FORMIGARI, Lia, Pour Une Philosophie de La Linguistique

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    Histoire pistmologie Langage

    Pour une philosophie de la linguistiqueLia Formigari

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    Formigari Lia. Pour une philosophie de la linguistique. In: Histoire pistmologie Langage, tome 28, fascicule 1, 2006.

    Histoire des ides linguistiques et horizons de rtrospection. pp. 117-125;

    doi : 10.3406/hel.2006.2871

    http://www.persee.fr/doc/hel_0750-8069_2006_num_28_1_2871

    Document gnr le 15/06/2016

    http://www.persee.fr/collection/helhttp://www.persee.fr/doc/hel_0750-8069_2006_num_28_1_2871http://www.persee.fr/author/auteur_hel_92http://dx.doi.org/10.3406/hel.2006.2871http://www.persee.fr/doc/hel_0750-8069_2006_num_28_1_2871http://www.persee.fr/doc/hel_0750-8069_2006_num_28_1_2871http://dx.doi.org/10.3406/hel.2006.2871http://www.persee.fr/author/auteur_hel_92http://www.persee.fr/doc/hel_0750-8069_2006_num_28_1_2871http://www.persee.fr/collection/helhttp://www.persee.fr/
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    Abstract

    ABSTRACT: Philosophy of l inguistics is the sum of research programs concerned both with themethodology of the language sciences and the study of the conditions of verbal performances. Itsarea is defined by contiguity with the study of the abstract prerequisites of speech and thedescription of natural languages. The aim of this paper is the demarcation of the epistemological

    ground of the discipline against the two main trends of language philosophy at the turn of 20thcentury, Chomskys rationalism and hermeneutics. In spite of their differences, they share acommon idealistic presupposition: the idea of historicoempirical realizations of language asspontaneous actualizations of transcendental structures. Such a premise rejects the considerationof the technologies through which structures adjust to the complexities of symbolic interaction andanthropogenesis, thus hindering all philosophical investigations of the ways functions develop fromstructures and competences.

    Rsum

    RSUM: Une philosophie de la linguistique, ou philosophie des langues, est lensemble des

    programmes de recherche qui oprent soit au niveau de la mthodologie des science du langage travers lanalyse conceptuelle des leurs procdures, soit par ltude des dispositifs qui rendentpossibles les pratiques linguistiques. Elle se dfinit par sa contigut avec ltude des conditionspsychiques de la parole et la description des langues naturelles. Dans cet article, on cherche dfinir l'espace pistmologique de la discipline par rapport aux deux courants qui ont domin laphilosophie du langage au tournant du 20e s.: l'cole chomskyenne et l'cole hermneutique. Lathse quon propose est que les deux coles, malgr leur diversit, partagent une mmeprsupposition idaliste selon laquelle les ralisations empiriques et historiques des structuresseraient dj contenues dans les structures mmes et en seraient l'actualisation spontane. Oninterdit par l la philosophie du langage ltude de ce terrain pistmologique intermdiaire o, partir des structures et des comptences, se produisent les fonctions; ltude des techniques travers lesquelles ces fonctions sont labores, adaptes et modifies par linteraction

    communicative et les alas de lanthropogense.

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    Histoire pistmologie Langage 28/I (2006) pp. 117125 SHESL

    POUR UNE PHILOSOPHIE DE LA LINGUISTIQUE

    Lia Formigari

    RSUM : Une philosophie de lalinguistique, ou philosophie des langues, estlensemble des programmes de recherche quioprent soit au niveau de la mthodologiedes science du langage travers lanalyseconceptuelle des leurs procdures, soit par

    ltude des dispositifs qui rendent possiblesles pratiques linguistiques. Elle se dfinit parsa contigut avec ltude des conditionspsychiques de la parole et la description deslangues naturelles. Dans cet article, oncherche dfinir l'espace pistmologique dela discipline par rapport aux deux courantsqui ont domin la philosophie du langage autournant du 20e s. : l'cole chomskyenne etl'cole hermneutique. La thse quonpropose est que les deux coles, malgr leurdiversit, partagent une mme prsuppositionidaliste selon laquelle les ralisationsempiriques et historiques des structuresseraient dj contenues dans les structures

    mmes et en seraient l'actualisationspontane. On interdit par l la philosophiedu langage ltude de ce terrainpistmologique intermdiaire o, partirdes structures et des comptences, seproduisent les fonctions; ltude destechniques travers lesquelles ces fonctionssont labores, adaptes et modifies parlinteraction communicative et les alas delanthropogense.

    ABSTRACT : Philosophy of linguistics isthe sum of research programs concernedboth with the methodology of the languagesciences and the study of the conditions ofverbal performances. Its area is defined bycontiguity with the study of the abstract

    prerequisites of speech and the description ofnatural languages. The aim of this paper isthe demarcation of the epistemologicalground of the discipline against the two maintrends of language philosophy at the turn of20th century, Chomskys rationalism andhermeneutics. In spite of their differences,they share a common idealisticpresupposition: the idea of historico-empirical realizations of language asspontaneous actualizations of transcendentalstructures. Such a premise rejects theconsideration of the technologies throughwhich structures adjust to the complexities ofsymbolic interaction and anthropogenesis,

    thus hindering all philosophicalinvestigations of the ways functions developfrom structures and competences.

    MOTS-CLS : pistmologie de la lin-guistique ; Hermneutique ; Rationalisme /empirisme ; Structure/fonction.

    KEY WORDS : Epistemology oflinguistics ; Hermeneutics. Empiricism/ rationalism ; Structure / function.

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    1.PHILOSOPHIE DU LANGAGE, PHILOSOPHIES DES LANGUESTous les thmes proposs durant ces journes dtudes* touchaient plus oumoins directement la question que jentends aborder aujourdhui : en quoiconsiste ce savoir mtalinguistique que nous pourrions dnommer commephilosophie de la linguistique, ou philosophie des langues, et quelle est saspcificit ? Afin de prciser mon thme, je chercherai dfinir l'espacepistmologique de la discipline par rapport aux deux courants qui ont dominla philosophie du langage au tournant du 20es. : l'cole chomskyenne et l'colehermneutique. Ma thse est que les deux coles, malgr leur diversit,partagent une mme erreur mthodologique : la prsupposition idaliste selonlaquelle les ralisations empiriques et historiques des structures seraient djcontenues dans les structures mmes et en seraient l'actualisation spontane. Orle terrain propre d'une philosophie des langues doit, mon avis, tre dtermin

    dans l'espace compris entre les structures et leurs ralisations.Lappellation dont je me suis servie philosophie des langues ne fait

    pas communment partie de notre apparat terminologique. Mais il sagit dunednomination prsente dans la littrature philosophique des Lumires, o elledsigne ltude des pratiques langagires et, travers elles, des structuresabstraites qui sy ralisent (principalement la grammaire gnrale). Elle sedfinit donc par sa contigut avec ltude des conditions psychiques de cespratiques (les facults de l'me , les oprations de l'me ), ltude delanthropogense (les sciences de lhomme ) et la description des languesconnues. Cest justement cette acception de la philosophie du langage commephilosophie des langues que je voudrais aujourdhui proposer votre attention.Dans les pays de langue anglaise, lexpression epistemology of language correspond assez bien cette acception. Elle dsigne les programmes derecherche qui oprent aussi bien au niveau de la mthodologie des sciences dulangage, que dans lanalyse des dispositifs qui rendent possibles les pratiqueslangagires des langues naturelles. Mais le dbat sur le statut de la disciplinesemble s'tre polaris sur la question de son rapport la psycholinguistique (onpeut en trouver une synthse rcente dans le livre dit par Alex Barber,Epistemology of Language, Oxford University Press, 2003).

    La tendance identifier la linguistique avec la psycholinguistique remonte,comme on le sait, lide de Chomsky, selon laquelle le seul vritable objet dela linguistique scientifique est le langage interne ; ce qui fait que la linguistiqueserait une branche de la psychologie cognitive. Cette thse tient videmmentsur le postulat de lautonomie de la facult du langage par rapport aux autresdispositifs de la cognition. Mais surtout elle se base sur la correspondance(fonde sur une sorte de causalit physique) entre les deux composants de lathorie des paramtres, qui produit la concidence entre le point de vue de lagrammaire universelle (la psychologie) et le point de vue des grammairesnaturelles (la linguistique).

    * Allocution prononce au cours de lcole Thmatique Constitution, transmission,

    circulation des savoirs relatifs au langage , ENS-LSH, Lyon, 30 aot-3 septembre 2004.

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    Les objections cette position sont, ma connaissance, de deux ordres. Onpeut la contester de la perspective dune notion formelle du langage. Lobjet dela linguistique, affirme-t-on alors, est constitu dentits abstraites (mots etnoncs entendus comme types), et non dentits concrtes (tokens). Commeles structures abstraites des mathmatiques, les structures abstraites du langagene peuvent donc faire lobjet de la psychologie. La psycholinguistique aventuellement une tche distincte et spare: celle de dcrire ou expliciter laconnaissance que les locuteurs ont du systme de rgles (leur comptencelinguistique).

    Un point de vue diffrent est soutenu par ceux qui privilgient au contrairele langage externe comme tant lobjet propre la linguistique, dont ltudedoit prcder toute hypothse sur la comptence. Il n'y a pas donc pas d'identitentre les deux disciplines. Cette thse modre apparat raisonnable: il

    s'agirait dune simple implication entre deux mthodologies spares: ltudepsychologique des conditions du langage et la description des langues. Un psychologisme de quelque sorte est lgitime, si on refuse bon droitselon moi aussi bien un programme de linguistique pure commedescription de structures abstraites, que lide dune linguistique rduite ltude des performances comme dans la tradition de Wittgenstein. Il s'agitd'intgrer l'tude des donnes linguistiques avec celle des conditionsempiriques ayant leur origine dans la constitution physique et dans la situationhistorique des sujets parlants. Par contre, rduire la linguistique ltude de lacomptence (en la remettant ainsi entirement la psycholinguistique), signifieidentifier sans rsidus la thorie de la comptence avec la thorie de sonproduit. Or la comptence joue videmment un rle dans les procdures quiproduisent les objets physiques spcifiques que sont les langues, mais cela ne

    signifie pas que lon puisse lidentifier tels comportements ou tels produits.Dans les procdures qui relient la comptence et son produit, il y a dautressystmes cognitifs qui interviennent, outre la reprsentation des rglesconstitutives de la facult de langage. Des facteurs physico-empiriquesinterviennent en effet, ainsi que des rgles qui gouvernent le rapport dessymboles avec le monde extrieur, et des symboles entre eux. Les symboles qui ne sont pas une manation immdiate de la comptence linguistique seproduisent, pour ainsi dire dans le monde , avec le concours d'autrescomptences cognitives et actives, et des technologies correspondantes.

    Le fait dattribuer la comptence une spontanit productive immdiate,capable de faire abstraction de ces instruments, constitue, dans la philosophiede Chomsky, le trait que je dfinissais comme idaliste : la croyance quetoute manifestation empirique est la ralisation spontane d'une structure

    correspondante. La comptence linguistique serait alors une sorte de conditiontranscendantale des langues. La sphre de la multiplicit et de lempiriqueserait l'piphnomne de cette condition.

    2.PHILOSOPHIE, ANALYSE, HERMNEUTIQUEDans les pays de langue anglaise, les positions par rapport auxquelles laphilosophie des langues doit se dfinir, sont donc la rduction la psychologie,

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    ou bien la position dune linguistique pure comme description de structuresabstraites. Dans la culture philosophique europenne, une philosophie des lan-gues doit tout d'abord se confronter plutt la dualit apparemment irrducti-ble entre philosophie analytique et philosophie continentale. Cette distinctionentre analytiques et continentaux est dsormais dusage courant, bien quilsagisse dun des pires exemples de catgorisation. Elle est en effet dpourvuede lhomognit de critres qui caractrise toute catgorisation bien forme.On fait valoir dun ct une distinction de mthode ( analytique ), et delautre une distinction gographique ( continentale ). On fait valoir unediversit de style pour caractriser lattitude des philosophes continentaux, plusdpendants de la tradition textuelle, par rapport l'attitude des philosophesanalytiques qui serait plus indpendante. Il est cependant difficile dimaginerne serait-ce que la simple existence de courants analytiques en philosophie du

    langage sans une stricte dpendance de textes comme ceux de Frege, deRussell, ou Wittgenstein : on devrait en conclure que, dans le cas des courantsanalytiques, la tradition textuelle est simplement plus brve et plus dlimite. Ilest dusage aussi de prciser la distinction en s'inspirant de Richard Rorty, quirapportait respectivement les deux mthodes philosophiques, lune une ligne kantienne et lautre une ligne hglienne . La premire seraitporte rechercher les conditions de possibilit de la connaissance et de larationalit, ses traits universels; lautre au contraire porterait au cur de sonattention le problme du caractre historique des savoirs et de la philosophieelle-mme. Mais cette caractrisation ne fonctionne gure que comme premireapproximation, et soutiendrait difficilement une confrontation approfondieavec les textes.

    Toutefois, ce qui nous intresse, pour le moment, nest pas de justifier ou de

    rfuter la distinction courante entre philosophie analytique et philosophiecontinentale, mais bien plutt de formuler ventuellement une diffrence demthodeentre les deux acceptions de la philosophie du langage ( analytique ou bien continentale ), d'une part, et une philosophie des langues. Ladiffrence vis--vis de la philosophie analytique demeure, mon avis, la pluslusive. Si lon entend sous le terme d' analyse la procdure qui met envidence les articulations internes des phnomnes, qui juge de la cohrencedes descriptions correspondantes et des consquences argumentatives quipeuvent en dcouler, on doit conclure que l'analyse est en effet la mthode laquelle doit recourir toute philosophie qui travaille sur des donnes dessciences empiriques, par exemple sur les donnes des sciences du langage. Ilest difficile de nier une dmarche analytique des textes classiques dephilosophie des langues, comme ceux de Vygotskji, de Bhler, de Piaget ou de

    Benveniste ou encore de Jakobson. Toute philosophie applique est unephilosophie en quelque sorte analytique . Plus quune distinction demthode, ce qui vaut est plutt une prdilection pour certains thmes l'exclusion dautres. Il y a par exemple des thmes lis aux fondations dessciences du langage que les courants dits analytiques nont jamais pris encharge : le problme de la relativit linguistique, par exemple, celui de latypologie linguistique, des universaux des langues, du statut ontologique descatgories grammaticales classiques, des parties du discours, etc. Et puisque le

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    choix ou lexclusion de thmes dans les sciences thoriques nest certainementpas neutre, cest peut-tre l, dans les prdilections thmatiques, dterminespar lhistoire des traditions intellectuelles et acadmiques respectives, quepourrait se situer la racine des diffrences.

    Par contre, la distance qui spare une philosophie des langues de la traditiondite continentale est moins difficile dfinir. En effet, la diffrence apparatdj mieux dtermine si l'on ramne cette expression philosophie con-tinentale de son sens communment gographique, une acception pluslimite de nature mthodologique. On peut sans doute assumer comme termede rfrence la mthode hermneutique, qui constitue le trait le plus relevant dela tradition continentale en philosophie du langage. Or, lapproche her-mneutique part de la juste constatation du fait que le discours est composdunits discrtes et que la condition minimale de la comprhension est que ces

    units discrtes se relient dans une unit suprieure, en manifestant ainsi lastructure du discours lui-mme dans sa compltude; et quelles se rapportent un autre-que-soi. Ces conditions valent pour toute activit langagire que cesoit, et ont fait lobjet danalyse en linguistique sous divers points de vue. Apartir des annes soixante-dix, la littrature sur le thme de la comprhensionest devenue pratiquement intarissable : de la thorie de l'nonciation jusqu'Davidson et la pragmatique cognitive, les lments para-linguistiques de lacommunication et de la comprhension, la mesure dans laquelle le non-ditinfluence linterprtation des noncs, les facteurs divers du jeucomportemental de la communication, la ngociation implicite de touteinteraction linguistique, constituent dsormais lABC de tout manuel desciences de la communication. Les stratgies dcrites en psycholinguistiquesont les plus varies : des modalits dassignation dune structure syntaxique

    la phrase, aux modalits de construction de schmes mentaux qui fonctionnentcomme constructions anticipatoires de la comprhension, au rle de linfrencedans les procdures dinformation provenant de sources diverses.

    Cest partir de la lgitime constatation dun renvoi des parties entre elles,et des parties avec le tout, prsent dans toute procdure dinterprtation, queprit son origine, il y a plusieurs sicles, lhermneutique juridique etphilologique. Mais lhermneutique philosophique du 20e s. fait un sautspculatif : des conditions de la comprhension des noncs, elle passe auxconditions de la comprhension du Discours dans sa totalit, de lacomprhension dune langue naturelle la comprhension du Langage. Il nesagit plus de prsupposer quelques conditions pour la comprhension delnonc, du texte, mais de prsupposer la totalitdes conditions.

    Les pres de lhermneutique, Humboldt par exemple, avaient enseign

    quune langue est une totalit, et ne peut exister quen tant que telle. Cetteaffirmation, bien quempreinte du langage des philosophies de la nature qui luisont contemporaines, confirmait une observation de sens commun : lacomprhension dun nonc prsuppose la connaissance de toute la langue.Mais pour lhermneutique du 20es. la chane des conditions ne sarrte pas la totalit dune langue, ni aucune autre totalit empirique dtermine; ellepostule le Langage comme condition inconditionne de toute exprience,comme objet transcendantal. Dans un univers smiotique o tout est

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    comprhensible si, et seulement si, il est rfr une totalit qui transcende letexte, cest justement le Langage, notons le bien, qui est assum comme ce quelon ne peut pas transcender.

    Ainsi passe-t-on videmment un autre genre de comprhension. Il nesagit plus de la comprhension analytique qui permet dinfrer implicitementle non-dit de lnonc, den re-synthtiser la structure, de dire que jaicompris mon interlocuteur, que je comprends le franais. Il sagit dunsaut thorique similaire ce que Herder reprochait Kant dans laMtacritique: passer dune notion empirique de la priori, comme ce quiprcde dans lordre de largumentation et de la connaissance, une notiontranscendantale, qui prtend se poser comme extrieure toute exprienceinterne ou externe possible. La seule acception lgitime de l'a priori, selonHerder (et, ajouterai-je, pour tout programme scientifique en philosophie) est

    celle qui exprime unpriuspar rapport uneexprience dtermine, et non parrapport la totalit de lexprience.La dfinition hermneutique de la comprhension ne nous aide donc pas

    expliquer les dispositifs de la pratique communicative des langues historico-naturelles, o la circularit hermneutique a certes lieu, mais applique desobjets finis (actes dnonciation, textes dnoncs). En outre et il y a l unautre point dcisif pour une philosophie applique la linguistique elleexclut des secteurs entiers de la recherche en sciences du langage. Par exemple,tout explication gntique se trouve exclue, car elle devient videmmentimpertinente et mme illgitime, si elle est applique une entittranscendantale inconditionne, tel qu'il serait le langage, qui n'a donc, pardfinition, pas de gense. Paradoxalement, cest justement quand elle cessed'tre une technique dinterprtation et devient une philosophie du langage, que

    lhermneutique cesse aussi de communiquer avec la linguistique:comprhension hermneutique et comprhension langagire deviennent desarts smiotiques tout fait distincts, ayant des objets spars etincommunicables.

    3. L'IDENTIT DE LA PHILOSOPHIE ET L'TUDE DES LANGUES.Un programme de recherche qui se propose comme philosophiedes languesprend naturellement en charge les repres empiriques de la linguistique, mais ilapplique aussi aux sciences du langage quelques traits de lidentitdisciplinaire de la tradition intellectuelle spcifique qui est celle de laphilosophie. Or, la philosophie a ceci de particulier: elle insre des picesmanquantes dans les puzzles thoriques, des lments que les sciencesempiriques ne fournissent pas, et juge ensuite de la cohrence intime dumodle thorique qui en rsulte. Telle est sa force, son libertinage, sa capacit argumenter sur la base dexpriences mentales, l o les donnes ne suffisentpas. La philosophie saventure dans des hypothses sur la gense lointaine desphnomnes langagiers, l o les sciences positives doivent sarrter, mais elleoffre, ainsi faisant, aux sciences mmes des directions de recherche. On ne sesurprendra pas, par exemple, d'assister aujourd'hui une nouvelle prolifrationdes hypothses sur lorigine du langage. Victor Henry nous avait expliqu dans

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    ses Antinomies linguistiques, que la linguistique ne pouvait, en tant que telle,rsoudre ce problme, qui reste du ressort de la philosophie. Or, depuisEpicure, la philosophie n'a, de fait, cess de proposer des solutions ; et dessolutions que lon peut ramener deux modles qui ne sont pas indiffrentspour la dfinition de lobjet thorique de la linguistique: le modle de lacontinuit et celui de la discontinuit avec la communication animale, avec lapense prverbale humaine. L'hypothse de la continuit est difficilementadaptable, par exemple, une ide de la facult de langage comme ensemblede comptences innes, comme le tmoignent les dbats actuels sur lacompatibilit entre lide chomskyenne de grammaire gnrale et la thorievolutive classique.

    De mme la libert spcifique de la philosophie lui permet denvisager lefutur lointain des phnomnes langagiers, en avanant des hypothses que la

    linguistique par fidlit ses donnes empiriques nest pas en mesure deformuler. La philosophie peut par exemple sinterroger sur le futur de la varitlinguistique et sur la survie des langues minoritaires dans la civilisation de laglobalisation et des migrations, tandis que la linguistique doit attendre lesdlais de lhistoire. Mais ce faisant la philosophie peut orienter par exemple lapolitique linguistique des nations et des institutions, en influenant en dernireanalyse le destin mme des langues.

    Une autre spcificit de la philosophie est son rapport particulier aveclhistoire des thories, quelle utilise comme instrument heuristique, laborantdes modles explicatifs de problmes qui lui sont poss par ltat des sciencespositives et des pratiques sociales. La manipulation de lhistoire elle-mmepeut produire des rsultats thoriques importants : en est un exemple la lectureque Chomsky faisait de la tradition de la grammaire gnrale, en la

    contaminant avec le platonisme de Herbert of Cherbury, pour en tirer cetteacception singulire de rationalisme qui lui servira fonder sa grammaireuniverselle sur un ensemble de notions innes, plus similaires aux formestranscendantales kantiennes quaux modes de concevoirde Port-Royal.

    Quiconque pratique lhistoire des ides linguistiques ce rpertoirearticul de modles thoriques peroit une sorte de coalescence des thmeset des problmes, ce qui est l'un des traits distinctifs dune traditionintellectuelle. Or, la persistance de certains modles thoriques ne peutsexpliquer simplement par les dynamiques sociologiques de transmission dessavoirs lintrieur dune tradition. Il existe des nuds thoriquesfondamentaux qui se perptuent dans lhistoire des thories : des questions, deshypothses, des points de vue qui sont formuls et reformuls chaque fois selonle style philosophique de lpoque. Ainsi, par exemple, la discussion sur la

    gense des noms dans la philosophie antique et la doctrine kantienne duschmatisme, la thorie de la catgorisation de lempirisme classique et lathorie psycholinguistique des prototypes, la rflexion sur la gense descatgories grammaticales aux 17eet 18es. ainsi que le conceptualisme professpar une large partie des smantiques cognitives modernes, sont tout autant detentatives pour rpondre au problme des rapports entre perception et concept.Toutes impliquent une question exprime ou implicite, savoir si, et en quellemesure, la perception est dj en soi une procdure proto-smiotique, capable

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    dorienter les processus de conceptualisation, ou mme, de gnrer lesconfigurations grammaticales des langues naturelles. On pourrait citer bien desexemples de cette persistance de nuds thoriques centraux dans la recherchesur le langage et les langues. Bien au-del des options historicistes desphilosophies du pass, le reprage des grands modles thoriques qui est l'objetde l'histoire des thories fait de la recherche historique une techniqueessentielle de la connaissance.

    Dans ce qui prcde, jai cherch dfinir la philosophie des langues defaon ngative, travers ce qui la diffrencie des autres approchesphilosophiques des problmes du langage. Il ne sagit pas seulement dunedfinition territoriale lintrieur dune discipline, dune distinction entre desstyles acadmiques. Il sagit plutt dune redfinition des espacespistmologiques dune philosophie des langues vis--vis des dfinitions

    courantes qui (comme cest le cas aussi bien de Chomsky que delhermneutique) postulent des structures transcendantales et en font driver,par une sorte de gense spontane, la multiplicit des manifestationsphnomnales : la pense verbale, les pratiques langagires et, dans le cas deChomsky, la grammaire des langues naturelles elle-mme. On interdit par l la philosophie du langage ltude de ce terrain pistmologique intermdiaireo, partir des structures et des comptences, se produisent les fonctions;ltude des techniques travers lesquelles ces fonctions sont labores,adaptes et modifies par linteraction communicative et les alas delanthropogense. Il sagit du vieil escamotage idaliste qui est de prsupposerlunit, la totalit, pour en faire dcouler la multiplicit phnomnale, au lieude suivre le chemin inverse dans une dialectique avec la positivit des sciences.Or la spcificit dune philosophie des langues est justement le terrain

    intermdiaire entre les structures et leur ralisation, c'est l'tude de ce qui sepasse lorsque les structures abstraites et les conditions empiriques ethistoriques ragissent les unes avec les autres.

    Lobjet thorique lui-mme dont soccupe la philosophie du langage estredfini dans cette perspective. Ce nest pas un hasard si aussi bien Chomskyque lhermneutique, partir de positions fort lointaines, nient tous deux aulangage une nature instrumentale. Une philosophie de la linguistique ne peut aucontraire que redfinir ses propres objets le langage, les langues, lespratiques communicatives, la pense verbale comme autant dinstrumentsdu rapport du sujet au monde, comme autant de technologies intellectuelles etcognitives.

    Lantinomie est, encore une fois, entre le point de vue de l'idalisme et lepoint de vue de la positivit. Lun, l'idalisme, voit dans le langage une auto-

    reprsentation de la pense, et dans les structures transcendantales un accsdirect au monde. Lautre le point de vue de la positivit, ou mieux : del'empirisme assume au contraire comme objet thorique propre lesintermdiaires pistmiques entre comptences et ralisations, les modalitsselon lesquelles les comptences se ralisent dans la sphre de la multiplicit,de laccidentalit historique et des pratiques dinteraction du sujet avecdautres sujets, du sujet avec le monde ; les modalits enfin, selon lesquellesles technologies de la connaissance et de la communication ragissent sur les

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    comptences elles-mmes, en les modifiant, faisant ventuellement mergerdautres comptences latentes.Il existe un oxymore qui ne fait pas scandale pour ceux qui sont habitus

    frquenter la linguistique des Lumires: la notion duniversel empirique, unoxymore qui exprime synthtiquement lide que les comptences sont elles-mmes en large part le rsultat des technologies dont se sert lintelligencelinguistique du monde.