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Droit | gestion 25 OptionBio | mercredi 29 janvier 2014 | n° 501 Les lecteurs de cette rubrique connaissent bien maintenant la disposition suivante : « dans tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux d’un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d’accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés, et sans recours possible » (C. civ. art. 1843-4). Depuis plusieurs années, la Cour de cassation et les tribunaux précisent le champ d’application, les conditions de mise en œuvre et les effets de ce texte, qui est d’ordre public, et dont les enjeux pratiques sont importants. Ce début d’année est là aussi l’occasion de faire le point sur cette question. Les parties ne peuvent pas échapper à l’exper- tise lorsque la cession entre dans le champ d’application de l’article 1843-4 du Code civil, et l’expert a toute latitude pour procéder à l’évalua- tion. Sa décision s’impose aux parties comme au juge, sauf en cas d’erreur grossière, en pratique rarement admise par les tribunaux. Aux termes de l’article 1843-4 du Code civil, l’expertise peut être demandée dès lors que la cession « a été prévue », y compris par un pacte extrastatutaire, et qu’il y a contestation sur la valeur, donc sur le prix des droits sociaux. La Cour de cassation en a déduit que la contes- tation doit intervenir avant la conclusion de la cession et que la demande de désignation d’un expert faite ultérieurement est irrecevable. Des décisions récentes illustrent ce principe. Notamment, dans une affaire soumise à la Cour de cassation, l’intégralité du capital d’une SARL avait été cédée, par acte du 18 juillet 2006, pour un prix global provisoirement fixé à 200 000 €, le prix définitif devant être ajusté en fonction d’un bilan à établir par un expert-comptable dans les trois mois de la date de l’acte de cession. L’ac- quéreur avait immédiatement versé 100 000 €. Le cédant n’avait pas accepté le prix définitif fixé par l’expert-comptable et il avait réclamé en justice le paiement du solde du prix provi- soire. Avant de se prononcer, le tribunal avait désigné un expert judiciaire avec mission de déterminer le prix définitif. Sur la base du rap- port d’expertise, il avait condamné l’acquéreur à verser plus de 97 000 €. Ce dernier avait alors demandé l’annulation de l’expertise, estimant que le litige qui l’opposait au cédant relevait de l’article 1843-4 du Code civil, et que la désigna- tion de l’expert n’était pas intervenue selon les modalités prévues par ce texte. La Cour de cassation a au contraire jugé que la cession n’entrait dans aucun des cas prévus par l’article 1843-4 du Code civil dès lors qu’elle avait été conclue le 18 juillet 2006 et que son prix était déterminable. Une vente, et par conséquent la cession de droits sociaux à titre onéreux, est en principe formée dès qu’il y a accord sur le bien vendu et sur son prix, à moins que les parties n’en aient disposé autrement, par exemple en subordon- nant la vente à sa réitération devant un notaire. L’accord sur le prix suppose que ce dernier soit déterminé ou déterminable en vertu des clauses du contrat sans qu’une nouvelle manifestation de volonté des parties soit requise. Si le prix n’est ni déterminé ni déterminable, la cession est nulle. Le fait que l’acte de cession renvoie, pour la détermination du prix, à un bilan qui n’est pas encore établi à la date de la cession ne rend pas en soi le prix indéterminable dans la mesure tou- tefois où : - l’exercice de référence est précisé dans l’acte ; - les comptes sociaux de cet exercice sont fiables ; - les parties n’ont pas prévu que l’établissement de ce bilan doit être contradictoire, ce qui requiert un nouvel accord de volonté des parties. Si la cession n’avait pas encore été formée, per- mettant ainsi l’application de l’article 1843-4, l’acquéreur aurait pu obtenir gain de cause. En effet, l’expertise prévue par ce texte ne relève pas du régime de l’expertise judiciaire fixé aux articles 263 et suivants du Code de procédure civile. Le président du tribunal dispose, à défaut d’accord entre les parties, d’une compétence exclusive pour désigner l’expert. Ne peuvent donc valablement procéder à cette désignation, ou au remplacement de l’expert, ni le tribunal statuant en sa forme collégiale, ni la Cour d’appel statuant sur recours, sous peine de commettre un excès de pouvoir entachant de nullité leur décision. | GÉRARD GUEZ [email protected] Formation de la cession de droits sociaux - recours à l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil Cession de droits © JEANETTE DIETL - FOTOLIA

Formation de la cession de droits sociaux - recours à l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil

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25OptionBio | mercredi 29 janvier 2014 | n° 501

Les lecteurs de cette rubrique connaissent bien maintenant la disposition suivante : « dans tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux d’un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d’accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés, et sans recours possible » (C. civ. art. 1843-4). Depuis plusieurs années, la Cour de cassation et les tribunaux précisent le champ d’application, les conditions de mise en œuvre et les effets de ce texte, qui est d’ordre public, et dont les enjeux pratiques sont importants. Ce début d’année est là aussi l’occasion de faire le point sur cette question.Les parties ne peuvent pas échapper à l’exper-tise lorsque la cession entre dans le champ d’application de l’article 1843-4 du Code civil, et l’expert a toute latitude pour procéder à l’évalua-tion. Sa décision s’impose aux parties comme au juge, sauf en cas d’erreur grossière, en pratique rarement admise par les tribunaux.Aux termes de l’article 1843-4 du Code civil, l’expertise peut être demandée dès lors que la cession « a été prévue », y compris par un pacte extrastatutaire, et qu’il y a contestation sur la valeur, donc sur le prix des droits sociaux. La Cour de cassation en a déduit que la contes-tation doit intervenir avant la conclusion de la cession et que la demande de désignation d’un expert faite ultérieurement est irrecevable.Des décisions récentes illustrent ce principe. Notamment, dans une affaire soumise à la Cour de cassation, l’intégralité du capital d’une SARL avait été cédée, par acte du 18 juillet 2006, pour un prix global provisoirement fixé à 200 000 €, le prix définitif devant être ajusté en fonction d’un bilan à établir par un expert-comptable dans les trois mois de la date de l’acte de cession. L’ac-quéreur avait immédiatement versé 100 000 €. Le cédant n’avait pas accepté le prix définitif

fixé par l’expert-comptable et il avait réclamé en justice le paiement du solde du prix provi-soire. Avant de se prononcer, le tribunal avait désigné un expert judiciaire avec mission de déterminer le prix définitif. Sur la base du rap-port d’expertise, il avait condamné l’acquéreur à verser plus de 97 000 €. Ce dernier avait alors demandé l’annulation de l’expertise, estimant que le litige qui l’opposait au cédant relevait de l’article 1843-4 du Code civil, et que la désigna-tion de l’expert n’était pas intervenue selon les modalités prévues par ce texte.La Cour de cassation a au contraire jugé que la cession n’entrait dans aucun des cas prévus par l’article 1843-4 du Code civil dès lors qu’elle avait été conclue le 18 juillet 2006 et que son prix était déterminable.Une vente, et par conséquent la cession de droits sociaux à titre onéreux, est en principe formée dès qu’il y a accord sur le bien vendu et sur son prix, à moins que les parties n’en aient disposé autrement, par exemple en subordon-nant la vente à sa réitération devant un notaire. L’accord sur le prix suppose que ce dernier soit déterminé ou déterminable en vertu des clauses du contrat sans qu’une nouvelle manifestation de volonté des parties soit requise. Si le prix n’est ni déterminé ni déterminable, la cession est nulle.

Le fait que l’acte de cession renvoie, pour la détermination du prix, à un bilan qui n’est pas encore établi à la date de la cession ne rend pas en soi le prix indéterminable dans la mesure tou-tefois où :- l’exercice de référence est précisé dans l’acte ;- les comptes sociaux de cet exercice sont fiables ;

- les parties n’ont pas prévu que l’établissement de ce bilan doit être contradictoire, ce qui requiert un nouvel accord de volonté des parties.Si la cession n’avait pas encore été formée, per-mettant ainsi l’application de l’article 1843-4, l’acquéreur aurait pu obtenir gain de cause. En effet, l’expertise prévue par ce texte ne relève pas du régime de l’expertise judiciaire fixé aux articles 263 et suivants du Code de procédure civile. Le président du tribunal dispose, à défaut d’accord entre les parties, d’une compétence exclusive pour désigner l’expert. Ne peuvent donc valablement procéder à cette désignation, ou au remplacement de l’expert, ni le tribunal statuant en sa forme collégiale, ni la Cour d’appel statuant sur recours, sous peine de commettre un excès de pouvoir entachant de nullité leur décision. |

GÉRARD GUEZ

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