Hommage a Xavier Grall

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  • 8/18/2019 Hommage a Xavier Grall

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    Hommage à Xavier Grall1981 – 2011

    Session du Conseil régional de Bretagne, 15 décembre 2011.

    Malade, exténué, Xavier Grall, cheveux longs et visage creusé, s'éteint à 51 ans, en décembre 1981,

    il y a tout juste 30 ans. Il était né le 22 juin 1930 à Landivisiau, 9e enfant d'un maître tanneur et deson épouse.Jeune journaliste, il entre en 1952 dans l'équipe de la Vie catholique où il aura tout au long de sonchemin diverses responsabilités ; il sera même, un temps, secrétaire général. Il collabore égalementà Témoignage chrétien, aux Nouvelles littéraires, à Croissance des Jeunes nations... ainsi qu'à desrevues bretonnes, Bretagne magazine, Sav Breizh et La Nation bretonne qu'il fonde avec Glenmoret Alain Guel en 1970. A partir de 1973, il dispose d'un chronique hebdomadaire dans le journal LeMonde.

    Il est journaliste, donc. Mais un journaliste poète, ce qui est assez rare.Chaque semaine, dans la Vie catholique, il signe un billet qui nous parle de tout et qui nous parle de

    rien. De la vie quotidienne, de ses 5 filles, de l'immeuble de Sarcelles où il habite et du temps quipasse. Le talent de Xavier Grall et sa profondeur aussi font de ces détails là, de cette intimité, desparcelles d'humanité. Le rien qui pourrait n'être qu'anecdote familiale se transforme en ce rienessentiel qui nous fonde en notre dignité.

    Il est écrivain, aussi. Mais écrivain poète, cela va sans dire.En 1959 est publié son premier livre, sur James Dean. Suivront des ouvrages sur Mauriac, Glenmor,Lamennais, Rimbaud. Suivront des essais et des promenades intérieures, comme cet Inconnu medévore, lettres à mes filles sur l'amour de Dieu, ce livre qui suffirait à faire de Grall un grandécrivain.En 1962, c'est son premier roman, Africa Blues. Il y en aura d'autres.

    Il est poète enfin, poète surtout.A partir de 1965 et de son premier recueil poétique, Le Rituel breton, de nombreuses œuvres sontpubliées dont les grands poèmes lyriques, incandescents, tragiques de la fin de sa vie, Solo etGenèse.

     Avec moi, c'est toute la poésie du vieux monde qui chemine.

    Car journaliste ou écrivain, qu'il signe des billets, des chroniques, des biographies ou des essais,Xavier Grall toujours écrit en poète, comme il vit en poète. « Vivre et écrire ne font qu'un seul et

    même feu » (Mireille Guillemot). Je ne saurais vivre sans poésie.

    Solo, Genèse, marquent fortement l'histoire culturelle de la Bretagne. Ces textes nus, à vif, touchantl'os, ces textes d'agonie, ces textes d'amour à ses proches et au Dieu qui est sien, sont de véritableschefs d'œuvre de la littérature de langue française.

    Xavier Grall, son épouse et ses filles, vivent longtemps en région parisienne, à Sarcelles, venantrituellement chaque été en Bretagne. La famille quitte Paris en 1973 et vient vivre près de Pont-Aven, en Nizon, dans une ferme, à Botzulan.

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     Allez dire à la ville

    que je ne reviendrai pas

    dans mes racines je demeure

     Allez dire à la ville

    que c'est ici que je perdure

    roulé aux temps anciensdes misaines et des haubans

     Allez dire à la ville

    que je ne reviendrai pas...

     Je vous écris dans le silence de mon pays, dans sa beauté recouvrée, le cœur plein de son rythme

    qui est le rythme même du monde.

     Je vous écris avec ma nostalgie.

     Je vous écris du bout de mon Finistère pour vous dire qu'après tout, nous aussi, c'est la vie que

    nous aimons...

     Ma voix me revient dans mon pays. Si incertain, si faible soit mon chant, c'est le mien. Et c'est parlui que le bonheur arrive à mes enfants. Voilà pourquoi, ma demeure, je te bénis...

    Son retour en Bretagne se fait alors que Stivell vient de conquérir l'Olympia. Le Gwenn ha Dus'impose. La Bretagne s'ébroue. Et de l'Amoco Cadix à Plogoff, elle lutte et elle chante. Grall, trèslié à Glenmor, prend belle part à ces nouveaux élans. Son verbe donne fierté à toute une générationqui bâtira la Bretagne que nous connaissons aujourd'hui. Le verbe de Xavier Grall est étendard. Il sefait barde.

     Nous te ferons, Bretagne,

     Avec des paroles plus chaudes que les fruits de Vera Cruz

     Avec des fibres plus dures que l'ébène du Mali

     Avec des livres plus vastes que le vent des Gaëls

     Nous te ferons, Bretagne

     Avec des mots allègres comme des auberges

     Nous te ferons.

    Polémiste fougueux, Xavier Grall éructe et assène. Il est tribun et enfle sa colère. C'est l'imprécateurparfois excessif qui gronde et signe Le Cheval couché  en réplique à ce grand monument qu'est Le Cheval d'Orgueil de Pierre-Jakez Hélias. Les deux hommes heureusement apprendront à seréconcilier. Il faut relire aujourd'hui Le Cheval couché, véritable hymne à la joie et à l'avenir.

    Breton, Grall l'est farouchement. Il le savait depuis l'enfance léonarde, évidemment. Mais c'est laguerre d'Algérie qui sert de révélateur. C'est là, en Algérie, qu'au-delà de la folie des hommes, ilapprend à être Breton. « Tu te regardes en face. Tu es Berbère, Kabyle, Breton ».Tout au long de son œuvre court un fil essentiel : Breton, oui, pleinement Breton, mais hommeavant tout, humain, simple humain en appelant toujours à l'universel. Cette humanité, il la puisedans sa foi, dans le Christ des Évangiles bien plus que dans une Église contre laquelle il vitupèresouvent. Il est catholique de Basse-Bretagne, dans un syncrétisme qui doit aux celtes et auxmystiques. Qui doit aux nuages, aux landes, aux vents, aux marées, aux talus et aux chemins creux.On retrouve Michel Le Nobetz dans ses errances de traverse. Il est chrétien, définitivement, etrebelle, tout autant, aux pouvoirs qui écrasent et au mépris affiché aux gens de peu, aux gens de

    rien. Sa Bretagne est fraternelle aux peuples de la terre.

    Xavier Grall croit aux héros et aux saints. Il en appelle à Péguy ou Bernanos. Il se nourrit de

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    Félicité de Lamennais et de Rimbaud, à qui il consacre un ouvrage. Il est libre et ne sait vivre sansbrûler, sans excès, sans ferveur. Insoumis, romantique et ardent, écorché, il se consume, XavierGrall. Il mourra jeune.

     Ne me parlez pas de moi

    Sur ma tête mettez une pierre

     D'argile blanche Et parlez-moi de la terre

    La vie de Xavier Grall est une vie droite, enfiévrée, inquiète, à hauteur d'homme. Son œuvre estavant toute chose un hymne exalté et lumineux à l'amour. L'amour pour une une mère, auprès de quiil repose, à Landivisiau, l'amour d'une femme, Françoise, l'amour infini de ses 5 filles, l'amour d'unevieille terre, cette Bretagne qui vient de si loin et qui porte en elle une fierté, des révoltes, des rêves,des drames et des blessures. L'amour des humbles et des vaincus. L'amour de son Dieu, enfin. Cesamours là, qui se lisent tout au long de l'œuvre, ont été d'une poignante, d'une vibrante intensité. Ilsnourrissent une grande aventure intellectuelle et poétique qui illustre la Bretagne contemporaine.

    Rendre hommage à Xavier Grall, ici, dans l'hémicycle du Conseil régional de Bretagne, c'est direcollectivement ce que la Bretagne doit à ceux qui ont porté son chant quand les temps étaientdifficiles encore. L'identité souriante et apaisée d'aujourd'hui a été précédé de combats et de cris. Laplace de la langue et de la culture, la place d'une évidence, de ces prénoms que l'on choisit et de cesGwenn ha Du qui flottent librement, tranquillement, cette place, elle a été gagnée, pas à pas. Et lespoèmes de Xavier Grall y ont rôle majeur.

    Rendre hommage à Xavier Grall, ici, dans l'hémicycle du Conseil régional de Bretagne, c'est direl'importance du livre. C'est dire la place des artistes, des peintres, des musiciens. C'est parler deMax Jacob et de Guillevic. C'est saluer Glenmor ou Georges Perros, Armand Robin, Anjela Duvalou Louis Guilloux. C'est saluer Paol Keineg ou Yvon Le Men.C'est rappeler la place des éditeurs, et des libraires, c'est saluer Bernard et Mireille Guillemot, RenéRougerie ou Françoise Livinec. C'est remercier Mathieu Dorval, ce jeune peintre qui prolongel'aventure, qui s'empare de Solo, projetant l'œuvre dans le rythme de ses propres couleurs.Rendre hommage à Grall c'est dire la singularité de la Bretagne qui est aussi sa vraie richesse.

    Louis Guilloux, mort quelques mois avant Xavier Grall avait écrit « ne craignez rien, je mourraivivant  ». Nous ne craignons rien. Grâce à Mathieu Dorval, aujourd'hui, Xavier Grall est vivant etson poème Solo est des nôtres.

    Seigneur me voici c’est moi

     je viens de petite Bretagnemon havresac est lourd de rimes

    de chagrins et de larmes .../...

    Seigneur me voici c’est moi

    de Bretagne suis

    ma maison est à Botzulan

    mes enfants mon épouse y résident

    mon chien mes deux cyprès

     y ont demeurance

    m’accorderez vous leur recouvrance ?

    Seigneur mettez vos doigtsdans mes poumons pourris

     j’ai froid je suis exténué

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    voilà et puis encore ceci

     par la dernière larme

     par l’ultime halètement

     par le dernier frémissement

     par le moineau qui s’envole

     par le geai sur la branche par la dernière chanson

     par la joie dans la grange

     par le vent qui se lève

     par le matin qui vient  tout simplement

     je vous rends grâce

    d’avoir été dans le bondissement

    incroyable

    de votre création

    un pauvre hère mortel divin

    et misérableoui

    tout simplement

    un être humain

     parmi les milliards

    et les milliards de vos créatures 

    à présent que les feuilles

    et les mains

    de douce nature

    me closent les yeux !

     Mais Seigneur Dieu

    comme la vie était jolie

    en ma Bretagne bleue.

    Xavier Grall, « visage terrible et magnifique, traversé par un éclair » (Yvon Le Men), est décédé il ya trente ans.La Bretagne lui doit beaucoup.Il ne faut jamais renier les siens.

    Jean-Michel Le Boulanger