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1 17 juin 2016 – Montpellier – Hommage à Henry-Hervé Bichat Hervé Bichat : une nouvelle ambition pour l’enseignement supérieur agronomique et vétérinaire Je voudrais avant toute chose présenter les excuses de Jean-Pierre Korolitski qui fut le sous- directeur de l’enseignement supérieur et de la recherche à la DGER pendant la quasi-totalité du mandat d’Hervé. Il est comme Edgar Leblanc à l’étranger et il est très désolé de ne pouvoir être présent. Pour parler comme Bichat, il m’a demandé de vous adresser son salut le plus fraternel. DGER depuis le printemps 92, Hervé l’avait recruté dès l’année suivante et ils sont partis exactement en même temps en avril-mai 1997. Avec Jean-Pierre, pour évoquer l’action d’Hervé Bichat en matière d’enseignement supérieur, nous avons décidé de vous faire partager au maximum en ce court moment les mots-même d’Hervé. Car, au fond, nous pensons qu’il est le mieux à même de parler de lui, de ce qu’il a voulu faire. Un de ses premiers actes a été de mettre en place à la DGER une sous-direction de l’enseignement supérieur et de la recherche. On ne dira jamais assez l’influence que l’organisation-même des structures centrales a sur l’action publique. En l’espèce, c’était visionnaire et ce fut très fécond. Fécond d’abord, sur le plan des mentalités. Cela a permis d’allier la tradition historique de la tutelle du ministère sur les écoles, tradition empreinte de culture administrative, avec le côté « avant-garde » de la recherche, toujours sur la brèche, confronté aux idées nouvelles. Cela a permis pendant cinq ans de « penser » en même temps enseignement supérieur et recherche, ce qui était à l’époque une idée très nouvelle, non seulement à la DGER ou au ministère de l’agriculture, non seulement dans les ministères techniques qui, comme l’agriculture, ont un secteur « enseignement supérieur » comme l’industrie, la défense ou la culture, mais même révolutionnaire pour les relations avec le « grand ministère » où enseignement supérieur et recherche ne sont pas toujours rassemblés et où, lorsqu’ils le sont, ils le sont dans une organisation taylorisée qui rend difficile une vision intégrée. Pendant cinq ans, à la DGER sous Bichat, cette vision intégrée a existé et ce qu’il a mis en place était suffisamment svelte pour être très réactif, une administration de mission en quelque sorte. Il l’avait délibérément voulu dès son arrivée comme il le dit lui-même : « un secteur, celui de l’enseignement supérieur et de la recherche, requérait une attention particulière. Du fait de la pression extraordinaire exercée par les partenaires de l’enseignement technique agricole, il avait été, un peu négligé, alors que c’est à la fois, celui qui commande l’avenir et celui dans lequel les efforts d’adaptation à conduire sont les plus importants. »

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17 juin 2016 – Montpellier – Hommage à Henry-Hervé Bichat

Hervé Bichat : une nouvelle ambition pour

l’enseignement supérieur agronomique et vétérinaire

Je voudrais avant toute chose présenter les excuses de Jean-Pierre Korolitski qui fut le sous-directeur de l’enseignement supérieur et de la recherche à la DGER pendant la quasi-totalité du mandat d’Hervé. Il est comme Edgar Leblanc à l’étranger et il est très désolé de ne pouvoir être présent. Pour parler comme Bichat, il m’a demandé de vous adresser son salut le plus fraternel.

DGER depuis le printemps 92, Hervé l’avait recruté dès l’année suivante et ils sont partis exactement en même temps en avril-mai 1997.

Avec Jean-Pierre, pour évoquer l’action d’Hervé Bichat en matière d’enseignement supérieur, nous avons décidé de vous faire partager au maximum en ce court moment les mots-même d’Hervé. Car, au fond, nous pensons qu’il est le mieux à même de parler de lui, de ce qu’il a voulu faire.

Un de ses premiers actes a été de mettre en place à la DGER une sous-direction de l’enseignement supérieur et de la recherche.

On ne dira jamais assez l’influence que l’organisation-même des structures centrales a sur l’action publique. En l’espèce, c’était visionnaire et ce fut très fécond. Fécond d’abord, sur le plan des mentalités. Cela a permis d’allier la tradition historique de la tutelle du ministère sur les écoles, tradition empreinte de culture administrative, avec le côté « avant-garde » de la recherche, toujours sur la brèche, confronté aux idées nouvelles. Cela a permis pendant cinq ans de « penser » en même temps enseignement supérieur et recherche, ce qui était à l’époque une idée très nouvelle, non seulement à la DGER ou au ministère de l’agriculture, non seulement dans les ministères techniques qui, comme l’agriculture, ont un secteur « enseignement supérieur » comme l’industrie, la défense ou la culture, mais même révolutionnaire pour les relations avec le « grand ministère » où enseignement supérieur et recherche ne sont pas toujours rassemblés et où, lorsqu’ils le sont, ils le sont dans une organisation taylorisée qui rend difficile une vision intégrée.

Pendant cinq ans, à la DGER sous Bichat, cette vision intégrée a existé et ce qu’il a mis en place était suffisamment svelte pour être très réactif, une administration de mission en quelque sorte. Il l’avait délibérément voulu dès son arrivée comme il le dit lui-même : « un secteur, celui de l’enseignement supérieur et de la recherche, requérait une attention particulière. Du fait de la pression extraordinaire exercée par les partenaires de l’enseignement technique agricole, il avait été, un peu négligé, alors que c’est à la fois, celui qui commande l’avenir et celui dans lequel les efforts d’adaptation à conduire sont les plus importants. »

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Aujourd’hui avec un service, d’un côté l’on pourrait dire que la mission est plus valorisée que sous Bichat, mais cela a évidemment conduit cependant à séparer la structure opérationnelle chargée de l’enseignement supérieur et celle chargée de la recherche, ce qui présente aussi des inconvénients…

Hervé Bichat avait construit un instrument à sa main, pour conduire la grande ambition qu’il avait en-tête. L’enseignement supérieur en a pleinement bénéficié et ce fut une période de grand rayonnement et de forte action, due à la mobilisation d’Hervé, à la motivation qu’il savait insuffler aux troupes de l’administration centrale comme au terrain, mais due aussi au fait qu’il venait de la recherche. Rien ne vaut mieux pour l’enseignement que d’être dirigé par un homme qui vient de la recherche et qui s’enthousiasme pour les questions d’éducation : cela fut vrai pour l’enseignement supérieur agronomique, mais aussi bien pour l’enseignement technique agricole.

Les cinq années d’Hervé Bichat à la DGER furent des années d’intense activité pour l’enseignement supérieur et la recherche. Il est impossible dans ces quelques minutes de viser une quelconque exhaustivité. La force de Bichat fut de défendre l’originalité de l’ESR agronomique et vétérinaire, mais non d’un point de vue « conservateur », d’un point de vue « éclairé » par les grandes évolutions internationales des systèmes d’enseignement supérieur et de recherche.

Il a décrit tout cela dans un « essai » en juillet 1997. C’est comme cela qu’il nomme un texte de quelque 30 pages qu’il intitule joliment « L’université agricole est morte, vive l’université agricole ! ». Je le tiens à la disposition de ceux que cela intéressera.

On touche là à une des grandes qualités d’Hervé. Il s’est toujours « mouillé ». C’était un homme d’action qui ne concevait pas de ne pas expliquer son action : un « intellectuel agissant » en somme. C’est pour cela qu’on peut dire de lui qu’il était visionnaire : la vision, il la formalisait et l’offrait aux acteurs quand il était aux responsabilités et quand il les avait quittées. Cela lui a valu parfois des déboires, mais quelle importance ? Il vaut mieux être un dirigeant visionnaire qui a des déboires, qu’un de ses dirigeants incolores et sans saveur qui rasent les murs et se gardent avant tout du moindre risque… !

En tous les cas, ce texte sur l’ESR agronomique de juillet 1997, c’est du Bichat tout craché. Ceux qui auront la curiosité de le relire verront à la lumière des presque 20 ans qui nous séparent de sa rédaction la lucidité qui était la sienne.

Se plaçant sous les auspices de son maître, le professeur Louis Malassis, dont il faut bien sûr, aujourd’hui et ici, rappeler l’action, il appelle à des « réformes structurelles… pour que l’enseignement supérieur réponde mieux au double défi du monde moderne : être aux avant-postes du processus de mondialisation, tout en s’ancrant davantage dans le territoire ». Il pointe là la contradiction à résoudre : l’enseignement supérieur agronomique ne peut pas être à l’écart de l’espace devenu mondial de la formation des étudiants et de la recherche et en même temps il ne doit pas perdre l’enracinement qui est la marque de son originalité : « l’agriculture est la science des localités » aimait-il répéter.

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Il convenait d’abord de rejoindre les grandes évolutions universitaires internationales et pallier les inconvénients du système français qu’il décrivait en ces termes :

« 1 – le système des grandes écoles est incompréhensible vu de l’étranger, de même d’ailleurs pour une part que celui des organismes de recherche : le standard international, c’est le standard de l’université.

2 – il manque un système d’équivalence entre les diplômes français et les standards internationaux…et il faut passer d’un enseignement professionnel supérieur réputé vers un enseignement supérieur professionnel reconnu au niveau international.

3 – il faut cependant dans ce contexte d’ouverture internationale préserver les méthodes pédagogiques des grandes écoles qui visent à former, non des spécialistes, mais des cadres de haut niveau bénéficiant d’une large culture générale et d’une formation de base pluridisciplinaire, ce qui est plus que jamais d’actualité et adapté à une société et à des systèmes scientifiques et technologiques en évolution constante. »

Cette façon de voir éclaire bien son action et illustre bien le bonhomme. Cela l’a conduit - on le voit parfaitement dans le texte - à inventer et à proposer en 1997, une adaptation nationale au système international « bachelor- master- PhD », ce que Claude Allègre, à la suite du rapport Attali, ne proposera qu’en 1998 à la Sorbonne aux pays européens, dans ce qui s’est appelé par la suite le schéma « licence-master-doctorat (LMD) » et qui se déploiera à partir de 1999 dans ce qu’il est convenu de nommer « le Processus de Bologne ».

Là encore, Hervé Bichat s’est montré en avance sur son temps, mais juste un peu en avance, ce qui est exactement la définition de l’avant-garde !

Cette volonté de sortir l’enseignement supérieur agronomique et vétérinaire de son seul « pré carré » tout en préservant ce qui faisait sa force et sa spécificité s’est marqué en janvier 1995 par le protocole de coopération signé entre Jean Puech, ministre de l’agriculture et de la pêche, et François Fillon, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Hervé Bichat en parle en ces termes : «Tout en permettant à chacun de faire valoir son originalité, nos deux ministères seront plus étroitement associés dans l’élaboration des projets et des réformes futures et dans leur réalisation. Notre ministère, qui a en charge l’avenir d’un secteur essentiel pour notre économie et pour nos régions, pourra pleinement éclairer, dans ses secteurs de compétences, les objectifs que poursuit le ministère responsable de la qualité de la recherche française et de la cohérence du système d’enseignement supérieur ».

Ce protocole qui comprenait 18 articles et 26 propositions d’action tirait toutes les conclusions d’une dizaine d’années d’analyses prospectives et de l’élan donné alors depuis 3 ans par Bichat. Il s’ordonnait autour de 4 grands objectifs toujours actuels ;

- organiser des pôles régionaux puissants ; - renforcer l’action évaluative et prospective ; - développer et améliorer l’effort de recherche ;

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- mieux coordonner l’action administrative.

En même temps donc des objectifs de long terme et l’efficacité des procédures qui permettent d’agir au quotidien.

Bien entendu dans les grands objectifs, on retrouve la volonté de dépasser le morcellement en « petites grandes écoles » pour créer des pôles régionaux forts de l’enseignement supérieur agronomique et vétérinaire. Hervé Bichat plaide fortement pour cette option plutôt que pour une organisation multisites spécialisée par type d’écoles (écoles vétérinaires par exemple), parce que, dit-il, « au niveau international, ce sont des ensembles pluridisciplinaires qui sont reconnus et que, de plus, avec le processus de régionalisation, la notion d’école nationale spécialisée multisites paraissait difficilement acceptable par les autorités locales ». Cette politique de constitution des pôles régionaux a constitué largement un fil conducteur du mandat d’Hervé Bichat, mais elle s’est poursuivie après lui jusqu’à la création de nouveaux établissements publics fusionnés sur plusieurs sites à travers le territoire. Cette démarche structurante sur la longue période a trouvé sa pleine dynamique de lancement sous Bichat.

Mais il ne s’en est pas tenu là : il a souhaité la compléter, comme il l’écrit lui-même, « par des réseaux thématiques entre écoles et centres de recherche de même discipline et en association avec les réseaux thématiques de l’enseignement technique agricole pour :

- prendre en compte la spécificité propre des champs disciplinaires et développer, dans ces domaines, les relations avec les professionnels et la coopération internationale ;

- assurer un bon dialogue avec les 432 terroirs qui fondent notre identité nationale (ah ! les 432 terroirs de Bichat !...), faciliter l’émergence d’idées nouvelles et développer des systèmes technologiques originaux pour les mettre en œuvre… ».

Hervé démontre ici une capacité hors du commun pour INTEGRER dans une même pensée l’ensemble des problématiques : enseignement technique/enseignement supérieur/recherche, du plus local au plus mondialisé, du plus spécialisé au plus multidisciplinaire, de la nécessité d’une dynamique nationale collective à l’ancrage territorial dans un contexte de décentralisation, de l’action éducative proprement dite aux liens avec l’ensemble des partenaires professionnels….

Cette vision intégrative, cette pleine conscience des enjeux nationaux et internationaux de l’enseignement supérieur et de la recherche, cette volonté de préserver les acquis de l’ESR agricole, mais dans une optique moderne tournée vers l’avenir a conduit naturellement Hervé Bichat à proposer en 1996 dans le cadre de la préparation du projet de loi d’orientation agricole portée par le ministre d’alors, Philippe Vasseur, la création d’une « université technologique, confédérale, agricole rassemblant toutes les forces scientifiques sous tutelle ou co-tutelle du ministère de l’agriculture et structuré en pôles régionaux de forme universitaire ».

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Cette proposition très argumentée à l’époque était trop révolutionnaire. Le ministère a eu peur devant l’audace et peur d’affronter le monde universitaire et son ministère de tutelle. Nous avons dû reculer.

Dommage. Cela aurait organisé une force de frappe de 6000 scientifiques à laquelle à ce moment-là tien n’aurait pu résister. Bien sûr on peut dire que cette idée s’est réalisée avec la loi du 13 octobre 2014 qui a créé l’Institut agronomique, vétérinaire et forestier de France que préside notre amie Marion Guillou et dont l’objectif affiché est « de créer une synergie étroite entre l’enseignement supérieur et la recherche agronomique, vétérinaire, forestière et du paysage, afin de conforter et de développer sa visibilité et son attractivité à l’international ». On croirait lire du Bichat.

Mais osons dire le fond de notre pensée. En 1996, rendons-nous à l’évidence, ce devait être trop tôt. Mais, mes amis, en 2014, presque 20 ans plus tard, c’est vraisemblablement beaucoup trop tard… Ah ! Il est bien difficile de faire pile au bon moment !

* * *

Mes quelques mots aujourd’hui sont bien sûr trop rapides pour rendre suffisamment hommage à l’action Hervé Bichat à la DGER pour donner un nouvel élan donné à l’enseignement supérieur agronomique, vétérinaire et du paysage.

Alors pour terminer, je vais une dernière fois le citer en rappelant ce qu’il nous disait en quittant la DGER le mercredi 23 avril 1997 :

Il commence ainsi :

« Tout à une fin, même de camper sous les sapins… C’était une chanson de mon enfance (et de sa chère Lorraine)… » Il poursuit en précisant le sens de son action à la DGER : « Ce que nous avons essayé de faire ensemble : (c’est) rester fidèles à la tradition et aux valeurs de l’enseignement, de la recherche et du développement agricoles tout en rénovant en permanence leurs activités pour faire face aux enjeux de l’avenir… ». Il conclut enfin : « Je pars (aujourd’hui) avec deux convictions :

- l’enseignement agricole, tel qu’il a été façonné au cours de ces cent dernières années, est incontestablement un des systèmes éducatifs les plus performants au monde ;

- l’enseignement, le recherche et le développement sont, plus que jamais, les clés de l’avenir si on sait les inscrire dans l’ouverture internationale de notre pays et dans un certain retour au local qui caractérisent notre société ».

Vaste programme, quelle anticipation à l’époque, quelle actualité aujourd’hui.

Décidément Hervé, c’est toujours toi le meilleur !

Merci, mes amis, pour votre attention.

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