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Le 11 mai prochain, le château de Fontainebleau présentera le résultat d’une restauration qui depuis sept ans s’efforce de rendre tout son faste à un lieu aussi magique qu’intime : le boudoir Turc, d’abord conçu pour Marie-Antoinette, puis remeublé par Joséphine, un lieu où l’Ancien Régime et l’Empire furent conjugués pour former le plus délicat des écrins. L’Objet d’Art n°512 (mai 2015)
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68 MAI 2015
Fontainebleau
dévoile
son boudoir turcLe 11 mai prochain, le château de Fontainebleau présentera le résultat d’une
restauration qui depuis sept ans s’efforce de rendre tout son faste à un lieu
intimiste et magique : le boudoir turc, d’abord conçu pour Marie-Antoinette,
puis remeublé par Joséphine, un lieu où l’Ancien Régime et l’Empire furent
conjugués pour former le plus délicat des écrins. Par Olivier Paze-Mazzi
RESTAURATION
l ne reste aujourd’hui presque plus de témoignages
in situ de cette mode des « turqueries royales » qui
connut son apogée dans les années 1770. L’année
1777 constitue à cet égard un jalon décisif dans
l’histoire de cette frénésie orientale avec la création du
cabinet turc du comte d’Artois au palais du Temple. Cette
date coïncide avec celle du projet comparable que la
jeune reine Marie-Antoinette lance alors pour le réaména-
gement des cabinets d’entresol de ses petits apparte-
ments de Fontainebleau.
UN BOUDOIR DES MILLE ET UNE NUITS
POUR LA REINE
Initialement aménagée pour la reine Marie Leszczynska,
cette succession de trois petites pièces s’ouvrait sur un pre-
mier espace occupé par la femme de chambre de garde ; il se
poursuivait avec l’oratoire de la reine à partir duquel celle-ci
accédait à son second cabinet. Démodés à l’arrivée de Marie-
Antoinette, ces lieux intimes échappant à l’étiquette stimu-
lent rapidement l’appétit de la souveraine qui charge son
architecte Richard Mique de lui proposer un réaménagement
plus conforme à son goût. Des esquisses sont fournies dès
février 1777 ; elles proposent d’agrandir et de transformer la
dernière pièce en cabinet turc ouvrant sur le jardin de Diane.
Pour l’exécution des lambris précieux, on fait appel aux
frères Rousseau qui réalisent un exceptionnel décor sculpté,
peint et doré où se déploie un Orient de fantaisie. Sublimé
par un important jeu de miroirs, il est complété par la pose
d’une somptueuse cheminée de marbre blanc habillé de
bronze exécutée par Bocciardi et Gouthière : sur fond de rin-
ceaux, une frise de bronze y déploie une succession
d’étoiles, croissants, turbans et épis de maïs dits « blé de
Turquie ». Au raffinement de l’ensemble répond l’installation
d’une technologie particulièrement ingénieuse : un système
de glace mouvante permettant d’occulter la fenêtre. La ques-
tion du mobilier fourni par le garde-meuble personnel de la
reine dirigé par Bonnefoy du Plan demeure toujours mysté-
rieuse. Si l’ameublement qu’il livra s’inscrivait sans doute
dans la veine du « goût tapissier » déployé alors chez le
comte d’Artois, son détail nous est inconnu, l’ensemble
ayant été dispersé à la Révolution. On ignore même si le
mobilier en place à la veille de 1789 est bien celui de 1777,
une campagne de remeublement des lieux au milieu des
années 1780 n’étant pas à exclure. Seuls subsistent les
somptueux feux à sujet de dromadaire que conserve
aujourd’hui le Louvre ; ils donnent une idée de l’exceptionnel
raffinement de cet univers des Mille et Une Nuits.
I
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Boudoir turc, grand panneau cintré et parcloses. © éditions Monelle
Hayot / Alo Paistik
UN HAREM DE SOIE ET D’OR, ÉCRIN
DES NUITS DE L’IMPÉRATRICE
La Révolution vient mettre fin à cette précieuse fantai-
sie : le palais est nationalisé et l’ensemble du mobilier
rapporté à Paris pour y être dispersé sous le marteau. Les
lieux reprennent vie avec l’avènement de Napoléon, qui
décide d’y faire séjourner la cour, et l’installation provi-
soire du pape Pie VII en 1804. Il s’agit de remeubler en
peu de temps et à moindre frais, tout en remplaçant les
glaces qui avaient systématiquement été retirées
quelques années plus tôt. Le boudoir turc de Marie-
Antoinette retrouve son rôle de petit salon privé en
accueillant désormais l’intimité de la nouvelle souve-
raine. Comme ailleurs, le mobilier provisoire qui y est ins-
tallé est d’occasion, provenant principalement de l’hôtel
du général Moreau rue d’Anjou, dont les biens furent
rachetés par Bonaparte lorsqu’il fut condamné à l’exil. On
envisage dès 1805 de transformer le boudoir turc « en
chambre à coucher d’hiver » en l’aménageant plus somp-
tueusement selon la nouvelle étiquette des palais impé-
riaux. La décision de fournir au boudoir un ameublement
plus conforme à la richesse de son décor est enregistrée
par Duroc, grand maréchal du palais, au début de l’année
1806. Dans le même temps, on décide de meubler les
deux cabinets qui le précèdent, respectivement anti-
chambre et cabinet de toilette. Les devis sont passés
rapidement afin de préparer les lieux pour un séjour de la
cour prévu à l’automne : le 9 septembre le boudoir est
prêt à accueillir sa nouvelle occupante. Le résultat est
éblouissant : transfiguré en chambre à coucher, l’ancien
boudoir de la reine renoue avec le faste et la thématique
orientale de ses origines grâce à un mobilier précieux que
complète un décor textile scintillant d’or. Véritable lit de
déesse, la couche en acajou et bronze doré livrée par
Jacob-Desmalter constitue un hymne au sommeil, un
sommeil impérial sur lequel veillent deux chiens de
bronze. Outre cette pièce exceptionnelle qui à elle seule
culmine à 3 500 francs, la nouvelle chambre à coucher
dispose désormais de deux bergères, un tabouret de
pied, quatre chaises en gondole, une chaise longue et ses
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François-Honoré-Georges Jacob-Desmalter, bergère et tabouretde pied, 1806. Acajou, bronze doré. Château de Fontainebleau. © éditions Monelle Hayot / Alo Paistik
Page de droite, à gauche. Boudoir turc, lambris sculpté d’unecassolette et d’amours portant autrefois des bras de lumièrede bronze. © éditions Monelle Hayot / Alo Paistik
À droite. Velours façonné lamé or et ses agréments de passementerieen soie et fil d’or appliqués sur les sièges du boudoir turc(détail du lit de repos). © éditions Monelle Hayot / Alo Paistik
coussins, un guéridon et un écran de cheminée. L’Orient
est partout, des rideaux de taffetas retenus par des crois-
sants de lune à l’opulent velours de soie recouvrant des
sièges, inspiré par les étoffes précieuses de la ville de
Fès. Le boudoir turc servira de petite chambre à coucher
à Joséphine durant trois ans. Elle ne le quittera qu’en
1809, lorsque les travaux de ses petits appartements
seront enfin achevés. Il ne sera que très peu utilisé après
la chute de l’Empire, conservant épisodiquement sa
fonction de chambre à coucher pour une femme de cham-
bre et pour la trésorière de la cassette de l’impératrice
Eugénie. Ces usages permirent d’en préserver à la fois
le décor et le mobilier.
UNE OPÉRATION DE MÉCÉNAT ORIGINALE
Il ne demeura pour autant pas insensible au passage du
temps qui finit par décolorer et user les tissus, encrasser
l’acajou et ternir les bronzes. D’importantes restaurations
s’imposaient. Lancées en 2007, elles visaient à retrouver
l’état de 1806, état le mieux connu et le plus documenté,
lorsque le mobilier de Joséphine prit place sous les lam-
bris de Marie-Antoinette. Cette restauration s’accompa-
gna d’une opération de souscription inédite baptisée
« Des Mécènes pour Fontainebleau », lorsqu’en septem-
bre 2012, en marge de la Biennale des Antiquaires, la
galerie Aveline reconstitua le boudoir place Beauvau (voir
EOA n° 482, p. 128) : sous des lambris copiés et disposés
à l’identique, le public put admirer le mobilier original et
juger de l’importance de la restauration à financer. Grâce
à cette opération réussie, 28,5 mètres de velours de soie
purent être retissés en quinze mois par la maison lyon-
naise Tassinari et Chatel. Après sept ans de travail, le
résultat de cette restauration exemplaire est exception-
nel : les lambris ont recouvré tout leur éclat, le méca-
nisme des glaces mouvantes a été restitué et les
bronzes brillent désormais de mille feux, faisant écho au
scintillement des étoffes : un écrin d’Orient aussi féé-
rique que fantasmé, refuge d’une reine et d’une impéra-
trice qui s’y rêvèrent sultanes.Le boudoir turc, à découvrir uniquement en visite guidée.Château de Fontainebleau, 77300 Fontainebleau. Ouvert tousles jours, sauf le mardi, de 9h30 à 18h. Tél. 01 60 71 50 70.www.musee-chateau-fontainebleau.fr
À lire : Refuge d’Orient. Le boudoirturc de Fontainebleau,Vincent Cochet,conservateurdu patrimoine au châteaude Fontainebleau et AlexiaLebeurre, maître deconférences à l’universitéBordeaux-Montaigne,éditions Monelle Hayot,208 p., 39 €.
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