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Grondin Sens de La Vie 2001

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  • Paru dans Thologiques 9 (2001), 7-15. Le sens de la vie : une question assez rcente, mais pleine de saveur Jean GRONDIN

    Albert Camus crit au dbut du Mythe de Sisyphe quil ny a quun problme philosophique vraiment srieux, celui de savoir si la vie mrite dtre vcue. Se demander si la vie mrite dtre vcue revient, aujourdhui, se demander si la vie peut avoir un sens. cette question, jaimerais dabord rpondre, de manire assez premptoire, que, pour une raison bien simple, la vie ne peut pas ne pas avoir de sens. En effet, de deux choses lune : ou bien la vie a un (ou des) sens, ou bien elle nen a pas. Mais si elle nen a pas, si la vie est absurde , comme la pens la gnration de Camus, cest parce que lon prsuppose quelle doit avoir un sens. En effet, la vie ne peut tre ressentie, et trs justement parfois, comme insense qu laune dune attente de sens. Cest parce que la vie devrait en avoir un que lon peut parler dune vie qui na pas de sens. En un sens, les penseurs de labsurde sont donc les philosophes les plus rationalistes qui soient. Cest parce quils prtent un sens trs fort la vie quils proclament labsurdit de lexistence. Cest pourquoi personne ne croit peut-tre davantage au sens de lexistence que ceux qui le contestent.

    La mme chose est vraie, du reste, du pessimiste, qui se raconte que tout va mal tourner. Mais sil le pense et le dit (avant un examen difficile, par exemple), cest parce quil espre secrtement que les choses vont finir par bien aller, comme si le pessimiste esprait, et de fait il le fait, se tromper en sattendant au pire. Cest pourquoi le philosophe Hans-Georg Gadamer a toujours dit que le pessimiste manquait un peu de probit1 : il se ment et cherche se mentir lui-mme en attendant le pire, mais dans lespoir inavou du meilleur.

    Il en va un peu de cette manire avec la question du sens de la vie. La question repose elle-mme sur une attente de sens, en sorte que la vie, ds lors quelle sinterroge sur son sens, ne peut pas ne pas le prsupposer. Reste savoir en quoi il consiste.

    1 Cf. par exemple linterview Die Kindheit wacht auf. Gesprch mit dem

    Philosophen Hans-Georg Gadamer , dans Die Zeit, n 13, 26 mars 1993, 23

  • 2Avant de tenter de rpondre cette question, il est peut-tre important

    de rappeler que la question du sens de la vie ne sest pas toujours pose de manire aussi dramatique quaujourdhui. Il sagit, en effet, dune question beaucoup plus rcente quon ne le pense dordinaire. Un chercheur allemand2 a dailleurs rappel que le premier avoir employ la formule aurait t nul autre que Friedrich Nietzsche (1844-1900). Si cette situation est assez ironique, cest que Nietzsche, le grand penseur de la mort de Dieu , est gnralement peru comme celui qui aurait vigoureusement contest que la vie ait un sens! En fait, il semble avoir t le tout premier parler expressment dun sens de la vie.

    Nietzsche la fait dans un texte de 1875, donc un texte de jeunesse, quil na pas lui-mme publi et qui se retrouve dans ldition des ses uvres posthumes. Et dans le texte de Nietzsche, la formule du sens de la vie , comme cela est toujours vrai des premires occurrences, nest pas particulirement appuye ou mise en vidence, en sorte que son sens prcis reste assez difficile cerner. Voici le texte en question :

    La plupart des hommes ne se considrent mme pas comme des individus; cest ce que montre leur vie () Lhomme nest un individu que selon trois formes dexistence : comme philosophe, comme saint ou comme artiste. Il nest que de voir avec quoi un homme de science tue son temps : quest-ce que la doctrine des particules chez les Grecs peut bien avoir voir avec le sens de la vie? [was hat die griechische Partikellehre mit dem Sinne des Lebens zu thun?] - On voit ici jusqu quel point dinnombrables hommes ne vivent que pour prparer un homme vritable : les philologues, par exemple, ne sont l que pour prparer le philosophe, lequel sait profiter de leur travail de foumi pour dire quelque chose propos de la valeur de la vie. Il va, bien sr, de soi que, sans cette direction, la plus grande partie de ce travail de fourmi est absolument insense et superflue.

    2 Il sagit de Volker GERHARDT, dans son livre Friedrich Nietzsche, Munich,

    Beck, 1992, 21. Il a t suivi par Gnter FIGAL, Nietzsche. Eine philosophische Einfhrung, Stuttgart, Reclam, 1999, 135. Le texte cit de Nietzsche se trouve dans ldition de la Kritische Studienausgabe, procure par G. Colli et M. Montinari, Munich/Berlin/New York, 1986, t. 8, p. 32, N 1875, 3 [63] : F. Nietzsche, Kritische Studienausgabe, hrsg. von G. Colli und M. Montinari, Mnchen/Berlin/New York, 1986, t. 8, p. 32, N 1875, 3 [63]. : Nur bei drei Existenzformen bleibt der Mensch Individuum : als Philosoph, Heiliger und Knstler. Man sehe nur, womit ein wissenschaftlicher Mensch sein Leben todt schlgt : was hat die griechische Partikellehre mit dem Sinne des Lebens zu thun? . -

  • 3On ne proposera pas ici une exgse dtaille du texte de Nietzsche. Il

    est clair, en tout cas, que dans ce texte, le jeune Nietzsche exalte trois formes de vie ou dexistence, celles du philosophe, de lartiste et du saint (ce qui peut aussi surprendre sous sa plume, mais les grands philosophes ne se conforment jamais aux images trs simplistes que lon se fait leur propos!). On devine aisment pourquoi : dans les trois cas, la forme dexistence a un sens qui colle de trs prs la vie de lindividu : le philosophe, lartiste et le saint sont un peu les artisans de leur destin et le sont, du moins aime-t-on le supposer, dans lensemble de leur existence. Cest pourquoi la vie des saints, des artistes et des vrais philosophes peut trs souvent tre un modle aussi, sinon plus inspirant que leurs uvres mmes (ce qui est certainement le cas de Socrate ou de Jsus, qui nont rien crit). On sintresse en tout cas davantage la vie de Rembrandt, de Mozart ou de saint Franois dAssise qu celle des grands scientifiques. Nietzsche semble donc associer cette notion dun sens de la vie une conception forte de lindividualit, qui caractrise aussi assez gnralement sa pense, mais aussi notre poque en gnral : la vie na de sens que pour un tre qui prend sa propre en vie en main, qui en fait en quelque sorte une uvre dart. Tous les autres, dit-on parfois, se laissent vivre, ou paraissent sabandonner des occupations vaines et futiles (mme sil serait hardi de le prtendre pour autrui, on ne peut toujours parler que pour soi).

    Dans un geste qui est sans doute dirig contre sa propre formation, Nietzsche exclut volontiers les philologues de ces individualits pour lesquelles la vie comporte et compose un sens. Les philologues, ce sont les savants qui sintressent ldition et au commentaire rudit des textes de lAntiquit classique. Nietzsche tait lui-mme philologue de formation et enseignait encore cette poque la philologie classique luniversit de Ble. Or, les philologues, crit-il (pour lui-mme, manifestement), ne sont que des fourmis qui accomplissent un travail qui ne peut servir quaux grandes individualits, celles du philosophe, du saint et de lartiste, o Nietzsche a certainement voulu clbrer ses propres idaux de vie.

    La signification prcise du texte de Nietzsche, son sens des grandes individualits et son aristocratique mpris de lexistence des fourmis , nous intresse moins ici que le sens de la formule quil semble avoir t le premier risquer, celle du sens de la vie . Nietzsche a beau sen prendre aux philologues, il nest sans doute pas indiffrent que la formule ait dabord t utilise par un philologue de profession. Cest que la formule, inoue, dun sens de la vie prsuppose que la vie peut tre lue comme un texte . Tout comme un texte crit, ou dit, la vie possde un commencement, une fin et par l mme une direction et un sens. Elle peut ds lors tre considre comme un

  • 4 parcours sens (tel un cursus, do lide de carrire ), susceptible de direction et de souci, mais aussi de renversements et de catastrophes. La question du sens de la vie est celle de savoir si cette trame ou cette extension ont un sens et si oui, lequel. On pourrait parler ici dune philologisation de lexistence. La vie humaine apparat, en effet, comme un texte susceptible de bnficier dun sens. Ce sens est-il immanent la vie, doit-il lui tre insuffl, faut-il lui en inventer, lui en prescrire un? Autant de questions essentielles, dont il faudrait dbattre lentement, mais il nest pas indiffrent dobserver que la question du sens de la vie ne se soit pose quaussi tardivement. En fait, si la question du sens de la vie se pose aujourdhui, en tout cas depuis Nietzsche, avec autant dacuit, cest parce quen un sens, elle a cess den avoir un. Si autrefois la question du sens de la vie ne se posait gure, cest que ce sens allait un peu de soi. La vie se trouvait et se savait instinctivement enchss dans un ordre du monde ou du cosmos, auquel elle navait qu se conformer3, en se pliant ses rites, qui taient tous des rites de passage, plus ou moins convenus.

    La question du sens de la vie prsuppose que ce sens ne va pas, ne va plus de soi. Si cette situation est assez aportique, cest parce quil parat bien difficile de donner un sens la vie lorsque ce sens est devenu aussi problmatique. Cest un peu comme lorsque lon sinterroge sur le sens dune institution prime ou dune relation, amoureuse par exemple. Cest parce quelle fait problme et que toutes les tentatives pour lui donner ou lui redonner un sens ne font que laggraver. La question du sens de la vie ne peut donc tre aborde dans linsouciance, dont elle est en quelque sorte la tragique nostalgie.

    Si la question du sens de la vie est tragique, cest que la question est beaucoup plus vidente que la rponse. En un sens, brutal, la question parat saper toute possibilit de rponse. Cest que toute rponse peut tre vue, et dconstruite, comme une rponse construite, donc factice, cest--dire dsespre, un problme auquel il ne peut y avoir de rponse. Cest ainsi par exemple que les rponses disons religieuses (la vie na de sens quen vue dun au-del), humanistes (oeuvrons lavancement de la culture et au progrs de lhumanit) ou vaguement hdonistes (jouissons de la vie, il ny a quelle) la question du sens de la vie seront perues comme des tentatives dapaisement de langoisse suscite par lhorreur de lexistence ou de la mort. Il revient chacun, soupirait Max Weber, de trouver les dmons qui tiendront

    3 Sur cette vidence du sens du monde, cf. le livre de Rmi Brague, La Sagesse du

    monde. Histoire de lexprience humaine de lunivers, Fayard, Paris, 1999.

  • 5les fils de son existence. Mais tous les dmons sont-ils pareils? Est-il indiffrent de se vouer Jsus, Bouddha, Karl Marx ou Madonna?

    Une chose est sre, pour la philosophie en tout cas : seule la voie de Socrate, celle de la connaissance de soi ou du dialogue intrieur, est ouverte. Cest parce que la vie est interrogation sur elle-mme que chacun doit rpondre, au moins une fois dans sa vie, la seule qui nous soit impartie, sans possibilit dappel, la question du sens de lexistence dans le temps. Comme il sagit dune rponse que je dois me donner moi-mme, la question que je suis pour moi-mme (Augustin), il ne saurait tre indiffrent de se vouer un saint plutt qu un autre. Cest quil doit sagir dun sens dont je puisse rpondre, dautant que ce sens est lui-mme rponse une question, celle que je suis pour moi-mme.

    De quoi senquiert-on lorsque lon sinterroge sur le sens de la vie? On a vu que la formule avait dabord t forge par un philologue, donc dun savant dont la profession consiste sinterroger sur la signification des textes. En quel sens peut-on parler du sens de la vie? Quel est le sens du sens? Dans une vise moins dconstructrice que constructrice, puisquils simbriquent lun dans lautre, je pense que lon peut distinguer plusieurs sens du sens dans lexpression, et la recherche, du sens de la vie :

    1) Le sens possde dabord, en franais comme en plusieurs autres langues, un sens directionnel : il dsigne alors simplement la direction dun mouvement. Cest ainsi que lon parle du sens des aiguilles dune montre, du sens du courant ou dun sens unique .

    Appliqu au cas du sens de la vie, on peut dire, provisoirement, que le sens de la vie est celui dune extension, dun cursus qui stend de la naissance la mort. Avant de natre, je ntais pas, je nallais nulle part et ma vie, ou non-vie, navait videmment aucun sens, sinon, lextrme limite, pour mes parents qui voulaient un enfant. La vie na de sens que parce que je suis n, donc parce que ma naissance est derrire moi et que ma vie va ou sen va quelque part. Le terme de ce parcours, cest, bien sr, la mort, qui est devant moi, qui mattend, dans toute sa noirceur. Au sens directionnel du terme, le sens de la vie est donc celui dune course vers la mort, comme la martel Heidegger, une course que nous ne gagnerons videmment jamais. La formule est paradoxale, et cest ce paradoxe que nous avons vivre, mais le sens de la vie, au sens le plus drisoirement directionnel du terme, cest la mort. Toute interrogation sur le sens de la vie prsuppose cet horizon, terminal, de la mort.

    Or le grand paradoxe de la mort, son caractre littralement insoutenable, est quelle signifie - je dis la pire des banalits - la fin de mon

  • 6existence. La substance que je suis, au sens o je suis le substrat de tout ce qui marrive, ne sera mme plus l pour la subir, la recevoir, laccueillir. Clic : les lumires steindront, sans moi. Et cette fin nest pas une fin comme les autres, comme lorsque lon parle de la fin dun film, dun repas ou dun long voyage, car aprs ces fins, la vie continue. Mais avec la mort, nous ne serons mme plus l pour voir comment la vie continue. Nous aurons t et ne serons plus rien, en un futur qui rsiste mme lnonciation. Que faire? En fait, et cest ce qui est tragique, on ne peut rien faire, car, quoi que lon fasse, la mort nous fauchera. Elle nous privera de ltre que nous sommes, mais cette formule est dj impropre, puisque nous ne serons mme plus l pour tre privs de quoi que ce soit. Mais cest de ce terme quil faut partir si lon veut sinterroger sur le sens de la vie. La question ne se pose que parce que le sens de la vie, son terme, cest la mort, quon le veuille ou non, et rien ne sert ici de vouloir ou de ne pas vouloir.

    2) En plus de ce sens directionnel, qui surplombe toute philosophie du sens de la vie, le sens possde aussi un sens que lon peut dire signifiant ou significatif , au risque de la tautologie. On parle, en effet, aussi, voire surtout de sens pour dsigner la signification, lacception ou la porte dun mot. Quand un mot ou un discours mest tranger, je peux, par exemple, consulter un dictionnaire. Le mot qui mapparaissait tranger me devient alors plus familier et dautant plus familier que je puis lemployer moi-mme avec une certaine aisance, comme sil allait de soi. Linterrogation sur le sens (dun mot, dun texte) en est donc une qui peut cesser de se poser quand une nouvelle familiarit se sera installe.

    Linterrogation sur le sens de la vie prsuppose trs certainement aussi un sentiment dtranget, curieux, puisque cest alors la vie - que je vis, que je suis, qui me tient - qui est alors comme trangre elle-mme. Cette vie que je suis et qui ne cessera quavec ma mort a pour moi, malgr sa constante intimit, quelque chose dtranger, de mystrieux, de droutant, comme si, sans le savoir, nous tions attachs sur le dos dun tigre, comme le dit Nietzsche dans un texte foudroyant, que reprendra Foucault dans Les mots et les choses. Il est peu prs impossible davoir une prise relle sur soi-mme, sur cette extension de la naissance la mort que nous sommes. Une prise nest possible que vis--vis dun objet qui se trouve en face de nous, ce qui nest jamais le cas de notre existence. Nous y baignons, le temps dun soupir. Nul nest responsable de sa naissance, et la mort reste dans la plupart des cas imprvisible, soudaine et bte. Elle nous rappelle justement que nous sommes des btes et que nous prirons comme les fourmis que nous crasons ou les animaux que nous dvorons. Le dfi, que nous sommes, est celui du sens que

  • 7nous pouvons reconnatre ou donner notre modeste extension dans le temps. Reconnatre ou donner, on reviendra ailleurs sur cette dualit. Il importe seulement pour linstant de retenir cette ide, toute simple, que le sens de la vie est celui dune existence qui soit dote dune quelconque signification , malgr le non-sens de son terme.

    Mais le sens de la vie comporte dautres sens philosophiquement clairants et qui pourront nous aider rpondre la question du sens de la vie face au non-sens. Cest que la notion de sens renvoie non seulement une direction (1) et une possibilit de signification (2), elle fait aussi appel une capacit de sensation , un certain sens de, mieux, pour la vie.

    3) Cest que le sens de la vie, cest aussi, ce que lon peut appeler, tautologiquement encore une fois, un certain sens sensitif , un odorat, un nez pour la vie. Le sens dsigne ici une capacit de sentir et mme de jouir de la vie. Chacun sait que certains en sont ou en paraissent plus capables que dautres. Intuitivement, on pense volontiers que les latins y sont plus aptes que les nordiques, ptris de puritanisme. Savoir prendre le temps de vivre , comme on dit, cest disposer dun certain sens de la vie, savoir reconnatre une certaine saveur la vie, savoir qui est moins une connaissance quune capacit ou un tre, parfois aussi un bonheur. Mme si Nietzsche a probablement t le premier parler dun sens de la vie, cette ide dune saveur de la vie , elle, est trs ancienne. On la retrouve, par exemple, chez saint Augustin. Il crit quelque part que lme a beau exister toujours, elle vit plus si elle est sense et moins quand elle est insense (et quia semper anima est, semper vivit; sed quia magis vivit cum sapit, minusque cum desipit)4. Cest la traduction franaise qui parle de vie sense ou non, alors quAugustin emploie ici simplement le verbe sapere. Cest un trs beau verbe. Dans son premier sens, intransitif, celui auquel on a affaire ici, le verbe sapere veut, en effet, simplement dire quune chose a du got (cum sapit). Augustin veut seulement dire que lme vit manifestement plus si elle a de la saveur que si elle nen a pas (cum desipit)! Sans trop jouer sur les mots, il va de soi que ce sens intransitif de sapio habite encore le sens transitif du verbe sapere, quand il veut dire sentir et mme savoir quelque chose : je sais quelque chose quand jy trouve quelque saveur. Le contraste tabli par Augustin entre sapio ( avoir de la saveur ) et desipio est en tout cas particulirement lumineux pour illustrer ce sens de la vie : la vie

    4 Augustin, La Trinit, V, V, 6, uvres de saint Augustin, t. 15, Bibliothque

    Augustinienne, Paris, Descle de Brouwer, 1955, 432.

  • 8peut avoir du piquant ou tre amre, et ds lors tre sense (sapere) ou insense (desipere).

    Cest en ce sens sensitif que nous parlons aussi des cinq sens qui nous ouvrent autrui et au monde. Certains sens sont plus dvelopps que dautres, certains tres sont plus sensibles aux odeurs, aux gots ou aux sons. Mais on parle aussi, en un sens voisin, dun sens des bonnes manires, dun sens du tact, dun sens pour ceci ou pour cela. Dans toutes ces acceptions, le sens dsigne une facult de sentir, un certain sens de la vie . La question du sens de la vie, cest donc aussi cela, la capacit de sentir la vie, de trouver une certaine saveur la vie et de sy retrouver dans lexistence. On aurait tort de croire que la philosophie est trangre cette sensibilit. En fait, sa fonction la plus essentielle - mme si elle ne sexerce que trs peu aujourdhui (ce qui nest un argument que contre laujourdhui) - est peut-tre de nous rappeler ce qui rend la vie digne dtre vcue.

    Cette ide dun art de la vie ou dune sensibilit la vie, nous amne voquer, rapidement, un dernier niveau de sens cette expression dun sens de la vie :

    4) Cest que lon entend aussi par sens , en un sens un peu plus

    rflexif, une capacit de juger, une manire de jauger, dapprcier la vie. Cest ainsi que lon emploie en franais lexpression mon sens pour connoter une certaine apprciation rflchie des choses. On parlera de mme dun homme de bon sens ou dun jugement sens. Le sens se trouve ici accoupl une certaine sagesse, o se conjuguent lexprience, la raison et mme une certaine simplicit naturelle. La question du sens de la vie aspire une telle sagesse de vie, qui est la raison dtre, cest--dire lespoir de toute philosophie. Jessayerai de montrer ailleurs en quoi ce sens de la vie dpend dun certain sens du Bien.