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source : Mediapart www.mediapart.fr France, vendredi, 20 janvier 2012 Jean-Luc Mélenchon: la République, la laïcité et la franc-maçonnerie La rédaction de Mediapart Paris - Il est l'un de ceux, l'un de ces très rares candidats, qui peut faire dérailler le scénario trop bien huilé de la campagne présidentielle. Jean- Luc Mélenchon est un « plébéien » , un tribun du peuple et de cette plèbe qui, sous la Rome antique, faisait et défaisait les pouvoirs : la formule est de Stéphane Alliès, que les lecteurs de Mediapart connaissent bien puisqu'il suit depuis notre lancement, en mars 2008, les aventures de la gauche, et de notre confrère de Libération, Lilian Alemagna. Paris - [Un élément multimedia s'affiche ici, dans ce même article en ligne sur Mediapart.fr.] Les deux journalistes publient ce 19 janvier une biographie extrêmement fouillée du candidat du Front de gauche à la présidentielle (chez Robert Laffont). On croyait connaître l'homme, son tempérament éruptif, ses qualités de tribun, ses exaspérations à l'encontre du parti socialiste qu'il a quitté en novembre 2008, ses habiletés manÅ?uvrières et ses inébranlables convictions. Nous découvrons un personnage beaucoup plus complexe et un long itinéraire politique où quarante années de militantisme incessant se distinguent par quelques fortes cohérences. Chaque lecteur jugera de la pertinence des choix politiques. Mais une ligne continue se dessine, du jeune étudiant de Besançon engagé au sein du parti trotskyste de l'OCI à celui qui ose quitter le PS pour créer le parti de gauche puis s'engager dans de complexes négociations avec le PCF pour réussir ce qui avait échoué à le veille de 2007 : une candidature unique de la gauche radicale. Chaque étape de cette vie militante est méticuleusement décrite. Elle est aussi soigneusement sourcée, explicitée par ses proches, par ses adversaires, par ceux qui l'ont rejoint ou quitté. De ce point de vue, à l'heure où le journalisme politique a cette fâcheuse tendance à se nourrir de propos « off » d'anonymes, Mélenchon le plébéien fait la démonstration qu'une enquête rigoureuse, chaque source est identifiée, reste évidemment possible. Jean-Luc Mélenchon est donc candidat à la présidentielle. La réalisation d'un rêve, d'une ambition et d'un projet politique. Car l'homme du socialisme, de l'engagement déterminé, l'homme qui a tant aimé le PS pour s'y engloutir en d'innombrables manÅ?uvres d'appareil, a un rapport tout particulier avec les institutions de la Ve République. Il les critique volontiers, mais il s'y trouve tellement à l'aise... Le président Mitterrand reste intouchable, son bilan presque indiscutable. Elu en 1986 plus jeune sénateur de la République, Jean-Luc Mélenchon ne goûte pas spécialement les ors de la République. Mais il en adore les fonctions et vit déjà comme une sorte d'apothéose sa nomination par Lionel Jospin au poste de ministre délégué à l'enseignement professionnel, en 2000. La politique est une interminable lutte d'appareil... Les lecteurs friands de ce type d'exercice découvriront les longues années passées en Essonne, la conquête de la fédération, l'alliance de quinze ans avec Julien Dray, puis les batailles de courants, de sous- courants, de motions et de congrès... L'intérêt de l'ouvrage est d'en délivrer le sens politique. Oui, Jean-Luc Mélenchon est un redoutable homme d'appareil mais il ne peut lui être dénié de solides convictions et des positions politiques ardemment défendues. L'appareil, ce sont aussi les militants et leur formation idéologique et politique : le candidat s'y est employé et le succès de son parti de gauche, promis à l'immédiate disparition par de nombreux observateurs, doit beaucoup à cette fonction « d'école républicaine » . La République... mais aussi Jaurès, la laïcité, la liberté, l'égalité. C'est aux sources de ce socialisme historique que se construit le « mélenchonisme » . C'est pourquoi nous avons choisi de publier les extraits qui suivent. Pour la première fois, Jean-Luc Mélenchon reconnaît sans détour son appartenance à la franc-maçonnerie. Il s'en explique, raconte ce qu'il y trouve, le « fil d'or » , la « profondeur

France, vendredi, 20 janvier 2012 Jean-Luc Mélenchon: … · source : Mediapart France, vendredi, 20 janvier 2012 Jean-Luc Mélenchon: la République, la laïcité et la franc-maçonnerie

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source : Mediapart www.mediapart.frFrance, vendredi, 20 janvier 2012

Jean-Luc Mélenchon: la République, la laïcité et la franc-maçonnerie

La rédaction de Mediapart

Paris - Il est l'un de ceux, l'un de cestrès rares candidats, qui peut fairedérailler le scénario trop bien huiléde la campagne présidentielle. Jean-Luc Mélenchon est un « plébéien » ,un tribun du peuple et de cette plèbequi, sous la Rome antique, faisait etdéfaisait les pouvoirs : la formule estde Stéphane Alliès, que les lecteurs deMediapart connaissent bien puisqu'ilsuit depuis notre lancement, en mars2008, les aventures de la gauche, etde notre confrère de Libération,Lilian Alemagna.

Paris -[Un élément multimedia s'affiche ici,dans ce même article en ligne surMediapart.fr.]Les deux journalistes publient ce 19janvier une biographie extrêmementfouillée du candidat du Front degauche à la présidentielle (chezRobert Laffont). On croyait connaîtrel'homme, son tempérament éruptif, sesqualités de tribun, ses exaspérations àl'encontre du parti socialiste qu'il aquitté en novembre 2008, seshabiletés manÅ?uvrières et sesinébranlables convictions.

Nous découvrons un personnagebeaucoup plus complexe et un longitinéraire politique où quarante annéesde militantisme incessant sedistinguent par quelques fortescohérences. Chaque lecteur jugera dela pertinence des choix politiques.Mais une ligne continue se dessine, dujeune étudiant de Besançon engagé au

sein du parti trotskyste de l'OCI àcelui qui ose quitter le PS pour créerle parti de gauche puis s'engager dansde complexes négociations avec lePCF pour réussir ce qui avait échoué àle veille de 2007 : une candidatureunique de la gauche radicale.

Chaque étape de cette vie militanteest méticuleusement décrite. Elle estaussi soigneusement sourcée,explicitée par ses proches, par sesadversaires, par ceux qui l'ont rejointou quitté. De ce point de vue, àl'heure où le journalisme politique acette fâcheuse tendance à se nourrirde propos « off » d'anonymes,Mélenchon le plébéien fait ladémonstration qu'une enquêterigoureuse, où chaque source estidentifiée, reste évidemment possible.

Jean-Luc Mélenchon est donccandidat à la présidentielle. Laréalisation d'un rêve, d'une ambitionet d'un projet politique. Car l'hommedu socialisme, de l'engagementdéterminé, l'homme qui a tant aimé lePS pour s'y engloutir end'innombrables manÅ?uvresd'appareil, a un rapport toutparticulier avec les institutions de laVe République. Il les critiquevolontiers, mais il s'y trouve tellementà l'aise... Le président Mitterrandreste intouchable, son bilan presqueindiscutable. Elu en 1986 plus jeunesénateur de la République, Jean-LucMélenchon ne goûte pas spécialementles ors de la République. Mais il en

adore les fonctions et vit déjà commeune sorte d'apothéose sa nominationpar Lionel Jospin au poste de ministredélégué à l'enseignementprofessionnel, en 2000.

La politique est une interminable lutted'appareil... Les lecteurs friands de cetype d'exercice découvriront leslongues années passées en Essonne, laconquête de la fédération, l'alliancede quinze ans avec Julien Dray, puisles batailles de courants, de sous-courants, de motions et de congrès...L'intérêt de l'ouvrage est d'en délivrerle sens politique. Oui, Jean-LucMélenchon est un redoutable hommed'appareil mais il ne peut lui êtredénié de solides convictions et despositions politiques ardemmentdéfendues. L'appareil, ce sont aussiles militants et leur formationidéologique et politique : le candidats'y est employé et le succès de sonparti de gauche, promis à l'immédiatedisparition par de nombreuxobservateurs, doit beaucoup à cettefonction « d'école républicaine » .

La République... mais aussi Jaurès, lalaïcité, la liberté, l'égalité. C'est auxsources de ce socialisme historiqueque se construit le « mélenchonisme ». C'est pourquoi nous avons choisi depublier les extraits qui suivent. Pourla première fois, Jean-Luc Mélenchonreconnaît sans détour sonappartenance à la franc-maçonnerie. Ils'en explique, raconte ce qu'il ytrouve, le « fil d'or » , la « profondeur

des temps » , le souffle de l'histoire.La République et l' « Eglise de laRépublique, la franc-maçonnerie » :explications ci-dessous avec cesextraits de Mélenchon le plébéien.

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Frère Jean-Luc

Jean-Luc Mélenchon a une « patrie » :« la République » . Il a aussi un ADNpolitique : « la philosophie desLumières » . Avant d'être marxiste, lesocialiste est d'abord un hommemarqué par 1789. « La grandeRévolution » , comme il la nomme.C'est la source de toute son actionpolitique depuis plus de quarante ans.Quelle idée a eue la jeune Martine deprendre cette Histoire de laRévolution française d'AdolpheThiers dans la bibliothèque de sonpère à Lons-le-Saunier, pour l'offrirau jeune Jean-Luc !

Mis à part peut-être dans sespremières années de militanttrotskyste à Besançon, toutes lesréférences, analyses etpositionnements du futur candidatFront de gauche à la présidentiellesont structurés par les écrits et idéesde Voltaire, Rousseau, Condorcet...Les Lumières avant le socialisme et,aujourd'hui, l'écologie politique. « Cene sont pas des couches qui viennentse superposer. C'est un tout » ,explique Mélenchon.

Le rapport de Jean-Luc Mélenchon àla République est profond, intime. «La République nous appelle, écrit-ilen introduction de l'ouvrage Causesrépublicaines(Paris, Seuil, 2004, p.7).Elle nous parle dans ce cas au cÅ?

ur autant qu'à la raison sitôt qu'on aappris à reconnaître sa musiquesingulière dans le bruit desévénements politiques. » Pour l'ancientrotskyste, bercé par La Marseillaisedepuis son enfance au Maroc, « laRépublique est un idéal global, et peut-être aussi une esthétique, avant mêmeune institution politique[2] » . Unidéal qui « donne aussi les moyens deconstruire une norme de viepersonnelle en cohérence avec sonprojet politique » . « C'est mamystique à moi, dit-il aujourd'hui.Certains croient au peuple élu, je peuxbien croire au système élu, non ? »

Pour Mélenchon, la France estuniverselle. Parce qu'elle a fait 1789 :« La première fois qu'on fait unerévolution pas pour des droitsnationaux mais universels. Lemouvement vient de loin, de profond.» Parce qu'elle « est une constructionpurement politique : elle n'est soudéeni par une appartenance ethnique, nipar une religion, ni par une couleur depeau. Elle est tout entière le fruit d'unpacte civil » , celui de la Révolutionfrançaise. « La formule française estmagique » , admire-t-il, « unrépublicain conséquent ne croit pasqu'on puisse faire la France dans unseul pays » .

La République est devenue la « patrie» d'un Jean-Luc Mélenchon « sansterre » depuis son départ du Maroc àl'âge de 11 ans. C'est aussi, pour celaïc intransigeant, presquefondamentaliste, une vraie religionqu'il pratique au sein de l' « Église dela République » (expressionempruntée à Pierre Chevallier,Histoire de la franc-maçonneriefrançaise, Fayard, 1993): la franc-maçonnerie.

« Exercice de ressourcement »

Jean-Luc Mélenchon est membre duGrand Orient de France (GOF). Auxjournalistes qui lui posaient jusqu'icila question de son appartenance à uneloge maçonnique, le socialiste atoujours refusé de répondre - que cesoit de manière positive ou négative -au nom du droit au secret de la vieprivé. « J'y suis entré en 1983 » ,confirme-t-il pour la première fois.

Deux ans seulement après son arrivéeau pouvoir, François Mitterrand metses réformes entre parenthèses etprend le « tournant de la rigueur » .Jean-Luc Mélenchon est « KO debout» , dit-il. « C'est l'année de la crisemorale, explique-t-il. Rien ne marche.Tout est perdu. La révolution n'a paslieu ni dans la rue, ni par les urnes...On est dans le potage le plus complet.On ne sait pas quand on va arriver àsortir de cette zone de ressac. »

Pourquoi choisir alors d'entrer enfranc-maçonnerie ? « Quand tout s'estcassé la figure, que reste-t-il ? LaRépublique. Donc, in fine, la liberté etl'égalité » , souligne-t-il. Alors âgé de32 ans, Jean-Luc Mélenchon dit avoirété initié par un ami, lui aussi membredu PS à l'époque, Jean-Claude Ramos,adhérent d'une loge en Essonne. Lejeune socialiste attaque alors son «exercice de ressourcement » en lui-même, dit-il : « Je pense un peunaïvement que je vais trouver unendroit hors du temps, hors del'espace, où on va débattre des puresidées. »

Respiration politique, l'entrée en franc-maçonnerie est aussi une occasiond'un retour aux sources personnel. «Mon père était maçon, confie Jean-Luc Mélenchon. J'ai eu le sentimentde m'inscrire dans une histoire. » Unfrère raconte même l'avoir vu pour lesgrandes occasions porter le tablier de

son père sous le sien. « C'est lamarque du père, confirme ChristianAbriel, l'ami des bancs de Rouget-de-l'Isle à Lons-le-Saunier. Il y a unepart en lui de quête de cet ordre-là.Une recherche d'unité,d'universalisme. » L'ancien socialisteraconte aujourd'hui les conflits, àdistance, qu'il a pu avoir avec sonpère sur le sujet : « J'avais beaucoupironisé à ce sujet, envoyé des lettresassez tragiques sur la "collaborationde classe". »

À l'époque, le jeune Mélenchon esttrotskyste : or, dans la famillemarxiste, la franc-maçonnerie estconsidérée comme « une contrefaçonpetite-bourgeoise du catholicismeféodal [...] où le rôle des cardinaux etdes abbés est joué par des avocats, pardes tripoteurs parlementaires, par desjournalistes véreux, par des financiersjuifs déjà bedonnants ou en passe dele devenir. » Ces mots sont utiliséspar Léon Trotsky lui-même dans untexte daté du 25 novembre 1922 etpublié dans les Cahiers ducommunisme. Après la révolution enRussie, l'exclusion des francs-maçonsdes partis ouvriers a même pris lestatut de « 22e condition » pouradhérer à la IIe Internationalesocialiste.

Pour Trotsky, « la franc-maçonnerieest une partie non officielle, maisextrêmement importante, du régimebourgeois » . D'où la position dujeune étudiant Mélenchon. « Je mesuis rendu compte que c'était un peuplus compliqué que ça... » , dit-ilaujourd'hui.

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« On essaie de se rattacher à quelquechose de plus grand que soi, qui

s'inscrit dans une longue tradition » ,explique aujourd'hui Mélenchon. Ilchoisit cette franc-maçonnerieimportée au XVIIIe siècle du mondelibéral anglo-saxon, qui prend del'importance avec la Révolutionfrançaise pour connaître son heure degloire avec les tribuns de la IIIeRépublique : Léon Gambetta, JulesFerry, Victor Schoelcher... « Jereprends place dans une histoire : lecourant libertaire, Montaigne, lestoïcisme... Je me rends compte que lefondamental, c'est les Lumières,poursuit Jean-Luc Mélenchon. Jecomprends non pas la visiontrotskyenne de la franc-maçonnerie,c'est-à-dire une machine à corromprela classe ouvrière, mais je voisl'inverse : le lieu où se conserve le fild'or. Où traverse notre histoire. Lestemps profonds. » Il y trouve enfindes racines avec son passé : à la foispersonnel et politique. « Le peuple éluet républicain, il faut me laisser croireà ça ! J'y crois absolument etradicalement. »

« Il en avait besoin : moralement etphilosophiquement, dit l'ancienproche Pierre Gérard. Et il se rendcompte que le parti n'est pas tout etqu'il lui faut élargir sonenvironnement. »

Selon Jean-Michel Quillardet, anciengrand-maître du GOF, Jean-LucMélenchon sera le seul candidat à laprésidentielle à être membre d'uneloge maçonnique. Il se félicite du faitqu'il ait accepté d'en parler : « J'aitoujours appelé les gens qui sontfrancs-maçons à ne pas se cacher, à nepas être honteux pour combattre cettemauvaise réputation. » Car, outre lefait qu'il considère la maçonneriecomme faisant partie de son « jardinsecret » , Jean-Luc Mélenchon peutcraindre, en révélant son

appartenance, de prêter le flanc àl'extrême droite, toujours friande,depuis les contre-révolutionnaires etCharles Maurras, de « complotsmaçonniques » , mais aussi lesréactions de ses alliés, communisteset de l'extrême gauche, restés sur laligne trotskyste plus distants de lafranc-maçonnerie. « À partir dumoment où on dit "Oui, et alors ? lesattaques tombent. L'idée du secret etqu'il ne faut pas le dire n'a jamaisexisté ! » fait valoir Alain Bauer,ancien grand-maître, lui aussi ravi devoir l'ancien socialiste ne plus lecacher.

Solidarité des francs-maçons

Dès son arrivée au GOF, Jean-LucMélenchon va connaître, en 1984, unepremière bataille au sein de la franc-maçonnerie : le projet de loi Savaryprévoit de rapprocher lesétablissements scolaires publics etprivés dans le but de créer à terme un« grand service public unifié del'Éducation nationale » . Voyant uneatteinte à leur autonomie, lespartisans des écoles privéesdescendent en masse dans la rue. Maisles organisations laïques, dont lafranc-maçonnerie, ne sont pas nonplus satisfaites du texte rédigé par leministre socialiste Alain Savary. Cesdernières considèrent que la réformeannoncée ne va pas assez loin dans laséparation entre le public et le privé.

Jean-Luc Mélenchon trouve lui sesnouveaux camarades encore troptimides. « À cette époque, j'aifréquenté de près les sommets de lamaçonnerie, explique-t-il. J'étaisindigné du fait que le GOF ne fasserien... » L'actuel coprésident du Partide gauche se souvient ainsi d'un «repas extrêmement violent » avec legrand-maître de l'époque, Paul

Gourdot : « Il m'a pris de haut et je nesupporte pas qu'on me prenne dehaut... Il s'est levé de table, s'est mis àgueuler et dit qu'il avait envoyé unelettre à tous les parlementaires francs-maçons pour leur dire que ceux quivotaient la loi Savary trahissaient leurserment. » Jean-Luc Mélenchon se ditalors « déçu » par les débats auquel ilparticipe dans sa loge essonnienne. Ilassure aujourd'hui avoir « fantasmé ceque c'était » . « Une fois passé lapremière année, j'ai compris que cen'était pas tout à fait ce à quoi jem'attendais » , souligne-t-il.

Même peu assidu, l'actuel candidat àl'Élysée est cependant resté membrede la franc-maçonnerie. « C'est uneaventure assez lointaine. Je n'aijamais eu le temps d'y aller deux foispar mois. Mais j'y suis resté fidèle, jedonne ma cotisation. »

En 2001, alors ministre délégué àl'Enseignement professionnel, il esten sommeil de ses activités de maçonen Essonne. « Hors statut » , ildemande à un de ses proches de lefaire réintégrer dans une loge surParis, au siège du GOF rue Cadet. « Ilétait adhérent d'une loge en crise.Nous n'avions pas de solution pourrégler son problème, explique AlainBauer chargé du cas du « frère » Jean-Luc. Il voulait juste remaçonnertranquille, on a alors recherché uneautre loge qui voulait bien l'accueillir.» Par l'intermédiaire d'un proche ilentre d'abord aux « Chantier desImparfaits » mais la demanded'assiduité de cette loge l'empêche detenir ses engagements. Trois ansaprès, il trouve une place au sein de laloge « Roger Leray » , du nom d'unancien grand-maître et proche deFrançois Mitterrand. Une loge pluspolitique avec une vision «

républicaine et de gauche » , explique-t-on.

Frère de base...

Sa nouvelle appartenance est révéléeen novembre 2010 dans un article duParisien qui donne quelques détails :« Il est même "couvreur" : c'estl'officier chargé de garder la porte dutemple, confie un membre de cetteloge au quotidien. Il vérifienotamment que ceux qui y pénètrentsont bien des frères. Il est trèsscrupuleux sur le respect du rituel etde la tradition. » L'épisode met Jean-Luc Mélenchon hors de lui.Contestant ce rôle, il dit sa colèrecontre ses « frères » en rappelantqu'une des règles est de ne pas parlerd'un autre « frère » lorsqu'il n'a pasrévélé de lui-même son appartenanceà une loge. Jean-Michel Quillardetvoit d'ailleurs mal Jean-LucMélenchon avoir ce rôle de «couvreur » « puisque c'est souvent unancien vénérable » , c'est-à-dire leresponsable d'une loge. Mais ayantdéjà vu l'ex-socialiste assis, lors de «tenues » au sein de cette loge, « àl'orient » , la place réservée auxanciens vénérables, il lui accorde,sans en dire plus qu' « il doit avoir unstatut un peu particulier » . Aupassage, il fait remarquer que « lapreuve de son véritable attachement àcette philosophie est qu'il a voulurevenir, ce qui ne sert pas forcémentsa carrière » .

Jean-Luc Mélenchon se dit lui-même« frère de base » . « Je ne me suisjamais mêlé d'aucune querelle interne,souligne-t-il Jamais. Je ne suis pasassez assidu. De la même manière, j'aicomplètement, totalement,irrévocablement refusé de participer àquelque fraternelle parlementaire quece soit car je considère cela comme

une déviance grave, un attentat contrela République. Je n'ai jamais aimé cecôté copinage. » « Il a un parcoursmaçonnique parfaitement individuel,content de l'être » , appuie AlainBauer.

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Mais lui, l'homme de réseaux, lesénateur, si doué pour nouer desrelations et savoir les entretenir,n'aurait jamais utilisé la franc-maçonnerie à des fins politiques ? «Je ne m'en suis jamais servi. J'aihorreur qu'ils viennent me tripoter lespoignets. Ça me met hors de moi ! »assure l'intéressé. Des camarades,maçons ou non, sont moinscatégoriques. « Cela fait partie del'importance des réseaux qu'il aentretenus, affirme un ancien membrede son cabinet ministériel. C'est unélément d'influence, un prolongementpolitique : pour les idées mais aussipour ceux qui vont voter pour lui. » Sice n'est pas le but premier, ce réseaului a servi plusieurs fois lorsd'échéances électorales.

En 1986, lors de sa premièrecampagne pour les sénatoriales, il està la chasse aux voix de grandsélecteurs dans le sud de l'Essonne,chez un maire de droite, avec sonnuméro deux sur la liste, lechevènementiste Paul Loridant. « Lemaire du coin nous demande à ce quenotre camarade socialiste local setienne tranquille, raconte ce dernier.Mélenchon répond : "Notre camarade,s'il vous emmerde, il a raison !"J'étais effaré... On allait perdre lesvoix qu'on était venu chercher. Puis jevois le maire adjoint prendre Jean-Lucà part. On revient dans la voiture, ilme dit : "C'est bon, ici on a deux

voix." Je lui dis que c'est impossiblevu ce qu'il venait de leur dire. Maiseffectivement, quand on a été élustous les deux, j'ai fait les comptes :ces deux voix y étaient... C'est unautre réseau qui est intervenu... »

Sur Massy, dès la fin des années1970, Pierre Gérard confirme lescoups de pouce politiques tirés decette appartenance au GOF : « Oui, çal'a aidé pour les élections. Il ne vajamais voir les petits villages parexemple, donc il fait ce qu'il faut auparti et recherche les votes d'appui. »Autre sénatrice de l'Essonne arrivée àla fin des années 1990, Claire-LiseCampion raconte un épisode de «solidarité des francs-maçons » au seinmême du Sénat pour être secrétaire(membre du bureau du Sénat) en 2004: « Il a fallu deux votes - avec huitjours d'écart. Et, au deuxième, tousles courants qui traversaient le PSn'existaient plus ! Il a pété son scoreavec tous les francs-maçons qui luiont apporté leur soutien. »

Lors des élections européennes de2009, la possibilité de compter surune « large base franc-maçonne avecles réseaux universitaires, d'éducationpopulaire » , explique Marie-PierreVieu, élue PCF dans les Hautes-Pyrénées, a joué dans le choix de seprésenter dans le Grand Sud-Ouest.

« Il se sert de ce réseau, mais, enmême temps, il a des valeurs. Sinon ilse serait laissé glissé vers le centre duPS » , fait valoir un ancien membre deson cabinet ministériel. « C'est unesuperposition d'un système de pouvoiravec son propre système, expliqueThierry Mandon, ex-fabiusien, mairesocialiste de Ris-Orangis et ancienadversaire de Mélenchon dansl'Essonne. Il superpose la sphèrepolitique à la sphère maçonnique. Il

élargit ainsi son réseau, le champ deses relations aux sphères del'administration, économiques,associatives, syndicales. Mais c'estd'abord un libre-penseur. Unhyperrationaliste authentique ! Il n'apas cherché à pénétrer les loges pourle pouvoir. Pour lui, c'est d'abord unereligion de substitution. »

La République : fondamentalismelaïque et social

« Si la veine porteuse qui doitnormalement irriguer l'idée d'égalité,la séparation des Églises et de l'État,est incapable au premier coup decanon de tenir le moindre choc, plusrien ne tient. » Républicainpratiquant, Jean-Luc Mélenchon estun défenseur acharné du dogmepremier : La laïcité. « Je suis laïque,assume-t-il. Je réfléchis donc dansune vision de l'action humaine où jepostule que le mouvement del'humanité n'est le résultat d'aucunetranscendance, d'aucun plan extérieurà elle-même.L'humanité est elle-mêmeactrice et réalisatrice de sondéveloppement » (déclaration faite enjanvier 2002 au Forum social mondialde Porto Alegre).

Une défense acharnée de la laïcité

Pour l'ancien étudiant en philosophie,cette laïcité « organise l'espace balisépar les trois mots de la deviserépublicaine : Liberté, Égalité,Fraternité. Car, si chacun de cesprincipes allait au bout de sa proprelogique, il détruirait les deux autres.La laïcité est l'espace dans lequel sedénoue la tension entre ces principesdynamiques » .

La défense, si ferme, du dogme laïcconstitutif de son être politique peutmême l'amener vers uneintransigeance voire une intolérance

vis-à-vis de la manifestation d'unequelconque religion dans l'espacepublic. Il n'est pas rare de constaterun certain malaise physique lorsqu'ilcroise, par exemple lors d'une grève,des salariés qui portent le foulardislamique. « Même si j'ai commis desexcès, je n'ai jamais voulu qu'onconfonde l'anticléricalisme avecl'injure à la foi, défend-il cependant.J'en ai rajouté sur la forme. Le fondest une analyse intellectuelle.Historique. L'Église est l'ennemi.Dans la Révolution, elle est toujoursdu mauvais côté ! » Jean-LucMélenchon est pourtant un ancienenfant de chÅ?ur, passé par les curésd'Elbeuf chez qui il a fait sa premièrecommunion avant d'être éveillé à laphilosophie par un professeur defrançais catholique pratiquant ! « Lecontact avec l'Église latino-américaine m'a ramené une sympathiebienveillante pour la foi, les croyants,dit-il. Je me suis rendu compte quej'allais un peu loin. » Il fait aussivaloir qu'il est « bon connaisseur de lacatholicité » : « Je lis toutes lesencycliques ! »

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Dans sa croisade pour la défensed'une laïcité intransigeante, Jean-LucMélenchon a eu son heure de gloire auSénat, en juin 1993. François Bayrou,alors UDF et ministre de l'Éducationdu gouvernement de cohabitationd'Edouard Balladur, souhaite réformerla loi Falloux. Ce texte de 1850 sur laliberté d'enseignement a été déjàmodifié en 1880, 1881 et 1886 pourgarantir la laïcité au sein desétablissements publics et séparerclairement l'État du fonctionnementdes écoles confessionnelles. Laproposition de Bayrou a pour objet de

permettre à l'État ou aux collectivitésde financer des écoles privées pouraméliorer la sécurité des bâtiments.Une « brèche » dans le dogme laïcque n'accepte pas le sénateur del'Essonne qui, dans l'enceinte dupalais du Luxembourg, tient latranchée.

Le 29 juin, après des débats houleuxoù il passe son temps à rouspéter etinterrompre les orateurs de droite,Jean-Luc Mélenchon est invité par leprésident du Sénat, René Monory àmonter à la tribune pour s'exprimer. Ils'avance. À ce moment, dans les rangsde droite, Josselin de Rohan demande« la clôture de la discussion générale» . Accord de Monory : « Je vousdemande, monsieur Mélenchon, debien vouloir quitter la tribune... » Lesénateur est obligé d'obtempérer.Vives protestations dans les rangs dela gauche. Colère rouge de Jean-LucMélenchon. « Je me retourne, racontel'ancien sénateur, je lève la tête etqu'est-ce que je vois ? Tous assis entribune ? Que des curés ! Ils étaienttous là ! Je les regarde, je serre lesdents et leur montre mon poing. »Rageur.

Autorisé à parler à la tribune quelquesminutes plus tard, il ironise : « Il estsans doute tout aussi symbolique quece soit un "de" Rohan qui s'attache àfaire taire la gauche. Les symbolesvivent, messieurs, ils traversent letemps. » À droite, on le traite de «raciste » ... L'auditoire se calme, Jean-Luc Mélenchon est autorisé às'exprimer.

« Monsieur le ministre, il n'y a pas deguerre scolaire. Il n'y en a jamais eupour les laïcs. Il n'y a qu'une bataille,c'est celle de la laïcité, et celle-ciforme un tout. Si elle se concentre surla question scolaire, c'est parce que

dans l'école se trouve dessiné notreavenir. » Sans interruption, Jean-LucMélenchon se lance alors dans unedéfense de la laïcité restée, en plusvingt ans de mandat sénatorial,comme son intervention la plusremarquée : « Chers collègues de lamajorité, la laïcité est un principe nonpas de neutralité dans la société maisde citoyenneté active. La nationfrançaise, issue de la Révolution, estnon pas résumée dans le principe de lalaïcité mais construite sur lui. Ceprincipe ne peut subir de brèches, nisupporter d'entailles, car nous savonsce qui s'engouffrerait dans cesbrèches ou s'infiltrerait dans cesentailles. Là où les religions ont desfidèles, là où les sectes ont desadeptes, la République laïque, elle, neconnaît que des citoyens. »

Premiers applaudissements à gauche.Respect à droite. Jean-Luc Mélenchonreprend :

« Nous sommes un peuple trèstumultueux. Que cela ne nousempêche pas de dire précisément dequoi nous parlons : l'enseignementprivé dans ce pays est à 90 % unenseignement confessionnel. Cetenseignement confessionnel est celuide la religion catholique. Nous netraitons donc pas d'une abstraitequestion technique : nous traitons dela relation de l'État avec l'Églisecatholique. Eh bien, ce n'est pas uneattitude laïque que celle qui consiste àcroire, comme vous le faites, qu'onpeut, par un contrat, établir uncompromis entre la laïcité et le dogmecatholique. Ce n'est possible ni pourles laïques ni pour les catholiques, carle dogme - c'est son essence - ne senégocie pas ! »

Les bancs de droite commencent às'agiter, Jean-Luc Mélenchon montedans sa critique :

« Les droits des uns s'étendent sansfin tandis que les autres sontcontinuellement qualifiés de sectaires(...) Qu'y a-t-il dans l'école publiquequi la rende si répugnante qu'il failleà tout prix aller dans un établissementprivé, si ce n'est que s'y professentdes convictions des plus laïques ? »

Après plus de cinq minutesd'intervention, le sénateur del'Essonne est prié de conclure : « Madoctrine demeure, c'est celle d'ungrand nombre d'hommes et de femmesde gauche, et c'était celle de VictorHugo : "L'Église chez elle, l'État chezlui." »

Autre épisode de la défense duprincipe laïc républicain par Jean-LucMélenchon : le 22 janvier 2008, àl'invitation de sa propre loge, lesocialiste tient une « tenue collective» sur le thème : « 2008: Sermentlaïque et devoir de riposte des francs-maçons » . Nous sommes un moisaprès le discours de Nicolas Sarkozyen l'église de Saint-Jean-de-Latran auVatican où le président de laRépublique a affirmé clairement que «dans la transmission des valeurs etdans l'apprentissage de la différenceentre le bien et le mal, l'instituteur nepourra jamais remplacer le curé ou lepasteur » : un discours remettantclairement en cause la neutralité del'État vis-à-vis des religions. Au siègedu Grand-Orient de France rue Cadetà Paris, dans le temple Arthur-Groussier rempli de près de quatrecents personnes à l'heure du déjeuner,Jean-Luc Mélenchon sonne la charge.« Debout, sans notes, trèsprofessionnel, il a fait une conférencebrillante, se souvient Jean-Michel

Quillardet, alors Grand-Maître duGOF. Il a été excellent. Un granddiscours, très véhément appelant à ladéfense d'une conception spirituellede la laïcité. »

Dans cette « réplique » au chef del'État (Laïcité: réplique au discours deNicolas Sarkozy, chanoine de Latran,Editions Bruno Leprince, 2008), Jean-Luc Mélenchon défend ce « principeorganisateur et pacificateur de notreRépublique » qu'est la laïcité. « Lediscours prononcé à Latran n'est pasle règlement de comptes d'un hommede droite décomplexé avec le récitrépublicain traditionnel marqué par ladomination intellectuelle du courantissu des Lumières » , dénonceMélenchon, pointant les parallèles etles concordances entre les référencesutilisées par Nicolas Sarkozy etplusieurs textes religieux. Son projetest la reconfessionalisation de lasociété » . Et il conclut sur lanécessité de s'opposer à ce « projetconcret de remise en cause de la loide 1905 » .

« J'ai fait cette intervention au Grand-Orient car je considérais le lieucomme celui de la résistance » ,explique-t-il aujourd'hui. Il est déçupar ses « frères » : « Tu parles ! Ilsavaient les genoux tellement mousqu'ils n'ont rien dit ! Ils ne se battentpas ! Ils sont condamnés à mort,comme le PS. »

Mais alors pourquoi y reste-t-il ?Pourquoi continue-t-il de se rendrerégulièrement rue Cadet presquechaque semaine ? « Parce que jeconsidère cela comme un ancrage.C'est comme les socialistes... Je nepeux pas m'empêcher d'avoir del'affection pour eux. Et puis l'idée,elle, est belle, elle reste là... »

Pas touche à ma vie privée

Homme public depuis près de trenteans, Jean-Luc Mélenchon défend une« ligne jaune » derrière laquellepersonne n'est autorisé à se rendre. La« pipolisation » de la vie politiquel'horrifie. Il tient à faire la différenceentre Jean-Luc Mélenchon l'hommepolitique et sa vie personnelle.

Déjà en octobre 1992, dans uneréponse au magazine Actuel, à laquestion « Avez-vous déjà trompévotre femme ? » , il répond sèchement: « C'est encore une manière detransposer chez nous lespréoccupations de la société puritaineaméricaine que je vomis tripes etboyaux. Il y a une dériveépouvantable qui consiste à penserque l'authenticité d'un homme estdans son intimité. Il peut raconter cequ'il veut sur le plan idéologique, onn'aura pas l'impression de le connaîtreou de le comprendre tant qu'on nesaura des choses qui appartiennent àson domaine réservé. » Jean-LucMélenchon a été marié à BernadetteAbriel avec qui il s'est séparéquelques années après être arrivé surMassy et dont il a divorcé au milieudes années 1990. Il a une fille,Maryline Mélenchon, qui travaille auconseil général de l'Essonne et dont lecompagnon est Gabriel Amar, élu PGà Viry-Châtillon. Ensemble, ils ontune petite fille. Récent grand-père,Mélenchon a aussi une sÅ?ur, Marie-France, de dix-neuf mois son aînée,deux demi-sÅ?urs et un demi-frèreplus jeunes que lui. Stop ! La limiteest là. Pas question de faire de sa vieprivée un argument de campagne.

Et lorsqu'il se retire de la scènepolitique, Jean-Luc Mélenchon écritet dessine. De la calligraphie, de la «belle écriture » , « un exercice demaîtrise de soi » pour se « viderl'esprit et entrer dans la rêverie » . «

J'ai chez moi des petits carnets que jene relis pas. J'y écris des chosesbanales de la vie quotidienne ou despensées. » L'homme aime, à l'encre deChine ou au crayon, esquisser sur depetits morceaux de papier ou surordinateur, des « paysages oniriques », inspirés de « paysages chinois » ,confie-t-il. « Je ne suis pas gênéd'avoir à faire des choses quiparaissent n'avoir aucun sens. »

Ces passe-temps sont aussi un moyenpour lui de gérer ses angoisses et samaladresse. « J'ai mes petites manies,explique-t-il. Comme je suis unhomme distrait, ma vie pratique esttrès ritualisée. » Les poches sontvidées au même endroit, idem pourranger le portable... « Je mène uneguerre permanente à l'insurrectiongénérale des objets qui m'ont entraînédans une bataille inouïe ! » plaisanteMélenchon qui se dit volontiers «maladroit » : « Je bricole mais je lefais lentement. Dans ma maison decampagne, j'ai fait de petitestranchées pour planter des arbustesmais j'ai mis des mois ! » Avec ceci,il est aussi malchanceux : Jean-LucMélenchon assure s'être fait, en tout,cambrioler à « dix ou onze reprises » ,la dernière fois en août 2011.

L'homme se dit sans hésiter «angoissé » . Son ancien mentorClaude Germon ne résiste pas àraconter par le menu l'éventail despeurs de son ancien disciple : « Peurdu vide, peur de conduire, peur despiqûres... Je me rappelle qu'une fois àMassy, il avait refusé de montrerl'exemple avec le conseil municipal,pour aller donner son sang ! » Il necache pas non plus sa crainte de sefaire agresser. Dans un café, l'anciensénateur se place toujours dos au muret face à la porte. Il se méfie aussi enpermanence de ceux qui viennent

l'aborder au hasard dans la rue. Et s'ilse ballade volontiers à pied et prendle métro à Paris pour se déplacer, ils'entoure toujours de camarades. Ils'est notamment trouvé en la personneBenoît Schneckenburger, 40 ans, ungarde-du-corps personnel assezoriginal: ceinture noire de karaté etdoctorant en philosophie, spécialisted'Epicure! Mélenchon jure s'être faitconvaincre de passer du « stoïcisme »à « l'épicurisme » par le responsablede son service d'ordre.

Dernier élément de vie privéeentrouverte à l'espace public : sonargent et son patrimoine. Après avoirtouché pendant près de trente ans un

revenu de sénateur équivalent à prèsde 5.500 euros net par mois, Jean-LucMélenchon touche en 2012 un salairede député européen (6.200,72 eurosnet). Malgré ses soixante ans, il nebénéficie pas encore de sa retraite desénateur, mandat européen en coursoblige. Il dit être propriétaire d'unappartement près de la gare de l'Est àParis sur lequel, en juillet 2011, ildevait encore 130.000 euros à sabanque.

Il possède également une maison decampagne à Lombreuil dans le Loiretqu'il estime à environ 150.000 euros.Jean-Luc Mélenchon assure avoirvendu sa permanence à Massy et

donné sa maison dans la même ville àsa fille. Se disant « mal à l'aise » surce sujet par rapport à sa famille ou à «d'autres personnes autour de la table »lorsqu'il est au restaurant, Jean-LucMélenchon l'assure en s'excusantpresque : « Je vis bien. »

[Un élément multimedia s'affiche ici,dans ce même article en ligne surMediapart.fr.]Mélenchon le plébéien, par LilianAlemagna et Stéphane Alliès, éditionsRobert Laffont, 370 pages, 20 euros

Et retrouvez en cliquant ici notredossier spécial "Mélenchon 2012"