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Georges Darien et la France des castratslundi 15 août 2005, par Georges Feltin-Tracol

Tout homme qui écrit pour ne rien dire est, à mes yeux, un prostitué et un misérable. GeorgesDarien, Les Pharisiens

Le nom de Georges Darien n’évoque rien, excepté chez quelques spécialistes de la littératurefrançaise de la fin du siècle dernier. Et si, par le plus grand des hasards, on le connaît, on signaleaussitôt son appartenance à cette improbable cohorte appelée « les anarchistes de droite » (1).Darien était-il anarchiste ? De surcroît de droite ? Peut-être si, sous cette appellation, on veutplutôt montrer le caractère obstiné et intransigeant d’un écrivain sans concession. Ainsi, sonpropre frère, Henry qui dépanna souvent son aîné désargenté, est dépeint, dans Les Pharisiens endes termes peu fraternels : « Petit, malingre, l’air souffreteux, coiffait de cheveux noirs taillés enbrosse une tête blafarde, marquée de petite vérole, qu’adornait une réduction de barbe à la HenriIII. Des gens qui l’avaient connu tout enfant affirmaient qu’il ressemblait, dans son jeune âge, à unfœtus ressuscité par un malfaisant thaumaturge, et qui se serait échappé de son bocal après enavoir avalé l’alcool (2). »

Rude avec autrui, Darien est impitoyable avec lui-même. Il se décrit comme « un fou qui nerespecte rien, qui a des idées impossibles, qui s’attaque, par fanfaronnade certainement, auxchoses les plus saintes. [...] Et encore, s’il se contentait de les ridiculiser, mais non, il tape dessus àtour de bras comme un butor. Pas rigolo pour un sou, le monsieur ; et d’un grossier, avec ça... », etcela parce qu’il « aimait mieux rester libre, sans chef - et sans drapeau - que de se soumettre à unerègle, d’accepter le respect des formules en vieux neuf et de se découvrir pieusement devant lesmites de traditions reprisées comme des vieux bas par de maladroits ravaudeurs. Il savait bienqu’il se privait ainsi, de la connaissance des procédés pour chefs-d’œuvre et des recettes pourlivres à succès ; mais ça lui était égal ». Qui était donc cet inflexible écrivain ?

Georges Darien apparaît en 1889 à l’âge de 27 ans ; il s’agit du pseudonyme de Georges-Hippolyte Adrien, né à Paris en 1862. En 1881, Adrien devance l’appel et rejoint le 2e escadron duTrain. Son indiscipline foncière le fait vite remarquer de ses supérieurs. Condamné en juin 1883par un conseil de guerre pour insubordination, il écope de 33 mois de travaux forcés au bagnemilitaire de Gafsa. De cette expérience sortira en 1886 Biribi, discipline militaire qui ne paraîtraqu’en 1890 (3). Libéré, il rentre à Paris où il survit de petits boulots et côtoie Léon Bloy etAlphonse Allais qui lui dédiera, onze ans plus tard, son Conte de Noël. Écrit après Biribi, maispublié avant, Bas les cœurs ! 1870-1871 est son premier roman.

Menant une vie de bohème, travaillant ses manuscrits au café ou dans une chambre louée, Dariencollabore à des journaux anarchistes comme Le Roquet ou L’En-dehors de Zo d’Axa. Cela nel’empêche pas de se défier de ce milieu grouillant d’indics de flics. De novembre 1893 à mars1894, il rédige - seul - L’Escarmouche, un hebdomadaire polémique qu’il fait illustrer par des

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artistes comme Vuillard ou Toulouse-Lautrec.

L’échec du journal amène ce grand admirateur de l’Angleterre à s’installer à Londres où il auraitexercé des maints métiers plus ou moins louches, dont celui de bookmaker. En 1899, il y épouseune jeune Allemande, choix à l’époque surprenant pour un Français, mais nullement pour lui quidéclare : « Je suis un Sans-patrie. Je n’ai pas de patrie. Je voudrais bien en avoir une, mais je n’enai pas. On me l’a volée, ma patrie ! ». Déjà, en 1890, dans son roman Les Pharisiens, il dénonçaitl’influence des nationalistes et des antisémites français. Les deux premiers chapitres sont unecharge féroce contre Édouard Drumont. Plus tard, il écrira dans La belle France (1900) : « Je disque la France, si elle veut vivre, doit envoyer à l’échafaud les misérables meneurs de la banded’imbéciles qu’on appelle le Parti nationaliste ». En 1904, il fait paraître en anglais un nouveauroman Gottfried Krumm. Made in England, l’histoire d’un immigré allemand en Grande-Bretagne,qui ne sera traduit en français seulement en 1987 !

Son roman le moins méconnu demeure Le Voleur (1897) (4). Ce livre ne serait-il pas en partieautobiographique ? Darien s’en défend vivement et demande à son lecteur de ne pas le confondreavec Randal, mais quand même... Des années entières de Darien nous sont inconnues. Personne nelui connaît de profession ; ses livres se vendent mal. Or, comme Randal, Darien effectue denombreux séjours à Londres, à Bruxelles, à Wiesbaden et à Villerville en Normandie...

Outre des romans (L’Épaulette paraît en 1905), Darien écrit des pièces, jouées dans quelquesthéâtres : Les Chapons (1890), L’Ami de l’ordre (1898), Le Parvenu (1906) contre Napoléon,Non ! elle n’est pas coupable (1909) sur l’affaire Steinheil, Les Mots sur les murs (1910). Il publieaussi des brochures politiques, à la tonalité libertaire, sur Paris et la question du sol ou La Terren’a pas de maître. Il rédige en 1899 avec Joseph Mac Cabb Can we disarm ?

En 1903 - 1904, Darien renoue avec l’anarchie et travaille pour L’Ennemi du peuple. Il poursuit desa vindicte l’armée, « l’idole, le veau de fer et d’acier devant laquelle la France se prosterne ». Ilparticipe aussi au Congrès antimilitariste d’Amsterdam de juin-juillet 1904 où il multiplie lesprovocations, « affirmant impérativement que, seule, la guerre pouvait tuer le militarisme exécré,que le devoir était donc de créer au plus tôt un conflit, et qu’il comptait spécialement sur sescompatriotes pour créer, dès leur retour à Paris, un incident diplomatique, par exemple, en lacérantle drapeau de l’ambassade allemande (5) ». De retour à Paris, il monte une Associationinternationale antimilitariste des travailleurs.

Un temps enthousiasmé par l’anarcho-syndicalisme, Darien fonde et dirige en 1910, l’Unionsyndicale des Artistes dramatiques avant de devenir le vulgarisateur français du fiscalisteétatsunien Henry George, partisan de l’impôt unique. A partir de 1912, Darien anime une Liguepour l’Impôt unique et s’implique dans la vie politique. Il se présente aux élections municipales,cantonales et législatives de Paris, sans rencontrer le succès escompté. Quelques mois après unsecond mariage, Darien décède à Paris en août 1921.

Tout en France révulse Darien. Il ne supporte pas le style de la IIIe République bourgeoise. Il enexècre la mentalité, s’irrite de la veulerie généralisée et triomphante de la société française.Adversaire du colonialisme, il se gausse des prétendues justifications humanitaires : « Lalibération de certains peuples fut souvent un prétexte à l’invasion de certains pays ; mais rienqu’un prétexte. » Antimarxiste, il juge la lutte des classe dépassée. Bien avant Céline, il observe laconvergence des aspirations du prolétariat et de la bourgeoisie vers une classe unique. Il trouvealors étonnante « cette obstination de certaines gens à parler de conflits d’intérêts, d’avènement duprolétariat, d’abaissement de la bourgeoisie. Mais il y a longtemps qu’ils sont terminés, les

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conflits ; il y a beau jour qu’ils sont fondus l’un dans l’autre, le prolétariat et la bourgeoisie, etqu’ils marchent la main dans la main, malgré leurs dénégations ».

Coalition des intérêts mesquins et des appétits ignobles

Et Darien de dénoncer « le socialisme d’État, ce pont d’Avignon sur lequel le prolétaire aux mainscalleuses » fraternise avec la bourgeoisie « dans une carmagnole réglée par Prud’homme avec lapetite industrie et le petit commerce », avec pour résultat « la formation d’une nouvelle classemoyenne, énorme mais idiote, dogmatique par respect et gouvernementale par discipline, à qui lamisère même n’a pas donné la haine, mais la vénération jalouse, et qui ne veut pas détruire, maisprendre - pour conserver », autrement dit « un nouveau Tiers-État, qui ne tient à être quelquechose que pour avoir tout, coalition des intérêts mesquins, des appétits ignobles, des cultesdéshonorants (6) ».

Pressentant une indifférenciation forcenée, Darien déplore les obligations croissantes faites aunom du bonheur forcé. « Obligatoire ! tout l’est à présent, rugit-il : instruction, service militaire, etdemain, mariage. Et mieux que ça : la vaccination. La rage de l’uniformité, de l’égalité devantl’absurde, poussée jusqu’à l’empoisonnement physique ! Du pus qu’on vous inocule de force - etdont l’homme n’aurait nul besoin si la morale ne lui donnait pas de mépriser son corps ; - de lasanie infecte qu’on vous infuse dans le sang au risque de vous tuer (comptez-les, les cadavresd’enfants qu’assassine le coup de lancette !) du venin qu’on introduit dans vos veines afin de tuervos instincts, d’empoisonner votre être ; afin de faire de vous, autant que possible, une particulespassives qui constituent la platitude collective et morale. »

La civilisation chrétienne ne mérite même pas d’être discutée

Cependant, Darien n’est pas un révolutionnaire. Il se méfie des théories, des belles abstractionscreuses. Pour lui, le militant socialiste n’est qu’un « idéaliste politique follement glorieux de sascience de pacotille ». Aussi, avertit-il, « aujourd’hui, quand on est las et dégoûté du monde, onentre dans la révolution, et, lorsqu’on est intelligent, on en sort ».

Ce protestant en butte, enfant, à l’ultramontanisme de sa belle-mère, considère que l’influencemorale de l’Église demeure pernicieuse en France : « Le catholicisme, c’est la figuresurnaturalisée de l’esclavage moderne. On est catholique pour deux raisons : par imbécillité ou parintérêt ; dans les deux cas, parce qu’on n’est pas libre ». Pis, « la civilisation d’aujourd’hui, c’est lacivilisation chrétienne. Elle est anti-humaine, anti-naturelle, ne mérite même pas d’être discutée.C’est un long mensonge ; c’est une saleté ». D’où son interprétation originale de la Révolution de1789. Les événements ont été inspirés et menés en sous-main par l’Église ! Ainsi, on comprendmieux pourquoi « la déclaration des Droits de l’Homme a été une pierre tombale posée surl’existence de la femme ».

Lecteur de Carlyle et de Nietzsche, Darien regrette que les Français, ramassis de petits rentiersinquiets de l’avenir de leurs bas-de-laine, soient un peuple amorphe, sans ambition, sinon ils« apprendraient que la chose la plus indispensable à l’homme, c’est le caractère, qui lui permet depenser librement, d’avoir des idées à lui, et d’agir d’après ces idées ; que la force consiste moinsdans la longueur de l’épée qui vous pend au côté que dans l’énergie qui vous vibre au cœur ».Malheureusement, percluse d’égalitarisme, « la France a la haine de l’homme qui pense parlui-même, qui veut agir par lui-même, qui n’a pas ramassé ses idées dans les poubellesréglementaires et qui fait fi des statuts des coteries abjectes que patente la sottise envieuse », car

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« la France est, entre tous, le pays où l’esprit bourgeois - si l’on peut donner le nom d’esprit à unepareille saleté - exerce une autorité souveraine ». Bref, pour Darien, « la France ne veut pasd’hommes. Ce qu’il lui faut, c’est des castrats ».

En écrivant tout le mal qu’il pensait de la société française de son temps, s’appliquant le principequ’il faut « agir ce qu’on rêve » et affirmant que « le secret du bonheur c’est le courage », GeorgesDarien ne pouvait que déplaire à ses contemporains. Bien plus tard, Pol Vandromme énonceracette cruelle évidence : « La trahison qui pardonne pas, c’est de gueuler la vérité à la France !(7) ». Outrée, la France bourgeoise n’a pas pardonné à Darien ; elle l’a oublié. Bonne raison pourle redécouvrir (8).

Notes

1 : On lira sur ce sujet L’anarchisme de droite dans la littérature contemporaine de FrançoisRichard, P.U.F., 1988, et sa version condensée, Les anarchistes de droite, parue dans la collectionQue sais-je ?, n° 2580, P.U.F., 1991.

2 : Sauf mention contraire, les citations sont extraites des ouvrages de Darien, Les Pharisiens, LeVoleur et La Belle France.

3 : Lors de sa parution, Biribi permit un débat parlementaire et la suppression du bagne de Gafsaqui perdura toutefois sous une autre forme.

4 : Le réalisateur Louis Malle l’adapta à l’écran en 1967, sur un scénario de Jean-Claude Carrière,avec Geneviève Dujold et Jean-Paul Belmondo.

5 : Patrick Besnier, préface pour Le Voleur, Folio, 1987.

6 : Cela fait irrésistiblement penser à certains passages de Céline. Connaissait-il l’œuvre deDarien ? Je serais heureux que des « céliniens » m’éclairent sur ce point. Darien observe que cetteclasse sociale moyenne massive en cours d’apparition résulte d’un égalitarisme grégaire propreaux Français.

7 : La France vacharde, p. 22.

8 : En 1994, les éditions Omnibus ont publié en un seul volume tous les romans de G. Darien sousle titre global de Voleurs !, préfacé par Jean-Jacques Pauvert. Gallimard a aussi publié La belleFrance et Le Voleur en édition Folio.

P.-S.Paru dans Éléments, n° 101, mai 2001.

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