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Droit, déontologie et soin Décembre 2005, vol. 5, n° 4 436 D OSSIER Histoire et nature juridique des institutions ordinales Gilles Devers Avocat au Barreau de Lyon. Les institutions ordinales, qui, passé un temps, avaient pu paraître condam- nées, ont aujourd’hui le vent en poupe. La multiplication des instances consul- tatives a, paradoxalement, porté la lumière sur les vertus des ordres : l’élection vaut mieux que la nomination, et la décision est préférable à un avis en ce qu’elle engage son auteur et est susceptible, le cas échéant, de recours contentieux. L’Ordre des médecins est devenu demandeur de sa réforme ; les masseurs- kinésithérapeutes et les pédicures-podologues viennent de voir le législateur leur accorder l’instance ordinale qu’ils réclament depuis des décennies ; la profession infirmière se mobilise à son tour. C’est aussi l’occasion de jeter un œil technicien sur ces structures appelées à prendre de l’importance dans les temps à venir. Plan du dossier Introduction 1. Médecine et droit : données historiques 2. Médecine et droit : quelques éléments d’Histoire française 3. La création de l’Ordre des médecins 4. La place actuelle des institutions ordinales 5. La notion de déontologie 6. De la discipline à la déontologie 7. Les procédés disciplinaires 8. L’action disciplinaire 9. Discipline ordinale et droit commun

Histoire et nature juridique des institutions ordinales

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Droit, déontologie et soin Décembre 2005, vol. 5, n° 4436

D O S S I E R

Histoire et nature juridique des institutions ordinalesGilles DeversAvocat au Barreau de Lyon.

Les institutions ordinales, qui, passé un temps, avaient pu paraître condam-nées, ont aujourd’hui le vent en poupe. La multiplication des instances consul-tatives a, paradoxalement, porté la lumière sur les vertus des ordres : l’électionvaut mieux que la nomination, et la décision est préférable à un avis en ce qu’elleengage son auteur et est susceptible, le cas échéant, de recours contentieux.

L’Ordre des médecins est devenu demandeur de sa réforme ; les masseurs-kinésithérapeutes et les pédicures-podologues viennent de voir le législateur leuraccorder l’instance ordinale qu’ils réclament depuis des décennies ; la professioninfirmière se mobilise à son tour.

C’est aussi l’occasion de jeter un œil technicien sur ces structures appeléesà prendre de l’importance dans les temps à venir.

Plan du dossier

Introduction1. Médecine et droit : données historiques2. Médecine et droit : quelques éléments d’Histoire française3. La création de l’Ordre des médecins4. La place actuelle des institutions ordinales5. La notion de déontologie6. De la discipline à la déontologie7. Les procédés disciplinaires8. L’action disciplinaire9. Discipline ordinale et droit commun

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D O S S I E R : L E S I N S T I T U T I O N S O R D I N A L E S

IntroductionAssemblée nationale, nuit du 4 août 1789 : les députés de la Constituante

proclament l’abolition des privilèges. Il n’existe plus de droits seigneuriaux, nide douanes intérieures. La doctrine fondatrice est le libéralisme, avec commecorollaire la liberté du travail et du commerce. La trame profonde de la Décla-ration des Droits de l’Homme et du Citoyen est la liberté économique, même sile texte n’y fait pas explicitement référence. La liberté individuelle, horizon dulibéralisme du constituant, conduit sur le plan économique à la condamnationdes corporations. Ce sera l’œuvre du célèbre décret d’Allarde des 2 et 17 mars1791 : « Il est libre à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer telle pro-fession, art ou métier qu’il trouve bon ».

Mais l’histoire sociale s’échappe du chemin tracé : libérés de la tutelle desmaîtres, les ouvriers fondent, dès le printemps 1791, les premières coalitionsafin d’assurer leur défense collective, et la Constituante doit réagir. Sous la pré-sidence d’Isaac Le Chapelier, avocat rennais, élu du Tiers État, qui déjà présidaitl’Assemblée le 4 août 1789, est votée la loi du 14 juin 1791, qui portera sonnom. Le libéralisme économique s’expose en son article 1, sans fausse pudeur :« L’anéantissement de toute espèce de corporations de citoyens de même étatou profession étant une des bases fondamentales de la constitution française, ilest défendu des les rétablir de fait, sous quelque prétexte et quelque forme quece soit ». Stigmatisant la notion d’intérêt commun, l’article 2 proclame : « Lescitoyens d’un même état ou profession, les entrepreneurs, ceux qui ont boutiqueouverte, les ouvriers et compagnons d’un art quelconque ne pourront, lorsqu’ilsse trouvent ensemble, se nommer ni président, ni secrétaires, ni syndics, tenirdes registres, prendre des arrêtés ou délibérations, former des règlements surleurs prétendus intérêts communs ».

Pontrieux, début des années 1930 : le Docteur Bouguen, médecin oto-rhino-laryngologiste, exerçant dans les Côtes du Nord1, ouvre un cabinet secondairedans cette agréable bourgade des bords de mer, à la satisfaction de ses clients, etsemble-t-il de lui-même aussi. Mais, le 7 octobre 1940, est publiée au Journalofficiel la loi instituant l’Ordre des médecins2, et, à la suite, est adopté le premier

1. Aujourd’hui, les Côtes d’Armor.2. Loi n° 3525 du 7 oct. 1940, JO 26 oct. 1940 p. 5430 ; DP 1940, 4, 334, note J. DOUBLET ; modifiéepar la loi du 31 déc. 1941, JO 9/10 janv. 1941.

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code de déontologie médicale, lequel réglemente les conditions dans lesquellespeut être ouvert et géré un cabinet secondaire3. Visant ce texte et les consignesdonnées par le Conseil supérieur de l’Ordre, le conseil départemental des Côtesdu Nord ordonne la fermeture du cabinet du Docteur Bouguen à Pontrieux,sans entendre les explications de l’intéressé. Celui-ci forme un recours devant leConseil supérieur, qui approuve la décision prise par le conseil départemental,…laquelle à vrai dire n’est que la mise en oeuvre de la doctrine qu’il a lui-mêmedéfinie.

Alors que la loi du 7 octobre 1940 ne prévoit pas expressément de recourscontentieux en la matière, le Docteur Bouguen saisit le Conseil d’État, qui estainsi amené à se prononcer sur la nature juridique de cet ordre professionnel4

et les contrôles auxquels il se trouve soumis. Et le Conseil d’État se reconnaîtcompétent : « Il résulte de l’ensemble des dispositions de la loi du 7 octobre1940, en vigueur à la date de la décision attaquée, et notamment de celle quiprévoit que les réclamations prises en matière disciplinaire et en matière d’ins-cription au tableau, seront portées devant le Conseil d’État par la voie durecours en excès de pouvoir, que le législateur a entendu faire de l’organisationet du contrôle de l’exercice de la profession médicale un service public, que sile Conseil supérieur de l’Ordre des médecins ne constitue pas un établissementpublic, il concourt au fonctionnement dudit service ».

Ainsi, le Conseil d’État fait siennes les conclusions du commissaire du gou-vernement Lagrange : « Le pays qui a su soumettre la puissance publique elle-même au contrôle juridictionnel ne saurait tolérer qu’y échappent tels ou telsorganismes investis du pouvoir de créer, d’appliquer ou de sanctionner des règle-ments, sous prétexte qu’on serait en présence d’un droit autonome ou d’un droitsui generis ». La décision du conseil départemental, prononcée sans examen dela situation particulière du cabinet du Docteur Bougen, est annulée, et le cabinetsecondaire de Pontrieux peut être réouvert. Surtout, s’annonce un vrai régimejuridique pour les ordres professionnels, et ainsi leur pérennité. Quel cheminparcouru depuis la loi Le Chapelier ! L’Ordre des médecins, toujours vaillanten 2005, en est l’illustration.

3. Cette question est actuellement régie par l’article 85 du décret n° 95-1000 du 6 septembre 1995 portantcode de déontologie médicale.4. Entre-temps, ont été créés d’autres ordres : celui des architectes par la loi du 30 décembre 1940 et celuides pharmaciens par la loi du 11 septembre 1941.

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D O S S I E R : L E S I N S T I T U T I O N S O R D I N A L E S

1. Médecine et droit, données historiques

Résumé

Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire de l’humanité, apparaissentdes liens entre la médecine et le droit (I). Deux célèbres déclarationstémoignent de la réalité d’un héritage bien actuel (II).

I – Les étapes historiques

Droit et médecine ont toujours été étroitement imbriqués, à la recherche deréférences objectives. La raison déterminante est bien connue : les médecins, parles plus quotidiens de leurs actes, mettent en cause ce que le droit protège le plus :le corps humain, corps qui est l’incarnation de la personne. Le mouvement s’estaccéléré depuis que, dopée par le progrès technique, la science médicale a appris àcôtoyer le risque et l’insécurité5. Mais aussi loin que remonte l’histoire du droit,apparaît le souci d’identifier la matière médicale au regard de l’objectivisme du doit.

Dans les temps anciens, le médecin est en même temps un prêtre6, et, demanière constante, une part de la médecine échappe à la connaissance commune7,ce qui légitime la nécessité d’une protection objective par le droit. De fait, déjàle Code d’Hammourabi, deux millénaires avant notre ère, prévoit, parmi ses282 lois, certaines peines applicables aux médecins incompétents et maladroits8.

5. L. LAVELLE, L’angoisse originelle, Le Temps, 6 oct. 1938 ; P. TEILHARD DE CHARDIN, La fin de l’espèce,Psyché, n° 99-100, janv. 1955 : « Incontestablement, l’homme du XXe siècle, malgré toutes ses découverteset ses inventions, est un triste. Pourquoi cette anxiété sinon, peut-être, tout au fond, parce que, succédantà la vision exaltante de l’espèce qui grandit, une autre évidence scientifique est en train de monter à notrehorizon : celle de l’espèce qui s’éteint, ». Pour de grands classiques : L. MAZEAUD, L’absorption des règlesjuridiques par le principe de responsabilité civile, DH 1935, Chron. p. 5 ; L. JOSSERAND, Le travail de refou-lement de la responsabilité du fait des choses inanimées, DH 1930, Chron. p. 5.6. HOUDART, Recherches sur la doctrine d’Hippocrate et sur l’état de la science avant lui, 1865.7. Le grand malade que fut Voltaire le résume ainsi dans sa correspondance : « J’ai conclu qu’il fallait êtreson médecin soit même, vivre avec régime, secourir de temps en temps la nature et jamais la forcer ; maissurtout savoir souffrir, vieillir et mourir. » Lettre du 10 avril 1752, La Pléiade, Gallimard.8. Huit articles du code concernent la médecine, dont notamment : art. 215 : « Si un médecin pratique unegrande incision avec un bistouri guérit, ou s’il ouvre une taie avec un bistouri et sauve l’œil, il doit recevoir dixshekels d’argent » ; art. 218 : « Si un médecin pratique une grande incision avec un bistouri et tue son malade,ou s’il ouvre une taie avec un bistouri et perd l’œil, on lui coupera la main. » D. MIRANDE, Le code d’Ham-mourabi et ses origines, Leroux, 1913 ; C.-W. CERAM, Des dieux, des tombeaux, des savants, Plon, 1953.

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Dans l’ancienne Égypte, les malades avaient l’obligation de venir, aprèsleur guérison, inscrire le nom ou la formule des remèdes qui les avaient soulagés,dans le Temple de Canope ou de Vulcain. Ces traitements étaient ensuite codifiéset devaient être appliqués sous peine de mort. Les maladies, non explicables,sont divinisées et leur traitement est considéré comme un culte. En Égypte, leprincipe de la responsabilité médicale est une règle d’ordre public. La sciencemédicale égyptienne est codifiée et le médecin demeure à l’abri de toute sanctions’il respecte ces règles et ces codes. S’il les viole, et quelque soit l’issue de lamaladie, il encourt des peines sévères qui peuvent aller jusqu’à la mort9.

Chez les Grecs, la médecine est, par essence, une affaire de mythologie.Apollon chassait tous les maux de l’esprit et du corps. En Grèce, s’ouvre avecHippocrate10, dans un climat de grande hostilité, l’approche clinique qui dépasseles seules qualités d’observation et de raisonnement. Esculape, fils d’Apollon,guérissait les malades, et montrait ses capacités à faire ressusciter les morts,remettant en cause les règles qui gouvernaient la destinée humaine. Pluton, Dieudes enfers, s’est plaint à Jupiter, qui a foudroyé Esculape. Mais celui-ci avaiteu deux filles qui poursuivirent son œuvre : Hygie, qui prévient la maladie, etPanacée, qui les guérit.

Dans la tradition musulmane, la médecine était un art majeur, aussi impor-tant que la théologie au dire même du Prophète, et la médecine était classéeparmi les « hautes connaissances » au même titre que la métaphysique et l’astro-nomie11.

À Rome, les premiers médecins sont des esclaves12. C’est César qui leurdonne droit de cité et crée un brillant corps de santé militaire. Suit la célèbreLex Aquilia13 qui pose le principe de la responsabilité médicale, mais laisse librel’accès à la profession.

C’est parce qu’il fallait extraire la médecine du champ de la magie, cellesdes prêtres et des guérisseurs, que l’école hippocratique a élaboré une théorisa-tion de la pratique médicale, consacrée par le célèbre serment14.

9. C. CUSTON, Histoire de la médecine au temps des Pharaons, Renaissance du livre, 1931 ; N. RIAD, Lamédecine au temps des Pharaons, 1955 ; Ch. DAREMBERG, Histoire des sciences médicales, Baillière, 1893.10. 460-382 av JC.11. Développements issus de L. KORNPROBST, Responsabilité du médecin devant la loi et la jurisprudencefrançaise, Flammarion, 1957. L’auteur écrivait, avec beaucoup d’à propos, le contexte scientifique de l’épo-que, p. 15 : « En dépit d’une vulgarisation méthodique, la science médicale demeure, et fort heureusementpour l’immense majorité des humains, absolument hermétique. Hermétisme qui est l’un des éléments deson prestige et de l’empire exercé de tous temps par celui qui en a pénétré les arcanes ; car ce que le clientdemande au médecin échappe à son entendement, il n’a et ne peut avoir aucun contrôle : c’est l’abandonaveugle à ses décisions et à ses ordres. » C’était poser toute la problématique juridique de la relationmédicale.12. Code Justinien, X. 52, De professionibus et medicis.13. An 468 de Rome.14. Sur la notion de serment sur l’honneur, B. Oppetit, L’engagement d’honneur, D. 1979, Chron. 107 ;B. BEIGNER, L’honneur, Droits, 1994, n° 19, p. 97.

Gilles DEVERS

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II – Deux textes en héritage

Deux textes ont traversé l’histoire : souvent cité par son nom, mais peu lu,le serment d’Hippocrate (A) ; et plus méconnu, le très beau texte qu’est la prièrede Maïmonide (B).

A – Le serment d’Hippocrate15

« Je jure par Apollon, médecin, par Esculape, par Hygie et Panacée, partous les dieux et toutes les déesses, les prenant à témoin que je remplirai, suivantmes forces et ma capacité, le serment et l’engagement suivant :

« Je mettrai mon maître de médecine au même rang que les auteurs de mesjours, je partagerai avec lui mon avoir et le cas échéant, je pourvoirai à sesbesoins ; je tiendrai ses enfants pour des frères et s’ils désirent apprendre lamédecine, je la leur enseignerai sans salaire ni engagement. Je ferai part despréceptes, des leçons orales et du reste de l’enseignement à mes fils, à ceux demon maître et aux disciples liés par un engagement et un serment suivant la loimédicale mais à nul autre. Je dirigerai le régime des malades à leur avantage,suivant mes forces et mon jugement et m’abstiendrai de tout mal et de touteinjustice. Je ne remettrai à personne du poison, si on m’en demande, ni ne pren-drai l’initiative d’une pareille suggestion ; semblablement, je ne remettrai àaucune femme un pessaire abortif. Je passerai ma vie et j’exercerai mon art dansl’innocence et la pureté. Je ne pratiquerai pas l’opération de la taille, je la lais-serai aux gens qui s’en occupent. Dans quelques maisons que j’entre, j’y entreraipour l’utilité des malades, me préservant de tout méfait volontaire et corrupteur,et surtout de séduction des femmes et des garçons libres ou esclaves. Quoi queje voie, ou entende dans la société pendant l’exercice ou même hors de l’exercicede ma profession, je tairai ce qui n’a jamais besoin d’être divulgué, regardantla discrétion comme un devoir en pareil cas. Si je remplis ce serment sansl’enfreindre, qu’il me soit donné de jouir heureusement de la vie et de ma pro-fession, honoré à jamais parmi les hommes ; si je le viole et que je me parjure,puissé-je avoir un sort contraire ! »

B – La prière de Maïmonide16

L’évolution des préoccupations au cours des siècles a trouvé une illustrationdans la remarquable prière de Maïmonide, médecin juif de Cordoue, au XIIe siècle :

« Mon Dieu, remplis mon âme d’amour pour l’art et pour toutes les créa-tures. N’admets pas que la soif du gain et la recherche de la gloire m’influencent

15. Traduction d’Émile Littré.16. Traduction tirée de SOULIER, Du serment d’Hippocrate à l’éthique médicale, Thèse médecine, Marseille,1985.

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dans l’exercice de mon Art, car les ennemis de la vérité et de l’amour des hommespourraient facilement m’abuser et m’éloigner du noble devoir de faire du bienà tes enfants. Soutiens la force de mon cœur pour qu’il soit toujours prêt à servirle pauvre et le riche, l’ami et l’ennemi, le bon et le mauvais.

« Fais que je ne voie que l’homme dans celui qui souffre. Fais que monesprit reste clair auprès du lit du malade et qu’il ne soit distrait par aucune choseétrangère afin qu’il ait présent tout ce que l’expérience et la science lui ont ensei-gné, car grandes et sublimes sont les recherches scientifiques qui ont pour butde conserver la santé et la vie de toutes les créatures.

« Fais que mes malades aient confiance en moi et mon Art pour qu’ilssuivent mes conseils et mes prescriptions. Éloigne de leur lit les charlatans,l’armée des parents aux mille conseils, et les gardes qui savent toujours tout :car c’est une engeance dangereuse qui, par vanité, fait échouer les meilleuresintentions de l’Art et conduit souvent les créatures à la mort. Si les ignorantsme blâment et me raillent, fais que l’amour de mon Art, comme une cuirasse,me rende invulnérable, pour que je puisse persévérer dans le vrai, sans égard auprestige, au renom et à l’âge de mes ennemis. Prête-moi, mon Dieu, l’indulgenceet la patience auprès des malades entêtés et grossiers.

« Fais que je sois modéré en tout, mais insatiable dans mon amour de lascience. Éloigne de moi l’idée que je peux tout. Donne-moi la force, la volontéet l’occasion d’élargir de plus en plus mes connaissances. Je peux aujourd’huidécouvrir dans mon savoir des choses que je ne soupçonnais pas hier, car l’Artest grand mais l’esprit de l’homme pénètre toujours plus avant. »

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2. Médecine et droit, quelques éléments d’Histoire française

Résumé

De cette histoire très riche, se dégagent trois étapes : avant le XIXe siècle (I),la lente maturation du XIXe siècle (III), et la première vraie organisationcollective par le syndicalisme (III)

I – Jusqu’au XIXe siècle

L’ancien droit français regorge d’histoires relatant les condamnations sévè-res prononcées à l’encontre des médecins17 mais l’accès à la profession reste nonréglementé. Étape majeure, Philippe le Bel, en 1311, décide que la pratique dela chirurgie est réservée aux titulaires d’un titre délivré par les facultés de méde-cine, la licentia operandi. Le Pape Clément VI, en 1346, érige l’exercice illégalde la médecine en cause d’excommunication. La nécessité de posséder un titrepour exercer s’impose progressivement, mais la rivalité entre les facultés demédecine ôte toute réelle portée à cette exigence.

Le premier vrai statut professionnel résulte d’un arrêt du conseil du roi du12 avril 1749. Le principe de la responsabilité médicale est posé par J. Domat18,au sein de son œuvre capitale, Les lois civiles dans leur ordre naturel :« Quoiqu’il soit vrai qu’on ne doive pas imputer aux médecins la mort de leursmalades, ils doivent répondre des maux qu’ils causent par leur ignorance, et leprétexte de faiblesse humaine ne doit pas empêcher qu’on punisse ceux qui trom-pent les hommes dans un tel péril qui est celui de la vie19.

Avec la Révolution française apparaît en pleine lumière le triste état des lieux,qui est celui de l’absence de sérieux20. Mais, alors que la jurisprudence établit unpremier régime de responsabilité cohérent, fondé alors sur la faute délictuelle, il fau-

17. VERDIER, La jurisprudence de la médecine en France, 1762.18. 1625-1696.19. DOMAT, Droit public, livre I.20. Un rapport remis le 10 mars 1803 au Corps Législatif, rédigé par FOURCROY, est édifiant : « La vie descitoyens est entre les mains d’hommes avides autant qu’ignorants. Le charlatanisme le plus éhonté, l’empi-risme le plus dangereux, abusent partout de la crédulité et de la bonne foi ! » L. KORNPROBST, précité, p. 57.

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dra attendre le 30 novembre 1892 pour disposer d’une vraie législation sur l’exercicede la médecine. La demande de droit est permanente, mais elle peine à trouver leschemins lui permettant de s’affirmer. L’institution ordinale s’inscrit dans ce passédouloureux, celui de la difficile conciliation entre le droit et la pratique médicale.

II – Une lente maturation au cours du XIXe siècle

La loi du 14 juin 1791 est restée intacte pendant près de cinquante ans,avant les premières brèches que furent la loi du 22 mars 1841 sur le travail desenfants et celle du 4 mars 1851 sur l’apprentissage21. L’étape décisive n’est inter-venue que près d’un siècle plus tard, avec la loi du 21 mars 1884, dite loi Wal-deck-Rousseau, sur la liberté syndicale22. Au sein de la profession médicale, lespremiers pas de l’action collective datent du milieu du XIXe siècle, dans le plusgrand désordre. L’Académie royale de médecine a été créée par Louis XVIII en1820. Instituée pour répondre aux demandes du gouvernement « sur tout ce quiintéresse la santé publique », l’Académie a également pour mission de s’occuper« de toutes les études ou recherches qui peuvent contribuer au progrès des dif-férentes branches de l’art de guérir ». Ses règles sont restées inchangées, maisl’Académie est devenue nationale en 1947.

Le consensus n’est que minimal et prend forme d’un constat : le dévelop-pement durable du libéralisme passe par l’adjonction d’une forte dose d’orga-nisation collective23. Pour le reste, la confusion l’emporte : entre le syndicalismeouvrier et le syndicalisme corporatiste ; entre la défense des intérêts et celle d’unemorale. L’idée d’instituer un organisme capable d’assurer une certaine morali-sation de la profession, sous une forme ordinale, est adoptée en conclusion d’unimposant « Congrès médical de France », réunissant 2 000 médecins à l’Hôtelde Ville de Paris à la fin de l’année 1845. Le Congrès émet le vœu que soit créédans chaque arrondissement un « collège médical », dirigé par un conseil médi-cal, regroupant l’ensemble des médecins, et servant « d’intermédiaire entre lecorps médical et la société, entre le corps médical et chacun de ses membres »et ayant « des fonctions de protection et de moralisation, et chargé de soutenirles droits des médecins et de maintenir la dignité professionnelle ».

En continuité de ce congrès, le bienveillant régime de Louis-Philippe donnejour à une proposition de loi tendant à la création d’une instance ordinale. Le

21. I. LE CHAPELIER, lui, n’a survécu que trois ans à la loi qui porte son nom : il fut guillotiné en 1794.22. G. CAIRE, Les syndicats ouvriers, PUF, 1971 ; G. LYON-CAEN, Droit syndical et mouvement syndical,Dr. Soc. 1984, p. 5 ; P. ROSANVALLON, La question syndicale, Pluriel, Hachette, 1998 ; R. MOURIAUX, Crisedu syndicalisme français, Montchrestien, 1998.23. E. FREIDSON, médecin de nationalité américaine, analyse la difficulté des médecins à accepter les struc-turations collectives : « Une sorte de particularisme et d’individualisme ontologique et épistémologiquecaractérisent le clinicien. Son travail l’absorbe et l’isole à tel point qu’il finit par voir et juger le reste dumonde en fonction de sa propre expérience. Cette incompréhension nourrit une défiance viscérale vis-à-vis de toute forme d’administration qui n’aurait pas fait la preuve scientifique de son efficacité. » E. FREID-

SON, La profession médicale, Payot, 1984.

Gilles DEVERS

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texte est voté par la Chambre des Pairs en juin 1847, mais la Révolution defévrier 1848 interrompt le jeu législatif. Le projet perd son actualité24, avantd’être repris par le syndicalisme médical naissant.

III – L’émergence de la question syndicale

Le syndicalisme médical a peiné à se faire reconnaître par la loi (A), ce quine l’a pas empêché de prendre son essor (B).

A – Une reconnaissance légale en deux temps

Le syndicalisme médical est né des préoccupations du terrain. Le premiersyndicat de médecins est fondé en 1881, dans l’illégalité, en Vendée, à Montaigu,à l’initiative du Docteur Mignen25, avant de faire école à Brioude et Aubusson.Le mouvement s’est créé en réaction à une disposition de la loi du 28 décembre1874 qui organisait la protection des nourrissons et enfants placés hors du domi-cile de leurs parents : lorsque les médecins résidaient dans la commune où étaitplacé l’enfant, il ne leur était pas prévu de défraiement. La revue Le concoursmédical, créée en 1879, devient un relais de cette volonté d’expression collective.Lorsque est votée la loi du 21 mars 1884 relative à la liberté syndicale, sontrecensés 74 syndicats médicaux, et cette légalisation du syndicalisme est un feuvert pour un bond en avant, vite interrompu par la Cour de cassation : un arrêtdu 27 juin 1885 refuse au syndicalisme corporatif le bénéfice des dispositionsde la loi de 1884.

Les choses ne peuvent rester en l’état, et la légalisation sera le fait de l’arti-cle 13 de la grande loi d’organisation médicale du 30 novembre 1892, dite loiChevandier, signée par le président Sadi Carnot26. Le mouvement était en mar-che, et, dès 1884, avait été fondée l’Union des syndicats médicaux. À la fin dusiècle, l’Union regroupe 122 syndicats, couvrant l’ensemble du territoire, dontle puissant Syndicat des médecins de la Seine, qu’anime le Docteur P. Cibrié27.Ce mouvement est ainsi salué par J. Jaurès : « À mesure que se développerontles sociétés de secours mutuel, les assurances contre les accidents, les caisses deretraite, l’assistance obligatoire, l’hospitalisation, la médecine négociera de plusen plus non pas avec des individus, mais avec des collectivités, petites et grandes.Autour de ces clients collectifs, se livre avec plus d’âpreté encore, la bataille des

24. Il s’agit d’une proposition de loi, rédigée par un député socialiste, E. COUTEAUX, et soutenue par P. LOUCHEUR,ministre du travail.25. M. BRÉMOND, Les syndicats de médecins contre l’organisation de la protection sociale, tout contre,Pouvoirs, n° 89, 1999, p. 119.26. Loi du 30 nov. 1892, DP 1893, 4, 8. L’extension à toutes les professions libérales attendra vingt ans :loi du 12 mars 1920, art. 4, DP 1920, 4, 81 ; CE, 28 déc. 1906, Synd. des patrons coiffeurs de Limoges,Rec. p. 977, concl. ROMIEUX.27. J. JAURÈS, La Dépêche de Toulouse, juin 1895. Voir aussi : P. GUILLAUME, Le rôle social du médecindepuis deux siècles, Association pour l’étude de l’histoire de la Sécurité sociale, 1996.

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médecins. Dans cette lutte, ils se plaignent de laisser, tout à la fois, quelquechose de leur dignité, quelque chose aussi de la juste rémunération à laquelle ilsont droit. C’est pour réagir contre ce double mal qu’ils forment leurs syndicats ».

B – Une véritable force syndicale

En 1925, 80 % des 20 000 médecins français adhérent à un syndicat, maisle tableau se complique, alors qu’apparaît un syndicalisme médical inscrit dansle mouvement social28. Le Syndicat national de la médecine sociale : « Noussommes de ceux qui pensent qu’étant donné l’incompréhension complète dontla grande majorité des médecins fait preuve vis-à-vis des problèmes sociauxactuels, la socialisation ou la fonctionnarisation de la profession médicale est lestade final de l’évolution professionnelle médicale. Dans ces conditions, seule laclasse ouvrière pourrait empêcher leur asservissement par l’État. ». L’Union desSyndicats médicaux de France (USMF) est concurrencée par la Fédération desSyndicats Médicaux Français (FSMF). La fusion, dont naîtra, en 1928, laConfédération des Syndicats Médicaux Français (CSMF) est l’œuvre de l’habileDocteur P. Cibrié, élu secrétaire général en même temps qu’est adoptée la grandeloi sur les assurances sociales du 5 avril 1928, qui marque les débuts duconventionnement médical.

Une épreuve de force s’enclenche entre le gouvernement et la CSMF, etcelle-ci obtient, fait peu commun, le report de la publication de la loi au Journalofficiel pendant plus de deux ans, cette formalité n’intervenant que le 30 avril193029. La CSMF signifie alors son ralliement par une vote en assemblée géné-rale, le 27 juillet 1930, proclamant solennellement une charte de sept principesqui allait devenir son cheval de bataille : libre choix ; respect du secret profes-sionnel ; droit à des honoraires pour tout malade pris en charge ; paiementdirect ; liberté thérapeutique ; contrôle des malades par les caisses ; contrôle desmédecins par les syndicats. C’est dans ce cadre que l’instance ordinale revientd’actualité, comme élément participant à la défense de l’exercice libéral, ébranlépar la loi du 30 avril 1930.

28. P. GUILLAUME, précité.29. Sous la signature de P. LAVAL, alors ministre du travail. P. CIBRIÉ est lyrique pour défendre l’implicationprofessionnelle dans la mise en œuvre de la loi : « Si nous avions dit à l’État : « tu veux des esclaves, noussommes des hommes libres », il eût fait sa loi, trouvé des esclaves et marché à la catastrophe. » Cité parB. VERGEZ, Le monde des médecins au XXe siècle, Complexe, 1996.

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3. La création de l’Ordre des médecins

Résumé

L’Ordre des médecins, création de Vichy ? Une idée bien fausse30 ! Leprojet était discuté dès la fin du XIXe siècle (I). L’Ordre des médecins créépar Vichy résultait de procédés très éloigné de l’idée ordinale (II), de tellesorte que ces textes ont été abrogés à la Libération, et remplacé pard’autres qui respectent les bases républicaines (III).

I – Les prémisses

Les premières initiatives ont été d’ordre syndical (A). Elles ont connu unécho auprès de la profession en fonction de processus essentiellement réactionnels(B), et le parlement s’en est saisi (C).

A – Les initiatives syndicales

L’initiative vient de la CSMF qui publie son règlement de déontologie31,et demande la création d’un ordre professionnel regroupant l’ensemble despraticiens, lequel serait essentiellement chargé de la discipline. Le discours estsimple : le regroupement obligatoire s’impose comme une nécessité pour quepuisse s’exercer la discipline. La réalité, bien visible, est qu’il s’agit d’une dis-cipline idéologique, et que le syndicat entend l’encadrer32. La démarche syn-dicale, marquée par beaucoup de réalisme, se construit en trois temps : lesenjeux professionnels sont décisifs, car l’avenir de la profession suppose unevie collective ; le syndicat ne peut tout faire, et notamment agir à l’encontrede ceux qui ne sont pas membres ; la solution est la création d’un Ordre, etil faut le contrôler.

30. Les ordres existent, sous des formes diverses, dans tous les pays du monde… bien indépendammentd’une quelconque influence du régime de Vichy.31. Ce texte regroupe une soixantaine d’articles et s’ouvre par une énumération des devoirs généraux desmédecins : code de déontologie des syndicats médicaux français, Le médecin de France, 1936, p. 947.32. Le 30 mars 1933, le Docteur P. DIBOS, au nom de la CSMF, écrit : « Ordre est synonyme de discipline.Un Ordre des médecins est une discipline obligatoire pour les médecins ».

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En 1931, J. Appleton analyse l’empiétement syndical sur la déontologie :« Syndicats et associations jouent un rôle disciplinaire dont l’action moralisa-trice est certaine. Mais ce rôle est forcément restreint puisqu’il ne peut s’exercerque sur des médecins qui, de leur plein gré, se sont soumis à cette discipline.Ceux qui ne sont pas syndiqués ou associés y échappent. Aussi, depuis fort long-temps, a-t-on songé à créer un Ordre des médecins ayant un caractère obliga-toire et armé d’un pouvoir disciplinaire reconnu par la loi. Mais les syndicatsprofessionnels s’y opposent vivement »33.

B – Une évolution par réactions

Deux facteurs se sont révélés majeurs : la question sociale (1) et la tentationxénophobe (2).

1 – La question sociale

La « demande d’Ordre » évoluera à la même vitesse que les avancées dela protection sociale : loi du 28 décembre 1874 sur la protection des nourrissonset des enfants placés en dehors de leur famille, loi du 2 avril 1919 offrant lagratuité des soins en cas de blessure ou de maladie pour les pensionnés de guerre,loi du 30 avril 1930 sur les assurances sociales et le conventionnement. Le leit-motiv libéral est qu’il faut s’organiser face à la collectivité34. En 1933, P. Cibriéexpose ses convictions, nourries par l’opposition au communisme : « L’étatismeest une doctrine qui, pour l’organisation de la société, pour la réforme des ins-titutions, pour la gestion temporelle et spirituelle du monde, donne à l’État tousles pouvoirs, tous les devoirs et tous les droits dont l’individu se trouve exonéréou dessaisi. Dans le monde nouveau qu’on nous prépare, avec Marx commeévangile et la patrie soviétique comme paradis, nous sommes destinés à devenirdes employés patentés d’un État tout-puissant »35.

2 – La tentation xénophobe

Cette phase préparatoire de la création ordinale est aussi marquée par la mon-tée en puissance de l’antisémitisme. Les syndicats médicaux, sensibles aux pré-occupations de leurs adhérents, souhaitent, même s’il ne le proclament pas36,disposer d’une structure apte à protéger de l’arrivée de médecins étrangers, juifs denationalité polonaise, tchèque ou roumaine, que le nazisme a fait fuir de leur pays.

33. J. APPLETON, Le médecin syndicaliste, nov. 1931, p. 1098 ; A. BONNARD, Syndicalisme, corporatisme etÉtat corporatif, RDP 1934, p. 181.34. M. BORGETTO, La notion de fraternité en droit public français. Le passé, le présent et l’avenir de lasolidarité, LGDJ, 1993 ; M. BORGETTO, R. LAFORE, La République sociale, PUF, 2000 ; F. EWALD, L’État-Providence, Grasset, 1986 ; A. GUESLIN, De la charité médiévale à la sécurité sociale, Éd. Ouvrières, 1992.35. P. CIBRIÉ, Avis aux futurs médecins, Les étudiants de France, 15 mars 1933.36. Ils seront entendus. L’une des premières lois du gouvernement de Vichy concerne les médecins denationalité étrangère : loi du 16 août 1940.

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Dans l’un des rares ouvrages traitant de cette période, B. Vergez37 analyse l’impor-tance de ces enjeux, rappelant qu’en 1935 les facultés de médecine ont été paraly-sées par un mouvement de grève dont l’objet était de protester contre la présencede ces confrères étrangers : « On donne alors, rien que pour le département de laSeine, les chiffres de 1 000 “métèques” pour 4 000 médecins. C’était totalementfaux. La proportion réelle de médecins étrangers était d’environ 6 % pour la Seine,et quasiment nulle dans les autres départements »38. L’ouvrage souligne la forceavec laquelle ces conceptions xénophobes se sont ancrées dans le monde médical.Est citée une lettre signée par le Docteur Hollier, secrétaire du syndicat médicalde Seine-et-Oise, adressée dès le 9 juillet 1940 au Maréchal Pétain, proposant« l’élimination des innombrables étrangers inassimilables qui, depuis quelquesannées, ont envahi la France et plus particulièrement le département de Seine-et-Oise, et sont la raison dominante de l’abaissement de la moralité médi-cale ». Le Docteur Hollier souligne « les conséquences néfastes de l’envahissementde la médecine par des apatrides à mentalité bassement commerciale ». Ce médecinsera nommé vice-président de l’Ordre en octobre 1940.

C – Les ébauches sous la IIIe République

Le processus législatif est très chaotique. Un premier projet est déposédevant la Chambre des députés en 1923, puis un second en 1928, à l’initiativedes députés Vallat, Daudet et Rendu, mais ces initiatives, un peu velléitaires,restent sans suite. Le phénomène s’enclenche après qu’en 1930 la CSMF eutpublié son règlement de déontologie médicale. Le 9 décembre 1932, deux rap-ports, approuvés par la CSMF, sont présentés par un député de la Manche,médecin de son état, J. Lecacheux. Ces rapports sont examinés par la Commis-sion de l’Hygiène, de l’Assistance et de la Prévoyance de la Chambre des Dépu-tés, avant de devenir une proposition de loi tendant à modifier la loi du30 novembre 1892. Le texte est voté par la Chambre le 19 décembre 1933, ettransmis au Sénat au début de l’année 1934. Le 14 février 1935, le Sénat adoptele texte, légèrement modifié39, et le réadresse à la Chambre des députés. LaChambre estime opportun un nouvel examen en commission. Le changementde législature le 7 mai 1936 conduit à l’enterrement du projet…, mais il restequ’un texte est prêt, bénéficiant de la bienveillance syndicale.

II – L’œuvre de Vichy

Le texte adopté par Vichy visait à assurer le contrôle de la profession parle pouvoir (A), ce qui ne pouvait conduire qu’à des dérives (B).

37. B. VERGEZ, Le monde des médecins au XXe siècle, précité ; voir aussi le très documenté : B. HALIOUA, Blou-ses blanches, étoiles jaunes : l’exclusion des médecins juifs en France sous l’Occupation, Liana Lévi, 2000.38. B. VERGEZ, précité.39. Était – déjà – en cause la composition de la juridiction disciplinaire d’appel, la question étant de savoirsi elle devait ou non comprendre un magistrat. J. DOUBLET, précité.

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A – Le texte

La législation de l’État français, sous l’autorité du Maréchal Pétain, s’esttrès vite intéressée à la donnée médicale, et avec une vision affirmée : écarter lesétrangers et les juifs, et contrôler la profession40. La loi du 3 octobre 194041,portant statut des juifs, interdit aux personnes de « race juive »42 par son arti-cle 2 l’accès à la fonction de « membre d’une juridiction d’ordre professionnel »et par son article 4 « l’accès et l’exercice des professions libérales ». Quelquesjours plus tard, le 7 octobre 1940, est publiée la loi créant l’Ordre des médecins.Si la réalisation de Vichy a été qualifiée de corporatiste, c’est par ignorance destextes en cause ! L’institution est placée sous l’autorité du secrétaire d’État àl’intérieur, et les membres des instances sont nommés par le même ministre.Surtout, les syndicats et associations sont interdits, et leurs biens attribués àl’Ordre : « Les médecins n’auront pas le droit de se grouper en associations syn-dicales. (…) Les syndicats existants à ce jour sont déclarés dissous. » Le sort deleur patrimoine est ainsi réglé : « Ces biens seront placés sous séquestre à larequête du ministère public, par ordonnance du tribunal civil du ressort. Ilsseront liquidés sans frais dans un délai de deux mois et transférés au conseildépartemental de l’ordre. » Les syndicats avaient fait l’objet d’une interdictiongénérale par la loi du 16 août 194043.

Le texte a été préparé par le Docteur S. Huard, secrétaire d’État à la familleet à la santé, qui estime son projet de nature à « imposer l’esprit de solidaritéà tous les médecins » (…) Il fallait organiser une profession qui ne l’avait jamaisété, qui souffrait et profitait tout à la fois d’un excessif libéralisme. L’indépen-dance absolue des médecins leur pouvait sembler agréable et profitable. En fait,dans le domaine moral, elle laissait le champ libre aux consciences molles, auxappétits dévoyés, aux compromissions »44. Ce même 7 octobre 1940, est signéle décret de dissolution de la CSMF45. P. Cibrié raconte : « Le conseil d’admi-nistration se réunit une dernière fois le 26 octobre 1940. On put compter sur

40. Indépendamment de la législation sur l’Ordre, sont adoptées successivement trois lois interdisantl’exercice de la médecine aux praticiens étrangers et aux juifs, dans un sens toujours plus restrictif : loidu 16 août 1940, JO 19 août 1940, p. 4735 ; loi du 26 mai 1941, JO 9 juin 1941, p. 2390 ; loi du22 nov. 1941, JO 29 nov. 1941, p. 5252. Construction complétée par le décret du 11 août 1941 « régle-mentant en ce qui concerne les juifs la profession de médecin », JO 6 sept. 1941, p. 3787 ; commentairesidérant : E.-H. PERREAU, La récente réforme de la législation médicale, JCP 1941. 1. 224 ; analyse géné-rale : D. LOSCHAK : La doctrine sous Vichy ou les mésaventures du positivisme, in Les usages sociauxdu droit, CURAPP-PUF, 1989, p. 252.41. Ces lois sont juridiquement l’œuvre du Maréchal Pétain, qui exerce le pouvoir législatif en conseil desministres : acte constitutionnel n° 2 du 11 juillet 1940, JO 12 juillet 1940, p. 4517.42. L’article 1 de la loi énonce : « Est regardé comme juif, pour l’application de la présente loi, toutepersonne issue de trois grands-parents de race juive, ou de deux grands-parents de la même race, si sonconjoint lui même est juif. » JO 18 oct. 1940, p. 5323 ; le critère racial s’est avéré inapplicable et à conduità l’adoption d’un nouveau statut avec la loi du 2 juin 1941, JO 14 juin 1941.43. JO du 18 août 1940, p. 4731.44. S. HUARD, cité par la CSMF sur son site.45. Source : site de la CSMF.

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les doigts d’une main ceux qui semblaient accepter avec résignation l’antisyndi-calisme proclamé du Gouvernement de Vichy. (…) L’Ordre prit possession deslocaux désertés de la CSMF, et un inventaire fut dressé le 19 décembre 1940 ».

B – La mise en œuvre

Le professeur R. Leriche, qui avait refusé les portefeuilles de secrétaired’État à la Santé et à l’Éducation Nationale46, est nommé président de l’Ordre47.Dans un récit autobiographique48, il a défendu son attitude, qu’il analyse commecelle du réalisme et de la sauvegarde de l’essentiel dans une période troublée.De fait, le Commissariat aux questions juives49 se plaint, le 15 décembre 1941,du « peu d’empressement de l’Ordre des médecins » à faire appliquer les décretsdiscriminatoires du 11 août 1941. B. Vergez50 fait état des pressions venues desgroupes activistes, stigmatisant l’Ordre des médecins en tant que « citadellejudéo-chrétienne ».

Ceci étant, ces protestations de l’extrémisme ne suffisent pas à masquerune réalité qui, hélas, a été celle de l’adhésion aux lois pétainistes. Le choix deshommes est parlant : aux côtés du Professeur R. Leriche, siège, en qualité device-président, le Docteur Hollier, qui s’était fait remarquer par son activismeantisémite51. Surtout, les choix politiques sont sans équivoque. B. Vergez cite unarticle du bulletin de l’Ordre d’octobre 1941, illustratif de la posture qui estcelle des instances ordinales : « Certains conseils départementaux craignent queles arrêtés pris contre les médecins étrangers n’aient qu’un effet théorique. À lavérité, il leur appartient d’user des pouvoirs que leur confère actuellement la loiet ils ne doivent pas hésiter à signaler aux autorités administratives les médecinsqui ne tiendraient pas compte de la notification de leur interdiction ». Il s’agitde la mise en œuvre de l’article 8 du décret du 11 août 1941 : « Le conseil del’Ordre désignera, parmi ceux des médecins juifs qui ne sont pas portés sur laliste notifiée par le médecin inspecteur de la santé, ceux qui devront cesser l’exer-cice de leur profession. »52. En mars 1942, le Président R. Leriche affirme,devant les représentants des instances départementales : « Le Conseil supérieura réglé le recensement de tous les médecins français, en vous mettant ainsi à

46. Descendant d’une lignée de médecins lyonnais, R. LERICHE est nommé en 1919 chirurgien des hôpitauxde Lyon, avant de devenir titulaire de la chaire de clinique chirurgicale de l’université de Strasbourg. Il estcandidat à la chaire de médecine du Collège de France, travaillant avec les physiciens P. LANGEVIN etG. ROUSSY, avant de revenir à Lyon, avec l’armistice de 1940. Nommé président en octobre 1940, il démis-sionne de ses fonctions le 28 décembre 1942 à l’occasion des premières élections, et c’est le ProfesseurL. PORTES qui lui succède. Marginalisé, mais pas condamné, à la Libération, il finit sa carrière comme chefde service à l’Hôpital américain de Paris.47. Décret du 30 oct. 1940, JO 31 oct. 1940, p. 5487, nommant, sur rapport du ministre de l’intérieur leprésident de l’Ordre et les onze membres du conseil national.48. R. LERICHE, Souvenirs de ma vie morte, Le Seuil, 1956.49. Dirigé par X. VALLAT.50. Précité.51. Voir note 21.52. B. VERGEZ, précité.

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même d’éliminer les indésirables »53. L’action du successeur, le ProfesseurL. Portes, premier président élu après la réforme du 10 septembre 1942, s’inscriten continuité.

III – L’Ordre dans la République

L’Ordre actuel a été créé en septembre 1945, et sa légalité est incontestable(A). Il est juridiquement indépendant de l’œuvre de Vichy, mais pourtant cepassé a du mal à être assumé (B).

A – Une légalité incontestable

Le Comité Français de Libération Nationale, conscient du rôle nocif del’Ordre, réagit dès le 18 octobre 1943 et prononce par décret l’annulation del’élection du Professeur L. Portes. Le Professeur Coutela est chargé d’assurerl’intérim jusqu’à ce que soit adopté un nouveau statut législatif.

À Paris, le premier acte public de résistance54 de l’Ordre des médecins datedu 8 juillet 194455. Alors que la Kommandantur de Paris vient de publier unarrêté imposant que tout blessé civil lui soit signalé, le Conseil national del’Ordre, sous la signature de son président L. Portes réplique par une déclarationrappelant les exigences du secret professionnel : « Le Président du Conseil del’Ordre des Médecins se permet personnellement de rappeler à ses confrèresqu’appelés auprès de malades ou de blessés, ils n’ont d’autre mission à remplirque leur donner leurs soins, le respect du secret professionnel étant la conditionnécessaire de la confiance que les malades portent à leur médecin. Il n’est aucuneconsidération administrative qui puisse nous en dégager ».

Paris est libéré le 25 août 1944, et l’Ordre dissous le 27. Une ordonnancedu 12 octobre 1944 institue un Ordre provisoire, qui ne se réunit qu’une seulefois, en février 1945, sous la présidence du Professeur Coutela. L’Ordre desmédecins est créé par une ordonnance du 24 septembre 194556, qui reste la basedu texte actuel, le Conseil de l’Ordre ne manquant pas une occasion de préciserque M. Billioux, le ministre de la santé, signataire de l’ordonnance, était membredu parti communiste, comme s’il s’agissait d’un brevet républicain57.

53. B. VERGEZ, précité.54. La Résistance s’était organisée, loin de l’Ordre, avec la création en 1942 du Service de santé nationalde la Résistance, puis du Comité national des médecins, qui fusionnèrent dans le Comité médical de laRésistance. R. GUILLET, La santé en bon ordre, Libération, 20 mai 1987 p. 18. R. GUILLET, ancien chef desservices de santé du Maquis était vice-président des Hospices Civils de Lyon.55. Le débarquement allié a eu lieu le 6 juin ; le dernier conseil des ministres à Vichy date du 12 juillet.56. Pour les pharmaciens : ord. du 5 mai 1945. Le premier code de déontologie médicale est édicté par ledécret n° 47-1169 du 27 juin 1947.57. Actuellement, Art. L. 4121-2 du code de la santé publique. Sur un aspect méconnu, l’épuration au seinde l’Ordre : CE 4 janv. 1952, D. 1952, p. 304, concl. DELVOLVÉ.

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B – Une histoire mal assumée

Force est de constater que l’Ordre n’a jamais su comment faire face à cepassé pesant qui, juridiquement, n’est pas le sien58. En 1954, P. Cibrié dénonceune structure marquée par son antisyndicalisme en faisant référence à la périodede Vichy : « C’est, à n’en pas douter, dans cette sorte d’imprégnation congénitalequ’il faut chercher les causes d’un état d’esprit qui se perpétue et risque d’amenerun jour prochain quelques vives réactions ». La déclaration du Président L. Por-tes du 8 juillet 1944 est devenue célèbre par le fait de l’Ordre, qui a choisi dela graver dans le marbre et de l’exposer dans le hall d’accueil de son siège natio-nal, témoignant de la nécessité d’un affichage, face à tant de questions, et éta-blissant une continuité morale entre l’Ordre de Pétain et celui de la Libération,en dépit de l’absence de continuité juridique.

En 1997, en marge du procès Papon, plus de cinquante ans plus tard,l’Ordre des médecins s’est autorisé une très curieuse repentance, affirmant toutà la fois qu’au nom de la communauté médicale il ne pouvait que « regretter,désavouer avec gravité et humilité les actes qui ont été à l’origine du drame quecertains confrères et leurs familles victimes de la barbarie ont vécu », mais qu’iln’y avait « pas de continuité entre l’Ordre des médecins institué par l’État fran-çais et celui d’aujourd’hui, qui l’avait remplacé à la Libération »59. La présen-tation officielle de l’historique, accessible sur le site de l’Ordre des médecins estun premier pas bien timide : « Il faut constater à l’évidence que le Conseil del’Ordre, pris dans l’étau de Vichy n’a jamais cru devoir protester contre lesodieuses lois d’exclusion des médecins de confession israélite », pour aussitôtpréciser que les formulaires d’inscription de l’époque ne comportaient pas demention relative à l’appartenance confessionnelle ! En 1975, l’Ordre en étaitencore à se justifier, en travestissant l’Histoire : « Le but était de soustraire lesmédecins français à la tutelle d’un gauleiter délégué par l’occupant et de leuréviter de connaître des affectations qui ne seraient que des déportations dégui-sées ». Une incohérence qui témoigne d’une insuffisante analyse du droit.

58. P. CIBRIÉ, La coexistence de l’Ordre des médecins et des syndicats professionnels médicaux, Dr. Soc.1954, p. 332.59. Déclaration du 11 octobre 1997. L’Ordre des médecins répond à ses accusateurs, Bull. CNOM 1975,p. 9.

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4. La place actuelle des institutions ordinales

Résumé

Les ordres professionnels ne sont plus les acteurs centraux du monde de lasanté. Pour autant, si leur rôle s’est relativisé, devant l’émergence d’autresprocédés de régulation (I), leur spécificité n’est pas remise en cause. Aucontraire, les institutions ordinales apparaissent comme une ressourcepour l’avenir (II).

I – Un instrument de régulation parmi d’autres

Qu’il plaise ou qu’il ne plaise pas, l’Ordre des médecins a pris racine dansle monde de la santé60. S’il fût un temps où il pouvait rayonner, occupant seull’essentiel du paysage, il n’est plus aujourd’hui qu’un arbre parmi la forêt.

Le droit de la santé a été marqué par l’émergence de maints conseils, comi-tés, agences, conférences, autorités, établissements Sous toutes les formes nais-sent, et parfois prospèrent, des structures à la croisée des chemins, entre la santé

60. Thèses : Ph. BLAYS, La fonction disciplinaire dans les ordres professionnels, Rennes, 1949 ; J. BERTON,Les Ordres professionnels, Paris, 1951 ; C. DELAHOUSSE, L’inscription et la discipline dans les ordres pro-fessionnels, Lille, 1959 ; M. LASCOMBE, Les ordres professionnels, Strasbourg, 1987. Doctrine de référence :E. ALFANDARi, Faut-il au nom des droits de l’homme, supprimer l’Ordre des médecins, RTDSS 1977, p. 1 ;J.-M AUBY, Le pouvoir réglementaire des Ordres professionnels, JCP 1973, 2545 ; J.-L. BONNEFOY, Lemalade, le médecin et l’Ordre, RFDA 1973, p. 497 et 623 ; J.-P. BUFFELAN, Étude de déontologie comparéedans les professions organisées en ordres, JCP 1962, 1695 ; J. BRÈTHE DE LA GRESSAYE, Le pouvoir juridic-tionnel des Ordres professionnels ; Dr. Soc. 1955, p. 597 ; C. CAMPREDON, L’action collective ordinale,JCP 1979, 2943 ; C. DURAND et L. DUBOUIS, La profession médicale devant le juge administratif, D. 1958,Chron. p. 127 ; L. DUBOUIS, L’Ordre des médecins à nouveau en question, Mélanges Jean Savatier, 1992p. 191 ; J.-F. FLAUSS, Vers une évolution du contentieux disciplinaire devant la juridiction ordinale, Gaz.Pal 1982, 1, doct. 338 ; M. LASCOMBE, Les ordres professionnels, AJDA 1994, p. 855 ; R. ODENT, Lecontrôle du Conseil d’État sur les ordres professionnels, Arch. Philo. Droit, 1953, p. 109 ; R. PUISSOYE, Lecontrôle de l’activité administrative des ordres professionnels, AJDA, 1963, 1, 201 ; R. SAVATIER, La juri-diction disciplinaire des ordres professionnels, Épreuve vécue d’un pouvoir disciplinaire organisé à l’inté-rieur d’une profession, Mélanges Brèthe de la Gressaye, p. 733 ; P. SCHULTZ, Le Conseil d’État et lespouvoirs de l’Ordre des médecins, RDP 1976, p. 1425 ; du même auteur, L’Ordre des médecins et sondevenir, Conc. Méd. 1981. p. 7638 ; J. WALINE, Les Ordres professionnels en France, Ann. Fac. Strasbourg,T. 32, p. 53 ; Conseil d’État, Réflexions sur le droit de la santé, Rapport public 1998, La documentationfrançaise.

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et le droit, entre l’État et les citoyens. Haute Autorité de Santé61, Haut Conseilde santé publique62, Comité consultatif national d’éthique pour les sciences dela vie et de la santé63, Conférence nationale de santé64, Agence de la bioméde-cine65, Institut national de prévention et d’éducation pour la santé66, Institut deveille sanitaire67, Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé…De toutes parts, on veille sur la santé et les principes de la médecine… La missionordinale reste inchangée, mais ces nouvelles institutions lui font de l’ombre, etrognent ses compétences : les interrogations éthiques sont happées par le Comitéconsultatif national d’éthique, les comités locaux prennent forme légale comme« espace de réflexion éthique »68, les comités consultatifs de protection despersonnes dans la recherche biomédicale69 acquièrent un rôle central dans lecontrôle de la recherche médicale, les commissions de relations avec les usagersdeviennent les maîtres d’œuvre de la médiation médecin/malade, le contentieuxdu contrôle technique70 se charge du respect des lois sociales par les médecins,la Haute Autorité de Santé définit « le bon usage des soins et les recommanda-tions de bonnes pratiques »71 et c’est elle qui est chargée de l’évaluation desmédecins72.

Sur un autre plan, la loi, de plus en plus, définit les règles déontologiques :consentement, prise en charge de la douleur, fin de vie, droits des patients,pratiques professionnelles… Pour finir le tout, la jurisprudence civile, adminis-trative ou pénale, saisie des situations les plus complexes, se prononce sur lavie, la mort, la dignité, l’humanisme médical73… De telle sorte que doit êtreposée la question de l’utilité de l’Ordre des médecins. Ce, d’autant plus, quecelui-ci peine à se faire entendre : des médecins, de l’opinion, et des pouvoirspublics74.

61. Art. L. 161-37 CSS.62. Art. L. 1411-4 CSP.63. Art. L. 1412-1 CSP.64. Art. L. 1411-1-1 CSP.65. Art. L. 1418-1 CSP.66. Art. L. 1417-1 CSP.67. Art. L. 1413-2 CSP.68. Art. L. 1412-6 CSP, issu de la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique.69. Art. R. 2001 CSP.70. Art. L. 145-1 CSS.71. Art. L. 161-37 al. 2 CSS.72. Les médecins libéraux sont eux aussi concernés : Art. L. 4133-1-1 CSP. L’Ordre, en 1998, avaitrevendiqué cette compétence. Voir titre 2, chap. 1. Dans la logique de la loi n° 2002-303 du 4 mars2002, la Haute Autorité en Santé proposera au Ministre de la santé, en vue d’une future homologation,des recommandations sur la délivrance de l’information médicale aux patients. V. Arr. 5 mars 2004portant homologation des recommandations de l’ANAES sur l’accès à l’information médicale : JO17 mars 2004.73. S. BOUSSARD, Comment sanctionner la violation du droit à l’information de l’usager du système desanté ? RDP 2004, p. 169 ; J. CLERKX, Une liberté en péril ? Le droit au refus de soins, RDP 2004, p. 139 ;A. PORTHAIS, L’accompagnement de fin de vie et le droit médical, JCP 2004, I, 130.74. La réforme de l’Ordre des médecins, tant attendue, et saluée par lui comme une étape majeure a été lefruit de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002. Trois ans plus tard, les décrets d’application n’ont pas été signés.

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II – Un modèle à nouveau tourné vers l’avenir

L’Ordre des médecins a su gérer des évolutions salutaires (A) et le modèleordinal a de nouveau le vent en poupe (B).

A – L’évolution de l’Ordre des médecins

N’en doutons pas : l’institution, loin de l’idéal75, a progressé. Personne nepeut nier le rajeunissement, la féminisation, l’ouverture au public, ou l’implica-tion dans les grandes questions sociales, même si le mouvement pourrait êtreplus avancé. Les instances, nationales ou locales, sont sollicitées sur mille sujets,et le président du conseil départemental est l’un des interlocuteurs préférés despatients qui hésitent à engager un recours et qui, d’abord, cherchent à compren-dre. Les structures similaires – regroupement obligatoire de tous les médecinset respect d’une déontologie commune – existent dans la plupart des pays. EnEurope, deux associations fédèrent les énergies : la Conférence européenne desOrdres76, et le Comité permanent des médecins européens, créé en 1959, et quiest un organe de concertation et de consultation auprès des instances de l’Unioneuropéenne.

Le bilan ordinal, il est vrai, n’est pas négligeable. Alors qu’au cours desannées 1970, il était devenu partie prenante des plus vifs débats de société,assumant volontiers les postures du réactionnaire accompli, alors que sa dis-solution était annoncée comme un objectif politique, alors qu’une part impor-tante de la population médicale le contestait ouvertement, l’heure est à larénovation et au renforcement des structures77. Né au cours d’évènements quile dépassait, handicapé par une structure juridique incertaine, grandissant ens’affirmant comme un bastion réactionnaire, l’Ordre des médecins a, à la sur-prise générale, pris sa place dans un monde sanitaire qui n’a pas été conçu pourlui. Il est devenu un interlocuteur incontournable, fût-ce au nom de la seulerecherche de la paix sociale. Quelles que soient les critiques et les insuffisances,il reste irremplaçable sur deux points : il regroupe l’ensemble des médecins, etexerce sur eux le contrôle disciplinaire.

75. Passé les périodes troublées de l’histoire, le risque pour les institutions ordinales est la dérive lente versle corporatisme. « Dans ces garanties, il y a le meilleur et le pire, car des règles destinées à protéger lepatient peuvent se transformer en simple procédé propre à maintenir les situations acquises. » J. FOURNIER

et N. QUESTIAUX, Traité du social, Dalloz, 1984.76. L’association publie un texte de référence, adopté le 6 janvier 1987, dont le libellé s’est approprié leterme d’éthique : « Principes d’éthique européenne. »77. C’est la cas dans toutes les professions qui connaissent une structure ordinale : médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, pharmaciens, vétérinaires, architectes, experts-comptables, géomètres-experts,mais aussi avocats. Les officiers ministériels – notaires, huissiers, commissaires-priseurs – bénéficient destructures proches.

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L’Ordre des médecins est un bon modèle pour l’analyse critique78. Leshuit grands ordres professionnels nationaux79 répondent à un régime juridi-que commun : adhésion obligatoire, élections des instances, structure pyra-midale, centralisation des recours, contrôle des juridictions de droit communau niveau de la cassation80. Étudier l’Ordre des médecins, c’est s’intéresserau modèle commun. Ses principes constitutifs – l’élection de toutes les ins-tances et l’action par des décisions soumises à recours – offrent un avantageindiscutable sur toutes les instances qui font désormais le paysage de la santépublique, mais qui souffrent de ne procéder que de nominations et de nerendre que des avis81.

B – Le renouveau d’intérêt pour les instances ordinales

Les autres professions de santé manifestent leur intérêt. Les masseurs-kinésithérapeutes et les pédicures-podologues viennent d’obtenir du législa-teur, après des années de démarches, une organisation en Ordre82, et la ques-tion ordinale est une revendication de la profession infirmière. Ce renouveaud’intérêt s’inscrit sur le fond d’une crise des structures collectives, de typemilitant, et le syndicalisme médical n’échappe pas au sort général, la pre-mière donnée étant l’écroulement des effectifs. Par ailleurs, après les « annéeséthiques », c’est le retour de la déontologie, cette très palpable science desdevoirs83. Ainsi, dans un monde socio-économique ressenti complexe etincertain, le regroupent ordinal devient un idéal, du seul fait de son aspectfédérateur.

78. J.-L. BERGEL (Dir.) Droit et déontologies professionnelles, Librairie Univ. Aix-en-Provence, 1997 ;J. MORET-BAILLY, Les déontologies, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2001 ; même auteur : Les insti-tutions disciplinaires, Mission de recherche droit et justice, coll. Arrêt sur recherches, 2003 ; J. KINSALE,Responsabilité médicale : La réforme du conseil de l’Ordre, Décision santé, n° 58, 1er avr. 1994, p. 10 ;J.-P. MARKUS, Les juridictions ordinales, LGDJ, 2003.79. Note 74.80. Avec des particularités remarquables : l’Ordre des vétérinaires est soumis au contrôle de la Cour decassation, et celui des architectes placé sous l’autorité du ministre.81. P. VILLENEUVE, La Haute Autorité de Santé : vers une nouvelle gouvernance du système de santé ? D2004, Chron. p.1139 ; JCP 2005, Actu., 1. Sur les autorités indépendantes : J. PRALUS-DUPUY, Réflexionssur le pouvoir de sanction disciplinaire reconnu à certaines autorités indépendantes, RFDA 2003, p. 554.Conseil d’État, Les autorités administratives indépendantes, Rapport public, Paris, La documentation fran-çaise, Études et documents, n° 52, 2001, p. 362. V. aussi : P. BOURETZ, La force du droit, panorama desdébats contemporains, Esprit, 1991, p. 14 ; C. EMERI, Gouvernement des juges ou veto des sages, RDP1990, p. 386 ; L. COHEN-TANUGI, Le droit sans l’État, PUF, 1987 ; Sur la responsabilité : CE, 31 mars2003, Min. économie c/ Laboratoire pharmaceutiques Bergoderm, note D. CHAUVAUX : La responsabilitéde l’État du fait des recommandations d’un organisme consultatif.82. Art. L. 4391-3 et L. 4322-6 CSP, issus de la loi n° 2004-806 du 9 août 2004.83. Retour déjà analysé par L. DUBOUIS, dans « Déontologie et santé », Rapport du colloque organisé parl’Association Française de Droit de la Santé le 25 octobre 1996, Sirey, 1997 ; G. LIPOVETSKY, Le crépusculedu devoir. L’éthique indolore des nouveaux temps démocratiques, Gallimard, 1992. L’adoption d’un Codede déontologie devient un signe de reconnaissance sociale : Décret n° 86-592 du 18 mars 1986, portantcode de déontologie de la police nationale.

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L’Ordre des médecins doit être analysé en tant qu’institution vivante, dontl’avenir est assuré84. Pour S. Romano85, « tout ordre juridique est une institutionet inversement, toute institution est un ordre juridique : il y a, entre ces deuxconcepts, une équation nécessaire et absolue ». L’institution ordinale s’inscritdans le phénomène des ordres juridiques « dérivés » ou « secondaires », que laloi autorise. Dès lors la question est celle des rapports créés, analysée à partirde la notion de « relevance juridique », qui se définit comme le fait « que l’exis-tence, le contenu ou l’efficacité d’un ordre soit conforme aux conditions misespar un autre ordre ; cet ordre ne vaut pour cet autre ordre juridique qu’à untitre défini par ce dernier ». L’Ordre des médecins se justifie par son apport àla société, et se légitime par son inscription dans les principes du droit.

84. Le texte de base est l’ordonnance n° 45-2184 du 24 sept. 1945, qui a connu plusieurs aménagements dedétails : lois n° 49-757 du 9 juin 1949, n° 51-443 du 19 avr. 1951, n° 67-893 du 12 oct. 1967, et n° 72-660du 13 juil. 1972. Le texte d’application est le décret n° 48-502 du 24 mars 1948, modifié par le décret n° 53-1001 du 5 oct. 1953. Le cadre nouveau résulte du chapitre III, art. 62, de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002,mais la seule mesure d’application est le décret n° 2004-1445 du 23 déc. 2004, qui ne traite que de la sus-pension d’exercice pour troubles de santé. L’ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 apporte une sériede précisions ponctuelles, qui permettent d’envisager la publication des décrets d’application. Le premier codede déontologie a été publié sous la forme d’un règlement d’administration publique n° 47-1169 du 27 juin1947. Ont suivi les décrets n° 55-1591 du 28 nov. 1955, n° 70-506 du 28 juin 1979 et n° 95-1000 du 6 sept.1995. Les textes actuels figurent aux articles L. 4121-1 à L. 4127-1, et L. 4131-1, ainsi que R. 4122-1àR. 4127-112 du même code, les articles R. 4127-1s. constituant le code de déontologie.85. S. ROMANO, L’ordre juridique, Dalloz, 1974 ; aussi : H. KELSEN, Théorie générale du droit et de l’État,1945, Bruylant-LGDJ, 1997 ; R. CARRÉ DE MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’État, 1920,CNRS 1992 ; L. DUGUIT, L’État, le droit positif et la loi positive, 1901 ; J. CHEVALIER, L’État de Droit,RDP 1988, p. 344 ; même auteur : L’ordre juridique, in Le droit en Procès, PUF, 1983 ; P. BOURDIEU, Laforce du droit, Actes de la recherche en sciences sociales, 1986, n° 64, p. 5.

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5. La notion de déontologieRésumé

Parce qu’elle n’a de valeur qu’au sein du groupe, la déontologie est unerègle de nature interne (I), mais elle connaît tous les éléments de la règle dedroit (II).

I – Une réglementation interne

L’institution ordinale est, par nature, une structure d’exception : elle ins-taure une réglementation interne à un groupe (A), et ajoute un mécanisme desanction complémentaire du droit pénal (B).

A – L’attachement à un savoir propreLa discipline, expression sanctionnatrice de la règle interne, trouve son

champ d’application soit à l’intérieur d’une profession, soit à l’intérieur d’ungroupement dont les enjeux justifient l’existence d’un corps de règles spécifiques,adaptées à l’objet de ce groupe86. Le droit disciplinaire se définit ainsi commel’ensemble des règles propres à une profession ou à un groupement, cette régle-mentation fondée sur le droit commun s’enrichissant de règles spécifiques. Ledroit disciplinaire organise la mise en œuvre de ces règles internes par le moyend’une action contentieuse qui elle-même est d’ordre interne. Selon l’expressiond’A. de Laubadère « la répression disciplinaire est liée à la profession à la foisen ce qui concerne la nature du motif qui la provoque et la nature de la sanc-tion »87. Dans ses conclusions prononcées dans le cadre de l’affaire Debout,jugée par le Conseil d’État le 27 octobre 1978, le commissaire du GouvernementD. Labetoulle résumait : « le droit disciplinaire est l’expression d’une disciplineintérieure à un groupe et assumée par ce groupe »88.

B – L’opposition avec le droit pénalL’opposition avec le droit pénal est sur ce point cardinale : les règles dis-

ciplinaires comme les règles pénales ont pour objet de faire régner un certain

86. J. BRETHE DE LA GRESSAYE, La discipline dans les entreprises, les syndicats et les professions organisées,in Déontologie et discipline professionnelle, Archives de philosophie du droit, 1953-1954, p. 76.87. Traité de droit administratif, LGDJ, 7e éd. 1980.88. CE, Debout, 27 oct. 1978, Rec. p. 395, infra.

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ordre. Les premières intéressent la société tout entière, et le jugement pénal estrendu au nom et sous le regard de la société, de telle sorte que les enseignementsà tirer aient valeur générale. Les secondes, même si elles ne se situent pas enautonomie juridique, ne doivent être appréciées qu’au regard des valeurs propresdu groupement ou de la profession89. Si le manquement aux règles internes aune répercussion sociale, celle-ci sera susceptible d’être sanctionnée par les juri-dictions de droit commun90.

Le Conseil d’État, s’agissant de la notion de faute professionnelle, consi-dère que « la juridiction ordinale est en droit de tenir compte de tout fait, mêmenon pénalement sanctionné, qui, en raison de sa nature, et de sa gravité, estcontraire aux devoirs professionnels : qu’au nombre de tels manquements figurele fait pour un pharmacien-biologiste de méconnaître la nomenclature des actesprofessionnels ». Le droit disciplinaire s’inscrit dans une logique directive, cher-chant à faire prévaloir la loi commune du groupe avec cette menace permanentequ’est l’exclusion du groupe. Il se différencie de la donnée fondamentale dudroit, le principe de liberté : le droit n’a pas pour objet de diriger les consciences,mais de sanctionner les comportements anti-sociaux. En reconnaissant certainesrègles, le droit promeut un consensus social ; en sanctionnant des comporte-ments contraires à l’intérêt social, il incite à respecter la règle commune. La règledisciplinaire, à ce titre, se distingue nettement. Elle vise la cohésion du groupeet fonde son autorité sur la force que le groupe reconnaît à ses règles internes.En matière ordinale, ce sentiment est complété par le caractère obligatoire del’appartenance, et la mission d’intérêt public conférée par la loi91. La règle dis-ciplinaire, se caractérise ainsi par son caractère globalisant. R. Savatier a décritles ordres professionnels comme des « républiques particulières »92.

L’esprit de cette fonction ordinale se retrouve de manière un peu inattenduesous la plume de Cicéron, qui développait l’idée d’une loi vraie, qui appelle lescitoyens à remplir leurs fonctions : « Il existe une loi vraie, c’est la droite raison,conforme à la nature, répandue dans tous les êtres, toujours d’accord avec elle-même, non sujette à périr, qui nous appelle impérieusement à remplir notre fonc-tion, nous interdit la fraude et nous en détourne. À cette loi, nul amendementn’est permis. Il n’est licite de l’abroger ni en totalité, ni en partie. (…) Qui n’obéit

89. La compétence juridictionnelle ordinale est liée à l’appartenance à l’Ordre. La démission met fin à uneinstance disciplinaire. Infra : l’inscription à l’Ordre ou la citoyenneté ordinale.90. CE l8 nov. 1999, req. n° 191630, Guiton, Dict. Perm. Bioéth. Biotechn., Bull. n° 87, 8 mars 2000,p. 8834.91. CE Ass. 31 juillet 1942, Monpeurt, Rec. p 239 ; D. 1942, p. 138, concl. SÉGALAT, note P. C. ; RDP1943, p. 57, concl. SÉGALAT, note BONNARD ; JCP 1942 II, 2046, concl. SÉGALAT, note P. LAROQUE ; GAJA,11e éd. Dalloz, n° 61. Les principes établis par l’arrêt Bouguen à propos des organismes privés chargé d’unservice public développés un an plus tard à propos de la compétence des Ordres professionnels, et enparticulier de l’Ordre des médecins : CE. Ass., 2 avr. 1943, Bouguen, Rec. p. 86 ; S 1944.3.1, concl.LAGRANGE, note MESTRE ; D. 1944. p. 52, concl. LAGRANGE, note DONNEDIEU DE VABRES ; JCP 1944, II, 2565,note CELLIER.92. Expression célèbre du Doyen SAVATIER. Sujet de sa thèse de doctorat : « Des effets et de la sanction dudevoir moral en droit positif français », Poitiers, 1916.

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pas à cette loi s’ignore lui-même et, parce qu’il aura méconnu la nature humaine,il subira par ceux là mêmes, le plus grand châtiment, même s’il échappe auxautres supplices »93.

Le droit commun, qui marque la limite du droit disciplinaire, constitue lacondition de son existence : ce droit interne n’est légitime que s’il s’inscrit dansl’État de droit. Le droit disciplinaire, au service de la cohésion du groupe, connaîtdifférents modes d’élaboration, et d’abord par les délibérations d’ordre généralet des décisions administratives94. Mais cette norme resterait incertaine, si ellen’était pas assortie des procédés de sanction. Ainsi, le droit disciplinaire s’inscritdans les analyses les plus constantes du droit95. De telle sorte, il regroupe deuxobjets : l’un, immédiat, est d’assurer la répression disciplinaire ; l’autre, induit,est de préciser le contenu de la déontologie96.

II – Une vraie règle de droit

La déontologie, science des devoirs s’est imposée comme référence juridi-que (A), qui prend place entre l’éthique et le droit (B).

A – Un droit affirmant des devoirs

C’est sous la plume du philosophe anglais J. Bentham (1748-1832) qu’estapparu pour la première fois, en 1793, dans l’« Essai sur la nomenclature et laclassification des principales branches d’art et science », le mot de déontologie97.Avec J. Bentham, l’éthique reçoit le nom plus expressif de « déontologie »98,qu’il définit comme la science des devoirs. B. Hoerni relève : « Comme beaucoupd’autres mots qui enrichissent notre langue, déontologie vient de l’étranger, dou-blement : d’une langue ancienne et d’une langue contemporaine. C’est le philo-sophe anglais utilitariste Jérémy Bentham 1748-1832 qui le forge à partir dedeux racines grecques désignées : “discours sur les devoirs”. Il l’introduit enfrançais par la traduction de son essai sur “la nomenclature, la classificationdes principales branches d’art et science”, publié en 1825 où il écrit : “L’éthique

93. CICÉRON, De la République, Garnier Flammarion, Paris, 1965.94. Le pouvoir réglementaire de l’Ordre des médecins, J.-M. AUBY, précité.95. « Ce qui importe pour qu’il y est droit, ce n’est pas que le respect de la règle soit obtenu, c’est qu’il existequelques pouvoirs coercitifs pour contraindre également tous les hommes à l’exécution de leur convention »HOBBES, Léviathan, 1re partie, chap. 15.96. Voir E. CAUSIN : « La discipline conçue comme système de sanction du non respect de la déontologierappelle évidemment le panoptisme de Bentham. La discipline complète, par la contrainte physique, l’œuvreaccomplie par la déontologie sur la conscience. La déontologie indique le droit chemin et la disciplineremet les égarés sur la route », La logique sociale de la déontologie, in Actualité de la pensée juridique deJeremy Bentham, Faculté Universitaire Saint-Louis, 1987, cité par J. MORET-BAILLY, Les déontologies,PUAM, 2001.97. Dans son ouvrage Les déontologies, J. MORET-BAILLY écrit : « L’objectif que Bentham fixe à la déon-tologie est la recherche du bonheur », p. 19.98. De la nécessité d’une déontologie, Revue française de comptabilité, 1970, n° 104 p. 709.

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a reçu le nom plus expressif de déontologie”. Le sens des mots n’est pas figé :l’éthique se distingue plus en plus de la morale comme science ou réflexion surla morale ; la déontologie correspond à un ensemble de devoirs et de règles »99.

Pour G. Vedel, la déontologie représente l’expression juridique des moraleset techniques d’une profession qui, en raison de sa nature ou de son importance,des liens spécifiques qui relient ses membres entre eux et avec le public, doit êtreorganisée. Dans leur traité de droit médical, R. et J. Savatier, J.-M. Auby etR. Péquignot affirment que « au sens strict, la déontologie médicale est l’étudedes devoirs qui incombent aux médecins dans l’exercice de leur profession »100.Cette approche est reprise par J.-M. Auby101 : « Au sens traditionnel, la déon-tologie médicale correspond à l’ensemble des devoirs qui incombent au médecindans l’exercice de sa profession ».

La déontologie regroupe l’ensemble des devoirs imposés à l’individu dansle cadre de sa profession102. Ces devoirs sont de nature morale : loyauté, intégrité,honneur, probité…103 notions larges dont la juridicité n’est pas toujours évidente.L’instance disciplinaire devient ainsi le lieu privilégié où s’affirme la déontologie,passant du sens du devoir au domaine du droit.104 La marge d’interprétation lais-sée au juge est alors considérable, ce qui d’emblée pose la question du juge dis-ciplinaire. Mais le juge, saisi, est tenu de statuer. C’est à lui de dire la déontologiedans une notion extrêmement large que lui produisent les textes. En cela, le jugepermet d’avancer dans l’affirmation du droit, ce qui est en matière disciplinairela reprise d’un phénomène bien étudié. La déontologie, aux confins de la morale,dépasse le cadre disciplinaire pour devenir une norme spécifique105.

B – La déontologie, entre l’éthique et la loi

C’est à partir d’une juste définition de l’éthique (1) que se dessine la complé-mentarité (2).

99. B. HOERNI, Éthique et déontologie médicale, 2e éd. 2000, Masson.100. J.-P. ALMERAS et M. PEQUINOT soulignent : « La première remarque à faire sur la règle déontologiquemédicale est de souligner qu’il s’agit d’une règle de droit ». Traité de droit médical et hospitalier, Litec.101. Fascicule du Traité de Droit médical et hospitalier consacré à l’Ordre de médecins, précité.102. Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit sous la direction de A.-J. ARNAUD,2e édition, voir Déontologie.103. Il a fallu attendre la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 pour qu’apparaisse la notion de compétence.Pourtant, le premier devoir n’est-il pas d’être compétent ?104. Voir. M. DELMAS-MARTY, Le flou du droit, PUF, 1986 ; G. TIMSIT, Sur l’engendrement du droit, RDP1988, p. 39 ; J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, Dalloz, 2e éd., n° 185.105. Voir : Cass. 3e civ., 6 oct. 1998 et Cass. 1re civ. 13 oct. 1998 ; CE, 8 nov. 1999, Guiton req.N° 191630 ; CE, 3 déc. 1999, Leriche req. N° 195512 ; Cass. 3e civ., 6 oct. 1998 ; Cass. 1re civ., 13 oct.1998, RTD civ. 1999, p. 393, note J. MESTRE. Également Ch. Byk, Bioéthique : législation jurisprudence,et avis des instances d’éthique, Chronique d’actualités, JCP 2001, 253 ; Ch. RADÉ, Quelques mots sur ladéontologie, DDS n° 1, p. 60. G. DEVERS, L’avenir par la déontologie, DDS, n° 1 p. 7 ; J. PETIT, Déonto-logie et organisation des professions de santé, RTDSS, 2002, p. 38.

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1 – L’éthique

Les relations de l’éthique et de la déontologie ont pris un tour enveniméavec, pour toile de fond, de considérables enjeux institutionnels et pratiques.Dans cette bataille, l’éthique, légitimée par les interrogations de la bioéthique,a, dans le courant des années 1980 connu un net ascendant. Mais l’éthique, asouffert d’utilisations abusives106 et aujourd’hui, la déontologie connaît unretour en force107.

L’éthique, du grec « éthos », se définit comme la science des morales108.Orientée vers la recherche fondamentale, elle analyse les principes qui fondentles morales. L’éthique est aussitôt querellée pour ce défaut d’affirmation109.La définition des notions d’éthique et de morale est ainsi abordée dansl’ouvrage « Principes d’éthique médicale »110 : « À l’origine, les deux termessont très proches : le premier vient du grec “éthos” le second du latin“mores” ; les deux désignaient les bonnes mœurs et la bonne conduite. Mais,au fil du temps, leurs connotations se sont différenciées, même si, dans lapratique, ces termes sont souvent confondus. L’éthique appartient davantageau monde des idées qu’à celui des grandes orientations. Elle essaie d’apporterune justification théorique aux principes d’actions. Dans sa profession, lemédecin se soumet à un code éthique plus strict que les autres citoyens. L’éthi-que définit les valeurs humaines. La morale s’inscrit dans la réalité et s’inspiredes faits récusés observés pour préconiser des règles et des principes de bonneconduite ».

L’éthique a pour fonction l’analyse de ce fonds commun, qui permettrade situer les démarches individuelles. La morale, expression des valeurs d’ungroupe social, à une époque donnée, a pour sanction la conscience personnelle.

106. Les codes d’éthique d’entreprise, écrit J.-P. LE GOFF, proposent des valeurs qui, « quand elles nesont pas simplement confondues avec l’exposé de la politique suivie par l’entreprise en matière de gestiondes ressources humaines et de stratégie commerciale, sont d’une grande généralité : honnêteté, franchise,loyauté, confiance et respect mutuel… Ces projets et ces chartes donnent ainsi une image de l’entreprisecomme un lieu de haute moralité, composé d’hommes et de femmes au cœur pur agissant dans la trans-parence la plus totale ». Le sacre de l’entreprise, in La politique en France, p. 123, Esprit. À lire :M. BRUSLERIE, Éthique, déontologie et gestion de l’entreprise, Economica, 1992 ; J.-F. DAIGNE, L’éthiquefinancière, PUF, 1997 ; Ch. HANNOUN, La déontologie des activités financières : contribution aux recher-ches actuelles sur le néocorporatisme, RTD com., 1989, p. 417 ; C. LAVIALLE, De la déontologie bour-sière, Réflexion sur la renaissance du droit professionnel, in Déontologie et droit, Presses de l’IEP deToulouse, 1994, p. 164 ; M.-N. DOMPÉ, Les règles de bonne conduite, in La modernisation des activitésfinancières, Éd. Joly, 1996, p. 205 ; R. SALOMON, Le pouvoir de sanction des autorités administrativesindépendantes en matière économique et financière, Conformité aux garanties fondamentales, JCP 2000,I, 264 ; V. BLEHAUT-DUBOIS, À l’école des chartres, AJDA 2004, p. 2431 ; M. CONTAMINE-RAYNAUD, LaCommission bancaire, autorité et juridiction, Mélanges, R. PERROT, p. 407.107. Le philosophe M. SERRES évoque « ce petit mot étriqué d’éthique ».108. Voir J. BERNARD.109. « L’éthique médicale, qui dicte la déontologie, n’est pas spéciale. Elle répond aux idées supérieuresqu’on appelle les “lois de l’humanité” et à des principes généraux gouvernant une société, selon sesmœurs ». B. HOERNI, précité.110. Ouvrage collectif sous la direction de H. BRUNSWICH et M. PIERSON, Vuibert.

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La déontologie, elle, regroupe des règles de nature morale, mais en prévoit lasanction afin d’en assurer le respect111. E. Durkheim analyse le passage dudevoir à la morale : « Le devoir, c’est la morale en tant qu’elle commande ;c’est la morale conçue comme une autorité à laquelle nous devons obéir, parcequ’elle est une autorité et pour cette seule raison. Le bien est la morale conçuecomme une chose bonne, qui attire à elle la volonté, qui provoque les sponta-néités du désir. Or, il est aisé de voir que le devoir, c’est la société en tantqu’elle nous impose ses règles, assigne des bornes à notre nature ; tandis quele bien, c’est la société, mais en tant qu’elle est une réalité plus riche que lanôtre et à laquelle nous ne pouvons nous attacher, sans qu’il en résulte unenrichissement de notre être ». Avec la déontologie, la morale entre dans lechamp du droit112.

2 – Déontologie et éthique

Droit, déontologie et éthique se différencient et l’utilisation erronée duterme d’éthique aux lieux et places du droit ou de la déontologie est bien regret-table. Les professions de santé, et en premier lieu la profession médicale, nepeuvent envisager leur exercice sans une réflexion sur les valeurs morales qui lefondent113. Cette morale professionnelle, nécessairement diverse, mais qui doitoser dire son nom, suppose une réflexion sur les principes éthiques sans qu’iln’y ait lieu d’affirmer l’existence d’une morale professionnelle, signifiant unepensée unique114 ;

L. Dubouis rappelle les dispositions de l’article 1er du code de déontologiede 1979 qui évoque la filiation avec les règles morales : « Les dispositions duprésent code, notamment celles qui rappellent les règles morales que tout méde-cin doit respecter, s’imposent aux médecins… ». L’auteur ajoute : « Morale pro-fessionnelle : de ces deux termes associés, on ne sait lequel a généré le plus decontroverses (…) Même si certaines de ces règles ont pour fondement une exi-gence morale, la déontologie n’est une morale qu’au sens où elle dicte des règlesde conduite que le professionnel doit observer. Sa véritable nature juridique estcelle d’une discipline professionnelle. Professionnelle, la déontologie l’est nonseulement par son objet – réglementer l’exercice de la profession – mais plusencore parce que les règles qui la constituent passent pour être largement éla-borées par la profession et sanctionnées par celle-ci ». En revanche, il incombe

111. E. DURKHEIM, L’Éducation morale, PUF. Comp. P. RICŒUR qui propose de réserver le terme d’éthiqueà l’ordre du bien et celui de la morale à l’ordre de l’obligation, impératif social : Morale, éthique et poli-tique, Pouvoirs, n° 65, 1993, p. 5.112. N. DECOOPMAN, Droit et sociologie. Contribution à l’étude des modes de régulation, in Les usagessociaux du droit, PUF, 1995.113. Rapport public 1998 du Conseil d’État « Réflexions sur le droit de la santé », La DocumentationFrançaise.114. Déontologie et professions de la santé, Dalloz, précité.

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d’inscrire cette réflexion dans les processus décisionnels, individuels ou collec-tifs115. Dès lors, la déontologie trouve sa place comme relais naturel de lamorale116. Elle marque sa spécificité en ce qu’elle accepte la sanction des devoirs,ce qui conduit à s’interroger sur son régime.

115. A. ETCHEGOYEN, La morale civique contre l’ordre moral, Le Monde, 4 nov. 1997 : « L’ordre moralest castrateur, la citoyenneté est libératrice ; l’ordre moral consacre et redouble l’ordre social ; la citoyen-neté transforme le même ordre ; l’ordre moral exténue le jugement ; la citoyenneté est l’exercice même dujugement politique ».116. B. BEIGNIER, L’honneur et le droit, LGDJ, 1995, p. 398 ; F. MARCOUX et C. DOERFLINGER, Droit médi-cal et déontologie, Dossiers médico-chirurgicaux n° 34, Maloine, 1988.

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6. De la discipline à la déontologie

Résumé

La médecine est un domaine privilégié de la réflexion déontologique, maisle champ de celle-ci est général : c’est celui de l’exigence morale confrontéeaux nécessités de l’action117. Ainsi, la déontologie se situe aux confins dela discipline et de la morale (I), mais la discipline, dans son expression laplus simple, vient en continuité (II).

I – la déontologie, une discipline marquée par l’interrogation morale

La déontologie s’exprime naturellement dans les professions organisées enordre (A), mais ce n’est pas n’est pas là un critère déterminant (B).

A – Un cadre privilégié pour les professions organisées en ordre

Sans doute, parce que soigner suppose la confiance entre deux êtreshumains, l’un affaibli par la maladie, l’autre disposant de connaissances etde moyens permettant d’influer sur le sort de son semblable, le domainemédical apparaît-il comme un champ naturel de la déontologie118. La déon-tologie concerne toutes les professions de santé organisées en ordre : outrela profession médicale, celle des chirurgiens-dentistes et des pharmaciens,des sages-femmes répondent au même modèle119. L’Ordre des sages-femmes

117. Devant la déferlante législative, M. VASSEUR en appelle à une « déontologie du législateur » : Revued’économie financière, 1991, p. 235.118. Dans son ouvrage Essai sur les déontologies en droit positif, 1996, J. MORET-BAILLY relève que lesdispositions déontologiques relatives aux professions de santé représentant près de 70 % du total des dis-positions de droit positif relatives aux déontologies écrites.119. Les textes intitulant les ordres nationaux de santé sont repris dans le code de la santé publique :– Ordre des médecins, article L. 4111-1 s CSP, code de déontologie, décret n° 95-1000 du 6 sept. 95, reprisaux articles R. 4127-1 s ;– Ordre des chirurgiens dentistes, article L. 4142-6 s CSP ; code de déontologie, article R 5015-2 s ;– Ordre des pharmaciens, article L. 5111-1 et suivants ; code de déontologie, article R 5015-1 s.

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a été modifié en 1995 en vue de renforcer son indépendance et sa cohé-rence.120

Dans le même temps, ont été créés deux ordres, celui des masseurs-kinési-thérapeutes121 et celui des pédicures-podologues, reprises fidèles du modèle del’Ordre des médecins. Ces deux ordres nationaux institués par la loi du 4 février1995 ne sont restés qu’à l’état de proclamation législative, le décret d’applicationpermettant l’organisation des élections internes n’ayant pas été édicté. Les textesont été abrogés, avant d’être repris par la loi 2002-303 du 4 mars 2002, et pré-cisés par l’ordonnance du 26 août 2005.

Dans cette famille des ordres professionnels nationaux, trouvent place ceuxdes vétérinaires122, des experts-comptables123, des géomètres-experts124 et desarchitectes125. L’examen de ces structures fait apparaître des différences nota-bles, particulièrement nettes pour les ordres des experts-comptables et des archi-tectes qui sont placés sous la tutelle directe du ministre. Dès lors, il ne s’agitplus d’organisations ordinales mais d’une structuration de la profession sousl’autorité des pouvoirs publics126.

S’agissant de la profession d’avocat127, les ordres sont des structures auto-nomes, dans le ressort de chaque tribunal de grande instance128. La professionconnaît une structure centrale, le Conseil National des Barreaux129, qui est

120. Loi n° 95-116 du 14 février 1995 incluse dans le CSP aux articles L. 4111-1 et suivants, code dedéontologie, décret n° 91-779 du 8 août 1991, inclus dans le Code aux articles R. 4127-301 s. Auparavant,l’Ordre des sages-femmes était placé sous une tutelle directe de l’Ordre des médecins, les présidences desdifférentes formations du conseil étant assurées par des médecins et la composition, assurant une placeimportante, même si elle restait minoritaire, aux médecins.121. Article L. 4321-1 s CSP.122. Article 309 et suivants du code rural ; décret n° 63-67 du 25 janv. 1996 relatif à l’organisation del’ordre ; décret n° 99-197 du 8 nov. 1990 portant règle déontologique.123. Loi n° 45-20138 du 19 septembre 1945 instituant l’Ordre des experts-comptables et des comptablesagréés, et décret n° 45-2370 du 15 octobre 1945 modifié par le décret n° 78-93 du 27 janvier 1978 et ledécret n° 78-900 du 30 août 1978 relatif au mode de fonctionnement. Voir également : G. VEDEL, De lanécessité d’une déontologie, Revue française de comptabilité, 1970 n° 104 ; P. DELANNOY, Réflexion éthi-que sur la pratique de l’expertise comptable, Malesherbes, 1992.124. Loi n° 46-942 du 7 mai 1946 instituant l’Ordre des géomètres-experts.125. Loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture instituant l’Ordre des architectes (articles 21 et sui-vants) et décret n° 77-1481 du 28 déc. 1977 sur l’organisation de la profession.126. Cette tutelle reste discrète, ce qui ne change rien à l’analyse juridique.127. Les règles de la profession d’avocat, HAMELIN et DAMIEN, régulièrement réédité.128. L. KARPIK, Les avocats. Entre l’État, le public et le marché, XIIIe-XXe siècle, Gallimard, 1995 ; J. HAME-

LIN, A. DAMIEN, Les règles de la profession d’avocat, Dalloz, 2000 ; J. DANET, Défendre, Dalloz, 2001 ;H. LECLERC, Un combat pour la justice, La Découverte, 1994 ; D. SOULEZ-LARIVIÈRE, L’avocature, Ramsay,1982 ; Vers une société de nouveaux clercs, Mélanges Bellet, Dalloz, 1991 ; M. GARÇON, Défense de laliberté individuelle, Fayard, 1957 ; J. HAMELIN, Victor Hugo avocat, Hachette, 1935 ; F. SAINT-PIERRE, Leguide de la défense pénale, Dalloz, 2e éd. 2003 ; J. MONEGER et M.-L. DEMEESTER, Profession : avocat, Dal-loz, 2001 ; R. MARTIN, Déontologie de l’avocat, Litec, 2e éd., 2001 ; J.-Cl. WOOG, Pratique professionnellesde l’avocat, Litec, 3e éd., 1993 ; P. WASCHMANN, L’image de la profession d’avocat dans la jurisprudencede la Cour européenne des droits de l’homme, Mélanges Pettiti, Bruylant 1998, p. 761 ; B. SUR, Histoiredes avocats en France des origines à nos jours, Dalloz, 1997.129. Issu de la loi du 31 décembre 1990, modifiant la loi du 31 décembre 1971, art. 21-1.

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essentiellement fédératrice130 et dont le fonctionnement reste marqué par lesdifficultés de sa création131. Le CNB est chargé d’harmoniser les règlements etusages de la profession d’avocat. Pour la Cour de cassation, cette mission impli-que nécessairement la prise de décisions de nature à mettre en accord, en lesunifiant, les dispositions essentielles des règlements intérieurs des différentsordres, afin d’éviter des disparités préjudiciables.

B – La place de la déontologie dans les professions non-organisées

L’existence d’une déontologie professionnelle n’est pas liée au regroupe-ment en ordre professionnel. L’exemple de la profession infirmière est éclairant(1), mais il n’est pas le seul (2).

1 – La profession infirmière

Les infirmiers et infirmières ne disposent pour toute représentation officielleque d’une participation au Conseil supérieur des professions paramédicales132.Une large part revendique avec insistance un regroupement professionnel. Plu-sieurs propositions de loi ont été déposées en ce sens, propositions reprenant uncalque exact de l’organisation de l’Ordre des médecins, ce qui annonçait l’échec.

La loi n° 80-527 du 12 juillet 1980, qui donne le cadre d’organisation dela profession infirmière, désormais incluse dans le code de la santé publique auxarticles L. 4311-1 et suivants, prévoit que soit instituée dans chaque région sani-taire « une commission de discipline devant laquelle sont poursuivis les infirmierset infirmières qui ont manqué à leurs obligations professionnelles ». Les décretsdéfinissant les actes professionnels ont été adoptés : décret n° 81-539 du 12 mai1981 modifié par le décret n° 93-345 du 15 mars 1993, puis le décret n° 2002-194 du 11 fév. 2002, devenu article R. 4311-1 s. CSP, relatif aux actes profes-sionnels et à l’exercice de la profession, et décret 93-221 du 16 fév. 1993, devenuarticle R. 4321-1 s. CSP, relatif aux règles professionnelles des infirmiers et infir-mières, ayant valeur de code de déontologie. En revanche, le décret qui devaitinstituer ces commissions disciplinaires n’est pas intervenu, ce alors même qu’ilne pose aucune difficulté technique. Ainsi, une loi majeure, car instituant unejuridiction professionnelle, qui aurait été l’organe disciplinaire de droit commun

130. Civ. 1re, 13 mars 2001, JCP 2001, II, 10538, note R. MARTIN. CE, 27 juillet 2001, JCP 2001, II,10596, R. Martin. Même auteur : Le règlement intérieur unifié du conseil national des barreaux en ques-tion, JCP 2004, Actualité, 675 ; V. Loi n° 2004-130 du 11 février 2004.131. Le Conseil national des barreaux, entretien avec J.-R. FARTHOUAT, D. 2001 n° 9. L’ancien bâtonnierde Paris, président du conseil national des barreaux, souligne que le Conseil national des barreaux estl’organe représentatif de la profession et qu’il se distingue ainsi de la « conférence des bâtonniers » quin’est pas institutionnelle mais consensuelle, régie par la loi de 1901.132. Décret n° 73-901 du 14 septembre 1973. À lire par ailleurs, G. DEVERS, Les institutions au service dela profession, La Revue de l’Infirmière, juin 1997 ; Le Conseil d’État s’engage, la profession doit répondre,Objectif Soins, avril 1998 ; Le collège infirmier, Médica Éditions 2000.

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des infirmiers et infirmières, reste inappliquée. Dans son rapport public 1998, leConseil d’État a stigmatisé cette situation : « l’absence de sanction des manque-ments aux règles déontologiques de la profession infirmière constitue une ano-malie qu’il conviendrait de supprimer dans les meilleurs délais. Les commissionsde discipline n’ont pu être créées et la loi reste depuis près de vingt ans, lettremorte. Cette situation est d’autant plus critiquable, que, comme dans toutes pro-fessions, la réputation de celle-ci est parfois ternie par des actes contraires auxprincipes déontologiques commis par quelques uns. Il lui serait très profitable depouvoir les réprimer. On ne peut donc que recommander aux pouvoirs publicsde prendre sans délai des règlements d’application du texte législatif précité ».

La profession n’est pas restée inerte. Dans le courant de l’année 2001, lesprincipales associations nationales infirmières se sont regroupées en une structureinter-associative destinée à assurer une meilleure maîtrise du débat, devenue leGIPSI (Groupement d’intérêt professionnel en soin infirmier), regroupant 8 gran-des associations nationales, et qui s’est élargi en 2005. Dans le même temps, a étécréé un diplôme universitaire « Droit, expertise et soin » délivré à la faculté dedroit de l’Université Lyon III133, destiné à former des infirmiers, cadres ou non, àla connaissance du droit et à la pratique de l’expertise, pour que ceux-ci puissentêtre désignés comme sapiteur ou comme expert lors d’une procédure judiciaire.

Un rapport de A.-M. Broccas, médecin inspecteur à l’Igass, avait soulignél’acuité du problème davantage qu’il n’avait proposé de solution… Un député,Ph. Nauch, saisi par le Premier ministre, a déposé au début de l’année 2000 unrapport qui se révèle être d’une particulière indigence. À l’issue de ces travauxpréparatoires imprécis, car ne reposant pas sur un principe clair, la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 a créé un « conseil » des professions d’infirmiers, masseur-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes, disposi-tions incluses dans le code de la santé publique aux articles L. 4391-1 et suivants,et restées inappliquées. Un conseil des professions paramédicales a été instituépar la loi du 4 mars 2002 au niveau de la région et procède d’élections internes,regroupant toutes les professions paramédicales libérales. Le projet initial enten-dait respecter, au sein de chaque profession, la proportion entre les libéraux, lessalariés et les agents de la fonction publique.

Les discussions se sont poursuivies entre les services du ministère et lesprofessionnels avisés, pour proposer un office des professions paramédicales neconcernant que les professionnels exerçant en libéral. Il est vrai que les grandescentrales syndicales avaient fait connaître leur opposition à cette structure ingé-rable qu’aurait été l’office des professions paramédicales, et le gouvernements’est bien volontiers abrité derrière ce refus syndical pour renoncer à un projetqui en réalité ne l’a jamais intéressé. Le point le plus avancé est l’organisationdes professionnels libéraux, et encore, rien n’a été fait.

133. Institut de formation et de recherche sur les organisations sanitaires et sociales (IFROSS).

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2 – Autres professions

Bien d’autres professions sont dotées d’une norme déontologique, maisn’en exercent pas elles-mêmes le contrôle. Notaires, huissiers134, commissairesaux comptes135 dépendent sur le plan disciplinaire des juridictions de droitcommun.

La profession de journaliste se prévaut d’une exigeante déontologie alorsque n’existent ni élaboration écrite de cette règle, ni organisme propre à la sanc-tionner136. La déontologie n’est sanctionnée que par le juge de droit commun,et dans chaque tribunal de grande instance, une chambre tend à se spécialiserpour devenir la chambre de la presse. Les organes de presse se contentent dedévelopper des structures internes, par l’institution d’un « médiateur ». Exerciceun peu court. La profession gagnerait à définir les principes de son exercice, àoser exprimer la règle déontologique et savoir instituer les organismes compé-tents et indiscutables capables de mettre en œuvre un pouvoir sanctionnateur.Le rôle décisif de la presse explique en grande partie pourquoi ces évolutionsnécessaires n’ont pu être engagées par le législateur. Mais l’actualité établit suf-fisamment que cette profession, comme d’autres, génère des situations suffisam-ment spécifiques pour qu’elle se saisisse elle-même des enjeux déontologiques etorganise la répression disciplinaire.

II – Le relais de la discipline

La discipline, dans son expression la plus simple, vient en continuité, carelle est sous-tendue par le sens du devoir. Elle trouve place au sein des profes-sions (A) ou des regroupements (B).

134. L’ordonnance du 28 juin 1945 abroge les textes vichyssois – lois du 14 octobre 1941 et du 24 février1942 – relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels ainsi que la loi n° 29-327 du29 nov. 1966 relative à la profession de notaire. G. ROUZET, Précis de déontologie notariale, 2e éd., PresseUniversitaire de Bordeaux, 1994. La fonction disciplinaire est confiée à une formation spéciale du tribunalde grande instance. La loi institue un partage de compétence. Les sanctions les moins rigoureuses sontprononcées par la chambre de discipline. Ce sont (art. 3) : le rappel à l’ordre, la censure simple, la censuredevant la chambre assemblée. Les peines les plus graves – la défense de récidiver, l’interdiction temporaire,la destitution – sont prononcées par le tribunal de grande instance.135. La compagnie nationale des commissaires aux comptes instituée en 1963 dispose de compétences admi-nistratives et disciplinaires. Tribunal des conflits 13 fév. 1984, Revue des sociétés, 1984, p. 324, noteA. COURET ; J.-J. DAIGRE, Loi n° 2004-130 du 11 février 2004, dite loi « professions », JCP 2004, Actu., 230.136. Voir aussi : H. SIMONIAN-GINESTE, « La déontologie journalistique », sous la direction de M. HECQUARD-THERON, Déontologie et droit, Presses de l’IEP de Toulouse, 1994 ; A. DU ROY, Le serment de Théophraste.L’examen de conscience d’un journaliste, Flammarion, 1992 ; Clause de conscience des journalistes etchangement d’éthique d’un journal : note sous Cass. Soc., 17 avr. ; 1996, par EDELMAN, D, 1997, p. 126.P. AUVRET, Le journaliste, le juge et l’innocent : Rev. Sc. crim. 1996, 625 ; B. BEIGNIER, La protection dela personne mise en examen : de l’affrontement à la collusion entre presse et justice, in Liberté de la presseet droits de la personne, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 1997, p. 97 ; M. DELMAS-MARTY, Justicetélévisée ou médias justiciers ? in Mélanges A. Braunschweig, AFHJ et Litec, 1997, p. 151 ; E. DERIEUX,Justice pénale et droit des médias : Justices 1998-10 (n° consacré à la justice pénale), p. 133 ; La respon-sabilité des médias, responsables, coupables condamnables, punissables ? JCP 1999, I, 153 ; A. GARAPON,Justices et médias, une alchimie douteuse, notes de la Fondation Saint-Simon, oct. 1994.

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A – La discipline professionnelle

La déontologie marque la pratique du plus grand nombre des professions,mais le mot n’est pas prononcé137. La discipline se mue en déontologie quandapparaît la dimension morale, mais les deux régimes sont en continuité138.

Toute la fonction publique est concernée par les devoirs généraux des fonc-tionnaires139. Comme s’il s’agissait d’une reconnaissance, cette réglementationinterne a parfois été regroupée dans un code de déontologie140. Dans le domainedu droit privé, la discipline a toujours été organisée au sein des entreprises,même si ce n’est qu’en 1982 qu’a été élaborée une réglementation d’ensemble141.Le respect des règles professionnelles et les sanctions qui peuvent être infligéessont souvent voisins de l’approche déontologique, mais sans atteindre la dimen-sion morale qui en est la marque142. Dans cette logique, un médecin salarié estsoumis au règlement intérieur de l’entreprise et comme médecin au code dedéontologie. Dans les deux cas, il s’agit de devoirs professionnels. Le médecinn’est jamais un salarié comme un autre car une part de son activité échappe auxliens de subordination, lorsqu’il s’agit de la mise en œuvre stricte de son artmédical et des actes couverts par le secret professionnel. Ceci a expliqué lerégime particulier de responsabilité civile du médecin salarié, qui bien que salariépeut engager sa responsabilité personnelle.

B – La discipline interne aux groupes

Il peut s’agir de regroupements associatifs (1), ou de groupes d’intérêts (2).

137. J. BRETHE DE LA GRESSAYE, La discipline dans les entreprises, les syndicats et les professions organisées,Déontologie et discipline professionnelle, Archives de philosophie du droit 1953-1954, p. 76.138. A. GARAPON, La déontologie du travailleur social : repère ou repaire, RDSS, 1994, p. 725. G. BOLARD,La déontologie des mandataires de justice dans les faillites, D. 1988, p 261.139. C. VIGOUROUX, Déontologie des fonctions publiques D. 1995.140. Les services de police bénéficient d’un code de déontologie qui est un règlement intérieur solennel.141. Il s’agit de la législation du 4 août 1982. Voir J. PELISSIER, La définition des sanctions disciplinaires,Dr. Soc., sept. 1983, p. 545 ; S. FROSSARD, Les évolutions du droit disciplinaire, D. 2004, Chron., p. 2450 ;K. ADAM, Le pouvoir disciplinaire et l’action syndicale dans l’entreprise, Dr. Soc., 1997 p. 10 ; Cass. Soc.15 mai 1991, Dr. soc. 1991 p. 624, rapport Ph. Waquet et concl. P. FRANCK ; P. BOUAKÉ, La loi d’amnistieet le pouvoir disciplinaire patronal, Dr. Ouvrier, Sept. 1981, p. 320 ; J.-L. CROZON, Le contrôle juridic-tionnel de la sanction disciplinaire dans l’entreprise et dans l’administration, Dr. Soc. 1985, p. 201 ;A. SUPIN, La réglementation patronale de l’entreprise, Dr. Soc. 1992, p. 217 ; B. SOIN, Le contenu du pou-voir normatif de l’employeur, Dr. Soc. 1983, p. 509. La cour de cassation a qualifié le règlement intérieur« d’acte réglementaire de droit privé » : Cass. Soc. 25 sept. 1991, Dr. Soc. 1992, p. 25, note J. SABATIER ;G. LYON-CAEN, Une anomalie juridique, le règlement intérieur, D. 1969, Chron. p. 35. Antérieurement audroit du travail, la jurisprudence reconnaissait à l’employeur la capacité de prononcer des amendes élevéespour des fautes vénielles dès lors que cette fonction était prévue par le règlement intérieur accepté par lesalarié, qui revêtait ainsi une nature contractuelle de droit commun : Cass. Civ. 14 fév. 1866, D, 1866, I,84 affaire dite « des sabots ». La cour de cassation a validé, au visa de l’article 1134 du code civil, uneamende représentant près de la moitié du salaire mensuel mis à la charge d’un salarié qui avait pénétrédans l’atelier avec des sabots.142. Cass. 1re civ. 26 mai 1999, JCP 1999 II n° 10112 rapp. P. SARGOS ; Voir aussi cass. 1re civ. 14 juin 1991JCP 1991 II n° 21730, note J. SAVATIER ; RDSS 1991, p. 607, note G. MEMETEAU. Régime aujourd’hui disparu.

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1 – Groupements associatifs

Tout groupement particulier, notamment sous forme associative, se fixedes règles de fonctionnement internes, qui relèvent de la même approche : éla-boration de règles de conduite et sanction par des mécanismes internes. Enannexe des statuts, est souvent adopté un règlement intérieur qui définit un cer-tain nombre de fautes, vise des devoirs généraux et peut créer une échelle desanctions.

L’examen de la jurisprudence fait ressortir une grande diversité des fautesdisciplinaires commises par les membres de l’association :

– le non-paiement de la cotisation143 ;– une faute grave contre l’honneur144 ;– tout manquement à la « bonne tenue »145 ;– tout agissement préjudiciable aux intérêts de l’association146.

Ce droit disciplinaire interne devient un véritable enjeu lorsque ces asso-ciations se voient confier des tâches d’intérêt général, ce qui est le cas desfédérations sportives147. Ainsi, la règle disciplinaire s’affirme comme une uni-versalité, liée à une pratique commune, soit dans une profession, soit dans ungroupement148.

2 – Groupes d’intérêt

De plus en plus, le schéma ayant été ouvert par le jeu des autoritésadministratives indépendantes (commission des opérations de bourse crééepar l’ordonnance du 28 février 1967, commission bancaire régie par la loidu 24 janvier 1984, Conseil de la concurrence définie par l’ordonnance du1er décembre 1986, conseil des marchés financiers institué par la loi demodernisation des activités financières du 2 juillet 1996), le législateur oul’autorité gouvernementale instituent des organismes de régulation auxstatuts hybrides.

143. Cass. Crim. 14 nov. 1985, Bull. crim. n° 354.144. Cass. Civ. 1° 16 mai 1972, Bull. Civ. I n° 127.145. TGI, Paris 26.2.1973, JCP 1974 II, 17821, note R. LINDON.146. Cass. Civ. 1° 22 janv. 1991, Bull. Civ. I n° 27.147. R. CHAPUS, Droit administratif général, T.1 13° éd., p. 557 ; G. AUNEAU, Le Sport, phénomène desociété : conséquence sur son statut juridique, LPA, 21 août 1992, p. 11 ; J.-F. LACAUNE, La notion deservice public dans la loi du 16 juillet 1984, ALD 1994 n° spécial « Droit du sport » p. 3 ; G. SIMON,Puissance sportive et ordre juridique étatique, LGDJ, 1990, p. 191 et s. TC 22 nov. 1974, n° 577 : RDP1975, p. 1109, note WAKE : AJDA, 1975, p. 19, concl. FRANCK et NOYON ; Cass. Civ. 1° 7 oct. 1975,D. 1976, p. 389, note F. MODERNE : JCP, 1976, II, 18467, note PLOUVIN ; R. DENOIX DE SAINT MARC, Lesfédérations sportives devant le juge administratif : RDFA 1985, n° 1166. V. Étude du Conseil d’État :Sports : pouvoir et discipline. La Documentation française, 1991 ; J.-J. KARAQUILLO, Le pouvoir discipli-naire dans les associations sportive, D 1980, Chron. p. 115. Loi n° 99-223 du 23 mars 1999, JCP 1999,III, 20065 ; décret n° 274-2000 du 24 mars 2000, relatif à la procédure disciplinaire devant le Conseil deprévention et de lutte contre le dopage et au fonctionnement de cet organisme, JCP 2000, III, 20269.148. J. CLAM et G. MARTIN, Les transformations de la régulation juridique, LGDJ, 1998.

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On peut par exemple citer, pour ce qui concerne la pollution des eaux parles nitrates et les phosphates, la création du CORPEN qui réunit des syndicatsagricoles, des centres de recherche, des industriels, des distributeurs d’eau, desassociations de consommateurs et de défense de l’environnement, des élus, desreprésentants du ministère, avec mission de définir des normes techniques et dejouer un rôle central dans l’élaboration du droit des pollutions agricoles. Deplus en plus, la production de normes s’opère par négociations.

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7. Les procédés disciplinaires

Résumé

Il existe deux procédés disciplinaires principaux, et chacun d’eux connaîtdes modalités fort diverses : le premier, de nature hiérarchique, intègreprogressivement des techniques juridictionnelles (I) ; le second, de naturejuridictionnelle, cherche à se dégager d’une culture hiérarchique (II).

I – La discipline hiérarchique

Le pouvoir disciplinaire du supérieur hiérarchique constitue l’expressionla plus simple, mais aussi la plus brutale. La règle disciplinaire ne connaîtqu’une marge d’interprétation limitée. L’avis de la personne mise en cause doitêtre recueilli, mais le débat contradictoire reste embryonnaire. La décision,soumise à recours, est exécutoire. Cette vue rigoureuse repose sur l’acceptationsociale d’une forme de toute puissance justifiée par la nécessité pour l’entre-prise ou le service de se protéger de l’extérieur. Pendant très longtemps, cemodèle a été celui du droit du travail, expression forte de la maîtrise del’employeur au sein de l’entreprise. S’agissant des salariés, le conseil deprud’hommes ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation de la gravité de lasanction. Sa réponse est la confirmation ou l’annulation. La législation témoi-gne d’un souci de juridictionnaliser les procédures disciplinaires relevant del’autorité hiérarchique149.

149. Un certain nombre de grandes conventions collectives, notamment dans le secteur des banques,connaissent des procédures quasiment juridictionnelles. Voir S. FROSSARD, La sanction de la violationd’une procédure disciplinaire conventionnelle, signe de la procéduralisation du droit du travail, sousCass. Soc. 23 mars 1999 et 11 juil. 2000, D. 2001 p. 417 ; J.-L. CROTAFAN, Le contrôle juridictionnelde la sanction disciplinaire dans l’entreprise et dans d’administration, Dr. Soc. 1985, p. 201. Consé-quence logique : l’applicabilité de l’article 6-1 de la CEDH au contentieux des juridictions disciplinairesde la fonction publique : CE, L’Hermite, JCP 2000, II, 1037, note MONIOLLE ; A. FITTE-DUVAL, Lafonction publique et le juge européen des droits de l’homme, AJDA 1997, p. 731. Analyse généraleJ.-F. FLAUSS, AJDA 1994 ; J.-J. ISRAËL, Le droit des personnes en matière disciplinaire administrative auregard de l’article 6 de la CEDH, Mélanges P. Pactet, Dalloz, 2003, p. 253.

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Le droit disciplinaire dans la fonction publique avait ouvert le chemin150. Lefonctionnaire bénéficie d’un débat contradictoire avec notification des griefs, accèsau dossier, avis d’un conseil de discipline, recours à un défenseur avant toute sanc-tion autre que l’avertissement ou le blâme. Les mécanismes de recours sont plusélaborés depuis l’arrêt Lebon151, la juridiction administrative contrôlant l’erreurmanifeste d’appréciation dans l’importance de la sanction prononcée. Dans lesdeux cas, le principe consacré est l’autorité disciplinaire du supérieur hiérarchique,principe qui trouve pour fondement en droit privé la subordination juridique, eten droit public l’obéissance hiérarchique. Parce que tout pouvoir mérite d’êtretempéré, des contrôles extérieurs sont désormais possibles. Parce que la sanctiondoit être juste, la prise en compte du point de vue de la personne poursuivie estassurée. Mais le pouvoir de direction, condition de l’efficacité du service, cantonneles droits de la personne poursuivie, au risque de créer l’incompréhension. Lechoix assumé est le primat de la règle d’autorité, ce qui marque la différence avecla discipline juridictionnelle.

II – La discipline juridictionnelle

C’est une logique opposée qui conduit à transférer le pouvoir disciplinaireà une juridiction, et l’on distingue selon qu’il s’agisse d’un apport juridictionnel(A) ou d’une juridiction interne (B).

A – Un apport juridictionnel

Le premier stade est celui de l’esprit juridictionnel, ne prévoyant qu’unavis, mais celui-ci est rendu au terme d’une procédure telle que l’autorité hié-rarchique se trouve largement tenue. Tel est le cas pour nombre de fonctionnai-res, dont les praticiens hospitaliers152. S’agissant des praticiens hospitaliers, lesréférences sont l’article 5 de l’ordonnance 58-1373 du 30 décembre 1958 et ledécret 84-131 du 24 février 1984. La procédure prévoit la réunion d’un conseil

150. CE, 26 janv. 1951, Denon de Rosières, S. 1952 III. 9 Concl. ODENT ; CE 12 juil. 1969 L’Étang, Rec.p. 338, RDP 1970, p. 387 note WALINE ; CE 14 mars 1975 Rousseau, Rec. p. 194, et AJDA, 1975, p. 350note FRANCK et BOYON ; CE, 9 juin 1978, Rec. p. 245, RDP 1979 p. 227 note J.-M. AUBY, Concl. B. GENE-

VOIS, et D. 1979 p. 30 note PACTOT ; CE, 26 déc. 1925 Rodière, Rec. p. 267 et RDP 1926, p. 32 Concl.CORNEILLE. Voir également V. DE CORAIL, La distinction entre mesure disciplinaire et mesure hiérarchiquedans le droit de la fonction publique, ADJA 1967 p. 3. Le Conseil d’État a admis le caractère de sanction,susceptible de recours en excès de pouvoir, pour les mesures disciplinaires prises :– dans l’armée : CE, 12 juil. 1995, Manfroy, Rec. p. 304,– à l’encontre des détenus : CE, 17 fév. 1995, Marie et 17 fév. 1995, Hardouin, JCP 1995.II.22426, noteM. LASCOMBE et F. BERNARD. P. COUVRAT, Le régime pénitentiaire des détenus depuis le décret du 2 avril1996, Rev. Sc. Crim., 1996 p. 709.– en milieu scolaire : CE Ass. Avis 27 nov. 1989, AJDA, 1990, p. 39, note J.-P. C. ; CE, 2 nov. 1992, Kherouaa,Rec. CE, p. 389 ; CE, 14 mars 1994, Melle Ylmaz, Rec. CE, p. 129 ; CE, 10 mars 1995, Aoukili, AJDA, 1995,p. 332, concl. Y. AGUILA.151. CE, Centre national Georges Pompidou, 12 mars 1986, Rec. p. 157 ; Capel, 22 juil. 1995, Dr. Adm.1995, n° 607.152. M.-L. MOQUET-ANGER, Le statut des praticiens hospitaliers publics, p. 289, PUF, 1994.

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de discipline, qui en l’occurrence est de forte influence, mais la décision revientpour l’avertissement et le blâme, au préfet de région, après avis de la commissionmédicale d’établissement et du conseil d’administration et pour les autres sanc-tions au ministre, après réunion du conseil de discipline. Le ministre peut pro-noncer en cas d’urgence une mesure de suspension d’exercice.

Le second stade est celui d’une procédure juridictionnelle externe. La pro-fession connaît une déontologie propre et des structures de type ordinal, maiselle est privée de l’instance disciplinaire interne qui est assumée par les juridic-tions de droit commun. Il s’agit des professions des huissiers, des notaires, descommissaires-priseurs, des commissaires aux comptes. La sanction déontologi-que est prononcée par le juge du droit commun. La construction reste inache-vée153. Vient enfin, le mode de plus élaboré, celui de la juridiction disciplinaireinterne.

B – Une juridiction interne

Ce dispositif concerne des agents publics (1) et les ordres professionnels (2).

1 – La magistrature

La référence première est le Conseil Supérieur de la Magistrature est unejuridiction ayant compétence disciplinaire pour les magistrats du siège, agentsde la fonction publique154. Selon le statut de la magistrature de 1958 constitueune faute disciplinaire « tout manquement par un magistrat au devoir de sonétat, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité ». L’organe disciplinaire desmagistrats est le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), qui ne peut êtresaisi que par le Garde des Sceaux. Pour les magistrats du siège, la décision duCSM s’impose. Pour les magistrats du parquet, c’est un avis transmis au Gardedes Sceaux.

153. La discipline pénitentiaire, qui relevait d’un système hiérarchique, répond désormais à un régimejuridictionnel. Voir : J.-P. CÉRÉ, Droit pénitentiaire et Convention EDH : l’article 6 de la convention euro-péenne des droits de l’homme et le procès disciplinaire en prison, JCP, 2000, I, 316 ; M. HERZOG-EVANS

et J.-P. CÉRÉ, La discipline pénitentiaire : naissance d’une jurisprudence, D 1999, Chron. p. 509 ; CEDH,17 janv. 2005, Ramirez Sanchez c/ France, note D. COSTA, La condamnation rétrospective de la France àraison de la qualification de l’isolement carcéral en mesure d’ordre intérieur, ADJA 2005, p. 1388.154. J. GICQUEL, Le CSM, une création continue de la République, Mélanges Ph. Ardant, LGDJ, 1999,289 ; Juger les juges : Du Moyen-Âge au CSM, Colloque Ass. Fr. hist. Justice, La Documentation française2000 ; J.-Y. MAC KEE, Le CSM, siégeant comme Conseil de discipline des magistrats du siège et l’article 6CEDH, Mélanges Drai, Dalloz, 1999 ; HÉBRAUD, L’autorité judiciaire, D. 1959, Chron. 77 ; A. BESSON, LeCSM, D. 1960, Chron. 1 ; M. KARSENTY, Le CSM, thèse Aix, 1961 ; A. MARTIN, Le CSM et l’indépendancedes juges, RDP, 1997, 741 ; I. BOUCOBZA, Le CSM en France et en Italie, Rev. Jur. des Barreaux, févr.1999, n° 55/56, p. 27 ; Th. RICARD, La fonction administrative du CSM, thèse Lyon 1981 ; CE Ass.,12 juillet 1969, L’Étang, RDP 1970, p. 387, note M. WALINE ; D. DOKHAN, Le Conseil d’État, garant dela déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire, RFDA 2002, p. 768 ; P. FRAISSEX, Le contrôle du Conseild’État en matière de décisions disciplinaires des magistrats du Siège, LPA, 1993, n° 58, p. 4 ; F. COLIN, Laresponsabilité disciplinaire des juges, in Les juges : de l’irresponsabilité à la responsabilité ?, Institut deSciences Pénales et de Criminologie, PUAM, 2000, p. 69.

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Sur les années 1998 et 1999, le garde des Sceaux a saisi à vingt reprises leCSM. On relève des sanctions concernant la vie privée ou des pratiques finan-cières incompatibles avec le statut. Mais le CSM sanctionne également les insuf-fisances professionnelles. Le Conseil a rappelé en 1994 qu’il « incombe à toutjuge d’observer une réserve rigoureuse, et d’éviter tout comportement de natureà créer le risque que son impartialité soit mise en doute »155.

Quant aux conseillers des tribunaux administratifs et des cours adminis-tratives d’appel, leur statut prévoit que la décision de l’Administration est prisesur avis conforme du Conseil Supérieur des Tribunaux Administratifs et CoursAdministrative d’Appel156 : Les mesures disciplinaires sont prises sur propositiondu Conseil supérieur saisi par le président du tribunal administratif ou de lacour administrative d’appel auquel appartient le membre du corps concerné, oupar le chef de la mission d’inspection des tribunaux administratifs et cours admi-nistrative d’appel.

2 – Les ordres professionnels

Le conseil de discipline des architectes, rattaché par la loi à la structureordinale ne comporte qu’une représentation minoritaire de la profession, et nemérite pas l’appellation de « juridiction ordinale ». C’est une juridiction spécia-lisée qui cherche, pour des raisons d’efficacité, à associer les professionnels157.

Le conseil de l’Ordre des médecins a valeur emblématique, d’autant plusque ses structures sont reprises par les autres professions de santé : chirurgiens-dentistes, sages-femmes, masseurs kinésithérapeutes, pédicures podologues et,dans une large mesure, pharmaciens. Il s’agit d’une juridiction autonome, etélue, mais organisée sur un mode hiérarchique : les recours sont exercés eninterne.

Le rapprochement doit également être effectué avec les barreaux, le conseilde discipline étant composé exclusivement des avocats élus, mais cette juridic-tion est soumise au contrôle immédiat des magistrats de la cour d’appel, et nonà un recours devant une juridiction interne, ce qui est un point de rupture dans

155. Les Conseils supérieurs de la magistrature en Europe, Th. RENOUX (Dir.), La Documentation fran-çaise, Coll. Perspectives sur la justice, 2000 ; Les responsabilités déontologiques des magistrats à la lumièrede la jurisprudence du Conseil supérieur de la magistrature, D. COMMARET, Avocat général à la Cour decassation. Document rédigé en septembre 1998, avec l’accord du garde des Sceaux, ministre de la Justice,à l’attention des membres de l’atelier de formation de l’ENM sur la responsabilité du juge. Cette commu-nication est disponible sur le site internet de l’ENM : www.enm.justice.fr ; La jurisprudence disciplinairedes magistrats de l’ordre judiciaire, Rapport de la Direction des services judiciaires de la Chancellerie,étudiant les décisions rendues par le Conseil Supérieur de la Magistrature depuis 1958, établi le 9 juin1994 et publié en extraits in Justices, n° 144, mars 1995, p. 5 s., Le Monde, 28 mars 1995, p. 12 et dansle rapport annuel 1995 du CSM, Direction des Journaux Officiels, 1995, p. 33 ; R. LE GOFF, Les membresdes tribunaux et des cours administratives d’appel sont-ils des magistrats, AJDA 2003, p. 1145.156. L. n° 87-1127, 31 déc. 1987, art. 14 : JO 1 janv. 1988 en vigueur.157. Loi n° 77-2 du 3 janv. 1977.

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l’analyse. Les avocats bénéficient d’une juridiction interne alors que les ordresnationaux hiérarchiques bénéficient d’un ordre de juridiction interne. Toutefois,le bâtonnier en exercice ne préside plus le Conseil de l’Ordre, statuant commeconseil de discipline, au regard du principe d’impartialité. Cette diversité dansla mise en œuvre conduit à adopter des règles procédurales distinctes. Mais parceque la matière est commune – la discipline interne- cette diversité se complèted’un régime commun pour la sanction.

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8. L’action disciplinaireRésumé

Contrepartie de cette spécificité de la règle, l’instance disciplinaire estmarquée par un fort particularisme (I). Il n’en reste pas moins qu’elles’inscrit dans le droit commun procédural (II).

I – Le particularisme de l’action disciplinaire

La procédure disciplinaire est centrée sur la personne poursuivie, dans lecadre d’une saisine in hominem (A), et répond à l’objectif contraignant del’obéissance à la règle (B).

A – Une saisine in hominem

Le juge disciplinaire juge un homme (1) ce qui le place en opposition avecle juge pénal, qui est saisi de faits (2).

1 – La discipline, ou le jugement d’un homme

« L’action disciplinaire n’est ni civile, ni criminelle ; elle est sui generis ».C’est au Procureur général Dupin, dans des conclusions rendues à l’occasiond’un arrêt de la Cour de cassation le 5 juillet 1858, que l’on doit ces mots restéscélèbres158. L’instance disciplinaire se situe entre les deux blocs que sont l’ins-tance civile et l’instance pénale. Par le procès civil ou administratif, une partieentend faire valoir ses droits159. Elle exerce le droit fondamental qu’est le droitd’agir en justice160, droit qui ne suppose l’appartenance à aucune collectivité,pas même nationale161. Le procès pénal est en rupture. Il vise à la défense del’intérêt général, et la procédure est organisée en fonction du prononcé de lapeine162. Pour R. Merle et A. Vitu, « le droit criminel est constitué par l’ensemble

158. C. Cass., 5 juil. 1858, Bull. I p. 269.159. CE, Dame Lamotte, GAJA ; CJCE, 15 mai 1986, Margueritte Johnston, RFDA, 1988, p. 691, noteL. DUBOUIS.160. S. GUINCHARD : « Le droit à un procès équitable est désormais solidement ancré dans la sphère desdroits fondamentaux. L’effectivité des droits procéduraux est, sans doute, le phénomène le plus marquantde la fin du XXe siècle ». Vers une démocratie procédurale, Justices, Dalloz 1999, p. 91.161. Voir CEDH Ayrey/Irlande 7 oct. 1979, série A n° 32 et Yassa/Turquie, CEDH 2 sept. 1998, § 64.162. Traité de droit criminel, éd. Cujas, nombreuses rééditions.

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des règles juridiques qui organisent la réaction de l’État vis-à-vis des infractionset des délinquants, et qui traduisent en norme obligatoire les solutions positivesappliquées par chaque nation aux problèmes criminels ». L’opposition de prin-cipe se situe entre une logique subjective, le contentieux civil ou administratif,et une logique objective, le contentieux répressif.

L’instance disciplinaire marque son particularisme car elle ne s’apprécie nicomme une conciliation, ni comme une édulcoration de ces deux principes oppo-sés. L’instance disciplinaire ne se prononce pas, comme en matière de civile ouadministrative, entre deux thèses opposées. Même lorsqu’elle émane d’un par-ticulier, par exemple d’un confrère, membre de l’Ordre, l’instance disciplinairene vise pas à arbitrer le conflit existant entre deux praticiens. Son objet est dedire si l’attitude du praticien respecte ou non la déontologie. La juridiction n’estpas saisie d’une demande en justice163. L’instance disciplinaire s’oppose égale-ment à la voie pénale164. La plainte qui saisit le juge n’est pas un acte accusatoire,visant des faits. C’est l’acte qui provoque l’examen global de la situation d’unepersonne.

Dans ses conclusions sur l’arrêt Lebard rendu par le Conseil d’État le6 février 1981165, le Commissaire du Gouvernement Dondoux explique : « Pournous en tenir à la matière de la discipline professionnelle, nous rappellerons quela plainte qui saisit le juge disciplinaire n’est pas une demande introductive d’ins-tance : elle se borne à déclencher une procédure, au vu de certains faits ; si ellecontient éventuellement des chefs d’accusation précis, lesdits chefs d’accusationne sont ni des moyens, ni des conclusions : la plainte ne tend d’ailleurs pas à ceque telle ou telle peine précise soit infligée au praticien ». Et il poursuit : « Sur-tout, il faut souligner que lorsqu’il statue en première instance, le juge n’arbitreen rien entre des prétentions opposées : en matière disciplinaire comme enmatière de contravention de grande voirie, le jugement de première instance estnon un compromis entre des thèses contradictoires mais un acte initial »166. LeCommissaire du Gouvernement Vught, a ainsi résumé cette construction dudroit disciplinaire : « La jurisprudence du Conseil d’État a dégagé peu à peu lesprincipes d’un droit disciplinaire qui a une physionomie propre et qui présente,par rapport au droit pénal, un degré certain d’autonomie, en transposant cer-tains principes du droit pénal et en les adaptant éventuellement aux conditionsparticulières d’organisation et de fonctionnement des juridictions disciplinairesadministratives. Dans cette construction progressive et dans le cadre des textes

163. Sur la notion d’action en justice : G. WIEDERKEHR, Mélanges Hébraud, 1981, p. 949 ; E. BOY, RTDciv. 1979, p. 497.164. Dossier spécial procès du sang contaminé : La relaxe et la peine, Le Monde, mars 1999.165. CE, 6 fév. 1981, Lebard, Rec., p. 74.166. P. GELARD, le caractère mixte de la contravention de grande voirie, AJDA 1967, p. 140. CE. 13 juin1964, Quégan, RDP 1965, p. 85, note M. WALINE. Concl. G. VUGHT, sur CE, 24 nov. 1972, CDOM Hautsde Seine, JCP, 1973, II, 17489 ; Ch. GUETTIER, Le contrôle du juge sur l’Ordre national des médecinsstatuant en matière disciplinaire, note sous CE, 21 décembre 2001, AJDA, juil. 2002, p. 641.

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régissant la matière, vous avez toujours manifesté le souci de concilier la pro-tection des droits des individus et les nécessités d’une répression efficace desfautes disciplinaires ». Cette nature très spécifique de l’instance disciplinaireplace d’emblée dans le champ d’une compréhension difficile, et une institutionordinale ne peut sous-estimer ce contexte. Elle risque à tout moment d’êtreatteinte par l’incompréhension167, risque d’autant plus réel qu’elle doit s’affirmersur le plan moral.

2 – Le pénal, ou le jugement de faits

Le juge pénal, sans doute, se prononcera à l’égard d’un homme ; mais il estd’abord saisi par des faits, et doit les analyser dans leur dimension objective, auregard des valeurs sociales protégées par la loi. Dans ses réquisitions prononcéesle 24 février 1999 à la suite du procès tenu devant la Cour de justice de la Répu-blique dans l’affaire dite du sang contaminé, J.-F. Burgelin, procureur généralprès de la Cour de cassation a rappelé les spécificités du droit pénal : « L’objetdu droit pénal et de la procédure pénale c’est bien sûr de protéger la société, maisface à elle, c’est aussi de protéger celui qui est mis en cause. Ignorer cela seraitsombrer dans l’arbitraire de la répression (…) Bien sûr, on peut penser qu’il eutété préférable que joue activement la responsabilité politique, et alors on auraitappréhendé le problème dans toutes ses composantes, toute la complexité del’élaboration d’une politique gouvernementale. Ce n’a pas été le cas. Impuissance,débit, sentiment de mépris sont une des causes du recours à la voie pénale, maisa-t-on compris alors qu’on entrait dans une impasse, car les normes de la loipénale sont inadaptées à ce que l’on attend ici du juge ? La déception de beau-coup reste inévitable ».

B – L’obéissance à la règle

Cette donnée constitutive du droit disciplinaire s’analyse par référence àla norme en cause, la règle déontologique, qui fait figure d’exception parmi lesrègles de droit en ce qu’il s’agit d’une règle morale soumise à la sanction dudroit. Alors que l’objet du droit privé est la prise en compte des intérêts parti-culiers, et que celui du droit pénal est la sanction de comportements prédéfinis,la règle déontologique vise elle à contraindre au respect de devoirs profession-nels. Ce particularisme est remarquable. Des auteurs ont mis en évidence cequ’ils représentent comme un travers du droit pénal, à savoir l’émergence d’undroit pénal de direction168. Par la généralisation de sanctions pénales, préciseset circonstanciées, marginalisant le critère intentionnel, le législateur témoigne

167. Pour la profession d’avocat : P. CRÉMIEU, La nature juridique de l’action disciplinaire dans la profes-sion d’avocat, D. 1949, Chron. p. 29.168. LASCOUMES et BARBERGER, De la sanction à l’injonction ; le droit pénal administratif comme expressiondu pluralisme, Rev. Sc. Crim, 1988, p 45 ; A. VARINARD et E. JOLY-SIBUET, Rev. Internat. Dr. Pen. 1988,p. 189.

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de sa volonté de faire appliquer une règle169. Le droit pénal ne dirige pas encoreles consciences mais il vise à contraindre à certaines attitudes170 et dans le mêmetemps le droit pénal spécial tend à supplanter le droit pénal général. La préoc-cupation est d’autant plus essentielle qu’elle semble satisfaire les vœux d’uneopinion à la recherche de certitudes, alors qu’il faudrait répondre par la culturedu doute, en rendant visibles les valeurs-clés de la société. La règle déontologi-que, elle, doit assumer sa raison d’être : faire respecter des devoirs profession-nels. L’action disciplinaire répond à un but précis : ni la défense d’intérêts privés,ni le prononcé d’une peine mais l’affirmation d’une règle professionnelle, pourdicter une conduite171. Voir L. Dubouis : « La notion de morale, lorsqu’elle estenglobée dans celle de déontologie revêt un sens particulier qui autorise à coupercourt aux débats sur les relations entre règles morales et règles juridiques. Mêmesi certaines de ces règles ont pour fondement une exigence morale, la déontologien’est pas une morale au sens où elle dicte des règles de conduite que le profes-sionnel doit observer. Sa véritable nature juridique est celle d’une discipline pro-fessionnelle. Dès lors, le droit disciplinaire doit adopter des procéduressuffisamment respectueuses des droits des personnes pour que cette affirmationintègre la diversité des valeurs déontologiques, et prévienne de toute formed’autoritarisme. Le droit disciplinaire doit être l’expression d’une morale, maiscette morale doit être plurale pour être acceptable. La qualité de cette règle estliée à sa procédure d’élaboration ».

II – L’autonomie du régime procédural

La spécificité de la procédure disciplinaire ordinale résulte de la combinai-son de deux logiques : répressive (A) et interne (B).

A – Une logique répressive

S’il est désormais acquis que l’action disciplinaire médicale ne statue pas,au sens de l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits del’homme, en matière pénale172, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un contentieuxrépressif et ce caractère répressif marque toute la procédure. La sanction est inhé-rente au droit disciplinaire. Le droit disciplinaire est de nature directive, et lestextes répondent à cette spécificité. Ce sont les seuls textes de nature répressiveà énoncer directement des conduites à tenir. Les sanctions disciplinaires, elles,

169. Voir R. MERLE, L’évolution du droit pénal français contemporain. D. 1977, Chron. p. 303.170. La multiplication des sanctions pénales assortissant la loi de juillet 1994 dite bioéthique, exempleéclairant d’une pratique très généralisée, témoigne de ce souci directif. Encore, à propos des rapports entrele droit pénal et le droit administratif, J.-M. AUBY, La pénalisation de l’action publique, Dr. adm., janv.1997, p. 3 ; J. HERMANN, Le juge pénal, juge ordinaire de l’administration ?, D. 1998, Chron. p. 201 ;M. DOBKINE, L’ordre répressif administratif, D. 1993, Chron. p. 157.171. XXX Texte manquant.172. CEDH, Lecompte précité. Dès lors ne s’applique pas l’article 5-3 (audition de témoin) : CE, 30 janv.2002, Ouendeno, RTDSS 2002, p. 481, note L. DUBOUIS.

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répondent à une typologie d’ensemble. Le premier volet est de nature symbolique.Il comprend la simple admonestation, l’avertissement et le blâme, sanctions quisont le signe d’une réprobation mais n’emportent pas de conséquences réelles surles droits de l’intéressé. Viennent ensuite les sanctions qui mettent en causel’appartenance au groupe, soit par une mesure temporaire – mise-à-pied ou inter-diction provisoire –, soit par une rupture définitive – licenciement, révocation ouradiation173. La sanction disciplinaire d’un professionnel ne comporte pasd’implication financière directe174.

Dans nombre de cas, les seules sanctions susceptibles d’atteindre directe-ment les professionnels sont les sanctions disciplinaires. En effet, les sanctionsciviles sont assumées par l’employeur ou par l’assureur, et peu de professionssont réellement concernées par le risque pénal. Les professions de santé font, àce titre, figure d’exception175, mais le poids réel de la sanction pénale est limité.Les exemples de sanction d’emprisonnement ferme en matière médicale sontexceptionnels, et les mesures de suspension d’exercice sont rarement pronon-cées176. La sanction disciplinaire est la plus redoutable. Une suspension d’exer-cice prononcée par une instance ordinale interdit le remplacement, sauf en casde nécessité publique. Seule une période de quelques semaines est gérable pourun praticien exerçant en libéral. Pour cette raison, certaines législations euro-péennes ne laissent à la compétence des ordres que les sanctions les plus modé-rées177. Le droit français reste, quant à lui, sur une logique interne.

B – Une logique interne

La force d’une règle dépend des procédés de contrôle dont elle relève. Àla suite d’une faute professionnelle, quand l’auteur des faits a été sanctionné parle tribunal correctionnel et que la victime a été indemnisée, tout le droit n’a pasété dit : la profession doit s’interroger sur la portée de cette faute au regard des

173. Sur l’application de la règle nulla poena… en droit disciplinaire de la fonction publique : J.-M. AUBY

et J.-B. AUBY, Droit de la fonction publique ; Dalloz, 1991, p. 204. De nombreux textes relatifs à diversesprofessions instaurent une échelle des peines : art. 3, Ord. n° 45-1418 du 28 juin 1945 relative à la disci-pline des notaires et de certains officiers ministériels ; art. L. 822-2 COJ pour les greffiers des tribunauxde commerce (Loi du 11 fév. 2004) ; art. 184, Décret 27 nov. 1991 (avocats) ; art. L. 4124-6 CSP (méde-cins, chirurgiens dentistes, sages-femmes) ; art. L 4397-6 CSP (auxiliaires médicaux) ; art. L. 4234-6 CSP(pharmaciens) ; art. 321 c. rur. (Vétérinaires), etc. En droit du travail, l’article L 122-34 c. trav. prévoitque l’échelle des sanctions disciplinaires doit figurer dans le règlement intérieur.174. Les sanctions disciplinaires sont définies par l’article 66 de la loi du 11 février 1984 constituant letitre 2 du statut général. Elles sont divisées en quatre groupes. La liste est limitative.175. Les professionnels de santé sont exposés au risque pénal, et l’acceptent mal. Les chiffres sont difficilesà établir mais il se dégage une stabilité des condamnations. La loi du 10 juillet 2000 a conduit à unelimitation du nombre des condamnations. Fr. ALT-MAES, Esquisse et poursuite d’une dépénalisation dudroit médical, JCP 2004, I, 184.176. La fréquence des lois d’amnistie, désormais tous les cinq ans, affaiblit considérablement le pénal etle disciplinaire.177. Voir rapport de la commission juridique des droits des citoyens par J-E. ULBURGHS, document A2/7888 du 17 mai 1988 du Parlement européen.

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règles internes. C’est l’occasion d’approfondir les conceptions, d’affirmer la por-tée du devoir professionnel, et de donner à la règle interne toute son amplitude.Ainsi, l’un des aspects les plus spécifiques du droit disciplinaire est qu’il doitchercher moins la sanction du professionnel que la valorisation de la règle.

La règle déontologique a besoin d’être comprise et acceptée. Quel que soitle régime du droit disciplinaire, doit être recherchée cette adhésion. La pratiquedu contentieux souligne le lien indissociable entre la décision disciplinaire et larègle qui en est le soutien178. Le caractère interne de la procédure, établi parl’existence d’une juridiction disciplinaire élue, irrigue la matière : toute faute,même commise en dehors des fonctions, est susceptible de faire l’objet d’unesanction disciplinaire, dès lors qu’elle atteint les intérêts de la profession. Larègle figure à l’article 31 du code de déontologie médicale et c’est un principegénéral du droit disciplinaire. L’instance juridictionnelle est engagée à partir defaits, mais c’est une personne qui est jugée. En matière disciplinaire, le jugementest créateur : il cherche à définir, au vu d’un ensemble d’éléments parmi lesquelsfigurent les faits reprochés à l’origine, l’aptitude d’un professionnel à assumerles devoirs nés de l’exercice professionnel. Cette fonction interne marque de sonempreinte l’ensemble des règles, et notamment celles de procédure.

178. H. CROZE et E. JOLY-SIBUET, Professions juridiques et judiciaires : Quelle déontologie ?, Commissariatgénéral au plan, 1993. Même dans le moins protecteur des systèmes, celui du salariat, aucune sanction nepeut être prise sans convocation à l’entretien préalable afin de recueillir les observations du salarié, et lesalarié peut se faire accompagner d’un conseiller dans le souci d’établir un débat. J.-E. RAY, Une faussebonne idée : le conseiller du salarié, Dr. Soc. 1991, p. 473 ; C. PUIGELIER, Le pouvoir disciplinaire del’employeur, Economica, 1997.

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9. Discipline ordinale et droit commun

Résumé

La discipline ordinale est à la fois administrative et répressive (I). Cettedouble filiation fournit le cadre à un ensemble de règles procédurales (II)et fonde le régime de responsabilité de ces instances (III).

I – Une juridiction administrative répressive

Très rapidement, a été reconnu le caractère juridictionnel de l’instancedisciplinaire (A), et s’est ensuite posée la question de la comptabilité avec laconvention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (B).

A – Une juridiction d’exception

La nature juridique des ordres professionnels ne souffre plus de douteréel depuis les arrêts Monpeurt et Bouguen : les ordres professionnels sont despersonnes morales de droit privé chargées d’une mission de service public179.

179. CE, 31 juil. 1942, Monpeurt Rec. p. 239 ; S. 1942, 37. L’affaire concernait le statut du comitéd’organisation des industries du verre et la loi du 16 août 1940 qui aménageait une organisation provi-soire de la production industrielle, le Conseil d’État jugeant que cette loi avait entendu instituer un servicepublic et que les comités d’organisation, bien qu’il ne s’agisse pas d’établissements publics, n’en étaientpas moins chargés de participer à l’exécution du service public. Affaire Bouguen : voir p. 2. Le Conseild’État précisera quelques années plus tard en 1953 que les décisions prises en matière d’inscription autableau sont des décisions administratives susceptibles de recours pour excès de pouvoir, alors que lesmesures disciplinaires sont des décisions juridictionnelles susceptibles de recours en cassation devant leConseil d’État : CE 12 décembre 1953, De Bayo, Rec. p. 544, RDP 1954 p. 3, concl. CHAREAU ; AJ, 1954II, p. 138, note DE SOTO.Voir les chroniques de référence : B. CHENOT, La liberté, les ordres et l’État, ECDE 1973, p. 105 ;J.-C. BONNEFOY, Le malade, le médecin et l’Ordre, Rev. Adm. 1973, p. 497 ; C. DURAND, La professionmédicale devant le juge administratif, D. 1958, Chron. p. 119 ; B. SCHULTZ, Le Conseil d’État et lepouvoir de l’Ordre des médecins, RDP 1976, p. 1425.

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S’agissant de l’Ordre des médecins, chaque conseil de l’Ordre dispose de lapersonnalité morale. La mission de l’Ordre est définie à l’article L. 4121-2 ducode de la santé publique180. Les fondements de cette mission de service publicpeuvent être discutés selon que l’on retienne que les règles sont instituées dansl’intérêt des patients, objectif généreux mais peut-être un peu indirect et bienlarge, ou tout simplement d’une défense de la profession, objectif immédiat etmais trop corporatiste. La réalité résulte de la coloration du second point parle premier : la défense d’une médecine au service des patients. Les procéduresdisciplinaires sont de nature juridictionnelle. Leur régime résulte pour l’essen-tiel de la jurisprudence du Conseil d’État qui, à la suite des arrêts Bouguen etde Bayo, a fixé un certain nombre de principes, devenus directeurs de touteinstance disciplinaire ordinale181 : les formations disciplinaires sont des juri-dictions, qui relèvent de l’ordre administratif, et contentieux est de naturerépressive182. Les textes d’origine, soit la loi du 7 octobre 1940, puis l’ordon-nance du 24 septembre 1945, n’avaient pas indiqué que les instances discipli-naires étaient juridictionnelles et qu’il convenait de distinguer entre l’activitéadministrative et l’activité juridictionnelle. C’est le Conseil d’État, par lesarrêts Bouguen et de Bayo, qui a posé les principes d’analyse, mettant enlumière un régime juridictionnel, dont il est aujourd’hui acquis qu’il s’inscrit

180. Les débats sont très actuels. Voir J-M. PONTIER, L’intérêt général existe-t-il encore ? D, 1998, Chron.p. 329 ; L’impuissance publique AJDA 2000 ; Sur la conception française du service public, D, 1996,Chron. p. 9, le Conseil d’État a jugé fin 1999 que la Française des Jeux n’était pas investie d’une missionde service public. « Il ne résulte ni des dispositions législatives, ni des caractéristiques générales des jeuxde hasard que la mission dont la société française des jeux a été investie en application du décret du9 novembre 1978, revête les caractères d’une mission de service public » : CE 27 oct. 1999, JurisData 05-955, JCP II 10365.Les interrogations étaient posées dès le lendemain de la Seconde guerre mondiale : G. MORANGE, Le déclinde la notion juridique de service public, D. 1947, Chron. p. 45 ; M. WALINE, Vicissitudes récentes de lanotion de service public, Rev. Adm 1948 p. 23 ; R. CHAPUS, Le service public et la puissance publique,RDP 1968, p. 235 ; A. DEMICHEL, Vers le self-service public, D. 1970, Chron. p. 281 ; DE LAUBADÈRE, Reva-lorisations récentes de la notion de service public, AJDA 1961, p. 591.Sur l’intervention des personnes morales de droit privé dans l’action administrative : J. CHEVALLIER,L’association au service public, JCP 1974, I, 2667 ; F. SABIANI, L’habilitation des personnes privées àgérer un service public, AJDA 1977, p. 4. Dès 1938, la jurisprudence avait reconnu la capacité despersonnes privées à gérer des activités de service public, à propos des caisses d’assurances sociales, orga-nismes relevant du régime des sociétés de secours mutuel, CE 13 mai 1938, D. 1939, p. 65, concl.LATOURNERIE.Sur le régime de responsabilité : B. LEROUSSEAU, La responsabilité des personnes privées gérant un servicepublic administratif, AJDA, 1977, p. 403. Sur le régime des contrats, TC, 3 mars 1969, société InterlaitAJDA, 1969, p. 307, conclusions Kahn, note DE LAUBADÈRE.181. Extension aux fédérations sportives statuant en matière disciplinaire : CE, 27 nov. 1999, II,10376, Concl. HONORAT ; absence de pouvoir hiérarchique du ministère « de tutelle » : CE, 16 mars1984, Broadic, Rec. p. 118, D. 1984, p 317, concl. B. GENEVOIX. En sens inverse pour le conseil de laconcurrence : CConstit., déc. 86-224, 23 janv. 1987, D. 1988, 117, note F. LUCHAIRE ; JCP 1988, II,20854, note J.-F. SESTIER ; V. aussi, Paris, 8 sept. 1998, D. 1998, IR, 228 : La décision du Conseil dela concurrence, même si elle a le caractère d’une sanction, est une décision administrative non juri-dictionnelle.182. Voir notamment CE, 27 avril 1966, Dionnet, Rec. p. 291 et CE, 25 janv. 1980, Gras, Rec. p. 50.

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dans le droit commun juridictionnel, et en particulier au sein du droit conven-tionnel européen.

B – Une juridiction compatible avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme

Le droit disciplinaire ordinal médical est très largement jurisprudentiel, etdes pans entiers ont été fixés entre 1945 et 1960 par le Conseil d’État, statuantau vu des principes généraux du droit. Il existe désormais un cadre constitu-tionnel et européen qui définit le statut de juridiction à travers la notion detribunal indépendant et impartial183. La jurisprudence du Conseil d’État a dûévoluer sur certains points, particulièrement pour reconnaître que la conventioneuropéenne des droits de l’homme s’applique à l’audience disciplinaire, dès lorsque sont remis en cause des droits de nature civile184, et que devaient aussi êtrerepensées les règles du huis-clos ou les conditions de l’impartialité.

Mais les bases n’ont pas été modifiées par l’irruption de ces normes consti-tutionnelles ou européennes. Elles ont été confirmées, soulignant que la conceptionfrançaise des droits de l’homme ne manque ni de portée, ni d’équilibre. La

183. R. CHAPUS, Qu’est-ce qu’une juridiction ? La réponse de la juridiction administrative, Recueil d’étudesen hommage à Charles Eisenmann, Cujas, 1975. Et voir J.-M. AUBY, Autorités administratives et autoritésjuridictionnelles, AJDA, 20 juin 1995, n° spéc. du cinquantenaire sur le Droit administratif, p. 91 ;O. GOHIN, Qu’est-ce qu’une juridiction pour le juge français ? Droits, n° 9, 1989.93 ; F. GRÉVISSE etJ.-C. BONICHOT, Les incidences du droit communautaire sur l’organisation et l’exercice de la fonction juri-dictionnelle dans les États-membres, Mélanges Boulouis, p. 297, Dalloz, 1991 ; O. DUBOS, Les juridictionsnationales, juge communautaire – Contribution à l’étude des transformations de la fonction juridictionnelledans les États membres de l’Union européenne, Dalloz, 2001, préface J.-Cl. GAUTRON ; J. FOYER, Histoirede la Justice, PUF, Que sais-je ? n° 137, 1996. V. aussi R. JACOB (Dir.), Le juge et le jugement dans lestraditions juridiques européennes, LGDJ, 1996, coll. Dr. et société, compte-rendu par L. CADIET in Rev.Int. Dr. Comp. 1997.184. La matière pénale a été reconnue s’agissant du contentieux disciplinaire militaire : CEDH, 8 juin1976, Engel/Pays Bas, série A n° 22. Voir aussi M. DELMAS-MARTY, La matière pénale au sens de la CEDH,Rev. Sc. Crim, 1987, p. 819 ; M. DELMAS-MARTY et C. TEITGEN-COLLY, Punir sans juger ? De la répressionadministrative au droit pénal administratif, Economica, 1992, Spéc. p. 165 à 167. Le Conseil d’État n’aadmis que très tardivement l’applicabilité de l’article 6-1 de la Convention européenne des droits del’homme en matière disciplinaire, l’arrêt de principe du 27 octobre 1978, Debout, Rec. p. 395, concl. LABE-

TOULLE, n’ayant été remis en cause que par l’arrêt d’assemblée du 14 février 1996, Maubleu, Rev. Françaisede droit adm. 1996, concl. M. SAMSON, p. 1186. ADJA, 1996 p. 358 Chron. Th. STAHL et D. CHAUVAUX,visant la notion d’obligations civiles en cas de suspension d’exercice. Avec l’arrêt Pellegrin, 8 déc. 1999,RDP 2000, p. 617 note X. PRÉTOT et P. 711 note G. GONZALEZ, la cour de Strasbourg a adopté le critèrefonctionnel, aussitôt admis par le Conseil d’État : CE, 23 février 2000, L’Hermitte, Rec. p. 101 et JCP2000 n° 10373, note C. MONIOLLE.Le Conseil d’État reconnaît désormais l’applicabilité de l’article 6-1 de la Convention au contentieux desjuridictions disciplinaires de la fonction publique, dès lors que ne sont pas en cause les fonctions visant àsauvegarder les intérêts généraux de l’État. La jurisprudence est étendue à toutes les juridictions ordinales.Pour l’Ordre des chirurgiens-dentistes, 26 juil. 1996, M. PANDIT, req. n° 143106 ; 3 sept. 1997, M. EGGINK,req. n° 147179 ; 22 sept. 1997, M. SERRIER, req. n° 159133 ; pour l’Ordre des vétérinaires, 26 juil. 1996,M. LETELLIER, req. n° 163584 ; 9 nov. 1998, M. COMPAN, req. n° 152888 ; pour l’Ordre des pharmaciens,23 janv. 1998, M. DOUTRES, req. n° 175820 ; pour l’Ordre des Experts-comptables, 23 mars 1998, StéFiducial Expertise, M. HENRY, req. N° 167872.

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Convention n’est pas un plafond mais un plancher185. Ce corpus a vocation às’appliquer à l’ensemble des ordres professionnels nationaux, sous la réserve quecertains relèvent de l’ordre judiciaire et d’autres de l’ordre administratif186.

Le rattachement du conseil de l’Ordre des médecins à l’ordre juridictionneladministratif ne relève, en revanche, d’aucun principe fondamental. Certes, unordre professionnel est investi de prérogatives de puissance publique et danscette mesure peut être admis un bloc de compétences, concluant au rattachementà l’ordre administratif. Mais la règle n’a rien de décisif. L’Ordre des vétérinairescomme les Barreaux relèvent de l’ordre judiciaire. Après tout, rien n’interdiraitque les décisions administratives des ordres professionnels nationaux relèventdu régime administratif, du fait des liens avec le service public, et les décisionsdisciplinaires du domaine judiciaire, du fait de leur implication dans les droitset libertés187. La jonction de ces trois notions – juridiction, de l’ordre de l’admi-

185. Les références sont très nombreuses pour décrire ce mouvement de constitutionnalisation et deconventionnalisation du droit. On peut citer : B. JEANNEAU, Juridicisation et actualisation de la déclarationdes droits de 1789, RDP 1990, p. 635 ; J. MORANGE, La déclaration des droits de l’homme et du citoyen,Paris PUF. Que sais-je ? 1988, H. OBERDORFF À propos de l’actualité juridique de la déclaration de 1789,RDP 1989 p. 665 ; J. GEORGEL, Aspects du préambule de la constitution du 4 octobre 1958, RDP 1960,p. 88 ; R. PELLOUX, Le préambule de la constitution du 27 octobre 1946, RDP 1947, p. 367 ; J. ROBERT, Leconseil constitutionnel a quarante ans, Paris, LGDJ, 1999 ; C. EMERI, Gouvernement des juges ou veto dessages ? RDP 1990, n° 2 p. 335. F. LUCHAIRE, Procédures et techniques des droits fondamentaux : le conseilconstitutionnel français ; la protection des droits fondamentaux par les juridictions constitutionnelles enEurope, Revue internationale de droit comparé, avril 1981, p. 285. L. FAVOREU, Les cours constitutionnelles,Que sais-je ? PUF, 1992 ; Th. RENOUX, L’évolution du principe d’égalité devant la justice dans la jurispru-dence du conseil constitutionnel, GP 1er oct. 1985 ; J. CARBONNIER, De la République dont les lois ont engen-dré des principes, Mélanges Jean Foyer, PUF, 1997. L. FAVOREU, Principes généraux du droit et principesfondamentaux reconnus par les lois de la République, RFDA, 1996, p. 882.La décision de référence est celle rendue par le conseil constitutionnel le 17 janvier 1989, Conseil supérieurde l’audiovisuel, Les grandes décisions, Sirey, n° 44 ; RDP1989, p. 389, note FAVOREU et RFDA, 1989 n° 2p. 215, note B. GENEVOIS « Il résulte des dispositions de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’hommeet du citoyen, comme des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, une peine nepeut être infligée qu’à la condition que soit respecté… le principe du respect des droits de la défense (…)Ces exigences ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives, maiss’étendent à toutes sanctions ayant le caractère d’une punition même si le législateur a laissé le soin de laprononcer à une autorité de nature non judiciaire ».186. Les débats qui avaient entouré la création des ordres professionnels nationaux se retrouvent d’actua-lité quarante ans plus tard quand sont créées des instances décisionnelles, dont on ne sait s’il s’agit d’orga-nes administratifs ou juridictionnels : P. LAROCHE-DEROUSSANE, Les bureaux d’aide juridictionnelle ne sontpas des juridictions, note sous C. Cass. 1°, 9 juil. 1993, D. 1994 p. 137 ; L. WEIL, le Contrôle des attribu-tions non-juridictionnelles de la cour des comptes par le Conseil d’État, note sous CE 12 fév. 1993,D. 1994, J. p. 121 ; J. MAGNET et E. HEMAR, Qui cherche trouve : actualités de la juridiction des comptes,D. 1993 p. 41 ; P. DELVOLVÉ, La nature des recours devant la Cour d’appel de Paris contre les actes desautorités boursières, Bull. Joly 1990 p. 499 ; G. CANIVET, Le juge et l’autorité du marché, Rev. Jurisp.Com. 1992 p. 185. A. COURET, Les droits de la défense devant la COB. Bull. Joly, 1991 p. 1089.187. Une décision de la section disciplinaire du 19 octobre 1988 est très éclairante. « Considérant qu’ilressort des mentions de la décision attaquée et de celles de la délibération du Conseil départemental ayantdécidé de porter plainte tous les Docteurs Y et Z, membres du conseil départemental qui avaient été présentsà la séance où fut adoptée la délibération sus-mentionnée du Conseil départemental décidant de porterplainte, ont également siégé à l’audience du Conseil régional où il a statué sur la plainte. Leur présence àcette audience a méconnu le principe général du contradictoire de la procédure et du respect dû aux droitsde la défense qui s’oppose à ce que dans le cours d’une procédure juridictionnelle à caractère répressif, unemême personne puisse être à la fois plaignante et juge ». SD, 19 oct. 1988, Bull.CNOM, juin 1989, p. 2.

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nistratif, de caractère répressif – signe la spécificité de cette juridiction. Il endécoule un certain nombre de règles décisives, qui marquent la matière.

II – Des règles procédurales déduites

Son statut résultant des principes davantage que des textes spécifiques, unejuridiction ordinale répond à un corps de règles qui constituent les principesfondamentaux de la procédure (A), parmi lesquels quelques unes prennent unegrande importance (B).

A – L’application des principes généraux de procédure

Lorsqu’il statue en matière disciplinaire le conseil de l’Ordre est une juridictiondevant laquelle doivent être observées toutes les règles générales de procédure dontl’application n’a pas été écartée par une disposition législative expresse ou ne sontpas inconciliables avec son organisation. Cette règle de principe, souvent rappelée,conduit à l’émergence d’un droit commun de la discipline juridictionnelle188. La priseen compte par les textes de grands principes, communs à tous les contentieux dis-ciplinaires, et le rôle unificateur de la jurisprudence du Conseil d’État concourent àla création de ce véritable droit commun disciplinaire189. Aussi, une règle propre àune instance ordinale est suspecte.190 C’est à partir de ces règles que s’est construitela théorie du droit disciplinaire médical ordinal. Cette théorie a été affaiblie parl’obstination qui a été celle du Conseil d’État à refuser de reconnaître l’applicabilitéde l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme, avant de céderpar l’arrêt Maubleu. Car cet acquis interne reste pour l’essentiel d’actualité. Il est lapremière référence et détermine la logique de l’instance disciplinaire191. Le droitinterne est le principe ; le droit conventionnel est la garantie192.

B – Quelques règles de grande importance pratique

Il s’agit de règle de procédurales (1) ou liées au fonctionnement juridic-tionnel (2).

188. Droit commun procédural qu’il pourrait être profitable de codifier, comme il en a été pour le droitcommun procédural administratif. V. ARRIGHI DE CASANOVA, Le Code de justice administrative, AJDA2000, p. 639 ; R. Chapus, Lecture du Code de justice administrative, RFDA 2000, p. 929.189. Comparer au contentieux administratif général. V. MOREAU, Le caractère réglementaire ou législatifdes règles de procédure administrative contentieuse en droit français positif, Mélanges Waline, II, p. 635.190. Exemple parfait : le décret n° 93-181 du 5 février 1993 qui institue un principe de publicité des débatsuniquement pour la juridiction ordinale médicale, et pas pour la section des assurances sociales ! La règles’est depuis généralisée alors même qu’elle est critiquable : l’audience disciplinaire, secrète par nature, doitreconnaître un droit à la publicité des débats, comme un droit de la défense (Voir, infra, 2e partie, titre 2).191. Doctrine de référence, voir le n° spéc. de la Revue trimestrielle des droits de l’homme consacré audroit disciplinaire (n° 22, 1995) ; J. PRALUS-DUPUY, L’article 6 de la Convention européenne de sauvegardedes droits de l’homme et les contentieux de la répression disciplinaire, Rev sc. crim. 1995, p. 723 ; J. PRALUS-DUPUY, L’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et les contentieuxde la répression disciplinaire, Rev. Sc. crim. 1995, p. 723.192. O. GOHIN, Les principes directeurs du procès administratif en droit français, RDP 2005, p. 171.

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1 – Règles de procédure

• Application de la loi dans le temps. En premier lieu, les textes de pro-cédure sont d’application immédiate. Ainsi, la réforme des modalités de saisinepeut concerner des faits antérieurs à la réforme et la plainte fondée sur les textesnouveaux devient recevable193. Le principe de non-rétroactivité de la loi pénaleest un principe constitutionnel depuis la décision du conseil du 22 juillet 1980.

• Contradictoire. De même, la juridiction doit respecter le principe ducontradictoire, à tout moment de la procédure et particulièrement au cours del’instruction. Ce principe est d’application stricte, créateur de droits à l’égarddu médecin poursuivi194.

• Impartialité. Encore, le recours en suspicion légitime fait partie des règlesgénérales de procédure et, dès lors, s’applique en matière disciplinaire Tout jus-ticiable est recevable à demander à la juridiction immédiatement supérieurequ’une affaire dont est saisie la juridiction compétente soit renvoyée devant uneautre juridiction de même degré dès lors que la formation compétente seraitsuspecte de partialité195. Enfin, une même personne ne peut être juge et partie àune même action196. La règle est d’une grande portée pratique compte tenu dusystème électoral conduisant régulièrement à ce qu’un membre de la formationdisciplinaire, ayant eu à connaître de l’affaire voire à participer à la délibérationengageant la procédure se trouve, par la suite, amené à statuer. Il doit se retirer.

• Motivation. La juridiction doit motiver ses décisions et statuer sur tousles moyens197. L’exigence de motivation est rigoureuse et se situe en oppositionavec la règle en matière de décision administrative pour laquelle il suffit de trou-ver dans le texte de la décision les motifs qui la justifient198.

• Recours juridictionnels. Le recours devant le Conseil d’État est un pour-voi en cassation et non pas un recours pour excès de pouvoir199. S’applique l’arti-cle 38 ter de la loi du 29 juillet 1981 sur la liberté de la presse, qui prohibel’emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer, ou de transmettrela parole ou l’image des instances juridictionnelles. Le non-respect de cette règleentraînerait la nullité de la décision200.

2 – Fonctionnement juridictionnel

Ce corpus de règles générales permet de résoudre des questions liées aufonctionnement juridictionnel. Ainsi, la formation disciplinaire n’est pas partie

193. SDAS, 5 juin 1991, Bull. CNOM 1992, p. 184.194. CE, 18 nov. 1964, Rainaut, Rec. p. 559.195. CE, 8 janv. 1959, Commissaire du Gouvernement près le Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables, Rec. p. 15.196. CE, 16 déc. 1960, Colombet, Rec. p. 713.197. CE Ass., 29 déc. 1959, Gliksmann, Rec. p. 708.198. L’absence de précision dans les textes ne libère pas la juridiction de la nécessité de faire mention dunom des juges ayant statué : CE, 9 nov. 1956, Pouillon, Rec. p. 423.199. CE, De Bayo, précité.200. CE, 11 juin 1993, Bull. CNOM, 1994, p. 237.

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au litige, et n’a pas qualité pour défendre la décision lorsqu’un recours estexercé ni pour se faire représenter à audience d’appel ou de cassation201. Demême, elle ne peut se saisir d’une décision qu’elle a rendue pour la rétracterou la rectifier202.

L’appartenance à l’ordre juridictionnel administratif induit le caractèreécrit de la procédure. Le déroulement de l’audience laisse apparaître lacomplémentarité subtile entre l’écrit et l’oral, mais les griefs et moyens endéfense doivent être présentés par écrit. Le Conseil d’État a rappelé la portéedu principe dans une affaire intéressant le conseil de l’Ordre des expertscomptables. « Il n’est pas contesté que le requérant n’a pas déféré aux invi-tations qui lui ont été adressées de produire des mémoires en défense dansl’instance disciplinaire engagée à son encontre. Le Conseil supérieur n’a dèslors commis aucune irrégularité en examinant pas dans la décision attaquéeles justifications que le requérant avait présentées oralement »203. Dès lors,l’appel doit être rédigé par écrit et motivé, même en l’absence de dispositionslégales ou réglementaires204.

III – L’aménagement de l’irresponsabilité juridictionnelle

Les instances ordinales statuant en matière disciplinaire bénéficient commel’ensemble des juridictions administratives d’un régime spécifique de responsa-bilité205.

Le Conseil d’État a amendé ce principe ancien par une importante restric-tion : si la faute alléguée peut être recherchée dans l’exercice de la fonction juri-dictionnelle, la responsabilité est alors encourue sur le fondement de la faute

201. CE, 10 fév. 1950, Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de la 18° région sanitaire, Rec. p. 67 ;CE, 31 mars 1950, Slaiher, Rec. p. 209.202. CE, 12 juin 1981, Jegu, Rec. p. 899.203. LCE, 3 avr. 1981, Bourgade, Rec. p. 181.204. L’exposé oral des moyens d’appel devant la section disciplinaire lors de la comparution n’est pas denature à couvrir l’irrégularité dont se trouve nécessairement entaché l’appel dès lors que celui-ci n’a pasété antérieurement assorti d’une motivation écrite : CE, 27 avr. 1966, Dionnet, Rec. p. 291.205. Sur l’évolution générale, voir : La responsabilité des gens de justice, et les articles de : L. CADIET,H. CROZE, Ph. DELEBECQUE, Y. DESDEVISES, G. GIUDICELLI-DELAGE, S. GUINCHARD, L. LORVELLEC, L. MAYAUX,J. MOREAU, J. van COMPERNOLLE, G. WIEDERKEHR in Justices, n° 5, janv. 1997 ; M. LOMBARD, La responsa-bilité de l’État du fait de la fonction juridictionnelle et la loi du 5 juillet 1972, RDP 1975, 585 ; LUDET,Quelle responsabilité pour les magistrats ? Pouvoirs, 1995, n° 74, p. 119 ; Fr. SARDA, La responsabilité desjuridictions, PUF, Que sais-je ?, 1999. Colloques : XXe Colloque des IEJ, Nantes, 8 et 9 nov. 1996, Laresponsabilité des gens de justice ; rapport G. WIEDERKEHR et rapport de synthèse par S. GUINCHARD : Jus-tices 1997-5, p. 13 et 109. Séminaire de formation à l’ENM, rapport introductif de M.-A. FRISON-ROCHE,JCP 1999, I, 174. Colloque Université Aix 3, 5 et 6 mai 2000, Les juges : de l’irresponsabilité à la res-ponsabilité, PUAM, 2000. Jurisprudence : Cass. Ass. 23 fév. 2001, Bull inf. cass. 1er avr. 2001 concl. R. DE

GOUTTES et note M. COLLOMB ; GP. 28 juill. 2001, 1752, note Ch. DEBBASCH ; JCP 2001, I, n° 26, obs.G. VINEY.

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lourde.206 Mais, l’autorité qui s’attache à la chose jugée s’oppose à la miseen jeu de cette responsabilité dans le cas où la faute lourde alléguée résulte ducontenu même de la décision juridictionnelle, si celle-ci est devenue définitive207.Les règles sont très proches, s’agissant des juridictions judiciaires208. L’actiondisciplinaire peut être l’occasion d’un recours en responsabilité administrative.Le conseil départemental qui a engagé l’action disciplinaire, peut faire l’objetd’un recours en réparation dès lors que serait établie l’intention de nuire.209 Laresponsabilité d’un conseil départemental peut encore être retenue pour tout cequi concerne la mise en œuvre de la sanction, et notamment la publication irré-gulière d’une décision disciplinaire, ou le fait de s’adresser à des compagniesd’assurances pour lequel le médecin effectuait des expertises, en les invitant àne plus le missionner210.

206. CE, 28 nov. 1958, BLONDET, RDP 1959 p. 982, note M. WALINE. Les auteurs s’accordent pour direque c’est au regard du fonctionnement des juridictions disciplinaires professionnelles que le Conseil d’Étata été amené à infléchir le principe d’irresponsabilité. Dans sa note, M. WALINE évoque « la multiplicationdes juridictions administratives sans juristes telles les juridictions ordinales dans lesquelles le Conseil d’Étatn’a pas une confiance absolue ». La justice étant rendue au nom de l’État, seul celui-ci en assume la res-ponsabilité : CE, 27 fév. 2004, AJDA 2004, p. 423 note J. COURTIAL, p. 653 note Fr. DONNAT et D. CASAS

et p. 672 concl. R. SCHWARTZ.207. CE, Ass., 29 déc. 1978, DARMONT, D. 79 p. 228, note VASSEUR.208. L’article L 781-1 du code de l’organisation judiciaire dispose : « L’État est tenu de réparer le dommagecausé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. Cette responsabilité n’est engagée que parune faute lourde ou par un déni de justice ». Dans un arrêt d’assemblée du 23 février 2001, la cour decassation a reconnu que constitue une faute lourde une déficience caractérisée par un fait ou une série defaits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi. L’Étatfrançais a supporté plusieurs condamnations pour des violations de la Convention par les juridictionsjudiciaires ou administratives, notamment en matière de délias : M.-A. EISSEN, La durée des procéduresciviles et pénales dans la jurisprudence de la CEDH, Bull. inf. C. Cass. 1° oct. 1995, p. 3, faisant suite àl’affaire Vallée (CEDH, 26 avril 1994).209. TA Chalon sur Marne, 4 oct. 1977, Renau, Rec. p. 620.210. CE, 12 juin 1987, Preyval, Rec. p. 210 et D. 1988, S. p. 164, note MODERNE et BON ; Cass., 1° civ.,11 déc. 1979, Bull. Civ. 1°, n° 317 p. 257. La faute du conseil départemental ne constituait pas une voiede fait. Voir à propos de la publication irrégulière d’une décision : CE, 20 mars 1959, Pennec, Rec. p. 164.La responsabilité des membres du conseil régional ne peut être recherchée que par la voie de prise à partie :Nancy, 25 janv. 1950, D. 1950, p. 305.