suisse et l’Autriche, seuls capables de se hisser au niveau des pays scan-dinaves. Dans la plupart de ces pays, le secret des sources et la protection de ces dernières sont constitutionnels. Ce n’est pas un hasard si la Suède fait figure d’exemple. En 1776, elle est le premier pays au monde à proclamer la liberté de la presse, près de 25 ans avant la France et sa Déclaration des Droits De l’Homme. Aujourd’hui, les textes régissant les droits des jour-nalistes sont fixés par l’Acte sur la Liberté de la Presse, un des quatre principaux piliers de la Constitution Suédoise. Rien d’étonnant donc que le site Wikileaks ait souhaité y trouver

refuge. En Suisse, la protection des sources s’étend même aux blogueurs. Un arrêt de la Cour suprême confirme que les commentaires « postés » par des internautes non-journalistes sont aussi protégés par le droit à la protec-tion des sources. Mais il n’y a pas que dans ces Etats qu’il fait bon d’être journaliste. En Autriche, il existe un Conseil de surveillance de la presse, garant de l’éthique professionnelle. A côté de ces pays, la France fait pâle figure. Seul l’article 11 de la Décla-ration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 garantit cette liberté. Avec la loi du 29 juillet 1881, le pays avait pourtant fait un grand pas vers la protection des journalistes. Mal-heureusement, la contourner devient « un jeu d’enfant ». Les populations des pays nordiques entretiennent, par ailleurs, un rapport plus que

EUROPE :

Par Marie Aubazac et Natacha Verpillot

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EUROPEprivilégié avec la presse. Et les chiffres sont éloquents.

En Finlande, près de 76% de la population adulte lit tous les jours un des 165 quotidiens na-tionaux, contre moins de 10% des Français pour dix quotidiens nationaux. Et, avec seulement 9 millions d’habitants, la Suède compte, tous types de parutions confondus, 480 exemplaires de journaux vendus pour mille habitants, soit 4 fois plus que la France. Dans un pays où le taux de pénétration d’Internet est un des plus élevés d’Europe, c’est un joli pied de nez à ceux qui croient en l’incompatibilité de la presse papier et du web.

La mort de la liberté de la presse ? Les mauvais élèves européens auraient tout intérêt à copi-er leurs voisins scandinaves. L’Italie (49ème, comme le Burkina-Fasso), la Roumanie (52ème), et la Grèce comme la Bulgarie (tous deux 70ème) contrebalancent les bons résul-tats des pays du nord. Dans ces

pays, les entailles à la liberté de la presse sont nombreuses. Les projets de loi vont bon train. Un, sur la surveillance électro-nique et les mises sur écoute en Italie, aurait pu sérieusement mettre à mal le journalisme d’investigation. De même, un autre projet de loi visait à intro-duire de trop nombreuses excep-tions à la protection des sources en Estonie (pourtant 9ème au classement). Sans oublier, les troubles politiques et les vio-lences subies par plusieurs jour-nalistes en Grèce, ainsi que la condamnation du blasphème à 25 000 euros d’amende en Ir-lande. Idem en Espagne, où le directeur de la radio privée Ca-dena SER a échappé de justesse à une peine de 21 mois de prison suivi de l’interdiction d’exercer sa profession. En Roumanie, la presse est désormais consi-dérée comme une menace pour la sécurité nationale et le pays projette d’en contrôler légale-ment le travail. En plus d’être contre-productives, toutes ces actions compliquent la mission

de ceux qui, hors de l’UE, es-sayent d’obtenir la dépénali-sation des délits de presse. La France n’échappe pas à la règle. Seulement 44ème au classe-ment de RSF (derrière le Suri-nam, la Tanzanie et le Ghana), la liste des reproches est con-séquente : « violation de la pro-tection des sources, concentra-tion des médias, mépris et même impatience du pouvoir politique envers les journalistes et leur travail, convocations de jour-nalistes devant la justice… ». A cet égard, les choses se sont clairement accélérées en 2010 avec l’affaire Woerth-Betten-court, réelle affaire d’Etat dont on ne compte plus les dérives. Une affaire qui mêle les servic-es secrets, les forces de police et autres magistrats qui usent de leur pouvoir pour se pro-curer les relevés téléphoniques des journalistes afin d’identifier leurs sources et d’entraver leur travail. Ces agissements mettent en péril la liberté de la presse et la protection des sources de l’information, en ouvrant la voie à une surveillance massive des journalistes et de leurs contacts. Le vol en série d’ordinateurs de journalistes travaillant tous sur

➢Les populations des pays nordiques entretiennent un rapport privilégié avec la presse : en Finlande, près de 76% de la population adulte lit tous les jours un des 165 quotidiens nationaux.

Evolution des pays européens concernant la liberté de la presse de 2002 à 2010©

RSF

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l’affaire Bettencourt n’arrange rien et laisse suspecter autre chose qu’un simple concours de circonstances. Les révélations sur ces vols étant survenues au même moment que l’ouverture de l’information judiciaire dans ce dossier si encombrant pour le sommet de l’État.

Quand politique et média ne font plus qu’unAutant de faits qui sont dev-enus le quotidien d’une presse qui souffre de plus en plus de l’intrusion du pouvoir en place. Le plus grand problème de ces pays reste, en effet, la main-mise des politiques sur les mé-dias. C’est le cas de l’Italie, où Silvio Berlusconi est à la tête d’un empire médiatique. De ce fait, à l’exception de La Repub-blica, aucun média n’ose porter atteinte à son image, pas plus qu’à celle de son gouvernement. Chose plus qu’incongrue étant donné le comportement du Cav-aliere, largement décrié dans la

presse européenne. Une telle chose ne pourrait pas se pro-duire en Finlande où un ensem-ble de chaînes de télévision et de station de radio sont financées par l’impôt et donc libres de cri-tiquer le secteur privé comme public. La France suit pourtant l’exemple de l’Italie. France Télévisions offrait auparavant une garantie d’indépendance par rapport au pouvoir poli-tique, le groupe TF1, dirigé par Martin Bouygues, ami intime de Nicolas Sarkozy, étant souvent pointé du doigt pour sa capac-ité à manipuler l’information au profit de l’UMP. Pourtant, le Président de la république a décidé de nommer lui-même le dirigeant des chaînes du ser-vice publique de France Télé-visions. En remplaçant Patrick de Carolis par Rémy Pflimlin, Nicolas Sarkozy semble vouloir contrôler de plus en plus les mé-dias, véritable contre-pouvoir dans toute démocratie. Les re-sponsables politiques n’hésitent

pas, non plus, à intenter de plus en plus de procès contre la presse, fragilisant le modèle eu-ropéen de défense de la liberté d’expression et décrédibilisant, au passage, la politique extéri-eure et la portée universelle des valeurs européennes. La palme de l’ingérence politique revient au gouvernement grec qui, imi-tant la plupart des Etats cen-seurs, est allé jusqu’à exiger de son homologue allemand qu’il s’excuse pour la une du maga-zine Stern consacrée à la crise économique en Grèce.L’Union européenne est loin d’être un ensemble homogène en matière de liberté de la presse et l’écart continue de se creuser. Selon Jean-François Julliard : « si elle ne se ressaisit pas, l’Union europée-nne risque de perdre son statut de leader mondial dans le domaine du respect des droits de l’homme ». Pourtant, même fragilisée, l’Union européenne reste l’une des rares zones où la presse peut exister dans des conditions acceptables.

Liberté de la presse : la chute libre

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Doit-on s’inquiéter de la liberté de la presse en Europe ?La liberté de la presse est consubstan-tielle à la démocratie, c’est donc une source d’inquiétude constante. C’est un élément fragile qui doit être soutenu. Actuellement, certains gouvernements ou partis politiques, plutôt de droite, tentent de limiter l’expression des jour-nalistes ou en tous cas de les encadrer. Bien sûr on parle de Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi. Mais il y a aussi la Hongrie, où une loi récente a permis de regrouper l’ensemble des radios, télévi-sions et agences de presse publiques dans une holding directement dirigée par le Premier ministre. Il y a une véritable régression de la part de certains gou-vernements qui veulent contrôler leur service public à tout prix.

Internet semble être le support qui ef-fraie le plus le pouvoir politique. Est-ce parce qu’il ne peut pas le contrôler ?Il est toujours possible de contrôler In-ternet, il suffit de voir ce qui se passe en Chine. Mais il s’agit d’une dictature. Dans une société démocratique, il est très difficile de contrôler Internet pour différentes raisons. Le web a permis de multiplier le nombre de médias. Face à cette explosion du nombre de médias, les pouvoirs politiques sont quasiment impuissants. Je ne pense pas que le pou-voir politique ait peur d’Internet mais plutôt du journalisme d’investigation qui, suite à la crise économique s’est déplacé sur le web. Il a un impact beau-coup plus fort aujourd’hui, puisque les lecteurs sont plus nombreux et qu’il en reste une trace.

La collusion entre politique et médias semble de plus en plus présente, les présidents se sont-ils toujours mêlés du 4e pouvoir ?Le pouvoir politique considère que les médias font l’opinion, et veut donc con-trôler l’opinion et les journalistes. Mais c’est voué à l’échec. Il est impossible de parvenir à contrôler tous les médias car il y en a trop, mais c’est surtout la concurrence qui joue un rôle important. Si un journal ne sort pas une affaire, c’est un autre qui le fera. Les médias ont une capacité de résistance extraordinaire. D’ailleurs, si on empêche un journaliste de sortir un scoop dans son média, il ira voir ses confrères, et le tollé médiatique sera encore plus grand.

Propos recueillis par Marie Aubazac

3 questions à ... Christian Delporte, historien des médias

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Ben Ali et Saleh, les prédateurs du monde arabe

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Par Coline Benaboura et Benoît Jacquelin

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Ben Ali et Saleh, les prédateurs du monde arabe

MAGHREB

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La Tunisie du président Zine el-Abidine Ben Ali est clas-sée comme l’un des « dix pires ennemis de la presse » par le Comité pour la protection des journalistes. Dans les discours, le parti au pouvoir dit garantir la liberté de la presse.

Quand Ben Ali musèle la presse

Le 15 juillet dernier, le journaliste tunisien Fahem Boukadous est arrêté à l’hôpital de

Sousse. Il est condamné à quatre ans de prison ferme pour “diffu-sion d’informations de nature à troubler l’ordre public”. Il avait été le seul dans le pays à couvrir les manifestations populaires du bassin minier de Gafsa, en proie en 2008 à l’agitation sur fond de chômage, de corruption et de cli-entélisme. Au-delà d’un motif d’accusation discutable, le procès lui-même aurait dû être reporté, car en droit tunisien, toute procédure doit être interrompue tant que l’accusé

reçoit des soins. Dans le cas présent, les avocats du journal-iste n’ont même pas pu plaider.

Censure déguisée à l’intérieur...On recense en Tunisie 245 jour-naux et magazines dont près de 90% seraient privés. Parmi ceux-ci, trois journaux d’opposition qui ont beaucoup de mal à surmonter les obstacles mis en place par les autorités pour les affaiblir. Véri-tables éléments du décor, ils per-mettent aux autorités d’afficher un pluralisme factice, en grande partie pour contenter les alliés occidentaux du pays – parmi ceux-ci la France. Presque tous les journaux suivent la ligne gou-

vernementale. Toute approche critique des activités du prési-dent, du gouvernement ou du par-ti au pouvoir (le Rassemblement constitutionnel démocratique) est bannie. Dans le pays, la grande majorité des informations provi-ennent de l’agence Tunis Afrique Presse, sévèrement encadrée par le pouvoir. Malheur à ceux qui osent critiquer le pouvoir, les représailles ne se font pas atten-dre : coupures de lignes télépho-niques, mais aussi interdiction de sortie du territoire, surveil-lance policière ou confiscation de passeport. Quand il ne s’agit pas d’intimidations, d’agressions, voire d’emprisonnement. Les

MAGHREB©

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Ben Ali et Saleh, les prédateurs du monde arabe

affaires Fahem Boukadous et Taoufik Ben Brik ne sont m a l h e u r e u s e -ment pas des cas isolés.Dernier moy-en de pression, l’allocation par l’Etat d’une sub-vention de 120 000 dinars (soit 63 000 euros) par an pour les quo-tidiens et heb-domadaires de partis politiques et de 30 000 di-nars (16 000 eu-ros) pour tout autre périodique. Si les journaux s’avèrent un peu trop critiques, ils peuvent dire adieu à ces sub-ventions essen-tielles à leur sur-vie. Il faut ajouter que dans le pays, 80% des journalistes dépendent d’organes de presse publics et sont, selon Nejiba Hamrouni, du Syndicat National des Journal-istes Tunisiens, « en permanence soumis au chantage à l’emploi ».De légers progrès ont néanmoins été accomplis ces dernières an-nées, avec la suppression du délit de « diffamation de l’ordre public » et de l’obligation ad-ministrative du « dépôt préalable des organes de presse auprès du ministère de l’intérieur avant publication ». Ces mesures ne concernent néanmoins que les médias tunisiens.

Censure affichée à l’extérieurAucun journal étranger ne peut être suspendu en dehors d’une décision de justice. Et à en croire

le pouvoir en place cela ne serait jamais arrivé dep-uis 1987 et l’intronisation de Ben Ali en tant que prési-dent de la ré-publique. Le discours of-ficiel dit aus-si qu’aucun j o u r n a l i s t e n’aurait été détenu en rai-son de ses ac-tivités profes-sionnelles...Pourtant, un certain nom-bre de jour-naux étrang-ers, dont Le Monde, Le Nouvel Ob-servateur ou Le Figaro sont régulièrement censurés dep-

uis les années 1990. Le Canard Enchaîné ou Charlie Hebdo sont quant à eux tout bonnement inter-dits. Un bon moyen de dissimuler la censure et les dérives du pou-voir aux tunisiens.

A en croire le gouvernement, la presse tunisienne serait libre de ses propos. Pourtant, en juillet 1996 déjà, l’Association mon-diale des journaux suspendait l’AJT (Association des Jour-naux Tunisiens) pour son si-lence concernant les attaques contre la presse. En 1997, elle était définitivement expulsée à la suite d’une enquête concer-nant... la liberté de la presse. Mieux encore, Zine el-Abidine Ben Ali est actuellement classé parmi dans les quarante « pré-dateurs » de la liberté de la presse selon Reporters Sans Frontières. A ses côtés dans le classement : l’Iranien Mahmoud Ahmadinejad, le président chinois Hu Jintao ou encore le nord-coréen Kim Jong-il.

Malheur à ceux qui osent cri-tiquer le pouvoir, les représailles ne se font pas attendre : cou-pures de lignes téléphoniques mais aussi in-terdiction de sortie du ter-ritoire, surveil-lance policière ou confiscation de passeport.

« On ne peut ni écrire ni publier librement »

Le Syndicat National des Journalistes Tunisiens (SNJT), est le tout premier syndicat de journalistes en Tunisie. A sa création en 2008, il suscitait de nom-breux espoirs. Deux ans plus tard, rien ne va plus. Le bureau initiateur de l’organe a été suspendu et la situ-ation des journalistes demeure difficile. D’anciens membres ont formé un autre bureau et réclamé « la cession du local et des dossiers par voie de justice ». Là encore le gouvernement est fortement soupçonné d’être l’instigateur de cette scission. Dans une in-terview donnée au blog indépendant de RSF Tunisia-Watch – bien sûr censuré en Tunisie, Nejiba Hamrouni, trésorière du syndicat résume cette situation de fa-çon éloquente : « On ne peut ni écrire ni publier libre-ment. Des journaux sont régulièrement interdits de parution, des sites internet sont bloqués, des jour-nalistes sont harcelés, empêchés de travailler, mis sur écoute, arrêtés, traduits en justice, parfois physique-ment malmenés. »

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La République du Yémen, marquée par les guerres civiles et le totalitarisme de son président Ali Abdullah Saleh. / © DR

MAGHREB

170e au classement RSF 2010, le Yémen préoccupe. Avec un raidissement de sa politique, notamment à l’égard du droit de la presse, le président du Yémen Ali Abdullah Saleh a placé son pays dans le carré le plus répressif de la planète à l’encontre des journalistes. Une tendance qui ne va pas vers la voie de l’amélioration en 2011...

Yémen: Camisoles de force pour les journalistes

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Depuis 2009, la liberté de la presse s’est con-sidérablement dégradée au Yémen. En 2010,

treize journalistes yéménites ont été arrêtés et condamnés à de la prison ferme pour avoir critiqué le gouvernement. Certains sièges de journaux ont également été as-siégés voir mitraillés à l’image du journal Al-Ayyam. Enfin du ma-tériel de transmission a été saisi dans deux chaînes d’informations : Al-Arabiya et Al-Jazeera. Quand aux journalistes extérieurs, l’accès au pays reste exceptionnel et doit faire l’objet d’un contrôle par un instructeur local formé par la sé-curité intérieure. La liste des méth-odes d’intimidation est longue : ou-tre les menaces, le gouvernement yéménite n’hésite pas à recourir aux violences physiques et armées à l’encontre des professionnels des médias. Le chef du gouvernement, Ali Abdullah Saleh, tient à l’opacité de l’information. Soucieux de taire les récits des guerres civiles au nord comme au sud du pays, de dissimuler la corruption et autres détournements de fonds, il n’hésite pas, hors de tout cadre légal, à en-courager les arrestations arbitraires de journalistes. Cette intolérance à la critique a atteint son paroxysme en mai 2009, avec la création d’un tribunal spécial pour la presse sur proposition du ministre de la Jus-

tice. Validé par le conseil supéri-eur de la magistrature, ce tribu-nal spécial a le statut d’une cour d’exception à même de juger les « délits de presse ».

Une mainmise stratégique sur les médiasLe ministère de l’Information contrôle toute la radiodiffu-sion. Or, en raison du haut taux d’analphabétisme dans ce pays, la radio et la télévision constituent des sources d’informations essen-tielles. D’autre part, elles répondent à une volonté de l’Etat de dévelop-per un lien social de type national qui transcende les liens commu-nautaires. Le but étant d’étouffer tout mouvement indépendantiste à tendance démocratique. Le gou-vernement contrôle également la plupart des journaux et des imprim-eries. La loi sur la presse de 1990 interdit la critique du président et énumère une longue liste de délit définis en termes vagues : c’est sur la base de cette loi que les autorités s’appuient pour censurer la presse et empêcher les journalistes de ren-dre compte de sujets « sensibles », tels que la coopération avec les Etats-Unis dans la lutte contre le terrorisme, la corruption ou la vio-lation des droits de l’Homme.Le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU a incité en mai 2009 le Yémen à cesser la torture et les

mauvais traitements infligés par le département de la sécurité policière et les membres de l’administration pénitencière. Plusieurs recom-mandations demandaient aux au-torités de mettre fin à la censure, aux détentions arbitraires de jour-nalistes et de respecter la liberté d’expression. Les mises en garde portaient aussi sur les arrestations massives sans mandats, les déten-tions arbitraires, les exécutions ex-trajudiciaires et les disparitions in-expliquées. Depuis, aucune mesure n’a été prise dans ce sens par les autorités yéménites.

Une opacité mise à mal par WikileaksLes journalistes du pays doivent se réjouir des dernières révélations du site Wikileaks : en effet, les rapports pointent du doigt les détournements de fonds amé-ricains pour la traque du ter-rorisme au profit du finance-ment des guerres intérieures contre les mouvances indépen-dantistes. Le gouvernement n’aurait pas non plus hésité à couvrir les raids aériens améri-cains à l’encontre d’Al-Qaïda, qui ont fait des dizaines de mort en décembre dernier. Si la presse yéménite est ligotée, elle peut encore compter sur l’occident pour faire survivre la liberté d’expression...

CONTEXTE

En 2009 le Yémen connaît une violente guerre au nord du pays entre les forces de l’armée yéménite et les partisans du chef religieux zaydite Hussain Badr al-Din al-Hunti, à l’origine d’un mouvement de protestation contre l’expansion du sunnisme dans les provinces du nord à majorité zaydite. Taxés d’indépendantistes, les partisans du mouvement huntis sont en guerre avec les forces armées, alternant période de conflit et période de trêve. Depuis 2009, on compte 175 000 personnes déplacées et la mort de centaines de civils. Depuis no-vembre, les civils sont également victimes de raids de l’armée saoudienne, qui accuse les rebelles yéménites de s’être infiltrés dans le pays.Au sud, une guerre civile oppose une coalition politique appelée Mouvement du sud au gouvernement yéménite de Sanaa (la capitale du pays).La répression de ce mouvement d’indépendance s’accompagne, outre par les armes, de la violation des Droits de l’Homme (arrestations arbitraires, tribunaux d’exceptions contraires aux normes internationales, etc.).

Ben Ali et Saleh, les prédateurs du monde arabe

Hors-série Folio - Etre journaliste en 2010 - 13

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Le 2 novembre, Oleg Ka-chine, 30 ans, journaliste au Kommersant, est amadoué avec une livraison de fleurs

en rentrant chez lui. L’apprivoiser pour mieux le frapper, ses agres-seurs s’y sont pris ainsi. Les images de l’attaque, filmées par une caméra de surveillance, traduisent la barbarie des coups portés. La méthode est tou-jours la même : deux hommes et des coups de batte de baseball. Le choc, tant émotionnel que physique, est si violent que les médecins imposent un coma artificiel. Actuellement, Oleg gît dans le coma à l’hôpital n° 36 de Moscou. La mâchoire brisée pour qu’il se taise, les doigts arrachés pour qu’il cesse d’écrire et le crâne brisé au cas où il se souvienne ; en clair, ils ne l’ont pas raté. Le bon tsar Dmitri Med-vedev a promis que : “ les coupables, quelque soit leur rang, seront punis ”. Mais il faudrait être naïf pour le croire. Parallèlement, l’enquête semble être menée avec perspicacité et efficacité. En effet, les policiers ont demandé à sa femme s’il n’était pas “ un homo-sexuel ”. Autant dire une piste séri-euse, dénuée de sens et de rapports avec le fond du problème, la liberté d’expression. Les 4 et 8 novembre, c’était au tour des journalistes Anatoli Adamtchouk et Konstantin Fetissov d’être roués de coups par deux incon-nus. Depuis l’avènement de Vladimir Poutine en 2000, RSF comptabilise

déjà 21 journalistes russes assassinés. La cadence ne fait qu’augmenter car avec Dmitri Medvedev, le nouveau maître du Kremlin, l’année 2010 cu-mule à elle seule quarante journalistes agressés, dont huit morts.

Une jeunesse russe politisée et pro-liberticidePlusieurs pistes ressortent suite à ces agressions. L’une d’elles évoque la Jeune Garde, la jeunesse de Russie unie, parti de Vladimir Poutine. Cet été, les jeunes poutiniens ont publié sur leur site un appel à punir « les traî-tres ». En « starring », la photo d’Oleg Kachine avec la mention « Il doit être châtié ».Le lavage de cerveau a peut-être fonc-tionné et fait perdre tout son sens au journalisme. L’essence même de ce métier semble n’être qu’une utopie en Russie. La pérennité de l’unique contre-pouvoir garant de la démocra-tie, source d’expression libérée de l’omerta imposée par l’État Russe, s’amenuise d’années en années. Iri-na Plechtcheeva, “commissaire” du mouvement Nachi (une autre branche des jeunesses poutiniennes) soutient que « si les journalistes tiennent à leur vie, ils n’ont qu’à écrire comme il con-vient et ne plus donner de prétexte aux assassinats ». Le devenir des journal-istes russes est fragilisé. Le message est donc clair : ne pas éclabousser ou vous pourriez être gravement tâchés.

Novembre, un mois maudit pour la presse russe

Le mois dernier, deux journalistes et un opposant se font tabasser en rentrant chez eux. Le bilan est critique, ils risquent tous la mort ou de graves séquelles. Le devenir des journalistes russes est bien compromis. Le relais de la politique « poutinienne » quant à lui semble assuré.

Par Marine Chapelle

14 - Hors-série Folio - Etre journaliste en 2010

Lundi 14 janvier 2009, Anna Politkovskoia est à l’honneur à Paris pendant que le procès s’ouvre au tribunal militaire de Moscou / © DR

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L’assassin de la journaliste russe Anna Politkovskaïa, tuée le 7 octobre 2006 à Moscou, pourrait se cacher

en Belgique. Une chasse a l’homme a débuté contre Roustam Makhmou-dov, recherché depuis 2008, et frère de deux accusés du procès qui, en 2009, s’est conclu par un acquittement en première instance.Cette femme était l’une des rares personnes en Russie à dénoncer les exactions en Tchétchénie. Critique acerbe du régime politique russe, elle est tuée par balle dans le hall de son

immeuble. Hasard, coïncidence, ou diversion politico-médiatique, elle est assassinée le jour de l’anniversaire de Vladimir Poutine. A l’époque, l’ancien président avait alors jugé «  insigni-fiante  » l’influence de la journaliste, soulignant que son meurtre « nuisait plus au pouvoir en Russie et en Tché-tchénie que ses publications ».Du mé-pris en guise d’intérêt, c’est ce qu’on retiendra des réactions officielles du Kremlin.D’après l’Index of Press Freedom 2010, la Russie est classée 140ème sur 178. Être journaliste en Russie à notre

époque est donc plus difficile qu’en Afghanistan , en Turquie et moins pire qu’en Irak. C’est dire la fine marge de manœuvre dont ils disposent. La responsabilité incombe au chef de l’Etat : ce n’est qu’avec son con-sentement ou son encouragement qu’une atmosphère de terreur par-vient à régner ainsi. Le magazine Forbes parle d’une «  censure res-taurée » et de « services de police réduits à néant » par l’omnipotence du gouvernement. Le tout rendant la «  concurrence honnête impossi-ble ».

Anna Politkovskaïa : la Belgique assure la reprise➢

Hors-série Folio - Etre journaliste en 2010 - 15

Lundi 14 janvier 2009, Anna Politkovskoia est à l’honneur à Paris pendant que le procès s’ouvre au tribunal militaire de Moscou / © DR

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Hors-série Folio - Etre journaliste en 2010- 16

Régimes totalitaires, les pires ennemis de la liberté de la presseASIE

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Hors-série Folio - Etre journaliste en 2010 - 17

Régimes totalitaires, les pires ennemis de la liberté de la presseASIE

Par Claire Monnerat et Lauriane Rialhe

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18 - Hors-série Folio - Etre journaliste en 2010

En République popu-laire de Chine, cer-tains ignorent jusqu’à l’existence même de Liu

Xiaobo, le dissident et prix No-bel de la paix 2010. Il n’a pu se voir remettre son prix pour cause d’emprisonnement. Dans ce pays incarnant au mieux le non-respect des droits de l’Homme, il fait bon savoir pirater Internet pour pou-voir grappiller des informations.Hu Jintao, le président et secrétaire général du Parti communiste chi-nois, met tout en œuvre pour don-ner l’image d’une nation prospère et harmonieuse. Pour cela, il mo-bilise avec art les forces de sécu-rité, notamment la cyberpolice et le département de la propagande, pour empêcher l’émergence d’une

presse libre, qui compromettrait son œuvre.

Un gouvernement commu-niste autoritaire, qui fait par-tie des cinq membres perma-nents des Nations Unies, et se place au rang de deuxième puissance économique mon-diale. Autrement dit, à qui il est difficile, de l’extérieur, de donner des leçons de vie. Pour preuve, le 5 novembre dernier, lorsque Hu Jintao, en visite en France, traverse les Champs Elysées, et que des membres de Reporters sans frontières déploient des para-pluies marqués « Free Liu Xi-aobo », ce sont six personnes, dont deux militants pour les droits de l’Homme, qui sont embarquées au commissariat. La question des droits de l’Homme ne sera pas abordée par le président français, par peur de froisser le puissant Etat.

Les murs ont des oreillesLes journalistes chinois seraient une centaine derrière les barreaux. Les médias sont nombreux : pas loin de 2000 quotidiens, de 10 000 magazines, et de 2000 chaînes de télévision. Mais attention, la Chine aussi a son système de « permis à points » : en cas de non respect des ordres reçus de l’Etat, en plus d’écoper d’une amende, les sites d’information peuvent perdre leurs points et risquent de se voir retirer leur licence. Ils ont cependant la possibilité de les regagner et sont encouragés à le faire. Comment ? Avec ce type de consignes propa-gandistes par exemple : « Veuillez regrouper et mettre en valeur les informations concernant la com-mémoration du 85e anniversaire de la création du Parti (2006). […] Veuillez ne reproduire aucu-

Lorsque le jury avait annoncé la remise du prix Nobel de la paix à Liu Xiaobo, le prési-dent Hu Jintao avait qualifié les membres du comité Nobel de « clowns antichinois ».

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La République populaire de Chine fait partie du groupe des BRIC, aux côtés du Brésil, de la Russie, et de l’Inde. Toutes des superpuissances émergentes, elles ont en commun un développement économ-ique assez semblable. Mais l’importante disparité se situe au niveau de la condi-tion de la liberté en général, et de la presse en particulier : alors que le Brésil a progressé de 13 places depuis 2009 pour atteindre le 58e rang du classement RSF, la Chine se situe au 171e rang sur 178 pays, devant la Birmanie et la Corée du Nord.

Méthodes violentes, propagandistes et répres-sives, le continent asiatique est sans doute le meilleur ennemi de la liberté de la presse. Le journaliste y risque sa vie tous les jours au nom d’une information toujours plus demandée. Trois mauvais élèves se démarquent : en tête, la Chine. Gros plan sur la deuxième puissance économique mondiale, encore très autarcique.

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ne information critique et tâchez de créer une atmosphère positive dans l’opinion publique ». En fait, les médias ne jouissent d’aucune forme de liberté, et disposent même d’une liste de 286 mots-clés interdits. Parmi eux, beaucoup de noms à ne pas citer, de termes de politique chinoise ou taïwanaise et d’autres tels que « armageddon » ou « bombe nucléaire ».

La censure partout, pour tousLors des Jeux Olympiques de Pékin en 2008, le contrôle et la censure s’étendaient aux étrang-ers : pas d’accès Internet au centre de presse par exemple. La presse étrangère n’a pas non plus accès au Tibet, cette région chinoise qui revendique son autonomie. Le dernier conflit, ou plutôt, massacre

en date est celui de mars 2008. Le prési-dent chinois avait envoyé les éléments les plus durs du Parti communiste chinois pour mater la con-testation tibétaine qui s’y manifestait. Depuis, plus de cin-quante Tibétains ont été arrêtés pour avoir envoyé infor-mations et images de la situation dans la province.Plusieurs sites sont aussi interdits à l’ensemble de la population, tels que Youtube, Twitter, Flickr, ou Freetibet.org. Google, qui avait menacé en jan-vier dernier de quit-ter la Chine pour vol de propriété intel-lectuelle résultant d’attaques informa-tiques massives, a

finalement gardé son implanta-tion. Mais les contenus de Google.cn et de Google.com ne sont pas comparables. L’expérience la plus parlante est la suivante : entrer une recherche d’images « Tien-anmen massacre ». Le moteur de recherche chinois affiche bien plus de bougies commémoratives que de sang versé par les quelques centaines, voire milliers selon les sources, d’étudiants, intellectuels et ouvriers chinois, tués par la ré-pression du mouvement en 1989.

Coupés du monde ?Environ 20 % de la population chinoise possède un accès In-ternet. Le piratage de serveurs permet aux locaux d’accéder à certaines informations, dis-simulées par le gouvernement. La blogosphère chinoise est

d’ailleurs étonnante de vital-ité. Mais les voix dissidentes doivent se faire discrètes pour ne pas finir leurs jours en prison. La Chine, en pleine expansion économique, pra-tique donc ce paradoxe de la fermeture au monde, tout en s’ouvrant infiniment aux pos-sibilités de la mondialisation. Le secret de sa réussite cer-tainement : Hu Jintao peut se vanter d’avoir la mainmise sur un cinquième de la population mondiale.

Veuillez regrouper

et mettre en valeur les in-formations concernant la commémora-tion du 85e anniversaire de la créa-tion du Par ti . […] Veuillez ne reproduire au-cune informa-tion critique et tâchez de créer une atmos-phère positive dans l ’opinion publique ».

Régimes totalitaires, pires ennemis de la liberté de la presse

Lorsque le jury avait annoncé la remise du prix Nobel de la paix à Liu Xiaobo, le prési-dent Hu Jintao avait qualifié les membres du comité Nobel de « clowns antichinois ».

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La Corée du Nord et la Birmanie figurent re-spectivement à la 177e et la 174e place au classe-ment RSF. Contrôle strict et lourdes sanctions à l’appui, il ne fait pas bon être journaliste bir-man ou coréen.

Aucun pays au monde n’est plus fermé que la République Popu-laire Démocratique de

Corée du Nord. Le régime fait tout pour maintenir sa population dans la plus grande ignorance. Dans le pays, les journalistes sont en-doctrinés pour vanter la grandeur du chef de l’Etat, Kim Jong-il, et le système socialiste coréen. La presse est dirigée directement par le chef de l’Etat, l’information sert le pouvoir. La moindre erreur est sanctionnée : des journalistes sont régulièrement envoyés en camp de travaux forcés. Ils ne sont pas les seuls à courir des risques, n’importe quel citoyen peut se mettre en danger. Il est strictement interdit d’utiliser des appareils de télécommunications non-autori-sés. Les Coréens peuvent être en-voyés dans un camp de concentra-tion simplement pour avoir écouté une radio illégale ou avoir passé un coup de téléphone. L’oppression du pouvoir va jusqu’à la fabrication de postes de

radio où seules les fréquences of-ficielles autorisée par l’Etat sont programmées. A l’heure du numé-rique, les coréens ignorent jusqu’à l’existence d’Internet. Le pays a sont propre intranet, limité à des bases de données nationales et une

boîte mail. Seuls certains univer-sitaires, hauts fonctionnaires et hommes d’affaires y ont accès, avec une autorisation spéciale. La Corée n’accorde d’autorisation à la presse étrangère que lors de manifestations culturelles ou spor-

La Corée du Nord, totalement isolée

20 - Hors-série FolioUn portrait du dirigeant coréen KimJong-il, piétiné lors de manifestations à Séoul, en Corée du Sud / ©DR

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Les cas de la Corée du Nord et de la Birmanie

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tives. Et sur place, les journalistes sont étroitement surveillés, tout contact avec la population est évi-té.

En Birmanie, l’organisme de cen-sure est dirigé par un officier de l’armée. Les articles sont relus et si une modification est apportée lors de la publication, l’agence est sanctionnée et les journal-istes sont souvent emprisonnés ou assignés à résidence. La presse étrangère n’est pas autorisée dans le pays. Dernière preuve en date : les élections législatives du mois dernier – les premières en 20 ans – et la libération d’Aung San Suu Kyi, opposante phare au régime et prix Nobel de la paix : aucun média étranger n’a obtenu d’accréditation. Suite aux événe-ments, neuf journaux birmans ont été suspendus pour violation de la censure, accusés d’avoir trop cou-vert la libération de Suu Kyi.

Malgré l’oppression et les nom-breuses condamnations de la junte militaire au pouvoir, les birmans ne perdent pas espoir. Toujours portés par l’idéal d’une démocra-tie, ils sont beaucoup à prendre des risques pour offrir une information indépendante au pays. Certains travaillent pour un média situé hors frontières, d’autres, pous-sés par un sentiment de respon-sabilité, se livrent au journalisme citoyen. Au Myanmar, si Internet est connu, il est très contrôlé, les cybercafés surveillés, les sites bloqués. Pourtant, les plus coura-geux continuent leur rébellion en postant des articles sur le web. Ces blogueurs sont souvent jeunes, et agissent dans le plus grand se-cret car ils sont convaincus qu’à l’usure, la junte pourrait céder. Si la Birmanie n’évolue pas, ils n’ont pas d’avenir dans leur pays. Mal-gré les conditions de vie, ils sont attachés à leurs racines et veulent changer les choses. Si le nombre de blogueurs indépendants contin-

ue d’augmenter, la junte ne pourra pas contenir indéfiniment ce mou-vement. L’espoir d’une liberté de la presse se trouve dans leur com-bat.

La Corée du Nord reste un mystère : le système de contrôle de l’Etat est tellement poussé que rien ne filtre du pays. A l’inverse, aucu-ne information ne parvient à pas-ser les frontières. Le rêve coréen serait de pouvoir se permettre de vivre en parfaite autarcie. Même si le pays ne possède pas toutes les matières premières sur son ter-ritoire, il avait presque atteint son but ultime dans les années 90. Or la chute de l’URSS en 1991 a mis fin aux tarifs spéciaux dont elle bénéficiait pour l’exportation de pétrole. Bien obligée de s’ouvrir au commerce international, la Corée du Nord choisit néanmoins ses partenaires avec soin. Pas trop regardants sur le respect des droits de l’Homme, comme la Chine par exemple. En Birmanie, la situation est plus complexe, le pays a besoin des nations occidentales pour s’en sortir. Contrainte et forcée, la junte militaire fait des efforts en matière de respect des libertés pour sé-duire les puissances économiques, les inciter à lever leur sanction et donc leur ouvrir leurs marchés. A sa libération, Aung San Suu Kyi a rappelé que « la liberté d’expression est le fondement de la liberté démocratique ». Un vent de liberté semble souffler mais elle ne s’instaurera pas toute seule. Aux pays occidentaux de continuer leurs sanctions économiques et de poser des avertissements. La Birmanie a besoin de l’Occident et ne pourra pas résister éternellement aux appels de la communauté internationale. Les intérêts économiques pourrait bien servir ceux la liberté de la presse.

Hors-série Folio - 21

Les birmans, indomptablesL’économie au service de la

liberté ?

Un portrait du dirigeant coréen KimJong-il, piétiné lors de manifestations à Séoul, en Corée du Sud / ©DR

Régimes totalitaires, pires ennemis de la liberté de la presse

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Entre bien et malDepuis plusieurs semaines, on ne parle que de Wikileaks. Ses dernières publications ont fait trembler les plus hauts dirigeants mondiaux, mais invitent aussi à une réflexion sur le rôle du journaliste

Par Nicolas Gil

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Si l’ensemble de la ré-daction s’est attaché, pour ce numéro spé-cial, à défendre les

valeurs du journalisme et à dénoncer les dysfonctionne-ments de la liberté de la presse dans le monde, il ne s’agit pas pour autant de le faire aveuglément. Un journaliste doit perpétuellement réfléchir aux enjeux de son métier, à ce qu’il peut et ne peut pas publier, aux conséquences de sa décision. Livrer la vérité au public, cela n’a pas néces-sairement toujours du bon, et l’on a pu le constater ces dernières semaines grâce à un phénomène qui pousse à la réflexion : Wikileaks. Le site fondé en 2006 par l’Australien Julian Assange se destine, selon lui, à devenir « l’organe de renseignements le plus puissant au monde », offrant une forte diffusion aux fuites d’information. Son premier acte d’éclat, celui qui l’a vraiment révélé aux yeux du monde, c’est la pub-lication le 23 octobre 2010 des « WarLogs », 391 832 documents secrets concer-nant la guerre en Irak. On y découvrait – entre autres – que 66 000 civils auraient été tués, et que plusieurs mil-liers d’Irakiens auraient été

22 - Hors-série Folio - Etre journaliste en 2010

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Hors-série Folio - Etre journaliste en 2010 - 23

Par Nicolas Gil

livrés à des centres de détention pratiquant la torture. Des révéla-tions qui ont amené les autorités américaines à garder un oeil at-tentif sur le site. Pour autant, rien ne les préparaient à ce qui a suivi : le 28 novembre dernier, le site commence à mettre en ligne des télégrammes de la diplomatie américaine, soit plus de 250 000 documents, dans lesquels on ap-prend par exemple que l’Arabie Saoudite a explicitement appelé les Etats-Unis à attaquer l’Iran, que Nicolas Sarkozy est « sus-ceptible et autoritaire », ou en-core qu’Angela Merkel « a peur du risque et fait rarement preuve d’imagination ». Des petites phrases assassines destinées à rester secrètes, qui ont fait grand bruit au sein des gouvernements mondiaux.

« Irresponsable »A l’heure d’analyser la portée de ces publications, une interroga-tion nous vient à l’esprit : quel a été le degré de transparence de Wikileaks dans cette affaire ? Si le partenariat établi avec de grands quotidiens mondiaux (Le Monde, le New York Times...) avait de quoi rassurer de prime abord, il n’est pas certain que la matière « brute » proposée ait été claire-ment filtrée. En effet, si certaines révélations semblent capitales (l’appel de l’Arabie Saoudite, les dessous d’Hadopi, les liens entre la mafia russe et Moscou, etc.), les petites phrases citées précédem-ment ne semblent pas être des in-formations vitales, et relèveraient plus de l’opinion privée que du domaine public. Devaient-elles être publiées ? Probablement pas. Révéler ce type d’information au nom du « droit de savoir » peut être considéré comme une er-reur, tout simplement parce que ces vérités ne sont pas forcément bonnes à dire. Hypothétiquement,

les diplomates américains peu-vent très bien, à l’avenir, délais-ser l’honnêteté dont ils faisaient preuve dans ces câbles par crainte qu’un tel épisode se renouvelle, détériorant ainsi les relations en jetant un voile de retenue sur ces communications « officielles ». Mais au-delà de cette simple con-jecture, d’autres enjeux entrent en ligne de compte, Washington n’hésitant pas par exemple à dé-noncer la mise en danger d’ « in-nombrables » vies via ces révéla-tions ; Nicolas Sarkozy qualifiant quant à lui l’attitude de Wikileaks d’ « irresponsable ». Et l’on ne peut pas forcément leur donner raison ou tort, puisque, derrière ces « vérités » révélées, d’autres se cachent encore, dont on ne sait rien. Ainsi, en publiant ces câbles d’une telle manière, Wikileaks peut avoir jeté des grains de sa-bles dans des engrenages dont l’existence n’est pas publique. Mais c’est, au final, le lot de tout journaliste.

ConséquencesSi les documents publiés par le site ont eu de fortes répercus-sions sur les gouvernements mondiaux, les retombées ne sont pas qu’extérieures. Wikileaks est ainsi devenu l’un des sites les plus visités en Europe, mais aussi l’un des plus attaqués, le poussant à changer régulièrement d’hébergeur pour rester en ligne. Une tâche qui va vraisemblable-ment devenir de plus en plus ar-due, puisque les structures parte-naires se désolidarisent les unes après les autres du site polém-ique : Amazon ou encore Paypal ont déjà déserté. Et cela ne va pas aller en s’améliorant, puisque dif-férents responsables politiques dans le monde appellent à boy-cotter Wikileaks. Mais il n’y a pas que le site lui-même qui soit devenu une cible à abattre, pu-

isque Julian Assange était sous le coup d’un mandat d’arrêt interna-tional depuis le 30 novembre, et figurait parmi les personnes les plus recherchées au monde avant son arrestation par Scotland Yard le 7 décembre. Si les autorités le recherchent officiellement suite à des accusations de viol et d’agression sexuelle dont il se serait rendu coupable en Suède, une telle mobilisation des polices internationales pour un délit de ce type soulève inévitablement quelques interrogations, et l’on ne peut s’empêcher de faire le lien avec les publications du site, jugées « illégales » par les Etats-Unis. Dans ce contexte, difficile de juger si la liberté d’expression a ou non été bafouée. Quoi qu’il en soit, l’arrestation de son fondateur n’empêche pas le site de fonctionner, puisqu’il dispose de l’appui d’une im-portante communauté de fans sur Internet, qui maintient la structure en ligne. Une mo-bilisation qui montre par ail-leurs à quel point des citoyens à travers le globe apprécient le travail de Wikileaks, et donc, indirectement, indique leur vo-lonté de pouvoir accéder à ce genre d’information. Une con-statation qui alimente d’autant plus un débat qui n’a pas fini d’agiter le monde : Julian As-sange et son équipe ont-ils eu raison de publier ces câbles ? Impossible de trancher ici, mais, ce qui est sûr, c’est que Wikileaks incarne à lui seul le dilemme auquel tout journal-iste – d’investigation ou non – doit être soumis au moment de révéler des informations sensibles : « mon geste est-il une bonne ou une mauvaise chose ? » C’est là toute la sub-tilité – et aussi le danger – de notre métier.

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EN PLUS

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Des journalistes sur le pied de guerre

Chaque année, le ministère de la Défense organise des stages pour les journalistes au Centre national d’entraînement commando de Montlouis-Collioure, dans les Pyrénées-Orientales. Une manière de leur inculquer quelques rudiments de survie.

Par Jérémie Nadé

Les reporters accompagnent de plus en plus souvent les militaires dans les zones de conflits. Mais, contrairement

aux soldats, les journalistes ne sont pas toujours préparés à affronter les prob-lèmes qu’ils peuvent rencontrer sur les lieux d’une opération militaire. Aux Etats-Unis, plusieurs écoles de journal-isme proposent une formation pour les reporters de guerre, mais en France, de telles préparations n’existent pas, ou très peu. Le ministère de la Défense a donc décidé d’ouvrir aux médias les portes du Centre national d’entraînement commando (CNEC) de Collioure. Cet entraînement existe depuis 1993 et a formé, à raison de deux sessions par an (février et décembre), plus de trois cent journalistes français et européens. Sous la forme d’un stage d’une semaine, les reporters sont plongés dans le quotidien des soldats, et rien ne leur est épargné. Au programme : cours théoriques, présenta-tion des différents types d’armes (de l’arme de poing au fusil-mitrailleur), ex-ercice de tir, apprentissage de techniques de dégagement et de self-défense, simu-lation de reportage « en situation de guerre », ou le « parcours d’audace » du CNEC, un parcours du combattant que les meilleurs commandos font en 1 minute 12 contre trente minutes pour les journalistes.

Un stage difficile pour comprendre la réalité du terrainMais le but n’est pas pour autant d’apprendre aux reporters à se battre

comme des soldats. « Vous n’êtes pas là pour faire la guerre, mais pour vous plier en quatre et vous mettre à l’abri si ça tape », explique le lieutenant-colonel Lécrivain. Les journalistes sont ici pour être sensibilisés aux risques des zones dangereuses et comprendre comment réagir dans une situation extrême. Ils apprennent aussi quelques gestes pour gérer le stress, des rudiments de pre-miers soins et certaines règles. « En cas d’accrochage, revendiquez votre statut de journaliste. » Ils doivent aussi retenir quelques conseils : éviter dans la mesure du possible les déplacements, ne pas rester seul, se montrer courtois, mais pas soumis, à un check-point. La simulation du passage d’un check-point qui tourne mal est d’ailleurs un des exercices les plus éprouvants. Plaqués au sol, une arme pointée sur eux, certains stagiaires craquent. La formation, même si les mil-itaires préviennent qu’elle est « soft », reste extrêmement difficile. « C’est le stage le plus dur de France, voire d’Europe », assure le colonel Ziegler, commandant du CNEC. Les journal-istes ont pour la plupart déjà connu des zones de conflits, mais tous ressortent de cette expérience en appréhendant d’une autre manière leur métier dans ces con-ditions particulières.

Un intérêt pour l’armée« Il faut éviter que vous soyez des bou-lets », expliquait un instructeur lors du stage de février 2010. Former et sen-sibiliser les journalistes aux réalités du terrain, c’est aussi éviter, en cas de

manœuvre, qu’ils gênent les soldats. La préparation leur apprend à éviter les risques inutiles quand ils suivent des militaires en opération pour leur report-age. Dans un des entraînements, les reporters, regroupés par trois, accompa-gnent un groupe de soldats. L’objectif est simple : lors d’un reportage en ville, la situation dégénère et la zone devient dangereuse. Très vite attaqués, les jour-nalistes doivent suivre les soldats tout en se protégeant au milieu des explosions.

Une expérience qui possède ses limitesLa formation suscite des débats en-tre stagiaires. Que faire quand le chef d’un commando demande au journal-iste d’abandonner sa caméra car elle ralentit le groupe ? Les reporters sont divisés. Certains expliquent qu’ils obé-iraient mais d’autres ne sont pas de cet avis. « Le militaire, je ne lui demande pas de lâcher son arme. Donc il ne me demande pas de lâcher la cam’. Et je laisse tourner », explique un journaliste de France 2. Entre la sécurité et la vo-lonté de ramener des images inédites, tout le monde n’est donc pas d’accord. Ce stage crée également une proximité entre journalistes et soldats qui peut être dangereuse. Les reporters en sont con-scients, ils sont des outils de commu-nication pour l’armée et doivent savoir prendre du recul sur les militaires pour travailler correctement. Mais malgré ces problèmes, le stage est très demandé par les journalistes qui espèrent être mieux préparés aux difficultés des zones de conflits.

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