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GARY POWER ET LA PARODIE PLUS MIEUX ALEX ISCHARD

Gary Power et la Parodie Plus Mieux

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La collision entre la culture geek et le monde des sorciers.

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GARY POWER

ET LA PARODIE PLUS MIEUX

ALEX ISCHARD

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1CELUI-QUI-EST-TOMBÉ-DEDANS

Ce soir-là dans la maison des Power un drame se nouait. Lydia Power, anxieuse, serrait son fils d'un an dans ses bras. Son mari Leonardo qui surveillait la fenêtre se retourna soudain :

– C'est lui !Dehors, émergeant de l'ombre au rythme d'une

marche funèbre, s'approchait le terrible mage noir défiguré, Lord Wølh£ddël金h (sic). Son nom maudit, capable de faire planter l'affichage de la plupart des systèmes informatisés, poussait ceux ayant le triste besoin de le désigner à le surnommer plutôt « Celui-Dont-On-Ne-Sait-Prononcer-Le-Nom » ou « l'Obscur Seigneur » et même le plus souvent « Enfin-Vous-Voyez-Qui ». Il venait accompagné de son fidèle et bégayant serviteur, Pete Pitifoul.

– Mon Dieu, gémit Lydia, où... où allons-nous...– Je m'en charge ! Cache le bébé dans la pièce au

fond !

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La porte d'entrée s'ouvrit à la volée. Le mage noir, sinistre silhouette se découpant dans l'encadrure, tendit devant lui, bien visibles, l'acte de propriété d'une villa cossue et deux billets d'avion pour...

– Kuala Lumpur ! put lire Leonardo, ravi. Chérie, c'est la Malaisie ! Je monte prendre les valises !

Il se précipita à l'étage.– Leo ! protesta Lydia.Wølh£ddël金h s'approcha d'elle. – Non, lança-t-elle, moi vous ne m'aurez pas avec

seulement...Le mage noir fit un signe de tête à Pitifoul qui

ouvrit aussitôt un coffret contenant une parure en or blanc finement travaillée.

– Non, non... Jamais ! s'obstina Lydia, un peu plus faiblement cependant.

Wølh£ddël金h tapa du pied avec impatience et effectua un nouveau geste brusque en direction de Pitifoul. Celui-ci fit alors apparaître une seconde mallette contenant un impressionnant ensemble de bijoux, bagues, boucles d'oreilles et bracelets, tous somptueusement réalisés dans le précieux métal qui avait disait-on la préférence du mage noir, en version dix-huit carats cette fois.

Quand son mari redescendit avec les bagages Lydia contemplait encore avec extase ce fabuleux trésor.

– C'est bon ? demanda Leo.– Je suis prête ! répondit-elle.Et elle prit la mallette, l'échangeant allégrement

contre des papiers d'adoption signés. Elle se retourna vers Lord Wølh£ddël金h.

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– Nous vous sommes très reconnaissants d'avoir accepté de vous charger de Gary, nous allons vrai-ment être très... occupés ces prochaines années. Une région si exotique, il faut le temps de s'habituer... Mais votre... cadeau pour son premier anniversaire, c'est fantastique ! Ces colliers, ces bagues... Ah, le soir ne lui servez pas trop de compote de potirons, il digérerait très mal la nuit et...

– Oui, oui, pas d'inquiétude, sourit le mage noir en les raccompagnant sur le palier. Ne vous attardez pas, vous allez manquer votre avion.

Ils partirent enfin et il claqua la porte, retrouvant sur-le-champ son expression sinistre.

– Bon, les parents c'est fait. Où est le môme ?– Pa-pa-par ici monseigneur !Pitifoul le mena vers la pièce du fond. Mais sur

place... point d'enfant dans le berceau.– Où est-il ! hurla Wølh£ddël金h.– Je... je... balbutia Pitifoul.Son attention se fixa sur un chaudron à côté du

berceau, un chaudron rempli d'un liquide vert aux reflets chatoyants. De petites bulles crevaient à sa surface... Or, réalisa-t-il, aucune flamme ne chauffait par dessous.

– Il... il est to-to-tombé là-d-d-dedans maître ! Il se noie !

– Comment ?! Sors-le de là ! Ce n'est pas ce que j'avais prévu !

Pitifoul renversa le chaudron qui répandit son contenu dans toutes les directions. Heureusement le bébé était encore en vie et il le ranima assez vite sous

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le regard courroucé de son maître.– Cette potion... murmura le mage noir, je la recon-

nais. C'est le philtre de Chester Hegg.– La f-f-fameuse potion de... chance, maître ? Celle

qu'on ne p-p-peut prendre qu'une fois dans s-sa vie ?– Il semblerait que les Power aient décidé que ce

jour était leur jour...– Ils voulaient sûr-sûrement mettre toutes les ch-

chances de leur côté afin de vous sou-soutirer autant d'argent que p-possible !

– Je me disais bien que j'en avais lâché plus que prévu. Bon maintenant tiens-le droit !

Pitifoul obéit. Wølh£ddël金h sortit sa ba-guette magique et la pointa sur le petit Gary. Il s'aperçut alors que l'enfant venait également de lever une baguette vers lui.

– D'où sort-il ça ?– Ma... ma ba-baguette ! Il me l'a p-p-prise !– Reprends-là imbécile ! – Oui m-maît...À cet instant Pitifoul dérapa de manière spectacu-

laire sur le sol trempé de potion ; il heurta violemment le carrelage et se retrouva à moitié sonné. Il n'en fallut pas plus pour faire comprendre à son maître que la légendaire potion de chance commençait à faire effet sur le petit. Il devait réagir vite. Il se décala et brandit sa baguette vers le bébé... pour voir ce dernier faire à nouveau de même. Il essaya selon différents angles, changea de côté... mais à chaque fois le bambin, qui semblait s'être pris au jeu, arrivait par miracle à aligner la sienne juste en face, tel un miroir. Trépi-

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gnant d'agacement et ayant dépassé les limites de sa mince patience le mage noir délaissa la prudence, de toute façon inutile face à un bébé, et jeta son sort maléfique.

Au même moment le jeune Power découvrit par pur hasard comment se servir d'une baguette.

La maison explosa.

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2LE ROUBLARD EXPRESS

C'était une chaude journée de septembre, chaude mais orageuse comme il y en avait eu durant tout l'été. Depuis une heure le Roublard Express naviguait paresseusement au milieu du fleuve. Accoudé à la fenêtre d'une des cabines le jeune Gary Power, treize ans révolus, regardait le paysage défiler lentement derrière ses lunettes noires... Il se demandait pourquoi les sorciers avaient choisi le bateau comme moyen de locomotion pour conduire chaque année les élèves vers leur lieu de scolarité, le collège Roublard. Le voyage allait prendre toute la journée. Historiquement le train avait été abandonné quand les moubulbs – ceux qui ignoraient tout de l'existence de la magie et composaient l'essentiel de la population – avaient modernisé leur système ferroviaire. On avait bien envisagé, à grand renfort d'espaces magiques paral-lèles, de faire passer inaperçu une locomotive à vapeur de 1865 sur trois cents kilomètres, mais au dernier moment il avait été décidé que le budget pouvait peut-être être utilisé autrement.

Lors de son arrivée en première année deux ans

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plus tôt Gary avait déjà un statut de célébrité. On avait failli l'appeler Celui Qui Est Tombé Dans La Marmite De Potion Magique Quand Il Était Petit... mais c'était un peu long alors on l'appelait plutôt Gary. L'explosion avait mis hors d'état de nuire le maléfique Lord Wølh£ddël金h, démantelant ainsi la plus terrible organisation criminelle que le pays eût connue. Les gens pensaient que cette histoire de marmite se référait à ce qui avait protégé le petit Gary de la déflagration.

Mais ce nom cachait plus que ça.Parce qu'il en avait avalé une grande quantité à un

très jeune âge et parce qu'il avait failli en mourir, les effets de la potion de chance étaient devenus perma-nents chez lui. La chose avait été gardée secrète par les quelques rares personnes au courant pour éviter que la moitié des familles de sorciers n'essayât de noyer leurs nouveaux-nés.

Néanmoins, en grandissant, Gary apprit que ce qu'on appelait chance était une notion... assez vague en fin de compte. De la chance... selon quoi ?

C'est ainsi qu'après la mise hors circuit de Wølh£ddël金h il fut recueilli par une famille aisée du côté de sa mère, les Disney. Hasard ou non, à cinq ans Gary était passionné par les films de Walt Disney, en particulier Bambi qui lui avait donné envie de vivre dans la forêt. Une envie qui ne semblait à priori pas très compatible avec son mode de vie bourgeois d'alors... mais c'était sans compter les effets de la potion qui commencèrent à se manifester à cet âge.

D'abord les Disney eurent l'idée de se lancer dans la

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confection de vêtements ayant pour thème l'univers de leur célèbre homonyme. Le petit Gary s'en donna à cœur joie et se présentait donc régulièrement à l'école habillé de pulls Mickey, pantalons Donald, vestes Dingo, chaussettes Pluto... Personne ne lui faisait de remarques, ce n'est que plus tard qu'il comprit que c'était parce qu'on les faisait dans son dos.

Ensuite les Disney, peu habitués à ce genre de commerce, connurent des problèmes de copyright et faillirent être accusés de contrefaçon. Un groupe de trafiquants les repéra et s'installa dans leur manoir où ils continuèrent à gérer leur trafic en échange de leur silence. Échaudés par ces tracas socio-financiers les Disney quittèrent leur grande maison pour une cabane située au cœur de la forêt bordant leur domaine. Cette nouvelle vie, plus simple, plus proche de la nature, était exactement ce qu'avait voulu le petit Gary... jusqu'à sa dernière année de primaire où il découvrit que son isolement lui faisait rater Internet et Pokémon.

Ayant retenu les leçons du passé il se remit à la page et adopta un look plus sérieux : de loin il avait l'air de porter la traditionnelle robe de sorcier mais il s'agissait en fait d'un long trench-coat noir, qu'il avait très vite complété avec une paire de lunettes noires – pratique pour dormir en toute discrétion en cours. Ce genre de tenue neutre et sévère lui éviterait, pensait-il, de ressembler à nouveau à un héros de film.

– Ça va Gary ? lui demanda Don Weshwesh, son ami depuis deux ans.

– Oui... Je réfléchissais.

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Depuis toujours Gary n'avait su dire si Don était riche ou pas. D'un côté il savait qu'il habitait la Termi-tière, une cité en banlieue pour familles modestes, mais d'un autre il le voyait s'habiller de manière assez ruineuse : chaussures Spike, chemise Laposte, montre Trollex... sans parler de sa guitare qui ne le quittait jamais. Cette guitare possédait d'ailleurs un pouvoir remarquable : dès qu'il en jouait il se formait autour de lui un vide excluant toute forme de vie, ce qui avait immédiatement qualifié Don pour le poste de meilleur ami, capable de maintenir la tranquillité à volonté. Pas un pouvoir très rémunérateur hélas... Gary soupçon-nait donc quelques combines pas très nettes.

– Tu as sans doute mis en tâche de fond un thread pour Wølh... Wo... Enfin-Vous-Voyez-Qui... supposa Germine Grandmoeurs qui pianotait sur son ordina-teur de poche sans relever la tête.

Immédiatement une voix synthétique s'éleva de son ultra-portable et annonça : « Traduction : tu dois repenser à ce que trame Wølhdebliiiiiipp...! »

Gary avait rencontré Germine peu après Don. Mor-due d'informatique, de signe nerd ascendant nolife, sa passion avait fini par avoir raison de son vocabulaire et de son éducation sorcière... Le soir pendant que ses amis jouaient aux dominos magiques elle fraggait les cheaters de Mega Mutilation Online (traduction : elle admonestait les mauvais citoyens du dernier jeu en ligne à la mode). Elle avait déjà recréé une map de jeu à partir du plan de Roublard, ce qui avait facilité la préparation tactique de certaines incursions noctur-nes... Une telle personnalité, présente seulement la

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moitié du temps dans le monde réel, l'avait fait réussir avec mention très bien le concours de seconde meilleure amie en milieu scolaire. Gary comptait bien en rester là concernant sa liste d'amis ; il aimait la paix.

– Wølh£ddël金h je le verrai bien assez tôt j'imagine... répondit-il.

Ses amis grimacèrent en entendant le nom du mage noir correctement prononcé. En effet, en plus de faire planter l'interpréteur de Germine ce nom avait comme particularité d'évoquer le son de dents crissant sur une ardoise. Se mordre la langue était souvent le seul moyen de mettre fin à cette impression.

L'immunité de Gary à ce phénomène provenait de l'incident survenu dans son enfance, il le devinait. Il avait appris l'origine de sa chance comme sa nature de sorcier lors de son arrivée à Roublard. Bien sûr il avait alors tenté de la contrôler... et avait eu assez vite la confirmation que sa bonne étoile était une machine pouvant s'emballer facilement. Lutter ensuite contre elle était un combat généralement perdu d'avance...

Son premier souhait avait pourtant été simple : afin d'aider son nouvel ami Don – qui avait déjà gagné le surnom de « Don-la-Dèche » – Gary se mit en quête d'un objet fantastique nommé la Pierre Philosophale. Ce joyau fabuleux accordait la faculté disait-on de pouvoir mettre dans les mains de son possesseur autant de matières précieuses qu'il le souhaitait. Ce fut une belle aventure... tempérée par la découverte que la légende était en fait à prendre au pied de la lettre : la Pierre, qu'un forgeron joaillier avait sertie sur un

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anneau pour son usage personnel, ne donnait comme seul pouvoir que celui de prendre en main une matière précieuse quelque soit son état ou sa température. Il ne s'agissait aucunement d'en faire apparaître par magie... Très pratique en fonderie par contre. Devant cette mauvaise blague Gary, encore inexpérimenté, balança simplement l'objet dans les bois. Il fallait être bien naïf pour se débarrasser aussi négligemment d'une bague d'une telle renommée. La rumeur de sa découverte se répandit comme une traînée de poudre ; tout le monde crut à l'histoire la localisant dans les bois de Roublard ; personne à celle affirmant qu'elle ne rendait pas réellement riche. La forêt fut envahie par un nombre incroyable de gens parmi lesquels, précision importante, se trouvaient les aides-soignants de l'hôpital-prison de Bizaracran qui avaient déserté leur poste pour participer à la chasse au trésor. Lord Wølh£ddël金h, qui y était détenu et maintenu depuis dix ans dans un coma artificiel, s'était alors échappé et avait immédiatement cherché à s'emparer de la pierre. Incroyable enchaînement de malchance ? Pas pour tout le monde... Gary affronta le mage noir, confrontation qui atteint son point culminant lors d'une scène finale spectaculaire quand il jeta l'anneau maudit dans les fournaises de l'Eyjafjöll – plus préci-sément le volcan se trouvant au Fimmvörðuháls. En Irlande. En doublant de peu son ennemi Gary était devenu un héros... Il avait de plus gardé secrètement la pierre, que tous croyaient détruite. Un bilan parfait donc. Mais pour arriver à ce succès le collège avait été mis en péril et un ennemi terrible avait été relâché

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dans la nature.Le même genre d'aventure se reproduisit l'année

d'après et Gary commença à voir là-dedans quelque chose de dérangeant... En effet un succès est toujours plus populaire si le péril est plus grand, il sentait venir le cercle infernal... À partir de là il devint beaucoup plus réservé. Il se mit à réfréner ses envies, à souhaiter peu, pour ne pas provoquer sa « chance ».

– À mon avis, intervint Don, il pense plutôt à lui. Pas vrai Gary ?

Ils suivirent son regard. Dans leur compartiment il y avait un quatrième visage... Heureusement celui-ci se trouvait sur une affiche, un avis de recherche. On y voyait le portrait d'un homme aux longs cheveux noirs qui devait avoir dépassé la trentaine. Il aurait pu être qualifié de séduisant sans son regard sinistre et son visage mal rasé. En dessous du portrait on pouvait lire ceci :

RECHERCHÉ :CYGNUS D. BÂCLE

Forte récompense pour tout renseignement

Gary soupira. Voici donc ce qui allait manifeste-ment être son problème de l'année.

– Ça fait déjà un mois qu'il s'est échappé du couvent de Bizaracran, murmura Don.

– Oui, ajouta Germine, la même unité d'allocation que Wø... Enfin-Vous-Voyez-Qui pendant sa veille prolongée (traduction : là où on avait mis Wøldbiiiii... durant son coma).

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– Jusqu'à ce qu'il se réveille il y deux ans. Et c'est Bâcle qui l'a aidé à sortir ! Même si pour ça il a dû lui-même se laisser enfermer, avec les terribles moines-gardiens du couvent...

– Je me demande ce qu'il a pu utiliser comme backdoor... (trad : comment il a pu s'échapper.)

– C'est l'homme le plus dévoué d'Enfin-Vous-Voyez-Qui. On dit qu'il en a toujours voulu à Gary pour l'accident avec son maître.

– Et on voit plein de posts (trad : affiches) dans le Roublard Express, ça peut vouloir dire qu'il n'est pas loin...

– Et qu'il est venu là pour...– Bon c'est fini vous deux ? les coupa Gary. On

croirait deux personnages de film qui font le résumé pour le spectateur !

Ses deux amis se turent. Mais pas longtemps.– Tu n'as pas eu d'alertes de sécurité Gary ?

demanda Germine. (trad : Tu n'as rien vu d'anormal ?)– Non. À moins que tu considères qu'une espèce

d'oie noire est un mauvais présage.– Une oie noire ? Un cygne ?– Je ne sais pas. Je dors durant les cours de

zoomagie.– Et ce cygne... ou cette oie, elle a fait quoi ?– Elle m'observait. Mais des chiens sont arrivés et

se sont mis à la courser. Elle s'est réfugiée sur une voiture. Bon, moi je suis parti pour ne pas rater le bateau.

– Bof... fit Don, chien, chat ou oie noire ça n'a rien d'exceptionnel...

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– Que tu dis, répliqua Germine, normalement notre région est exclusivement peuplée d'oies à bec court nommées Anser brachyrhynchus qui ne sont pas...

– Bon sang, s'écria Don, mais comment tu fais pour... Attends une minute ! Fais voir ton portable !

Avant qu'elle n'eût le temps de réagir Don lui faucha l'appareil et découvrit un article Wizipédia complet sur la migration des oies dans le sud de l'An-gleterre.

– Aha ! Je le savais ! Depuis toujours tu utilises en fait ce truc pour avoir tout le temps réponse à tout !

– Don, rends-le moi !– Attends, moi aussi je veux avoir ma minute d'in-

telligence. Voyons... Quel nombre donne moins mille vingt-cinq quand on le multiplie par lui-même ?

La réponse apparut en moins d'une seconde, cepen-dant...

– ...heu... ça se lit comment ça ?– Tu as fini ? le houspilla Germine. Et pas la peine

de le retourner, tu le tiens déjà à l'endroit !– Tu es sûre qu'il marche bien ton bidule ?– Bien sûr. C'est moi qui l'ai conçu.– C'est... toi... qui...?Désabusé, Don lui rendit l'appareil.Le reste du trajet se déroula sans histoires. Tout au

plus à la fin Gary Courduo – qui en plus d'avoir le même prénom, était né le même jour que Gary Power – chercha à se réfugier dans leur cabine.

– Salut ! lança-t-il. Dites, vous pouvez me cacher ?Mais il était déjà trop tard... La porte s'ouvrit sur

Argos Theopathe, un élève au prosélytisme religieux

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un brin insistant que beaucoup avaient appris à connaître... mais pas toujours à éviter. Dès qu'il vit les occupants il se désintéressa de Gary (Courduo) et pointa son doigt sur Gary (Power) :

– Gary ! La chance du diable te suit-elle toujours ou bien as-tu prié notre Seigneur pour revenir sur le chemin du salut ?

– Heu... fit Gary (Power). Je n'ai pas eu trop le temps d'approfondir ça dernièrement.

– Gary... Il n'est pas trop tard. Abandonne ce monde de sorcellerie diabolique, quitte ce collège démoniaque ! Ne te laisse pas tenter par les pouvoirs du Malin, car le prix à payer sera celui de ton âme.

Ce dernier mot avait été prononcé sur un ton résolu-ment mélodramatique.

– Attends une minute ! répliqua Don. Toi aussi tu vas au collège, et tu fais tes devoirs de magie, comme nous !

– Je ne m'y rends, répondit Theopathe avec modestie, que dans le noble but de sauver le plus grand nombre d'âmes possible... Et cette année je n'in-voquerai pas une seule fois les artifices de Lucifer pour prouver qu'on peut toujours être sauvé même juste avant le Jugement Dernier.

– Ça veut dire que tu ne feras plus de magie ?– Oui.Don conclut, abasourdi :– Ton bulletin de notes va être apocalyptique...

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3UN NOM QUI SORT DE L'ORDINAIRE

Le professeur Gueuldeboy Tockart contemplait avec tristesse son porte-monnaie vide. Il se trouvait à l'entrée de la haute tour abritant le bureau du directeur de Roublard, plus précisément au pied de l'escalator, et se maudissait pour avoir un jour encouragé la modernisation du collège. Le directeur n'avait pas semblé très intéressé par l'idée d'escaliers automati-ques... jusqu'à la découverte du modèle avec mange-pièce inclus qui, à moins de payer, restait en mode « descente ». Tockart prit une profonde inspiration et grimpa à contre-sens aussi vite que possible. Lui qui avait toujours pressenti que mélanger magie et tech-nologie moubulbe engendrerait des inventions à cou-per le souffle... effectivement il atteignit le dernier étage tout essoufflé.

Avant d'entrer il décida de s'accorder une petite pause. Si au moins les moments les plus pénibles de son travail ne se résumaient qu'à cela... En réalité le pire était lié à la matière qu'il enseignait. Certains pos-tes à Roublard étaient en effet « maudits » : leurs titu-laires ne les occupaient jamais très longtemps. Par exemple le poste de Toilettage des Bestioles Magi-

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ques était maudit, principalement parce que la plupart desdites bestioles possédaient griffes et dents en quantité suffisante pour faire comprendre que leur haine du toilettage devait être génétique. Cette malé-diction prit fin quand Avid, le jardinier de Roublard, finit par accepter le poste après de nombreux encoura-gements suppliants. On n'entendit plus de problèmes avec les bestioles magiques. On ne les revit plus non plus à vrai dire.

D'autres postes par contre étaient « bénis » : ils avaient la sécurité de l'emploi. C'était le cas du cours de Défiance contre les Farces Malignes. En effet après une année à enseigner la Défiance contre les Farces Malignes tout professeur finissait invariable-ment par... continuer à enseigner la Défiance contre les Farces Malignes, le contrat stipulant en tout petit que le titulaire devait en cas de départ présenter obli-gatoirement un remplaçant. Un remplaçant volontaire. Comme personne ne tenait à récupérer un cours où les élèves testaient en toute impunité leurs maléfices sur l'enseignant cela faisait maintenant douze ans que le professeur Tockart était piégé à ce poste.

Une fois remis de sa petite ascension il arrangea sa tenue et frappa à la porte ; elle était ornée d'un bel écriteau doré dont le libellé rappelait l'ancien statut d'entreprise du collège :

A. DINGDEHORPRESIDENT-DIRECTEUR GENERAL

DE ROUBLARD & Cie

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« Entrez ! »Derrière son bureau encombré de documents, le

directeur Dingdehor, vieux magicien à la longue barbe blanche respectable – on disait même que c'était ce qu'il y avait de plus respectable chez lui – observait par sa baie vitrée les élèves pénétrer sur le domaine de Roublard.

– Vous tombez à pic, déclara-t-il. Je désirais m'en-tretenir avec vous de certaines choses...

Les compétences du professeur Tockart lui avaient fait gagner très tôt la confiance de Dingdehor. Ce dernier le trouvait certes affecté de curieuses lubies comme l'informatique ainsi que d'autres idées un peu trop en avance sur le temps sorcier mais cela ne l'avait pas empêché de le nommer assistant de direction. C'était une lourde responsabilité étant donné qu'elle consistait à faire le plus gros du boulot à sa place.

– Avez-vous vu la liste des nouveaux inscrits ?– Eh bien, pour ainsi dire... c'est moi qui la rédige,

signala Tockart. Comme les bulletins trimestriels. Les lettres aux parents. Les menus de la cantine. Les annonces de...

– Ah, oui, oui... Et... n'auriez-vous pas à tout hasard été frappé par la présence d'un nom en particulier ?

Tockart sortit la liste et la parcourut rapidement.– Non...répondit-il. Il faut dire que j'ai aussi été très

pris par la Cérémonie du Dispatching, j'étais d'ailleurs venu vous rappeler qu'elle commence dans quelques...

– John tu sors !L'exclamation du directeur laissa Tockart muet de

surprise. Il regarda derrière lui... Comme il n'y avait

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personne il conclut que cela lui avait été bien destiné, ce qui fit naître sur son visage une expression étrange.

– Heu... bien, je vous laisse, mais... vous m'avez appelé Jo...?

Dingdehor l'arrêta d'un geste de la main.– Tom Elton Johntusors, précisa-t-il. Il s'agit du

nom en question. Et inutile, soit dit en passant, de me rappeler constamment l'heure de la Cérémonie. Alors, ce nom n'évoque rien pour vous ?

Tockart retrouva sa contenance et relut la liste.– ...ma foi non...– Oui je comprends, vous êtes trop jeune... C'est un

nom qui surgit du passé, un nom que tous ont oublié... Un nom ignoré même des services fiscaux.

– Oh. Est-ce seulement une personne réelle ?– Hélas oui... tout à fait réelle, je le crains. Voyez-

vous il s'agit tout simplement du véritable nom de... Wølh£ddël金h.

Tockart écarquilla les yeux – et se mordit la langue. Après quelques instants il demanda prudemment :

– En êtes-vous chûr ?– Absolument. J'enseignais encore quand il a

effectué sa scolarité ici il y a de cela de nombreuses années. Un élève très prometteur... Il avait très vite compris quelles étaient les grandes disciplines d'avenir, notamment l'étude des propriétés magiques et pécuniaires des métaux précieux. Par la suite il a disparu de la circulation... et n'est revenu que bien plus tard sous ce nom redoutable.

Le vieux magicien contempla à nouveau le paysage que lui offrait sa baie vitrée. Il était fier d'être l'une

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des rares personnes à pouvoir prononcer ce nom maudit. Il s'était beaucoup entraîné pour ça.

– Wølh£ddël金h... répéta-t-il sans pitié pour la langue de son assistant, qui cherche depuis deux ans à pénétrer à travers les défenses magiques de Roublard...

– Mais... vous ne penchez pas qu'il che cherait inchcrit pour cha ?

– Il en serait bien capable... Cela dit, je pense que même lui ne mettrait pas en œuvre un plan aussi inepte. Non, je crains qu'une force ténébreuse ne soit à considérer... une magie noire, interdite, qui va lui permettre d'une certaine manière d'être présent ici... Je redoute le pire.

– Que devons-nous faire ?– Pour l'instant rien. Cet « étudiant » est un trans-

fert, prétendument. Un élève de quatrième année qui arrivera dans quelques jours. Je le convoquerai ici le plus tôt possible, dès son arrivée. Il serait bon que Gary Power soit également présent.

Tockart essaya d'oublier sa langue meurtrie et acquiesça. Dingdehor prit un air las et posa sa main sur son front dans un geste légèrement théâtral.

– Maintenant laissez-moi je vous prie. Je dois démêler les fils du présent afin de déceler parmi les détours de l'avenir ceux qui nous guideront vers notre salut...

– ...monsieur le directeur... la Cérémonie...– Hein ? Ah oui.

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La Cérémonie était déjà bien avancée. Quelques élèves de première année attendaient encore fébrile-ment d'être orientés dans leur futur département par la Cagoule du Dispatching. La directrice adjointe regarda sa fiche et annonça à voix haute le nom de l'élève suivant :

– Brandon Tanakabdulovitch !Un jeune garçon (d'origine brésilienne) se détacha

du groupe et s'approcha de la Cagoule, mine sérieuse. Comme ses prédécesseurs il l'enfila jusqu'à s'en recouvrir entièrement la tête. Très vite il entendit une voix résonner dans son esprit.

– Vas-y, fit la voix, dis-moi un truc...– Heu... Bonjour ?– Tu pouvais rien trouver de mieux ? Aaah, c'est

pas vrai... fit la voix avec lassitude.– ...il y a un problème ?– Quand ça commence par B ça tombe dans la

première colonne, encore chez les Gaffenor, et j'y ai déjà envoyé trop de gens... Il y avait plus cool à dire non ? « Hello » ou « Salut » je sais pas moi ! Cette année vous êtes vraiment une génération de coincés !

– Quoi ? s'indigna le garçon. C'est comme ça que vous choisissez les départements ? Avec la première lettre de ce qu'on dit ?

– Eh bien quoi ? C'est pas mal comme technique. Meilleure que celle de l'année dernière même !

– Mais...– Laisse tomber, inutile de... Oh ! Attends...– Qu'est ce qu'il y a ?

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– Oho !– Quoi ?– Dans ton esprit... je vois... oui c'est très clair !– Mais quoi ?– Les chaussettes de Gaffenor ! Si c'est pas un signe

ça !– Un signe ?– Oui, un signe indéniable. On me range à côté

d'elles dans la même commode alors tu penses si je sais les reconnaître. Même sans regarder en fait... bref. C'est si rare d'avoir des visions aussi claires... La dernière fois c'était il y a deux ans.

– Alors je vais à Gaffenor ?– Non. Y'a trop de monde j'ai dit.– Mais... et le signe ??– Oui ben tant pis, ça arrive, qu'est-ce que tu veux

que je te dise... Je n'aurais pas dû te parler de ça tiens...

– Mais...!– Fallait arriver plus tôt c'est tout ! Un vrai

Gaffenor arrive toujours plus tôt. Voilà.– On est appelé par ordre alphabétique !– Quelle idée de s'appeler Tanakabdulovitch aussi !– Ma famille voyage beaucoup ! Et je vous signale

que je suis bon en magie ! Vous n'allez pas gâcher mon orientation ?!

– Bon en magie ? Eh bien voilà, c'est parfait ça pour les Salpendard, ça va faire réfléchir un peu sur le brassage des cultures... oui ça colle ! De toute façon là avec le tirage que j'ai eu je vais être obligé d'envoyer tous les suivants à Salpendard. Et même comme ça,

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leur classe de nouveaux sera assez réduite cette année...

– Mais... c'est n'importe quoi ! Et on laisse faire ça ? Plus tard je deviendrai ministre de la magie et...

– Ha ha ! Et tu crois que d'autres n'y ont pas déjà pensé ? Bon. Suffit. Si tu es si fort n'importe quel département ira. Maintenant file ! SALPENDARD ! AU SUIVANT !

Les derniers mots avaient été lancés à haute voix. Comprenant que sa sélection était finie Brandon ôta la cagoule, encore trop surpris pour avoir l'air furieux surtout devant tout le monde. Il s'éloigna, gromme-lant, et un nouvel élève fut appelé :

« Prawo Jazdy ! »Le petit Prawo entendit la voix dès qu'il revêtit le

couvre-chef magique.– Hum... fit la voix. Vas-y, dis un truc pour voir ?

Et essaie d'être original.– Heu... Buenos dias ?– Bon oublie c'est pas grave. Mon talent est donc de

déceler des choses en toi. Par exemple... Oh ! Oho...– Qu... quoi ?– Je sens chez toi une profonde affinité intérieure

avec Salpendard...– C'est vrai ?– Juré, sur la cagoule de ma mère.– Alors vous allez m'envoyer là-bas ?– Bien sûr. À Salpendard tu connaîtras le plus

grand épanouissement qui soit. Les meilleurs amis des quatre départements tu les trouveras là-bas, du genre à toujours partager leurs gâteaux avec toi.

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– C'est super !– Tu y rencontreras même ta future épouse !– Heu... J'ai que onze ans !– Oui eh ben souviens-t'en quand tu en auras un peu

plus. On gagne toujours à suivre mes conseils. Mais hélas cela ne marche que tant que l'on croit en moi... Tu croiseras fatalement des gens qui me critiqueront. Tu verras tu les reconnaîtras facilement, ils disent tout le temps qu'ils ont été envoyés dans le mauvais dépar-tement, que le gâteau est un mensonge, etc. Ne les laisse pas faire. Je compte sur toi.

– D'accord !– Bien. Allez, va. SALPENDARD ! AU SUIVANT !Une jeune fille vint se coiffer de la cagoule.– Oho... je vois des choses intéressantes, fit la voix.

Mais avant, dis-moi... aimes-tu partager tes gâteaux ?

▲▲ ▲

En fin de soirée Dingdehor et Tockart étaient de retour dans le bureau directorial, ramenant avec eux la Cagoule.

– À chaque fois je me demande si ma présence est vraiment nécessaire, commenta Dingdehor. Les pre-mière année sont hypnotisés par la Cagoule, ils ne me regardent jamais.

– J'ai parfois l'impression qu'elle choisit au hasard...– Non... Si c'était le cas elle s'arrangerait au moins

pour dispatcher équitablement. On a eu assez peu de Salpendard cette année...

Il étouffa un bâillement.

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– Nom d'une pépite, l'entendre hurler pendant une heure le nom des services... je veux dire des départe-ments... ma pauvre tête...

– Ça pourrait être pire, remarqua Tockart, elle pour-rait chanter.

– Taisez-vous malheureux ! Pas la peine de lui donner des idées.

Il rangea rapidement la Cagoule dans sa commode.Les différents services de Roublard, ou plutôt les

départements comme on les appelait officiellement, étaient une idée très ingénieuse inventée par les fondateurs de l'école. Ils encadraient les élèves par des travaux pratiques censés les familiariser avec le monde adulte, principalement en les faisant s'entraîner sur les plaintes déposées contre le collège. En premier lieu les Gaffenor s'occupaient de recevoir les plaintes avec pour consigne de minimiser le problème, de décourager la démarche... Si le plaignant insistait il était dirigé vers les Sabigle qui exigeaient un nombre important de formulaires officiels accompagnés de sous-formulaires et justificatifs pointus afin d'ouvrir le dossier. Ceux qui arrivaient à franchir cette étape devaient ensuite faire enregistrer leurs documents chez les Boudsoufl, qui faisaient traîner l'affaire, perdaient des fichiers... Les plus acharnés qui n'auraient pas encore abandonné se retrouvaient enfin face aux Salpendard qui eux dénichaient les textes de loi les plus obscurs pour rejeter la plainte, voire contre-attaquer le plaignant. Le système tournait à merveille et réussir dans cette activité pouvait ouvrir des portes plus tard au ministère.

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Tandis qu'il s'installait à son bureau Dingdehor se souvint d'un détail.

– C'est curieux il m'a semblé apercevoir de drôles de silhouettes aux fenêtres durant le repas...

– En effet, répondit Tockart, ce sont les Démésis envoyés par le ministère à la recherche de Cygnus Bâcle. Vous avez autorisé leur présence au collège vous vous souvenez ?

– Ah... oui. On avait bien besoin de ces espèces de zombis bodybuildés dans nos murs... Ils risquent d'ef-frayer la clientè... enfin, les futurs parents d'élèves. Mais les parents actuels préfèrent privilégier la sécu-rité alors je n'ai pas eu le choix... Je ne suis pas sûr que cela change grand chose.

– Le ministère pense que Bâcle va tenter de péné-trer dans Roublard. Les moines-gardiens de Bizara-cran sont les seuls à avoir été capables de le freiner un tant soit peu lors de son évasion.

– Comme si on n'avait pas assez de soucis comme ça. Bon au moins il n'y a pas de poste vacant cette année.

– Heu... avant la Cérémonie j'ai rencontré le profes-seur Morgue. Il a dit qu'il partait à Hawaï pour deux mois.

– Quoi ?!– Oui, une compétition de surf je crois. Il parlait

aussi de « s'éloigner de l'asile ». Je pense qu'il parlait d'ici.

– Sacrebleu, il va nous falloir trouver un nouveau Maître des Lotions... Tous les ans c'est pareil.

Dingdehor saisit le lourd dossier de candidatures

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pour Roublard et grommela en étudiant les pages.– Il choisit toujours ses compétitions en période de

rentrée... Je suis sûr qu'il le fait exprès. Hélas les bons remplaçants sont rares...

– Celui-ci a un CV assez impressionnant, avança Tockart en désignant un candidat à la forte carrure.

– Lui ? Mais vous avez vu sa taille ? De quoi j'aurais l'air à côté à la table des repas ? Non, pas question...

– ...Au bout d'un moment Dingdehor soupira et reposa

le dossier. Il se leva et s'approcha de la fenêtre.– Rien n'est jamais simple... C'est comme ces

Démésis : ils mesurent bien deux mètres cinquante ! Je n'aime pas du tout qu'on me voit à côté d'eux.

– Peu de gens apprécient leur présence... Vous devriez peut-être parler au ministre ?

– Oui, je lui en toucherai un mot. Il doit bien exister d'autres services de sécurité à la... hauteur de ce qu'on est en droit d'attendre. Mais pour l'instant il est plus urgent de régler ce problème de poste.

Il considéra d'un air sévère les dossiers empilés sur son bureau. Soudain son regard se focalisa sur une page devant lui et s'illumina. Il posa le doigt dessus.

– Ah ! Voila ! Mais bien sûr... On ne pourrait pas trouver mieux !

– Mais, monsieur le directeur, c'est le catalogue de...

– Ce sera parfait.

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4LE NOUVEAU MAÎTRE DES LOTIONS

Le matin du premier jour de cours Gary constata que le lit de Don était vide et intouché. Il ne s'en inquiéta pas outre mesure et s'habilla tranquillement.

En chemin vers la grande salle à manger il eut le déplaisir de croiser Ragot Malfou. Comme d'habitude ce dernier était accompagné de ses deux acolytes au front bas, Gosts et Gobblins, reconstitués à partir d'ADN préhistorique si on en croyait la rumeur. Ils rappelaient à Gary les jumeaux d'Alice au Pays des Merveilles, en plus sinistres.

– Encore à la traîne Power ? le provoqua Malfou.Gary ne répondit rien. Parfois cela suffisait.– Si je suis toujours en avance sur toi, reprit

Malfou, c'est parce que je prends du jus de citron tous les matins. C'est plein de vitamine C. Tu ne seras jamais capable d'en boire autant que moi.

Que pouvait-on répondre à ça... se demanda Gary. Ragot le désespérait.

Malfou l'observa soudain attentivement comme s'il recherchait sur lui certains signes. Gary devança sa

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question et compta sur ses doigts :– Alors... J'ai évité le courrier piégé, jeté les raisins

ensorcelés, balancé la boule de cristal maudite... Hmm... Oui je crois que je n'ai pas reçu d'autres cadeaux anonymes ces derniers temps. Le compte est bon.

– Tu te crois malin Power. Mais j'aurai toujours une avance sur toi, aux repas du matin comme à ceux de midi !

Il s'éloigna suivi par ses gorilles en concluant : – C'est grâce aux citrons, Power. N'oublie pas... Les

citrons !Gary reprit sa route. Il allait falloir prévenir Don de

ne pas toucher aux citrons.Dès le premier jour où il l'avait rencontré il avait su

que Malfou lui créerait des problèmes. C'était bien pour ça qu'il avait souhaité aller chez les Salpendard : dans le même département il aurait facilement pu passer son année tranquille en laissant à Malfou l'idée de se croire le premier d'entre eux... Mais cette fichue Cagoule magique avait pinaillé sur une sombre histoire de vision du caleçon de Gaffenor, l'envoyant direct là-bas et faisant d'eux des rivaux inconciliables. Depuis il passait son temps à déjouer régulièrement des pièges nullissimes.

Assez vite Germine le rejoignit à sa table. Elle avait apporté un sac et en sortit de quoi préparer elle-même son petit déjeuner.

– Tu n'aimes plus la cuisine des lutins ? demanda Gary.

– Ce ne sont pas des lutins, ce sont des elfes.

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– Ah oui, c'est vrai... J'ai encore un peu de mal à m'y faire. Avant d'arriver à Roublard j'avais plutôt l'idée que les elfes étaient de grands gars élégants et futés qui pouvaient abattre trois tyrannosaures avec deux flèches.

– Ça c'est dans les films.– Oui parce qu'en cuisine...– Les moubulbs ont un peu déformé la réalité. Ce

n'est pas de leur faute, ils sont tenus à l'écart du monde magique. Mais cela crée une situation de désinformation très problématique.

– Encore cette histoire... Germine avait participé à l'essor de Wizipédia, l'en-

cyclopédie sorcière en ligne. L'article sur les elfes se faisait régulièrement vandaliser car, évidemment, les sorciers qui les connaissaient les décrivaient petits, moches, pas courageux et pas futés du tout vu qu'ils se faisaient tous exploiter par les autres races... enfin, presque tous, rectifia mentalement Gary. C'est après avoir corrigé de trop nombreuses fois l'article en ques-tion que Germine avait un jour eu envie de corriger les elfes eux-mêmes pour avoir moins de lignes à retravailler. Mais il y avait du boulot.

– Et donc, reprit Gary, tu penses que bouder leur travail va les faire évoluer ?

– Pour leur physique je ne peux pas faire grand chose, mais s'ils comprennent au moins que travailler sans paye n'est pas une fatalité...

– Ben... ils ne devaient pas justement aller voir Dingdehor sur tes conseils ?

– Si. Dingdehor a accepté de payer en or.

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– C'est bien alors !– Les elfes sont allergiques à l'or.– Ah.– C'est d'ailleurs une histoire assez louche... L'al-

lergie historique des elfes remonte à sept siècles, quand ils ont décidé de travailler avec les sorciers... Le contrat entre les deux peuples stipulait que les roubledors seraient leur seule monnaie d'échange.

– Tu es en train d'insinuer qu'on leur aurait jeté une malédiction ?

– Certains elfes commencent à le penser.– Tu veux dire... tu l'as pensé tout haut devant

eux...?– En tout cas maintenant la grogne s'installe. Il y a

des idées de révolte dans l'air...– Mouais. Don a raison : ça va mal finir tout ça. Tu

n'aurais peut-être pas dû t'en mêler...– Je suis sûre que je peux les guider pour que tout

se passe bien, avec un minimum de désagréments pour tout le monde.

À cet instant Gary Courduo, qui était assis à la table à côté, recracha bruyamment sa première bouchée de la matinée.

– Urrk !! C'est atroce ! C'est salé à mort !Germine évita de le regarder.– C'est une cause juste, insista-t-elle. On peut se

permettre de supporter quelques sacrifices...Un autre élève fut pris de nausée et courut

jusqu'aux toilettes. Gary vit Germine éviter jusqu'à la carafe d'eau sur la table au profit d'une bouteille sortie de son sac. Apparemment les elfes avaient manifesté

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leur grogne au hasard... Il allait devoir prendre des précautions lui aussi.

– Je veux dire, reprit-elle, qu'il faut juste éviter les affrontements directs. D'ailleurs j'ai présenté aux deux parties une solution qui me semble très sensée : les elfes pourraient engager un trésorier pour gérer leur argent. Cela permettrait de tout régler pacifiquement.

– En effet.– Il y a juste un petit problème...– Quoi donc ?– Je ne sais pas d'où ça leur est venu mais ils

demandent qu'on leur règle les arriérés...– Ceux sur sept siècles ?– Oui.– ...et qui se montent à...?– ...trois millions de pièces d'or.Un ange passa, perturbé seulement par le haut-le-

cœur d'une élève un peu plus loin.– Ça va être la guerre, déclara finalement Gary.Ce fut à ce moment que Don les rejoignit à table. Il

avait l'air très fatigué.– On dirait que tu n'as pas dormi, nota Germine.– J'ai essayé... Mais je crois que je ne m'y habi-

tuerai jamais...Bien qu'ayant l'air peu éveillé Don regarda soudain

Germine avec stupeur.– Mais... je viens de comprendre tout ce que tu as

dit sans ton traducteur !– J'ai coupé le haut-parleur, expliqua Germine.

Maintenant j'utilise une oreillette invisible. Je voulais m'en servir pour mystifier Morgue, mais on dit qu'il

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est absent...– Elle m'a montré hier, confirma Gary. Elle obtient

les bons mots en temps réel grâce à un sort. Vraiment bluffant. Au fait, ne touche pas aux citrons. À la réflexion... ne touche pas au reste non plus.

Germine remarqua alors un autre détail concernant Don :

– Tes vêtements sont tout froissé ! Où as-tu passé la nuit ?

– Dans le jardin.– Dehors ? À la belle étoile ?– Pas vraiment... Dans le jardin. Sous terre.– Quoi ??Gary ne dit rien. Récemment Don avait finalement

consenti à lui expliquer ses disparitions nocturnes et il s'agissait d'une affaire entre lui et ses frères aînés, les jumeaux Tom et Jerry Weshwesh. Les frères de Don étaient doués d'un sens des affaires très sûr et d'un esprit d'initiative hors du commun. Quand le retour de Wølh£ddël金h avait été annoncé les jumeaux avaient rapidement senti de quel type de commerce les gens allaient avoir le plus besoin en cette période sombre... Ils avaient donc monté hors de l'école une entreprise de pompes funèbres. Don se faisait un peu d'argent de poche comme cobaye en testant différents modèles de cercueils, souvent en conditions d'utilisa-tion réelles. Garder un look haut de gamme exigeait parfois un investissement... assez profond.

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Une agitation teintée de curiosité avait gagné le groupe d'élèves rassemblés devant la salle de cours de Lotions. Comme d'habitude le professeur Morgue avait « démissionné » de son poste, pour les premiers mois en tout cas. Comme d'habitude il serait remplacé par n'importe qui et, comme d'habitude, il se ferait prier pour revenir... À croire qu'il n'attendait que ça. Mais cette fois-ci une rumeur piquante circulait dans les couloirs : le remplaçant serait un spécialiste très expérimenté. Beaucoup attendaient une éventuelle réaction de Morgue.

– Entrez, déclara une voix nasillarde de l'intérieur de la salle.

Les élèves avancèrent de manière relativement désordonnée comme à leur habitude. Ce n'est qu'une fois assis qu'ils purent se rendre compte qu'il n'y avait personne. La seule trace d'activité provenait d'un chaudron qui bouillonnait doucement à côté du bureau couvert de fioles.

– Très bien, reprit la voix. Pour ce premier cours nous allons aborder les mélanges deux-en-un de lotions frisantes et teintures arc-en-ciel.

Il y eut une petite pause silencieuse.– Heu... monsieur ? Vous êtes où ? finit par deman-

der Luffy Gurant, un camarade de chambre de Gary et Don.

– Mais je suis là, devant vous.Mais devant eux, il n'y avait personne. Certains

commencèrent à regarder sous le bureau ou au plafond.

– Mais non. Devant vous. Ici !

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le chaudron se manifesta alors de manière totale-ment inattendue en s'agitant un peu. Tout le monde le regarda avec les yeux ronds. Il était vrai que si l'on observait bien les formes gravées sur son flanc on devinait presque un visage...

– Mais... fit un élève, vous êtes un chaudron ?!– Je suis un chaudron magique ! Le nec plus ultra

des ustensiles de cuisine ! On ne peut espérer mieux pour enseigner les cours de Lotions ! J'en ai une approche intuitive et je suis le mieux placé pour sentir vos manipulations. Mais commençons sans plus tarder. Tiens, toi l'élève le plus à gauche, comment t'appelles-tu ?

– ...Tamar, m'sieur. Constantin Tamar.– Bien, j'ai comme l'impression qu'on va bien s'en-

tendre tous les deux, Taram.– C'est Tamar, m'sieur...– Approche-toi, les autres aussi. Comme vous le

voyez je suis déjà plein d'un liquide catalyseur, qui permettra d'intensifier les réactions des petits mélan-ges que vous ferez. Taram, commence par verser un peu de poudre d'Oscompette.

– Heu... Je verse sur... dans vous monsieur ? – Bien sûr ! Où d'autre ?Tamar hésita entre plusieurs coupelles de poudre.– Aha ! s'exclama joyeusement le chaudron, c'est la

poudre grise bien sûr ! Voila. Mets-en plus. Non, stop, pas trop ! Bon, quand on en a mis trop il faut compenser par un peu de poudre de Perlintestin. C'est la verte, vas-y. Non pas la vert pâle !! Ah, trop tard ! Alors, compense vite par la fiole de... la fiole juste à

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côté ! Mais non ne verse pas tout ! Jamais !! Bon, restons calme !!

La mixture commençait à bouillonner de manière inquiétante.

– Pas de panique, reprit le chaudron. Étant un objet vivant et magique je peux contenir un grand nombre de réactions en moi. Là toutefois, je reconnais que vous avez réussi un mélange peu banal. Je vais vous montrer comment tout arranger rapidement à l'aide d'une lotion de mon cru. Toi à côté du plateau, verse la moitié de la fiole de Lococola.

– Heu...– Celle de couleur sardoine.– Heu...– La marron-orange ! Vite !Gary (Courduo) s'empara de la lotion désignée,

malheureusement il se prit les pieds dans sa robe de sorcier et bouscula une élève qui se trouvait être en train de partager des bonbons... L'intégralité de son tube de Mentos se déversa dans le chaudron. Certes la mixture commença bien à prendre les teintes arc-en-ciel recherchées mais de toute évidence peu d'élèves crurent à un retour à la normale ; ils reculèrent devant l'instabilité grandissante du mélange et se mirent même à l'abri en voyant le résultat devenir de plus en plus spectaculaire.

– D'accord... commenta le chaudron. Je vois. Bon. Je crois que l'un d'entre vous devrait aller chercher un professeur... voire deux... ou plus.

Gary (Power) n'attendit pas davantage et fit signe à Don de partir avec lui en quête de secours. Mais le

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simple fait de rejoindre la porte se révélait d'ores et déjà difficile... Tout le monde avait renversé et empilé les tables afin de se protéger des projections de lotion dont les effets corrosifs visibles sur le bois n'augu-raient rien de bon. Don et Gary se trouvaient encore à deux tables de la sortie.

– Qui on va prévenir ? cria Don au milieu du chaos.– Je ne sais pas. Il faudra peut-être au moins

Dingdehor pour ça.– Bon sang, pour une fois qu'on aurait besoin de

Morgue ! Pourquoi il n'est pas là d'ailleurs ?– Officiellement, absent pour stage de formation à

Hawaï.– Ils auraient pu au moins trouver une excuse moins

bidon ! Un soubresaut orienta un instant le chaudron dans

une autre direction et ils profitèrent de l'occasion pour se précipiter vers la sortie. Don venait à peine de quitter la salle quand il heurta Gary dans la foulée ; celui-ci avait en effet stoppé net : juste devant eux, en tongs, bermuda et chemise à fleurs, une planche de surf sous le bras et des lunettes de soleil braquées sur eux, se tenait le professeur Morgue, accompagné musicalement comme à chacune de ses apparitions surprises d'un accord de rock – très certainement un sortilège personnalisé.

– Professeur, je croyais que vous... heu...– L'ouragan Kathleen a interrompu ma compétition,

expliqua-t-il sèchement. Qu'est-ce qui se passe ici ?– Il y a un problème avec le professeur de Lotions !À peine Gary avait-il prononcé ces mots que

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Morgue les bouscula pour entrer dans la salle de cours. Sur place il étudia la situation et, apparemment sans crainte des conséquences, s'approcha lentement de la source du problème.

– Je vois que les rumeurs étaient fondées... C'est donc par ça qu'on a voulu me rempla...

– Ah, vous tombez à pic, l'interrompit le chaudron. Vous êtes un domestique du collège ? Peu importe. Faites exactement ce que je dis et tout devrait... bien se... passer...

Après être devenue hésitante sa voix finit par s'éteindre : Morgue réussissait l'exploit de le trans-percer du regard derrière ses verres teintés. Il fit un pas en avant et les projections se calmèrent. Un autre pas et les bulles à la surface se firent plus rares... Quand il arriva à côté du chaudron elles disparurent presque complètement. Le visage gravé sur le métal paraissait retenir sa respiration avec l'idée de tenir jusqu'à la fin de l'heure.

Quelques élèves jetèrent un coup d'œil par dessus les tables, hésitant encore entre deux espoirs... Ils constatèrent de visu l'accalmie. Alors le soulagement les envahit ; les sourires apparurent ; les congratula-tions entre miraculés du désastre se multiplièrent !

Puis ils se rendirent compte qu'ils avaient cours avec Morgue.

Ce dernier porta la main à ses lunettes de soleil, les ôta, les replia et les accrocha à la poche de sa chemise hawaïenne.

– Interrogation surprise. Coefficient vingt-quatre. Plume indélébile obligatoire. Trois heures de colle par

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rature, trois devoirs supplémentaires par erreur. Même sujet que lors de l'interrogation du 29 avril de l'année dernière. Aucun bruit autorisé, et ceci inclut les ques-tions au professeur dès cet instant même. Inscription forcée au spectacle théâtral de fin d'année pour les tricheurs et copieurs. Vous avez trente-huit minutes.

Le cours de Lotions retrouva donc son ambiance ordinaire. C'est-à-dire qu'il régnait une atmosphère de terreur, uniquement ponctuée par les sinistres crouic crouic des tongs en plastique de Morgue. Beaucoup d'élèves tremblaient à leur approche. Parfois Morgue restait derrière l'un d'eux et faisait du surplace, de plus en plus doucement, afin de faire croire qu'il s'éloi-gnait. Puis, il faisait brusquement crisser ses semelles et l'élève commettait à coup sûr une rature.

Trente-deux minutes après le début du devoir sa voix glacée rompit le silence :

– Temps écoulé.Alors, à l'instant où certains se précipitèrent pour

effectuer une retouche de dernière seconde, les copies s'envolèrent jusqu'à sa main, créant de nouvelles ratures au passage.

Il consulta la copie d'un élève.– Deux mois de vacances, déclara-t-il, il n'y a rien

de mieux pour atrophier davantage la substance inerte qui vous sert de cerveau. Les résultats s'annoncent catastrophiques... Il n'y a qu'une chose à faire pour tenter de rattraper cela. Interrogation orale.

Seuls les Salpendard parurent enchantés par l'an-nonce.

– Question numéro un : quel est le procédé exact de

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préparation de l'après-shampoing de Ruby Goudy ?Bien évidemment Germine fut la première – et en

fait, la seule – à tenter sa chance. Morgue et elle se regardèrent d'un air de défi.

– Oui miss Grandmoeurs ? lâcha Morgue d'un ton lourd de menaces.

– Il faut couper en quatre trois cheveux prélevés sur un hypnocrapaud au pied d'un double arc-en-ciel à minuit moins deux et les faire macérer dans une solu-tion de corbomite diluée à quarante-deux pour cent. Ruby Goudy n'a révélé sa recette secrète qu'à la fin d'une soirée cocktail s'étant terminée très tard et a toujours nié que cela ait pu avoir le moindre sens.

Morgue affronta son regard, cherchant la faille, puis retrouva son impassibilité malsaine.

– Dommage...commenta-t-il. Votre citation manque de rigueur : sur la nappe de table utilisée lors de cette soirée elle avait écrit mot pour mot « à 23 heures 58 minutes ». Moins 666 points pour Gaffenor.

– Vous ne pouvez pas tous nous punir sans une meilleure raison ! protesta un Gaffenor plus brave que futé – un peu la condition d'entrée du groupe.

– Maintenant que vous le dites... répondit Morgue. Il me semble justement que vous révisez tous ensemble le soir dans votre salle commune ? Cette mauvaise réponse est donc le résultat d'un travail collectif. J'enlève en conséquence deux points au devoir de tous les Gaffenor... Question suivante : dans quelle région du pays peut-on cueillir des graines de séquoias nains bleu-orangés ?

– À l'ouest, répondit immédiatement Malfou.

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Morgue s'octroya un temps de réflexion.– Réponse acceptée, conclut-il. J'accorde 421 points

à Salpendard.Nouvelles protestations des braves Gaffenor, car la

réponse était le Norfolk, à l'est. Mais Morgue les fit taire :

– Quiconque poursuit sa route suffisamment long-temps vers l'ouest finit par atteindre ce qui est à l'est. 1234 points en moins pour Gaffenor, où on ne sait toujours pas que la Terre est ronde.

Malfou triomphait et personne n'insista, pas plus qu'aucun Gaffenor n'en voulut à Germine d'avoir tenté de répondre. Le professeur Morgue, actuel directeur des Salpendard, n'avait bien sûr aucune préférence parmi les départements. Tous les enseignants étaient soumis au devoir de neutralité. Il était simplement un fervent adepte d'une nouvelle méthode pédagogique appelée « équité relative » qui consistait à adapter au cas par cas les efforts qu'on exigeait des élèves jugés les plus préoccupants.

Les Gaffenor auraient tant aimé que leur propre directrice suivît une telle voie... mais le professeur McGoohan soignait sa réputation d'incorruptibilité avec une distribution très modérée des points de récompense. Pour elle une bonne action valait un point. Elle concédait cependant une exception : quand Gary sauvait le collège elle accordait pas moins de deux points et demi d'un coup. Hélas les gouttes de liquide rouge qui remplissaient la clepsydre géante à l'entrée de l'école pour la tenue des comptes ne pouvaient être dosées de moitié et il fallait donc

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arrondir à deux. Mais elle assurait Gary que s'il sauvait le collège deux fois dans la même journée elle attribuerait avec plaisir le compte exact et mirobolant de cinq points de récompense.

– Monsieur, intervint Malfou, y'a Courduo qui m'avait soufflé le sud !

– Vraiment ? Moins 747 points pour Gaffenor.On pourrait croire les Gaffenor constamment

condamnés à la dernière place mais il n'en était rien. Contrairement aux apparences Morgue partait battu d'avance depuis l'année où était arrivé Gary. Le direc-teur Dingdehor, ancien chef des Gaffenor, ne manquait jamais de rajouter des milliers de points à son ancien département à chaque fois que Gary arri-vait à lui sauver la mise, généralement en fin d'année quand les clepsydres était bloquées pour tous excepté lui. Une manière très généreuse et en même temps peu coûteuse de manifester sa gratitude. Il suffisait donc à Gary de sauver le collège juste avant les grandes vacances... quitte à être lui-même à l'origine, volontairement ou non, de sa mise en danger quelque temps plus tôt.

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