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258 Comptes rendus encore sur le plan de campagnes de sensibilisation sur le développement durable (Lafarge, Accor, Monoprix). Enfin, la troisième partie reprend les principaux points abordés tout au long de l’ouvrage en développant des pistes de réflexion sur la gestion du développement durable avant de mettre en garde sur les dangers d’une normalisation hâtive de la démarche au sein des entreprises. À notre sens les qualités de cet ouvrage méritent d’être mise en exergue sur quatre points majeurs. Premièrement, on peut saluer le travail remarquable de synthèse effectué par les auteurs, avec une présentation claire des enjeux, de la genèse et de l’institutionnalisation du développement durable dans les entreprises. Deuxièmement, le terrain constitue indéniablement un des intérêts majeurs de l’ouvrage. Les auteurs ont mené leurs investigations à partir d’entretiens semi-directifs avec des opérationnels et des stakeholders (« parties prenantes »), de documents internes, de rapports publics et de docu- mentation sur Internet. Ce parti pris de l’étude de cas approfondie permet d’éviter quelques écueils préjudiciables. D’une part, la limitation aux discours officiels publiés par les entreprises engendre un risque de perméabilité vis-à-vis de la communication et ne permet pas de rendre compte des pratiques. D’autre part, le recours à une posture critique a priori n’aurait pas permis de retracer fidèlement les processus de co-construction entre l’entreprise et son environnement. Enfin, le choix de ne retenir que des groupes pionniers dans le domaine a certainement favorisé l’observation de ces pratiques innovantes. Troisièmement, le corpus théorique mobilisé met à la disposition des chercheurs en sciences sociales tout un arsenal de concepts et d’outils pour penser l’institutionnalisation du dévelop- pement durable dans l’entreprise. Les auteurs ont ainsi appuyé leur modèle théorique sur les dispositifs de gouvernement de Michel Foucault, sur la distinction entre « figures imposées » et « figures libres » de l’action collective sur les formes de la prescription d’Armand Hatchuel, sur les procédés de transcodage de Pierre Lascoumes ou encore sur les partenariats d’exploration de Blanche Segrestin. Enfin, l’approche développée par les auteurs permet de rendre pleinement compte des nouvelles formes d’action collective qui se dessinent et des processus de co-construction qui sont expérimen- tés entre les entreprises et leur environnement au niveau des partenariats, mais aussi des savoirs et des expertises. En se plac ¸ant au-delà de la seule « dimension relationnelle », l’ouvrage nous permet d’aborder une autre dimension essentielle de l’« action collective » : « les dynamiques de savoir et d’innovation ». Lionel Cauchard Université Paris-Est, laboratoire techniques, territoires et sociétés (Latts–CNRS), cité Descartes, rue Galilée, 77454 Marne-la-Vallée cedex 2, France Adresse e-mail : [email protected] doi: 10.1016/j.soctra.2008.03.007 Gwenaële Rot, Sociologie de l’atelier : Renault, le travail ouvrier et le sociologue, Éditions Octarès, Toulouse, 2006 (247 p.) En s’attaquant à l’ancienne Régie Renault comme lieu d’étude, Gwenaële Rot marche sur les traces d’observateurs illustres et doit se confronter au mythe Renault, en plus de son propre terrain dans les ateliers du constructeur. L’auteur réussit ce pari en s’appuyant ingénieusement sur ces mythes pour expliquer ses propres données. Le plaisir que l’on prend à lire cet ouvrage

Gwenaële Rot, Sociologie de l’atelier : Renault, le travail ouvrier et le sociologue, Éditions Octarès, Toulouse, 2006 (247 p.)

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258 Comptes rendus

encore sur le plan de campagnes de sensibilisation sur le développement durable (Lafarge, Accor,Monoprix).

Enfin, la troisième partie reprend les principaux points abordés tout au long de l’ouvrage endéveloppant des pistes de réflexion sur la gestion du développement durable avant de mettre engarde sur les dangers d’une normalisation hâtive de la démarche au sein des entreprises.

À notre sens les qualités de cet ouvrage méritent d’être mise en exergue sur quatre pointsmajeurs. Premièrement, on peut saluer le travail remarquable de synthèse effectué par les auteurs,avec une présentation claire des enjeux, de la genèse et de l’institutionnalisation du développementdurable dans les entreprises.

Deuxièmement, le terrain constitue indéniablement un des intérêts majeurs de l’ouvrage. Lesauteurs ont mené leurs investigations à partir d’entretiens semi-directifs avec des opérationnelset des stakeholders (« parties prenantes »), de documents internes, de rapports publics et de docu-mentation sur Internet. Ce parti pris de l’étude de cas approfondie permet d’éviter quelquesécueils préjudiciables. D’une part, la limitation aux discours officiels publiés par les entreprisesengendre un risque de perméabilité vis-à-vis de la communication et ne permet pas de rendrecompte des pratiques. D’autre part, le recours à une posture critique a priori n’aurait pas permisde retracer fidèlement les processus de co-construction entre l’entreprise et son environnement.Enfin, le choix de ne retenir que des groupes pionniers dans le domaine a certainement favorisél’observation de ces pratiques innovantes.

Troisièmement, le corpus théorique mobilisé met à la disposition des chercheurs en sciencessociales tout un arsenal de concepts et d’outils pour penser l’institutionnalisation du dévelop-pement durable dans l’entreprise. Les auteurs ont ainsi appuyé leur modèle théorique sur lesdispositifs de gouvernement de Michel Foucault, sur la distinction entre « figures imposées » et« figures libres » de l’action collective sur les formes de la prescription d’Armand Hatchuel, surles procédés de transcodage de Pierre Lascoumes ou encore sur les partenariats d’exploration deBlanche Segrestin.

Enfin, l’approche développée par les auteurs permet de rendre pleinement compte des nouvellesformes d’action collective qui se dessinent et des processus de co-construction qui sont expérimen-tés entre les entreprises et leur environnement au niveau des partenariats, mais aussi des savoirset des expertises. En se placant au-delà de la seule « dimension relationnelle », l’ouvrage nouspermet d’aborder une autre dimension essentielle de l’« action collective » : « les dynamiques desavoir et d’innovation ».

Lionel CauchardUniversité Paris-Est, laboratoire techniques, territoires et sociétés (Latts–CNRS),

cité Descartes, rue Galilée, 77454 Marne-la-Vallée cedex 2, FranceAdresse e-mail : [email protected]

doi: 10.1016/j.soctra.2008.03.007

Gwenaële Rot, Sociologie de l’atelier : Renault, le travail ouvrier et le sociologue, ÉditionsOctarès, Toulouse, 2006 (247 p.)

En s’attaquant à l’ancienne Régie Renault comme lieu d’étude, Gwenaële Rot marche surles traces d’observateurs illustres et doit se confronter au mythe Renault, en plus de son propreterrain dans les ateliers du constructeur. L’auteur réussit ce pari en s’appuyant ingénieusementsur ces mythes pour expliquer ses propres données. Le plaisir que l’on prend à lire cet ouvrage

Comptes rendus 259

provient autant de l’imaginaire qu’il évoque que de la contribution de l’auteur à la question del’autonomie et du contrôle dans les organisations.

L’ouvrage s’appuie principalement sur un long travail d’enquête conduit entre 1995 et 1999,exposé dans le second chapitre, sur le développement des groupes autonomes de productionchez Renault. Près de 270 entretiens, trois mois d’observation dans un atelier de montage(dont un mois d’observation participante) et un mois et demi d’observation non participante enbinôme avec des conducteurs de ligne dans des ateliers d’emboutissage et de tôlerie informentl’analyse. Gwenaële Rot maîtrise son terrain et les détails ne lui échappent pas : par exemple, lesastuces pour tenir la cadence (« mouiller l’écrou en le sucant. . . » p. 74) ou les efforts de certainsintérimaires pour se faire bien voir (prendre des postes « sans formation » pour décharger lemoniteur de son travail, p. 165).

C’est au travers de l’analyse du développement de ces groupes autonomes que GwenaëleRot traite la question de l’autonomie et du contrôle. Pour l’aborder, elle offre d’abord unesynthèse des recherches en sociologie ayant cette entreprise pour unité de lieu. Le premierchapitre couvre ainsi l’histoire des recherches sociologiques conduites chez Renault. Au-delàde son exhaustivité, son intérêt réside dans les entretiens rétrospectifs, conduits par l’auteurentre 2001 et 2005 avec les pilotes de ces recherches (notamment Michel Freyssenet, ChristopheMidler et Alain Touraine). Leurs témoignages apportent un éclairage original à ces études :Alain Touraine rappelle, par exemple, la nouveauté, pour l’époque, des consignes données parGeorges Friedmann de s’intéresser à la production. « Les gens », résume Alain Touraine, « jene les ai pas étudiés » (p. 16). Mais Gwenaële Rot met aussi en relief les tensions empiriqueset idéologiques entre les tenants de ces deux dimensions et présente ensuite dans ce cadre lesrésultats de ses travaux. L’enjeu, selon l’auteur, réside non plus dans la confrontation, mais dansla caractérisation des « formes d’appariement » de l’autonomie et du contrôle (p. 8). En résumé :comment ces deux dimensions peuvent coexister, plutôt que s’opposer.

Les chapitres suivants (chap. 3, 4, 5 et 6) concentrent le noyau empirique de l’ouvrage.Gwenaële Rot nous plonge dans l’expérience des groupes autonomes ou, en langage Renault,unités élémentaires de travail (UET), telles qu’elles sont vécues par la maîtrise et les opérateurs.L’émergence du nouveau concept des UET chez ce constructeur et la place des modèles suédoiset japonais dans leur développement est l’objet du troisième chapitre. Les flux tendus deproductions (chap. 6), leurs dérapages techniques et sociaux (chap. 5) et leur justification parune nouvelle démarche managériale (chap. 4) sont ensuite exposés en détail. Les pratiquesdécrites illustrent l’appariement délicat qui se joue dans les UET. Ainsi, la mise en place degroupes de progrès (autonomie) est contrebalancée par l’intensification des audits (contrôle). Lestenants de l’autonomie regretteront probablement que l’auteur privilégie surtout le role des UETdans le succès de Renault, au détriment d’autres facteurs, par exemple la gamme de produits.Les tenants du contrôle noteront que la confrontation est sans doute plus saillante chez lesfournisseurs que chez le constructeur. Si l’atelier « est un lieu où sont externalisés certains effetsnégatifs des arbitrages amont » (p. 157), l’atelier des fournisseurs l’est probablement encoreplus.

L’unité de lieu contribue à la fois à la richesse et aux limites de l’ouvrage. La questionque Gwenaële Rot explore est universelle. Pourquoi donc s’en tenir à Renault ou à l’industrieautomobile ? L’ouvrage illustre une problématique observée aussi ailleurs. Les membres degroupes autonomes dans une usine de circuits électriques (Barker, 1993), les professionnels dansune entreprise de services informatiques (Perlow, 1998) ou les « gérants » de lieux de vente dedrogues illégales (Bourgeois, 2003) sont également confrontés à cette expérience d’appariement.En quoi leurs expériences se ressemblent-elles ou diffèrent-elles ?

260 Comptes rendus

La richesse de l’ouvrage tient dans la documentation empirique de cette question et lajuxtaposition de positions théoriques. La description que Gwenaële Rot offre de l’utilisationou non du « bipeur » par les opérateurs des UET (et l’auteur sur la ligne de montage) illustre,à mon sens, cette richesse. La possibilité de ne pas biper son supérieur ou le moniteur traduitles marges de manœuvre de l’opérateur. Mais la nécessité implicite de biper en cas de problèmemajeur en souligne aussi ses limites. Les incertitudes à biper que décrit avec finesse et à multiplesreprises (pp. 74, 121 et 169) l’auteur évoquent la tension entre l’individu et l’organisation : unethématique sociologique par excellence. L’intérêt de l’ouvrage tient dans le balancement délicatentre autonomie et contrôle et Sociologie de l’atelier présente un matériel riche pour un lectoratde sociologie générale, de gestion et d’historiens d’entreprise. Si le lecteur sort un peu hésitantsur les coûts et les bénéfices (à la fois individuels et organisationnels) des groupes autonomes,la force de l’ouvrage est précisément de maintenir cette ambiguïté et de la justifier.

Références

Barker, J.R., 1993. Tightening the Iron Cage - Concertive Control in Self-Managing Teams. Administrative ScienceQuarterly 38 (3), 408–437.

Bourgeois, P., 2003. In Search of Respect: Selling Crack in El Barrio. Cambridge University Press, Cambridge, U.K.Perlow, L.A., 1998. Boundary Control: The Social Ordering of Work and Family Time in a High-Tech Corporation.

Administrative Science Quarterly 43 (2), 328–357.

Michel AntebyHarvard Business School, Morgan Hall, 321, Boston, MA 02163, États-Unis

Adresse e-mail : [email protected]: 10.1016/j.soctra.2008.03.008

Régine Bercot, Frédéric de Coninck, Les réseaux de santé, une nouvelle médecine ?,L’Harmattan, coll. « Logiques sociales », 2006, Paris (148 p.)

Cette recherche est exemplaire de l’intérêt nouveau porté par les sociologues francais audomaine de la santé. C’est une contribution à une sociologie des réseaux dont les problématiquessont renouvelées par le contexte spécifique de la maladie et de la santé. Régine Bercot et Frédéricde Coninck ont fait le choix d’étudier la production d’un service au niveau local ou « commentdes acteurs appartenant ou non à des institutions construisent des démarches communes et despratiques coordonnées ». L’étude est centrée sur les activités de coopération dans un domaineconnu pour ces cloisonnements professionnels et institutionnels. Il s’agit d’observer « le travaild’articulation » mis en place par l’ensemble des acteurs et ses conséquences sur un éventueltransfert de connaissances et de compétences. Enfin, ils se demandent si la place du malade aévolué dans le cadre du réseau de santé.

Les arguments positifs (réduction des coûts, optimisation des équipements, prise en compte dela dimension sociale de la santé et du patient comme acteur de sa santé) et négatifs (les logiquesprofessionnelles et institutionnelles contradictoires et/ou contraires aux logiques des réseaux) sontanalysés pour contextualiser la création des réseaux de santé. La comparaison de deux études decas, un réseau ville–hôpital chargé de la prise en charge de l’insuffisance cardiaque et un réseauville–santé–social, permet de mettre en évidence des orientations communes telles que des coopé-rations nouvelles en associant des non professionnels. Quels que soient les contextes, des acteurs