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MYSTIQUE ET DIALECTIQUE CHEZ JEAN WAHL Author(s): Vladimir Jankélévitch Source: Les Études philosophiques, No. 1, Gabriel MARCEL — Jacques MARITAIN — Jean WAHL (JANVIER-MARS 1975), pp. 89-98 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/20846701 . Accessed: 22/04/2014 11:38 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Les Études philosophiques. http://www.jstor.org This content downloaded from 130.239.116.185 on Tue, 22 Apr 2014 11:38:35 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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MYSTIQUE ET DIALECTIQUE CHEZ JEAN WAHLAuthor(s): Vladimir JankélévitchSource: Les Études philosophiques, No. 1, Gabriel MARCEL — Jacques MARITAIN — JeanWAHL (JANVIER-MARS 1975), pp. 89-98Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/20846701 .

Accessed: 22/04/2014 11:38

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MYSTIQUE ET DIALECTIQUE CHEZ JEAN WAHL(I)

Nous savions depuis toujours que Jean Wahl serait irrempla?able; nous pressentions d'avance que la disparition de ce philosophe de l'ouverture ? ouverture ? la jeunesse, ouverture ? la nouveaut? des id?es neuves et ? l'alt?rit? de l'autre ? cr?erait un grand vide dans la

pens?e contemporaine. La mort de ce philosophe ? pas comme les autres ?, faisant de la vie de Jean Wahl un message et des ?crits de Jean Wahl une

uvre, nous autorise-t-elle du moins ? prendre conscience r?trospective ment du sens de cette uvre et de ce message ? Allons-nous faire de

Jean Wahl un auteur du programme ? Un projet si p?dant d?mentirait sans doute l'intention d?lib?r?ment asyst?matique et m?me humoris

tique de cette pens?e. Ce n'est pas un hasard si Jean Wahl consacra tant

d'ann?es ? m?diter sur Kierkegaard et sur la pens?e fragmentaire, sur les

po?tes m?taphysiciens, sur les nomades de la philosophie et la philoso phie des ? confins ? (2). M?me quand il ?tudie Descartes, c'est le r?le de l'instant qu'il d?couvre; et quand il ?tudie Hegel, c'est le malheur de la conscience. Tout ce qui est marginal, g?nial, inclassable, fulgurant ?

Blake, Lequier et de nos jours Bachelard ? ?veille sa sympathie et son admiration. Jean Wahl a toujours pr?f?r? se nourrir des ? miettes

philosophiques ? ?parpill?es sur la table du Banquet. Il faut en convenir :

Jean Wahl n'a rien fait pour nous faciliter son classement dans la sainte collection des doctrines et dans la galerie v?n?rable des philosophes professionnels.

Celui qui prendrait pr?texte de cet ? adogmatisme ? (devenu lui m?me une doctrine) pour s'en tenir ? l'image d'un Jean Wahl d?cevant ou insaisissable userait malgr? tout d'une commodit? quelque peu exp? ditive; cette d?sinvolture serait l'effet de la paresse. Qui sait si l'histo risme de Jean Wahl n'est pas lui-m?me un alibi de l'humour et en quelque sorte une pseudonymie kierkegaardienne ? une s?rie d'incognitos ? une

application ? se dissimuler derri?re la pens?e d'autrui ? ou bien une forme de l'humilit? ? Nous ne sommes donc pas dispens?s de l'effort n?cessaire pour retrouver et pour suivre l'intuition profonde, l'intuition

fuyante qui se cache derri?re cette pens?e en miettes, et pour interpr?

( ) Une partie de cette ?tude a paru en 1953 dans la Revue de M?taphysique et de Morale.

(2) L?on Chestov, Apoth?ose du d?racinement, Essai de r?flexion adogmatique.

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9? LES ?TUDES PHILOSOPHIQUES

ter les chiffres qu'elle nous propose. Le Trait? de M?taphysique, o? Jean Wahl a r?uni en 195 3 plusieurs ann?es d'un cours profess? ? la Sorbonne, nous offre peut-?tre l'occasion de ce d?chiffrage. Dans ce ? trait? ?

toutes sortes de trouvailles, de rapprochements ing?nieux et de pr?sen tations frappantes contribuent ? renouveler les probl?mes en projetant sur les doctrines des ?clairages inhabituels. Mais c'est la philosophie de

Jean Wahl lui-m?me qu'il nous faut reconstituer ? travers ces sept cents

pages. De cette philosophie nous ne devinions jusqu'en 1953 que les directions : c'est en effet une simple direction qu'indiquait, d?s 1932, le recueil d'?tudes intitul? Vers le concret. A la fin de son Trait?, d'autre

part, Jean Wahl hasarde que l'?re des doctrines syst?matiques est aujour d'hui r?volue et que la philosophie sera d?sormais une r?action devant les grandes uvres de l'art, les grands probl?mes de l'existence et les

aspects fugitifs du monde... Un ?tat d'accueil permanent aux id?es des

autres, une inlassable curiosit? pour tout ce qui est moderne et juv?nile, une certaine pudeur de l'affirmation dogmatique qui contraste si par faitement avec le ton p?remptoire du p?dantisme ? la mode, une sorte

d'humilit? exceptionnelle enfin ne cessaient d'encourager chez Jean Wahl l'effacement volontaire devant la pens?e d'autrui. Dans le Trait?,

Jean Wahl continue ? commenter les sentences de nos contemporains avec autant de s?rieux que nagu?re celles du Parm?nide. Tenons malgr? tout pour assur? que derri?re le d?fil? des ? placita ? anciens et modernes une m?taphysique tr?s ferme et tr?s personnelle est pr?sente.

La m?taphysique de Jean Wahl semble faite d'abord pour r?cuser les ultimatums tranchants de l'option et de l'alternative ? la vie et ? la

mort qui ?cartel?rent si tragiquement la pens?e d?chir?e de Pascal ou de Kierkegaard. Et il n'a pas non plus, au contraire de Renouvier, choisi r?solument son camp. Le fini ou l'infini ? La nature ou la gr?ce ? Ces dilemmes de la m?taphysique, ces disjonctions malheureuses n'existent

pas pour Wahl, ni par cons?quent le pari aveugle dans la nuit, ni le choix stationnaire, d?finitif, d?sesp?r?... Mais comme il refuse l'option d?chirante, il n'?lude pas moins les abstractions du dualisme ou ce qu'avec

Whitehead il appelle souvent (1) la bifurcation cart?sienne; aussi son

attention se porte-t-elle de pr?f?rence sur cette myst?rieuse ? troisi?me substance ? qui consiste peut-?tre dans l'union m?me de l'?me et du

corps et qui n'est pas tant con?ue que v?cue. L'id?e bien moderne d'une

spiritualit? psychosomatique supplante ainsi le r?gime de la fission abstraite. L'indissolubilit? du sens et du signe dans le mot, l'ins?para bilit? de la forme et des contenus, de la substance et des accidents

expriment ? leur mani?re l'obligation o? nous sommes de renoncer ? la

mythologie de l'incarnation ou de l'animation. De l? ce souci de ne

rien laisser se perdre, de r?cup?rer pour une philosophie concr?te les id?o

logies les plus oppos?es, qui est un des traits fondamentaux de la pens?e

( ) Trait?, p. 52, 269, 561, 573...

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V. JANK?L?VITCH ?

MYSTIQUE ET DIALECTIQUE CHEZ JEAN WAHL 9I

de Jean Wahl : L?nine, parce qu'il est plut?t r?aliste que mat?rialiste, est rapproch? de Maritain; et il est rapproch? de la ph?nom?nologie en tant qu'il admet une r?alit? ind?pendante de la connaissance; ailleurs, c'est le thomisme qui est rapproch? de la ph?nom?nologie avec laquelle il a en commun le respect du sensible (i) ! Aussi les derni?res d?cou vertes de la microphysique repr?sentent-elles pour Wahl une grande esp?rance : celle de voir fondre d?cid?ment les limites qui s?parent la mati?re et la vie, de d?passer ainsi l'alternative du m?canisme et du vita

lisme, de voir l'esprit circuler dans la mati?re. Surtout les peintres et les

po?tes fournissent ? Jean Wahl le type de deux visions du monde contra

dictoires qu'il voudrait retenir ensemble, entre lesquelles il h?site sans

jamais se d?cider : il y a les denses, et il y a les subtils; d'un c?t? l'intui tion de la permanence et de la consistance chez Wordsworth, de l'autre la fluidit? de Shelley; la densit? opaque de Claudel, la subtilit? suraigu? de Val?ry; le mat?rialisme tactile de Courbet, le mat?rialisme ?nerg?

tique de Monet et l'espace lumineux de l'impressionnisme. Peut-?tre

Jean Wahl nous e?t-il permis d'ajouter : d'un c?t? le verbe splendide de Baudelaire et de Rimbaud, et de l'autre Verlaine, c'est-?-dire l'impair, le nuanc?, la demi-teinte, le demi-jour et la p?nombre. Dans la ligne de la subtilit? on trouverait le rationalisme de Brunschvicg; dans celle de

l'opacit? peut-?tre Maine de Biran et Whitehead. De la m?me mani?re, le m?taphysicien pr?occup? de dire oui simultan?ment aux contradictoires accueille ? la fois l'objectivit? subjective de C?zanne et la subjectivit? objective de Van Gogh, la discontinuit? de C?zanne et la continuit?

impressionniste, comme il accueille ensemble les penseurs subjectifs et

les penseurs objectifs, Kierkegaard et Nietzsche, Whitehead et Husserl. Comment faut-il comprendre ce d?passement de la dichotomie

malheureuse ? La philosophie de l'Option (a e , ) choisissait ou Pun ou l'autre, comme Platon ? la crois?e de la Prudence et du Plaisir. Ni l'un ni l'autre, tranchera la dialectique des Antinomies, qui reste ainsi en de?? de l'alternative ou lieu d'aller par del?; et la Synth?se h?g?lienne, au contraire, nous offre et l'un et l'autre. Disjonction, conjonction n?ga tive, conjonction positive : des trois solutions, Jean Wahl pr?f?rerait sans doute la troisi?me. Mais encore faudrait-il s'entendre sur la port?e exacte de la conjonction Et : car si Wahl refuse le syncr?tisme cumulatif comme il refuse la philosophie de la mixture ? laquelle Platon se convertit ? partir du Phil?be, il n'admet pas sans r?serves la conciliation dialec

tique... Serait-ce qu'il se r?signe, avec Kierkegaard, au scandale de l'anti

th?se sans synth?se, et qu'il cherche la solution ? gordienne ?, dans la nuit de l'option religieuse ? Tant s'en faut ! Jean Wahl, qui n'admet ni la d?chirure d?finitive, ni l'av?nement d?finitif de l'Esprit absolu, croirait plut?t au jeu sans fin du m?diat et de l'imm?diat : l'imm?diat est la vis?e de la m?diation, mais il est ? son tour m?diatis?, et la dialec

( ) P. 320, 467, 477.

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92 LES ETUDES PHILOSOPHIQUES

tique est pr?cis?ment ce d?bat infini. La conjonction Et qui conjoint l'un et l'autre ne signifie donc ni l'addition, ni m?me la synth?se de ce

que l'alternative disjoint, mais plut?t la r?ciprocit? dialectique, l'oscilla tion qui renvoie sans cesse chaque certitude ? sa contradictoire. V?rifions ce jeu d'abord dans la succession des v?rit?s alternantes, ensuite dans la

superposition des niveaux de la r?alit?, et enfin dans la tension dialectique proprement dite.

Il y a d'abord une succession historique de th?se et d'antith?se : car la synth?se n'est sans doute qu'une alternance des options ! Wahl, historien de la philosophie, est fond? ? consid?rer le d?roulement des doctrines comme une m?taphysique temporelle ! L'historisme ne fait-il

pas de toute v?rit? ? un moment ? ? Pour celui qui reste spectateur des

syst?mes sans se croire tenu de prendre parti entre eux, l'histoire des phi losophies est peut-?tre toute la philosophie, comme le devenir des

m?taphysiques est lui-m?me une m?taphysique ? la M?taphysique de

ces m?taphysiques. Wahl, ? la diff?rence de Hegel, ne se consid?re pas comme ?tant lui-m?me le d?nouement de l'histoire ? d'une histoire sans al?a, et il refuse l'embourgeoisement de l'Id?e. La pudeur histo rienne et la modestie historienne, ayant le temps pour dimension, ont donc elles-m?mes chez Wahl une raison m?taphysique. L'opposition de Parm?nide et d'H?raclite ou, dans un autre ordre d'id?es, de l'El?a tisme et de l'Atomisme, l'oscillation des philosophies anglo-saxonnes entre id?alisme, n?o-r?alisme et r?alisme critique illustrent assez bien cette dialectique des certitudes successives. Le commentaire des hypo th?ses du Parm?nide n'a-t-il pas ?t? jadis pour Wahl comme une r?capi tulation de ces vicissitudes ?

Et non seulement les v?rit?s contradictoires se succ?dent dans le

temps, mais encore elles sont valables simultan?ment sur les niveaux

superpos?s du r?el. Bien que Wahl s'inspire ici principalement d'Alexan

der, le philosophe de l'?mergence des qualit?s, son intuition du Niveau n'est pas sans rapports avec la th?orie de la d?nivellation expos?e par Emile Boutroux. Par exemple : la v?rit? de la science, qui dissout les choses dans les relations et les lois, n'invalide pas la v?rit? de la percep tion na?ve qui admet des centres substantiels d?sign?s par des noms. Et de m?me l'analyse scientifique et l'unit? po?tique sont vraies chacune sur leur plan propre. Plus g?n?ralement, les rationalistes ont raison au

niveau des math?matiques, comme les empiristes ont raison au niveau de la psychologie... Ce qui permet au dialecticien de ne rien laisser en dehors, de tenir compte des th?ories contradictoires, et notamment d'?lucider l'?ternelle alternative de l'empirisme et du rationalisme.

Non seulement les contradictoires se succ?dent dans le devenir et coexistent au m?me moment sur des niveaux diff?rents, mais encore ils co?ncident tout en se contredisant, et ceci en un m?me point. Ce d?bat

paradoxal, cette antilogie dynamique s'appellent, chez Wahl, d'un mot

emprunt? ? la philosophie allemande, une tension (Spannung). La

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MYSTIQUE ET DIALECTIQUE CHEZ JEAN WAHL 93

Tension est la contradiction d'une co?ncidence et d'une contradiction.

L'application que fait Jean Wahl de ce concept inconcevable aux pro bl?mes les plus vari?s, au probl?me de la substance comme au probl?me de la causalit?, n'est pas sans analogie avec la m?thode relativiste de

Georg Simmel. Si la contradiction simple, contradiction de deux termes, est une situation statique et proprement insoluble, la contradiction avec

exposant, contradiction de deux rapports, est une esp?ce de solution, une identit? contradictoire : car comme le devenir, qui est le non-?tre

de l'?tre et le mode d'?tre du non-?tre, fait s'?couler successivement ce

qui ne peut coexister et amortit ainsi la collision des contradictoires, de

m?me le jeu de la contradiction complexe, renvoyant l'esprit de l'union au conflit et du conflit ? l'union, r?sout irrationnellement et en quelque sorte ? l'infini l'intol?rance qui fait se d?mentir les contradictoires. C'est

ainsi que l'?tre est tout ensemble ce qui est uni ? la pens?e et ce qui lui

r?siste; l'?tre ? la fois se donne et se refuse, nous interpelle et se d?robe ? nous. Ce geste contradictoire de la main qui offre et retire, de la volont?

qui gravite et s'enfuit, c'est par excellence le geste de l'ambivalence pas sionnelle; Eugenio d'Ors croyait le lire dans la Madeleine du Corr?ge comme un sympt?me du baroquisme, et Jean Wahl ? son tour d?chiffre en lui non seulement le mot de l'Etre, mais encore le mot de la Nature, et de l'Objet, et de la Chose elle-m?me (i) : la nature, par exemple, fait

?cho ? l'esprit et reste pourtant muette; elle s'offre et nous fuit, non pas tour ? tour, mais ensemble,

? car elle est ? la fois essence intelligible et donn? opaque; son oui est un non, et vice versa. Ce qui donne raison

alternativement aux ? denses ? et aux ? subtils ? se trouve en elle myst? rieusement condens? au foyer de l'?tre ambigu. L'espace et le temps v?rifient ? leur tour dans l'?tre concret la situation intense qui r?sulte

de la tension. Nous montrions comment l'historicit? pacifie d?j? la

contradiction en faisant se succ?der les incompatibles, alterner les contra dictoires : au lieu que l'un exclue, d?loge ou chasse l'autre, celui-l?

deviendra celui-ci. Or c'est le temps lui-m?me, en tant qu'hybride d'?tre et de non-?tre, qui est cette natura anceps : car le temps unit autant qu'il s?pare; le temps n'est pas seulement diast?me ou s?paration, il est encore, selon Wahl comme selon Whitehead, le milieu o? s'exercent les influences,

s'accomplit l'interfusion des moments, se r?alisent la communication et

la pr?hension. Extensif plut?t qu'intensif, l'espace lui aussi est union et

rayonnement; il est distance, disjonction des corps partes extra partes, ? mais il relationne les points et les lieux... La communication des

personnes impliquant ? la fois communaut? et solipsisme, n'est-elle pas en quelque sorte la forme sociale de cet impossible

? n?cessaire ? A son

tour, le temps entre dans un conflit f?cond avec son contradictoire, s'il est vrai que la vocation de l'homme est de devenir son ?tre et r?cipro

quement d'?tre son devenir. Ce d?bat irrationnel de l'union et de Toppo

( ) L'Ette : p. 120. L'Objet : . 554. La Nature : p. 655. La Chose : p. 700.

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94 LES ?TUDES PHILOSOPHIQUES

sition r?gle de m?me les rapports de l'esprit et de la vie, de l'?me et du

corps : l'?me ne fait qu'un avec le corps, mais il n'est pas moins vrai

qu'elle le transcende ! La condition psychosomatique est le type m?me de la situation tendue, et il ne faut donc pas s'?tonner si l'existence enti?re de l'amphibie humain se d?finit par des antith?ses. Non que l'?me et le

corps soient deux principes distincts vivant ? couteaux tir?s dans la

symbiose contrainte des mauvais m?nages : la situation dialectique est

celle o? l'antagonisme appara?t au m?me moment et au m?me point de vue et du m?me coup comme union indivise, o? l'int?riorit? se dis

tingue absolument de l'ext?riorit? tout en lui restant indissolublement corr?lative et m?me consubstantielle. Bien plus : cette oscillation qui passionne l'existence n'anime pas moins la connaissance. Les termes sont ? la fois d?pendants et ind?pendants des relations; les relations d?pendent et ne d?pendent pas des termes; la connaissance ? la fois change et ne

change pas l'objet connu, lequel est ainsi uno eodemque tempore immanent et transcendant au sujet qui le pense; la connaissance veut la co?ncidence et implique la distance; pr?suppose la diff?rence du connaissant et du

connu, et vise leur identit?; la connaissance est contradictoirement ?lan et soumission, prospection et r?trospection, et le jugement o? elle se

formule est, de son c?t?, antith?se synth?tique ou synth?se antith?tique d'analyse et de synth?se. Au t?te-?-t?te d'un sujet et d'un objet qui seraient principes tout faits, Wahl substitue donc l'id?e d'une tension active dont aucun ?quilibre d?finitif n'assure jamais la d?tente. Comment, dans ces conditions, l'alternative du r?alisme et de l'id?alisme ne serait-elle

pas caduque ? La tension dialectique r?gle, enfin, la mutualit? et complexit? de la corr?lation qui relationne le fini et l'infini : car l'Absolu est ? la fois s?par? et inclusif, lointain et omnipr?sent, inaccessible et compr?hensif, transcendant et englobant

? ce qui justifie simultan?ment le mono

th?isme et le panth?isme, la mystique de la saintet? insondable et la

mystique de la fusion unitive; Dieu est l'absolument Autre, et Dieu est le partenaire d'une relation intense, d'une religion path?tique pour laquelle il est celui en qui nous vivons, nageons, pensons, respirons;

Dieu s?par? est myst?re sans fond et sans nom, Dieu compr?sent ? l'homme est le milieu de notre vision, la lumi?re de notre pens?e, l'?ther de notre mouvement, l'aliment de notre vie. Wahl admire ce charme du miroitement ambigu qui en tout r?v?le l'Un au-dessus de tout, et au-dessus de tout r?v?le l'Un-en-tout. Ainsi se trouve d?pass?e l'anti th?se de la th?ologie n?gative et de la th?ologie positive... Pour atteindre cet inattingible omnipr?sent, pour acc?der ? cette valeur supr?me qui est ? la fois int?rieure ? la conscience et au-dessus d'elle, Wahl nous

recommande le mouvement paradoxal de la transcendance immanente et de l'immanence transcendante : immanence et transcendance ne sont-elles

pas li?es et oppos?es tout ensemble chez Thal?s, H?raclite et les sto? ciens ? La transcendance est une mont?e vers le supra-humain dans l'immanence humaine. Jean Wahl, comme Plotin, brise ici les pr?posi

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V. JANK?L?VITCH ?

MYSTIQUE ET DIALECTIQUE CHEZ JEAN WAHL 95

tions contradictoires l'une contre l'autre... Dans l'intention de nous

sugg?rer autrement qu'en concepts ce mouvement irrationnel et ambigu, ambigu comme le geste de la Madeleine du Corr?ge, Wahl dialecticien

multiplie les formules frappantes : il faut ?merger de l'?mergence et dans

l'?mergence, transcender la transcendance elle-m?me pour retomber vaillamment dans l'immanence.

* * *

La dialectique est ? la fois pour et contre, dit ? la fois oui et non. Peut-on affirmer toutefois qu'elle tienne la balance rigoureusement ?gale entre les contradictoires ? Les pr?f?rences de Jean Wahl sont bien

connues, et ses derni?res uvres les confirment : on savait d?j? que ce

po?te-philosophe avait subi tr?s fortement l'empreinte des po?tes m?ta

physiciens anglais, de l'empirisme de James, d'Alexander et surtout de

Whitehead; on devinait que, soucieux de ne pas renier Brunschvicg ni la

mathesis, il ?tait pourtant dans le camp du r?alisme et du pluralisme, c'est-?-dire dans le camp du concret. Plus que jamais la m?taphysique de Jean Wahl tient ? ?tre une m?taphysique affective : l'Absolu est senti plut?t que con?u, et il y a, d'autre part, un sentiment d'?tre plus convaincant que toutes les sp?culations abstraites sur l'Etre; la substance ? son tour, et les valeurs, et les formes elles-m?mes sont d?crites dans certaines exp?riences psychologiques privil?gi?es que Wahl s'attache ? d?sintellectualiser par un appel ? l'intuition. Dans l' uvre de Proust, que Wahl se repr?sente comme une mani?re de platonisme affectif, dans l'empirisme radical des relations chez William James, dans l'intui tionnisme de Bergson et l'?motionalisme des Deux sources de la morale et de la religion, dans la ph?nom?nologie de Scheler et du Dr Eug?ne

Minkowski, le po?te-philosophe d?couvre tout un monde d'essences ?motionnelles : car la po?sie, non moins que le nativisme contemporain, a sugg?r? l'exp?rience de cette r?alit? m?taphysique ? la nouvelle philo sophie du ? C ur ?. Aux th?ories conceptuelles sur le temps, Wahl

pr?f?re la description des sentiments passionnels ?

remords, regret, angoisse, espoir ou attente ? dans lesquels l'homme ?prouve et vit la succession : la m?taphysique du v?cu n'est donc plus une chim?rique alliance de mots, et les ?tudes sur le ? temps humain ? d'un Georges Poulet ou

d'un Minkowski, les t?moignages aussi des ?crivains apporteraient ? une telle m?taphysique la contribution la plus d?cisive. Wahl dialec ticien dit assur?ment que s'il y a une qualit? de la quantit?, discernable

d?j? dans l'id?e de mesure, il y a de m?me une quantit? de la qualit? ? et ce quantum qualifi? est pr?cis?ment l'intensit?; mais Wahl philo sophe du ? c ur ? accentue l'irr?ductibilit? du qualitatif; la logique de la

quantit? c?de, comme il dit, ? l'illogique de la qualit?; la quantit? est le squelette num?rique des choses; la quantit? fleurit en qualit?s, et cette efflorescence de totalit?s senties, d'individualit?s vivantes, chaudes et

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o6 LES ?TUDES PHILOSOPHIQUES

color?es est avant tout objet d'intuition po?tique. C'est ainsi que, comme

il y a un temps qualitatif qui est la dimension des ?v?nements pr?c?d?s, suivis ou accompagn?s par d'autres, il y a un espace-qualit? qui est

l'empire des choses juxtapos?es, postpos?es et ant?pos?es : avant, apr?s et en m?me temps, devant, derri?re, ? droite et ? gauche sont pour Wahl comme pour James des qualit?s concr?tes aussi irr?ductibles que la ? viridit? ? du vert... Le temps est la forme v?cue des ?v?nements qui se

succ?dent, se pr?c?dent ou sont contemporains, l'espace est la distri bution m?me des obstacles, des r?sistances, des cheminements et des amiti?s de l'homme. La tension infinie de la dialectique n'emp?che donc

pas le dialecticien d'opter pour la qualit?; la dialectique rend justice tout ensemble au dualisme, qui rec?le le principe du conflit, au monisme et au pluralisme : mais on ne peut m?conna?tre que le pluralisme est la v?ritable philosophie qualitative, car il fait seul honneur ? l'essaim innombrable des qualit?s, au pluriel de l'exp?rience, au fourmillement des ? miettes philosophiques ?, et il confirme, d'autre part, l'irr?ductibilit? du futur au pr?t?rit, c'est-?-dire la nouveaut? et la libert?; le probl?me moral lui-m?me se pose ? l'homme dans les cas particuliers et les situa tions concr?tes de l'exp?rience socio-historique. La pr?dilection de Wahl, comme celle de James et de Blood, ira donc au pluralisme. Le peintre et

le po?te sourient aux scintillements du pluriel. De la m?me mani?re, la dialectique oscille entre le continu et le discontinu, mais la philoso phie du pluriel et de la qualit? optera pour l'h?t?rog?ne contre l'homo

g?ne et pour le concret contre l'abstrait.

Qualit?, dur?e, multitude. Comment ne pas voir que la philosophie affective privil?gie un terme des antith?ses par rapport ? l'autre ? Et comment une philosophie affective ne serait-elle pas pr?f?rentielle ?

Mieux encore : c'est la corr?lation fondamentale de l'id?al et du r?el qui est, en d?finitive, dissym?trique; qui est polaris?e par le tropisme unila t?ral de la r?alit?. Jean Wahl ne cache pas que cet ordre de r?f?rence,

mettant en d?faut la r?ciprocit? relativiste, est la raison pour laquelle la th?orie de la r?alit? pr?c?de dans ce Trait? la th?orie de la connaissance : car le plan n'est pas la moindre originalit? du Trait? de M?taphysique; la

gnos?ologie et la crit?riologie sont secondaires par rapport ? l'ontologie, et leur priorit? elle-m?me est une invention rationaliste. Il faut le dire, et Wahl ne le dit pas assez : cette subalternisation de la gnos?ologie est ?minemment bergsonienne. C'est le tropisme r?aliste qui attire Jean

Wahl, comme il attire toute la r?action contre-id?aliste d'aujourd'hui vers la des physiologues pr?socratiques, qui le rend indulgent ?

a opaque d'Aristote ; s'il avait connu la philosophie ? positive ?

de Schelling aussi bien qu'il conna?t l'empirisme radical et le n?o-r?alisme, il se serait sans doute retrouv? lui-m?me dans cette Darstellung des philo sophischen Timpirirismus si ?troitement apparent?e, pr?cis?ment, ? la

philosophie premi?re d'Aristote. Nous parlions d'un va-et-vient dialec

tique entre subtilit? et massivit?, entre l'aigu et l'opaque : aussi est-il

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V. JANK?LEVITCH ?

MYSTIQUE ET DIALECTIQUE CHEZ JEAN WAHL 97

peut-?tre temps de pr?ciser que la dialectique subit l'attrait du massif. Comme le non-moi est r?sistance pour Maine de Biran et comme l'?tre est pl?nitude pour Gabriel Marcel, ainsi il y a pour Wahl une opacit? et une ind?pendance fonci?re de la r?alit? donn?e. Le monde est pr? sence effective et affective, et nous sommes en relation imm?diate avec cette pr?sence. Le r?alisme sera d'abord une r?habilitation du sensible, une c?l?bration de la densit? physique et charnelle : le corps est pour lui notre ? ancrage dans le monde ?; et il arrive m?me ? Wahl de dire : c'est la mati?re qui forme la forme. L'origine optique des pr?jug?s rationalistes est une des id?es sur lesquelles la m?taphysique de Wahl revient le plus souvent (i) : la vue nous fabrique un atlas d'images plates et superficielles qui est l'espace sp?culatif de l'irr?alisme; or l'objet n'est pas spectacle visuel, mais obstacle tangible; ? la lettre l'objet est

objection, r?sistance palpable, et non pas tant probl?me th?orique que probl?me dramatique. Tous les philosophes soucieux, comme le fut Maine de Biran, d'expliquer l'efficacit? volontaire ont interrog? des sens qui adh?rent plus profond?ment que la vue au r?el incarn? : et le toucher est un de ces sens. M?me chez Plotin et chez les mystiques, dans la mesure o? le mysticisme est r?alisme, le contact, e a , est le rapport concret de l'?me avec la parousie ontologique. Il arrive que Wahl, citant Gaston Bachelard, invoque une intuition alchimique de la nature;

parfois encore, il parle d'un r?alisme magique ou d'une magie physique qui est comme le retournement de la Naturphilosophie de Novalis (2)... Apr?s cela on ne s'?tonnera pas si Wahl, appliquant ? la philosophie de la mati?re, par une v?ritable alliance de mots, l'?pith?te de nature du

spiritualisme, se r?clama parfois d'un ? mat?rialisme mystique ? : car

il y a un myst?re de l'?tre sensible, myst?re des substances prochaines et des ?l?ments familiers, que Boehme et Paracelse ont su reconna?tre et dont certains peintres ont gard? l'intuition... Faisant pendant ? l'ineffable de l'au-del? il y a un ineffable de l'en-de?? qui ne peut jamais ?tre compl? tement exprim? ni r?duit en concepts. Wahl po?te, Wahl lecteur de

Blake, de Bergson et de W. James, ressent avec vivacit? l'inad?quation des mots et la fonci?re ineffabilit? du r?el... La substance n'est pas dicible. Les choses m?mes, les choses sans nom, les choses, ces ? personnes muettes ?, comme les appelle po?tiquement la nouvelle Alchimie, les choses sont in?puisables et ind?finissables. L'espace, le devenir sont

pareillement inanalysables et irr?ductibles. La qualit? surtout, qui est, ? l'infini, la vis?e ultime de cette alchimie apophatique, l'informulable

qualit? appara?t comme la fine extr?me pointe de l'inexprimable et comme

l'ineffable lui-m?me en toute ineffabilit? : on devine qu'elle est, sans pou voir d?crire ce qu'elle est, car elle est l'indicible je-ne-sais-quoi qui d?fie les entreprises r?ductionnistes ! ? Silence ? est le dernier mot du Trait?

( ) P. 18, 138, 389, 465, 477. Cf. p. 413. (2) L'alchimie : p. 310, 562. Magie : p. 326, 353.

?TUDES PHILOSOPH. 7

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98 les etudes philosophiques

de M?taphysique : la ? dialectique ? qui, apr?s tout, suppose le dialogue, et le discours, et la discussion, d?bouchent finalement dans l'oc?an

pacifique du silence. Ou mieux : la philosophie du logos dialogu? et de la tension entre Pour et Contre est une philosophie dialectique enca dr?e par deux extases adialectiques

? car elle va du silence au silence : le dialogue commence, en effet, dans un entretien tacite avec les ? per sonnes muettes ? et s'ach?ve dans un t?te-?-t?te extatique avec l'Abso

lument-autre; ce qui revient au m?me : la m?diation commence dans l'imm?diation perceptive de l'exp?rience infrarelationnelle, et s'accomplit dans l'imm?diatet? surrelationnelle de l'adoration. La transcendance et la ? transdescendance ? se font ainsi pendant, l'une qui se hausse d'un

mouvement infini vers la limite sup?rieure de l'inattingible, l'autre qui s'enracine dans l'exp?rience primitive d'une donn?e primitive et dans

l'aveugle pr?connaissance des choses. ? La m?diation, dit Jean Wahl en termes admirables, se perd dialectiquement pour retrouver le paradis perdu de l'imm?diat. ? Jean Wahl, ? la recherche du paradis perdu, a conscience de sa fraternit? intime avec William Blake, Rimbaud et

Whitehead : il serait sans doute plus ?tonn? de d?couvrir une fraternit?

presque aussi profonde entre son intuition de l'imm?diat et cette esp?ce de r?alisme mystique qui est une des constantes de la pens?e russe. Dans le mysticisme de Serge Troubetsko?, dans ? intuitivisme ? de Nicolas Losski comme dans l'ontologisme de Simon Frank, dans ce lyrisme de la nuit et du silence qui emplit l' uvre romantique de Tiouttchev, Jean

Wahl reconna?trait sans doute les tendances g?n?rales de son propre r?alisme magique. L'amphibolie dialectique aboutit ? l'extase. Ce n'est

pas le philosophe qui h?site, ignore ce qu'il veut, choisit ? la fois le pour et le contre : c'est la confusion de la r?alit? originaire qui est la cause fondamentale de l'ambigu?t?, car elle est plus vaste et plus concr?te

que toutes nos pr?f?rences et se r?v?le ? une ?me attentive dans le pro fond silence de la nuit; l'?me nocturne ausculte les bruits de la for?t, les pulsations de la terre et les parfums exalt?s par les t?n?bres; l'?me de minuit ?pie le vent de minuit qui lui chuchote ? l'oreille les musiques lointaines, le vent de minuit qui lui annonce la parent? des myst?res lointains et des myst?res prochains.

Vladimir Jank?l?vitch, Universit? Panth?on-Sorbonne.

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