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Pour citer cet article : Laconi S, et al. Forte association entre les symptômes de dépendance à la nicotine et les traits des troubles de la personnalité du cluster A. Encéphale (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2014.03.004 ARTICLE IN PRESS Modele + ENCEP-677; No. of Pages 2 L’Encéphale (2014) xxx, xxx—xxx Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ScienceDirect journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP LETTRE À LA RÉDACTION Forte association entre les symp- tômes de dépendance à la nicotine et les traits des troubles de la per- sonnalité du cluster A Strong association between nicotine depen- dence symptoms and Cluster A personality disorder traits Introduction Les relations entre la dépendance à la nicotine et les troubles psychiatriques ont fait l’objet de nombreuses études [1]. Cependant, l’étude des troubles de la person- nalité s’est principalement limitée aux traits d’extraversion et de neuroticisme, à l’impulsivité et à la recherche de sen- sation [2,3]. Deux études seulement se sont intéressées aux relations entre la dépendance à la nicotine et les troubles de la personnalité du DSM-IV. L’une a étudié les relations entre les traits de personnalité du DSM-IV et la dépendance nicoti- nique : une analyse de régression logistique a montré que les symptômes du cluster A étaient les seuls prédicteurs signi- ficatifs du diagnostic de dépendance à la nicotine [4]. Une autre étude a retrouvé que la dépendance à la nicotine était fortement associée aux diagnostics de troubles de l’Axe I et de l’Axe II dans un vaste échantillon représentatif de la population des États-Unis [1]. Après contrôle des troubles de l’Axe I, seuls les diagnostics de personnalités schizotype, limite, narcissique et obsessive-compulsive étaient associés à la dépendance nicotinique [5]. Les personnalités anti- sociale, schizotype et limite étaient associées à la persis- tance de la dépendance à la nicotine au suivi à trois ans [6]. Le but de notre étude était d’étudier les relations entre la dépendance à la nicotine et les symptômes des troubles de la personnalité des clusters A, B et C, en contrôlant la symptomatologie dépressive. Méthode Les participants ont été 80 fumeurs de tabac (36 hommes, âge moyen, 30 ± 10 ans ; 44 femmes, âge moyen, 31 ± 11 ans). La dépendance nicotinique a été évaluée avec le test de Fagerström (FTND) [7,8]. La symptomatologie dépres- sive a été mesurée par la CES-D (Center of Epidemiological Studies—Depression Scale) [9]. Les traits de personnalité ont été mesurés par la version franc ¸aise du Personality Disorder Questionnaire (PDQ-4+) [10]. Le PDQ-4+ est un questionnaire de 99 items, évaluant les 10 troubles de la personnalité du DSM-IV. Les scores des clusters A, B et C scores ont été cal- culés par la somme des réponses aux items explorant les symptômes des différents troubles de la personnalité consti- tuant ces clusters. Résultats Les scores moyens au FTND ne différaient pas entre les hommes et les femmes (respectivement, 4 ± 2,1 versus 3,7 ± 2,2 ; p = 0,68) ; 10 % des femmes et 13 % des hommes avaient un score égal ou supérieur à 5 suggérant une dépen- dance au moins modérée. Une analyse de régression multiple prédisant le score au FTND a été réalisée avec comme variables explicatives, le sexe, le score à la CES-D et les scores de symptômes des clus- ters A, B et C. Ce modèle expliquait 15 % de la variance du score de dépendance à la nicotine. La contribution unique et indépendante de chacune des variables explicatives est rapportée par le coefficient de régression standardisé et la valeur de p. Le seul prédicteur significatif était le score de symptômes du cluster A ( = 0,49, p = 0,02). Le sexe, les symptômes dépressifs, les symptômes des clusters B et C n’étaient pas significativement associés au score de dépen- dance à la nicotine. Discussion Cette étude montre une forte association entre la dépen- dance à la nicotine et les symptômes des troubles de la personnalité du cluster A (personnalités schizotype, schi- zoïde et paranoïde) alors que l’association aux clusters B et C n’était pas significative. Ce résultat est en accord avec l’étude de Trull et al. [4], également seuls les symptômes du cluster A avaient un lien unique et indépen- dant avec la dépendance nicotinique. Ce résultat diffère http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2014.03.004 0013-7006/© L’Encéphale, Paris, 2014.

Forte association entre les symptômes de dépendance à la nicotine et les traits des troubles de la personnalité du cluster A

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Page 1: Forte association entre les symptômes de dépendance à la nicotine et les traits des troubles de la personnalité du cluster A

ARTICLE IN PRESSModele +ENCEP-677; No. of Pages 2

L’Encéphale (2014) xxx, xxx—xxx

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

ScienceDirectjourna l homepage: www.em-consul te .com/produi t /ENCEP

LETTRE À LA RÉDACTION

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Forte association entre les symp-tômes de dépendance à la nicotineet les traits des troubles de la per-sonnalité du cluster A

Strong association between nicotine depen-dence symptoms and Cluster A personalitydisorder traits

Introduction

Les relations entre la dépendance à la nicotine et lestroubles psychiatriques ont fait l’objet de nombreusesétudes [1]. Cependant, l’étude des troubles de la person-nalité s’est principalement limitée aux traits d’extraversionet de neuroticisme, à l’impulsivité et à la recherche de sen-sation [2,3]. Deux études seulement se sont intéressées auxrelations entre la dépendance à la nicotine et les troubles dela personnalité du DSM-IV. L’une a étudié les relations entreles traits de personnalité du DSM-IV et la dépendance nicoti-nique : une analyse de régression logistique a montré que lessymptômes du cluster A étaient les seuls prédicteurs signi-ficatifs du diagnostic de dépendance à la nicotine [4]. Uneautre étude a retrouvé que la dépendance à la nicotine étaitfortement associée aux diagnostics de troubles de l’Axe Iet de l’Axe II dans un vaste échantillon représentatif de lapopulation des États-Unis [1]. Après contrôle des troublesde l’Axe I, seuls les diagnostics de personnalités schizotype,limite, narcissique et obsessive-compulsive étaient associésà la dépendance nicotinique [5]. Les personnalités anti-sociale, schizotype et limite étaient associées à la persis-tance de la dépendance à la nicotine au suivi à trois ans [6].

Le but de notre étude était d’étudier les relations entrela dépendance à la nicotine et les symptômes des troublesde la personnalité des clusters A, B et C, en contrôlant lasymptomatologie dépressive.

Pour citer cet article : Laconi S, et al. Forte association entredes troubles de la personnalité du cluster A. Encéphale (2014),

Méthode

Les participants ont été 80 fumeurs de tabac (36 hommes,âge moyen, 30 ± 10 ans ; 44 femmes, âge moyen, 31 ± 11

easd

http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2014.03.0040013-7006/© L’Encéphale, Paris, 2014.

ns). La dépendance nicotinique a été évaluée avec le teste Fagerström (FTND) [7,8]. La symptomatologie dépres-ive a été mesurée par la CES-D (Center of Epidemiologicaltudies—Depression Scale) [9]. Les traits de personnalité ontté mesurés par la version francaise du Personality Disorderuestionnaire (PDQ-4+) [10]. Le PDQ-4+ est un questionnairee 99 items, évaluant les 10 troubles de la personnalité duSM-IV. Les scores des clusters A, B et C scores ont été cal-ulés par la somme des réponses aux items explorant lesymptômes des différents troubles de la personnalité consti-uant ces clusters.

ésultats

es scores moyens au FTND ne différaient pas entre lesommes et les femmes (respectivement, 4 ± 2,1 versus,7 ± 2,2 ; p = 0,68) ; 10 % des femmes et 13 % des hommesvaient un score égal ou supérieur à 5 suggérant une dépen-ance au moins modérée.

Une analyse de régression multiple prédisant le score auTND a été réalisée avec comme variables explicatives, leexe, le score à la CES-D et les scores de symptômes des clus-ers A, B et C. Ce modèle expliquait 15 % de la variance ducore de dépendance à la nicotine. La contribution uniquet indépendante de chacune des variables explicatives estapportée par le coefficient de régression standardisé � eta valeur de p. Le seul prédicteur significatif était le scoree symptômes du cluster A (� = 0,49, p = 0,02). Le sexe, lesymptômes dépressifs, les symptômes des clusters B et C’étaient pas significativement associés au score de dépen-ance à la nicotine.

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ette étude montre une forte association entre la dépen-ance à la nicotine et les symptômes des troubles de laersonnalité du cluster A (personnalités schizotype, schi-oïde et paranoïde) alors que l’association aux clusters B

les symptômes de dépendance à la nicotine et les traits http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2014.03.004

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artiellement de ceux de Grant et al. [1] dans lesquelsa dépendance à la nicotine était liée à la personnalitéchizotype mais aussi aux personnalités limite, narcissiquet obsessive-compulsive. Cette divergence peut s’expliquerar l’utilisation dans cette étude de la variable dichoto-ique diagnostic d’un trouble de la personnalité plutôt que’un score continu de traits.

La relation entre les traits du cluster A et la dépen-ance à la nicotine pourrait être liée à la forte associationntre schizophrénie et consommation de tabac. Les sujetsffectés de schizophrénie utiliseraient la nicotine pour dimi-uer les déficits cognitifs, la symptomatologie négativet les effets secondaires des neuroleptiques [11,12]. Trullt al. postulent que l’association entre dépendance à laicotine et symptomatologie du cluster A s’explique par’appartenance de ces troubles de la personnalité au spectrechizophrénique et par les effets de la nicotine sur les défi-its neurobiologiques sous-tendant les troubles du spectrechizophrénique [4].

éclaration d’intérêts

es auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enelation avec cet article.

éférences

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PRESSLettre à la rédaction

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S. LaconiA. Sacilotto

A. MoreauM. Girard

H. Chabrol ∗

UFR de psychologie, université de Toulouse, 5, allées

les symptômes de dépendance à la nicotine et les traits, http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2014.03.004

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (H. Chabrol)