Henri Wallon - Jeanne d'Arc - T2

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    JEANNE D'ARC

    TOME II

    5me dition

    1879

    Henri Wallon

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    JEANNE D'ARCPAR

    H. WALLON

    Secrtaire perptuel de l'Acadmie des Inscriptionset Belles-Lettres

    Doyen de la Facult des lettres de Paris

    OUVRAGE

    QUI A OBTENU DE L'ACADMIE FRANAISELE GRAND PRIX GOBERT

    CINQUIME DITION

    TOME SECOND

    PARIS

    LIBRAIRIE HACHETTE ET C ie

    79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79

    1 8 7 9

    Tous droits rservs.

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    J E A N N E D 'A R C .

    LIVRE SIXIME.ROUEN. LES JUGES.

    LE MARCH.

    La Pucelle, prisonnire du btard de Wandonfut mene au camp de Margny, o bientt accrurent, poussant des cris de joie, tous les changlais et bourguignons, et aprs eux le ducBourgogne, arriv trop tard pour la bataille. Qlui dit-il? Que lui dit Jeanne elle-mme? Monslet, prsent l'entrevue, n'en a point gard le svenir. Le duc tait du sang de France, et Jean plusieurs reprises, lui avait crit pour le ramner au roi; mais depuis la campagne de Paelle n'esprait plus le dtacher des Anglais qpar la force. Le btard de Wandonne tant la compagnie de Jean de Luxembourg, c'est

    I

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    prince que Jeanne appartenait. Aprs trois quatre jours passs au camp, il l'envoya s

    chteau de Beaulieu, jugeant peu sr de la retesi prs de la ville assige1.Ce n'taient pas seulement les assigs que

    sire de Luxembourg devait craindre, s'il vougarder la captive dont le droit de la guerre vait fait matre. La Pucelle avait t prise 24 mai 1430. Le 25 on le sut Paris. Ds le 26vicaire gnral de l'Inquisition adressait au dde Bourgogne un message, que dut accompagou suivre de bien prs une lettre de l'Universconue dans le mme sens : lettre perdue, mrappele dans une autre qui est conserve au pcs. L'Universit priait le duc de livrer Jeancomme idoltre, la justice de l'glise; l'inquteur la rclamait en vertu de son office, et les peines de droit, invoquant l'obligation fmelle de tous loyaux princes chrtiens et toautres vrais catholiques d'extirper toutes reurs venans contre la foi. Mais il y avait, d

    rire l'Inquisition et l'Universit, une puissanbien autrement redoutable pour la Pucelle, veux dire les Anglais. Ils voyaient en elle la caunique de leurs revers, et ce n'tait point assez pleur scurit que de savoir aux mains des Bo

    1. Jeanne Margny, t. IV, p. 402 (Monstrelet, II, 86) : Cheuxde la partie de Bourgogne et les Anglois en furent moult joyeplus que d'avoir prins cinq cens combatans : car ils ne cremoine redoubtoient nul capitaine, ne aultre chief de guerre, tant comils avoient toujours fait jusques che prsent pour ycelle Pucell

    A Beaulieu, ibid., et p. 34 (Cagny).

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    LE MARCH. 3guignons celle qui avait relev la fortune de France. Comment douter que Charles VII ne s

    crifit, s'il le fallait, le meilleur de son royaumpour recouvrer celle qui l'avait sauv d'une enticonqute et promettait de le reconqurir entirment? Et comment se flatter que le sire de Luxebourg rsistt ses offres? Le comte avait rpouss leurs premires ouvertures : n'tait-ce pdans l'espoir d'avoir de Charles VII un meilleprix? Pour la lui disputer, il fallait aux Anglaplus que de l'argent : il leur fallait l'autorit la religion mise au service de leurs intrts. C'epar l'glise qu'ils tentrent de la prendre, commc'est par elle qu'ils la voulaient frapper : entreprd'une hypocrisie infernale, o ils dployrent assd'habilet, sinon pour garer le sentiment poplaire, au moins pour donner le change certaiesprits trop prompts relever comme ides novelles des apparences dont le bon sens publicde tout temps fait justice1.

    Si l'on en croit, en effet, non point le sava

    diteur des procs de Jeanne d'Arc, mais des i1. Nouvelle de la prise de Jeanne Paris. La nouvelle en vint

    Paris par une lettre du sire de Luxembourg, t. IV, p. 45(Clm. de Fauquemberque, greffier du Parlement: la madu ms., f 27, il a trac grossirement une figure de femme avecmots: captio puell. ) Lettre de l'Universit :... Que cettefemme dicte la Pucelle fust mise s mains de la justice de l'glpour lui faire son procs deuement sur les ydolatries et autres tires touchans nostre sainte foy, t. I, p. 9.

    Lettre du vicaire de l'Inquisiteur : ibid., p. 12. L'inquisi-teur gnral tait alors J. Graverend qui s'tait associ lquisiteur du temps, J. Polet, et l'vque de Paris, pour posuivre la doctrine de Jean Petit, apologiste de l'assassinat com

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    terprtes un peu tmraires des documents qua runis, les Anglais seraient, pour ainsi dir

    trangers la conduite de cette affaire ; c'est l'afaire de l'glise de France et de l'Universit dParis. C'est l'Universit qui a eu l'ide du procc'est un vque franais qui l'excuta, assist docteurs en thologie et autres juges parmi lequels on trouve peine un nom anglais : les Aglais y assistaient en simples spectateurs. Voila thse : mais il est bien difficile de la soutenquand on rejette les apparences pour aller au fondes choses. Assurment on ne doit pas laisser aAnglais tout l'odieux de ce grand crime. Il y avaen France tout un parti li eux par nos troublcivils. Charles VII tait pour les Bourguignonl'homme des Armagnacs ; la Pucelle, nous ne vo

    lons pas dire par quel blasphme impur ils la dsaient des Armagnacs. Ils la dtestaient donc, les haines civiles ne sont pas moins vives que lhaines nationales. Mais sur un point o l'orgueet la fortune de l'Angleterre taient tenus en chela haine des Anglais ne le cdait point aux hainciviles de la France : elle sera l pour les entrtenir, les guider, et y suppler au besoin. Il ne fpas ncessaire qu'on suggrt aux Anglais l'idde ce procs. Si l'Inquisition, si l'Universit dParis l'exprimrent au lendemain de l'affaire d

    par Jean sans Peur. Voy. Vallet de Viriville.Hist. de Charles VII,t. II, p. 188.

    Premier refus de Jean de Luxembourg, et ide de recourir l'vque de Beauvais t IV p 262 (Abrv du Procs);

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    LE MARCH. 5

    Compigne, eux-mmes, on le peut dire, l'avaieeue ds la veille de la dlivrance d'Orlans, quails rpondaient aux sommations de la Pucelle menaant de la brler ds qu'ils l'auraient : on brle pas des prisonniers de guerre. Ds l'originils taient donc rsolus la faire juger comme hrtique et comme sorcire. Pour accomplir le

    rsolution, ils n'eurent qu' prendre les instrments qu'ils trouvaient tout prts les servir.Les Anglais n'ont pas eu seulement la premi

    ide de ce procs : ils en ont eu la direction.Pour juger la Pucelle, il la fallait avoir. Pou

    l'avoir, comme pour la juger, ils employrent uhomme eux, Pierre Cauchon, vque de Beavais.

    Pierre Cauchon parat dans le procs l'organle plus accrdit de l'Universit de Paris. Ds temps de Charles VI, en 1403, il avait t appepar les suffrages de ce corps aux fonctions de reteur, et, vingt ans plus tard (1423), il tait devenle conservateur de ses privilges. Attach au pa

    de Bourgogne jusqu' compter parmi les Cabchiens, aid dans sa carrire par le crdit de faction, archidiacre de Chartres, vidame de Reimchanoine de la Sainte-Chapelle, membre du graconseil, il tait parvenu au sige important d

    Beauvais, l'une des six pairies ecclsiastiques, sla recommandation toute-puissante de Philippe Bon, et il avait embrass avec lui la cause dAnglais, ce qui lui avait valu de nouvelles faveuHenri V l'avait nomm aumnier de France, et l'

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    a vu avec quel zle il avait cherch conserverReims Henri VI. Les circonstances l'avaient plus

    que jamais jet dans cette voie, en associant auxintrts de l'Angleterre ses intrts et ses ressen-timents. Lui qui avait voulu retenir Reims lacause anglaise, il n'avait pas su garder Beauvais,son propre sige. Il en avait t chass par un

    mouvement du peuple en faveur de Charles VIIRfugi Rouen, il convoitait ce sige archipi-scopal, vacant alors, et il ne pouvait l'attendre quede l'intervention du roi d'Angleterre auprs dupape. Ce fut lui que les Anglais choisirent pourse faire livrer et pour juger la Pucelle 1.

    La Pucelle avait t prise dans le diocse deBeauvais, et ce titre relevait de l'vque du lieu.Pierre Cauchon n'eut garde de s'excuser de son

    absence : le sige d'o il tait chass lui offrait lemoyen d'arriver l'autre; l'ambition et l'esprit devengeance conspiraient en lui au profit des volon-ts de l'Angleterre. S'tant concert avec l'Univer-sit de Paris, il vint, le 14 juillet, au camp de

    Compigne, et rclama du duc de Bourgogne laprisonnire, comme appartenant sa justice : ilprsentait , l'appui de sa demande les lettresadresses par l'Universit de Paris au duc et Jean de Luxembourg. La main qui dirigeait tout

    1. P. Cauchon: note de M. J. Quicherat au t. I. p. 1, du Procset Aperus nouveaux, p. 98 ; Vallet de Viriville, Histoire deCharles VII, t. II, p. 190-194. Voy. encore G. Normand, Hist.eccls. de Beauvais, t. III. ch. xv. f 1141 (Bibl. nat., F. fr. 8581),et Procs, t. II, p. 360 (P. Miget); t. IV. p. 262 et 263 (Abrv. duProcs), et l'appendice n I.

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    se trahissait d'ailleurs dans sa requte. Cette qute tait accompagne d'offres pcuniaires

    vque n'offre pas de l'argent pour juger ceuxsont de sa juridiction. Aussi l'offre tait-elle purement et simplement au nom du roi d'Anterre : Et combien, dit l'vque, qu'elle ne dpoint tre de prise de guerre, comme il semconsidr ce que dit est; nanmoins, pour la munration de ceux qui l'ont prise et dtenueroi veut libralement leur bailler jusques somme de VI mil francs, et pour ledit btard l'a prise, lui donner et assigner rente pour sounir son tat, jusques II ou III cents livres. finit mme, en terminant sa lettre, par of10 000 francs, somme au prix de laquelle, sela coutume de France qu'il invoquait, le roi a

    le droit de se faire remettre tout prisonnier, fde sang royal1.Jean de Luxembourg tait de cette illustre m

    1. Lettre de l'Universit: t. I, p. 8 et 10. Requte de l'vquede Beauvais: .... Combien que la prise d'icelle femme ne spareille la prise de Roy, princes et autres gens de grand e(lesquels toutes voies se prins estoient, ou aucun de tel estat, Roy, le Daulphin ou autres princes, le Roy le pourroit avoir, svouloit, en baillant ou preneur dix mil francs, selon le droit, uset coutume de France), ledit vesque somme et requiert les desdits ou nom comme dessus, que ladite Pucelle lui soit dlivrbaillant seurt de ladite somme de xm francs, pour toutes chosesquelxconques. (Ibid., p. 14, et le procs-ver bal de la sommatioibid., p. 15.) Jean de Luxembourg avait t cette anne mmengag au prix de 500 livres au service du roi d'Angleterre par tremise du cardinal de Winchester. On a l'ordre de payer la somau cardinal, dat du 10 mai 1430. (Rymer, t. X, p. 460; cf.Procee-dings, t. IV, p. 72, la date du 2 dcembre.) Voy. encore sur l'ipression produite par la prise de Jeanne d'Arc, l'appendice n

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    son qui avait donn des rois la Bohme, Hongrie, et des empereurs l'Allemagne; maistait cadet de famille, peu apanag, attendant todu duc de Bourgogne et de la guerre entrepriau profit des Anglais. Pour le soutenir contre cobsessions, il et fallu que Charles VII ft ddmarches, des offres mme ; il et fallu aussi qle clerg, qui avait reconnu la mission de la Pcelle, fit voir que toute l'glise n'tait pas du cde ceux qui la voulaient juger. Or, il n'y a nultrace d'aucun acte de cette nature. Charles Vdemeure immobile, et son clerg se tait. Je mtrompe : on a l'extrait d'une lettre du chanceliRegnault de Chartres, archevque de Reims, auhabitants de sa ville piscopale. Il leur annonla prise de la Pucelle, et y veut voir comme u

    jugement de Dieu, comme elle ne vouloit croiconseil, ains (mais) faisoit tout son plaisir. Il leur apprenait, par une sorte de compensatio qu'il toit venu devers le roi un jeune pastougardeur de brebis des montagnes de Gvauda

    en l'vch de Mende, lequel disoit ne plus nmoins que avoit fait la Pucelle, et qu'il avoit commandement d'aller avec les gens du roi et qusans faute les Anglois et les Bourguignons sroient dconfits. Bien plus, sur ce que on ldit que les Anglois avoient fait mourir Jeanne Pucelle, le pastour rpondit que tant plus il leuen mescherroit (arriverait malheur), et que Dieavoit souffert prendre Jeanne, pour ce qu'elle s'toit constitue en orgueil, et pour les riches habi

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    LE MARCH. 9qu'elle avoit pris, et qu'elle n'avoit fait ce Dieu lui avoit command, ains avoit fait sa lont. Ainsi ce n'taient pas seulement les glais et les Bourguignons qui triomphaient dchute de la Pucelle ; c'taient les conseillersCharles VII ! La Pucelle succombait, parce qune les avait point couts. Dieu avait jug :envoy plus docile (aux conseillers, on le pcroire) venait prendre sa place, et c'tait de laprobation de Jeanne qu'il faisait les prliminaet comme le fondement de sa mission. Les Ang

    avaient donc bien eu tort de tant craindre d'traverss dans leurs ngociations : Charles n'avait garde de leur faire concurrence. Que poussaient leur haine jusqu'au bout, s'ils faisamourir Jeanne d'Arc, tant mieux encore, puisq

    d'aprs le jeune pastour de l'archevqueReims, tant plus il leur en mescherroit1.

    Le sire de Luxembourg cda, et l'vque revavec joie en apporter la bonne nouvelle ceuxl'avaient envoy. C'est l'Angleterre qui pay

    1. Lettre de Regnault de Chartres: t. V, p. 168, et Varin,Ar-chives lgislatives de Reims, 2e partie, t. I, p. 604. Jean Rogier,qui en donne l'extrait, dit que, de son temps, elle existait en ori

    aux archives de l'htel de ville de Reims. Le berger dont pl'archevque fut pris dans une embuscade prs de Beauvais Xaintrailles (aot 1431), et men Rouen, puis Paris, libonnes cordes, comme un larron. Lefebvre de Saint-Remi ajqu'il a ou dire qu'il fut jet la Seine. Voy. les fragments Bourgeois de Paris et des autres historiens sur ce sujet.Procs,t. V, p. 170-173. Cf. Vallet de Viriville,Hist. de Charles VII, t. II,

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    10 LIVRE VI. ROUEN. LES JUGES.mais c'tait la Normandie et les pays de conququi en devaient donner l'argent; on en rpartit

    somme par surcrot l'impt que ces provindevaient fournir pour une leve de soldats : Pucelle valait bien sans doute une arme. Au md'aot, le march tant conclu, les tats de Rouvotent le subside ; le 2 septembre, le roi ordon

    qu'il soit rparti et lev avant la fin du mois;le 24 octobre, en vertu des lettres royaux datdu 20, le trsorier de Normandie fait achela monnaie d'or qui doit solder le prix de la Pcelle1.

    Le march faillit manquer par certains incidequi n'avaient pas t prvus au contrat.

    Jeanne avait subi avec courage l'preuve si du

    de la captivit. Si l'vnement de Compigne, comblait de joie tous ses ennemis, avait, jusqparmi les siens, donn satisfaction aux jaloux branl les faibles, il n'avait pas diminu sa fSa captivit lui avait t prdite, et ses saintes

    1. L'vque de Beauvais : Quem vidit reverti de qurendoeam et referentem legationem suam regi et domino de Wwick, dicendo ltanter et exsultanter qudam verba qu non tellexit, et postmodum locutus est in secreto dicto domino de Wwick. T. II, p. 325 (N. de Houppeville). Sur l'achat de Jeanned'Arc, voy. l'appendice n III. Le jeune roi d'Angleterre taion l'a vu, depuis plusieurs mois dj venu en France. Il tait riv Calais le 23 avril (Stevenson,Letters, etc., t. II, p. 140), ily tait encore le 9 juillet. Il fit son entre Rouen le 29 juil(P. Cochon. Chron. Normande, ch. LVI), et il y tait encore le20 novembre 1431. Il y tait donc pendant toute la dure du prode Jeanne d'Arc. Voy. Ch. de Beaurepaire (Recherches sur le procsde condamnation de Jeanne d'Arc, p. 13, 14).

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    l'avaient point abandonne. Elle se rsignait dala confiance que son uvre tant de Dieu ne so

    frirait point de son propre chec; et quelqusuccs obtenus par les Franais avaient pu la cosoler dans sa prison. Barbazan, devenu gouvneur de Champagne, uni au duc de Bar, avnagure battu les Bourguignons Chappes, nloin de Troyes. Le sire de Gaucourt, gouvernedu Dauphin, battit le prince d'Orange Ant(sur le Rhne, 11 juin). Mais Compigne tait viment presse. Le comte de Huntington tait veremplacer Montgommeri devant la place, et le dde Bourgogne avait fini par prendre le boulevadu pont, dont il retourna les dfenses contre ville. C'est peut-tre cette occasion que d'Aulqui, pris avec Jeanne, avait obtenu de lui con

    nuer ses services, lui dit un jour : Cette pauvville de Compigne, que vous avez tant aime, scette fois remise aux mains et en la sujtiodes ennemis de la France. Non sera! s'criat-elle ; car toutes les places que le Roi du ciel

    remises en la main et obissance du gentil rCharles par mon moyen, ne seront pas reprispar ses ennemis, en tant qu'il fera diligence dles garder.

    Elle-mme comptait bien y travailler encorelle se tenait toujours prte reprendre sa tchet un jour, dans ce chteau mme, elle crut eavoir trouv l'occasion : elle faillit s'chapper travers les ais de sa prison. Elle tait dj sortde la tour, et, pour mieux assurer sa fuite, ell

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    allait y enfermer ses gardiens, quand elle fut aper-ue du portier qui la reprit 1.

    De Beaulieu, o elle demeura trois ou quatremois (mai-aot), le sire de Luxembourg la fit pas-ser en son chteau de Beaurevoir, prs de Cambrai, une distance du thtre de la guerre qui devaitrendre moins facile toute tentative soit d'vasion,soit d'enlvement. L rsidaient la femme et latante de ce seigneur; et Jeanne n'eut qu' se louerde leurs soins : mais elle refusa les vtements defemme que ces dames lui offraient, disant qu'ellen'en avait pas cong de Notre-Seigneur, et qu'iln'tait pas temps encore. Si les habits d'homme luitaient ncessaires dans la vie des camps, parmiles gens de guerre qui respectaient en elle l'en-voye de Dieu et la messagre de la victoire,

    l'taient-ils moins parmi des ennemis dans l'iso-lement de la prison? Jeanne put en faire l'exp-rience dans ce chteau mme. Les jeunes seigneursvoulaient la voir et lui parler, et plus d'une foiselle eut se dfendre contre leurs indcents badi-

    nages. D'ailleurs elle ne croyait point sa missiontermine, et n'avait pas renonc ses projets defuite. Le sire de Luxembourg les redoutait fort : illa tenait dans un donjon trs-lev, et il craignait

    1. Barbazan : Berri, d. Godefr. ; p. 381, 382. Mot de Jeanne d'Aulon, t. IV, p. 35 (Cagny). Tentative d'vasion : Requisede dire la manire comme elle cuida eschapper du chastel de Beau-lieu, entre deux pices de boys ; respond qu'elle ne fut oncquesprisonnire en lieu qu'elle ne se eschappast voulentiers ; et elle es-tant en icelluy chastel eust conferm ses gardes dedans la tour,n'eust t le portier qui la advisa et la recontra. T. I, p. 163.

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    LE MARCH. 13

    encore qu'elle n'chappt par art magique ou quelque moyen subtil1.

    Jeanne n'y mit point tant de subtilit. Elle savqu'elle tait vendue aux Anglais; elle savait qCompigne tenait encore, mais sans tre secourelle rsolut de sauter du haut de la tour. Elmme a racont les luttes qu'elle eut soute

    contre l'inspiration laquelle elle avait jusquetoujours obi. Vainement ses voix blmaient-elce dessein prilleux ; vainement sainte Catherlui rptait tous les jours que Dieu lui aideraet mme ceux de Compigne : elle avait rpque toute objection. Elle rpondait que puisqDieu y devait aider, elle y voulait tre ; et comla sainte lui disait de prendre patience, qu'elleserait point dlivre tant qu'elle n'et vu le d'Angleterre, elle protestait qu'elle ne le voupoint voir, et qu'elle aimerait mieux mourir qd'tre mise en la main des Anglais. Ce combapnible pour Jeanne durait dj depuis longtemquand on lui dit que Compigne tait la ve

    d'tre prise, que la ville serait dtruite et tous habitants mis mort depuis l'ge de sept ans.cette nouvelle, elle s'cria : Comment Dieu la

    1. A Beaulieu; quatre mois: t. IV, p. 34 (Cagny). - A Beau-revoir: elle y fut quatre mois environ: t. I, p. 110; trois mo

    t. II, p. 298 (Manchon) ; t. IV; p. 402 (Monstrelet, II, 86). Refusde vtements de femme: t. I, p. 95; cf. p. 230. Tentativeslibertines : Et tentavit ipse loquens pluries, cum ea ludendtangere mammas suas, nitendo ponere manus in sinu suo : qtamen pati nolebat ipsa Johanna, imo ipsum loquentem pro porepellebat. T. III, p. 121 (Haimond de Macy). Crainte qu'ellene s'chappe: t. V, p. 262 (Abrv. du Procs).

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    sera-t-il mourir ces bonnes gens de Compigne,qui ont t et sont si loyaux leur seigneur?

    Des ce moment elle n'couta plus rien, et, serecommandant Dieu et Notre-Dame, elle sautaou plutt se laissa glisser par la fentre au moyende lanires qui rompirent. Elle tomba et demeurasur la place sans mouvement; ceux qui la relev-

    rent la croyaient morte, et leurs craintes n'taientpas sans vraisemblance : car on ne peut guresupposer cette tour moins de soixante pieds dehaut. Toutefois elle reprit ses sens; dans le mo-ment elle avait perdu la mmoire : il fallut qu'onlui dt qu'elle avait saut du haut du donjon. Ellefut deux ou trois jours ne voulant, ou plutt, nepouvant ni boire ni manger. Mais sainte Cathe-rine, dit-elle, la rconforta ; elle la reprit douce-ment de son imprudence, elle lui dit qu'elle seconfesst et demandt pardon Dieu, ajoutant,pour la consoler, que Compigne serait secourueavant la Saint-Martin d'hiver. Elle se prit donc revenir et commencer manger, et en peu de

    jours elle fut gurie1

    .Le march put donc avoir lieu, et l'accomplisse-ment mme de la parole donne Jeanne ne fitqu'en hter l'excution.

    Compigne, on l'a vu, tait de plus en plus en

    pril. Au mois d'aot, la mort du duc de Brabant(4 aot) en avait loign le duc de Bourgogne,

    1. Saut du haut de la tour: t. I, p. 110 et 150-152, et M. J.Quicherat. Aperus nouveaux, p. 56; voy. l'appendice n IV.

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    LE MARCH. 15

    press d'aller recueillir la riche succession deprince aprs tant d'autres : mais il y avait fait re

    nir Jean de Luxembourg; et ce capitaine n'avrien nglig pour imprimer au sige une marplus rapide. Les assigeants se tenaient encoreune seule rive de l'Oise; les Anglais Venette,Bourguignons la bastille du pont. Jean Luxembourg fit lever deux autres bastilles surivire vers le nord-est, dans la direction de Croix. Il y mit des hommes srs ; et lui-mme psant l'Oise sur un pont que l'on fit Venette, vs'tablir l'abbaye de Royaulieu, entre la villela fort; puis il fit construire, comme pour lui svir d'avant-poste, une grande bastille devantporte de Compigne qui menait Pierrefond. ville cette fois se trouvait donc enveloppe de t

    tes parts; mais au moment o il semblait qu'en'et plus qu' se rendre, elle eut le secours pmis Jeanne.

    Le mardi 24 octobre, le marchal de BousVendme, Chabannes et Poton de Xaintrailles,rassemblrent Verberie avec environ quamille combattants et des gens du pays, munishaches et d'autres instruments pour rtablir routes coupes ou obstrues par l'ennemi. Lassigeants, cette nouvelle, tinrent conseil,laissant les bastilles la garde de leurs capitainils rsolurent de runir leurs principales forau devant de l'abbaye de Royaulieu pour dispule passage aux Franais : c'est ce qu'ils firent

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    crent en effet par le chemin qui longe la fort etla rivire, et s'tablirent une porte et demie de

    flche en face des Bourguignons. Mais en mmetemps cent hommes, dtachs de leur corps, tour-nrent la fort en laissant Choisy droite, pourporter de leurs nouvelles, avec quelques vivres Compigne. Deux trois cents autres, sous Poton

    de Xaintrailles, s'engagrent dans la fort pour yprendre le chemin de Pierrefond, et tomber sur lagrande bastille, pendant que les habitants, pr-venus par la premire troupe, l'attaqueraient deleur ct.

    Le plan russit en tout point. Tandis que lesdeux armes taient en prsence, les Anglais et lesBourguignons pied, les Franais cheval, escar-mouchant sans d'ailleurs s'engager, la premire

    troupe entrait dans Compigne par ce ct deChoisy o l'on tait loin de l'attendre; et les habi-tants en conurent tant d'ardeur, que sans plustarder ils attaqurent la grande bastille. Ils avaientt deux fois repousss quand Poton de Xaintrail-

    les, dbouchant de la fort par la route de Pierre-fond, leur fut un signal de revenir une troisimefois l'assaut : la bastille, presse des deux cts,est prise. Les chefs allis avaient promis de luivenir en aide, si les assigs profitaient de leurloignement pour l'assaillir; mais ils craignirentd'tre attaqus eux-mmes, et dans des conditionspeu favorables, s'ils abandonnaient leur positionen face de l'ennemi. Ils demeurrent donc toujours pied, en ordre de bataille, sans doute derrire

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    LE MARCH. 17cette ligne de pieux aiguiss, dont les Anglaimaient s'entourer. Mais les Franais, q

    taient rests cheval, passant devant leur frsans s'arrter les combattre, se jettent daCompigne; et les habitants se joignant eux,font la hte un pont de bateaux, franchissl'Oise, enlvent successivement les deux plus nvelles bastilles, et attaquent mme celle du poqui rsista. Jean de Luxembourg et Huntingn'avaient rien empch : ils taient demeud'abord en position, pensant que peut-tre l'enmi reviendrait sur eux; le soir, voyant qu'ils seraient pas combattus, ils prirent le parti retourner en leur logis, se promettant de revele lendemain se ranger en bataille devant la vet d'obtenir meilleure journe. Mais le dcoura

    ment avait gagn leurs troupes : il y eut des dtions pendant la nuit; et le matin (jeudi 26), lieu de se rallier Huntington et les Anglais Roylieu, Jean de Luxembourg fut rduit les arejoindre Venette. Les Franais demeuraient d

    matres de la rive gauche de l'Oise. Ils pillrenque les Bourguignons avaient laiss Royaulirompirent le pont de Venette, et portrent toleurs efforts contre la bastille du pont devCompigne. Il y avait pour les assigeants pd'espoir de s'y maintenir aprs tant d'cheJean de Luxembourg et Huntington ordonrent au commandant d'y mettre le feu et de rejoindre; puis Anglais et Bourguignons firleur retraite sur Pont-1'vque en petite ord

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    nance, dit Monstrelet, abandonnant leur artrie, bombardes, canons et coulevrines1.

    Compigne chappait donc aux Bourguigndans le temps marqu Jeanne; mais Jeanallait tomber aux mains des Anglais. Le sde Luxembourg se vengea ainsi, et, du mcoup, ddommagea ses allis de leur commchec. Il avait d'ailleurs prouv qu'une pareprisonnire est de garde difficile, et malgr rsistances de sa tante, qui mourut en ces jol mmes, il la livra (novembre 1430).

    De Beaurevoir, on la mena Arras, et de lCrotoy, o elle fut remise (avant le 21 novempar les officiers du duc de Bourgogne aux Ang lesquels en firent plus grant feste, dit une cnique bourguignonne, que s'ils eussent gagn

    l'or de Lombardie. Le duc de Bourgogne avait besoin des Anglais pour se relever de l'cde Compigne, comme pour achever de s'afferdans ses rcentes acquisitions aux Pays-Bs'tait prt de bonne grce la ngociationn'tait point fch de paratre dans la conclusdu march. Par cet acte de condescendanceacqurait de nouveaux titres leur faveur. Qen garde la responsabilit devant l'histoire2.

    1. Dlivrance de Compigne : t. I, p. 152, et Chtelain, II, 39-3(d. de M. Kervyn de Lettenhove). Voy. l'appendice. n V.

    2. Jeanne livre. Procs, t. I, p. 23. Chron. de France (Ms. Lille, n 26),Bulletin de la Socit de l'hist. de France (1857),p. 104. Embarras du duc de Bourgogne. Le duc de Bourgogneavait, on l'a vu, runi ses tats le Hainaut ; la Hollande et ddances, par la cession de Jacqueline de Hainaut en 1427 ; le c

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    LE MARCH. 19

    Avant de la livrer, comme elle tait encoreArras, on lui offrit des vtements de femme; mparmi les Anglais, elle devait plus que jamavoir besoin de ses habits d'hommes : elle refAu Crotoy, o elle sjourna jusqu' ce que les dnires mesures fussent arrtes pour son procsa captivit ne parat pas avoir t fort rigoureencore. Elle y pouvait assister la messe. chancelier de l'glise cathdrale d'Amiens, qutrouvait alors dans le chteau, l'entendait en cfession et lui donnait l'eucharistie. Les dammmes d'Abbeville taient admises la visiterc'est une justice rendre aux femmes, que patant d'outrages dont elle fut l'objet, pas un sne lui vint de leur part. On ne cite d'elles que tmoignages d'admiration et d'estime pour c

    qui, elles le sentaient bien, ne dshonorait pleur sexe sous ces habits dont la pudeur des homes se montrait si fort scandalise. Le Pucelle touche de ces honneurs rendus ses chanelle remerciait ses nobles visiteuses, se reco

    mandait leurs prires, et c'tait en les baisamiablement qu'elle leur disait : A Dieu !1

    de Namur, par un trait de vente qui datait de 1421 et qui eut effet le 1er mars 1429, au dcs du comte titulaire ; le Brabant enf

    par la mort du duc Philippe, le 4 aot 1430. Mais les Ligeois quitaient propos de Namur ; et la succession du Brabant pouencore lui tre conteste. Voyez M. de Barante,Hist. des ducs deBourgogne, livre II, Philippe le Bon.

    1. Jeanne Arras: t. I, p. 95, etc. En quittant Arras, ellepassa parDrugy, t. V, p. 360 (Chron. de Saint-Riquier, de 1492). Au Crotoy: t. I, p. 89, et t. III, p. 121 (H. de Macy). On mont

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    dtruite, donnant sur la plage, une porte que l'on suppose avoir tcelle de la prison de Jeanne son passage. Refus de vtementsde femme, t. I, p. 95 et 231. Le chancelier d'Amiens, t. III,

    p. 121 (H. de Macy). Les dames d'Abbeville, t. V, p. 361 (Itin-raire de Drugy Rouen).

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    II

    LE TRIBUNAL.

    Les Anglais n'avaient achet la Pucelle quepour la juger; c'est ce titre qu'ils l'avaient faitrclamer par l'vque de Beauvais : mais Beauvais

    appartenant Charles VII, o allaient-ils dresserle tribunal?L'Universit de Paris rclamait pour Paris. L'U-

    niversit, qui avait montr tant de crainte que laPucelle n'chappt lorsqu'elle tait encore aux

    Bourguignons, apprenant qu'elle est aux Anglais,se met aussitt en campagne. Ds le 21 novembre,elle crit au roi ; elle le complimente d'avoir entreses mains cette ennemie de la foi, et le presse dela livrer enfin la justice, c'est--dire l'vquede Beauvais et l'inquisiteur; elle le prie de lafaire conduire Paris, pour donner au procsplus de sret et d'clat : Car par les maistres,docteurs et autres notables personnes estant parde en grant nombre, seroit la discussion d'icelle

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    22 LIVRE VI. ROUEN. LES JUGES.

    de plus grant rputation que en autre lieu. mme jour, elle crivait l'vque de Beauune lettre acerbe, que l'vque ne manque d'insrer parmi les pices de procdure, compour rendre sa responsabilit moins lourde epartageant. L'Universit s'tonne de si longstards ; elle s'en prend la ngligence de l'vq Si Votre Paternit, dit-elle, avoit mis pluszle dans la poursuite de l'affaire, cette femmeroit dj en justice. Il ne vous importe pas si ptandis que vous tes revtu d'une si grande

    gnit dans l'glise, d'ter les scandales comcontre la religion chrtienne, surtout quandse trouve que le soin d'en juger est de votre jdiction. Elle le prie donc de ne pas laisser longtemps en souffrance l'autorit de l'glise

    de faire en sorte que le procs se poursuivParis, o il y a tant de sages et de docteurs1.Mais les Anglais n'avaient gure envie de c

    duire la Pucelle Paris : car, bien que la vft eux, ils ne s'y sentaient pas assez les matLes Armagnacs poussaient encore leurs coujusqu'au Bourget, jusqu' la porte Saint-Atoine : le 6 novembre, le roi d'Angleterre do l'vque de Throuanne, Louis de Luxembo

    1. Lettres de l'Universit Henri VI: t. I, p. 17, 18; l'vquede Beauvais, ibid., p. 16.

    L'Universit en cette circonstance pouvait bien d'ailleurs c une pression trangre. Du Boulai signale dans ces actes la mde Pierre Cauchon : Universitas, instigante magistro Petro chon, suorum privilegiorum conservatore, t. V, p. 375 ; et V

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    son chancelier pour la France, la facult dediffrer la rentre du Parlement en raison des

    dangers de la route ; et la ville mme n'tait passre : on le voit par les plaintes perptuelles duBourgeois sur l'abandon o elle est laisse, sur lachert des vivres. Les Anglais ne voulaient doncpoint de Paris. Un coup de main des Armagnacs,un mouvement populaire pouvait tout emporter.Peut-tre mme ne se souciaient-ils pas de fairele procs si prs de l'Universit elle-mme : carce corps, bien que trs-passionn, et composalors en grande majorit de Bourguignons, taitindpendant. Ils entendaient bien s'en servir,mais non se livrer sa discrtion ; et pour cela,rien de mieux que de placer leur tribunal dis-tance et d'y appeler, par des choix rflchis, les

    plus srs des docteurs parisiens. Ils se dcidrentpour Rouen. La Pucelle fut mene en barque duCrotoy Saint-Valery, de l'autre ct de la Som-me, et de l conduite cheval, sous bonne garde,par Eu et par Dieppe jusqu' Rouen (fin de d-

    cembre 1430)1.

    L, quelques impatients se seraient mme pas-ss du secours des docteurs de Paris : ils voulaientla mettre dans un sac et la jeter la Seine. Oncroyait, en effet, parmi les Anglais, qu'aucunsuccs n'tait possible tant qu'elle vivrait : et deschecs rpts affermissaient cette superstition

    1. Sur l'tat des environs de Paris, voy. aux Appendices, n VI;sur le Parlement de Paris, ibid., n VII ; sur la translation deJeanne Rouen, ibid., n VIII.

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    dans leurs esprits. En Picardie, aprs la leve dusige de Compigne, toutes les villes du voisinage,

    Gournai-sur-Aronde, Pont-Saint-Maxence, etc.,avaient ouvert leurs portes aux Franais ; et leduc de Bourgogne tant revenu de Brabant entoute hte, son avant-garde avait t battue Guerbigny (20 novembre) ; lui-mme, provoqu Roye par les vainqueurs, s'tait vu rduit l'hu-miliation de ne pas accepter la bataille. En Cham-pagne, Barbazan poursuivait le cours de ses ex-ploits, prenant les places et battant ceux qui,Anglais ou Bourguignons, tentaient de les se-courir. En Normandie enfin, la Hire continuaitd'insulter Rouen, de Louviers qu'il occupait ; etles Anglais diffraient l'en aller dloger tant queJeanne tait encore en vie. Plusieurs donc, la

    tenant Rouen, l'auraient volontiers jete l'eausans plus de formes; mais l'expdient, qui sem-blait tout finir, laissait les Anglais sous le coupde leurs dfaites. Pour les en relever, c'tait peuque de tuer Jeanne ; il fallait la fltrir. Jeanne

    s'tait dite envoye de Dieu pour chasser les An-glais, et elle les avait vaincus partout o on l'avaitvoulu suivre. Dieu tait-il donc contre les Anglais?Il fallait montrer qu'elle n'tait pas son envoye.Une pauvre Bretonne, pour avoir os dire qu'elletait bonne, et que ce qu'elle faisait tait bien faitet selon Dieu, venait d'tre brle Paris mme(3 septembre). Il fallait montrer son propredam, cette fois, que loin d'tre divinement inspi-re, elle n'tait qu'une magicienne et un suppt

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    du diable. A ce prix-l seulement, l'autorit desAnglais devait se rtablir dans leurs conqutes :

    brler Jeanne comme sorcire, ce n'tait pas seu-lement pour eux une affaire d'amour-propre,mais une question de domination 1.

    On la mit ds son arrive, non dans les prisonsde l'officialit, ni dans les prisons communes,

    mais au chteau, et on renferma dans une cagede fer 2 : un peu plus tard, on se contenta de latenir la chane; mais combien elle eut re-

    1. Craintes superstitieuses des Anglais touchant Jeanne : Et

    quia ipsi Anglici sunt superstitiosi, stimabant de ea aliquidfatale esse, t. II, p. 370 (Th. Marie). checs en Picardie:Monstrelet, II, 98 et 99; en Champagne, ibid.,104; en Norman-die, P. Cochon, Chron. normande,ch. LII-LIV. Les Franais pous-saient hardiment leurs courses jusqu'aux portes de Rouen [ibid.,ch. LV). L'archevque de Rouen faisait tenir sa juridiction D-ville, bourg voisin de Rouen, qui lui appartenait. En 1429, il solli-cita de Henri VI la permission de la transfrer son manoirarchipiscopal dans l'intrieur de la ville, parce que ses officiersne pouvoient aller Dville pour le pril et danger des larrons,brigands ennemis et adversaires du roy, qui souvent alloient etpassoient par ce pays. Arch. de la Seine-Infr.,cites par M. deBeaurepaire, Recherches sur le procs de condamnation deJeanne d'Arc,p. 9-10. Ajournement du sige de Louviers :Procs, t. II, p. 3 (J. Toutmouill) ; p. 344 (Manchon) ; p. 348 (Is.de La Pierre); p. 373, et t. III, p. 189 (J. Riquier), et l'appendicen IX. Pierronne la Bretonne.Bourgeois de Paris, p. 411. Pourquoi Jeanne plutt juge que tue.Valeran de Varanis, au-teur du commencement du seizime sicle, dans un pome latincompos sur les actes du procs, a trs-bien dmasqu cette po-litique. Voy. t. V, p. 84.

    2. Cage de fer : Un serrurier, nomm Castille, dit l'huissierMassieu qu'il avait construit pour Jeanne une cage de fer o elletait tenue et lie par le cou, par les pieds et les mains, et qu'elley fut garde en cet tat, depuis le jour o elle fut amene Rouenjusqu'au commencement du procs. T. III, p. 155 (Massieu). ThomasMarie dit peu prs la mme chose (t. II, p. 371). P, Cusquel,bourgeois de Rouen, vit la cage, qui fut pese chez lui (t. II, p. 306et 346, et t. III, p. 180) : seulement il n'y a pas vu la prisonnire.

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    gretter sa cage, dans la compagnie des soldatsqu'on lui donnait pour gardiens, ou des seigneurs

    qui la venaient visiter! De ce nombre, on vit unjour venir la prison, avec Warwick et Stafford,Jean de Luxembourg, devenu comte de Ligny, quil'avait vendue. Il osa lui dire qu'il venait la ra-cheter si elle voulait promettre de ne plus jamaiss'armer contre l'Angleterre.

    En nom Dieu, lui rpondit-elle, vous vousmoquez de moi, car je sais bien que vous n'enavez ni le vouloir ni le pouvoir ; et elle le rptaplusieurs fois.

    Comme il insistait, elle ajouta : Je sais bien que ces Anglais me feront mourir,

    croyant aprs ma mort gagner le royaume deFrance; mais quand ils seraient cent mille Godons

    plus qu'ils ne sont prsent, ils n'auront pas leroyaume. Le comte de Stafford indign tirait sa dague

    pour la frapper, mais Warwick le retint. On a vuqu'il avait ses raisons 1.

    Les Anglais avaient le juge, l'vque de Beau-vais. Il lui fallait un tribunal, puisque son sigetait l'ennemi. On avait rejet Paris, et choisiRouen : le sige tait vacant; il semblait qu'onn'y dt faire ombrage personne. Mais le choixtait peu got du chapitre, dans la crainte que leprlat, chass de Beauvais, ne se ft un titre de

    1. Visite de Jean de Luxembourg, t. III, p. 122 (Haimond de

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    cet exercice des fonctions piscopales Roupour parvenir au sige. Il fallut toute l'habilanglaise pour ngocier avec les chanoines et tenir d'eux concession du droit territorial l'que de Beauvais1.

    L'vque de Beauvais ainsi install Rouenfut moins difficile de lui composer son cortgediciaire. Il prit pour procureur gnral ou promteur, son vicaire gnral, qui partageait son eet ses haines, Jean d'Estivet, ditBenedicite. Quantaux assesseurs, l'Universit de Paris s'tait t

    avance pour qu'on ne ft pas sr d'en trouparmi ses principaux docteurs : on appela det l'on vit arriver sur cet appel Jean Beauprecteur en 1412 et depuis chancelier en l'sence de Gerson; Pierre Maurice, recteur en 14

    Jacques de Touraine, Nicolas Midi, Grard FeuilThomas de Courcelles, dj alors recteur mrquoique g de trente ans seulement, l'une dlumires de l'glise gallicane, dont il dfenavec clat les privilges au concile de Ble. Ontira aussi du diocse o le jugement allait s'complir: Gilles, abb de Fcamp, conseiller du d'Angleterre; Nicolas, abb de Jumiges; PieMiget, prieur de Longueville ; Raoul Roussel, trrier de la cathdrale ; Nicolas de Venderez, un dprtendants au sige de Rouen ; Nicolas Loyselechanoine, ami de Cauchon, prt lui rendre toservice; ajoutez William Haiton, clerc anglais,

    Droit territorial

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    crtaire des commandements de Henri VI. Plu-sieurs paraissent avoir accept ce mandat sans

    rpugnance, soit par conviction, soit par ambi-tion ; mais d'autres ne cdrent qu' la peur.Jean Tiphaine, matre s arts et mdecin, voulaitse rcuser : il fut contraint. Le vice-inquisiteurlui-mme laissa commencer sans lui le procsdont il devait tre un des juges. Il n'y accda quesur l'ordre de l'inquisiteur gnral, et, dit-on, surl'avis confidentiel qu'il tait en pril de mort s'ils'obstinait refuser. On en cite un qui sut semontrer indpendant : ce fut Nicolas de Houp-peville. Il osa soutenir que le procs n'tait paslgal, parce que l'vque de Beauvais tait duparti ennemi de la Pucelle, et parce qu'il se faisaitjuge d'un cas dj jug par son mtropolitain : la

    Pucelle ayant t approuve dans sa conduite parl'archevque de Reims, auquel Beauvais ressor-tissait. L'vque, furieux, l'exclut de l'assemble,quand il vint prendre sance, et le fit assignerdevant lui : mais l'intim refusa de comparatre,

    comme ne relevant que de l'officialit de Rouen. Ilallait se prsenter ses juges quand il fut arrt,conduit au chteau et mis en prison, et on lui ditque c'tait par l'ordre mme de l'vque dont ilavait rcus la comptence. On ne voulait pas s'entenir l: il tait question de l'exiler outre-mer ; onparlait mme de le jeter l'eau, mais il fut sauvpar les autres 1.

    1. Promoteur et assesseurs: M. J. Quicherat, Aperus nou-

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    Cet exemple tait moins propre encouragerqu' effrayer les opposants. On voit d'ailleurs qu'il

    n'y en avait gure et qu'on pouvait s'arranger demanire ce qu'il n'y en et pas; mais le mandatune fois accept, il n'et pas t facile d'en usercontrairement la volont de celui de qui on l'avaitreu. L'avis des tmoins est que personne n'etos opiner autrement que l'vque, et on en aurades preuves dans le cours du procs. Plusieursont, de leur aveu, vot par peur. G. de la Chambre,qui s'excusait comme tranger la thologie en

    sa qualit de mdecin, reut l'avis que s'il ne si-gnait au procs il se repentirait d'tre venu Rouen; P. Miget, prieur de Longueville, dnonccomme favorable la Pucelle, eut toutes les peinesdu monde se justifier auprs du cardinal de

    veaux, p. 105 et suiv., et les notes qu'il a jointes sur chacun deces noms, la premire fois qu'ils paraissent dans le procs. Voy.l'appendice n X.

    Acceptation volontaire des uns, force des autres : t. II, p. 325(N. de Houppeville) ; p. 356 (Grouchet) ; t. III, p. 131 (P. Miget).Pour plaire aux Anglais: t. II, p. 7, et t. III, page 167 (Ladvenu).

    Qu'ils n'auraient os refuser: t. II, p. 340 (Manchon). J. Tiphaine: t. III, p. 47 (lui-mme). Le vice-inquisiteur: voy.les actes du procs son gard, t. I, p. 33, 35.

    Menaces : Sed per aliquos sibi notos fuit ei dictum quod nisiinteresset, ipse esset in periculo mortis : et hoc fecit compulsus perAnglicos, ut pluries audivit a dicto Magistri qui sibi dicebat: Video quod nisi procedatur in hujusmodi materia ad voluntatem

    Anglicorum, quod imminet mors. T. III, p. 153 (Massieu) ; cf.t. III, p. 167 (Ladvenu), et p. 172 (N. de Houppeville). N. deHouppeville: Son propre tmoignage, t. II, p. 326 et t. III, p. 171,172 ; cf., t. II, p. 364, et t. III, p. 166 (Ladvenu) : t. II, p. 370 (Th.Marie) ; p. 348, 349 (Is. de la Pierre) ; G. de la Chambre (t. III,p. 50) dit qu'on menaait de le jeter l'eau ; Massieu ( ibid., p. 162) ;qu'il fut banni avec plusieurs autres. Un certain nombre avaient

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    Winchester; le greffier Manchon, l'huissier Mas-sieu, furent aussi plusieurs fois en pril. Et levice-inquisiteur lui-mme, qui s'tait si difficile-ment ralli, ayant paru moins docile par la suite,fut menac d'tre jet la rivire 1.

    Voil donc le tribunal : peu ou point d'Anglais,mais personne qui n'y soit sous la main des An-

    glais. Le juge est leurs ordres. Quand Jeanne lercuse comme son ennemi, il rpond : Le roi m'aordonn de faire votre procs, et je le ferai. II s'ymet de tout cur. On a vu sa joie quand il rap-portait au roi et au rgent le contrat qui leurlivrait Jeanne; et prsent qu'il la tient, il s'ap-plaudit de ce qu'il va faire un beau procs. Mais le juge n'est dans le procs que le fond depouvoir de l'Angleterre : les deux oncles du roi,Bedford et Winchester, le surveillent. Le tribunalsige au chteau, au milieu des Anglais. Ils tra-vaillent aux frais des Anglais. L'exacte comptabi-lit de l'Angleterre en donne la preuve pour cha-

    1. Intimidation: Et bene scit quod omnes qui intererant hu-jusmodi processui non erant in plena libertate, quia nullus audebataliquid dicere, ne esset notatus. T. III, p. 175 (J. Fabri) ; cf.,p. 130 (P. Miget), etc. Vote par peur : t. II, p. 356 (Grouchet).

    G. de la Chambre: t. III, p. 150 (lui-mme). P. Miget:t. II, p. 351 (lui-mme). Manchon: t. II, p. 340 (lui-mme). Massieu: t. III, p. 154 (lui-mme).

    Le vice-inquisiteur : t. III: p. 167 (Ladvenu), et Quetif, Scrip-tores ordinis prdicat., t. I, p. 782. On ne manqua pas de relevercette sorte de contrainte au procs de rhabilitation. Voy. le cha-pitre de Sub-inquisitore ac ejus diffugio, et metu illato. Ms. lat.5970 f 190 et Vallet de Viriville, Hist. de Charles VII, t. II, p, 196.Jean Lemaire, qui tait Rouen pendant le procs, signale encore,comme ayant couru risque de vie, Pierre Maurice, l'abb de Fcampet plusieurs autres : t. III, p. 178.

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    cun par livres et par sous; et s'ils ne travaillaientpas bien, on a vu de quelle manire sommaire on

    entendait rgler leurs comptes1

    .Il y en eut encore un autre exemple dans le coursdu procs. Quelqu'un ayant dit de Jeanne unechose qui ne plut point Stafford, le noble sei-gneur le poursuivit l'pe la main, jusque dans

    un lieu sacr. Il l'et frapp, s'il n'et t avertiqu'il allait violer un asile. D'ailleurs, quelquegarantie que trouvent les Anglais dans un jugedvou et un conseil asservi leur influence, leprocs n'est qu'une preuve dont ils n'ont rien redouter. Si, contre toute attente, il n'aboutit pas la condamnation de la Pucelle, ils se rserventde la reprendre : c'est une clause formellementexprime dans la lettre royale qui la livre son

    juge; et mme alors ils ne s'en dessaisissent point.La rgle que l'accuse soit remise aux mains dujuge est oublie. La Pucelle est garde dans lechteau de Rouen par les Anglais : Pierre Cauchon,si jaloux d'observer les formes de la justice, dut su-

    bir ici la volont de ses matres. Il voulut au moinsdgager sa responsabilit en un point si dlicat,et prit l'avis de son conseil : mais le conseil incli-nant observer le droit, il coupa court la dis-cussion, et dcida seul. Bien plus, sa dmarche,

    1. L'vque de Beauvais: Rex ordinavit quod ego faciam pro-cessum vestrum et ego faciam. T. III, page 154 (Massieu). Quosi intendebant facere unum pulchrum processum contradictam Johannam. T. III, p. 137 (Manchon). Le tribunal auchteau : voy. les procs-verbaux, t. I, p. 5, 38, etc., et l'appen-dice n XI la fin de ce volume.

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    32 LIVRE VI. ROUEN. LES JUGES.

    loin de le couvrir, ne faisant ds lors que le copromettre davantage, il supprima la dlibrat

    du procs-verbal : il n'y en a trace que dansdposition de l'un des assesseurs, Martin LadveAinsi Jeanne demeura aux mains des Anglais, nplus dans la cage, mais dans une tour du chteles fers aux pieds, lie par une chane une gropice de bois, et garde nuit et jour par quatrecinq soldats de bas tage, des (houce-paillers ) hous-pilleurs, comme dit Massieu. Cette circonstansi trangre aux habitudes ecclsiastiques, npas indiffrente ; on peut mme dire qu'elle fut pitale au procs : on verra que, sans elle, il t bien difficile de trouver un prtexte pour cdamner la Pucelle1.

    Ce sont donc bien les Anglais qui ont fait

    1. Justice sommaire : Cum aliquis diceret de ipsa Johannquod non placuit domino de Stauffort, ipse dominus de Staufeumdem loquentem sic insecutus fuit usque ad quemdam locimmunitatis cum ense evaginato. T. III, p. 140 (Manchon).Lettre de Henri VI: voyez-la aux Appendices, n XII. Dlibra-tion sur la prison: Qu'en la premire session ou instancel'vesque allgu requist et demanda le conseil de toute l'assistaassavoir lequel estoit plus convenable de la garder et dtenir prisons sculires, ou aux prisons de l'glise : sur quoy fut dbr, qu'il estoit plus dcent de la garder aux prisons ecclstiques qu'aux autres ; lors respondit cest vesque qu'il ne fepas cela, de paour de desplaire aux Anglois. T. II, p. 7, 8 (Lvenu) ; nous avons corrig d'aprs le ms. de l'Arsenal (Jurisfr., n 144), le texte de L'Averdy, reproduit par M. Quicherat, porte fors, respondit l'vesque, qu'il n'en feroit pas cela ; t. III, p. 152 : Et inter consiliarios tunc fuit murmur de eo qipsa Johanna erat inter manus Anglicorum. Dicebant enim aliconsiliarii quod ipsa Johanna debebat esse in manibus Ecclesiipse tamen episcopus non curabat, sed eamin manibus Anglicordimisit. Cf. t. III, p. 175 (J. Fabri) et p. 183 (Marguerie). Prison : voy. l'appendice n XIII, la fin de ce volume.

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    LE TRIBUNAL. 33

    procs de Jeanne d'Arc. Ils l'ont achete, afinqu'elle soit juge par eux; sinon par des Anglais de

    race, au moins par des hommes qui ne leur of-fraient pas moins de garantie : car le juge est dansleur dpendance par ses haines comme par sonambition, et les autres appartiennent sinon auxmmes passions, au moins la mme influence.

    L'Angleterre les paye, et leur donnera garantie,mme contre le pape, si, en la servant, ils s'expo-sent encourir son animadversion. Enfin, si lesAnglais ne tiennent pas tous les juges, ils tiennenttoujours l'accuse : ils la gardent dans leur pri-son, et ils sont l pour suppler au jugement, sil'issue du procs trompe leur esprance. La sen-tence est dj tout entire dans la lettre de Henri VI,qui la livre son tribunal 1.

    1. Lettres de garantie (12 juin 1431), t. III, p. 240-244 ; cf. t. III,p. 161 (G. Colles), p. 166 (M. Ladvenu), p. 56 (l'vque de Noyon) ;et le texte mme aux Appendices, n XIV.

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    LES PROCS-VERBAUX. 35

    dbats. Mais ds ce moment il y a deux points qnous devons signaler, parce qu'ils touchent a

    fondements mme du procs et au monument qnous en a gard la substance : je veux parler denqutes prliminaires et des procs-verbaux.

    Des enqutes ont t faites et sont supprimau procs-verbal.

    On sait de quelle importance tait en matide visions le fait de la virginit : la vision taaccepte comme relle, c'tait un signe o l'prtendait juger si l'esprit qui se communiquaila jeune fille tait pur ou impur. Jeanne avait visite Poitiers, et le rapport des matrones ce point n'avait pas sembl moins dcisif que cedes docteurs sur la foi due ses paroles. Elne pouvait manquer de subir la mme preuve

    Rouen : et le fait est attest par d'irrcusabltmoignages. L'huissier Massieu dclare qu'efut visite par ordre de la duchesse de Bedford par les soins de deux matrones; c'est de l'und'elles qu'il tient la chose : le greffier Guillaum

    Colles a ou dire que le duc de Bedford assistd'un lieu secret l'examen! Thomas de Courcelll'un des principaux assesseurs et le rdacteur dprocs sous sa forme latine, dit qu'il n'a jamaentendu mettre la chose en dlibration, mais lui parat vraisemblable et il croit qu'elle s'efaite, parce qu'il a ou dire l'vque de Beauvaque Jeanne avait t trouve vierge. Il dit mmassez navement que, si elle n'avait pas t trove vierge, on ne s'en serait pas tu au proc

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    36 LIVRE VI. ROUEN. LES JUGES.

    Pourquoi, l'preuve tant favorable, n'en dit-onrien? Puisqu'on avait fait l'enqute, pourquoi en

    supprime-t-on le rsultat? C'est que le juge l'esti-mait inutile, comme ne tournant pas contre l'ac-cuse 1.

    Mais il est une autre information qui tait com-mande par la nature mme du procs, et qu'oncherche en vain parmi les pices de la procdure.Avant de poursuivre un hrtique, il fallait con-natre ses antcdents, ouvrir une enqute sur sarenomme dans le pays o il avait vcu. Cette en-qute n'a-t-elle pas t faite l'gard de Jeanne?Les greffiers du premier procs, interrogs par lesjuges de la rhabilitation, ont dclar qu'ils n'enont pas eu connaissance. Manchon affirme qu'ilne l'a vue ni lue, et que si elle avait t produite,

    il l'et insre au procs. Guillaume Colles va jus-qu' dire qu'il croit qu'elle n'a jamais exist. Maisson existence est atteste par le premier procslui-mme. Il est dit en toutes lettres au procs-

    1. Virginit: Bene scit quod fuit visitata an esset virgo, velnon, per matronas seu obstetrices, et hoc ex ordinatione ducissBedfordi et signanter per Annam Bavon et aliam matronam.... Etpost visitationem retulerunt quod erat virgo et integra, et ea au-divit referri per eamdem Annam, t. III, p. 155 (Massieu) ; cf.p. 180 (Cusquel) ; p. 50 (G. de la Chambre), p. 89 (J. Marcel), ett. II, p. 201. Quod audivit dici a pluribus.... quod dictamvisitationem fecerat feri domina ducissa Bedfordi, quod dux Bed-fordi erat in quodam loco secreto, ubi videbat eamdem Johan-nam visitari, t. III, p. 163 (G. Colles). C'est il est vrai, un bruitrapport par un seul tmoignage. Et credit quod si non fuissetinventa virgo, sed corrupta, quod in eodem processu non siluis-sent, ibid., p. 59 (Th. de Courcelles) ; cf. p. 54 (l'vque deNoyon). Jean Monnet a ou dire qu' cette occasion on reconnutqu'elle s'tait blesse en montant cheval, ibid., p. 63.

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    LES PROCS-VERBAUX. 3verbal de la sance prparatoire du 13 janvtenue par l'vque avec l'assistance de cinq ou

    conseillers intimes, qu'il y fit lire les informatifaites dans le pays natal de Jeanne et en divautres lieux. Pourquoi donc ne sont-elles pasprocs? On le devine, quand on sait ce qu'eltaient, au tmoignage de ceux qui les ont connatre. On a, en effet, sur cette enqute, dclarations les plus comptentes. C'est d'abun des commissaires, Nicolas Bailly, d'Andequi en parle au procs de rhabilitation. Il dcqu'il fut charg par Jean de Torcenay, bailli Chaumont pour Henri VI, d'aller avec GrPetit, prvt d'Andelot, recueillir des renseigments sur Jeanne, alors dtenue dans le chtede Rouen. Mais le rsultat parut tellement fa

    rable la Pucelle, qu'ils durent produire dtmoins eux-mmes, pour en attester la vrice qui n'empcha pas le bailli de Chaumontles traiter de faux (tratres) Armagnacs. Au rport d'un autre tmoin, l'un des commissai

    vint Rouen apporter son enqute, esprant brecevoir de l'vque le prix de ses peines. Ml'vque, la lecture de ce document, lui dit qtait un tratre et un mchant homme, et qu'il nvait pas fait ce qu'on voulait qu'il ft. Le commsaire, commenant comprendre le vritable jet de sa mission, eut grand'peur alors de ne potoucher son salaire; ses informations n'avaieparu bonnes rien, et on se l'explique sans peincar, ajoutait-il, bien que je les eusse faites

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    LES PROCS VERBAUX. 3sur tous les autres? Il importe d'examiner de pcette question, puisqu'il s'agit du document d

    le texte, quel qu'il soit, sera toujours la princisource de cette histoire.Le procs-verbal, tel que nous l'avons, a

    traduit de l'original par Thomas de Courcellela comparaison de la minute franaise, dont copie nous est reste en partie, a prouv que gnralement tort que dans les enqutes de 1et 1455 on l'avait accus d'infidlit. La tradtion vaut donc, peu de chose prs, l'originac'est l'uvre mme de la rdaction que nosservations doivent s'appliquer1.

    Trois greffiers furent attachs ce travail : Mchon, Guillaume Colles, dit Boisguillaume, etquel. Les notes prises dans les interrogatoires

    matin, taient collationnes le soir et reprodudans une minute franaise que Manchon rdiQuand il la prsenta lui-mme au procs de rhlitation, on lui demanda ce que signifiaient sieurs nota qu'on lisait la marge. Il rpond

    vagues souvenirs,ibid., p. 394 (Jacob) ; p. 397 (Batrix EstelliColre de l'vque : Quod erat proditor et malus homo et qu

    non fecerat debitum in eo quod sibi fuerat injunctum.... Quiainformationes non videbantur dicto episcopo utiles, etc., tp. 191-192 (J. Moreau). Pierre Miget dit avoir entendu citer

    taines informations : Eas tamen non vidit nec legi audivIbid., p. 133. Le procs de rhabilitation constate qu'on les anement recherches, t. II, p. 381. M. de Beaurepaire me paramal justifier cette suppression en allguant l'exemple du pSegueut et la crainte que l'on aurait pu avoir de comprometttmoins (Recherches sur le procs de condamnation de Jeanned'Arc, p. 110).

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    40 LIVRE VI. ROUEN. LES JUGES.

    que dans les premiers interrogatoires de Jeanne,le premier jour, dans la chapelle du chteau, il y

    eut grand tumulte; on l'interrompait presque chaque mot quand elle parlait de ses apparitions.Or il y avait l deux ou trois secrtaires anglaisqui enregistraient ses dpositions comme ils vou-laient, supprimant ce qu'elle disait sa dcharge.Manchon s'en plaignit et dit (c'est toujours lui quiparle) que si on ne procdait autrement, il dpo-serait la plume. Sur sa plainte, on changea delieu, et le lendemain on s'assembla dans une salledu chteau, voisine de la grande salle, avec deuxAnglais la porte. Comme il y avait quelquefoisdifficult sur les rponses de Jeanne, et que plu-sieurs disaient qu'elle n'avait pas rpondu de lafaon dont il l'avait crit, il marquait d'un nota

    l'endroit contest, afin que Jeanne ft interrogede nouveau et la difficult claircie 1.Voil un homme qui veut la vrit, et c'est une

    garantie sans doute. Mais on voit combien il y enavait d'autres qui la voulaient altrer. Une dposi-

    tion antrieure de Manchon Rouen, lors de l'en-qute prliminaire du procs de rhabilitation,achve de prouver que ces criminelles tentativesne se produisirent pas seulement la premiresance. Pendant les cinq ou six premires jour-nes, quelques juges lui disaient en latin (pourn'tre pas entendus de la Pucelle), qu'il mt en

    1. Rdaction des procs-verbaux } t. III, p. 135 (Manchon); cf

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    LES PROCS-VERBAUX. 41

    autres termes en muant la sentence de ses parles. C'est l'vque de Beauvais lui-mme q

    avait plac auprs du tribunal, dans une fentrderrire un rideau, ces greffiers clandestins, chgs de recueillir les charges et d'omettre les excses; et c'tait avec ces rdactions sciemment indles que se faisait le soir la collation. On voquelles diffrences devait offrir celle de Manchoet l'vque de Beauvais savait qui s'en prendrtoute sa colre retombait sur le pauvre hommqui marquait sesnota. Quelquefois mme l'vqueet d'autres docteurs, intervenant plus directemecommandaient Manchon d'crire selon qu'l'imaginaient et tout au contraire de ce que Jeanavait entendu, ou si quelque chose leur dplaisails dfendaient de l'crire, comme n'tant pas

    procs. Manchon proteste qu'il n'en fit rien, quagit toujours selon sa conscience; et on le vecroire : mais cet homme, qui avoue n'avoir acceque par peur les fonctions de greffier, n'a-t-il ppu quelquefois capituler avec la peur, sinopour commettre un faux constant, du moins poaccepter une rdaction plus conforme l'esprit procs? On l'en peut souponner : car on en a psieurs indices. Jean Monnet, secrtaire de JeBeaupre, qui prenait des notes, mais non comgreffier officiel, dit que Jeanne se plaignit souvedes inexactitudes du procs-verbal et les faiscorriger. Les releva-t-elle toujours et ne se povait-il faire que souvent il lui en chappt? Qu

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    42 LIVRE VI. ROUEN. LES JUGES.

    ou Lefebvre, religieux augustin, depuis vque deDmtriade. Un jour que, la Pucelle tant interro-ge sur ses visions, on lui lisait une de ses r-ponses, J. Lefebvre y reconnut une erreur de r-daction et la fit remarquer Jeanne, qui pria legreffier de relire. Il relut, et Jeanne dclara qu'elleavait dit tout le contraire. Manchon promit de faire

    plus d'attention l'avenir. Voil pour les erreurs ;et quant aux omissions, voici un fait bien grave,constat par le tmoignage d'Isambart de La Pierre.Lorsque, la persuasion de ce dernier, Jeanne d-clara qu'elle se soumettait au concile alors runi

    (le concile de Ble), l'vque furieux s'cria : Tai-sez-vous de par le diable ! et Manchon lui ayantdemand s'il fallait crire sa dclaration, l'vquerpondit : Non, ce n'est pas ncessaire; surquoi Jeanne lui dit : Ah ! vous crivez bien ce quiest contre moi, et vous n'crivez pas ce qui estpour moi 1 !

    Nous n'accusons point Manchon de faux dans sescritures ; nous admettons qu'il n'a pas t le do-

    cile instrument de toutes les volonts de l'vque,qu'il a su mme lui rsister quelquefois, bien qu'ilait eu beau jeu de l'affirmer au procs de rhabi-

    I. Premire dposition de Manchon : t. II, p. 12, 13. Cf. p. 340(le mme). Greffier par peur: Et hoc invitus fecit, quia non

    fuisset ausus contradicere prcepto dominorum de consilio regis. T. III, p. 137 (lui-mme). Le bruit courait que les greffiers taientempchs d'crire tout ce que disait Jeanne, t. III, p. 172 (N. deHouppeville). Les greffiers, comme on le pense bien, protestenttous de leur exactitude, t. II, p. 343 (Manchon); t. III, p. 160(G. Colles) ; t. II, p. 319 (Taquel). G. Colles et Manchon furent dsl'origine institus, l'un et l'autre, greffiers par et pour l'vque ;

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    LES PROCS-VERBAUX. 4litation : mais en prsence de ces faits constail est difficile de dire que l'on tient de lui une

    daction rigoureusement exacte, et que jamain'a rien concd la colre d'un homme donviolence envers ceux qui avaient l'air de ne ppenser comme lui, est atteste pour des faits bmoins graves. Un jour que l'huissier Massieumenait Jeanne en prison, un prtre lui ayant mand : Que te semble de ses rponses? St-elle arse (brle)? il avait rpondu : Jusquje n'ai vu que bien et honneur en elle ; mais jesais ce qu'elle sera la fin; Dieu le sache! rponse fut rapporte ; il fut mand par l'vqqui lui dit de bien prendre garde, ou qu'on lerait boire plus que de raison. Et il dclare qsans le greffier Manchon, il n'et point chapManchon qui l'excusa dut profiter de la leon plui-mme1.

    Concluons donc : le procs-verbal n'offre pastout point ces caractres assurs de sincrit qudoit attendre de la justice; le juge lui-mm

    pes sur la rdaction pour la corrompre et l'arer. Que s'il n'a pu y russir compltement, cTaquel leur fut adjoint au nom du vice-inquisiteur, quand celuprit part au procs.

    Jean Monnet: Eidem Johann audivit dici, loquendo eideloquenti et notariis, quod non bene scriberent et multoties faccorrigere. T. III, p. 63. Cf., t. III, p. 160-161 (G. Colles)J. Fabri: t. III, p. 176. Isamb. de La Pierre: t. II, p. 349, 350.Cf. ibid., 304 : Conquerebatur quod ipse episcopus nolebat qilla qu faciebant pro excusatione sua scriberentur ; sed ea contra eam faciebant volebat scribi.

    1. Massieu, t. II, p. 16 et 330. Massieu lui-mme rend botmoignage au caractre de Manchon, t. II, p. 331.

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    44 LIVRE VI. ROUEN. LES JUGES.

    qu'ayant pris pour greffier principal un prtre, greffier de Rouen, il s'est trouv aux prises avec les

    habitudes honntes d'un homme qui savait les devoirs de sa charge, et y demeura gnralement fi-dle, sans toutefois se dfendre toujours de l'as

    cendant des matres au service desquels il crivait.On doit donc prendre avec dfiance certaines r

    ponses o le tour de la phrase peut changer lesens de la pense, quand une altration de cegenre est si facilement concevable avec les obsessions ou les prventions du moment. Mais cetterserve faite, nous acceptons les procs-verbauxcomme base de notre jugement. Il y a dans Jeanned'Arc une telle force de raison, une telle vigueurde rplique, que sa parole, comme un glaive aigu,traverse tous les doubles du texte dment colla-

    tionn par Manchon, Taquel et Boisguillaume ; ily a de telles illuminations dans ses rponses que,malgr les voiles de ce rsum si habilement serr,on en est encore bloui.

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    LIVRE SEPTIME.ROUEN. L'INSTRUCTION.

    ILES INTERROGATOIRES PUBLICS.

    Le 9 janvier 1431, l'vque de Beauvais ru

    dans l'htel du Conseil du roi, prs du chteauRouen, les abbs de Fcamp et de Jumiges,prieur de Longueville et cinq autres ecclsiaques, parmi lesquels Nicolas Loyseleur, chanode la cathdrale, et il leur exposa l'tat de l'affaUne femme qui dshonorait son sexe par son bit, qui professait et enseignait le mpris defoi catholique, Jeanne, dite la Pucelle, avait prise la guerre, dans les limites de son diocRclame du duc de Bourgogne et de Jean Luxembourg par l'Universit de Paris et par lquisition, rclame par lui-mme et par le roi, venait enfin d'tre livre au roi, et par lui soum son jugement. Il les consultait sur la march

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    46 LIVRE VII. ROUEN. L'INSTRUCTION.

    mencer par des informations. L'vque en avaitdj recueilli : il ordonna qu'on les compltt et

    qu'on en ft le rapport au conseil. Puis, sur l'avisdes mmes docteurs, il nomma promoteur ou pro-cureur gnral dans la cause Jean d'Estivet,chass comme lui de Beauvais, o il tait sonprocureur gnral; juge commissaire (juge d'in-

    struction), Jean de La Fontaine, matre s arts;greffiers, Guillaume Colles ou Boisguillaume etGuillaume Manchon, notaires apostoliques l'offi-cialit de Rouen; et huissier, Jean Massieu, prtre,doyen rural de Rouen. C'taient les officiers duprocs qui allait commencer 1.

    Le 13 janvier, il runit dans sa maison 2 la plu-part des mmes docteurs, avec Guillaume Haiton,secrtaire des commandements du roi, et leurdonna lecture des informations dont il a t parl.On rsolut de les rduire un certain nombred'articles pour mettre de l'ordre et de la clart dansla matire, dit le juge, et offrir un texte o l'on ptvoir plus srement s'il y avait lieu d'accuser de

    crime contre la foi. Des articles ainsi dresss cou-raient grand risque de substituer la parole destmoins la pense du juge. Aussi le rsultat ne

    1. 9 janvier , Procs, t. I, p. 5. Les ecclsiastiques runis sont,avec ceux qui ont t nomms, Raoul Roussel, trsorier de la ca-thdrale, Nicolas de Venderez, R. Barbier et Nicole Coppequesne,chanoines de la cathdrale. N. de Venderez avait failli devenir ar-chevque de Rouen en 1423, et avait quelques prtentions encoreau sige vacant. Actes antrieurs : ibid., p. 4 et 8-26.

    2. Il demeurait chez un chanoine dont la maison tait proche deSaint-Nicolas-le-Painteur. ( Procs, t. I, p. 24, et t. II, p. 11.)

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    48 LIVRE VII. ROUEN. L'INSTRUCTION.

    portait au diocse de Beauvais. L'objection taitspcieuse ; on remit au lendemain pour donner le

    temps au conseil d'en dlibrer, et Lematre d'yrflchir encore. Le conseil dclara que la commis-sion de Lematre, telle qu'elle se trouvait, taitvalable, mais que, pour plus de sret, on invite-rait l'inquisiteur venir lui-mme, ou envoyerdes pouvoirs plus explicites ; et Lematre, tout engardant ses scrupules, dit qu'il ne faisait pointopposition ce qu'on agt sans lui. L'vque, pourne lui laisser par la suite aucun prtexte de rester l'cart, promit de lui communiquer tout ce quiavait t fait ou se ferait encore dans l'affaire 1.

    Tout tait prt : Jeanne nous va revenir.

    1. 13 fvrier : Les docteurs de Paris : t. I, p. 29. Voy. M. J. Qui-cherat, ibid., et Aperus nouveaux, p. 103 et suiv. Absence del'inquisiteur : L'inquisiteur Le Graverend tait alors occup d'unautre procs dans le diocse de Coutances (Ch. de Beaurepaire ;Recherches, etc., p. 80. Le vice-inquisiteur: t. I, p. 31-36.A proprement parler, dit M. Ch. de Beaurepaire, il n'y avait pas enFrance de tribunaux de l'Inquisition, mais une forme de procder

    inquisitoriale. Ainsi l'inquisiteur n'a point de prtoire particulier,point de prisons, point d'officiers spciaux pour la recherche oula poursuite des crimes. Il intervient sur l'appel de l'ordinaire ; illui prte le concours de sa science thologique, il emprunte, quandil en est besoin, ses agents l'officialit, et ne rserve, en gnral,aux religieux de son ordre que la mission d'amener rsipiscenceles prvenus, et de signaler publiquement au peuple leurs erreurs.

    On et supprim l'inquisition, que l'on n'et probablement rienchang ni la forme de procder, ni l'intolrance des esprits, niaux terribles suites des condamnations en matire de foi dont ilfaut accuser surtout la socit civile, puisque, dans les sentencesmmes qui livraient les hrtiques au bras sculier, on ne manquaitpas, les formes valant encore mieux que les hommes, d'implorer l'gard des condamns la clmence et la douceur ( Recherches, etc.,

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    LES INTERROGATOIRES PUBLICS. 49

    Le 20 fvrier, sans plus attendre, elle fut som-me de comparatre devant l'assemble de ses

    juges le lendemain mercredi, huit heures dumatin. Elle rpondit qu'elle le ferait volontiersmais sachant bien qui taient ses juges et pour-quoi on la voulait juger, elle demanda que l'vques'adjoignt des ecclsiastiques du parti de la France

    en nombre gal ceux du parti de l'Angleterre ; enmme temps, elle sollicitait de lui, comme unefaveur, qu'il lui permt d'entendre la messe avantde comparatre. L'huissier charg de l'assigna-tion transmit l'vque sa demande et sa prire ;mais l'une ne fut pas plus gote que l'autre. L'-vque, ayant pris conseil des docteurs, jugea que,vu les crimes dont elle tait accuse et l'abomi-nable habit qu'elle s'obstinait porter, il n'y avaitpas lieu de l'admettre aux divins offices. Quant la demande touchant le tribunal, il n'en fut pasmme question 1.

    Au jour et l'heure fixs (21 fvrier, huit heu-res du matin), l'vque sigea dans la chapelle du

    chteau. Aux assesseurs qu'il avait dj runis, ilavait adjoint d'autres docteurs ; mais ce n'taientpas ceux que demandait Jeanne. Lecture faite despices de procdure, le promoteur Jean d'Estivetdemanda que la prvenue ft amene et interro-ge 2.

    1. Assignation, etc. : t. I, p. 40-43.2. Assesseurs de la l r e sance publique : Ils sont pour la plupart

    ou de Paris ou de la province de Rouen : Gilles, abb de Fcamp,Pierre, prieur de Longueville-Giffard, Jean de Chtillon, chanoine

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    50 LIVRE VII. ROUEN. L'INSTRUCTION.Jeanne parut donc.L'vque ayant rappel sommairement les

    constances qui le faisaient juge de la captivebruit public qui l'accusait, l'ordre du roi, lqute, l'avis des docteurs, invita Jeanne paen toute sincrit, sans subterfuge et sans dtet la requit judiciairement de prter sermendire la vrit sur toute chose dont on l'interrrait.

    Jeanne dit : Je ne sais de quoi vous me voulez interro

    Peut-tre me demanderiez-vous des choses qune vous dirai pas.

    Jurerez-vous, reprit l'vque, de dire la vsur les choses qui vous seront demandes toucla foi, et que vous saurez ?

    Pour ce qui est de mon pre, de ma mrede ce que j'ai fait depuis que j'ai pris le chemiFrance, je jurerai volontiers; mais, pour les rlations que j'ai eues de Dieu, jen'en ai jamais dit personne qu'au roi Charles, et je n'en dd'vreux, Jean Beaupre, Jacques de Touraine, Nicolas Midi,de Nibat, Jacques Guesdon, JeanFabri ou Lefebvre, depuis vqude Dmtriade, Maurice, du Quesnay, G. Lebouchier, P. HouPierre Maurice, Richard du Prat (Prati ) et G. Feuillet, docteurs ethologie ; Nicolas de Jumiges, G. de Conti, abb de Sainttherine, et G. Bonnel, abb de Cormeilles, Jean Garin, chan

    Raoul Roussel, docteurutriusque juris, G. Haiton, N. Coppequesne, Jean Lematre, Richard de Grouchet, P. Minier, J. che, R. Sauvage, bacheliers en thologie; Robert BarD. Gastinel, J. Ledoux. N. de Venderez, J. Basset, J. de La taine, J. Bruillot, A Morel, J. Colombelle, Laurent DubuR. Auguy, chanoines de Rouen ; Andr Marguerie, Jean AleGeoffroy du Crotay, Gilles Deschamps, licencis en droit civilp. 38-40.

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    52 LIVRE VII. ROUEN. L'INSTRUCTION.

    Je vous salue, Marie; Je crois en Dieu; c'est de mamre je que tiens ma croyance.

    Dites Notre Pre. Je vous le dirai volontiers si vous voulezm'entendre en confession.

    Elle le demandait pour juge au tribunal de Dieu !Et comme il offrait de lui donner un ou deux per-

    sonnages de langue franaise devant lesquels elledirait : Notre Pre, elle rpondit :

    Je ne le dirai que s'ils m'entendent en confes-sion 1.

    L'vque, avant de la renvoyer, lui dfendit desortir de prison, sous peine d'tre rpute con-vaincue du crime d'hrsie. Elle rpondit qu'ellen'acceptait pas la dfense, et que si elle s'chap-pait, nul ne lui pourrait reprocher d'avoir viol sa

    foi, parce qu'elle ne l'avait donne personne ; etelle prit cette occasion de se plaindre d'tre liepar des chanes de fer. Mais comme l'vque rpon-dait que ces prcautions taient commandes parses tentatives d'vasion antrieures, elle n'insista

    pas, et, loin de chercher une excuse : C'est vrai, dit-elle : j'ai voulu et je voudrais

    encore m'chapper de prison, comme c'est le droitde tout prisonnier.

    Elle fut commise la garde de Jean Gris, cuyerdu roi, et de deux autres Anglais, Jean Berwoit et

    1. Serment: t. I, p. 46. Ibid., p. 47. La demande de la rcitationdu Pater et du Credo l'accus au commencement de l'instancetait dans les usages de l'Inquisition. Voy. Llorente, Hist. de l'In-quisition, ch. IX art. 5: t. I, p. 303.

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    Guillaume Talbot, qui jurrent sur l'vangilene la laisser communiquer avec personne, et

    l'ajourna au lendemain pour la suite de l'integatoire1.

    Cette premire sance avait bien peu avanc faire. Avec les prliminaires communs de tprocs, le serment, les noms, l'origine, on trouve que la demande duPater, formalit d'usageen matire d'hrsie, et l'injonction de ne pochercher fuir. Mais ce vide mme du procverbal fait comprendre combien vif et proloavait t le dbat sur le serment, signal avant terrogatoire ; et cela est confirm par les dptions postrieures. Au tmoignage du greffier Mchon, ce fut une scne de tumulte. Quand il

    question des visions, sans doute quand Jeanneses rserves sur ce point, chacun prenait la paroelle tait interrompue chaque mot; et, pour le fond ft digne de la forme, il y avait, on l'a derrire un rideau, dans l'encoignure d'une fetre, des greffiers aposts par l'vque, qui reculaient les charges, supprimant les excuses, et naient effrontment opposer leur minute cdes greffiers officiels. Le scandale fut si grand,moins pour le dbat, que l'on dut changer de set prendre quelques dispositions propres le dinuer2.

    1. Procs : t I, p. 47.2. Scandales de la lre sance: t. III, p. 135 (Manchon) ; t. II, p. 12

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    54 LIVRE VII. ROUEN. L'INSTRUCTION.Le lendemain (jeudi, 22 fvrier) le tribunal se r

    nit dans une chambre, dite chambre de pareme

    ou d'apprt (paramenti )1

    , situe au bout de lagrande salle du chteau : quelques nouveaux mebres des chapitres de Paris ou de Rouen s'taiejoints au conseil de l'vque. Jeanne tant amenl'vque l'invita prter le serment pur et simpde dire la vrit sur tout. Elle dit qu'elle avait jula vieille et qu'il suffisait. Il insista; elle rpond

    Je vous ai prt serment hier, cela vous dosuffire ; vous me chargez trop.

    Et, quoi que l'on ft, elle ne prta encore que serment de dire la vrit sur les choses qui tochaient la foi.

    L'vque remit Jean Beaupre le soin de pousuivre l'interrogatoire2.

    Le savant docteur essaya de prendre Jeanne pla douceur et par l'quivoque ; il l'exhorta birpondre sur ce qu'on lui demanderait, comme el'avait jur.

    Vous pourriez bien, rpondit Jeanne, dmlant l'artifice, me demander telle chose dont vous dirai la vrit, tandis que sur telle autre, ne vous la dirai pas. Et gmissant en elle-mmde voir des hommes d'glise, des ministres Dieu, perscuter ainsi l'uvre de Dieu, elle ajout

    1. Cf. sur ce mot Froissart, IV, 63, t. III, p. 316 de l'dition Panthon littraire.

    2. 2e sance ; nouveaux assesseurs : Jean Pinchon, chanoine,l'abb de Praux (Jean Moret), frre G. l'Ermite, G. DesjardiRobert Morellet et Jean Le Roy, chanoines, t. I, p. 49.

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    Si vous tiez bien informs de moi, vous devriezvouloir que je fusse hors de vos mains ; je n'ai rien

    fait que par rvlation1.

    Jean Beaupre, craignant de l'effaroucher, la ra-mena sur un terrain o elle pouvait s'abandonnersans dfiance. Il lui demanda l'ge qu'elle avaitlorsqu'elle partit de la maison de son pre.

    Je ne sais, dit-elle. Avez-vous appris quelque mtier en votre

    jeunesse? Oui, j'ai appris coudre et filer.

    Et elle ajoutait, avec un naf orgueil de jeunefille, qu'elle ne craignait, ce mtier, aucunefemme de Rouen. Elle parla aussi de sa retraite Neufchteau, et dit que tant qu'elle fut dans lamaison de son pre, elle s'occupait des soins du

    mnage, et n'allait pas (communment) auxchamps garder les brebis ou le btail 2.Le docteur alors, changeant de matire, sans

    paratre changer de terrain, lui demanda si elle seconfessait tous les ans.

    Oui, dit-elle, mon cur, et quand il taitempch, un autre, avec sa permission ; quel-quefois, deux ou trois, je pense, je me suis con-fesse des religieux mendiants : c'tait Neuf-chteau. Je communiais la fte de Pques.

    Et d'autres ftes? Passez outre.

    1. Procs , t. I, p. 50.2 Ibid p 51

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    56 LIVRE VII. ROUEN. L'INSTRUCTION.

    De ses communions ses rvlations le passagetait naturel. Jeanne n'hsita point le franchir.

    Elle dit quel ge et comment elle l'avait entendupour la premire fois la voix qui lui venait deDieu, les clarts qui se manifestaient elle avecla voix, les avis qu'elle en avait reus pour seconduira et venir en France; son impatience d'y

    obir, sa dfiance de soi-mme, et comment enfin,sur la rvlation prcise du but atteindre et dela route suivre, elle alla avec son oncle Vau-couleurs, reconnut le sire de Baudricourt, et ob-tint de lui, aprs plusieurs refus, l'escorte aveclaquelle elle vint en habit d'homme trouver le roi Chinon 1.

    Ce rcit avait t entrecoup de questions quicachaient autant de piges : sur l'habit d'homme

    qu'elle avait pris et par quel conseil; sur le ducd'Orlans ; sur plusieurs expressions de sa lettreaux Anglais devant Orlans ; sur la manire dontelle avait reconnu le roi. La Pucelle en devina plu-sieurs et les sut viter. On avait rpandu divers

    bruits sur le signe qu'elle avait donn au roi pourse faire agrer. Elle refusa absolument de riendire qui s'y rattacht. Interroge si, quand la voixlui dsigna le roi, la lumire qui se manifestait

    1. T. I, p. 51-56: Dum esset tatis XIII annorum ipsa habuitvocem a Deo. Interrogata qualiter videbat claritatem quam ibiadesse dicebat cum illa claritas esset a latere : nihil ad hoc respon-dit, sed transivit ad alia. Dixit prterea quod si ipsa esset in unonemore, bene audiret voces venientes ad eam, etc. Nous abrgeonsici cette dposition de Jeanne dont nous avons reproduit les dtailsen leur lieu dans l'histoire

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    communment elle s'tait produite en ce lieu,elle rpondit :

    Passez outre. Avez-vous vu un ange au-dessus de votreroi?

    De grce, passez outre. Elle dit pourtant que le roi, avant de la mettre

    l'uvre, avait eu de belles rvlations. Quelles rvlations votre roi a-t-il eues?

    Je ne vous le dirai pas, ce n'est pas l'heurede rpondre ; mais, envoyez au roi et il vous ledira.

    Elle dclarait d'ailleurs avoir su de la voix, qu'son arrive le roi la recevrait sans trop de retard.Elle dit que ceux de son parti avaient bien reconnula voix comme venant de Dieu, et elle citait en t-

    moignage Charles de Bourbon, comte de Clermont,et deux ou trois autres. Elle ajoutait qu'il ne sepassait pas de jour qu'elle n'entendt cette voix,et qu'elle en avait bien besoin; que d'ailleurs ellene lui avait jamais demand d'autre rcompense

    que le salut de son me1.

    L'interrogatoire se termina par plusieurs ques-tions qui avaient pour objet de convaincre sesvoix de mauvais conseils, par exemple, dans l'af-

    1. T. I, p. 51-56 : Dixit etiam quod illi de parte sua bene cogno-verunt quod vox eidem Johannee transmissa erat ex parte Dei, etquod viderunt et cognoverunt ipsam vocem, asserens ipsa Johannaquod hoc bene scit. Ultra dixit quod rex suus et plures alii audi-verunt et viderunt voces venientes ad ipsam Johannam; et ibiaderat Karolus de Borbonio et duo aut tres alii. Nous revien-drons sur plusieurs points de cet interrogatoire.

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    58 LIVRE VII. ROUEN. L'INSTRUCTION.faire de Paris. Jeanne confessa que la voix avait dit de rester Saint-Denis (aprs l'ch

    Elle dclara qu'elle y voulait demeurer, qu'een avait t emmene par les seigneurs consa volont; qu'elle n'en serait point partie si n'avait pas t blesse. Sa blessure rappelait chec : elle convint qu'elle avait command escarmouche contre la ville de Paris. N'tait-ce pas, dit le docteur, un jour de f

    Je le crois, dit Jeanne. tait-ce bien? Passez outre1.

    On s'arrta pour ce jour-l : et la journe devsembler bonne aux ennemis de Jeanne. Toute chistoire de ses rvlations, ce qu'elle en avait ce qu'elle n'en avait pas voulu dire, offrait as

    de prise aux commentaires envenims. On comtait bien y revenir dans la sance suivante, qfut remise au samedi.

    Dans cette troisime sance, laquelle assis

    rent un plus grand nombre de docteurs, l'vqrevint la charge pour obtenir de Jeanne un sment absolu et sans condition. Elle lui dit : Lasez-moi parler. Par ma foi, vous pourriez me mander des choses que je ne vous dirais pas ; expliquant sa pense : Il se peut que de plusiechoses que vous pourriez me demander je ne vodise pas la vrit, en ce qui touche mes rv

    1. T. I, p 55.

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    LES INTERROGATOIRES PUBLICS. Je l'ai entendue hier et aujourd'hui.

    A quelle heure, hier? Le matin, vpres et l'Ave Maria, et il

    m'est plusieurs fois arriv de l'entendre bien psouvent.

    Que faisiez-vous hier matin quand la voix venue vous?

    Je dormais, et elle m'a veille. Est-ce en vous touchant le bras? Elle ma veille sans me toucher. tait-elle dans votre chambre?

    Je ne sais, mais elle tait dans le chteau. L'avez-vous remercie, avez-vous flchi lgenoux ?

    Elle rpondit qu'elle l'avait remercie, et qutant dans son lit, elle s'tait assise et avait joles mains, aprs avoir implor son conseil, delle avait demand le secours auprs de Dieu pqu'il l'clairt dans ses rponses.

    Et que vous a dit la voix ? Elle m'a dit de rpondre hardiment, et qu

    Dieu m'aiderait. La voix vous a-t-elle dit quelques parole

    avant que vous l'eussiez implore.

    Oui, mais je n'ai pas tout compris; et quanje fus veille, elle m'a dit de rpondre harment.

    Et se tournant vers l'vque : Vous dites que vous tes mon juge. Pren

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    devait le dire ou non, avant qu'il lui et t r-vl; et elle ajouta : Je crois fermement aussi

    fermement que je crois la foi chrtienne et queDieu nous a rachets des peines de l'enfer, quecette voix vient de Dieu 1.

    Le juge, la suivant dans le sens de sa dclara-tion, lui demanda si cette voix, qu'elle disait lui

    apparatre, tait un ange ou venait de Dieu imm-diatement, ou si c'tait la voix d'un saint oud'une sainte. Elle rpondit :

    Cette voix vient de la part de Dieu ; et je croisbien que je ne vous dis pas plain ( plane ) tout ceque je sais ; mais j'ai plus peur de manquer endisant quelque chose qui dplaise ces voix queje n'ai peur de vous rpondre vous-mme. Pourcette question, je vous prie de me donner dlai.

    Croyez-vous donc, dit le juge, qu'il dplaise Dieu qu'on dise la vrit? Les voix m'ont command de dire certaines

    choses au roi et point vous ; et ne craignantpas d'irriter une curiosit qu'elle ne voulait pas

    satisfaire, elle ajouta : Cette nuit mme, la voixm'a dit plusieurs choses pour le bien du roi queje voudrais bien que le roi st, quand je devraisne pas boire de vin jusques Pques : car s'il lesavait, il en serait plus aise son dner.

    Mais, dit le juge, ne pourriez-vous tant faireauprs de cette voix qu'elle voult, sur votre de-mande, en porter au roi la nouvelle?

    1. Procs, t. I, p. 62.

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    Je ne sais si la voix le voudrait faire; elle le ferait que si Dieu le voulait. Dieu lui-mme,

    lui plat, le pourra bien rvler au roi, et j'en sebien contente. Et pourquoi la voix ne parle-t-elle pas a

    roi, comme elle faisait quand vous tiez en sa sence?

    Je ne sais si c'est la volont de Dieu : sans grce de Dieu, je ne ferais rien1.Cette rponse ne devait pas tomber sans tre

    leve.Aprs plusieurs autres questions sur ses visio

    si la voix lui avait rvl qu'elle dt sortir de pson ; si elle lui avait donn cette nuit des apour rpondre ; si dans les deux derniers joelle avait t accompagne de lumire ; si e

    avait des yeux, etc. ; quoi Jeanne rpondait : ne vous dirai point tout ; je n'en ai point permsion; mon serment n'y touche pas; cette voix bonne et digne; je ne suis point tenue de rpdre; demandant nanmoins qu'on lui don

    par crit ce sur quoi elle ne rpondait pas; juge, qui n'avait point perdu de vue cette paro Sans la grce de Dieu, je ne ferais rien, lui manda si elle savait qu'elle ft dans la grcquestion redoutable qui excita des rclamationdes murmures au sein mme de cette assembd'hommes prvenus. Nul ne sait s'il est digd'amour ou de haine, dit l'criture. Et l'on vo

    1. T. I, p. 63, 64.

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    lait qu'une pauvre fille ignorante dt si e